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BURKINA FASO
BURKINA FASO

Ancien territoire de l’Afrique-Occidentale française, la république de Haute-Volta a accédé à l’indépendance en 1960; elle est devenue, depuis le 4 août 1984, le Burkina Faso («la patrie des hommes intègres»). Situé au sud de la boucle du Niger, ce pays sahélo-soudanien n’a pas de débouché sur l’océan Atlantique, dont il est éloigné de plusieurs centaines de kilomètres; ses voisins sont le Mali, la Côte-d’Ivoire, le Gh na, le Togo, le Bénin et le Niger.

Défavorisé par des conditions naturelles ingrates, presque totalement démuni de ressources minières immédiatement exploitables et habité par une population parmi les plus denses d’Afrique (estimée à 8,8 millions d’habitants pour une superficie de 274 000 km2), le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres du monde; son P.N.B. par habitant, en baisse, est de 320 dollars (rapport de la Banque mondiale 1991).

La population est divisée en une soixantaine d’ethnies d’inégale importance, qui se partagent entre deux groupes linguistiques: gur, ou voltaïque, et mandé. Les principaux ensembles ethniques sont: les Moose, ou Mossi (47 p. 100 de la population), les Gourmantché, les Bisa, les populations dites gourounsi, les Samo, les Marka, ou Dafing, les Bwa, les Bobo, les Dagari, les Lobi et une fraction des Sénoufo; Peuls et Touaregs occupent la partie septentrionale du pays.

Si les religions traditionnelles (animisme) sont largement majoritaires, l’islam, depuis longtemps religion des commerçants, étend son influence sur plusieurs régions, notamment chez les Moose; par les cadres administratifs et politiques qu’elle fournit, la minorité chrétienne exerce une influence prépondérante sur les affaires publiques.

Comme celle de nombreux États du Tiers Monde, la vie politique de la Haute-Volta puis du Burkina Faso connaît une instabilité chronique, faisant se succéder des régimes aux traits fort contrastés: dictature civile de Maurice Yaméogo, républiques pluralistes et démocratiques sous la présidence du général Lamizana, révolution radicale des militaires présidée par le capitaine Sankara jusqu’à sa mort violente en 1987, présidence du capitaine Blaise Compaoré s’orientant vers un régime constitutionnel et pluraliste. D’une grande diversité, ces régimes politiques n’en sont pas moins marqués par un certain nombre de points communs: tous sans exception ont dû se mesurer ou composer avec des centrales syndicales combatives et des chefferies traditionnelles toujours vivantes; à l’exception de la Ire République, les militaires ont joué un rôle certes très variable, mais toujours réel; enfin, les responsables gouvernementaux, civils ou militaires, ont constamment manifesté une propension à cultiver leurs divisions internes jusqu’à parfois donner l’image d’un jeu politique éloigné des préoccupations concrètes des populations de plus en plus tentées par un fort abstentionnisme électoral.

1. Données géographiques

Le territoire du Burkina Faso forme, au centre du bouclier ouest-africain, une pénéplaine au relief monotone, dont l’altitude moyenne est de 300 mètres. Dans l’ouest du pays, les plateaux primaires culminent à 794 mètres (piton de Ténékourou) et sont entaillés par des vallées (Volta Noire, Komoé, Léraba). Le climat est tropical soudanien, avec une longue saison sèche (de novembre à mai) et une courte saison humide (de juin à octobre). L’action de l’harmattan, vent chaud et sec, se fait particulièrement sentir de mars à mai. Le territoire du Burkina Faso appartient pour l’essentiel au haut bassin des Voltas (d’est en ouest: Voltas Blanche, Rouge et Noire); le réseau hydrographique est extrêmement médiocre. Aux trois sous-climats soudaniens correspondent trois zones de végétation: la steppe arbustive (climat sahélien), la savane (climat nord-soudanien) et la forêt sèche (climat sud-soudanien).

Les deux principales villes du pays sont Ouagadougou (442 000 hab. en 1991), capitale actuelle et ancienne capitale du plus important des anciens royaumes moose, et Bobo-Dioulasso (231 000 hab.), centre économique de l’époque coloniale. Les principaux centres secondaires sont: Koudougou (52 000 hab.), Ouahigouya (39 000 hab.), Banfora (35 000 hab.), Kaya (26 000 hab.) et Fada N’Gourma (20 000 hab.).

2. Le Burkina précolonial et colonial

Les royaumes moose

Un groupe de conquérants cavaliers, venus de l’est, parvint sans doute vers la fin du XIVe siècle dans le nord du Ghana actuel et y établit progressivement sa domination: de cette conquête sont nés les royaumes mamprusi, dagomba et nanumba. C’est vers la fin du XVe siècle que sont apparues les premières formations politiques moose dans le sud du bassin de la Volta Blanche. À l’origine de leur histoire, les Moose placent un héros fondateur, Naaba Wedraogo (naaba : chef; wedraogo : étalon), fils d’une princesse royale de la dynastie mamprusi. Le peuple mooga (sing. de moose ) actuel s’est constitué progressivement par l’alliance entre les conquérants venus du sud (nakombse ) et les membres des multiples groupes ethniques autochtones, les «gens de la terre» (tengdemba ), les nakombse détenant le pouvoir politique, les tengdemba étant les détenteurs du pouvoir religieux lié à la terre (culte de la fertilité et rites funéraires). Dès la seconde génération de l’histoire des Moose, les nakombse occupent la quasi-totalité du bassin de la Volta Blanche. Au temps des conquêtes (XVIe s.) succéda celui de la formation de royaumes, aux dynasties apparentées entre elles, et de la stabilisation des frontières extérieures du pays mooga, le Moogo (fin XVIe s.-déb. XVIIe s.); par la suite, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la carte politique du Moogo variera peu. À compter du XVIIe siècle, le Moogo est partagé en deux grandes zones d’influence: une zone centrale, la plus importante, dominée par le royaume de Wogodogo (Ouagadougou), dont le souverain porte le titre de Moogo naaba (chef du Moogo), et une zone septentrionale, dominée par le Yatenga. L’apogée de la puissance mooga se situe au XVIIIe siècle, avec les règnes de Naaba Warga à Wogodogo et de Naaba Kango dans le Yatenga.

L’islam est introduit à la cour de Wogodogo par le Moogo naaba Dulugu (1796?-1825?), mais la conversion superficielle d’une partie de la haute aristocratie du royaume n’entraîne aucune modification notable dans les croyances de la population. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, de sérieuses menaces pèsent sur le royaume de Wogodogo: révoltes intérieures, pression, à l’ouest, d’anciens mercenaires d’origines zerma (Niger actuel), qui dominent les populations dites «gourounsi», entre la Volta Rouge et la Volta Noire, puis visées de Samori et de ses adversaires européens, Français et Anglais. L’histoire du Yatenga moderne s’ouvre avec le règne de Naaba Kango (1757-1787), artisan d’une politique de centralisation du pouvoir. Peu après sa mort, de graves conflits internes affaiblissent le royaume, tandis qu’à partir des années 1830 les Peuls du Masina (Mali actuel) menacent ses frontières septentrionales et orientales. À partir de 1879, le Yatenga s’enfonce progressivement dans un conflit dynastique qui va bientôt prendre les dimensions d’une guerre civile sans merci, et qui, en 1895, va permettre aux Français, installés depuis peu à Bandiagara (Mali actuel), de se poser en médiateurs entre les deux fractions ennemies de l’aristocratie du Yatenga. Le Yatenga devient protectorat français en 1895, sous le règne de Naaba Baogo; la même année, les Français pénètrent dans Ouagadougou, dont le souverain, Naaba Wobgo, a pourtant signé l’année précédente un traité de protectorat avec un représentant du gouvernement britannique: le royaume de Wogodogo passe l’année suivante (1896) sous protectorat français.

À l’est du Moogo s’étend le pays des Gourmantché, dont le territoire correspond à une partie de la rive droite du fleuve Niger, appelée Gulma, ou Gurma. Culturellement proches des Moose, mais ne provenant pas de la même souche historique, les Gourmantché étaient organisés en royaumes indépendants, qui reconnaissaient cependant la suprématie au moins rituelle du Nun bado, «chef» (bado ) de Nungu (Fada N’Gourma). En lutte contre les Peuls du Liptako et du Yagha durant le XVIIIe et le XIXe siècle, les Gourmantché avaient perdu certains de leurs commandements septentrionaux quand leur pays est passé sous domination française, en 1897.

L’Ouest burkinabé précolonial

L’Ouest voltaïque est le domaine des populations mandé mais comprend aussi des populations gur, regroupées sous l’appellation impropre de «Gourounsi», la caractéristique principale des sociétés occidentales du Burkina Faso étant qu’elles étaient organisées politiquement en communautés villageoises indépendantes et non en royaumes. Les Samo, au nord-ouest, ont victorieusement résisté à quatre siècles de pression militaire mooga. Voisins des Samo, les Marka ou Dafing sont anciennement islamisés; peu de temps avant la conquête française, en 1894, un chef religieux, Al-Kari, entreprit de réunir les Marka et une partie des Samo sous une autorité politique unique et de convertir de force les groupes «païens» de la vallée du Sourou. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les populations gur eurent à subir la lourde domination de guerriers zerma (les Zamberma), anciens chasseurs de captifs des rois dagomba de l’actuel Gh na. L’histoire antérieure au XIXe siècle des autres populations de l’Ouest voltaïque: Bwa, Bobo, Lobi-Dagari-Birifor, est très mal connue. Au XIXe siècle, une grande partie des régions occidentales du Burkina Faso subit la pression des Dyula, guerriers et commerçants musulmans originaires du Mali actuel. Les Dyula sont les fondateurs de plusieurs États, dont le plus ancien, celui de Kong, apparaît au XVIIe siècle et étend rapidement son influence sur une partie du pays bobo. De Kong naîtra le Gwiriko, dont la capitale sera Sya, l’actuelle Bobo-Dioulasso. Dernier souverain du Gwiriko, Tyeba, après avoir dû affronter plusieurs révoltes, n’a plus guère d’autorité quand il fait sa soumission aux Français, en 1897. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un autre État dyula, celui de Wahabou, s’est posé en rival du Gwiriko; Wahabou passera également sous domination française en 1897. À partir de 1825, le Kenedugu, autre royaume dyula, étend son influence sur le pays sénoufo (confins actuels du Burkina Faso, du Mali et de la Côte-d’Ivoire), à partir de Sikasso (Mali). En 1888, le souverain de Sikasso tient Samori en échec, mais, après 1891, les révoltes contre le pouvoir dyula se multipliant, la décadence du Kenedugu s’accélère; Sikasso passe sous contrôle français en 1896. C’est vers cette époque, à l’extrême fin de la période précoloniale, que les troupes de Samori font leur apparition dans le sud-ouest du Burkina Faso. Samori prend Kong en 1897, mais doit renoncer à prendre Bobo-Dioulasso et se réfugie à Bouna (Côte-d’Ivoire). On sait que Samori fut fait prisonnier en 1898 et exilé au Gabon, où il mourut en 1900.

Les Peuls dans le Burkina

C’est à partir du XVIIe siècle que les Peuls pénètrent par vagues successives dans la partie sahélienne du territoire du Burkina Faso, y compris dans les parties septentrionales des royaumes moose présahéliens, comme le Yatenga. Les Peuls donneront naissance à deux émirats, le Liptako et le Yagha, et créeront, avec le Jelgoji, une sorte de fédération de commandements locaux ou régionaux dominant les Kurumba autochtones. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les Peuls doivent lutter contre les Touaregs de l’Udalan, les Kurumba, les Moose et les Gourmantché. Leur principale formation politique, le Liptako, naît de la victoire de Dori (1811), remportée sur les Gourmantché, qui sont contraints de se replier vers le sud. Peu de temps après, le Liptako fera acte formel d’allégeance à Sokoto (Nigeria), tandis que le Masina tentera, sans succès, de réunir les commandements du Jelgoji sous son égide.

La conquête française et la période coloniale (1895-1960)

En mai 1895, une colonne française, partie de Bandiagara et commandée par le capitaine Destenave, arrive à Ouahigouya, résidence du Yatenga naaba Baogo (1885-1895), qui doit faire face depuis plusieurs années à une révolte armée d’une partie de l’aristocratie du royaume, soutenue par les Peuls du commandement de Tyu. Un mois plus tard, en juin, alors que le Yatenga est devenu protectorat français par traité, Naaba Baogo meurt à la bataille de Tyu et laisse ainsi la place au chef de ses adversaires, Naaba Bulli (1895-1899), sur lequel les Français vont s’appuyer, tandis que les partisans du souverain défunt entreront en dissidence. Entre 1895 et 1897, le reste du Moogo, le Gurma et les territoires peuls passent sous domination française. La conquête de l’Ouest et du Sud-Ouest se déroule entre 1897 (occupation de Dédougou, de Bobo-Dioulasso et Diébougou, puis de Banfora) et 1901, année de la pénétration en pays lobi. Presque partout, les Français se heurtent à une résistance armée, qui est particulièrement vive dans l’Ouest.

D’abord territoire militaire de la Sénégambie-Niger, le Burkina Faso devient en 1904 territoire du Haut-Sénégal-Niger; elle passe sous administration civile à partir de 1909, mais, dans certaines régions, le retrait de l’administration militaire ne se fera que dans les années vingt ou même trente (pays lobi). En 1919, la Haute-Volta devient l’un des territoires constituant l’Afrique occidentale française. Entre 1895-1897 et 1919, les révoltes n’ont pas cessé, nées des excès des «colonnes», des maladresses de l’administration et des premiers recrutements autoritaires. C’est en pays bwa, marka et «gourounsi» (nord-ouest et ouest d’entre Volta Rouge et Volta Noire) qu’éclate la grande révolte de 1915-1917, qui sera suivie d’une répression sévère, mais aussi d’une rectification sensible de certaines erreurs de l’administration, notamment en matière de choix des chefs de canton. Après la période des recrutements militaires de la guerre de 1914-1918 vient le temps des recrutements de main-d’œuvre: le projet de création d’un Office du Niger, chargé de la mise en valeur du delta intérieur du fleuve (Mali actuel, région de Ségou) et les besoins en main-d’œuvre des planteurs français de la Côte-d’Ivoire conduisent les autorités coloniales à démanteler la Haute-Volta en 1932. Le Jelgoji, le Yatenga et le nord-ouest du pays sont intégrés au Soudan français (qui deviendra le Mali en 1960), le Liptako et l’Udalan sont rattachés au Niger, le reste de la Haute-Volta, sous le nom de Haute-Côte-d’Ivoire, devenant partie intégrante de la Côte-d’Ivoire. À la période des «grands travaux» et des recrutements intensifs fait suite, entre 1936 et 1939, une période sensiblement plus libérale, qui s’achève brutalement avec «l’effort de guerre» de 1939-1945. En 1946, le travail obligatoire est supprimé, et, en 1947, la Haute-Volta retrouve son unité.

C’est en 1946 que les formations politiques sont autorisées. Le Rassemblement démocratique africain, créé la même année en Côte-d’Ivoire, va jouer un rôle capital dans l’éveil politique de la Haute-Volta, qui s’accompagnera, en pays mooga, d’une remise en cause du rôle de la chefferie traditionnelle. En 1956, la section voltaïque du R.D.A. prend le nom de Parti démocratique unifié, qui devient à son tour l’Union démocratique voltaïque, dont les deux principaux leaders sont Ouezzin Coulibaly et Maurice Yaméogo; à la même époque, Nazi Boni crée le Parti du rassemblement africain, particulièrement bien implanté dans l’ouest du pays. La loi-cadre de 1956 aboutit à la mise en place de structures politiques nouvelles. En 1957, Ouezzin Coulibaly devient vice-président (le gouverneur français du territoire étant président), puis président du Conseil de gouvernement.

3. Évolution politique

Le «régime Yaméogo»

Selon un processus commun à l’ensemble des territoires français à l’exception de la Guinée, la Haute-Volta accède à l’indépendance en plusieurs étapes: le 28 septembre 1958 est adoptée une Constitution; la nouvelle République, proclamée le 11 décembre 1958, est membre de la Communauté franco-africaine; le 11 juillet 1960, les compétences communautaires sont transférées à Ouagadougou, et l’indépendance reconnue le 5 août 1960. Maurice Yaméogo, qui avait dirigé le pays pendant la période transitoire, devient le premier président de la jeune République.

Utilisant les pouvoirs étendus que lui confère la Constitution adoptée le 27 novembre 1960, et les outrepassant, le chef de l’État élimine ses adversaires politiques et institue, au profit de sa formation, le Rassemblement démocratique africain (R.D.A.), un système de parti unique. Le régime devient rapidement autocratique, et le président perd tour à tour le soutien des notables traditionnels, des syndicats et du clergé. L’annonce, à la fin de décembre 1965, de nouvelles mesures d’austérité, rendues nécessaires par une situation économique préoccupante et une gestion financière désastreuse, provoque de nouvelles manifestations d’étudiants, d’écoliers et des syndicats à Ouagadougou; l’armée, dirigée par son chef d’état-major, le général Sangoulé Lamizana, devient l’arbitre de la situation et prend le pouvoir le 6 janvier 1966.

Les républiques pluralistes et démocratiques de la présidence du général Lamizana

De 1966 à 1980, la vie politique voltaïque est une succession pacifique et curieusement cyclique de gouvernements militaires à l’autoritarisme plutôt débonnaire et de régimes civils démocratiques, les uns et les autres exerçant leurs responsabilités sous la magistrature suprême du général Lamizana.

Après quatre ans de détention exclusive du pouvoir consacré à restaurer les fragiles équilibres économiques et à combler un déficit budgétaire considérable, le gouvernement du général Lamizana entame le processus d’un retour à une vie politique normale: suppression de l’interdiction des partis politiques (20 nov. 1969), adoption par référendum d’une nouvelle Constitution (14 juin 1970), élections législatives à la représentation proportionnelle (20 déc. 1970). L’avènement de la IIe République est un événement en Afrique noire francophone: la Haute-Volta y est à cette époque le seul pays à être doté d’un régime réellement multipartiste, infirmant ainsi provisoirement l’idée reçue qu’il existerait une relation de cause à effet entre sous-développement et gouvernement autoritaire. C’est aussi la première fois que des militaires remettent le pouvoir aux civils avec, il est vrai, des précautions: la Constitution prévoit que, pendant les quatre premières années, les fonctions de président de la République seront confiées au militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé, c’est-à-dire au général Lamizana, et que le gouvernement devra comprendre un tiers de militaires.

Le fonctionnement des institutions est rapidement bloqué par les dissensions du parti majoritaire, l’Union démocratique voltaïque-R.D.A., et par les rivalités personnelles de ses leaders. Le 8 février 1974, prenant prétexte de la paralysie qui en résulte, le général Lamizana dissout l’Assemblée nationale, interdit les partis et suspend la Constitution.

Un deuxième cycle s’amorce avec l’instauration d’un nouveau régime militaire; le «gouvernement de renouveau national» s’attache à appliquer un programme de réformes visant à atténuer la dépendance du pays vis-à-vis de l’extérieur. L’annonce faite le 29 novembre 1975 par le général Lamizana de son intention de créer un parti unique, le Mouvement national pour le renouveau, provoque – la persistance du marasme économique aidant – la réaction immédiate des organisations syndicales. L’ampleur de la grève générale des 17 et 18 décembre 1975 contraint le gouvernement à satisfaire les revendications syndicales et à promettre le rétablissement de la démocratie politique dans un délai de trois ans.

Avec l’adoption d’une Constitution par le référendum du 27 novembre 1977 naît la IIIe République. Celle-ci est marquée par l’organisation d’élections, et notamment de celle d’un président de la République au suffrage universel dans des conditions jugées à l’époque parmi les plus libres et les plus concurrentielles de l’Afrique francophone. Le général Lamizana l’a certes une fois de plus emporté, mais de justesse, après un ballottage serré (16 000 voix de majorité). Cette difficile victoire a été considérée comme un indice de la réalité de la démocratie voltaïque. Mais le fort pourcentage d’abstentions, qui traduit un certain attentisme des masses face à d’incessants conflits de personnalités et à des jeux politiques dont la signification leur échappe, révèle la fragilité du régime.

Le coup d’État du 25 novembre 1980 et la révolution burkinabé

À l’occasion d’un nouvel affrontement entre le gouvernement et les syndicats, des militaires, conduits par le colonel Saye Zerbo, ancien ministre des Affaires étrangères de 1974 à 1976, prennent le pouvoir (25 nov. 1980); selon un rituel désormais classique en Afrique, ils suspendent les libertés politiques et syndicales, procèdent à l’arrestation des dirigeants et éliminent de la scène politique les hommes qui l’avaient constamment dominée durant vingt ans.

Cette date ouvre une période d’instabilité, largement due aux dissensions de la hiérarchie militaire, et de radicalisation. Les coups d’État militaires se succèdent. Le 7 novembre 1982, le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouedraogo remplace le colonel Saye Zerbo et institue un Conseil de salut du peuple (C.S.P.); il est lui-même éliminé le 4 août 1983 par un jeune officier, le capitaine Thomas Sankara, son éphémère Premier ministre jusqu’à son arrestation en mai 1983.

Le nouveau régime et son mot d’ordre, celui de la «révolution voltaïque», constituent une profonde et véritable rupture dans l’histoire du pays, symboliquement entérinée par la violence qui a marqué l’avènement du Conseil national de la révolution en 1983. L’objectif des jeunes capitaines, soutenus au départ par les organisations syndicales et les formations politiques essentiellement d’extrême gauche, est de changer radicalement non seulement les rapports économiques mais aussi les structures mêmes de la société et de faire passer le pouvoir «des mains de la bourgeoisie à celles des classes populaires». Ce radicalisme revêt des aspects symboliques: en même temps qu’il prenait un nouveau nom, le Burkina Faso changeait de drapeau, d’hymne national et modifiait la terminologie géographique et administrative; mais il se traduit surtout par l’élaboration d’un projet à caractère totalitaire de contrôle de l’ensemble de la société civile et politique: interdiction des partis politiques, réduction du pouvoir syndical, mise en cause des autorités coutumières, surveillance des activités associatives, quadrillage du pays par les comités de défense de la révolution (C.D.R.), investissement méthodique de l’administration, réorganisation de la justice et de l’armée... Sur le plan extérieur, la politique burkinabé se manifeste par une dénonciation virulente de l’impérialisme et du néo-colonialisme, le rééquilibrage des rapports du Burkina en direction des démocraties populaires et de la Libye ou du Gh na. Les accords de coopération avec la France seront renégociés en 1986. Après avoir déclenché les hostilités contre le Mali à qui il dispute la bande frontalière d’Agacher, le Burkina Faso se conformera au jugement de la Cour internationale de justice du 22 décembre 1986, qui met fin à un différend remontant à l’indépendance.

La révolution burkinabé s’est heurtée à de multiples résistances; elle n’est pas parvenue à s’attacher l’adhésion de la paysannerie, toujours démunie, malgré son programme de réforme agrofoncière; elle n’a pu empêcher les fonctionnaires et salariés urbains, principales victimes des sacrifices imposés par le pouvoir, de se détacher d’elle. À ces difficultés s’ajoutent les dissensions du Conseil national de la révolution; le projet de parti unique dont le principal effet aurait été d’assurer la mainmise du capitaine Sankara et de son groupe sur le pouvoir est sans doute le détonateur du putsch du 15 octobre 1987, au cours duquel le président du Burkina Faso trouve la mort; celui-ci est remplacé par le numéro deux du régime, le commandant Blaise Compaoré.

Vers la IVe République

Le nouveau dirigeant institue un «front populaire» chargé de procéder à «la rectification de la Révolution». Ce mot d’ordre ambigu se traduit dans l’immédiat par une approche pragmatique du pouvoir qui permet certains revirements: revalorisation officielle du rôle protocolaire et de l’autorité morale de la chefferie coutumière, reconnaissance des syndicats comme défenseurs des intérêts des travailleurs, dissolution des comités de défense de la révolution, etc.

Avec le même pragmatisme, le président Blaise Compaoré engage le Burkina Faso dans la voie de l’ouverture politique, de la démocratisation des institutions et d’un retour à la vie constitutionnelle. Élaborée au cours d’assises nationales où sont représentées les différentes sensibilités politiques, confessions et forces socioéconomiques du pays, une Constitution est adoptée par voie de référendum le 2 juin 1991. Abandonnant toute référence aux mots d’ordre révolutionnaires et anti-impérialistes, la nouvelle loi fondamentale consacre le multipartisme; elle établit un régime fondé sur la séparation des pouvoirs qui assure l’autorité du chef de l’État élu au suffrage universel pour sept ans; un Premier ministre désigné par lui est responsable devant un Parlement qui présente la caractéristique, rare en Afrique, d’être bicaméral; la deuxième chambre, consultative, devant assurer la représentation des organisations sociales, religieuses, professionnelles, militaires et politiques.

La mise en place des nouvelles institutions s’effectue dans un climat de suspicion et dans des conditions critiquées par les quatorze partis d’opposition (réunis en une coordination des forces démocratiques), réclamant jusqu’ici, en vain, la tenue d’une conférence nationale. L’opposition manifeste sa méfiance en refusant de participer à l’élection présidentielle du 1er décembre 1991; première élection au suffrage universel depuis 1978, elle s’est soldée par la demi-victoire de Blaise Compaoré, seul candidat en lice, élu à 86,19 p. 100 des suffrages exprimés mais avec un taux d’abstention de 74,88 p. 100; les élections législatives prévues pour 1992 devraient achever le processus de démocratisation et mettre fin à la domination exercée jusqu’ici par l’armée sur la destinée du pays. Reste une inconnue, celle de la capacité du pouvoir à surmonter ses traditionnelles dissensions et à ne plus apparaître comme toujours aussi lointain pour les populations rurales.

4. Une des économies les plus pauvres du monde

Le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde. Il cumule les handicaps; à ceux que rencontrent d’ordinaire les États sous-développés s’en ajoutent d’autres qui lui sont propres: en l’absence de débouché sur la mer, tout le commerce extérieur doit transiter par les ports d’Abidjan et de Lomé, distants de plus de 1 000 kilomètres de Ouagadougou; les précipitations sont mal réparties et trop souvent dramatiquement insuffisantes (sécheresse des années 19691974, 1981, 1984); les ressources énergétiques sont presque inexistantes et le sous-sol pauvre en matières premières immédiatement exploitables; le peuplement est non seulement un des plus nombreux du Sahel et un des plus denses d’Afrique, mais il est aussi déséquilibré, certaines régions (plateau de Mossi, Kasséna) abritant 80 habitants au kilomètre carré et d’autres, dans le Nord et l’Est, moins de 10. Les migrations massives (il y aurait 1 500 000 émigrés) vers les pays voisins (Côte-d’Ivoire, Gh na) prennent des proportions inquiétantes pour le développement économique dans la mesure où elles concernent surtout les jeunes; enfin, la main-d’œuvre spécialisée reste rare, le taux d’alphabétisation est de 22 p. 100, celui de la scolarisation des enfants de 27 p. 100.

Une économie essentiellement agricole

Malgré des conditions naturelles d’exploitation difficiles tenant surtout aux sécheresses catastrophiques et à des techniques rudimentaires, l’agriculture et l’élevage fournissent de 40 à 45 p. 100 du produit intérieur brut et 90 p. 100 des emplois. Les cultures vivrières (mil, sorgho, maïs, riz, fonio) occupent près des neuf dixièmes de la surface cultivable, mais le déficit vivrier reste chronique; pour les céréales, il oscille entre 100 000 et 150 000 tonnes pour une production moyenne d’environ 1 500 000 tonnes (1 787 800 t en 1990-1991 selon les estimations officielles). La production de riz stagne (41 800 t en 1989-1990) et ne parvient pas à couvrir les besoins d’une population urbaine qui lui accorde une place croissante dans son alimentation. Des progrès continus sont enregistrés dans les cultures de rapport, mais ils sont irréguliers et menacés en raison de la détérioration des cours du marché mondial, de l’apparition de produits de substitution, de l’intensification d’une concurrence internationale ainsi que de la réduction des superficies qui leur sont consacrées, due à l’attrait que présentent les cultures vivrières lors des périodes de grave pénurie.

Si l’on tient compte des meilleures campagnes des dernières années, le Burkina Faso a commercialisé 169 000 tonnes de coton graine (1986-1987), 5 400 tonnes d’arachides (1985-1986), 70 000 tonnes de karité (1985-1986), 4 400 tonnes de sésame (1986-1987) et récolté 277 000 tonnes de canne à sucre (1989-1990), pour une production de sucre de l’ordre de 26 000 tonnes.

Premier produit d’exportation jusqu’en 1975, l’élevage a été décimé par les sécheresses successives. En 1989, les effectifs du cheptel étaient évalués à 3 860 000 bovins, 6 370 000 caprins, 4 900 000 ovins.

Le secteur minier et industriel est encore peu développé. Géré par des entreprises publiques en difficulté et un secteur informel actif, il ne représente que 14 p. 100 du P.I.B. La production minière, longtemps quasi inexistante, est devenue, depuis la réouverture de la mine aurifère de Poura en 1984, la deuxième source de recettes d’exportation après le coton; en 1990, 3 500 kilogrammes d’or ont été exportés, représentant une valeur de 11,6 milliards de francs C.F.A.

Le secteur manufacturier connaît un début de développement. Mais, handicapé par l’étroitesse du marché intérieur, des frais de transport élevés du fait de l’enclavement du pays, une insuffisance des infrastructures, le coût de l’énergie, il reste toujours très faible. Il est concentré dans l’agroalimentaire (brasseries, huileries et savonneries; cigarettes, sucre, etc.), le textile (filature et tissage) et, dans une moindre mesure, dans les cuirs et peaux, la fabrication de chaussures, de cycles, de pneumatiques, de céramiques, de fils électriques et de piles, le tout occupant environ 8 000 salariés, soit à peine 1 p. 100 de la population active.

Une économie totalement dépendante de l’aide extérieure

En raison des difficultés du secteur agricole, du coût croissant des importations de produits pétroliers et des besoins d’une industrie de produits agroalimentaires et de transformation naissante, la balance commerciale est structurellement déficitaire avec un taux de couverture des importations par les exportations ne dépassant pas 35 p. 100.

Malgré la volonté souvent affichée par les pouvoirs publics depuis 1983 de «compter sur ses propres forces» et les politiques régulièrement lancées d’austérité financière et de limitation des dépenses publiques qui lui évitent de connaître une crise financière aussi grave que celle de plusieurs pays de la sous-région, l’économie burkinabé reste largement dépendante de l’aide internationale. De 1986 à 1989, celle-ci atteignait 290 millions de dollars en versements nets globaux par an; en fait, depuis 1972, l’aide étrangère excède le budget national; le plan quinquennal 1986-1990 a été financé à la hauteur de 79 p. 100 par les ressources extérieures. Bien qu’elle soit modérée par rapport à celle d’autres États comparables et que son poids ait été allégé par des annulations, la dette extérieure est importante; elle représente 29,6 p. 100 du P.N.B., et son service 9,4 p. 100 des exportations pour un montant total de 756 millions de dollars (1989).

L’origine des concours extérieurs s’est diversifiée, mais, en dépit de variations à la baisse sensibles notamment sous le régime Sankara, les fonds français restent prépondérants: de même qu’elle est le premier partenaire commercial du Burkina Faso, la France en est le premier bailleur de fonds (un tiers de l’aide bilatérale et 21 p. 100 de l’ensemble de l’assistance financière internationale).

Perspectives de développement

La faiblesse des moyens d’action et de contrôle dont dispose l’État sur les facteurs déterminant son développement (aides étrangères, prix des matières premières, conditions climatiques, croissance démographique, etc.) ne laisse guère espérer des progrès économiques et sociaux rapides.

La réalisation de nombre d’opérations prévues par les plans de développement a été freinée faute de financement: le premier plan quinquennal 1986-1990 n’a été réalisé qu’à 62 p. 100, et le deuxième plan n’a finalement retenu que la moitié des investissements initialement envisagés. Pour ne prendre qu’un exemple, un des obstacles – mais il y en a d’autres tenant aux cours mondiaux – à l’exploitation du manganèse de Tomboa est l’absence des capitaux nécessaires pour construire un chemin de fer reliant le gisement à la ligne Kaya-Abidjan. Les potentialités à moyen terme n’en existent pas moins: marché intérieur proche de 10 millions de personnes, réserves minérales encore inexploitées (or, zinc, cuivre), possibilité d’expansion des cultures vivrières et de rente, existence de marchés locaux et régionaux dans les domaines des matériaux de construction et de l’agro-industrie, perspective de développement des services (tourisme, services de dépannage et de réparation).

Les gouvernements successifs ont fondé des espoirs sur plusieurs opérations d’envergure: dans le domaine agricole, où l’objectif prioritaire est l’autosuffisance et la sécurité alimentaires, de vastes programmes d’aménagement ont été lancés et sont en cours: depuis 1974, aménagement des vallées du Nakambe (Volta Blanche) et du Mouhoun (Volta Noire) longtemps infestées par l’onchocercose et sous-peuplées; le projet d’aménagement et la réalisation sur le site de Bagré d’un ouvrage destiné à l’irrigation de 6 900 hectares de rizières et de 500 hectares de périmètres maraîchers et l’aménagement de 13 700 hectares de cultures pluviales.

Depuis 1980, un effort particulier est mené pour intensifier la lutte contre l’érosion et assurer la maîtrise de l’eau. Ce dernier objectif reçoit 20 p. 100 de l’enveloppe globale du deuxième plan quinquennal de développement 1991-1996, soit 102 milliards de francs C.F.A.

Dans le secteur secondaire, les priorités concernent les mines avec la réouverture du gîte aurifère de Poura et l’énergie, thermo-électrique et hydroélectrique essentiellement.

À la recherche de moyens de financement et confrontées aux charges croissantes résultant de l’accumulation des arriérés de la dette et des augmentations des dépenses budgétaires, les autorités ont inscrit leur projet de développement dans le cadre d’un plan d’ajustement structurel (P.A.S.) approuvé par les institutions de Bretton Woods en mars et juin 1991. Les objectifs recherchés sont un taux de croissance du P.I.B. réel de 4 p. 100 en moyenne par an sur 1991-1999, soit environ 1 p. 100 par an et par habitant, l’élimination de tous les arriérés extérieurs et la stabilisation du déficit extérieur courant à 14 p. 100 sur la période 1991-1993, la limitation du taux d’inflation à 4 p. 100, la réduction du déficit budgétaire à 6,9 p. 100 du P.I.B. en 1993 (contre 7,6 p. 100 en 1990 et 14,5 p. 100 en 1987).

Pour atteindre ces objectifs, le P.A.S. compte sur l’augmentation de la production agricole, l’amélioration de la gestion du secteur public qui passe par la réduction et la révision du cadre institutionnel et juridique du secteur public (42 entreprises publiques sur les 84 existantes sont destinées à être liquidées ou privatisées), l’expansion du secteur privé, que devraient faciliter la réorganisation du secteur public, l’assouplissement de la réglementation du commerce, des prix, de l’emploi et des investissements, et la restructuration d’un secteur bancaire confronté à un grave problème de liquidités et dont la moitié des établissements publics se trouve en état de faillite (71 millions de francs C.F.A. de pertes consolidées).

Enfin ont été définis plusieurs secteurs prioritaires jusqu’ici négligés et dont on attend que le développement appuie l’amélioration de la productivité du travail et accroisse l’utilisation des ressources; il s’agit de la santé et de l’éducation pour lesquelles le Burkina a accumulé des retards, des infrastructures de base, notamment dans les domaines des transports, particulièrement déficients, et de l’environnement, gravement menacé par l’érosion, les sécheresses et le déboisement, et à moyen terme par la croissance démographique qui, si elle n’est pas maîtrisée, serait de l’ordre de 2,9 p. 100 par an d’ici à l’an 2000.

Burkina Faso
(République démocratique et populaire du) (ancienne Haute-Volta) état intérieur d'Afrique occidentale. V. carte et dossier, p. 1392.

Encyclopédie Universelle. 2012.