BITUME
Les bitumes groupent l’ensemble des produits organiques naturels riches en carbone et en hydrogène, fusibles, combustibles et solubles dans le sulfure de carbone. Ils comprennent les gaz de pétrole, huiles brutes (pétrole), cires minérales, asphaltes et asphaltites. On y ajoute les produits analogues obtenus par pyrogénation de matières organiques naturelles (schistes bitumineux). En revanche, l’usage courant tend à en exclure gaz et pétrole pour réserver ce nom aux produits noirs, solides ou pâteux.
L’usage du bitume comme liant, pour cimenter les briques et pour assurer l’étanchéité, remonte à la plus haute antiquité – en Inde, dès le IIIe millénaire avant J.-C., en Mésopotamie, en Palestine (Gen., XI, 3). Les Romains lui donnèrent le nom de bitumen .
Plus récemment, il a été utilisé par les peintres pour produire, dissous dans l’huile de lin, une couleur brune. Enfin, le bitume de Judée a servi aux premiers essais de photographie de Nicéphore Niepce, qui utilisa l’action de la lumière sur cette matière.
Dans l’industrie, l’utilisation des bitumes naturels a largement diminué au profit des bitumes artificiels, qui sont soit des résidus de distillation du pétrole, soit des produits plus oxydés, obtenus par soufflage à l’air.
Composition et classification
Les bitumes constituent un ensemble assez disparate par leur composition. Ils sont formés par des mélanges variables des familles suivantes de constituants: hydrocarbures, résines, asphaltènes, carbènes. Le tableau 1 montre la séparation de ces diverses familles par différence de solubilité. Le tableau 2 donne les caractéristiques des principaux types de bitumes, d’après la classification proposée par une commission du IIIe Congrès mondial du pétrole.
Le cas du pétrole et des gaz naturels est traité d’autre part. Les autres bitumes peuvent se trouver:
– en masse, à l’état libre; des suintements superficiels d’asphalte sont exploités aux États-Unis, au Mexique, en Israël, au Venezuela, à la Trinité (lac d’asphalte);
– sous forme d’amas dans les fissures ou géodes des roches: certaines cires minérales (ozocérite) et asphaltites;
– en imprégnation dans l’espace poreux des roches (calcaires, grès, sables): grès et sables asphaltiques de l’Athabasca (Canada), de l’Orénoque (Venezuela), de Bemolanga (Madagascar); calcaires asphaltiques de Saint-Jean-de-Maruejols, de Pont-du-Château (France);
– disséminés dans les roches à l’état très divisé; toutes les roches riches en kérogène (cf. infra ) contiennent des bitumes qui résultent de la transformation de celui-ci; leur teneur varie (de 100 à 10 000 p.p.m.) ainsi que leur composition (de celle d’une huile brute à celle des asphaltes) selon la nature et les conditions d’évolution du sédiment; lorsque la roche est une marne ou argile fissurée, une petite fraction du bitume en place peut quelquefois être produite par des forages pétroliers, comme dans la formation de Bazhenov en Sibérie occidentale;
– à l’état potentiel: schistes bitumineux ; lorsque le kérogène est abondant, il se décompose vers 450-500 0C en donnant de l’huile, dite huile de schiste , du gaz, de l’eau et un résidu cokéfié.
Origine
Tous ces produits dérivent de la matière organique, d’origine animale ou végétale, qui est incorporée dans le sédiment lors de son dépôt au fond des mers ou des lacs. Cette matière se transforme progressivement en un produit insoluble, de structure complexe, probablement polymérisée: le kérogène . Sous l’effet de l’enfouissement progressif des couches, et en particulier grâce à l’augmentation de température qui en résulte, une partie du kérogène se transforme en hydrocarbures, résines et asphaltènes. Une partie de ces produits est expulsée, sous l’effet de la compaction des sédiments, vers des roches poreuses (grès, calcaires) où ils s’accumulent pour former, selon leur composition, des gisements de pétrole ou certains types de grès et calcaires asphaltiques. Ces derniers résultent généralement de l’altération d’un pétrole normal et fluide en produits lourds et visqueux, au voisinage de la surface, sous l’action des eaux météoriques chargées d’oxygène qui s’infiltrent dans le réservoir. L’évaporation des produits légers, le lessivage des composés solubles dans l’eau, la biodégradation par les bactéries et l’oxydation sont les principaux responsables de cette transformation.
Les hydrocarbures, résines et asphaltènes qui n’ont pas été expulsés hors du sédiment où ils se sont formés constituent les bitumes disséminés. Dans un bassin pétrolifère, leur masse totale est souvent très supérieure à la masse totale du pétrole accumulé en gisements. Enfin, le kérogène restant peut constituer, s’il est assez abondant (de 10 à 50 p. 100 en poids rapporté à la roche), un schiste bitumineux, c’est-à-dire un matériau capable de donner des bitumes par pyrogénation.
Les gisements de cires minérales, en particulier d’ozocérite, semblent dériver des pétroles paraffiniques, par filtration et remplissage des fissures ou géodes des roches.
Propriétés et usages
La densité des bitumes (pétrole et gaz exclus) varie selon leur composition; elle est cependant souvent voisine de 1. Ces corps sont thermoplastiques; leurs propriétés mécaniques sont fonction de la température, de la présence de solvants et de la charge qu’ils supportent.
Les bitumes naturels ont été remplacés dans beaucoup d’usages (revêtements routiers, étanchéité, toits, imperméabilisation du papier) par les bitumes artificiels. Les calcaires asphaltiques sont encore activement exploités: le matériau broyé, dont la teneur en asphalte est ajustée vers 10 p. 100, sert à revêtir les sols (trottoirs).
Les grès et sables asphaltiques commencent à être exploités par séparation ou distillation de l’asphalte (ceux du Canada contiennent de 150 à 200 milliards de tonnes de bitume et ceux du Venezuela au moins autant). Enfin, les schistes bitumineux représentent une réserve potentielle d’huile bien supérieure à celle des gisements de pétrole. La pyrogénation des schistes, vers 500 0C, pour produire l’huile de schistes, est une industrie ancienne, mais qui a été pratiquement éliminée par l’usage du pétrole, sauf dans les périodes de pénurie (guerre de 1939-1945). Elle est cependant encore active dans quelques régions (Estonie, Mandchourie). On commence également à s’en préoccuper de nouveau dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis (Utah, Colorado), au Brésil (Paraná) et au Maroc.
bitume [ bitym ] n. m.
• 1549; betumoi 1160; lat. bitumen
1 ♦ Mélange d'hydrocarbures qui se présente à l'état solide ou liquide, et dont la couleur varie du brun au noir. Bitumes naturels. ⇒ asphalte, naphte. Les bitumes artificiels sont des résidus de la distillation du pétrole.
2 ♦ Cette substance, utilisée comme revêtement imperméable des chaussées et des trottoirs. ⇒ goudron, macadam. « Sur le bitume des trottoirs, des peintres exposent en plein air » (Duhamel). — Par ext. Fam. Le sol lui-même. Arpenter le bitume.
● bitume nom masculin (latin bitumen) Mélange d'hydrocarbures de masse moléculaire élevée et de substances organiques très riches en carbone et en hydrogène, mais contenant cependant de l'oxygène, du soufre, de l'azote, ainsi que des traces d'éléments métalliques. Couleur brune et brillante qui fut utilisée, notamment au XIXe s., par les artistes peintres. Synonyme fréquent de asphalte. Populaire. Trottoir.
bitume
n. m.
d1./d GEOL Roche sédimentaire noirâtre ou brunâtre plus ou moins visqueuse, imprégnant des roches poreuses (roches magasins) et qui, mélangée à du calcaire concassé, fournit l'asphalte artificiel.
d2./d PETROCHIM Résidu de distillation sous vide du fuel-oil, ayant la même utilisation que le bitume naturel.
d3./d Fam. Le bitume: le sol des rues.
⇒BITUME, subst. masc.
Substance minérale composée de matières hydrocarbonées diverses, utilisée notamment comme revêtement des chaussées. Couches de bitume; des marmites noires de bitume :
• 1. On le vit un moment, rue Taitbout, où sans doute, il se garnit les mains de quelques bons écrins et de sacoches... et de là, le diable sait où il disparut, en Belgique probablement, mais onques, nul ne l'a revu, sur le bitume du boulevard.
BOURGES, Le Crépuscule des dieux, 1884, p. 303.
— P. méton. Artère bitumée de (grande) ville, boulevard :
• 2. L. P., si jeune soit-il; a déjà cultivé, sur l'aride bitume parisien, des tristesses romantiques auxquelles il pensera plus tard comme à des modèles de tristesse.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 130.
— Argot :
• 3. On dit que ces pauvres filles (les prostituées) font le bitume ou qu'elles foulent ou polissent le bitume, quand elles raccrochent sur les boulevards.
H. FRANCE, Dict. Journal, 1907.
PRONONC. :[bitym].
ÉTYMOL. ET HIST. — Ca 1160 betumoi « substance combustible liquide » (Eneas, éd. Salverda de Grave, 6498 : Li betumoi a tel nature : Là ou il est un po sechiez Ja ne sera puis depeciez), forme attestée jusqu'au XIIIe s. dans T.-L.; 1190 betume (EVRAT, Genese, B.N., 12457, f° 16a dans GDF. Compl.), forme attestée jusqu'au XIIIe s., Ibid.; XVe s. forme bitumme, bithume (Hist. s. et prof., Ars. 3515, t. 1, f° 101 r°, Ibid.); XVIe s. bitumen (HUG.); 1575 bitume (BELLEFOREST, Cosmographie universelle, Paris, II, 2135 dans Fr. mod., t. 25, p. 306 : une espece de Bitume); p. méton. 1841 « trottoir » (d'apr. ESN.).
Empr. au lat. bitumen « id. » (CATON, Agr., 95, 1 dans TLL s.v., 2021, 75); [la date de 1549 donnée pour bitume par les dict. étymol. s'applique au texte lat. de Tagault cité dans GDF. Compl., dont la trad. fr. est de 1618]; betumoi avec suff. d'a. fr. -oi (lat. -êtu) indiquant une étendue.
STAT. — Fréq. abs. littér. :199.
DÉR. 1. Bitumeux, euse, adj. Qui contient du bitume. P. métaph. : Hier, séance de la Chambre. Depuis combien d'années ne m'étais-je penché sur cette cuve, dont je hais le jour blême, l'atmosphère bitumeuse de mauvais tableau d'histoire (MAURIAC, Bloc-notes, 1958, p. 101). — [bitymø]. — 1res attest. fin XIIIe s. betumeus (Estories Rogier, Richel. 20125, f° 26e dans GDF.), attest. isolée; 1575 bitumeux (THEVET, Cosmogr., XIX, 8 dans HUG.); dér. de bitume, suff. -eux. — Fréq. abs. littér. : 6. 2. Bitumineux, euse, adj. Sables, schistes bitumineux; houille bitumineuse; terre, tourbe bitumineuse. — [bityminø]. — 1re attest. 1330-32 bitumineus (G. DE DEGUILEVILLE, Pélerinage vie hum., V 11958, éd. Sturzinger, 1893 dans T.-L.), attest. isolée; repris en 1543 (cité dans Fr. mod., t. 5, p. 71); empr. au lat. bituminosus (VITRUVE, 8, 2, 8 dans TLL s.v., 2022, 66) ou dérivation sur le rad. du mot lat. correspondant à bitume. — Fréq. abs. littér. : 13. 3. Bituminisation, subst. fém. Transformation de substances organiques en ,,matière bitumineuse`` (PLAIS-CAILL. 1958). — Dernière transcr. dans LITTRÉ : bi-tu-mi-ni-za-sion. — 1re attest. 1814 (NYSTEN); dér. du rad. de bituminer [1611, COTGR. empr. au lat. bituminare], suff. -iser + -ation.
BBG. — JUD (J.). Beton, bet, beter. In : [Mél. Duraffour (A.).]. Paris-Zürich-Leipzig, 1939, p. 194. — MAT. Louis-Philippe 1951, p. 140, 207. — Termes techn. fr. Essai d'orientation de la terminol. établi par le Comité d'ét. des termes techn. fr. Paris, 1972, p. 4 (s.v. bitumineux), 38, 121.
bitume [bitym] n. m.
ÉTYM. 1575; betumoi, v. 1160; betume, 1190; bitumme, bithume, XVe; du lat. bitumen « bitume ».
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1 Minér. Mélange naturel ou artificiel d'hydrocarbures (et de résines, d'asphaltènes…) qui se présente à l'état solide ou liquide (pâteux), de couleur noire, opaque. || Bitumes naturels : gaz naturels, huiles brutes (pétrole), cires minérales (ozocérite, hattchetite), asphaltes, asphaltites. || Les bitumes artificiels sont obtenus dans la distillation et l'oxydation du pétrole. || Le bitume de Judée (spalt) s'emploie en héliogravure, en photocollographie.
0.1 Terre de Cassel ou noir de pêche, etc. — Ombres avec bitume, cobalt, blanc et ocre d'or.
E. Delacroix, Journal 1823-1850, 22 sept. 1844, t. I, p. 209.
1 Ses eaux blanchâtres (de la mer Morte), huileuses, portent des taches de bitume étalées en larges cernes irisés.
Loti, Jérusalem, XV, p. 177.
➪ tableau Classes de roches.
2 Cour. Cette substance traitée et utilisée comme revêtement imperméable des chaussées et des trottoirs. ⇒ Goudron, macadam.
1.1 Le Parisien, qui jadis faisait le voyage de Naples et gravissait le mont Vésuve pour voir bouillonner ce bitume, foule maintenant aux pieds cette matière qu'il ne regardait autrefois qu'avec crainte et respect, et, tout en se promenant sur les boulevarts (sic), il peut encore voir bouillonner le bitume, non pas sur la bouche d'un cratère, mais dans une grande chaudière de fer placée sur une espèce de poêle, dans lequel des individus fort noirs entretiennent un grand feu, en ayant soin de remuer avec une pelle le liquide visqueux qui répand au loin une fumée épaisse et une odeur fort désagréable.
Ch. Paul de Kock, la Grande Ville, p. 333.
2 Sur le bitume des trottoirs, des peintres exposent en plein air des tableaux dont ils sont peut-être les auteurs responsables (…)
G. Duhamel, le Voyage de P. Périot, I.
3 Il faisait de plus en plus chaud, et rue Campagne-Première, le bitume amolli collait à la semelle.
Roger Vailland, Bon pied, bon œil, p. 76.
♦ Fam. Le sol lui-même. || Arpenter le bitume. ⇒ Pavé, trottoir.
♦ Argot. || Faire le bitume : se prostituer (→ Faire le trottoir). || Une fleur de bitume : une prostituée.
4 La prostituée du boulevard de Clichy et l'inspecteur qui la surveille ont tous les deux de mauvais souliers et tous les deux ont mal aux pieds d'avoir arpenté des kilomètres de bitume.
G. Simenon, les Mémoires de Maigret, p. 111.
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DÉR. Bitumer, bitumeux, bitumier, bitumose. — (Du rad. du lat. bitumen) V. Bituminer, bitumineux, bituminifère, bituminiser.
COMP. Bitumastic. — V. Bituminifère.
Encyclopédie Universelle. 2012.