nier [ nje ] v. tr. <conjug. : 7>
• v. 1450; neier « nier Dieu » 980; lat. negare
1 ♦ Rejeter (un rapport, une proposition, une existence); penser, se représenter (un objet) comme inexistant; déclarer (un objet) irréel. ⇒ contester, démentir, disconvenir (cf. Mettre en doute, s'inscrire en faux). L'homme « est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible » (Pascal). Nier l'évidence. Nier un fait, un événement; l'existence, la possibilité d'une chose. L'accusé nie tout. Absolt L'accusé persiste à nier (ce dont on l'accuse). Nier ce que qqn vient d'affirmer. ⇒ contredire. « les stoïciens prétendaient qu'on supprime la douleur en la niant » (Benda). — Nier l'existence de Dieu. Absolt « L'Église affirme, la raison nie » (Hugo).
2 ♦ Absolt Refuser, rejeter les croyances, les valeurs proposées. Esprit destructeur qui ne fait que nier. ⇒ négateur, négatif. Nier et douter. « L'homme est la créature qui, pour affirmer son être et sa différence, nie » (Camus).
3 ♦ NIER (et l'inf. passé). « Il nia avoir frappé la bête » (Bernanos).
4 ♦ NIER QUE (et l'indic.). Il nie qu'il est venu à quatre heures (il est pourtant venu); — (et subj.) Il nie qu'il soit venu (on ne sait s'il est venu ou non).— « Je ne nie pas que [...] ce sentiment d'affinités ne se ramène à des souvenirs confus » (Romains),je pense qu'il s'y ramène.
5 ♦ Vx Refuser, dénier. — Mod. Dr. Nier un dépôt, une dette, soutenir qu'on n'en est point débiteur. Nier sa signature. ⇒ désavouer.
6 ♦ Refuser l'idée de, par un démenti, un défi moral. « Tout homme ne vit que pour nier la mort » (Nizan). ⇒ occulter.
⊗ CONTR. Affirmer, assurer, attester, avouer, certifier, confesser, confirmer, croire, maintenir, reconnaître.
● nier verbe transitif (latin negare) Dire que ne… pas ; contester, démentir : Il nie qu'il soit (qu'il est, être) coupable. Affirmer avec force l'inexistence de quelque chose, le rejeter comme faux : Nier l'existence de Dieu, que Dieu existe, que Dieu puisse exister. Ne pas se reconnaître l'auteur d'un crime, d'une faute. ● nier (citations) verbe transitif (latin negare) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Une idée que j'ai, il faut que je la nie : c'est ma manière de l'essayer. Histoire de mes pensées Gallimard Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit. Propos sur la religion P.U.F. Antonin Artaud Marseille 1896-Ivry-sur-Seine 1948 On ne nie bien que dans le concret. Lettre à André Breton, 14 septembre 1937 Gallimard Jean Rostand Paris 1894-Ville-d'Avray 1977 Académie française, 1959 Bon gré mal gré, l'on vit de ce que l'on nie. Pensées d'un biologiste Stock ● nier (difficultés) verbe transitif (latin negare) Conjugaison Attention au redoublement du i aux première et deuxième personnes du pluriel, à l'indicatif imparfait et au subjonctif présent : (que) nous niions, (que) vous niiez. Construction 1. Nier que (+ subjonctif ou indicatif). Nier que se construit le plus souvent avec le subjonctif : je nie qu'elle soit partie à sept heures. L'indicatif, plus rare, insiste davantage sur la négation (ou sur l'affirmation, si la principale est à la forme négative ou interrogative) de ce qui est énoncé dans la subordonnée : elle nie qu'elle est partie à sept heures ; je ne nie pas qu'elle est partie à sept heures ; niez-vous qu'elle est partie à sept heures ? 2. Nier (+ infinitif) : il nie l'avoir rencontrée. Nier de (+ infinitif) : il nie de l'avoir rencontrée. Cette construction vieillie n'est plus employée qu'à l'écrit, dans le registre très soutenu. ● nier (expressions) verbe transitif (latin negare) Ne pas nier, reconnaître quelque chose comme exact, vrai : Je ne nie pas que le problème (ne) soit difficile. Nier une dette, refuser de reconnaître qu'on en est débiteur. Nier sa signature, la désavouer. ● nier (homonymes) verbe transitif (latin negare) ● nier (synonymes) verbe transitif (latin negare) Dire que ne… pas ; contester, démentir
Synonymes :
- démentir
- disconvenir de
- réfuter
- s'inscrire en faux contre
Affirmer avec force l'inexistence de quelque chose, le rejeter comme faux
Contraires :
- affirmer
Ne pas se reconnaître l'auteur d'un crime, d'une faute.
Synonymes :
- dénier
- désavouer
- se défendre de
Contraires :
- avouer
● nier
verbe intransitif
Refuser de reconnaître quelque chose : Il continue de nier malgré l'évidence des preuves.
Refuser de reconnaître les valeurs établies : Esprit qui ne fait que nier.
● nier (citations)
verbe intransitif
Johann Wolfgang von Goethe
Francfort-sur-le-Main 1749-Weimar 1832
MÉPHISTO — Je suis l'esprit qui toujours nie, et c'est avec justice : car tout ce qui existe est digne d'être détruit ; il serait donc mieux que rien n'existât.
MEPHISTO — Ich bin der Geist, der stets verneint !
Und das mit Recht ; denn alles, was entsteht,
Ist wert, daß es zu Grunde geht ;
Drum besser wär's, daß nichts entstünde.
Premier Faust, cabinet d'étude
● nier (homonymes)
verbe intransitif
nier
v. tr.
d1./d Rejeter comme faux, comme inexistant. Nier un fait. Nier l'évidence.
|| Nier (+ inf.). Il nie être venu.
|| Nier que (+ indic.). Il nie que je suis venu.
— Nier que (+ subj.). Il nie que je sois venu.
d2./d Nier un dépôt, une dette: déclarer n'avoir pas reçu de dépôt, n'avoir pas fait de dette.
⇒NIER, verbe trans.
A. —Déclarer ne pas croire en l'existence de quelque chose, laquelle peut ou non être mise en doute. Le renouvellement littéraire que tu annonces, je le nie, ne voyant jusqu'à présent ni un homme nouveau, ni un livre original, ni une idée qui ne soit usée (FLAUB., Corresp., 1852, p.452). Impossible d'affirmer ni de nier avec certitude l'existence de l'âme, la liberté (MARTIN DU G., J. Barois, 1913, p.524). Ceux d'entre les Anciens qui admettent un hasard absolu, comme Aristote par exemple, sont évidemment obligés de nier le destin (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p.168).
— En partic. Ne pas admettre la réalité de quelque chose dont l'existence ne peut être mise en doute. Synon. récuser; anton. reconnaître.Le propriétaire est un dépositaire infidèle qui nie le dépôt commis à sa garde, et veut se faire payer les jours, mois et années de son gardiennage (PROUDHON, Propriété, 1840, p.241). Tout ceci, non pas pour nier ta souffrance, mon pauvre ami, car je sais que tu souffres et que de plus endurcis que toi crèvent à la peine, mais pour me rassurer un peu, moi (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec Rivière], 1906, p.140):
• 1. Les bases de la médecine expérimentale doivent être physiologiques. —Cette déclaration ne nie pas la médecine d'observation qui existe indépendamment de la médecine expérimentale comme histoire naturelle des maladies (de même que la chimie ne nie pas la minéralogie, qui existe indépendamment comme histoire naturelle des minéraux).
Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p.9.
— Locutions
♦Nier l'évidence. Le surnaturel existe, qu'il soit chrétien ou non. Le nier, c'est nier l'évidence, c'est barboter dans l'auge du matérialisme, dans le bac stupide des libres-penseurs! (HUYSMANS, Là-bas, t.2, 1891, p.221).
♦Nier la réalité. Certains malades cessent de présentifier leur entourage et arrivent à nier la réalité des parents même qu'ils côtoient tous les jours (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.310).
— Emploi abs. Polyte (...) se taisait farouchement, n'ouvrait la bouche, contraint et forcé, que pour nier contre toute évidence (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p.78):
• 2. Nier consiste donc bien toujours à présenter sous une forme tronquée un système de deux affirmations, l'une déterminée qui porte sur un certain possible, l'autre indéterminée, se rapportant à la réalité inconnue ou indifférente, qui supplante cette possibilité...
BERGSON, Évol. créatr., 1907, p.293.
— P. ext. Entrer en contradiction avec l'existence de quelque chose ou de quelqu'un. Synon. rejeter, refuser. Notre dogme est ici d'accord avec ta loi; Car c'est nier César que de s'affirmer roi (HUGO, Fin Satan, 1885, p.869). L'assentiment au communisme, selon moi, loin de nier l'individualisation, la réclame (GIDE, Journal, 1935, p.1231):
• 3. ... Marx pense que le travail est l'activité négatrice par excellence, celle par laquelle l'homme nie la nature, c'est-à-dire lutte contre elle, la maîtrise, la domine et la met peu à peu à son service.
LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p.32.
— Emploi pronom. réfl.:
• 4. Proudhon, avec une sorte d'ironie exaltée et victorieuse, notait à propos de cette loi de 1841 les contradictions de la propriété bourgeoise, obligée ainsi, pour son propre développement, de se nier elle-même.
JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.233.
B. —1. Ne pas reconnaître comme sien. Synon. désavouer, démentir. Il entamait une querelle, et, pour avoir raison, il niait souvent sa consigne antérieure (BALZAC, Lys, 1836, p.195). Jamais, d'ailleurs, Barrès n'a nié son penchant pour le rêve, ni pour la dissolution de l'être (MAURIAC, Journal 1, 1934, p.76):
• 5. Il convient, je crois, que vous ne parliez pas de cette lettre à tout autre qu'à M. de Staël, mais je n' ai jamais nié une seule de mes actions à une personne que j'aime et que j'estime autant que vous.
STAËL, Lettres div., 1794, p.588.
— En partic. Nier une dette. Nier qu'on ait une dette à payer. Après des discours infinis, M. Leuwen ne put plus nier la dette (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1836, p.312).
— THÉOL. Déclarer qu'on ne reconnaît plus Dieu ou que l'on n'admet pas son existence. Ce n'était pas moi-même, à l'état de personne, que je voulais aimer et respecter. C'était moi-même à l'état de créature humaine, c'est-à-dire d'oeuvre divine, pareille aux autres, mais ne voulant pas me laisser moralement détériorer par ceux qui niaient et raillaient leur propre divinité. Cet orgueil-là, je l'ai encore (SAND, Hist. vie, t.4, 1855, p.301).
♦Emploi abs.:
• 6. Le cas de Gide ne ressemblait à aucun autre: la plupart des chrétiens n'ont jamais dépassé la lettre du catéchisme, ils n'ont pas connu Dieu. C'est un mot qui n'a jamais rien recouvert pour eux. Ils nient, mais ne renient pas.
MAURIAC, Mém. intér., 1959, p.189.
2. Vieilli. Ne pas reconnaître l'appartenance de quelque chose à quelqu'un, refuser à quelqu'un de prendre en considération quelque chose. Synon. dénier. Nier qqc. à qqn. Ces nobles, à qui l'on nie leur propre nom, ou à qui on ne l'accorde que sous bénéfice d'inventaire, peuvent-ils inspirer quelque crainte? (CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.21). Je nie à l'État le droit de violenter, pour quelque motif que ce soit, les hommes dans leur conscience... (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p.539):
• 7. ... je vous donne absolution générale pour tous vos péchés, dont le plus grand, dit votre vieil ami, est de lui nier la belle et longue lettre qu'il vous a écrite il y a quelque temps et dont vous ne voulez pas lui tenir compte.
Mme DE CHATEAUBR., Mém. et lettres, 1847, pp.255-256.
C. —Déclarer ne pas croire en la vérité de quelque chose. Synon. contester. La témérité n'allait pas jusqu'à nier la valeur des horoscopes, ou à contester la part des mouvemens célestes dans les événemens qui agitent la terre (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p.161). Quiconque travaille devient propriétaire: ce fait ne peut être nié dans les principes actuels de l'économie politique et du droit (PROUDHON, Propriété, 1840, p.212):
• 8. Je demanderai aux chrétiens s'ils croient renverser les fondemens de l'histoire quand ils attaquent ces oracles prétendus, et si l'orateur romain eût cru renverser aussi les fondemens de l'histoire en niant la vérité de leurs prophéties, en supposant qu'il les eût connues?
DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p.405.
— En partic. Ne pas reconnaître la vérité d'une proposition ou d'un jugement dont le bien-fondé peut ou non être mis en doute. Depuis que l'avocat Grégoire avait nié que ses clients eussent des chiens, Me Quantin les avait remplacés par d'énormes molosses (CHAMPFL., Bourgeois Molinch., 1855, p.203). Christophe jubilait. Il avait complètement oublié que, cinq minutes avant, il niait la possibilité d'un mouvement populaire (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p.1321):
• 9. ... par rapport au dieu fini des Grecs, on est mal venu à nier que l'idée d'obligation morale soit philosophique, car elle en est une suite nécessaire...
GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p.159.
Rem. 1. Nier est gén. suivi d'une prop. sub. au subj. L'ind. peut cependant être employé pour indiquer que, selon le point de vue du locuteur, le bien-fondé de la prop. ne peut être mis en doute. Car c'est un fait que personne ne saurait nier, que Napoléon est venu librement et de bonne foi à bord du Bellérophon (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.62). Le machiavélisme (...) nie pratiquement que l'homme est sorti des mains de Dieu, et qu'il garde en soi, malgré tout, la grandeur et la dignité d'une telle origine (MARITAIN, Human. intégr., 1936, p.241). 2. Lorsque la prop. est au subj., elle peut contenir un ne explétif (v. ne III) si la prop. princ. qui contient nier est à la forme négative ou interr. Qui pourrait nier que le dogme d'Adam ne soit la clé de voûte du mosaïsme? (P.LEROUX, Humanité, 1840, p.956). Celui-ci, au moins, fit Prince, on ne peut nier qu'il ne soit sincère (ARLAND, Ordre, 1929, p.157). 3. Nier peut aussi être suivi d'un inf. Il nia avoir jamais écrit à Mlle de Jussat (BOURGET, Disciple, 1889, p.37). M. le colonel Picquart a formellement nié avoir communiqué à personne, soit verbalement, soit par écrit, des documents ou renseignements ayant trait au procès Dreyfus (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p.25). L'inf. peut être précédé de la prép. de, mais le tour est vieilli ou littér. Il n'a pas nié d'avoir acheté les boeufs; mais il a dit que rien n'était convenu pour la livraison, ni sur le prix des jours de retard (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p.134). Somme, j'ai dit, que vous-même devrez oublier de m'avoir donnée, que moi-même je dois être prêt à nier d'avoir touchée (GIDE, Caves, 1914, p.754). 4. La constr. nier à qqn ou à soi-même + (ce) que est rare. Je ne vous nierai point, madame, reprit-il, ce que vous avez pénétré (GENLIS, Chev. Cygne, t.3, 1795, p.26). Toi maintenant qui m'aimes, qui m'aimes tant que tu voudrais te le nier, est-ce moi que tu aimes dans moi ou un autre homme que tu as cru y trouver, et qui ne s'y rencontre pas...? (FLAUB., Corresp., 1846, p.387).
D. —P. ext.
1. Ne pas reconnaître la valeur ou la validité (de quelque chose ou de quelqu'un). On aura bien encore la ressource de déclarer qu'au fond je ne suis pas sincère, que quelque chose en moi reconnaît cette vérité morale que je nie en paroles (G. MARCEL, Journal, 1919, p.209). Ils regardaient comme illégitime le pouvoir des princes païens sur les peuples infidèles, et, en définitive, niaient la légitimité des pouvoirs terrestres fondés sur le droit naturel (MARITAIN, Primauté spirit., 1927, p.184).
— [Le compl. désigne une pers.] Contester. Chaque jour, Balzac a grandi davantage. Discuté et nié par ses contemporains, il est resté debout après sa mort (ZOLA, Doc. littér., Sand, 1881, p.185).
2. Ne pas tenir compte de quelque chose, compter pour rien quelque chose. Quelques voies qu'il emprunte, l'homme ne peut s'en tenir à la mort, ni la regarder fixement. Tous ses efforts, tout son comportement la nient. Il vit comme si elle n'existait pas, ou du moins comme s'il en pouvait triompher (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p.271):
• 10. Cette voix [du Pape] qui vient de dicter au monde catholique le parti à prendre, elle était la seule qui pût parler au milieu des tortures et des cris, la seule qui pût nier tranquillement et sans crainte la force aveugle des blindés.
CAMUS, Actuelles I, 1944, p.67.
Prononc. et Orth.:[nje], (il) nie [ni]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 980 «renier (Dieu)» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 194); b) ca 1160 «démentir» (Enéas, 8535 ds T.-L.); 2. ca 1180 «refuser quelque chose à quelqu'un» (Fierabras, éd. A. Kroeber et G. Servois, p.9), condamné comme n'étant ,,pas du bel usage`` ds Trév. 1704. Du lat. negare «dire non; affirmer que... ne... pas» et «refuser (quelque chose à quelqu'un)»; à l'initiale ni- l'a emporté sur la forme régulière ney- pour éviter toute confusion avec noyer et parce qu'elle rappelait ainsi la négation ne, ni. Fréq. abs. littér.: 3643. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 4882, b) 3626; XXe s.: a)5186, b) 6261.
DÉR. Nieur, adj. et subst. masc. (Celui) qui nie par habitude ou avec obstination. Et on affirmait, on déclarait les faits indiscutables, tandis que le nieur acharné répétait: «Des blagues! des blagues! des blagues!» (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Magnétisme, 1882, p.777). [Tartarin] en voulait (...) à ce siècle nieur, démolisseur, impie, qui ne respecte rien, ni gloire ni grandeur, coquin de sort! (A. DAUDET, Tartarin Alpes, 1885, p.81). — []. — 1re attest. 1563 (RONSARD, Remonstrance au peuple de France, 104 ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t.11, p.68), une autre attest. au XVIe s. (v. HUG.), repris au XIXe s. 1882 (MAUPASS., loc. cit.); de nier, suff. -eur2.
BBG. —BARB. Misc. 29 1944-52, pp.429-431; p.433. —LANLY (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.104-105.
nier [nje] v. tr.
ÉTYM. V. 1265; neier « nier Dieu », 980; du lat. negare.
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1 Rejeter (un rapport, une proposition, une existence); penser, se représenter (un objet) comme inexistant; déclarer (un objet) irréel. ⇒ Contester, démentir, disconvenir; doute (mettre, révoquer en doute); faux (s'inscrire en faux); négation. || L'homme est disposé à nier ce qui lui est incompréhensible (cit. 5). || Ce qui est évident (cit. 2) et ne peut être nié (⇒ Niable; indéniable). ☑ Loc. Nier l'évidence (→ Gloire, cit. 27). ☑ Nier la lumière en plein midi. — Nier un fait, un événement; l'existence, la possibilité d'une chose… || Nier une faute, une erreur (qu'on a commise). → Confesser, cit. 18. — Spécialt. || L'accusé nie tout, et, absolt., l'accusé persiste à nier. — Nier la beauté d'un paysage (→ Inique, cit. 2). — Nier une croyance, une doctrine (→ Autoriser, cit. 19), une théorie, en nier le bien-fondé, la vérité, la justesse. || Nier ce que qqn vient d'affirmer. ⇒ Contredire, dire (dire le contraire).
1 Pourquoi s'obstiner à nier éternellement les faits ?
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 93.
2 (…) c'est un pareil homme qui, trouvé sur la voie publique en flagrant délit de vol, à quelques pas d'un mur escaladé, tenant encore à la main l'objet volé, nie le flagrant délit, le vol, l'escalade, nie tout, nie jusqu'à son nom, nie jusqu'à son identité !
Hugo, les Misérables, I, VII, IX.
3 (…) m'être vanté (…) de plusieurs vilaines actions que je n'ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j'ai accomplis avec joie (…)
Baudelaire, le Spleen de Paris, X.
4 (…) les stoïciens prétendaient qu'on supprime la douleur en la niant; la chose est contestable pour la douleur, mais elle est rigoureusement vraie pour la perfectibilité morale.
Julien Benda, la Trahison des clercs, p. 195.
♦ (En emploi négatif). || Je ne nie pas cela, je ne le nie pas : je l'admets.
♦ Nier Dieu, nier l'existence de Dieu, la vérité de la religion… ⇒ Renier (→ Église, cit. 8; matérialisme, cit. 3). — Absolt. || Croire (cit. 66) ou nier. || L'Église affirme (cit. 6), la raison nie (Hugo).
5 Enfant d'un siècle sceptique plutôt qu'incrédule, flottant entre deux éducations contraires, celle de la Révolution, qui niait tout, et celle de la réaction sociale, qui prétend ramener l'ensemble des croyances chrétiennes, me verrais-je entraîné à tout croire, comme nos pères les philosophes l'avaient été à tout nier ?
Nerval, les Filles du feu, « Isis », III.
2 Absolt. Refuser, rejeter les croyances, les valeurs admises ou proposées. ⇒ Négation (→ Idée, cit. 3). || Esprit destructeur, négateur, qui ne fait que nier. ⇒ Critiquer. || Nier et douter. || Formule servant à nier. ⇒ Négatoire.
6 Nier, croire, et douter bien, sont à l'homme ce que le courir est au cheval.
Pascal, Pensées, IV, 260.
7 (…) toutes les fois que j'accole un « non » à une affirmation, toutes les fois que je nie (…) 1o je m'intéresse à ce qu'affirme un de mes semblables, ou à ce qu'il allait dire, ou à ce qu'aurait pu dire un autre moi que je préviens; 2o j'annonce qu'une seconde affirmation, dont je ne spécifie pas le contenu, devra être substituée à celle que je trouve devant moi.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 289.
8 (…) il fallait affirmer, ou mieux encore, nier (La négation a une force double de l'affirmation…)
R. Rolland, Jean-Christophe, La révolte, I, p. 441.
9 L'homme est la créature qui, pour affirmer son être et sa différence, nie.
Camus, l'Homme révolté, p. 174.
3 Vx ou littér. || Nier de…, suivi de l'infinitif. || Il nie d'être venu. Mod. || Nier…, suivi de l'infinitif. — REM. La construction sans de…, critiquée par les puristes, est employée par les meilleurs auteurs (cf. Grévisse, qui cite Sainte-Beuve, Nerval, France, Barrès, Bourget, Gide, Morand…, in le Bon Usage, §758, rem. 3).
10 Le début (de l'amitié) est délicieux et d'une telle spontanéité que l'on nie pouvoir se quitter jamais.
É. Estaunié, Solitudes, « Les Jauffrelin », I, p. 139.
11 (…) somme (…) que vous-même devrez oublier de m'avoir donnée, que moi-même je dois être prêt à nier d'avoir touchée, pour laquelle il ne me sera même point permis de vous faire tenir un reçu (…)
Gide, les Caves du Vatican, III, I.
12 Le premier qui se saisit des rênes fut un valet du nom de Roblard, mais il nia depuis avoir frappé la bête aux naseaux.
Bernanos, M. Ouine, p. 180.
4 Nier que… se construit soit avec l'indicatif, soit avec le subjonctif. — REM. Selon Damourette et Pichon, « la différence sémantique est claire. Par l'indicatif, le locuteur affirme que le fait nié par le protagoniste est néanmoins vrai. Par le subjonctif, il n'apporte pas de jugement concernant ce fait » (Essai de gramm., §1869). || Celui qui nie que Jésus est le Christ (→ Antéchrist, cit. 2, Bible). || L'accusé nie qu'il soit coupable.
13 Il secoua la tête, niant qu'il s'en fût jamais aperçu.
France, le Lys rouge, XVI.
Nier que à la forme interrogative et négative (et suivi du subjonctif) peut être suivi ou non du ne dit explétif. ⇒ Ne (III., 2.). — Selon Damourette et Pichon (Gramm., §1889), l'emploi de la particule négative ne (→ Attique, cit. 3; figure, cit. 27; monastère, cit. 1) indique le plus souvent que « le protagoniste considère comme absolument certain le fait non nié par lui » et marque « le regret intime que l'on a de devoir reconnaître un fait qu'on aurait désiré ne pas exister »; si le ne est omis, le fait non nié est considéré comme incertain. — Avec l'indicatif, le fait non nié est affirmé pour le compte du locuteur (→ Agréer, cit. 1).
14 Je ne vous nierai point, Seigneur, que ses soupirs
M'ont daigné quelquefois expliquer ses désirs.
Racine, Britannicus, II, 3.
15 Nierez-vous que Canova et Rossini ne soient de grands artistes ?
16 Au moins, niera-t-on qu'il soit chasseur ?
Montherlant, les Célibataires, I, I.
17 Je ne nie pas que dans bien des cas ce sentiment d'affinités ne se ramène à des souvenirs confus (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, XXIII, p. 316.
5 Vx. Refuser. || Nier à qqn le droit de… ⇒ Dénier.
18 (…) les gestes des muets,
Qui veulent réparer la voix que la nature
Leur a voulu nier ainsi qu'à la peinture.
Molière, la Gloire du Val-de-Grâce.
19 Vous ne sauriez me nier deux choses : l'une, qu'Alceste, dans cette pièce, est un (…) véritable homme de bien; l'autre, que l'auteur lui donne un personnage ridicule.
Rousseau, Lettre à d'Alembert.
♦ Mod. (Dr.). || Nier un dépôt, une dette, soutenir qu'on n'en est point débiteur (→ Devoir, cit. 2). || Nier sa signature. ⇒ Désavouer.
20 Il ne vous niera pas la dette, me répondit mon ancien patron; mais où il n'y a rien, le roi, c'est-à-dire le Directoire, perd ses droits.
Balzac, Mme de La Chanterie, Pl., t. VII, p. 282.
6 (En parlant d'idées, de concepts auxquels on prétend infliger une sorte de démenti, lancer une sorte de défi). Refuser l'idée de (→ Mythomanie, cit.).
21 Tout homme ne vit que pour nier la mort.
P. Nizan, le Cheval de Troie, II, XII.
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CONTR. Accorder, affirmer, assurer, attester, avouer, certifier, confesser, confirmer, croire, maintenir, reconnaître.
DÉR. Niable.
Encyclopédie Universelle. 2012.