DESSIN
La lecture d’un dessin, l’investigation de tous les signes inscrits sur la surface d’un feuillet résulte de multiples observations dont la première est l’étude objective de la matière déposée sur le support. Cette dernière peut avoir la diversité la plus grande selon qu’elle provient de médiums secs ou gras, colorés ou non. La variété des matériaux techniques en fonction du choix de tel artiste, de telle école ou de telle époque est très révélatrice de tendances artistiques profondes. L’étude des techniques permet de contribuer à situer un dessin dans le temps. On pourrait presque dire, en effet, que chaque siècle a sa ou ses techniques de prédilection: le XVe siècle la pointe de métal, le XVIe siècle la pierre noire, le XVIIe siècle le lavis brun, le XVIIIe siècle la sanguine, le XIXe siècle l’aquarelle. Le choix de telle technique renseigne déjà avec précision sur le but, le style et le caractère purement artistique du dessin projeté. Ainsi peut-on tenter de voir quelle fut la méthode de travail de l’artiste. S’agit-il d’une première pensée, pensiero , d’une étude d’ensemble ou au contraire d’une étude de détail isolée? La connaissance de séries de dessins en vue d’une même composition révèle le processus habituel: une première pensée, rapide croquis, puis une mise en place générale de la composition, suivie des études de détails, puis du modello , dessin souvent très pictural donnant les indications des valeurs, et enfin le carton, dernière étape précédant l’exécution définitive; le carton était parfois mis aux carreaux pour faciliter le report des proportions. Le dessin apparaît alors comme le moyen idéal pour mettre en évidence le processus créateur dans toute sa spontanéité et sa sincérité.
Si la plupart sont conçus, en effet, comme des études préparatoires à des œuvres définitives, il faut insister également sur une catégorie de dessins dont le nombre est assez réduit, mais qui comptent peut-être parmi les plus sublimes. Il s’agit de dessins faits pour eux-mêmes, suffisamment aboutis pour exister en tant qu’œuvres d’art; ainsi les grands dessins à la pierre noire, illustration de thèmes mythologiques aux subtiles allégories, exécutés par Michel-Ange pour Tommaso Cavalieri; ainsi, au XIXe siècle, les portraits dessinés par Ingres d’une précision de tracé parfaite; ainsi les fusains d’Odilon Redon qu’il intitulait ses Noirs , où s’exprime avec le maximum de puissance son pouvoir d’imagination. Œuvres achevées, tels les pastels rivalisant de monumentalité et d’intensité colorée avec les peintures contemporaines dans les portraits du XVIIe et du XVIIIe siècle (Lebrun, Chardin, Latour) et dans les paysages du XIXe siècle (Renoir, Pissarro, Gauguin).
1. Techniques
Pointe de métal, plume et encre
L’une des techniques les plus anciennes est celle de la pointe de métal, consistant en l’utilisation d’un style ou stylet métallique (généralement d’argent ou de plomb) qui laisse une trace grisâtre et mate sur la surface du feuillet. Celui-ci doit avoir reçu au préalable une couche de préparation spéciale, liquide à base de poudre d’os mêlée d’eau, de gomme arabique et de couleurs. Les pointes de métal ne peuvent, en effet, être exécutées que sur ce type de papiers «préparés», appelés en Italie carta tinta . La trace de la pointe de métal s’inscrit en creux sur la feuille ainsi préparée. Cette technique, employée dès le XIVe siècle, est utilisée avec prédilection, à cette époque et au siècle suivant, par les dessinateurs florentins ainsi que par les artistes nordiques et allemands. L’addition de poudres colorées à cette solution préparatoire explique l’abondance de papiers préparés aux nuances rares dans toutes les gammes des bleus, gris, verts, roses, jaunes, dont les dessins de Credi, Ghirlandaio, Verrocchio, Dürer ou Holbein offrent d’éclatants témoignages. L’usage de ces papiers préparés s’est prolongé au cours du XVIe siècle; il se fait plus rare par la suite et ne réapparaît alors qu’exceptionnellement chez des artistes curieux de toutes les «cuisines» techniques, Degas par exemple.
La technique très ancienne de la plume et de l’encre fut employée de la façon la plus courante et la plus continue. L’usage des plumes d’oiseau (cygne, oie) est connu dès le VIe siècle, celui des plumes végétales (roseau) plus tard. Quant aux plumes métalliques, leur emploi apparaît au XIXe siècle. Les encres, très diverses, résultent de mélanges variés propres à chaque artiste. L’une des plus couramment employées est tirée de la noix de galle: décoction de noix additionnée de vitriol, de gomme arabique et d’essence de térébenthine. On peut généralement différencier une encre brune noire, bien qu’elle jaunisse parfois en vieillissant et qu’une ancienne encre noire puisse devenir ainsi une encre brune. Il arrive également qu’en vieillissant l’encre brûle le papier, comme pour les admirables feuilles d’études recto et verso de Michel-Ange dont les contours s’inscrivent en minces déchirures.
La plume s’adapte parfaitement aux notations brèves et rapides; elle est ainsi utilisée dans les croquis narratifs du XIIIe et du XIVe siècle, reliés au courant de l’art gothique international. Elle atteint déjà un haut stade de perfection technique dans le trait linéaire, souple et continu, des dessins italiens du XVe siècle (croquis et études d’un Léonard de Vinci) pour se développer encore au XVIe siècle dans les dessins de Michel-Ange, de Dürer ou de Raphaël. Révélatrice du tempérament de chaque artiste et de chaque école, elle se fait plus fluide dans les dessins italiens, plus précise et analytique dans les dessins nordiques, plus anguleuse et saccadée dans les dessins allemands caractérisés par leurs aspérités. Narrative ou virtuose, schématique ou surchargée par des hachures, hésitante ou «survoltée», la plume chargée d’encre peut adopter les démarches les plus diverses et constitue certainement l’un des meilleurs moyens pour traduire la spontanéité du dessinateur. C’est sans doute Rembrandt qui a obtenu de cette technique les meilleurs effets elliptiques, grâce à la perfection synthétique de ses traits de plume.
Le noir et blanc
D’usage très courant, la pierre noire, schiste dont le ton va du noir au gris, appelée également «pierre d’Italie», est une technique connue depuis longtemps mais dont l’emploi se développe, semble-t-il, en Italie vers la fin du XVe siècle, surtout à Florence. Cette technique convenait aux nouvelles recherches de volume et de modelé, et en particulier aux études de la figure humaine dont Luca Signorelli nous donne de remarquables exemples dans ses figures isolées ou ses groupes de personnages, nus en général. Ce type de dessins anatomiques se développe ensuite avec une rare puissance dans les œuvres de Michel-Ange, de Raphaël, des Carrache, suivis dès le début du XVIIe siècle par toute une génération d’artistes français formés en Italie dans cette grande tradition du nu académique à la pierre noire (tels Simon Vouet, Charles Lebrun). L’utilisation de ce matériau se poursuit tout au long du XVIIIe siècle dans les portraits et les paysages, notamment ceux de Natoire et d’Oudry. Cependant, vers le début du XIXe siècle, à la pierre noire se substituaient deux autres techniques utilisant également les ressources du noir et du blanc: le fusain et la mine de plomb. Le premier, connu dès l’Antiquité, couramment pratiqué seulement à partir du XIXe siècle, est un fragment charbonneux qui permet, plus encore que la pierre noire, une puissance d’effets remarquable dans les contrastes entre le médium et le support du feuillet blanc, ainsi qu’en témoignent les dessins de Prud’hon, Millet, Seurat ou Redon.
La mine de plomb, l’actuel crayon d’usage courant, apparaît au début du XIXe siècle: elle permet l’acuité la plus grande, la précision et la finesse du trait. Elle laisse une trace brillante sur le support, ce qui aide à l’identifier par opposition à celle de la pierre noire, beaucoup plus mate, avec laquelle on risque de la confondre. Ses qualités de souplesse et de précision en font l’instrument privilégié de tous les grands maîtres du dessin au XIXe siècle: Delacroix, Ingres, Corot, Degas. Cette technique trouvera encore certains de ses aboutissements stylistiques au XXe siècle, dans les œuvres d’un Modigliani ou d’un Bellmer.
La couleur
Quelques-unes des techniques du dessin appartiennent au domaine de la couleur: la sanguine, par exemple. Cette pierre d’argile ferrugineuse de ton rouge plus ou moins foncé a été utilisée pour les croquis préparatoires à des fresques. Ces études préalables, exécutées au pinceau trempé dans des lavis de sanguine, sont tracées directement sur le mur destiné à être peint. Des travaux de restauration ont permis de mettre au jour plusieurs variantes de ces croquis préparatoires appelés, d’après le mot italien, sinopie , exécutés sur les diverses couches d’enduits successifs apposés sur le mur. Celles de Notre-Dame des Doms à Avignon sont, aux XIIe et XIVe siècles, parmi les plus célèbres. La sanguine est ensuite couramment employée sur le support ordinaire de feuillet blanc. Sa friabilité, sa facilité d’emploi et son coloris en font une technique de prédilection pour les études de nus et les portraits. Employée par les artistes de la Renaissance, par Léonard de Vinci qui en fut l’un des grands novateurs, par Michel-Ange qui l’utilise de façon magistrale, elle fait l’unanimité chez les artistes de la génération maniériste, car elle s’accorde à leurs recherches d’expressivité, de souplesse audacieuse et de mobilité extrême des attitudes. Au XVIIe siècle, elle est toujours l’instrument de choix pour les études de nus dont Lebrun offre quelques exemples, avant de devenir d’une façon presque systématique le médium habituel pour les études académiques faites dans tous les ateliers du XVIIIe siècle d’après le modèle vivant. Elle trouve aussi une remarquable utilisation, si caractéristique du XVIIIe siècle, dans les vastes paysages dessinés d’Hubert Robert et de Fragonard qui firent ensemble, en 1760, un voyage en Italie d’où ils rapportèrent de nombreux dessins. Au XIXe siècle, cette pierre rouge séduit les impressionnistes, amateurs passionnés de couleur, qui l’emploient surtout pour les portraits (Renoir, Berthe Morisot, Manet).
La sanguine participe également à la technique dite des « trois crayons », résultant de l’intervention de trois pierres: la pierre noire, la sanguine et la craie blanche. Cette technique composite fut très en faveur au XVIe siècle pour les portraits dessinés; elle l’est encore au XVIIIe siècle pour les admirables feuilles d’études que sont les projets décoratifs de La Fosse, des Coypel, de Boullongne, et les études de têtes de Watteau.
Le pastel, bâtonnet de poudre colorée, rend parfaitement la qualité et le velouté de l’épiderme; il est d’usage courant pour les portraits du XVIIIe siècle, ceux de Chardin, La Tour ou Perronneau.
L’aquarelle, mélange de pigments minéraux, d’eau et de gomme arabique, toujours transparente, fait jouer le blanc du papier laissé «en réserve». C’est une technique très ancienne, bien qu’aux époques reculées elle n’apparaisse que dans des feuillets assez exceptionnels, parmi lesquels figurent les étonnantes études de paysages de Dürer: Vue du val d’Arco (vers 1495, musée du Louvre) ou encore la célèbre étude d’un Oiseau mort (Albertina). L’aquarelle intervient le plus souvent en légers rehauts colorés, notamment dans les œuvres décoratives (projets de décors de théâtre, costumes de fêtes ou de ballets, objets d’art). Elle prend une nouvelle importance au XVIIIe siècle, avec les merveilleux croquis de Gabriel de Saint-Aubin ou les somptueux paysages de Moreau l’Aîné, pour s’épanouir totalement au XIXe et au XXe siècle, avec les œuvres de Renoir, les éclatants Gauguin, les Pissarro, les Cézanne, les Kandinsky, les Klee.
Le lavis est la technique résultant de l’emploi d’encres de diverses couleurs diluées dans de l’eau et étendues au pinceau. Les lavis d’encre de Chine, lavis gris, sont souvent rehaussés de gouache blanche. On les trouve particulièrement dans les célèbres études de draperies de Léonard de Vinci, œuvres de jeunesse exécutées au moment où l’artiste travaillait dans l’atelier de Verrocchio. Au XVIe siècle, les lavis les plus courants sont d’encre brune, technique permettant tous les jeux de lumière et donc parfaitement adaptée au thème du paysage. En Italie, les lavis des Carrache, en France ceux de Toussaint Dubreuil, annoncent les réalisations du XVIIe siècle les plus réussies en ce domaine du paysage, celles de Claude Gellée, Nicolas Poussin, Rubens ou Rembrandt. Plus rares, les lavis colorés, les indigo par exemple, sont surtout le fait des maniéristes.
Les supports
L’identification et la connaissance d’un dessin supposent également celles de son support. Les plus anciens supports, parchemins et vélins, viennent du traitement des peaux animales, et les plus courants sont les papiers. Ces derniers offrent d’immenses possibilités, depuis le papier préparé, aux multiples gammes de coloris, jusqu’au papier ordinaire teint chimiquement dans la masse, comme les papiers gris-bleu employés du XVIe au XVIIIe siècle, les papiers chamois si fréquents aux XVIIe et XIXe siècles. Les cartons sont employés surtout pour des œuvres de grand format et constituent une étape intermédiaire entre les croquis préparatoires et la peinture à réaliser; ils sont généralement exécutés à la pierre noire ou au fusain. Parmi toutes les variétés et qualités de papier, le papier calque a un rôle important, car il permet la reprise d’un motif en autant de versions nécessaires à l’obtention du résultat recherché: perfection de la ligne, harmonie de la mise en page. La plupart des dessinateurs du XIXe siècle, Ingres, Degas ou Gustave Moreau, ont eu recours systématiquement à ce support, intervenant comme une étape indispensable à l’élaboration minutieuse de leur œuvre. Si l’étude des conditions techniques d’un dessin renseigne sur son aspect physique, sa matière et son exécution, d’autres éléments visibles sur la surface du feuillet peuvent conduire également à la connaissance de son histoire, que l’on peut suivre parfois très précisément grâce aux paraphes, aux marques ou aux inscriptions apposées par les collectionneurs auxquels ces dessins ont appartenu.
2. Provenances
Les paraphes sont apposés à la plume et à l’encre sur le recto ou le verso des dessins. Les marques, initiales ou signes distinctifs (emblèmes, symboles, images) sont appliqués grâce à un tampon encré ou à sec. La plupart des grands collectionneurs ont ainsi apposé soit leur paraphe, soit leur marque souvent sur le recto du dessin lui-même. Ainsi, l’un des amateurs les plus importants du XVIIe siècle, le banquier de Cologne Everard Jabach (vers 1610-1695), établi à Paris en 1638, a-t-il paraphé les versos des montages de ses dessins dits «d’ordonnance»: le dessin est collé en plein sur un montage d’épais papier blanc à bande dorée. Dans le cas des dessins de sa collection dits «de rebut», c’est-à-dire les dessins non montés, son paraphe est apposé directement au verso du feuillet.
La forme particulière du montage et sa présentation, spécifiques de la collection dont ils ont fait partie, offrent parfois les éléments qui permettent d’identifier leur provenance. Ainsi les dessins ayant appartenu à Giorgio Vasari (1511-1574), architecte et peintre, sont complétés, par Vasari lui-même ou par ses élèves, de vastes encadrements décoratifs dessinés à la plume et au lavis brun, portant souvent des cartouches dessinés et annotés avec l’attribution. Les dessins du Florentin Filippo Baldinucci (1625-1696), historien d’art et amateur, se reconnaissent également à leur cartouche rectangulaire portant l’attribution du dessin et parfois même sa destination.
Réunissant à la fois la marque distinctive, l’initiale M dans un cercle, le montage caractéristique bleu à bande dorée et filet blanc et le cartouche revêtu de l’attribution et parfois de la provenance, les dessins ayant appartenu au célèbre collectionneur et marchand d’estampes parisien Pierre-Jean Mariette (1694-1774) sont ainsi relativement faciles à identifier. Toutefois, les pièces de grand format qui étaient alors chez Mariette, non pas conservées en portefeuilles mais encadrées, ne portaient pas la fameuse marque.
Si la plupart des grands collectionneurs privés ont ainsi personnalisé leurs dessins par des paraphes ou des marques, la plupart des grandes collections publiques (celles des Offices à Florence, du Kupferstichkabinett de Berlin, de l’Albertina à Vienne, du British Museum) ont naturellement, elles aussi, adopté des marques et des paraphes distinctifs qui permettent de situer immédiatement la date d’entrée des pièces. C’est ainsi qu’au Louvre, les paraphes d’Antoine Coypel, directeur des tableaux et dessins du roi dès 1701, et de Robert de Cotte, premier architecte du roi en 1708, sont apposés sur tous les dessins faisant partie de la collection royale au début du XVIIIe siècle. Quant aux marques du Louvre, elles sont au nombre de quatre: MN (Muséum national, dans un double cercle), premier cachet adopté sous la Ire République après la Révolution de 1789; RF , marque choisie sous la République de 1848 et reprise sous la IIIe République; N (dans un ovale et surmonté d’une couronne), utilisée sous Napoléon III (1852-1870); enfin, ML (dans un ovale), marque toujours en vigueur depuis lors.
Par recoupement, tous ces éléments participent à l’élaboration de la phase la plus difficile de la véritable connaissance d’un dessin, celle de son attribution et de sa destination.
3. Attribution et destination
On a vu que, dans certains cas, des mentions de l’attribution sont fournies par les cartouches des montages, indications bien précieuses car elles sont parfois presque contemporaines de l’exécution du dessin. Cependant, le résultat de l’attribution est en fait le résumé d’une méthode, d’un procédé d’analyse qui a pour but de se rapprocher le plus possible de la vérité. Le critère le plus sûr est donné par la présence de documents écrits, de contrats établis par le commanditaire de l’artiste dont le nom est ainsi mentionné. Or, dans le domaine des dessins, on connaît fort peu d’exemples de contrats, sauf dans le cas de modelli , c’est-à-dire de dessins très élaborés destinés à être soumis au commanditaire avant l’œuvre définitive. Du moins, le recoupement avec des contrats pour des peintures dont les dessins sont des œuvres préparatoires fournit-il de bons arguments pour une attribution.
Les « signatures » apposées sur la surface des dessins sont rarement des originaux, bien souvent il faut plutôt parler d’annotations. Celles-ci peuvent être contemporaines, mais sont généralement plus tardives. Dans certains cas, elles aident au raisonnement menant à la découverte de la bonne attribution, mais cependant elles doivent toujours être mises en doute. D’ailleurs, ces signatures avaient peu de raisons d’être pour les dessins anciens, puisque ceux-ci étaient conçus comme un travail préliminaire, comme un essai, et parfois détruits après l’exécution définitive. En fait, les signatures ne deviennent courantes que dans la seconde moitié du XVIIe ou plutôt vers le début du XVIIIe siècle; elles se généralisent aux XIXe et XXe siècles, lorsque s’affirmera la personnalité de l’artiste. Jusqu’alors, le dessin était plutôt considéré comme une œuvre d’atelier s’inscrivant dans le cadre de grandes entreprises décoratives qui nécessitaient d’abondants travaux collectifs.
D’autres critères permettent de cerner au plus près la vérité. Ce sont d’abord les témoignages de la tradition contemporaine, ceux des historiens comme Giorgio Vasari, auteur des Vite de’ più eccellenti pittori, scultori ed architettori (1550), ou Filippo Baldinucci, auteur des Notizie . Ceux-ci décrivent dans leurs ouvrages certains dessins importants, que l’on a pu ainsi identifier et attribuer avec la certitude la plus grande lorsqu’il s’agit d’artistes contemporains.
À la base de tous les raisonnements intervenant dans le processus de l’attribution, le rapprochement du dessin avec une œuvre identifiée, qu’il s’agisse d’une peinture, d’une architecture, d’une sculpture ou d’un objet décoratif, est le procédé le plus courant. La comparaison entre le dessin et l’œuvre définitive permet généralement d’étudier les modifications intervenues au cours de l’exécution. Le dessin préparatoire présente, en principe, de légères variantes par rapport à l’œuvre définitive. Lorsqu’il y a une totale ressemblance entre le dessin et la peinture, on peut alors se demander s’il ne s’agit pas d’une éventuelle copie exécutée d’après l’œuvre originale terminée.
Pour la majorité des œuvres anciennes, les dessins que l’on possède aujourd’hui sont souvent plus nombreux que les œuvres pour lesquelles ils ont été exécutés, soit que l’œuvre ait disparu, soit qu’elle n’ait pas été menée à bien. Dans ce dernier cas, les dessins demeurent les seuls témoignages des œuvres entreprises et non réalisées.
Les arguments énumérés jusqu’ici font surtout appel au raisonnement et à la connaissance historique. Il en est d’autres, cependant, comme celui de la connaissance du style d’un dessinateur, de la perception sensible de son écriture. Cette connaissance doit permettre à un observateur attentif d’attribuer, pour des raisons purement stylistiques, de nouveaux dessins et de les regrouper autour des œuvres déjà connues. On conçoit aisément tout ce que cette approche peut avoir de subjectif, mais cet instinct dans la découverte apporte d’importants critères qui complètent les éléments purement logiques de la méthode d’analyse. Cette part profondément instinctive de l’attribution explique les querelles parfois irréductibles entre les historiens spécialistes de telle période ou de tel artiste, pour lesquels chacun semble posséder de secrètes et exclusives affinités. Cela fait apparaître la dualité profonde de l’art du dessin, dont les qualités les plus cachées parfois nous échappent, mais qui est aussi le plus directement perceptible à notre regard et le plus proche de notre sensibilité attentive.
dessin [ desɛ̃ ] n. m.
1 ♦ Représentation ou suggestion des objets sur une surface, à l'aide de moyens graphiques. Faire du dessin. Lignes, tracé d'un dessin. Dessin d'enfant. Dessin rapide, esquissé. ⇒ croquis, ébauche, esquisse, schéma. Dessin soigné, fignolé, léché. Mauvais dessin. ⇒ gribouillage, griffonnage. Dessin sur la peau. ⇒ tatouage. — Par ext. Œuvre d'art formée d'un ensemble de signes graphiques organisant une surface. Perspective d'un dessin. Le modelé, le relief d'un dessin. Les dessins de Léonard de Vinci; de Degas. Une exposition de dessins. Le cabinet des dessins d'un musée. Dessin abstrait. — Dessin à main levée. Dessin au trait, dessin ombré. Dessin à un crayon. ⇒ crayon, fusain, sanguine. Dessin aux deux crayons. Dessin au pinceau, à la plume; à l'encre de Chine. Dessin lavé. ⇒ lavis, sépia. Dessin gravé. ⇒ gravure, pointe (sèche). Dessin linéaire. — Dessin imprimé. Tissu à dessins. ⇒ motif. Dessin humoristique, accompagné d'une légende. Dessin pour enfants. Dessin publicitaire. Dessin de mode. Dessin stylisé servant de signe. ⇒ pictogramme; logo.
♢ (1916) Cin. DESSIN ANIMÉ ou DESSINS ANIMÉS [ desɛ̃anime ] :film réalisé en partant d'une suite de dessins représentant les phases successives du mouvement d'un corps. ⇒ cartoon. — Branche de l'art, de l'industrie cinématographique relative à ce genre de films (cf. Cinéma d'animation).
♢ Loc. fam. (1951) Faire un dessin à qqn, faire comprendre à force d'explications (cf. Mettre les points sur les i). « Tu vois pas ça, toi dans ta tête ?... Le cafard ?... T'entends ?... Le cafard ? Faut te faire un dessin ? » (Céline).
2 ♦ L'art qui enseigne et utilise la technique, les procédés propres à organiser une surface par des moyens graphiques. Dessin et peinture. Atelier, école de dessin. Professeur, leçon de dessin. Il est doué pour le dessin, premier en dessin. Carton, papier à dessin (bristol, torchon). Table à dessin. « Le dessin n'est pas la forme, il est la manière de voir la forme » (Degas).
3 ♦ (Opposé à couleur) Les éléments graphiques d'un tableau, d'une tapisserie, etc. Le dessin de cette fresque n'en vaut pas la couleur.
4 ♦ Représentation linéaire, exacte et précise, de la forme des objets, dans un but scientifique, industriel; technique de cette représentation. Dessin graphique. Dessin géométrique. Dessin par projection (⇒ projection, stéréographie) . — Dessin industriel. ⇒ épure; 2. relevé (de plan). Dessin de face, de profil, en élévation. Dessin coté. ⇒ croquis. Dessin assisté par ordinateur (D. A. O.). Échelle d'un dessin. — Dessin d'architecture (⇒ 3. plan) .
5 ♦ Plan d'ensemble, structure (d'un ouvrage). Fig. ⇒ canevas, conception, 3. plan, projet. Le dessin général du roman.
♢ Mus. Dessin mélodique : la disposition générale d'une phrase musicale.
6 ♦ Par anal. Aspect linéaire et décoratif des formes naturelles. ⇒ contour, délinéament, figure, forme, ligne. Le dessin d'un visage. ⇒ 2. coupe. « il s'applique à suivre le dessin des veines jusqu'au poignet mince » (Martin du Gard). — Contour d'un objet, lignes d'un ornement. Le dessin d'une fenêtre, d'une ferronnerie.
⊗ HOM. Dessein.
● dessin nom masculin (de dessiner, avec l'influence de l'italien disegno) Représentation sur une surface de la forme (et éventuellement des valeurs de lumière et d'ombre) d'un objet ou d'une figure, plutôt que de leur couleur. Technique et art de cette représentation : Apprendre le dessin. École de dessin. Toute production graphique : Dessin d'enfant. Contour linéaire, profil, ligne, considérés sur le plan esthétique : Ce rouge accentue le dessin de la bouche. Motif, forme et en particulier ornement imprimé sur un tissu, un papier, etc. : J'aime le dessin de ce tissu. Plan d'une œuvre littéraire, musicale, etc., disposition des parties d'un ouvrage, canevas. ● dessin (expressions) nom masculin (de dessiner, avec l'influence de l'italien disegno) Familier et ironique. Faire un dessin à quelqu'un, donner des explications supplémentaires à quelqu'un qui n'a pas compris une allusion. Dessin à main levée, dessin exécuté sans la règle ni le compas et traité librement. Dessin au trait, dessin qui ne donne que les linéaments des figures (au contraire des dessins ombré, lavé, estompé, hachuré). Dessin(s) animé(s), technique d'animation permettant de filmer vue par vue des dessins qui analysent les phases successives du mouvement ; le film ainsi réalisé. Dessin graphique, dessin uniquement composé de traits, sans nuances ni dégradés. Dessin industriel, dessin graphique représentant des objets en vue de leur fabrication dans l'industrie. Dessin aux instruments, dessin effectué à l'aide de règles, équerres, compas, etc. Dessins et modèles, œuvres protégées (5 ans) à condition d'avoir été déposées à l'Institut national de la propriété industrielle. ● dessin (homonymes) nom masculin (de dessiner, avec l'influence de l'italien disegno) dessein nom masculin ● dessin (synonymes) nom masculin (de dessiner, avec l'influence de l'italien disegno) Toute production graphique
Synonymes :
- crayon
- croquis
- ébauche
- étude
- fusain
Contour linéaire, profil, ligne, considérés sur le plan esthétique
Synonymes :
- galbe
- ligne
dessin
n. m.
d1./d Représentation d'objets, de personnages, etc. sur une surface, au crayon, à la plume, etc. Un dessin de Raphaël. Dessin à main levée, exécuté sans règle ni compas.
— Dessin industriel: représentation linéaire (généralement par projection sur trois plans) d'une pièce mécanique, d'une machine, etc.
— Dessin assisté par ordinateur (D.A.O.): dessin industriel effectué par un ordinateur à partir du programme et des données qu'il a reçus.
|| Ensemble de lignes agencées pour produire un effet visuel. Le dessin d'un tissu, d'un papier mural.
|| Contour, forme naturelle. Le dessin des sourcils.
|| Grands traits d'un ouvrage. Le dessin général d'un projet.
d2./d Art de la représentation des objets sur une surface plane par des moyens graphiques. Prendre des leçons de dessin.
d3./d Dessin animé: film tourné à partir d'une série de dessins qui décomposent le mouvement en ses phases successives.
⇒DESSIN, subst. masc.
A.— Au sing.
1. Art de représenter des objets (ou des idées, des sensations) par des moyens graphiques; p. méton., ensemble des procédés relatifs à cet art. Apprendre le dessin; académie, atelier, école, maître de dessin. L'art de la fragmentation du ton est né dans les pays gris (Watteau, Chardin...), tandis que l'art du dessin, le goût naturel de la forme définie s'est maintenu dans les pays de la lumière vive (MAUCLAIR, De Watteau à Wistler, 1905, p. 198). Renoncer à une grammaire du dessin acceptée depuis la Renaissance (HOURTICQ, Hist. Art, Fr., 1914, p. 434).
♦ Arts du dessin. Des trois grands arts qui font l'objet de ce livre, l'architecture, la sculpture et la peinture, il n'y en a qu'un seul à qui la couleur soit nécessaire; mais le dessin est tellement essentiel à chacun de ces trois arts, qu'on les appelle proprement les « arts du dessin » (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 21).
— Domaine scol. Cet art considéré comme matière enseignée dans les écoles. Classe, épreuve, professeur de dessin. Un excellent élève. Bonnes notes en philo (...), un peu faible pour les math et le dessin (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 297). Premier en toute matière : arithmétique, dessin, hygiène sociale (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 224).
2. Acte de représenter des objets (ou des idées, des sensations) à l'aide de traits exécutés sur un support, au moyen de matières appropriées. Faire du dessin :
• 1. Pauvre chère vieille femme, je devrais bien aujourd'hui savoir faire son portrait, tant je m'y suis exercé jadis, car j'avais alors la manie du dessin et elle était le plus complaisant des modèles, et je ne parviens pas seulement à revoir son visage.
GUÉHENNO, Journal d'un homme de 40 ans, 1934, p. 26.
a) Représentation artistique de l'apparence des objets (ou représentation non figurative) par des moyens appropriés.
— [Le déterm. éventuel précise la nature du modèle ou le support, la matière, la techn., le style de la représentation] Dessin lithographié, à l'encre, au fusain, au pastel. Dessins à la main dus à des artistes qui emploient les moyens les plus divers (dessin au trait, à la plume, au crayon, lavis, gouache) (Civilis. écr., 1939, p. 1001). L'écriture et le dessin utilitaire ont des doubles : le signe mystérieux, le dessin figuratif, lui-même dédoublé en dessin abstrait (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 161).
♦ Dessin aux deux crayons. Dessin au crayon noir sur du papier teinté avec rehaut de crayon blanc ou au crayon noir et à la sanguine sur papier blanc (d'apr. ADELINE, Lex. termes art, 1884).
♦ Dessin au trait, dessin linéaire. Dessin qui représente le contour des objets sans indiquer leur modelé ou leur relief. Ces illustrations se caractérisent par leur simplicité. Peu ou pas d'ombres, le dessin au trait, parfois enluminé de teintes plates (Civilis. écr., 1939, p. 3010) :
• 2. ... cette technique du dessin linéaire, par laquelle la sensation du relief, de la lumière, et même de la matière, s'obtient sans l'intervention des ombres (...), par la seule souplesse de la plume le long des contours.
Arts et litt. dans la société contemp., 1935, p. 2814.
b) Représentation linéaire de la forme des objets, qui s'exécute à des fins scientifiques, techniques ou industrielles. Carton, papier, planche, table à dessin; échelle d'un dessin. Le dessin normalisé dit dessin industriel (CAPELLE, Éc. demain, 1966, p. 61) :
• 3. L'enseignement pratique est consacré essentiellement au dessin professionnel, à la technologie et à l'atelier. L'apprenti s'initie au dessin industriel, il apprend à lire et comprendre un dessin, à exécuter les dessins normalement utiles dans la profession.
Encyclop. pratique de l'éduc. en France, 1960, p. 166.
B.— P. méton., au sing. et au plur.
1. Composition artistique exécutée au crayon, à la plume ou au pinceau. L'autre, un dessin aux deux crayons, n'est qu'une contre-épreuve de Watteau (GONCOURT, Journal, 1894, p. 689). Tu me disais [Jean Giraudoux] que mes dessins étaient une écriture. Je trouve que ton écriture était du dessin (COCTEAU, Foyer artistes, 1947, p. 219) :
• 4. Le beau d'un dessin japonais représentant un oiseau, c'est que ce dessin, avec ses abréviations et le rendu seulement de ce que l'oiseau offre de caractéristique, on pourrait dire que c'est la synthèse de l'oiseau.
GONCOURT, Journal, 1891, p. 101.
— Loc. fig. fam. Faire un dessin. Faire comprendre à force d'explications. Avoir besoin d'un dessin. Avoir besoin d'explications (cf. CAMUS, Peste, s.v. cellulaire I A 2).
— CIN. Dessin(s) animé(s). Film réalisé au moyen de dessins qui décomposent les mouvements des personnages ou des sujets et qui, à la projection, donnent l'illusion d'un mouvement continu. Les gentils animaux des dessins animés (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 139) :
• 5. On souffre de n'être jamais qu'une utilité du monde, et notre vie fait trop souvent penser à ces dessins animés du cinéma, à ces silhouettes qui se font et se défont sans raison apparente, et comme si une main invisible et toute-puissante s'amusait à les former pour les effacer aussitôt.
GUÉHENNO, Journal d'un homme de 40 ans, 1934, p. 55.
— Domaine de la peint., p. oppos. à la couleur. Manière, qualité propre qui caractérise le talent d'un artiste en tant que dessinateur. Synon. style. Quel dessin (...)! Et quel coup de pinceau! Un Courbet de la bonne époque (DUHAMEL, Nuit St-Jean, 1935, p. 25). Un grand croquis de Forain, d'un dessin sec, amer, nerveux (DRUON, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 89).
SYNT. Dessin d'enfant, de maître; dessin humoristique, original, satirique; beau, petit dessin; album, collection, exposition, série de dessins; calquer, exécuter, graver, reproduire, tracer un dessin; dessin et couleur, gravure, peinture; tableaux et dessins.
2. Figure(s) ornementale(s) servant à décorer un objet et qui présuppose(nt) généralement un modèle exécuté à la main au moyen d'un dessin. Le dessin d'une indienne, d'un papier de tenture (Ac. 1835-1932).
a) [Avec un déterm. qui explicite le style ou le motif de la figure] Un tapis bon marché, d'un dessin vaguement oriental (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. 105). Les marqueteries à larges dessins géométriques (VIAUX, Meuble Fr., 1962, p. 106).
b) P. anal. Figures naturelles, d'apparence ornementale, qui semblent dessinées sur certains corps :
• 6. ... la libellule
Que, sans doute, à dessein,
On nomme demoiselle
Parce qu'elle circule
Prise d'amoureux zèle
Durant la canicule
En soulevant le tulle
De son aile à dessins.
JAMMES, De tout temps à jamais, La Fontaine, 1935, p. 74.
c) Au fig. Figures composées par d'autres moyens que l'action de la main et des moyens graphiques.
— DANSE. Attitudes et figures créées par des gestes et le jeu des jambes. Le dessin dépouillé de la danse classique (STRAVINSKY, Chron. vie, 1931, p. 105).
— MUS. Motif, phrase d'un développement musical. C'est dès l'exposition, l'opposition des motifs : le thème du premier violon tout à la fois pressé, impérieux (...) la désinvolte réponse du second violon; le dessin fluide de l'alto (MARLIAVE, Quat. Beethoven, 1925, p. 288). Ce piano, là-bas, qui répétait le même dessin avec tant de patience (ARNOUX, Chiffre, 1926, p. 185).
3. Emplois techn.
a) Modèle, projet exécuté de manière graphique, en vue de préparer la réalisation d'objets ou de figures ornementales par d'autres techniques que le dessin.
— Représentation de l'objet, de la figure, sous l'apparence qu'ils auront une fois réalisés. Dessin de décor, de jardins, de parcs. Le dessin colorié qui doit guider le ton des ombres (...) doit rester là pour servir de modèle pendant tout le temps de l'opération (NOSBAN, Manuel menuisier, t. 2, 1857, p. 150). Cette carte embrouillée, ces lignes de points, ces hachures, tout cela ne représente, pour Bastienne, qu'un confus dessin de broderie (COLETTE, Music-hall, 1913, p. 136).
— Plan ou épure exécutés au trait d'après les procédés du dessin linéaire ou industriel, figurant la structure (coupe, élévation, profil) de l'objet à réaliser architecturalement ou industriellement. Le plan de l'abbaye de Saint-Gall (...) est un projet à l'état d'esquisse (...) car l'exécution exige des dessins autrement développés (LENOIR, Archit. monast., 1852, p. 24) :
• 7. En architecture, le dessin, c'est la pensée même de l'architecte; c'est l'image présente d'un édifice futur (...). Le dessin est donc le principe générateur de l'architecture; il en est l'essence.
Ch. BLANC, Gramm. des arts du dessin, 1876, p. 21.
b) Au fig. Projet idéal conçu par l'esprit et sensible dans l'œuvre dont il constitue le point initial ou le centre. L'acte d'écrire ne peut se prolonger jusqu'à remplir l'étendue d'un livre sans exiger une rupture presque incessante du dessin initial (VALÉRY, Entret. [avec F. Lefèvre], 1926, p. 108). Il semble qu'il [Chateaubriand] rétablisse dans les « Mémoires d'Outre-Tombe » un dessin tracé par Dieu (THIBAUDET, Réflex. crit., 1936, p. 27) :
• 8. ... il nous suffit d'apercevoir un corps ou un être quelconque pour conclure de ses formes à ses qualités physiques (...). Il y a donc dans le dessin des contours et des surfaces quelque chose qui semble couvrir une intention, un dessein de la nature, j'allais dire une pensée.
Ch. BLANC, Gramm. des arts du dessin, 1876 p. 80.
• 9. Et la forme, pour se détacher de la confusion, ne peut exister que par une définition, c'est-à-dire par une fin, par l'exclusion de tout ce qui est étranger à son dessin ou dessein, par une limitation autour de ses possibilités.
CLAUDEL, Un poète regarde la Croix, 1938, p. 220.
Rem. Au sens B 3, le mot dessin fonctionne comme un synon. de dessein. De même qu'à la fin du XVIIIe s. la forme dessein se rencontre encore avec le sens de « représentation d'une figure par un moyen graphique », les ex. supra attestent que dessin chez les meilleurs écrivains demeure propre à traduire le sens de « projet ». La confusion originelle des deux sens est encore sentie et rappelée à l'époque mod. ,,Le dessin est un projet de l'esprit comme l'indique si bien l'orthographe de nos pères qui écrivaient dessein`` (Ch. BLANC, op. cit., p. 513).
1. [La configuration serait représentable au moyen d'un dessin] Le dessin d'un bras, d'un fleuve. Ce coche de gala était d'un dessin altier et surprenant (HUGO, Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 109). Le galbe d'une tête bien faite, le dessin d'une nuque (MAURIAC, Myst. Frontenac, 1933, p. 133) :
• 10. Imaginez dans ce parc, en place de Mme d'Aoury, une grosse Prussienne! Quand même sous ce ciel bleu pâle, les mêmes bâtiments, les mêmes dessins de prairies et de bois demeureraient, ce dont je doute, où seraient cette délicatesse et cette fierté qui se répandent sur tout le domaine?
BARRÈS, Au service de l'Allemagne, 1905, p. 52.
2. Au fig. [La configuration, idéale, abstr., n'est pas représentable au moyen d'un dessin]
a) Domaine de la compos. littér. Agencement, disposition des parties qui configurent un ensemble (ouvrage, personnage, style). Dessin d'une pièce, d'un poème. M. de Balzac n'a pas le dessin de la phrase pur, simple, net et définitif (SAINTE-BEUVE, Portr. littér., t. 2, 1844-64, p. 345). Quand on parle du « Demi-Monde », le chef-d'œuvre de M. Dumas, on cite encore la baronne d'Ange, non qu'elle soit d'un dessin bien accentué, mais parce qu'elle a été personnifiée par des actrices dont chacun revoit le jeu (ZOLA, Doc. littér., Dumas fils, 1881, p. 207).
b) Autres domaines. Disposition des parties d'un ensemble. Je préfère à la certitude toujours bornée et linéaire, le champ et la profondeur, le dessin flottant illimité des suppositions (ARNOUX, Crimes innoc., 1952, p. 225) :
• 11. ... les sociétés dont le dessin était préformé dans la structure originelle de l'âme humaine, et dont on peut apercevoir encore le plan dans les tendances innées et fondamentales de l'homme actuel...
BERGSON, Les Deux sources de la mor. et de la relig., 1932, p. 55.
Prononc. et Orth. :[]. Homon. dessein. Var. [-] ds LITTRÉ et comme var. à côté de [des-] ds DUB. (1re var.) et ds WARN. 1968 (cf. des-). Ds Ac. 1694-1762, s.v. dessein. Ds Ac. 1798-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1529 desseing « représentation graphique » (G. TORY, Champfleury, f° 12 r° d'apr. A. Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 10, p. 320 : desseings et pourtraictz); 1548 dessein (Comptes des bâtiments du Roi, éd. L. de Laborde, t. I, p. 165 ds IGLF) — 1798 (Ac.); 1549 desing « id. » ici spéc. « ichnographie » (EST.); 1680 dessin (RICH. : Quelques modernes écrivent le mot de dessein [t. de peint.] sans e après les deux s, mais on ne les doit pas imiter en cela). Déverbal de desseigner, dessigner, dessiner, avec infl. de l'ital. disegno « représentation graphique » attesté dep. av. 1444 (Morelli ds BATT.), lui-même déverbal de disegnare (dessiner). Fréq. abs. littér. :3 350. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 3 084, b) 5 850; XXe s. : a) 5 979, b) 4 883. Bbg. HAGNAUER (R.). L'Expr. écrite et orale. Paris, 1972, p. 262. — KOHLM. 1901, p. 18.
dessin [desɛ̃] n. m.
ÉTYM. XVe; de dessigner (→ Dessiner), d'après l'ital. disegno, var. de dessein qui s'est employé pour dessin jusqu'au XVIIIe; → ci-dessous, cit. 8 et 9.
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1 Représentation ou suggestion des objets, du monde visible ou imaginaire, sur une surface, à l'aide de moyens graphiques; par ext., œuvre d'art formée d'un ensemble de signes graphiques organisant une surface. ⇒ suff. -graphie, -graphique; contour, délinéation, figure, image, ligne, linéaire, tracé, trait. || Dessin d'imitation; dessin abstrait, non-figuratif. || Composition, proportions, rythme d'un dessin. || Lignes de force d'un dessin. || Vie, mouvement, rendu d'un dessin. || Les masses, les volumes, les plans, le modelé, le relief d'un dessin. || Les dessins de Léonard de Vinci; de Degas. || Exposition de dessins de l'école flamande, italienne. || Dessins d'enfants. — Dessin linéaire, géométral, reproduisant en projection les objets tels qu'ils sont (→ ci-dessous, 5.), par oppos. au dessin d'imitation, qui en représente l'apparence. — Dessin en perspective. || Dessin en raccourci. — Dessin en relief (⇒ Anaglyphe).
♦ Dessin au trait, dessin ombré. || Traits, coups de crayon, hachures d'un dessin. || Dessin grené, pointillé, poncé (⇒ Poncif). || Dessin à un crayon. ⇒ Craie, crayon, fusain, plomb (mine de plomb), sanguine, sauce. || Dessin à deux, trois crayons. || Dessin aux deux crayons, au crayon noir et à la sanguine sur papier blanc, ou au crayon noir sur papier teinté avec rehaut de crayon blanc. || Dessin au pinceau, à la plume; à l'encre de Chine. || Dessin lavé. ⇒ Lavis; aquarelle, bistre, gouache, sépia. || Dessin coloré. || Dessin estompé. ⇒ Estompe. — Dessin griffonné sur un mur. ⇒ Graffite (plur. graffiti). || Dessin gravé. ⇒ Gravure, pointe-sèche. || Dessin imprimé. || Tissu à dessins. ⇒ Motif. || Reproduction d'un dessin. || Dessin piqué, découpé (⇒ Pochoir). || Dessin d'après le modèle (⇒ Copie), d'après la bosse (plâtre ou figure en ronde bosse), d'après nature. || Dessin à main levée, exécuté sans l'aide de la règle, du compas… || Dessin à vue, exécuté sans prendre de mesures. || Dessin rapide, esquissé. ⇒ Croquis, ébauche, esquisse, schéma. || Dessin lâché, à grands traits. || Dessin soigné, fignolé, léché. — Dessin servant d'ébauche à une tapisserie, une fresque. ⇒ Canevas, carton, étude, patron, plan, projet. || Repérage de dessins. — Genres de dessins. ⇒ Illustration; paysage, vue; nu, portrait, silhouette; nature (morte). || Dessin d'animaux. — Dessin comique, humoristique, satirique. ⇒ Caricature, charge; → ci-dessous 2., b.
♦ Les dessins d'une bande dessinée. || Un dessin pour enfants. || Dessin accompagné d'une légende, sans légende (→ Histoire sans paroles). || Des dessins publicitaires, des dessins d'affiches. — Dessin d'ornement. ⇒ Motif, ornement; arabesque, grecque, méandre. || Dessin d'encadrement. ⇒ Cartouche, vignette. — Copier, imiter, démarquer un dessin. || Copier un dessin à la chambre claire (⇒ Diagraphe), en le décalquant, au pantographe. || Calque, décalque d'un dessin. || Transmission d'un dessin par bélinographe, par télécopie. — Transport d'un dessin sur un nouveau support. ⇒ Report. || Mettre un dessin en carreaux pour le réduire (⇒ Graticuler), le reproduire, l'agrandir. ⇒ Carreau (II.), treillis; carreler, quadriller. — Gommer, effacer un dessin. || Fixer un dessin (⇒ Fixateur, fixatif). — Album de dessins. || Dessin encadré.
1 J'ai fini par mêler à mes dessins du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j'ai dans l'œil et dans l'esprit.
Hugo, Lettre à Baudelaire, 29 avr. 1860.
2 Les beaux dessins sont complets sans être achevés (…) Le grain du papier, sa consistance, sa couleur et presque sa sonorité prêtent à ce support la qualité d'un milieu. Les instruments qui l'attaquent et qui s'en emparent, la plume, le pinceau, le crayon, le bâton de craie ou de sanguine y tracent des écritures dont l'extrême et charmante diversité nous parle mieux encore que la touche du peintre. La tache, le coup de griffe, le trait, avec sa mélodie de pleins et de déliés, l'accent, la virgule d'ombre ou de clarté (…) éveillent en nous l'émulation d'une fièvre créatrice (…)
H. Focillon, Journal : Beaux-arts, in Clarac, Apprendre à écrire, p. 206.
♦ (1916). || Dessin animé ou dessins animés : film cinématographique réalisé en partant d'une suite de dessins représentant les phases successives du mouvement d'un corps (⇒ anglic. Cartoon). — Branche de l'art, de l'industrie cinématographique relative à ce genre de films. || Histoire du dessin animé. ⇒ Animation (3.).
♦ ☑ (1951). Loc. fam. Faire un dessin à qqn : expliquer davantage. ☑ Tu veux que je te fasse un dessin ? (→ Mettre les points sur les i). — ☑ Avoir besoin d'un dessin, d'explications.
2.1 Tu vois pas ça, toi, dans ta tête ?… Le cafard ?… T'entends ?… Le cafard ? Faut te faire un dessin ?
Céline, Guignol's band, p. 64.
2 Le dessin. a L'art qui enseigne et utilise la technique, les procédés propres à organiser une surface par des moyens graphiques. || Le dessin est opposé à la peinture en ce qu'il néglige la couleur ou qu'il la subordonne à la forme. — Papier à dessin (⇒ Bristol, torchon). — Carton à dessin. — (Domaine scolaire). Cet art en tant que matière enseignée dans les écoles. || Apprendre, savoir le dessin. || École, académie de dessin. || Professeur, leçon de dessin. || Il est doué pour le dessin.
3 Voici donc comment je désirerais qu'une école de dessin fût conduite. Lorsque l'élève sait dessiner facilement d'après l'estampe et la brosse, je le tiens pendant deux ans devant le modèle académique de l'homme et de la femme. Puis je lui expose des enfants, des adultes (…) des sujets (…) pris dans toutes les conditions de la société (…) Après la séance de dessin, un habile anatomiste expliquera à mon élève l'écorché (…)
Diderot, Essai sur la peinture, I, Œ., p. 1148-1149.
4 Le dessin est une lutte entre la nature et l'artiste (…) Il ne s'agit pas pour lui de copier, mais d'interpréter.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, VII, 13.
5 Je lui disais (à Degas) : « Mais enfin, qu'est-ce donc que vous entendez par le Dessin ? »
Il répondait par son célèbre axiome : « Le Dessin n'est pas la forme, il est la manière de voir la forme ». (…) Il opposait ce qu'il appelait la « mise en place », c'est-à-dire la représentation conforme des objets, à ce qu'il appelait le « dessin », c'est-à-dire l'altération particulière que la manière de voir et d'exécuter d'un artiste fait subir à cette représentation exacte (…)
Valéry, Degas, Danse, Dessin, p. 128.
b Ensemble d'œuvres dessinées. || Histoire du dessin français. || Étude sur le dessin expressionniste. — (Genre). || Le dessin d'humour : le genre du dessin comique ou satirique, légendé ou non. || Dessin d'humour et bande dessinée sont des genres voisins. || Pratiquer le dessin pour enfants, le dessin publicitaire, le dessin d'illustration.
♦ Les arts du dessin : les arts plastiques (peinture, etc.) quand l'un de leurs éléments est le dessin.
3 Les éléments graphiques d'un tableau, d'une tapisserie. || Le dessin et la couleur (cit. 22). || La pureté du dessin d'Ingres. || Le dessin de cette fresque n'en vaut pas la couleur.
6 Certes on connaissait les Flamands du moyen âge. Mais si l'on admirait leur couleur, on regrettait qu'elle n'eût pas été servie par un dessin digne d'elle.
Malraux, les Voix du silence, I, 5, p. 103.
4 La façon de dessiner; le style d'un dessin. || Un dessin habile, mais froid. || Le dessin de Michel-Ange.
7 (…) il y a plusieurs dessins, comme plusieurs couleurs : — exacts ou bêtes, physionomiques et imaginés.
Le premier est négatif, incorrect à force de réalité, naturel, mais saugrenu; le second est un dessin naturaliste, mais idéalisé, dessin d'un génie qui sait choisir, arranger, corriger, deviner, gourmander la nature; enfin le troisième, qui est le plus noble et le plus étrange, peut négliger la nature (…)
Le dessin physionomique appartient généralement aux passionnés, comme M. Ingres; le dessin de création est le privilège du génie. La grande qualité du dessin des artistes suprêmes est la vérité du mouvement, et Delacroix ne viole jamais cette loi naturelle.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, Eugène Delacroix.
5 (Un, des dessins; le dessin; souvent qualifié). Représentation linéaire, exacte et précise, de la forme des objets, dans le domaine scientifique, technique, industriel. || Dessin graphique. || Dessin géométrique. || Dessin par projection (⇒ Projection, stéréographie). || Dessin d'une carte géographique (⇒ Cartographie, topographie). — Dessin industriel : description graphique complète et précise d'une pièce industrielle. ⇒ Épure; coupe, élévation, plan, section; levé, relevé (de plan). || Dessin de face, de profil, en élévation. || Dessin coté. ⇒ Croquis. || Dessin assisté par ordinateur (D. A. O.) : dessin industriel automatisé par la conception assistée par ordinateur. || Échelle d'un dessin. || Dessin de machine, d'outil, etc. — Bureau de dessin : annexe du bureau des études, dans une industrie. — Instruments utilisés pour le dessin industriel ou d'architecture : crayons, compas, équerre, gomme, pistolet, plume, règle, té, tire-lignes… || Planche, table à dessin. — Dessin d'architecture : représentation linéaire du plan, de la coupe, de l'élévation d'un bâtiment, d'une partie de bâtiment, etc. (⇒ Élévation, plan; orthographie, sciographie). Par ext. ⇒ Projet. || Dessin de maquette; de jardin.
8 (…) ce parterre, qui est tout fait sur le dessein (dessin) de M. Le Nôtre.
Mme de Sévigné, 1225, 12 oct. 1689.
6 Grands traits (d'un ouvrage). ⇒ Canevas, conception, plan, projet; et aussi dessein. || Le dessin général d'un ouvrage littéraire, musical. || Le dessin de l'intrigue.
9 (…) le jeu de rapport qui se trouve pour le dessein (dessin) entre un si grand nombre de poèmes qu'il (Corneille) a composés.
La Bruyère, les Caractères, I, 54.
10 Cet ouvrage (…) est un monument qui éternisera sa honte (de l'architecte); car l'ouvrage fait voir que l'ouvrier n'a pas su penser avec assez d'étendue pour concevoir le dessein (dessin) général de tout son ouvrage.
Fénelon, Télémaque, XVII.
♦ Mus. || Dessin mélodique : la disposition générale d'une phrase musicale.
♦ Danse. Figures créées par le jeu des jambes.
7 a Disposition des ornements (sur certains objets fabriqués). || Les dessins d'une étoffe. ⇒ Arabesque (cit. 8), brochure, chinure. || Dessin de fleurs sur un tapis, un papier à tapisser. ⇒ Fleurage, ramage. || Lisage d'un dessin pour tissu. || Dessin de racines sur la couverture d'un livre. ⇒ Racinage.
b Aspect linéaire et décoratif des formes naturelles : contour, figure, forme, ligne. || Le dessin d'un profil. || Dessin d'un visage. ⇒ Coupe. || Dessins formés par un dépôt cristallin. ⇒ Arborisation, ramification, végétation. || Dessins géométriques du givre. || Le dessin des veines du bois. ⇒ Veinure. || Le dessin sinueux de la ligne d'horizon.
11 La chaîne dentelée et toujours bleue des montagnes kabyles ferme par un dessin sévère, ce magnifique horizon de quarante lieues.
E. Fromentin, Une année dans le Sahel, p. 10.
12 Il continue à regarder la petite main sombre; il s'applique à suivre le dessin des veines jusqu'au poignet mince et musclé (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 166.
13 À terre, un coin du tapis est relevé, le milieu du tapis forme un pli disgracieux et le dessin usé cache à peine la corde.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XXI, p. 165.
14 (…) un nez au dessin généreux (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. I, X, p. 101.
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HOM. Dessein.
Encyclopédie Universelle. 2012.