CORPS GRAS
Les corps gras font partie d’un ensemble complexe de composés organiques, les lipides, présents dans les tissus animaux et végétaux. Ce sont des lipides simples, caractérisés par leur insolubilité dans l’eau et leur toucher onctueux.
Au point de vue chimique, les corps gras sont des composés du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène, qui appartiennent à la catégorie des esters, combinaison d’un trialcool, le glycérol, et d’acides organiques particuliers, les acides gras.
L’histoire des corps gras se confond avec celle de l’humanité. On retrouve des lampes à huile et des chandelles chez les Égyptiens qui connaissaient aussi le pouvoir lubrifiant des huiles, utilisées pour déplacer les matériaux lourds et graisser les essieux des chars. Ils se servaient également des huiles de palme et d’olive. Homère mentionne l’usage de l’huile d’olive pour faciliter le tissage par graissage des fibres. La fabrication du savon était connue du temps des Phéniciens, plusieurs siècles avant notre ère. Pline décrit les savons, et spécifie même qu’il y en a des durs et des mous.
Depuis des millénaires, les huiles sont employées dans la décoration des murs et des maisons, soit en mélange avec des couleurs, soit comme produit de protection des fresques. Dans l’Antiquité, les bateaux étaient rendus étanches par des mélanges de cires, d’huiles et de goudron. Les moulins pour presser les olives étaient connus en Égypte, en Grèce et à Rome. Ces pressoirs se retrouvent en Gaule romaine au IIe siècle de notre ère, avec leurs scourtins en fibres végétales. Les usages les plus nobles sont cependant ultérieurs, et débutent au Moyen Âge dans les domaines religieux, médical et artistique.
De la médecine médiévale nous viennent les huiles camphrée, iodée, goménolée. Les vernis transparents apparurent ensuite, à base d’huiles siccatives et de résines naturelles. Les siccatifs ne se répandirent qu’après Van Eyck au XVe siècle.
Si les propriétés étaient connues, la nature chimique restait mystérieuse. Il faut attendre les travaux de Karl Wilhelm Scheele en 1779 pour savoir que le glycérol fait partie des corps gras. Mais ce n’est que vers 1815 que Michel Eugène Chevreul (1786-1889) prouve la nature chimique exacte d’un corps gras, à savoir une combinaison du glycérol avec des acides gras. Il décrit ses travaux dans l’ouvrage désormais célèbre qui parut en 1823: Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale . Quelques années plus tard, C. A. Gusserow sépara les acides gras solides des acides gras liquides, montrant ainsi qu’il y avait au moins deux catégories d’acides gras.
C’est après la Première Guerre mondiale que les connaissances sur les corps gras se développent, avec notamment les travaux de T. P. Hilditch, consacrés à la structure glycéridique. À partir de 1950, on avance à la fois dans la connaissance des corps gras et dans les applications aussi bien alimentaires qu’industrielles. De nombreuses techniques nouvelles d’analyse, d’extraction et de transformation permettent de pousser encore plus loin les connaissances.
1. Principaux corps gras
Huiles et graisses sont très largement distribuées dans le monde vivant, que ce soit dans le règne animal, le règne végétal ou chez les micro-organismes. Il est tout à fait improbable de rencontrer un être vivant dépourvu de lipides. Chez les animaux, la fonction principale des corps gras est de constituer une réserve d’énergie. Mais ils possèdent des rôles plus discrets, comme l’apport d’éléments indispensables. Les graisses présentent également la propriété d’être un isolant thermique disposé sous le derme des animaux.
Dans le règne végétal, les lipides sont le plus souvent concentrés dans le fruit, pour permettre à l’embryon de disposer d’une source d’énergie nécessaire à son développement.
Végétaux couramment employés pour l’alimentation et l’industrie
Oléagineux alimentaires
L’arachide (Arachis hypogaea ), de la famille des Papilionacées, est une plante herbacée annuelle. Les principaux pays de culture sont l’Inde, la Chine, les États-Unis, l’Indonésie et le Sénégal. Curieusement, les fruits de cette plante mûrissent en terre. Après enlèvement de la coque ligneuse, il reste deux graines revêtues d’une fine pellicule brune: leur teneur en huile est de l’ordre de 50 p. 100. L’arachide est un oléagineux dont la production se situait au troisième rang mondial en 1989 avec 23 millions de tonnes par an.
Le soja (Glycine hispida ) est également une Papilionacée. Cette plante est connue depuis près de quatre mille ans. La graine de soja est assez pauvre en huile, de l’ordre de 20 p. 100. C’est de loin le premier oléagineux à être consommé, avec une production mondiale de plus de 107 millions de tonnes en 1989, fournie principalement par les États-Unis, le Brésil et la Chine. Le tourteau est riche en protéines utilisées pour l’alimentation du bétail, et, parfois, pour l’alimentation humaine. Sa culture en France, encore peu étendue, est en croissance constante.
Le tournesol (Helianthus annuus ) est une plante annuelle de la famille des Astéracées. La «fleur» du tournesol est en fait un ensemble de petites fleurs disposées en rosace sur un support ou capitule. Au moment de la fructification, on ne compte pas moins de trois cents graines, et parfois beaucoup plus, qui fournissent une huile destinée à l’alimentation. La production mondiale était de l’ordre de 22 millions de tonnes en 1989, ce qui met cet oléagineux au quatrième rang. Les principaux pays producteurs étaient l’U.R.S.S., l’Argentine et l’Europe centrale. En France, la culture du tournesol est très développée; sa production arrive au premier rang.
Le colza (Brassica napus , variété oleifera ) est une Brassicacée herbacée annuelle connue depuis le Néolithique. Il est cultivé en Chine et en Inde principalement, mais aussi en Europe centrale, au Canada et en France. Il représentait en 1989 le cinquième oléagineux par sa production mondiale annuelle, qui était estimée à 21,7 millions de tonnes. Avant 1970, la composition de l’huile de colza était différente: à la place de l’acide oléique on trouvait l’acide érucique (tabl. 1), acide gras suspecté de provoquer des lésions du myocarde. Depuis 1975, les généticiens ont mis au point des variétés de colza dont l’huile ne renferme plus d’acide érucique.
Le cotonnier (Gossypium , famille des Malvacées) existe à l’état sauvage dans les deux hémisphères. Cinq espèces sont cultivées. Avec 32 millions de tonnes produites en 1989, l’huile de coton occupait la deuxième place dans le monde. Les principaux producteurs étaient la Chine, l’Union soviétique, les États-Unis, l’Égypte et l’Amérique du Sud. Dans le coton, l’huile est un sous-produit (environ 20 p. 100 en poids par rapport à la graine).
Le palmier à huile (Elaeis quineensis , famille des Palmacées) fournit à la fois l’huile de palme et l’huile de palmiste. Les fruits sont des drupes disposées sur un régime qui peut en contenir 1 500 pour un poids de 15 kg en moyenne. Le mésocarpe, ou partie charnue du fruit, contient l’huile de palme. Le noyau est une coque dure qui renferme le palmiste, graisse végétale de composition différente de celle de l’huile. Le palmier à huile est particulièrement cultivé en Afrique, en Indonésie et en Malaisie. Avec une production mondiale de 10 millions de tonnes, l’huile de palme était, en 1989, le sixième corps gras au monde.
Le coprah est fourni par le cocotier (Cocos nucifera ), grand palmier de la famille des Palmacées. Les noix de coco sont groupées en régimes de dix à quinze fruits. La noix possède une coque dure et fibreuse qui protège une amande pulpeuse et blanche baignant dans un liquide laiteux. L’amande séchée renferme 60 p. 100 d’huile. La culture des cocotiers pour la récolte du coprah est surtout équatoriale: Philippines, Indonésie et Inde. Avec une production mondiale de 4,8 millions de tonnes en 1989, la culture du coprah est en stagnation.
L’olivier (Olea europea , famille des Oléacées) existe dans une aire de culture qui définit la zone méditerranéenne, laquelle couvre les pays du Moyen-Orient, ceux du Maghreb, l’Espagne, la Grèce, l’Italie et la France. Cependant, on retrouve l’olivier au Portugal, en Californie et en Amérique du Sud. La production mondiale était de l’ordre de 9,5 millions de tonnes en 1989, dont un peu plus du centième pour la France. L’olive renferme de 35 à 50 p. 100 d’une huile dont la couleur varie du jaune d’or au vert foncé selon les variétés. L’huile d’olive de première pression (cf. Extraction ) est un produit souvent fraudé, mais les méthodes modernes d’analyse permettent de déceler les adultérations à un niveau très bas.
Oléagineux industriels
Cette catégorie de corps gras est particulièrement importante sur le plan économique, car on s’accorde volontiers à reconnaître leur caractère irremplaçable. Des corps gras déjà cités pour leur usage alimentaire sont également utilisés dans l’industrie: les huiles de soja, de coprah, de colza ancien, ainsi que de palmiste. Deux huiles sont cependant dévolues uniquement aux applications industrielles: le lin et le ricin.
Le lin (Linum usitatissimum ) est une herbacée de la famille des Linacées. Originaire du Caucase, le lin est cultivé dans le monde entier, mais principalement en U.R.S.S., en Argentine, en Inde et aux États-Unis. L’huile de lin est dite siccative, c’est-à-dire qu’elle est capable de sécher à l’air lorsqu’elle est déposée en couche mince, d’où son emploi dans l’industrie des peintures et vernis. Cette propriété est due à la présence des acides linoléique et linolénique (tabl. 1).
Le ricin (Ricinus communis ) est une Euphorbiacée arbustive des régions tropicales. Les principaux pays producteurs sont l’Inde, le Brésil, l’U.R.S.S. et la Chine. L’huile de ricin est unique parmi toutes les huiles à cause d’un acide gras qui comporte une fonction alcool. Les usages de l’huile de ricin sont nombreux et variés: hauts polymères, lubrifiants, peintures et vernis.
Oléagineux pharmaceutiques et cosmétiques
Il est fait appel à un certain nombre de corps gras, soit comme excipient, soit comme source de substance active (amande douce, noisette, avocat, ricin, karité et cacao).
Depuis peu, la médecine s’intéresse à des huiles végétales rares – onagre, bourrache, cassis – qui se caractérisent par la présence d’acide gamma-linolénique. Cet acide gras joue un rôle important dans la biosynthèse des prostaglandines [cf. LIPIDES].
Corps gras animaux
Le plus connu et le plus usité des corps gras animaux est certainement le beurre. Contrairement aux corps gras cités précédemment, le beurre est une émulsion contenant environ 18 p. 100 d’eau dispersée dans la phase grasse. La production est de l’ordre de 7 millions de tonnes.
Tous les mammifères accumulent des corps gras entre chair et peau. Les principaux sont le suif de bœuf, le saindoux du porc, la graisse de mouton et celle de cheval. Le suif possède plusieurs qualités: la meilleure est destinée à l’alimentation, les autres aux utilisations industrielles. La production mondiale des graisses animales atteint 6,5 millions de tonnes.
Dans le monde marin aussi, les corps gras sont abondants. Chez la baleine, la couche de graisse atteint une épaisseur de 30 cm sous la peau. Entre les deux guerres, la graisse de baleine servait à la confection de la margarine. Les baleines sont protégées, mais l’homme a su trouver ailleurs les corps gras qui lui étaient nécessaires.
Dans les pays nordiques, les animaux marins ont toujours constitué la principale source de corps gras. La production mondiale est de l’ordre de 1,4 million de tonnes à partir principalement du hareng et du menhaden. D’autres poissons ne sont pêchés que pour leur foie riche en vitamines (morue, flétan).
2. Extraction
Dans la majorité des cas, les corps gras naturels sont masqués par les tissus qui les renferment. Pour les libérer, il est donc nécessaire de faire éclater les tissus par des procédés mécaniques, assistés, si nécessaire, par un solvant des huiles.
Huiles végétales
Les graines récoltées sont souvent accompagnées de poussières et de débris divers qu’il convient d’éliminer par tamisage ou lavage. Ainsi nettoyées, les graines sont décortiquées, puis broyées. L’huile est ensuite récupérée par pression en utilisant des presses continues à vis sans fin. Le tourteau contient encore quelques pour-cent d’huile. Cette huile résiduelle peut être éliminée par extraction avec un solvant. Cette dernière technique tend d’ailleurs à remplacer la pression dans tous les cas où cela est possible. Le principe en est simple: les graines broyées sont mises en contact avec un solvant. En pratique, seul est employé l’hexane, de point d’ébullition 68-71 0C et de densité 0,68. Dans les appareils d’extraction modernes, les graines broyées et l’hexane circulent en sens inverse, le système fonctionnant en continu.
L’hexane est récupéré par distillation et recyclé. Le résidu est l’huile brute. Le tourteau est traité à part, de façon à éliminer les restes de solvant.
L’obtention de l’huile d’olive suit un processus différent. Les fruits sont d’abord lavés, puis broyés dans une presse à vis. Le mélange d’huile et d’eau est ensuite centrifugé. On termine l’opération, si nécessaire, par une filtration qui clarifie l’huile. Cette dernière, qui n’a subi aucun traitement chimique, est appelée «huile vierge» ou «de première pression à froid». Tout autre traitement fait perdre à l’huile d’olive ces dénominations, qui reflètent sa qualité.
Corps gras animaux
Les tissus animaux riches en graisses sont récupérés dans les abattoirs et les boucheries. Après séparation de la viande et des os, les tissus animaux sont broyés, puis hachés mécaniquement. Pour libérer la graisse, on procède par chauffage dans de l’eau vers 70 0C, en chaudron, ou mieux en autoclave. À cette température, la graisse est fondue. On sépare enfin la graisse et l’eau par centrifugation. De la qualité des produits de départ et de la rapidité de l’extraction dépend la qualité du produit fini. Il est conseillé de travailler à l’abri de l’air, car les corps gras animaux sont naturellement mal protégés contre l’agression de l’oxygène.
3. Raffinage
Les corps gras végétaux contiennent des impuretés qui les rendent impropres à la consommation en l’état. Il est nécessaire de supprimer celles-ci pour obtenir un produit sans couleur, sans odeur et sans goût. Les opérations sont au nombre de quatre: démucilagination, neutralisation, décoloration et désodorisation. Actuellement, le raffinage est continu, ce qui contribue à améliorer la qualité.
Démucilagination
Parmi les impuretés des huiles brutes se trouvent les mucilages, lesquelles substances se partagent entre l’eau et l’huile sans se dissoudre. Chimiquement, les mucilages sont des phospholipides (glycérides liés à l’acide phosphorique et à une base azotée). Ces mucilages sont floculés par addition d’eau chaude acidulée par l’acide citrique. Il suffit de centrifuger pour éliminer les produits d’hydratation des phospholipides.
Neutralisation
Les graines ont tendance à s’acidifier au cours de leur conservation. L’acidité organique contribue à augmenter l’instabilité des huiles. Il convient donc de procéder à une neutralisation par de la soude aqueuse à chaud. On ajoute du sel pour faciliter le relargage des savons, et on sépare ceux-ci par centrifugation. Pour finir, on lave l’huile à l’eau, et on la sèche sous vide. Les produits éliminés, ou «pâtes de neutralisation», renferment les savons de sodium et de l’huile entraînée.
Décoloration
À la sortie de la neutralisation, l’huile reste encore trop foncée pour être commercialisée ainsi. Les pigments responsables de la coloration doivent être éliminés. Pour cela, l’huile est traitée avec une terre activée vers 90 0C, sous agitation et surtout sous azote pour éviter l’oxydation. La terre est séparée par filtration.
Désodorisation
Cette opération a pour but de produire une huile plate à l’odeur et au goût, ou à peine marquée par sa saveur sui generis . Pour cela l’huile est chauffée à plus de 200 0C sous un bon vide, et de la vapeur d’eau est injectée en même temps, entraînant les produits odorants. Ceux-ci, accompagnés d’un peu d’huile et d’une partie de l’insaponifiable, sont condensés dans des pièges refroidis.
4. Composition
Un corps gras est constitué de 98 à 99 p. 100 de glycérides et de 1 à 2 p. 100 d’insaponifiable. Les acides gras contribuent à 95 p. 100 environ de la masse des triglycérides.
Acides gras
Un acide gras comporte un groupement carboxylique, ou fonction acide, et une chaîne hydrocarbonée. Cette partie de la molécule différencie les acides gras, dont on connaît près de cent représentants dans le monde végétal, et plusieurs centaines dans le règne animal. On distingue couramment les acides gras saturés et les insaturés . Ces grandes catégories se subdivisent en sous-catégories.
Dans les saturés, la chaîne carbonée est paire ou impaire, ramifiée ou droite. Dans le règne végétal, les acides gras saturés sont pairs et à chaîne droite. Ils sont toujours minoritaires, mais présents dans toutes les huiles. C’est l’inverse dans le règne animal. L’acide gras le plus court, l’acide butyrique présent dans le beurre, n’a que 4 carbones, alors que l’acide érucique, constituant principal de l’ancienne huile de colza, en comporte 22. Les acides saturés sont solides à partir de C10, la température de fusion dépassant 80 0C pour les termes les plus élevés.
Les acides insaturés sont appelés ainsi parce qu’ils présentent un manque d’atomes d’hydrogène sur deux carbones consécutifs: deux atomes d’hydrogène en moins correspondent à une insaturation ou double liaison . Il peut y avoir de une à six doubles liaisons par chaîne.
Ces doubles liaisons répondent à trois critères fondamentaux pour la vie de l’homme:
– elles sont cis , c’est-à-dire que les deux hydrogènes portés par les carbones de la double liaison sont orientés du même côté d’un plan. Inversement, si les deux hydrogènes ne sont pas du même côté, on dit qu’elles sont trans , ce qui n’est pas une disposition naturelle;
– les doubles liaisons se disposent en alternance avec un carbone lié à deux hydrogènes, soit 漣CH 略CH 漣CH2 漣CH 略CH 漣;
– dans les acides gras insaturés les plus fréquents, la position des doubles liaisons par rapport au carboxyle est la suivante: entre C9 et C10 pour l’acide oléique, C9 漣C10 et C12 漣C13 pour l’acide linoléique, C9 漣C10, C12 漣C13 et C15 漣C16 pour l’acide linolénique. Si d’aventure l’un des trois caractères se trouvait modifié, l’acide gras insaturé perdrait sa fonction biologique. Toutes les données de structure relatives aux acides gras les plus courants sont rassemblées dans le tableau 1.
Composition en acides gras des huiles et graisses
La composition des corps gras en acides gras traduit une certaine constance, caractéristique de la source. Néanmoins, des variations parfois importantes apparaissent sous l’effet des conditions de milieu, notamment la latitude et le climat. C’est le cas de la teneur en acide oléique de l’huile d’olive, et en acide linolénique de l’huile de lin. C’est pourquoi les compositions présentées dans le tableau 2 comportent une valeur inférieure et une valeur supérieure pour tous les acides gras. Les déterminations ont été effectuées sur un minimum de vingt échantillons de provenance différente. On constate dans l’arachide, le coton et l’olive des écarts plus importants que dans les autres corps gras.
Insaponifiables
À côté des acides gras et du glycérol, les corps gras renferment des constituants qui forment l’insaponifiable. On y rencontre des substances qui présentent des propriétés biologiques (stérols et tocophérols), des colorants (caroténoïdes et chlorophylle), des carbures et des alcools. On peut dire qu’un insaponifiable caractérise une huile aussi bien, sinon mieux, que ses glycérides.
Les stérols sont des molécules polycycliques à haut point de fusion. Citons le cholestérol dans le règne animal (27 carbones). Les stérols végétaux, ou phytostérols, comprennent le campestérol et le brassicastérol (28 carbones), le bétasitostérol et le stigmastérol (29 carbones). Toutes les huiles renferment des stérols, de 100 à 1 000 mg pour cent grammes selon le cas.
Les tocophérols sont présents dans les huiles végétales, qui en contiennent de 50 à 300 mg pour cent grammes. Ce sont des substances à caractère phénolique, dont la propriété est de protéger les corps gras contre les agressions oxydatives. Parmi les tocophérols, signalons la vitamine E, ou alphatocophérol, qui intervient dans le processus de la reproduction animale.
5. Propriétés
Les propriétés des corps gras sont liées à la structure glycéridique et à la nature des acides gras.
Propriétés physiques
Les huiles sont fluides et les graisses sont concrètes à température ambiante. Cela tient à la différence de composition en acides gras. Les premières sont riches en acides gras insaturés à bas point de fusion et, inversement, les secondes renferment des acides gras saturés solides à l’ambiance. Mais deux corps gras peuvent présenter la même composition en acides gras et des propriétés physiques différentes. Cela est dû à la distribution des acides gras dans les triglycérides. Selon que certains acides gras estérifient l’une ou l’autre des trois fonctions alcools du glycérol, on peut obtenir des résultats différents. La répartition la plus simple est celle qui est régie par les lois de la statistique. Mais la nature introduit parfois certaines anomalies. L’exemple typique est celui du saindoux, dont le toucher est naturellement granuleux. Lorsqu’on provoque la redistribution au hasard des acides gras, le saindoux prend une texture plus fine, et plus apte à son utilisation.
Les triglycérides, même purs, sont des composés polymorphes, en ce sens qu’ils revêtent plusieurs formes cristallines, selon les conditions de passage de l’état solide à l’état liquide, et inversement. Chaque forme cristalline a un point de fusion, le plus élevé étant celui de la forme la plus stable. Il est donc impossible de mesurer le point de fusion d’une graisse; aussi parle-t-on d’intervalle de fusion.
La viscosité des huiles est relativement élevée, mais du même ordre de grandeur dans un assez large domaine de température pour toutes les huiles, sauf l’huile de ricin, plus visqueuse. Les corps gras ont été utilisés pendant longtemps pour leurs propriétés lubrifiantes. Maintenant, les huiles de graissage proviennent du pétrole.
Les corps gras sont des mélanges, ce qui explique leurs propriétés physiques mal définies. En effet, tous renferment plus d’un acide gras. De ce fait, le nombre de triglycérides différents est élevé. On considère que pour n acides gras, il se forme:
triglycérides, parmi lesquels se trouvent les triglycérides mixtes (acides gras différents) et les triglycérides homogènes (acides gras identiques).
Propriétés chimiques
Les propriétés chimiques sont à la fois celles de la fonction ester ou acide et celles de la chaîne carbonée des acides gras.
Propriétés de la fonction
Par action de l’eau à chaud sous pression, les parties alcool (glycérol) et acide (acides gras) se séparent. C’est l’hydrolyse . La libération des acides gras est progressive et s’accompagne de la formation de glycérides partiels:
Un résultat analogue est obtenu en traitant le corps gras par de la soude aqueuse, c’est la saponification :
Les sels de sodium des acides gras constituent le savon. Il est également possible de fabriquer des sels d’autres métaux (calcium, zinc).
L’ester peut être réduit en alcool gras par l’hydrogène et un catalyseur à base de cuivre, à 300 0C, sous pression élevée. Cette réaction est appelée hydrogénolyse :
Certains dérivés azotés peuvent être obtenus en traitant les acides gras par de l’ammoniac à chaud. On obtient d’abord les amides, qui sont ensuite déshydratés en nitriles grâce à un catalyseur. Pour finir, ces derniers sont hydrogénés en présence de nickel pour donner les amines
Ces dérivés de la fonction ester ou acide sont les plus communs et les plus largement développés dans l’industrie.
Propriétés de la chaîne carbonée
La chaîne saturée présente une relative inertie chimique. Par contre, la chaîne insaturée peut être le siège de nombreuses réactions au niveau de l’insaturation. Nous ne rappellerons ici que les principales.
Parmi les réactions d’addition, on trouve une transformation importante, l’époxydation :
Une autre réaction est l’addition d’hydrogène ou hydrogénation catalytique , qui est appliquée à grande échelle pour «durcir» les huiles et les stabiliser en vue de leur utilisation en margarinerie:
Il est connu depuis longtemps que les corps gras exposés à l’air et à la lumière subissent des phénomènes oxydatifs qui se traduisent par l’apparition d’une odeur de rance et la formation de composés nouveaux. L’ensemble des réactions chimiques qui président à la dégradation des corps gras s’appelle autoxydation . À l’origine du processus, une molécule d’oxygène se fixe en alpha de la double liaison pour donner un hydroperoxyde:
Plus les doubles liaisons sont nombreuses, plus la vitesse d’autoxydation est élevée. Les tocophérols naturellement présents dans les huiles protègent celles-ci des effets de l’oxygène.
6. Utilisations
Les trois quarts des corps gras produits dans le monde sont utilisés pour l’alimentation. Le reste est destiné aux applications industrielles.
Alimentation
Les corps gras constituent une source d’énergie: 9 kcal/g ou 38 kJ, soit deux fois plus que les sucres ou les protéines. Ils sont de plus une source de vitamines liposolubles (A.D.E.) et d’acides gras dits essentiels, tel l’acide linoléique, que l’homme ne peut synthétiser [cf. LIPIDES]. Cet acide gras, présent dans de nombreuses huiles végétales, justifie la vogue de ces dernières en diététique. De plus, contrairement aux corps gras animaux, les huiles végétales ont un très faible rapport acides gras saturés/acides gras insaturés, ce qui contribue à limiter l’accroissement du cholestérol sanguin.
Ce rapport tend à être maintenu dans les margarines riches en acides gras insaturés. La margarine, dont l’invention date de 1869, est due à un Français, Henri Mège-Mouriès. C’est une émulsion eau (16 p. 100) dans huile, obtenue par barattage à température contrôlée, en présence de monoglycéride comme émulsifiant. La phase aqueuse contient du lait écrémé, de l’amidon et du sel. La phase grasse est judicieusement choisie de façon à donner au produit fini plasticité, propriétés organoleptiques et qualité diététique attendue. En général, on utilise un mélange d’huiles végétales et de graisses hydrogénées.
Usages industriels
Il est pratiquement impossible de faire la liste des activités industrielles dans lesquelles les corps gras et leurs dérivés trouvent leur place.
L’usage le plus ancien est la fabrication du savon, longtemps pratiquée en cuve par les «maîtres savonniers». Le savon est actuellement fabriqué par des procédés continus. À la fin de la saponification proprement dite, le savon est relargué par une solution de sel, lavé et séché, avant d’être façonné. Dans bien des cas, le savon a fait place aux détergents pétrochimiques. Certains détergents sont cependant encore fabriqués à partir des corps gras en raison de leur biodégradabilité: sulfates d’alcools gras, éthers sulfates, esters alphasulfonates, dérivés des amines et ammoniums quaternaires.
Dans le domaine des produits de revêtement, les dérivés de corps gras tiennent encore leur place avec les peintures à l’huile, les résines alkydes et les dimères.
En lubrification, les dérivés de l’huile de ricin, les sels de métaux lourds et divers esters de diacides ont toujours leurs usages particuliers.
Dans les matières plastiques, les dérivés de corps gras sont surtout utilisés comme plastifiants-stabilisants (soja époxydé, esters de diacides). Il faut cependant citer un polyamide issu de l’huile de ricin, le Rilsan.
De nombreux autres domaines font appel aux corps gras et à leurs dérivés. Produits respectant l’environnement, indéfiniment renouvelables et en constante mutation, les corps gras ne peuvent connaître qu’un plus grand développement à l’avenir.
Encyclopédie Universelle. 2012.