CARICATURE
La caricature (de l’italien caricare , charger) est l’expression la plus évidente de la satire dans le graphisme, la peinture et même la statuaire. Elle fut longtemps confondue avec les manifestations du grotesque, mais depuis la fin des années 1950 on a cherché à préciser son domaine.
Dans la caricature, il convient de distinguer le portrait en charge, qui utilise la déformation physique comme métaphore d’une idée (portrait politique) ou se limite à l’exagération des caractères physiques (portraits d’artistes) et la caricature de situation, dans laquelle des événements réels ou imaginaires mettent en relief les mœurs ou le comportement de certains groupes humains.
Pour comprendre l’essence de la caricature, il est nécessaire de confronter les conceptions esthétiques et humaines de la Renaissance – qui ont permis à la caricature de naître – à celles du Moyen Âge.
Dans l’art du Moyen Âge, la figure humaine est associée à un ordre universel. Beauté et laideur sont hiérarchiquement représentatives des vertus et des vices qui, du haut en bas de l’échelle des valeurs, lient les deux infinis que sont le Ciel et l’Enfer. Leur signification est d’ordre métaphorique. Le choix que peut faire l’artiste d’une partie de cet ensemble n’est jamais exclusif. Au contraire, chaque «coupe» qu’il opère exalte l’ensemble du système, qu’il soit théologique ou alchimique. Le Moyen Âge vit sur un abîme où les formes proliférantes qui couvrent les surfaces d’un réseau serré de représentations divines, humaines, animales et végétales n’ont pas d’existence permanente assurée. Leur rapport analogique les rend, à chaque instant, capables de métamorphoses. La parodie constitue une manœuvre conjuratoire pour prévenir la «chute» possible (le roi et son bouffon, la fête des fous où la messe est tournée en dérision).
Il en va tout autrement à partir de la Renaissance, quand l’homme devient «la mesure de toute chose». La séparation progressive de l’activité artistique en genres bien définis (sacré et profane, portrait, paysage, nature morte) sont autant de réductions du champ de la représentation en objets particuliers d’appréciation ainsi qu’en objets économiques. C’est donc à une rupture du fondement architectural de l’œuvre d’art que l’on assiste. L’homme, de sujet migrant dans l’univers des formes, devient son propre objet. Le problème de la forme en tant que permanence, et celui de la fidélité au modèle sont posés. Et les choix opérés impliquent des exclusions. Il est significatif de constater que les premières caricatures sont le fait de ceux qui ont le plus concouru à idéaliser le portrait et à en fixer les règles: Léonard de Vinci et les frères Carracci, comme si ces artistes avaient voulu créer le maximum d’écart entre la plus grande beauté possible et la plus grande laideur, celle-ci servant peut-être de pierre de touche à celle-là. Au-delà de la rupture dans le domaine des formes, la caricature exprime également la continuité de l’esprit satirique. La caricature ne saurait donc être réduite au portrait charge, qui pose directement le problème du respect des formes, mais comporte aussi la satire des mœurs, qui doit une grande partie de son efficacité aux rapports qu’elle entretient avec l’écrit en tant que transposition de la parole; d’où l’équivoque du mot «caricature», qui peut désigner soit une charge formelle, soit l’illustration critique d’une situation exemplaire. Dans ce dernier cas, elle relève doublement du langage, par le mot d’esprit qui scelle sa signification et par la représentation qui est l’équivalent de la description écrite.
Ainsi la caricature est-elle à la fois le lieu d’une fracture dans la représentation, où elle joue le rôle de «double» par rapport aux conventions du portrait, et la continuité modifiée d’une composante de l’esprit humain – la satire. Elle est donc, par excellence, le domaine des doubles, double du portrait et double du témoignage écrit et parlé.
1. L’essence de la caricature
Caricature, antithèse de la beauté
Pour saisir l’allusion satirique contenue dans les œuvres antérieures à la Renaissance, il faut remonter de l’œuvre à l’intention qui l’a suscitée. L’auteur du Monde renversé , Reinmar von Zweter, définissait au XIIIe siècle l’homme parfait de la façon suivante: «Il doit avoir des yeux d’autruche et un cou de grue, deux oreilles de porc et un cœur de lion, les mains doivent être représentées comme des griffes d’aigle et de griffon, les pieds comme des pattes d’ours.» J. Baltrušaitis reprend ainsi le commentaire de Reinmar: «Les yeux d’autruche regardent aimablement, les porcs ont l’ouïe la plus fine de tous les animaux, le lion est la plus noble bête, l’ours la plus furieuse, les serres du griffon tiennent bien tout ce qu’elles accrochent, les pattes d’aigles sont généreuses et justes, le cou de grue est signe de réflexion.» Ce qu’un œil peu averti prend dans l’art du Moyen Âge soit pour le produit d’une imagination délirante, soit pour une «charge» est, en réalité, une synthèse allégorique des qualités propres à l’homme de bien.
Gombrich a mis en évidence le caractère antithétique de la caricature: «Le mot caricature et l’institution du même nom datent seulement des dernières années du XVIe siècle, et les créateurs de cet art ne furent pas les diffuseurs d’images, mais ceux qui furent les plus sophistiqués et les plus raffinés des artistes, les frères Carrache.»
Werner Hofmann note qu’à la Renaissance «la comparaison est seule à pouvoir réunir les multiples apparences en un univers cohérent de formes; elle trouve en effet la règle du beau idéal de même que son contraire, le laid. Dès que cette objectivation du beau est formulée comme but pour la création artistique, l’imagination créatrice peut également s’engager en sens inverse pour trouver la formule idéale de la difformité, la caricature [...]. Le problème qui consiste à savoir si une image déformée nous semble drôle ou grotesque, donc «caricaturale», est déterminé par la contradiction qui existe entre la caricature et les leitmotive académiques de l’idéal, du beau et de l’harmonie.»
Les Carrache comparèrent les différents états du graphisme en lui faisant parcourir les degrés qui vont de la description à la suggestion, de l’imitation à l’équivalence: «L’invention du portrait caricatural présuppose la découverte théorique de la différence entre ressemblance et équivalence», note de son côté Gombrich.
Les artistes du XVIe siècle ne pouvaient tirer toutes les conséquences de ces expériences qui n’étaient possibles que parce qu’elles étaient assimilées à des divertissements. Poussant le jeu des équivalences, Arcimboldo, Bracelli réduisirent visages et corps à un assemblage d’objets. Christoph Jamnitzer poussa l’équivalence jusqu’à l’impasse graphique inévitable: la spirale. Dans leurs exercices graphiques, ces artistes substituaient l’invention et la trouvaille à l’imitation.
L’accent mis par Gombrich – après Töpffer – sur l’équivalence ne saurait toutefois totalement effacer la ressemblance comme élément important de la caricature, en particulier dans la charge des personnalités connues. Elle demeure même un facteur essentiel du processus de réduction opéré par l’artiste sur le modèle: elle constitue le «reste». Selon que le caricaturiste crée un type ou se réfère à un modèle connu, équivalence et ressemblance prennent une part plus ou moins importante. Dans la mesure où le portrait «sérieux» donne du modèle une vision flatteuse, on peut affirmer que la caricature est parfois plus fidèle dans son irrévérence. La caricature comme menace pesant sur le portrait est présente au XIXe siècle: nombre de procès ont été engagés par des commanditaires mécontents contre des artistes accusés d’avoir réalisé des «caricatures».
Caricature, portrait et satire
L’art du portraitiste et celui du caricaturiste sont complémentaires. Le premier s’efforce d’atténuer les défauts de son modèle, le second cherche sa voie non dans l’approfondissement mais dans l’exagération des traits. Selon Filippo Baldinucci, l’art des caricaturistes «est une méthode pour faire des portraits par laquelle ils visent à la plus grande ressemblance de la personne représentée cependant que, dans un dessein fantaisiste et quelquefois satirique, ils développent et accentuent de façon disproportionnée les traits qu’ils copient de telle sorte que le portrait pris dans sa totalité est le modèle lui-même, alors que ses composantes sont modifiées».
Le portraitiste lutte contre le temps, le caricaturiste au contraire y adhère. Ce faisant, il situe l’essence et le but de son art dans le transitoire et le périssable; il arrache son modèle à la pseudo-éternité à laquelle le voue le portraitiste. Il le descend de son piédestal.
Ce n’est que lorsque l’esprit de satire coïncide avec la laideur physique que s’accomplit la synthèse de ce que nous appelons aujourd’hui la caricature: ce fut l’œuvre des caricaturistes anglais du XVIIIe siècle. Le portrait en charge «amical», qui consiste à faire ressortir la drôlerie de certains visages connus, est un genre mineur qui ne vise qu’au divertissement.
La Physiognomonie de Lavater (1741-1801), qui fut connue en France au début du XIXe siècle, a eu une grande influence sur l’art des caricaturistes. Si les théories du théologien suisse semblent maintenant périmées, elles n’en ont pas moins aidé les caricaturistes à concevoir chacune de leurs œuvres comme un tout. Dans un petit ouvrage, inspiré des théories de Lavater et publié à Paris en 1813, se trouve clairement exprimée la relation caractère-morphologie: «1. La proportion du corps et le rapport qui se trouve entre ses parties déterminent le caractère moral et intellectuel de chaque individu. 2. Il y a une harmonie complète entre la stature de l’homme et son caractère. 3. La même convenance subsiste entre la forme du visage et celle du corps; l’une et l’autre de ces formes sont en accord avec les attraits de la physionomie. 4. Un homme orné de toutes les beautés de proportion possibles serait un phénomène tout aussi extraordinaire qu’un homme souverainement sage et souverainement vertueux. 5. Mais plus la stature et la forme seront parfaites, et plus la sagesse et la vertu y exerceront un empire supérieur, dominant et positif; au contraire, plus le corps s’éloigne de la perfection et plus les facultés intellectuelles et morales y seront subordonnées et négatives. 6. Parmi les statures et les proportions, comme parmi les physionomies, les unes nous attirent universellement, et les autres nous repoussent ou du moins nous déplaisent.»
Ces théories que la réalité dément rendent cependant parfaitement compte de la fiction mentale et esthétique qu’est la caricature. Si rien ne prouve la coïncidence de la laideur physique et de la laideur morale, le caricaturiste a cependant besoin de la première pour rendre évidente la seconde. Aussi son art apparaît-il comme essentiellement métaphorique.
Rôle paradoxal de la caricature
La caricature joue dans la société un rôle paradoxal. Elle déforme, certes, mais c’est pour mieux fustiger. Elle s’abreuve aux sources morales d’un certain puritanisme, voire d’un certain conformisme. L’exploitation du mécontentement va souvent de pair avec le confusionnisme politique. Au cours de l’affaire Dreyfus, les caricaturistes (Forain, Léandre, Caran d’Ache, Willette), qui prenaient l’ordre bourgeois pour cible, n’ont pas hésité à confondre ce dernier avec les Juifs. La simplification de leur graphisme est souvent le véhicule de la démagogie. Le succès des caricatures dépend de leur audience auprès des lecteurs de la presse quotidienne ou hebdomadaire. Aussi l’artiste est-il porté à sacrifier la vérité à l’effet, à s’appuyer sur un système de références qui est le reflet de préjugés bien ancrés. Obéissant à sa vocation qui est de déformer, il sait, lorsque le pouvoir établi le brime, diriger ses coups contre l’ennemi extérieur du moment. Professionnel de la déformation, il préfère souvent le mensonge à l’abstention.
La déformation, la laideur ont été les tentations permanentes ou occasionnelles de nombreux artistes. Certains ont vu dans la caricature un jeu esthétique et moral qui compensait ce que leur art pouvait avoir de trop conformiste: Isabey, Delacroix, Puvis de Chavannes s’y sont livrés comme à une activité «cathartique» marginale. D’autres ont subi avec fascination l’attrait du monstrueux. Parmi ces derniers, il faut citer Goya, dont les créations «caricaturales» suscitent moins le rire que la terreur. Ces phantasmes sont peut-être l’envers d’une œuvre en grande partie vouée à l’art officiel; mais, plus qu’une dénonciation destinée à la diffusion, ils font partie de l’univers obsédant de l’artiste et sont plus des produits de la vie subconsciente que de l’exercice d’un esprit critique.
Le rôle que joue la déformation, voire la recherche caricaturale, dans l’œuvre des grands peintres s’inscrit rarement dans l’évolution de la caricature, surtout depuis que celle-ci s’est constituée en genre autonome. À la fin du XIXe siècle, la caricature, après avoir dégagé ses caractères spécifiques grâce à un long commerce avec l’histoire, a exercé une influence sur l’art lui-même. Pissarro, Manet et Monet s’étaient essayés à la caricature; Toulouse-Lautrec, Degas allèrent plus loin: ils intégrèrent la caricature à l’art. Van Dongen, Kupka, Juan Gris, Villon, Vallotton, dont le rôle, dans les mouvements artistiques du début du XXe siècle, devait être essentiel, firent leurs débuts dans L’Assiette au beurre . Les expressionnistes allemands – Kirchner, Heckel, Pechstein, Schmidt-Rottluff – introduisirent les exagérations d’un graphisme caricatural dans leurs œuvres. Les frontières qui séparaient le beau du laid, le bien du mal, se sont peu à peu effacées. Les sujets «nobles» furent tournés en ridicule. L’artiste préféra prendre l’actrice, le clown, la fille de joie pour modèles, plutôt que de peindre des scènes mythologiques. Les tenants du style académique avaient lié sujet et style nobles, l’artiste moderne déplaça le domaine de l’esthétique pour l’étendre aux sujets jusqu’alors qualifiés de «laids». La caricature a permis aux artistes de passer de la beauté idéalisée conceptuelle à la beauté picturale, c’est-à-dire à l’appréciation des surfaces et des lignes en fonction des lois propres à l’œuvre, sans référence à la réalité extérieure.
Le XIXe siècle s’est achevé sur un paradoxe esthétique auquel il fallait bien que la caricature – paradoxe d’entre les paradoxes – participât.
La caricature comme langage
La caricature parle au plus large public possible. Elle joue un rôle opposé à celui de l’image d’Épinal, qui exalte sur un mode naïf et moral des «grands hommes» et les événements importants de la nation.
En cherchant dans l’image caricaturale l’équivalent du récit édifiant sur un mode humoristique, Töpffer a été l’ancêtre de la bande dessinée. À sa suite Adolf Schrödter, Wilhelm Busch (1832-1908), Cham (1819-1879) peuvent être considérés eux aussi comme les créateurs d’un moyen d’expression nouveau.
La caricature politique a joué, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, un rôle analogue à celui du pamphlet. André Gill et Forain ont été, dans le domaine de l’image, l’équivalent de Henri Rochefort et d’Édouard Drumont. Cette comparaison entre l’œuvre écrite et l’œuvre graphique avait frappé Balzac, qui considérait les caricatures de Daumier comme le complément de son œuvre.
Le graphisme caricatural trouva un refuge idéal dans les œuvres de Lautrec, de Picasso. Il est sorti épuré de l’univers de la toile, en particulier dans l’œuvre de Klee. Pour les grands humoristes modernes – tels Steinberg, Ronald Searle – le dessin n’exprime pas des idées mais des associations mentales. S’il peint la société, ce n’est pas dans l’espoir de la transformer, mais pour en faire ressortir le caractère absurde. Il va même jusqu’à imaginer des comportements monstrueux. L’influence des découvertes de la psychologie sur le dessin humoristique n’est pas douteuse. Le graphisme cessant de prendre la réalité politique ou sociale pour modèle devient disponible à l’égard des phantasmes de l’imaginaire.
L’activité caricaturale est liée aux techniques permettant la reproduction en série. La gravure sur bois a été, jusqu’au milieu du XIXe siècle, le principal support de l’illustration à reproduire. La gravure sur bois obligeait l’artiste à créer son œuvre en vue d’une interprétation par le graveur. À partir de 1798, l’invention de la lithogravure a permis aux artistes de donner à leur œuvre une richesse comparable à celle de la peinture. C’est grâce à cette nouvelle technique que Daumier et Gavarni trouvèrent leur véritable style. À partir de 1850, la gravure «au trait» – le gillotage comme on l’appelait alors – permit une plus grande souplesse de reproduction tout en obligeant l’artiste, comme dans la gravure sur bois, à renoncer aux demi-teintes. Avec l’invention de la similigravure, l’artiste vit l’ensemble de son graphisme, aussi complexe fut-il, respecté mais appauvri. La plupart des caricatures sont, de nos jours, reproduites «au trait».
2. La caricature en Occident
Les origines
Thomas Wright, qui fut, avec Champfleury, le premier historien de la caricature, donnait à cette dernière une extension très large: «Le monstrueux touche de près au grotesque, et l’un et l’autre rentrent dans le domaine de la caricature, lorsqu’on prend ce mot dans la plus large acception.» Ce point de vue permettait, grâce à une équivoque, de faire remonter l’origine de la caricature à l’Antiquité. On peut supposer que les sociétés, où la recherche des critères de la beauté était proposée comme but aux artistes, contenaient en elles la possibilité de voir naître une antithèse. Les sociétés grecque et romaine semblent avoir réuni les conditions d’une telle éclosion. Elles ont sans doute connu l’une et l’autre la caricature, fût-ce à l’état embryonnaire. La Grèce a eu un caricaturiste, Pauson, dont le nom est cité par Aristophane et Aristote. Une série de «nez» en terre cuite qui figure dans les collections du Louvre témoigne aussi en faveur de la thèse de l’existence de la caricature dans l’Antiquité. Des graffiti retrouvés sur les murs de Pompéi paraissent confirmer ce point de vue.
L’état actuel de nos connaissances et les critères retenus nous permettent de situer l’éclosion de la caricature en tant qu’expression indépendante à la fin du XVIe siècle, avec les frères Carrache, Bernin et Arcimboldo.
Dans un style qui n’était guère différent de celui des créations médiévales, l’esprit de satire continuait à se manifester dans le domaine de la politique et de la religion. Il atteignit une violence aiguë dans le conflit qui opposa les catholiques fidèles à Rome aux réformateurs. Pendant cette période, les «charges» du pape et de Luther furent nombreuses. La plus célèbre, L’Âne de Melanchton , reprend une allégorie qu’un pompéien anonyme dirigeait au er siècle contre les premiers chrétiens. Ce rapprochement permet d’affirmer que la satire se définit par rapport à certaines constantes thématiques, alors que la caricature se définit avant tout par rapport à des critères esthétiques.
En Angleterre
Il faudra attendre Hogarth (1697-1764) pour que la synthèse de l’esprit satirique et de la caricature se réalise définitivement. Caricaturiste des mœurs, il attaqua avec virulence les abus de son temps. Harlot’s Progress , Rake’s Progress , Beer Street , Ginger Lane sont ses œuvres les plus connues. Dans son Analyse du beau (1753), il affirme que le principe de la beauté réside dans la «ligne ondulée ou serpentine baptisée par lui du nom de ligne de beauté» (T. Wright). Thomas Rowlandson (1756-1827) peut être considéré comme le plus grand caricaturiste des mœurs après Hogarth, mais son œuvre est moins véhémente.
La Révolution française, l’Empire permirent à James Gillray (1757-1815) d’exercer sa verve féroce. Ses dessins d’un parti pris sans nuance sont cependant des témoignages importants dans l’histoire de la caricature parce que, pour la première fois, cette dernière y «devient une arme de la conscience nationale» (W. Hofmann). Cette conscience nationale, Gillray la flatta dans une suite de dessins à la gloire de John Bull.
George Cruikshank (1792-1878) s’éloigna de la satire politique. Il abandonna l’allusion aux événements de son temps pour développer l’aspect spatial de la caricature. Il multiplia les déformations et rechercha de nouvelles dimensions. Dans ses dessins, les têtes l’emportent souvent sur les corps, les malformations physiques se heurtent. Les monstres engendrés par son imagination donnent l’impression d’étouffer dans un espace trop étroit.
À partir de 1841, le Punch assure la continuité de la caricature anglaise avec John Leech, John Tenniel, du Maurier et, plus près de nous, David Low, Vicky et Osbert Lancaster. Depuis les années cinquante, on note un renouveau de la caricature anglaise avec Ronald Searle, Gerald Scarfe et Ralph Steadman.
En France
La caricature anglaise qui se développa à la faveur des événements politiques permit aux artistes français d’atteindre plus vite et plus efficacement les buts qu’ils se proposaient. Dès le début du XIXe siècle, ils adoptèrent la technique de la lithographie, qui donna à leur œuvre une qualité nouvelle.
L’agitation politique qui régna au XIXe siècle, l’instabilité des institutions fournirent aux caricaturistes une nourriture abondante mais paradoxale. Ce climat politique donnait certes un contenu à leur art; mais il était dangereux pour eux dans la mesure où les forces qui cherchaient à s’incarner dans un homme ne voyaient pas sans déplaisir leurs tentatives tournées en dérision. L’instabilité politique était le résultat d’une contradiction propre à une classe qui avait supprimé la royauté absolue et la notion de droit divin et qui eût voulu pourtant bénéficier de ce droit pour elle-même afin de mieux asseoir ses privilèges. Cette classe chercha à s’incarner dans des figures qui parodiaient le passé: Napoléon Ier, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, Napoléon III. Ces tentatives n’aboutirent qu’à des caricatures d’autorité dont les caricaturistes prirent acte. Le slogan «Enrichissez-vous», l’arrivisme inhérent au libéralisme transparaissaient à travers les nobles attitudes et les grands principes. La caricature tira son exceptionnelle réussite du fait qu’elle donnait la plus juste image possible des contradictions de la bourgeoisie. Paradoxale dans son essence, elle pouvait représenter les aspects contradictoires d’une même réalité.
Pour survivre aux multiples interdits lancés contre eux, les caricaturistes durent faire preuve d’une grande mobilité. Ils surent passer de l’attaque franche à l’insinuation, à la caricature des mœurs, à la création de personnages populaires, à l’inoffensif portrait de l’artiste à la mode. Cette activité protéiforme que l’artiste dut adopter pour survivre fut une des causes de l’exceptionnelle richesse de son expression. La République était pour lui un espoir toujours caressé et toujours déçu. Aussi tous les caricaturistes étaient-ils, à des degrés divers, républicains. Et quand la République triompha, le plus grand caricaturiste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, Forain, la peignit sous les traits d’une femme alourdie avec cette légende: «Et dire qu’elle était si belle sous l’Empire!»
La grande période de la caricature française commença sous Louis-Philippe avec la célèbre série de portraits dessinés par Philipon pour Le Charivari (1831). Le visage du roi y faisait l’objet de comparaisons avec la forme de la poire. L’idée n’était pas nouvelle mais, exploitée sur le plan politique, elle devenait subversive. La publication fit grand bruit, et Philipon, qui était aussi le directeur du journal, fut condamné.
De 1830 à 1850, les principaux caricaturistes furent Daumier, Gavarni, Gustave Doré, Grandville, Bertall, Pigal, Nadar, Cham, Henri Monnier, Travies, Edmond Morin. Pendant le second Empire, Daumier et Cham continuèrent à tenir une place de premier plan. De nouveaux venus, Gill et Grévin, jouèrent, l’un dans le portrait en charge, l’autre dans la caricature des mœurs, un rôle important.
Le plus grand de tous les caricaturistes fut certainement Honoré Daumier. Il sut dominer tous les sujets grâce à la souplesse de son graphisme, à son sens des proportions, à sa capacité de transformer les sujets qu’il traitait en symboles grandioses. Avec lui la caricature adhéra à l’histoire, devint la chronique la plus sûre de son époque.
Dans son sillage, Gavarni créa une œuvre moins expressive mais d’une remarquable unité. Cham avait imité le Suisse Töpffer avant d’adopter lui aussi la manière de Daumier; ses charges, fort nombreuses, donnèrent une image anecdotique et superficielle des hommes et des événements.
Grévin se consacra aux scènes de mœurs et créa un type de femme entretenue qui fut repris par de nombreux dessinateurs. Gill fut certainement, avec Daumier, le plus efficace des caricaturistes français du XIXe siècle. Il se spécialisa dans les portraits charge. Un grand nombre furent publiés dans son journal L’Éclipse .
Les caricaturistes surent si bien pénétrer l’esprit de leur temps qu’ils créèrent des personnages représentatifs des diverses couches sociales de la société du XIXe siècle. Les caractères de l’aventurier, du conformiste, de l’exploité trouvèrent une expression heureuse dans les personnages de Robert Macaire, Ratapoil (Daumier), Mayeux (Travies), Joseph Prudhomme (Monnier), Thomas Vireloque (Gavarni). À côté de la politique, de ses acteurs permanents ou occasionnels, à côté des événements qui demandaient à être saisis et interprétés au jour le jour se développa donc une critique des mœurs à travers des personnages qui symbolisaient des forces collectives et anonymes. Mais ces «types», contrairement aux politiciens traités sans ménagements, n’étaient pas dépourvus d’une certaine ambiguïté. La figure cynique de Robert Macaire, par exemple, se para du prestige que le peuple accorde volontiers à ceux qui tout à la fois profitent de l’ordre établi et défient la morale. Robert Macaire avait été une création de Frédérick Lemaître au théâtre avant d’être repris par Daumier. Le personnage de Joseph Prudhomme passa de la caricature à la scène. Ce fut Henri Monnier lui-même qui écrivit les pièces et interpréta le rôle principal. Ces créations ont tenu dans l’art une place analogue à celle du feuilleton dans la littérature. Pendant le second Empire, la caricature connut un tel succès qu’elle fut utilisée au même titre que la représentation héroïque des batailles coloniales pour la décoration des assiettes (série des pince-nez).
Thiers, qui n’avait pas quitté la scène politique depuis 1832, fut une cible privilégiée pour les caricaturistes qui durent attendre l’abolition des lois sur la presse, le 29 juillet 1881, pour exercer librement leurs critiques. Cinq ans plus tard commençait la tragi-comédie de l’affaire Boulanger, au cours de laquelle s’affrontèrent images idylliques et caricatures du général. Dans cet épisode s’illustrèrent le pamphlétaire Henri Rochefort, alors directeur-fondateur de L’Intransigeant , les caricaturistes Luque dans La Caricature , Legrand dans Le Courrier français , Blass dans Triboulet , Moloch et Pépin dans Le Grelot , et Alfred le Petit. Paul de Semant, dans le journal La Bombe , profita de l’affaire Boulanger pour donner une vigueur nouvelle à l’esprit de revanche.
La critique des mœurs battait son plein. Une nouvelle génération de caricaturistes naissait: Forain, Caran d’Ache, Léandre, Hermann Paul, Ibels et Robida.
La mode des histoires en images imitées de Töpffer fut lancée dans Le Chat noir , journal dirigé par Rodolphe Salis, et reprise par Le Pierrot , La Caricature et Le Rire . Steinlein, Willette, Caran d’Ache, Doës furent les meilleurs créateurs de ces saynètes dont les personnages aux silhouettes très découpées avaient été, pour la plupart, créées
au théâtre d’ombres du cabaret Le Chat noir . Robida occupe une place à part dans l’histoire de la caricature. Il chevauche allègrement le temps: il passe de la reconstitution du Moyen Âge aux anticipations les plus hardies. Il tient conjointement une chronique du passé et du futur que l’avenir confirmera. Il apparaît aujourd’hui comme l’un des créateurs de la science-fiction.
Si la monarchie et l’Empire avaient fait contre eux l’unanimité des caricaturistes, la République divisa ces derniers. L’affaire Dreyfus qui éclata en 1894 suscita des inimitiés dans la presse. Forain et Caran d’Ache publièrent Psst... , journal résolument antidreyfusard. Hermann Paul et Ibels répliquèrent avec Le Sifflet .
Parallèlement aux questions politiques, la situation sociale joua un rôle important dans l’activité des caricaturistes. De 1904 à 1910, L’Assiette au beurre , avec Steinlein, Roubille, Jossot, Ricardo Flores, mena une lutte acharnée contre l’injustice sociale, le colonialisme, le militarisme. Dans cette équipe comme dans celle du Courrier français s’illustrèrent des artistes qui ne devaient pas tarder à faire parler d’eux: Galanis, Vallotton, Juan Gris, Van Dongen, Kupka, Jacques Villon.
La Première Guerre mondiale refit l’unité des caricaturistes. Poulbot mit ses gosses de Montmartre au service de la cause patriotique. De 1919 à 1939, l’amertume de l’après-guerre, la mode, les crises politiques, les affaires internationales, l’affaire Stavisky, le Front populaire, les Croix de feu permirent aux caricaturistes de mener leurs ultimes combats. H. P. Gassier, pour la gauche, et Sennep, pour la droite, furent les derniers caricaturistes au sens étroit du mot. Le Canard enchaîné publiait les œuvres du premier. Le second trouvait asile dans tous les journaux opposés au communisme et au Front populaire. Le Coup de patte , hebdomadaire éphémère (1931) dirigé par le chansonnier d’extrême droite Martini, sut réunir la dernière grande équipe de caricaturistes: Sennep, Poulbot, Alain Saint-Ogan (le créateur de Zig et Puce ), Guérin et Bib.
La Seconde Guerre mondiale devait porter le coup de grâce à la caricature, qui cessa d’être un moyen d’expression privilégié pour devenir un moyen d’information et d’orientation mineur.
Ralph Soupault, après avoir fustigé, à la veille de la guerre, le pacte Hitler-Staline, devait, pendant l’Occupation, mettre son grand talent au service des causes les moins défendables. En marge du courant politique, Dubout proposait une approche à la fois truculente et amère de la réalité. La prolifération des personnages, minutieusement dessinés, prend dans ses dessins un caractère hallucinant. Ses femmes énormes et ses hommes écrasés sont devenus des types extrêmement populaires: on dit des «personnages à la Dubout».
Maurice Henry, venu du Grand Jeu et du Groupe surréaliste, introduisit dans le dessin de presse l’onirisme et contribua à diffuser un état d’esprit nouveau qui a ouvert la voie au dessin d’humour tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Un cas particulier de caricature «régionale» mérite d’être signalée: celui de l’Alsace. Enjeu des rivalités de la France et de l’Allemagne, l’Alsace a donné naissance à une caricature qui, si elle est marquée à ses débuts par un parti pris en faveur de la France, n’en témoigne pas moins, par la conscience qu’elle prend de sa situation particulière à travers les convoitises dont l’Alsace est l’objet, une sorte d’exterritorialité. Hansi et Zislin, de 1900 à 1918, ont mené, l’un dans le style de l’imagerie (la critique passant souvent par le regard des enfants), l’autre dans un style dramatique un combat acharné contre la volonté d’annexion de l’Allemagne. Mais si leur œuvre avant tout militante s’est achevée avec la guerre, ils témoignèrent à leur manière de la spécificité «alsacienne». Un graphisme satirique et truculent persiste, représenté par Robert Beltz, André Wenger, Roland Peuckert et surtout Tomi Ungerer qui s’exila pour mener une carrière internationale.
En Allemagne et en Autriche
Alors que les caricatures anglaise et française se sont développées selon leurs traditions respectives et ont été relativement peu influencées par les différents mouvements artistiques, la caricature allemande s’est montrée sensible aux grandes idées philosophiques, littéraires et artistiques du temps. Elle a également reçu l’apport de courants issus des civilisations slave et scandinave.
Le XVIIIe siècle a vu l’apparition du premier grand caricaturiste allemand: Chodowiecki. Les Fliegende Blätter , publiées à Munich à partir de 1844, reflètent, d’une certaine manière, le courant romantique: Moritz von Schwind, Carl Spitzweg, Adolf Oberlander et Wilhelm Busch en sont les principaux collaborateurs.
À partir de 1897, dans Simplicissimus , le courant expressionniste, pour partie influencé par le Norvégien Edvard Munch, manifeste sa virulence et son pessimisme. Karl Arnold, Thomas Theodor Heine, Eduard Thöny, Bruno Paul, Alfred Kubin, Käthe Kollwitz, Rudolf Wilke auxquels viennent se joindre le Bulgare Pascin et le Suédois Olaf Gulbransson font de cet hebdomadaire une véritable institution nationale dont le prestige dépasse largement les frontières de l’Allemagne. Bien que ce magazine ait eu la réputation de refléter les idées de gauche, les nazis, à leur arrivée au pouvoir, voient le parti qu’ils peuvent tirer de l’utilisation d’un titre prestigieux. Simplicissimus disparaît, en 1945, avec le régime nazi.
Georg Grosz, influencé par le futurisme et le dadaïsme, bouscule la composition traditionnelle pour nous montrer les silhouettes rigides et empâtées des bourgeois et des militaires défenseurs de l’ordre. Loin de la satire politique, Gerard Hoffnung (Allemagne), dont la manière s’apparente à celle d’Oberlander, a dessiné de nombreuses variations sur le thème du musicien et de l’orchestre.
Plus près de nous, Loriot (Allemagne) et Eric Sokol (Autriche) se montrent d’habiles dessinateurs de presse; quant à Flora (Autriche) et à Hans Georg Rauch (Allemagne), ils développent un art raffiné de la ligne qui fait d’eux, plus que des caricaturistes, des dessinateurs d’humour épris d’insolite.
Aux États-Unis
Thomas Nast (1840-1902), collaborateur du Harper’s Weekly , est le premier caricaturiste à proposer un dessin satirique efficace. Toutefois, son art se ressent d’un excès de détails, en particulier dans le décor, qui tend à confiner son œuvre dans le cadre du dessin illustratif.
C’est à travers trois magazines que s’est constituée la caricature américaine: Puck (1877), journal de tendance démocrate, d’abord diffusé auprès de la communauté germanique, Judge (1881-1937), son pendant républicain, enfin Life (1883-1930), qui, par le truchement de graphistes comme Charles Gibson Dana et Norman Rockwell, a diversifié et allégé le langage satirique.
David Levine, dont le talent s’exerce dans le New York Review of Books , réalise des portraits charge de personnalités littéraires et politiques, présentes ou disparues, dans un style inspiré de la caricature française du XIXe siècle. Steinberg, dont l’activité dépasse largement le domaine de la caricature, se livre à une charge des styles actuels ou passés. Mort Drucker exécute dans un style plus conventionnel des portraits charge de personnalités célèbres.
La caricature et la satire ont profondément pénétré la bande dessinée: tel fut le cas du Lil Abner de Al Capp qui prenait pour cible la société par le truchement de laissés-pour-compte qui en défendent obstinément les valeurs jusqu’à l’absurde. D’autres bandes «chargent» les mythes mis en place par la bande dessinée ou le cinéma: le Spirit de Will Eisner est une réplique dérisoire de Superman ; Fosdick de Al Capp ridiculise les aventures du policier Dick Tracy de Chester Gould. La première équipe de Mad rassemblée autour de Harvey Kurtzman – Jack Davis, Will Elder – s’est livrée à un démolissage systématique des héros de l’imaginaire américain.
Russie et Union soviétique
L’existence de La Revue caricaturale , créée en 1908, ne dépassa pas dix-huit jours. Le groupe des Ambulants, fondé en 1870 pour former le goût esthétique des masses et qui promenait ses expositions à travers villes et campagnes, a présenté, parmi ses œuvres à sujets populistes, des scènes satiriques qui furent tolérées par le pouvoir dans la mesure où elles ne faisaient pas l’objet d’une grande diffusion.
Il fallut attendre la révolution de 1905 pour qu’apparaisse une caricature digne de ce nom avec Sergueï Chekhonine, Evgeni Lanceray, Ivan Bibline, Valentin Serov. En 1917, surgit un art de combat au service de la révolution d’Octobre. Il s’exprime pour une bonne part par l’affichage (Fenêtres de Rosta). Victor Deni, Vladimir Maïakovsky et Mikhaïl Tcheremnykh en sont les principaux artisans. Ce dernier faisait partie, avec Victor Deni et Ivan Milioutine, de l’équipe fondatrice du Krokodil (1922), véritable institution satirique du régime qui paraît encore de nos jours. Trois artistes, Mikhaïl Kouprianov, Porfin Krilov et Nikolaï Sokolov, réalisent en commun des dessins militants qu’ils signent du nom de Koukriniksy.
La caricature soviétique fut, à sa naissance, une arme de combat. Si ses premières manifestations relèvent pour une part de l’imagerie populaire et pour une autre part de l’esthétique violente du futurisme, c’est moins pour des raisons artistiques que pour frapper l’imagination des masses illettrées. Contrairement à la caricature européenne qui a suivi, voire précédé les révolutions esthétiques, la caricature soviétique se sert des découvertes de l’avant-garde.
La sculpture et la caricature
Dans l’Antiquité, la caricature qui prenait pour cible des personnages précis ne disposait, comme supports, que du mur sur lequel pouvaient s’inscrire les graffiti et que de la terre à modeler. Le développement de l’image satirique n’a dû, beaucoup plus tard, son développement et sa conservation qu’à l’invention du papier qui a rendu possible et le croquis pris sur le vif et l’estampe. La sculpture, elle, dépend de facteurs plus complexes. La sculpture monumentale ou ornementale répond à une commande officielle ou privée. Le client doit donc être flatté dans son image et dans ses goûts. La caricature, quand elle s’aventure dans la représentation à trois dimensions, se rattache au domaine de la figurine. Par son caractère opératoire, elle est proche de l’objet magique par lequel on tente de modifier ou de neutraliser le comportement d’autrui. Malheureusement, la fragilité de la terre cuite associée au caractère occasionnel de la charge n’a permis qu’à un nombre réduit de figures caricaturales de parvenir jusqu’à nous. Une statuette comme le Poète s’accompagnant à la lyre (musée des Beaux-Arts, Boston) atteste l’existence de la caricature pendant la période hellénistique. Il faudra attendre le XVIIIe siècle, avec l’œuvre de Franz Xaver Messerschmidt (Allemagne, 1736-1784) pour assister à l’apparition d’une forme nouvelle de caricature sculptée, par «débordement» de la sculpture traditionnelle. Cet artiste a exprimé, dans une suite de bustes, des états émotionnels intenses aboutissant à des déformations caricaturales. Au XIXe siècle, Daumier modèle la série des bustes de parlementaires et Ratapoil (œuvres dont la stupéfiante habileté d’exécution rend nulle et non avenue l’attribution, au même artiste, des nombreuses figurines d’une facture grossière qui portent ses initiales); Jean-Pierre Dantan, dit Dantan le Jeune, exécute des charges à la demande de ses clients qui appartiennent, pour la plupart, au monde des arts et des lettres. Mis à part les bustes de Daumier qui étaient, semble-t-il, destinés à servir de modèles pour ses dessins de presse, une bonne partie des caricatures sculptées – c’est le cas, en particulier, de celles de Jean-Pierre Dantan – prennent appui, autant sinon plus, sur la silhouette du modèle que sur sa physionomie. À ses débuts, L’Assiette au beurre propose à ses abonnés, sans grand succès, des charges modelées par Maurice Gottlob et Nogec.
À Seattle (États-Unis), Debbi Fecher réalise des personnages de porcelaine qui servent de poivriers et de salières. Ces figurines, destinées à être agitées, sont des «fous» – cette appellation désignant à la fois l’aliéné et le fou de cour. Enveloppés dans un tissu-camisole qui les enserre des pieds au cou, ils laissent émerger une tête finement modelée et colorée, aux traits narquois et au regard inquisiteur. Giorgio Gabellini (Italie), poursuivant une tradition bien établie en Romagne, exécute des charges ressemblantes et plutôt bienveillantes de personnalités contemporaines. Alors que la caricature graphique a poursuivi une «carrière» liée, pour une bonne part, au développement de la presse, la caricature à trois dimensions n’a connu, tout au contraire, qu’une existence discontinue placée sous le double signe de la rareté et de la fragilité.
La caricature, si elle demeure présente dans les journaux et si elle illustre parfois des émissions de télévision, a perdu son caractère pamphlétaire. La presse qui fut longtemps la principale source d’informations n’est plus, parmi les médias, qu’un élément de réflexion ou le refuge de ceux qui se repaissent de faits divers. De plus, l’image photographique et le film, par leur approche «directe» – du moins en apparence – du réel ont retiré au graphisme sa valeur de témoignage. L’équivalence a été supplantée par l’imitation, imitation relative dans la mesure où le cadrage et le montage restent les éléments non perçus du message.
Le cas de Siné est exceptionnel, qui a tenté pendant de brèves périodes – brèves parce qu’interrompues par la censure – de ressusciter, dans ses journaux Siné-Massacre et L’Enragé , la violence de L’Assiette au beurre .
Maniant l’humour plus que la satire, enclin à traiter de la condition humaine dans une perspective plus philosophique que sociale, le dessinateur crée souvent des suites sur un thème déterminé en vue de leur publication dans un album. Il est de plus en plus souvent traité comme auteur, au même titre que l’écrivain. Steinberg, Searle, Steadman, Ungerer sont considérés comme des artistes à part entière, ce qui neutralise dans une grande mesure l’agressivité réelle dont ils peuvent faire preuve dans leur production.
caricature [ karikatyr ] n. f.
• 1740; it. caricatura, de caricare « charger »
1 ♦ Dessin, peinture qui, par le trait, le choix des détails, accentue ou révèle certains aspects (ridicules, déplaisants). ⇒ charge. Les caricatures de Daumier, de Forain. La caricature d'un homme politique dans un journal satirique (cf. Dessin d'humour). « Il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits » (Bergson).
2 ♦ Description comique ou satirique, par l'accentuation de certains traits (ridicules, déplaisants). Faire dans un roman la caricature d'une société, d'un milieu. ⇒ satire. — Fig. Ce qui évoque sous une forme caricaturale. ⇒ parodie, simulacre. « la superstition n'est que la caricature du vrai sentiment religieux » (A. Gide).
3 ♦ (1808) Personne laide et ridiculement accoutrée. Une vieille fée Carabosse, une vraie caricature.
● caricature nom féminin (italien caricatura, de caricare, charger) Représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par l'exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique. Image infidèle et laide, reproduction déformée de la réalité : Ce compte-rendu est une caricature de ce que j'ai dit. Personne très laide, ridiculement accoutrée ou maquillée. ● caricature (citations) nom féminin (italien caricatura, de caricare, charger) Aldous Huxley Godalming, Surrey, 1894-Los Angeles 1963 Parodies et caricatures sont les plus pénétrantes des critiques. Parodies and caricatures are the most penetrating of criticisms. Point Counter Point, 28 ● caricature (synonymes) nom féminin (italien caricatura, de caricare, charger) Représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par l'exagération...
Synonymes :
- charge
Image infidèle et laide, reproduction déformée de la réalité
Synonymes :
- parodie
caricature
n. f.
d1./d Dessin, peinture qui, par l'exagération de certains traits choisis, donne d'une personne une représentation satirique.
d2./d Représentation délibérément déformée de la réalité, dans une intention satirique ou polémique. Ce reportage est une caricature de la réalité.
d3./d Personne très laide ou ridiculement habillée.
⇒CARICATURE, subst. fém.
A.— 1. ARTS PLASTIQUES. [Gén. en parlant d'une pers. (ou d'un groupe), rarement en parlant d'un animal ou d'une chose] Portrait en charge, le plus souvent schématique, dessiné ou peint, mettant exagérément l'accent, dans une intention plaisante ou satirique, sur nu trait jugé caractéristique du sujet. Les légendes de ses dessins étaient célèbres, (...) aucun trône ne résistait à ses caricatures (GIRAUDOUX, Suzanne et le Pacifique, 1921, p. 210) :
• 1. Tous les autres voyageurs, alignés et muets, (...) avaient l'air d'une collection de caricatures, d'un musée des grotesques, d'une série de charges de la face humaine, ...
MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, La Dot, 1884, p. 562.
• 2. Des têtes politiques, barbues, joufflues, échevelées, affaissées, violentes, ressemblaient à leurs quotidiennes caricatures.
DRUON, Les Grandes familles, 1948, p. 100.
SYNT. Faire une caricature, faire la caricature de qqn; prêter à la caricature; un album, une série de caricatures; des caricatures politiques.
Rem. 1. La caricature, ,,utilise la déformation physique comme métaphore d'une idée`` (Encyclop. univ., p. 955) en s'appuyant sur ,,la relation caractère — morphologie`` (Ibid., p. 956). D'où cette rem. de Taine : Le peintre national anglais, Hagarth, n'a fait que des caricatures morales (Philos. de l'art, t. 1, 1865, p. 265). 2. Les personnages des caricatures peuvent être en situation et l'on a, alors, la caricature de situation, d'événement, de mœurs :
• 3. ... des caricatures de lui circulent, qui le représentent, lui si débonnaire, féroce, armé d'un pistolet énorme (...), faisant un grand massacre d'élèves, ou, prosterné devant ceux-ci, les mains jointes, implorant, (...) « un peu de silence », par pitié.
GIDE, Les Faux-monnayeurs, 1925, p. 1217.
— P. méton.
a) Personne laide ou ridicule du fait de son accoutrement, de son maquillage, etc. Dépasser la mode, c'est devenir caricature (BALZAC, Œuvres diverses, t. 2, 1850, p. 184) :
• 4. Nous avons eu la visite du roi et de la reine du Portugal... Ils avaient avec eux un certain nombre de caricatures mâles et femelles, qui semblaient ramassées exprès dans quelque magasin rococo.
MÉRIMÉE, Lettres à une inconnue, t. 2, 1870, p. 275.
b) Le genre de la caricature :
• 5. L'avènement de la bourgeoisie est l'avènement de la caricature. Ce plaisir bas de la dérision plastique, cette récréation de la laideur, cet art qui est à l'art ce que la gaudriole est à l'amour, est un plaisir de famille bourgeoise; elle y prend tant de joie qu'elle a ri même de Daumier.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1860, p. 724.
2. P. ext., dans d'autres arts d'expression. Admirable jeu des acteurs. Ils poussent à l'extrême la caricature du Juif et atteignent à des effets saisissants (GREEN, Journal, 1937, p. 115). ... tout art d'expression tend à aboutir à la caricature, l'expression étant basée sur l'amplification du caractère individuel (LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 65) :
• 6. ... il [Henri Béraud] s'efforce d'ameuter ses lecteurs. (...) il croit (...) faire ma caricature; il ne réussit que la sienne...
GIDE, Journal, 1923, p. 757.
B.— P. métaph., péj. Image non conforme à la réalité qu'elle représente ou suggère, et par rapport à laquelle elle est une altération déplaisante ou ridicule.
1. [En parlant d'une pers.] Il vaut mieux n'être rien et être soi qu'être la charge, ou la caricature, ou même une épreuve pâle d'un grand homme (KARR, Sous les tilleuls, 1832, p. 275).
2. [En parlant d'une chose abstr., plus rarement d'une chose concr.] — Le meilleur de nous, ce fantôme, cette caricature de la perfection et du bonheur! (MONTHERLANT, Le Songe, 1922, p. 177). « La tactique-plan contredit l'esprit fondamental du marxisme! » Mais c'est là une calomnie, une caricature du marxisme (LÉNINE, Que faire? 1933, p. 454) :
• 7. On peut se demander si l'imagination des inventeurs de civilisation ne devrait pas s'appliquer à découvrir des formes de vie et de travail qui permettent de réunir dans un homme plus complet les vertus de la vie urbaine et celles de la vie champêtre. La vie de banlieue n'est qu'une infernale caricature de cet espoir.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 87.
3. [En parlant d'un événement, d'une situation, d'un comportement, etc.] :
• 8. ... il [Napoléon] a fini par citer en preuve la célèbre affaire de Malet, qu'il disait plaisamment être, en petit, son retour de l'île d'Elbe, sa caricature.
LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, 1823, p. 267.
— Rare, en constr. d'appos. avec valeur adj. :
• 9. Il y avait chez eux deux émigrés rentrés, (...), qui sont bien ce qu'on peut voir de plus drôle au monde; deux figures à mettre aux variétés. Ce ne sont que des révérences, compliments, cérémonies; tout tellement caricature, qu'il y a de quoi crever de rire.
COURIER, Lettres de France et d'Italie, 1816, p. 880.
Rem. On rencontre ds la docum. caricaturesque, adj., rare, péj. Qui s'apparente à une caricature (cf. caricatural, ale, aux). Il ne réussit à tirer de lui qu'une image décolorée, passablement caricaturesque de Jean-Michel (R. ROLLAND, Jean-Christophe, L'Adolescent, 1905, p. 238). Qualifié de néol. ds GUÉRIN 1892, seul à l'enregistrer.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. 1. 1740 « reproduction grotesque par le dessin ou la peinture » (D'ARGENSON, Mémoires, II, 146 ds R. Hist. litt. Fr. t. 6, p. 295); av. 1784 « image déformée, outrée de la réalité (dans une œuvre littéraire) » (DIDEROT, Paradoxe du comédien, 81 ds BRUNOT t. 6, p. 1394); 2. 1822 fig. « personne ridiculement accoutrée, très laide » (MICHELET, Mémorial, p. 196). Empr. à l'ital. caricatura (dér. du part. passé de caricare « charger (au propre et au fig.) » avec suff. -ura, v. suff. -ure, proprement « action de charger, charge »; « portrait ridicule en raison de l'exagération des traits » dep. le XVIIe s. (Baldinucci ds BATT.). Fréq. abs. littér. :538. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 607, b) 1 024; XXe s. : a) 678, b) 808. Bbg. GOUG. Lang. pop. 1929, p. 57. — HOPE 1971, p. 357. — KOHLM. 1901, p. 37.
caricature [kaʀikatyʀ] n. f.
ÉTYM. 1740; ital. caricatura, de caricare « charger ».
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1 Représentation graphique (dessin, peinture…) qui, par le trait et par le choix des détails, accentue ou révèle les aspects humoristiques ou déplaisants du sujet. ⇒ Charge. || Les caricatures de Léonard de Vinci (→ Omettre, cit. 3, Baudelaire), de Daumier, de Forain. || Ce n'est pas un portrait, c'est une caricature. || Caricature burlesque, grotesque, spirituelle. || Caricature trop chargée, qui déforme les traits ou la silhouette du modèle aux dépens de la ressemblance. || Caricatures qui raillent, stigmatisent, flagellent un régime, un état social, les abus, les vices, les travers d'une époque. ⇒ Satirique (dessin).
0.1 Du reste, il y a dans les œuvres issues des profondes individualités quelque chose qui ressemble à ces rêves périodiques ou chroniques qui assiègent régulièrement notre sommeil. C'est là ce qui marque le véritable artiste, toujours durable et vivace même dans ces œuvres fugitives, pour ainsi dire suspendues aux événements, qu'on appelle caricatures; c'est là, dis-je, ce qui distingue les caricaturistes historiques d'avec les caricaturistes artistiques, le comique fugitif d'avec le comique éternel.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, « Quelques caricaturistes français ».
1 C'est un art (celui du caricaturiste) qui exagère et pourtant on le définit très mal quand on lui assigne pour but une exagération, car il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits, des caricatures où l'exagération est à peine sensible, et inversement on peut exagérer à outrance sans obtenir un véritable effet de caricature.
H. Bergson, le Rire, p. 27.
♦ Art, technique du dessin caricatural. || La caricature et le dessin d'humour. || Caricature et bande dessinée.
2 La caricature n'a, en France, jamais tué personne.
Louis Madelin, Avènement de l'Empire, XIII, La question du couronnement, p. 187.
2.1 Chose curieuse et vraiment digne d'attention que l'introduction de cet élément insaisissable du beau jusque dans les œuvres destinées à représenter à l'homme sa propre laideur morale et physique ! Et, chose non moins mystérieuse, ce spectacle lamentable excite en lui une hilarité immortelle et incorrigible. Voilà donc le véritable sujet de cet article (…)
Nous allons donc nous occuper de l'essence du rire et des éléments constitutifs de la caricature. Plus tard, nous examinerons peut-être quelques-unes des œuvres les plus remarquables produites en ce genre.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, « Quelques caricaturistes français ».
2 (Av. 1784). Description comique ou satirique par l'accentuation de certains traits (ridicules, déplaisants). || Faire dans un roman la caricature d'une société, d'un milieu. ⇒ Satire.
3 Par métonymie (chose caricaturale). Ce qui évoque sous une forme déplaisante ou ridicule (une chose ou un être comparable). ⇒ Déformation, parodie. || Le chauvinisme, caricature du patriotisme.
3 (…) la superstition n'est que la caricature du vrai sentiment religieux.
Gide, Journal, 19 sept. 1934.
4 Parfois l'imitation proustienne nous paraît aller jusqu'à la caricature, jusqu'à la charge.
A. Maurois, À la recherche de M. Proust, VIII, 3.
5 (…) je vous aime tout de même moins quand je vois les caricatures de vous que sont, au fond, tous ces gens-là… Je sais bien que vous n'êtes pas comme ça par nature, mais vous êtes marqué par eux.
A. Maurois, Climats, I, 7.
6 Un corps vivant, non seulement nous cache Dieu, mais le singe : il en est la caricature.
F. Mauriac, Souffrances et Bonheur du chrétien, p. 49.
4 (1808). Personne laide et ridiculement accoutrée. || Une vieille fée Carabosse, une vraie caricature. || Ce type est une caricature.
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DÉR. Caricatural, caricaturer, caricaturesque, caricaturiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.