DANUBE
Par sa longueur (2 850 km), la surface de son bassin-versant (805 000 km2) et le volume de son débit moyen (6 500 m3/s en aval), le Danube est le fleuve d’Europe le plus important après la Volga. Il draine le dixième de la superficie du continent et unit l’Europe centrale à la mer Noire. Et pourtant les activités qu’il engendre paraissent bien minces en comparaison de celles qui prennent naissance sur le Rhin: le trafic global du Danube représente à peine la moitié de celui du Rhin et les ports d’Ismaïl et de Reni, situés sur le bras septentrional du delta, enregistrent un mouvement de marchandises qui n’est que le dixième de celui du port fluvial de Rotterdam. Comment s’expliquent ces discordances?
Les obstacles naturels
Traversant des régions de climat continental et montagnard, le Danube subit, plus que le Rhin, les contraintes d’une hydrologie capricieuse. Les étiages d’été très prononcés, surtout dans la plaine pannonienne, peuvent gêner la navigation. Les crues de printemps, dues à la fonte des neiges, et du début de l’été, causées par l’apport des glaciers et les premières averses orageuses, submergent la plaine alluviale – la balta – sur 15 km de large, dans les plaines roumaines; le gel et la débâcle peuvent bloquer la navigation durant plus d’un mois. Rassemblant les eaux de hautes montagnes (Alpes orientales, Carpates, montagnes Dinariques), unissant par des défilés les bassins effondrés au moment de la surrection de ces chaînes (bassin pannonien, plaines de Valachie), le fleuve présente un profil en long irrégulier: sa largeur se réduit et sa pente augmente au passage de barres rocheuses (le fameux défilé des Portes de fer – Djerdap – interrompt la circulation vers l’amont et seuls des chalands de faible tonnage le franchissent grâce au creusement du canal de Sip). La charge énorme transportée par le fleuve s’étale au fond des bassins, surtout en aval, et il faut en permanence régulariser le cours divagant afin de laisser libre en toutes saisons un chenal profond. Enfin, l’aménagement du delta, malgré la régularisation du bras principal, celui de Sulina, maintenu depuis le siècle dernier à une profondeur de plus de 12 m, est inachevé en raison de la difficulté qu’il y a à maîtriser l’alluvionnement. Les Roumains ont, en 1984, ouvert un canal Danube-mer Noire, long de 64 km, profond de 7 m et large de 70 à 120 m, qui comporte un seul bief avec écluse à l’entrée et à la sortie.
Vicissitudes de l’internationalisation
Ces contraintes, plus graves que celles qui pèsent sur le Rhin, ne suffisent pas à expliquer la relative faiblesse du trafic: il faut faire intervenir, pour la comprendre, les conditions économiques et politiques. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les États traversés par le Danube étaient essentiellement exportateurs de bois, de minerais et surtout de produits agricoles: Hongrie, Yougoslavie, Roumanie étaient les «greniers à blé» de l’Europe. Un trafic international de céréales s’était développé depuis le milieu du XIXe siècle, et la circulation fluviale avait été internationalisée à la demande des grandes puissances, parties prenantes du trafic danubien, soucieuses d’assurer l’équilibre politique d’un bassin soumis aux rivalités des Empires austro-hongrois, ottoman et russe. Ainsi, au traité de Paris, en 1856, une Commission européenne du Danube fut chargée de réglementer la circulation et d’entreprendre les travaux nécessaires à la régularisation du fleuve; à un ingénieur britannique échut la responsabilité de l’aménagement du bras de Sulina.
La Seconde Guerre mondiale interrompit une activité qui avait dépassé 20 millions de tonnes dans les années précédant la crise de 1929-1930. Le Danube devint alors le fleuve de la guerre froide; la mainmise soviétique se traduisit dans la constitution de sociétés mixtes de navigation, les dispositions prises par la nouvelle Convention du Danube de 1948 (permettant aux bateaux de tous les pays de circuler sur le fleuve, mais laissant à chaque riverain le soin d’autoriser ou d’interdire le cabotage), ainsi que l’exportation vers l’U.R.S.S., au titre de réparations, des ressources du bassin: minerais et pétrole autrichiens.
Développement du trafic
La conclusion du traité d’État avec l’Autriche (1954), la libéralisation survenue dans les pays de démocratie populaire, la suppression des sociétés mixtes, une activité accrue de la Commission du Danube, qui siège à Budapest et publie des annuaires statistiques depuis 1960, marquent enfin l’établissement d’une politique de détente qui favorise la reprise du trafic. Depuis lors, les flottes nationales se sont reconstituées, des navires battant pavillon étranger fréquentent le bras de Sulina, des accords commerciaux ont été conclus entre l’ex-Union soviétique, l’Autriche et la république fédérale d’Allemagne, des conventions concernant l’aménagement du bassin ont été signées entre les États adhérant à l’ancien Conseil d’aide économique mutuelle (C.A.E.M. ou Comecon), et entre ceux-ci et les pays occidentaux. Le trafic est passé de moins de 10 millions de tonnes dans les années cinquante à plus de 30 dans les années soixante et plus de 50 dans les années quatre-vingt, et peut-être 80 au début des années quatre-vingt-dix.
La flotte de l’ex-U.R.S.S., avec 500 000 tonnes de port en lourd, représente encore le quart de la flotte danubienne; elle est suivie par les flottes de l’ex-Yougoslavie et de la Hongrie, qui se sont modernisées. Une part du trafic, chaque année plus grande, est assurée par poussage de chalands, formant des convois de 8 000 à 10 000 tonnes, qui peuvent aisément se fractionner. Le cabotage représente la majeure partie du trafic à l’intérieur de chaque État et entre États voisins. Mais la navigation maritime de Sulina à Tulcea et même Gala face="EU Updot" 亂i augmente; le trafic «de bout en bout» intéresse l’exportation des hydrocarbures roumains, l’importation de minerai de fer d’Ukraine et, de plus en plus, de différents pays, par la mer Noire, qui alimente les sidérurgies «fluviales» de Linz, de Dunaújváros et de Gala face="EU Updot" 亂i: ces trois complexes industriels fournissent, depuis 1970, plus de 10 millions de tonnes d’acier. C’est par le Danube que s’effectue, selon les États, de 15 à 60 p. 100 du commerce de chacun d’eux avec les pays de l’ancien C.A.E.M. Ainsi, huit ports ont dépassé les 5 millions de tonnes annuelles: Reni et Ismaïl sur le bras de Chilia; Br face="EU Caron" オila et Gala face="EU Updot" 亂i en Roumanie, anciens ports d’exportation de céréales, maintenant foyers industriels (utilisation du roseau du delta à Br face="EU Caron" オila et sidérurgie à Gala face="EU Updot" 亂i); les capitales d’Europe centrale: Belgrade, Budapest, Vienne; enfin, Linz.
Projets d’équipement et d’aménagement
La coopération internationale ne prendra son plein effet qu’avec l’achèvement d’un plan général d’équipement du bassin. Ce plan intéresse en premier chef les liaisons avec les autres bassins fluviaux. L’Allemagne fédérale a réalisé la mise au gabarit européen – plus de 1 200 t – d’un vieux canal de jonction, le canal Louis, entre Main et Danube supérieur. Le nouveau canal Main-Danube, long de 171 km, reliant Bamberg (Main) à Kelheim (Danube), a ouvert en 1992 une liaison continue entre Rhin et Danube. Le canal Main-Danube permet un important trafic d’échange entre l’est et l’ouest de l’Europe. Cette voie d’eau n’en est pas moins une voie nationale relevant de la seule souveraineté de la république fédérale d’Allemagne. Celle-ci entend en garder le contrôle, tout en proposant à tous les pays concernés la conclusion d’accords bilatéraux. La liaison Danube-Elbe-Odra sera assurée par le creusement d’un canal de près de 300 km de long empruntant le bassin de Moravie. Les travaux de régularisation du Danube lui-même doivent permettre un tirant d’eau moyen de 3,50 m du delta jusqu’à Vienne, de 2,70 m en amont; ils seront facilités par la construction d’un escalier de centrales situées au pied de barrages-réservoirs et destinées à assurer une production d’énergie électrique de l’ordre de 40 milliards de kilowattheures par an. L’Allemagne (avec 2,9 MkWh) et l’Autriche (plus de 5 MkWh) sont les plus avancées. D’autres centrales doivent être construites en aval, entre la Bulgarie et la Roumanie, ou, en amont, en collaboration avec la Hongrie, l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Hongrie et Tchécoslovaquie ont entrepris, avec le concours de capitaux et de matériels autrichiens, de détourner les eaux du Danube vers un réservoir artificiel retenant 240 millions de mètres cubes d’eau, aménagé au sud de Bratislava, à Dunakiliti, d’où partira un canal de 26 km alimentant une centrale hydraulique installée à Gabcikovo (720 MW). Plus en aval, une autre centrale sera aménagée sur le fleuve lui-même à Nagymaros (160 MW). Ces deux projets suscitent l’inquiétude des amis de la nature qui redoutent la mise en péril de l’environnement. Le projet le plus grandiose est celui de la centrale des Portes de fer, dont la production doit être également répartie entre la Roumanie et l’ex-Yougoslavie (7 milliards de kilowattheures chacune), et qui régularisera le débit et la profondeur du fleuve. Enfin, l’irrigation des vastes plaines agricoles entraîne déjà des modifications profondes dans les systèmes de cultures. La surface irriguée des plaines de la Tisza en Hongrie passera de 300 000 à 800 000 ha, de 50 000 à 600 000 ha en Vojvodine, de 100 000 à 1 million d’hectares en Valachie. Un aménagement intégral d’une telle ampleur évoque celui du Tennessee et de la Volga.
La politique de détente, dans une Europe en voie d’unification, doit favoriser la mise en œuvre de ces projets et l’utilisation qui en sera faite. L’aménagement du Danube apporte une illustration exemplaire à cette unification: l’Autriche a adhéré à la Commission centrale du Rhin et l’Allemagne fédérale doit adhérer à la Commission du Danube au sein de laquelle elle dispose d’un statut d’observateur depuis 1957. Quatre zones franches ont été établies sur les rives du Danube dans les pays du Sud-Est européen, deux en Autriche et une doit voir le jour en république fédérale d’Allemagne.
Danube
(le) deuxième fl. d'Europe (après la Volga) par sa longueur (2 850 km) et la superficie de son bassin (817 000 km²); il naît dans la Forêt-Noire et se jette dans la mer Noire par un vaste delta à trois bras. Il draine l'Allemagne, l'Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Croatie, la Yougoslavie, la Roumanie, la Bulgarie et l'Ukraine; il franchit un défilé célèbre, les Portes de Fer (grand barrage hydroélectrique), entre les Carpates et le Balkan. Ses principaux affluents sont: l'Inn, la Drave, la Tisza, la Save, l'Iskar, l'Olt, le Siret et le Prout. C'est une excellente voie de pénétration: le canal Danube-mer Noire raccourcit de 400 km la route fluviale; en amont, le canal Main-Danube relie, depuis 1992, le Rhin au Danube, ce qui crée une liaison de 3 500 km entre la mer du Nord (Rotterdam) et la mer Noire.
— Durant la protohistoire, les civilisations du Danube ont joué un grand rôle.
Encyclopédie Universelle. 2012.