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DUALISME
DUALISME

Le nom de dualisme est donné à des doctrines suivant lesquelles on ne peut expliquer les choses en général, ou certaines catégories de faits, qu’en supposant l’existence de deux principes premiers et irréductibles. On distingue souvent le dualisme cosmologique , qui consiste à penser que le monde est dominé par le concours, ou l’alternance, ou l’opposition perpétuelle de deux causes primordiales; le dualisme métaphysique , qui pose l’existence d’une réalité transcendante par rapport au monde sensible; le dualisme anthropologique , qui explique les faits humains par la présence, dans l’homme, de deux réalités irréductibles: l’âme et le corps, ou la raison et les passions, ou la liberté et la nécessité; le dualisme épistémologique , qui représente la connaissance comme dépendant de deux genres d’être: le sujet et l’objet; le dualisme éthique , qui oppose le devoir à la sensibilité. Il est clair que ces divers dualismes ne sont pas sans liens entre eux. Le dualisme anthropologique est en même temps métaphysique; il a aussi des conséquences cosmologiques, car distinguer deux principes dans l’homme, c’est distinguer deux principes dans l’univers. Le dualisme épistémologique et le dualisme éthique ont évidemment des rapports avec le dualisme anthropologique auquel ils servent souvent d’arguments. Peut-être faudrait-il distinguer seulement un dualisme ontologique , qui comprendrait les dualismes cosmologique, anthropologique et métaphysique et un dualisme critique , qui comprendrait les dualismes épistémologique et éthique. Le dualisme critique a pu servir d’argument au dualisme anthropologique, mais il ne lui est pas exactement identique. La supposition de deux principes y est donnée comme un postulat de l’action et de la connaissance, mais non comme nécessairement valable pour l’être en soi.

Quoi qu’il en soit, il faut surtout distinguer l’emploi du mot «dualisme» en histoire des religions et en histoire de la philosophie, car ce n’est pas au même genre de doctrine qu’il s’applique dans ces deux domaines. Ce mot fut d’abord employé en histoire des religions. C’est Thomas Hyde qui a forgé le terme dualistae , dont il se sert dans son Historia religionis veterum Persarum (1700) pour désigner les hommes qui regardent Dieu et le Diable comme coéternels. Bayle l’introduisit en français; il s’en sert, de même que Leibniz, dans le même sens que Hyde. Christian Wolff, le premier, l’appliqua aux philosophes qui considèrent l’âme et le corps comme des substances distinctes (Psychologia rationalis , § 39, 1734). Il en est résulté un double usage: c’est dans le sens de Wolff que le mot «dualisme» est généralement employé par les historiens de la philosophie, tandis que chez les historiens des religions il a ordinairement gardé le sens qu’il avait chez Hyde.

Ce mot désigne donc traditionnellement deux genres de doctrines. D’une part, il désigne des religions telles que le mazdéisme de l’Avesta postgâthique et des écrits pehlevis; d’autre part, des philosophies telles que le cartésianisme. Ce sont là, comme on voit, des doctrines très différentes et dont on pourrait même tirer des conséquences opposées. Par exemple, le dualisme âme-corps, ou esprit-matière, pourrait conduire à nier l’existence d’un esprit pur qui serait mauvais (le Diable), et même celle d’un principe mauvais. La matière n’est pas mauvaise en elle-même pour les philosophes dualistes, et un esprit pur peut difficilement être mauvais pour ceux qui regardent le mélange confus de l’esprit et de la matière, ou le renversement de leur hiérarchie légitime, comme la cause de l’erreur et, par là, du mal.

À ces deux espèces principales de dualisme, il faut ajouter une troisième: le «dualisme gnostique», c’est-à-dire le genre de dualisme qui, selon beaucoup d’historiens, constituerait l’essence du gnosticisme. Ce genre de dualisme est l’objet, à notre époque, d’une attention particulière, au point que certains semblent assimiler complètement la notion de dualisme à celle de gnosticisme. Quand ils parlent de dualisme, ils entendent une doctrine du genre gnostique. Cet usage n’est guère justifié. Le sens traditionnel du mot «dualisme» ne permet pas de faire coïncider le dualisme en général, ou même seulement le dualisme religieux, avec ce genre particulier de dualisme qui se trouve, si l’on veut, dans le gnosticisme. Il est même peut-être illégitime de considérer celui-ci comme dualiste. En tant que systèmes concernant les principes premiers, la plupart des doctrines gnostiques sont monistes. Dieu y est en dernier ressort cause de tout. Le «dualisme gnostique», si dualisme il y a, est d’une espèce particulière. Il consiste à penser qu’entre Dieu et le monde il n’y a pas de lien immédiat; que les puissances qui ont créé directement le monde et le gouvernent, quoique venant de Dieu, ne connaissent pas Dieu, s’opposent même à lui en un sens, car elles dominaient injustement les âmes avant la venue du Sauveur et celui-ci a dû les vaincre pour sauver les âmes. Ce genre de dualisme, où les pôles sont Dieu et le monde, diffère aussi bien du dualisme mazdéen (où le monde est directement créé par Dieu et bon dans l’ensemble, bien que le Mauvais Esprit s’y soit introduit et qu’il y ait mêlé ses mauvaises créatures) que du dualisme philosophique (où les deux termes sont plutôt l’esprit et la matière, et sont distincts mais non nécessairement opposés).

Il est vrai que l’une des doctrines dérivées du gnosticisme est le manichéisme, qui, lui, est certainement un dualisme au sens propre. Mais Mani a modifié le gnosticisme en y joignant des traits empruntés à la fois au dualisme philosophique et au mazdéisme. Le dualisme manichéen s’écarte du dualisme proprement gnostique. L’opposition n’y est plus exactement entre Dieu et le monde, mais plutôt entre Dieu et la matière. Le monde, pour Mani, est un ordre institué par la divinité pour rendre possible le salut des âmes.

Le gnosticisme proprement dit ne peut être appelé un dualisme que par une extension, à peine légitime, du sens traditionnel de ce mot. C’est en tout cas un dualisme particulier. On peut se demander si ce genre particulier est à placer dans l’histoire générale des religions ou dans l’histoire de la théologie chrétienne. On sait que le gnosticisme, qui autrefois était considéré comme un ensemble d’hérésies chrétiennes, est souvent regardé, depuis la fin du XIXe siècle, comme un mouvement religieux d’abord indépendant du christianisme. Mais cette théorie n’a jamais été solidement établie. On n’a jamais découvert de texte gnostique antérieur au christianisme et tous les plus anciens gnostiques connus étaient des chrétiens. De plus, c’est dans le christianisme surtout que le gnosticisme s’est développé. On peut donc le rattacher au domaine de la théologie.

1. Le dualisme dans l’histoire des religions

Religions primitives

Il ne suffit pas, pour qu’une religion soit dualiste, qu’elle comporte des mythes où il est question de bons et de mauvais esprits. Il faut encore que les deux classes soient nettement distinguées et rapportées à une origine distincte. Dans l’animisme, les esprits considérés comme ordinairement malfaisants ne sont pas imaginés comme d’une autre espèce que les esprits ordinairement bons. Ils font tous partie des forces naturelles qui peuvent être bonnes ou mauvaises selon le rapport considéré ou les circonstances.

C’est dans les religions qui contiennent l’idée d’un être suprême, d’un grand dieu créateur du monde, qu’on rencontre des mythes qui approchent du dualisme. Par exemple, chez les Indiens nord-américains et certains peuples d’Asie centrale et septentrionale, on trouve des récits d’où il ressort que le Grand Dieu a été le principal mais non l’unique créateur. Un second être est intervenu dans la création et c’est lui qui a causé l’institution de la mort. Le monde ne connaissait ni mal ni mort, mais le second être, qui est soit un adversaire, soit un collaborateur maladroit du dieu suprême, a fait quelque chose de malicieux ou de stupide qui a causé un dommage irréparable. Ces récits semblent exprimer l’étonnement que les hommes éprouvent devant le mal et la mort. Mal et mort ne peuvent appartenir à l’essence des choses, ils résultent d’un accident, il faut imaginer pour eux une autre explication que pour le reste des choses. Ce fait que le mal est senti comme un problème est certainement l’un des motifs qui peuvent conduire au dualisme. Mais ici la tendance dualiste ne va pas jusqu’au système. L’origine indépendante du second être n’est pas affirmée expressément. Tantôt il est une créature du Dieu bon, tantôt rien n’est dit de son origine.

Religions antiques

On a souvent tenu pour dualiste la religion de l’Égypte ancienne. En effet, dans la religion solaire de l’Égypte, Rê, le soleil, principe de vie et de vérité, a pour adversaire perpétuel Apophis, le gigantesque serpent de l’ombre. Dans le mythe d’Osiris, Seth, dieu malfaisant, tue Osiris et s’oppose ensuite à Isis et à Horus. Cependant Rê, ou un autre dieu bon, pouvait être représenté comme le créateur universel. Quant à Seth, il avait été un grand dieu dans certaines régions et fut longtemps considéré comme pouvant être bienfaisant à certains égards. Ce n’est que tardivement qu’il devint la personnification du mal. Encore était-il regardé, même alors, comme frère d’Osiris, ce qui suppose une unité originelle.

Dans les hymnes védiques, il est question de deux sortes de divinités, les deva et les asura. Plus tard, dans les Br hma ユa, on voit que les deva sont restés des dieux, mais que les asura sont devenus des sortes de démons. Toutefois, ces démons indiens sont inorganisés, sans chef, et rien n’est dit de leur origine.

Plus d’une mythologie antique contient le tableau d’une lutte grandiose opposant les dieux à des géants, à des monstres ou à des démons. La mythologie babylonienne décrit le combat de Marduk contre Tiamât, la mythologie grecque le combat de Zeus contre les Titans. La Bible mentionne Léviathan, monstre marin du chaos, que Dieu a transpercé et qu’il tuera. La mythologie des Germains connaît les luttes des dieux contre les géants et contre les puissances démoniaques issues de Loki (elle connaît aussi la guerre des Ases et des Vanes, mais ces deux groupes divins semblent complémentaires et leur lutte s’achève par une réconciliation). L’épopée indienne raconte la grande guerre des P ndava, issus des dieux, contre leur démoniaque cousin; or c’est peut-être la transposition d’un récit plus ancien où les dieux eux-mêmes combattaient les démons. Toutes ces images d’un drame cosmique pourraient suggérer un dualisme; mais, là encore, le dualisme n’est pas achevé ni systématique. Les puissances adverses sont toujours issues l’une de l’autre, ou apparentées, issues du même principe.

Mazdéisme

Le dualisme mazdéen, celui des Perses, diffère de toutes ces tendances par son caractère systématique. Là tout ce qui est bon est rassemblé autour du Grand Dieu, Ahura Mazd h ou Ohrmazd, principe de vérité, et tout ce qui est mauvais, autour du Mauvais Esprit, Angra Mainyu ou Ahriman, puissance de mensonge. Là les forces du bien et celles du mal sont présentées dans une symétrie presque parfaite: à chaque bonne puissance correspond une puissance mauvaise. Là le Mauvais Esprit est primordial comme Ohrmazd. La seule dissymétrie est en ceci: on est sûr qu’Ohrmazd est le plus fort et qu’Ahriman sera finalement vaincu.

À vrai dire, ce tableau est celui qu’on peut construire en s’appuyant sur l’Avesta post-gâthique et les écrits pehlevis. Ce qu’on trouve dans le plus ancien document du zoroastrisme, les G th , n’est pas si net. Non seulement la symétrie y est moins parfaite, mais il n’est pas sûr que le Mauvais Esprit y soit indépendant d’Ahura Mazd h et coéternel avec lui. Dans l’une des G th , le Bon Esprit (Spenta Mainyu) et le Mauvais sont appelés «jumeaux» et sont dits «choisir» l’un la vérité, l’autre le mal. Pour certains savants, c’est la preuve que les deux esprits viennent du même principe et que le mauvais est devenu mauvais par choix. Pour d’autres, le mot «jumeaux» n’implique peut-être qu’une sorte de parallélisme, et ils font remarquer que les deux esprits sont dépeints l’un comme bon, l’autre comme méchant dès l’origine. Quoi qu’il en soit, le Mauvais Esprit, dans les G th , est opposé au Bon Esprit, non directement à Ahura Mazd h. Il est vrai que celui-ci paraît parfois identifié au Bon Esprit (comme il le sera dans le mazdéisme plus tardif), mais parfois il en semble distinct (par exemple, il est dit en être le père). Il était donc peut-être d’abord au-dessus de l’opposition.

D’où vient donc que cette religion a évolué vers le dualisme systématique? La raison s’en trouve peut-être dans l’esprit qui l’animait et dont on peut se faire une idée d’après les G th . Dans ces hymnes, on sent le souci constant de vaincre des ennemis, de convertir les gens à une certaine doctrine et à un certain ordre, de lutter contre une religion qu’on tient pour fausse et contre des éléments sociaux qu’on tient pour violents et tyranniques. On devine qu’une vieille religion est combattue par une plus jeune, plus abstraite et qui, bien qu’opposée à la violence, est assez dure («celui qui est bon pour le méchant est un méchant», Yasna , 46, 6). Il y a d’ailleurs, dans le mazdéisme, des indices d’une profonde transformation par rapport à l’ancienne religion indo-iranienne. Le mot da 勒va , forme iranienne de la racine qui chez les Indo-Européens désigne les dieux, y désigne au contraire les faux dieux, les démons. Des rites anciens sont attaqués dans les G th . Certains usages pratiqués par les Mages et qui pour les autres peuples étaient impies (exposition des cadavres aux oiseaux ou aux chiens, mariage consanguin) attestent une rupture radicale avec d’anciennes croyances. Enfin, il y a dans le mazdéisme une aspiration constante à une transformation, à une «rénovation» de l’existence, rénovation exigeant des luttes et qui ne sera parfaite que dans l’avenir. Les rites mazdéens symbolisent et préparent la grande rénovation future qui chassera définitivement le mal et unifiera le monde.

Selon la tradition, cette religion fut fondée par Zoroastre, qui, s’il n’est pas une figure purement légendaire, pourrait avoir vécu vers 600 avant J.-C. au plus tard. Il semble qu’elle ait consisté d’abord à prêcher un ordre social plus juste et un culte unifié, un ordre protégeant les cultivateurs contre des pouvoirs guerriers anarchiques, un culte célébrant le principe de l’ordre et de la vérité, répudiant les dieux de la classe guerrière. Bien que peut-être moniste au début, le mazdéisme a pu devenir un dualisme à cause de l’atmosphère de lutte, d’opposition intransigeante qu’on y respirait. Cet esprit de lutte devait conduire à nier tout lien entre les adversaires.

Selon certains, Zoroastre aurait fondé un dualisme essentiellement moral, consistant dans une forte opposition du bien au mal et dans l’affirmation du libre arbitre qui permet de choisir entre eux. Mais opposer simplement le bien au mal n’est pas un dualisme et ne conduit pas nécessairement au dualisme. Celui-ci consiste à distinguer une cause absolue du bien et une cause absolue du mal. D’autre part, la moralité d’un système dépend avant tout de ce qui y est appelé bien et de ce qui y est appelé mal. Si le bien est simplement ce qui me sert, et le mal ce qui sert mon adversaire, il n’y a rien là de spécialement moral. Enfin, il est douteux qu’on trouve dans les G th une réflexion sur le libre arbitre. Il y est dit tantôt que les da 勒va ont mal choisi, tantôt qu’ils sont l’«engeance du mal», tantôt que les hommes méchants choisissent, tantôt qu’ils sont «fils de la création du mal». Les deux conceptions ne semblent pas distinguées. Ce qui paraît le plus sûrement moral dans les G th , c’est une vigoureuse confiance en la vérité et l’idée que finalement tous les hommes seront jugés selon la vérité.

Sous les Sassanides, il est possible qu’une spéculation moniste se soit développée dans ce qu’on nomme le zurvanisme. Selon le mythe zurvanite, Ohrmazd et Ahriman sont tous deux fils de Zurvan, le «Temps illimité», c’est-à-dire l’éternité. Cette doctrine sera combattue dans le D 勒nkart , un livre pehlevi (IXe siècle apr. J.-C.). Mais, en général, il semble qu’elle n’ait pas été tenue pour une hérésie; elle pouvait se mêler au zoroastrisme orthodoxe. Après tout, dire qu’Ohrmazd et Ahriman sont fils de l’éternité, ce n’était peut-être qu’une façon mythique de dire qu’ils sont éternels.

2. Le dualisme en philosophie

Philosophie occidentale

Les pythagoriciens, qui sont peut-être les plus anciens philosophes d’Occident (car les Ioniens étaient des physiciens), sont aussi, semble-t-il, les premiers qui puissent être appelés dualistes. D’une part, ils enseignaient que toutes choses sont composées de contraires: un et multiple, limité et illimité, impair et pair, masculin et féminin, repos et mouvement, lumière et obscurité, bien et mal... D’autre part, ils distinguaient l’âme du corps, comme le montre leur théorie de la métempsycose et la formule qui leur est attribuée aussi bien qu’aux orphiques: «Le corps est un tombeau.»

Le dualisme des contraires est la forme la plus faible du dualisme, car les contraires sont corrélatifs et par conséquent inséparables. Héraclite, en montrant l’unité des contraires, semble combattre le dualisme pythagoricien. Parménide aussi paraît s’y opposer, mais d’une autre façon, lorsqu’il affirme que seul l’un, l’indivisible, l’immobile, l’éternel est véritablement.

Empédocle, au contraire, conserve et accentue les deux formes du dualisme pythagoricien. Le monde, pour lui, est dominé tour à tour par deux principes contraires, l’Amour et la Haine, le principe de l’Un et le principe du Multiple. D’autre part, il paraît opposer fortement l’âme au corps lorsqu’il décrit une âme tombée du monde des dieux et pleurant de se voir dans un lieu inaccoutumé.

Anaxagore, lui aussi, distingue deux sortes d’êtres: d’un côté, les éléments en général, mélanges où tout est dans tout; de l’autre, l’entendement (le Noûs ), qui seul est à part, seul est pur et sans mélange et qui, étant venu dans le chaos des éléments, l’a mis en ordre.

Platon n’est pas dogmatique ni systématique, et la forme de son enseignement est telle qu’il a pu être compris de façons diverses. Cependant, il n’est pas douteux qu’il veut faire admettre l’existence de l’âme indépendamment du corps, et celle de l’intelligible indépendamment du sensible. Il est vrai que le sensible, pour lui, n’est pas véritablement; c’est l’intelligible, l’Idée, qui est proprement l’être. Cependant, le sensible a un support, l’espace, et celui-ci semble lié à la nécessité. Selon le mythe du Timée , le monde a été produit par deux causes: la cause intelligente (le Démiurge) et la cause nécessaire. L’intelligence a «persuadé» la nécessité d’orienter «la plupart des choses» vers le bien, mais ces expressions mêmes montrent que son pouvoir n’est pas sans limite (Timée , 47e53 b). Dans La République (379 b-380 c), Socrate dit que Dieu n’est pas cause de tout, mais du bien seul. Cela ne pourrait signifier que Dieu est cause de tout que si tout était bien; or, dans le Théétète (176 a), Socrate affirme: «Il est nécessaire qu’il y ait toujours quelque chose de contraire au bien.»

Ce qui montre surtout qu’il y a pour Platon deux réalités profondément différentes, c’est que pour lui une conversion est nécessaire. Il dit qu’il faut se détourner «avec l’âme tout entière» des choses qui passent (République , 518 c).

On a parfois mis en rapport le platonisme et le zoroastrisme. Mais le dualisme platonicien est d’une autre espèce que celui de Zoroastre. Le mal, pour Platon, a pour cause l’ignorance produite dans l’âme par l’union de celle-ci avec le corps. L’âme mauvaise dont il parle dans Les Lois ne semble pas être une âme cosmique, et dans Le Politique il repousse l’idée que le monde pourrait être conduit par deux divinités dont les volontés s’opposeraient.

Aristote rétablit une continuité entre la vie inférieure et la vie supérieure, entre la matière et la forme. La matière, pour lui, est en puissance ce que la forme est en acte. Il lie étroitement l’âme au corps, en la définissant comme la forme d’un corps organisé qui a la vie en puissance. Il reste pourtant chez lui quelque chose du dualisme platonicien, par exemple dans sa théorie de l’intellect, qu’il tient pour séparable du corps, et dans sa théorie du Premier Moteur, acte pur et, en un sens, séparé de ce qu’il meut.

Après lui, les stoïciens et les épicuriens seront plus complètement monistes; les premiers, d’un monisme spiritualiste suivant lequel le monde est tout pénétré d’esprit ou de raison; les seconds, d’un monisme matérialiste où tout se réduit aux atomes.

La même évolution qui a eu lieu en Grèce à partir de Platon se reproduit dans les temps modernes à partir de Descartes, puis à partir de Kant.

Descartes a fondé la philosophie peut-être la plus dualiste. En définissant l’âme par la seule pensée et le corps par la seule étendue, il les distinguait radicalement, supprimant tout intermédiaire. Il permettait ainsi à la science de ne plus supposer aucun mystère caché dans les corps et de travailler à tout expliquer par une physique mathématique. Il justifiait aussi la volonté résolue de se gouverner soi-même, en refusant de voir dans le corps autre chose qu’un mécanisme, qu’il faut traiter avec prudence, dont il faut découvrir les lois, mais qui ne doit pas être regardé comme enveloppant une pensée cachée, peut-être plus vulnérable que la pensée claire.

Cette coupure de l’être en deux substances ne fut pas tolérée par les philosophes qui succédèrent à Descartes. Spinoza fait de l’étendue et de la pensée, non plus deux substances, mais deux attributs de l’unique substance qui est Dieu. Leibniz, tout en distinguant l’âme du corps, se représente toute la réalité sur le modèle de la pensée.

Kant, dans la Critique de la raison pure («Dialectique transcendantale», livre II: «Paralogisme de l’idéalité du rapport extérieur»), critique le dualisme dans la mesure où il signifie que la substance étendue et la substance pensante sont des choses en soi, mais il l’admet dans la mesure où il signifie que le sujet et l’objet sont des phénomènes tout à fait distincts. Il montre, dans toute la Critique , que le donné de l’expérience et la forme transcendantale sont deux éléments qui ne peuvent venir l’un de l’autre. Il distingue en outre profondément le phénomène et la chose en soi. Le monde de la chose en soi est pour lui comme un autre monde par rapport à celui du phénomène. Il ne nous est connu que par le devoir, qui est indépendant de la sensibilité, et qui, absolu, détaché de tout, semble en effet descendre d’un autre monde. Pour Kant comme pour Platon, une sorte de conversion est nécessaire.

Les philosophes qui ont construit leur doctrine à partir du kantisme ont cherché à surmonter ces divisions. Hegel, en particulier, rassemble en une seule chaîne toute la réalité en faisant de la contradiction, posée puis surmontée, la loi de toute la pensée et de toute la nature.

Ainsi, trois fois au moins, en Occident, une doctrine fortement dualiste a renouvelé la philosophie; mais bientôt elle a été combattue et recouverte par des doctrines plus ou moins monistes. Il semble qu’il y ait dans le dualisme quelque chose de hardi et de rude que peu de philosophes supportent. La plupart veulent tout concilier. Le dualisme les déçoit du seul fait qu’il pose deux principes et non un seul. Ils croient qu’il est un échec, qu’il ne parvient pas à unifier toute la réalité; ils pensent que c’est le but de la philosophie de tout unifier. Cependant, la philosophie n’est pas la science; celle-ci, en effet, doit tout unifier autant que possible. Mais la philosophie a un autre but: c’est de justifier la science elle-même, c’est-à-dire la méthode de pensée la plus claire, et aussi de justifier le devoir. Confondre plus ou moins le corps avec la pensée, c’est loger dans le corps une force mystérieuse, impénétrable à la science claire, et c’est briser la volonté de le dominer.

S’il y a une action, une décision, à la base de la connaissance et de la morale, il est peut-être inévitable qu’il y ait un dualisme irréductible. Le partage de soi, la division de soi contre soi, la prise de distance à l’égard de soi est au commencement de toute pensée. Si tout peut être unifié, si le parfait système est possible, c’est dans un monde que nous ne connaissons pas.

Dans notre siècle, Lovejoy a décrit sous le nom de «révolte contre le dualisme» les nombreuses tentatives des penseurs contemporains pour réfuter le dualisme épistémologique ou l’éviter; il juge qu’elles ont toutes échoué. Alain a montré la valeur morale de la coupure cartésienne. Il faut noter que le dualisme philosophique n’implique pas la condamnation de certains êtres hors de soi, mais seulement la volonté de se gouverner soi-même. Il faut noter aussi qu’il est critique plutôt qu’absolu, et qu’il ne présente pas un tableau en deux parties symétriques. Il comporte toujours quelque primat de l’esprit ou de la morale. Le devoir ne peut être tiré de la connaissance du monde, mais la connaissance du monde dépend du devoir. La connaissance d’un ordre indifférent au bien dépend de l’effort vers le bien.

Philosophies orientales

La philosophie la plus répandue dans l’Inde est le ved nta moniste. Mais l’Inde a eu aussi des philosophies dualistes. En particulier, le très ancien et très important s face="EU Updot" 拉khya enseignait que l’esprit et la matière (ou nature) existent l’un et l’autre de toute éternité.

La philosophie chinoise distingue ordinairement deux puissances fondamentales: le yang et le yin. Le yang est céleste, lumineux, chaud, masculin, actif, créateur; le yin est terrestre, sombre, froid, féminin, passif, réceptif. Mais le plus souvent les philosophes chinois représentent ces puissances comme complémentaires et comme les deux manifestations d’un même principe.

3. Le dualisme en théologie

Dualisme prégnostique

Des conceptions dualistes apparaissent dans le judaïsme vers le début de l’ère chrétienne, tout en restant limitées par le rigoureux monothéisme. Selon ces conceptions, Dieu agit par le moyen de deux puissances opposées. Dans la Règle de Qumr n, on lit que deux esprits créés par Dieu, le prince des lumières et l’ange des ténèbres, dominent le monde. Philon dit que Dieu a créé le monde par deux puissances dont l’une cause les biens et l’autre les maux (Quaestiones in Exodum , I, 23). L’apocalyptique juive oppose le monde présent au monde futur en une sorte de dualisme temporel. Cependant nulle part, dans le judaïsme, la critique du monde n’est poussée au point où elle le sera dans le gnosticisme et déjà dans le premier christianisme. L’ange des ténèbres de Qumr n n’est pas le «prince du monde»; les deux esprits sont dans le monde à égalité. C’est dans le IVe Évangile que le diable est le «prince du monde». On a pu parler de «dualisme johannique», et ce dualisme de Jean l’Évangéliste va plus loin, dans le sens du gnosticisme, que celui de l’apocalyptique juive.

Dualisme gnostique

Le nom de gnosticisme a été donné par les historiens modernes à un ensemble d’hérésies chrétiennes qui apparurent dès la fin du Ier siècle. Ces hérésies, nombreuses et diverses, s’accordaient en ce qu’elles rejetaient, au moins en partie, l’Ancien Testament, et en ce qu’elles modifiaient la doctrine biblique de la création. Pour les gnostiques, le monde n’est pas créé ni gouverné directement par Dieu, mais par des puissances inférieures et aveugles qui ne connaissent pas Dieu. Le Yahvé de la Bible, le Créateur, fait partie de ces puissances. Le monde n’est pas de Dieu (directement), et l’âme, étincelle divine, n’est pas du monde. L’âme était asservie aux forces du monde; elle a pu être libérée, prendre conscience de son origine et revenir à Dieu grâce à la gnôsis , la connaissance surnaturelle apportée par le Sauveur.

Les gnostiques opposaient donc l’origine du monde à l’origine de l’âme. Cependant ils n’étaient pas complètement dualistes. Selon eux, le créateur du monde se rattachait d’une certaine manière au vrai Dieu, soit qu’il fût un de ses anges, soit qu’il en fût descendu par une généalogie d’émanations. Ce dualisme n’était donc pas absolu ni systématique. Il consistait surtout dans le sentiment d’une distance infinie entre Dieu et le monde, et dans l’idée que le Dieu de l’ancienne loi, qui agit directement sur le monde, n’est pas le vrai Dieu.

Il y eut de grands maîtres gnostiques au IIe siècle: Basilide, Valentin, Marcion. Mais, condamné par l’Église de Rome vers le milieu de ce siècle, le gnosticisme devint ensuite de plus en plus syncrétiste. Les gnostiques tardifs, héritant d’un christianisme détaché de l’Ancien Testament, ne voient aucune difficulté à l’unir avec des traditions païennes (platonisme, mystères, religions orientales). En même temps, certains païens semblent adopter des idées analogues aux leurs. À partir du milieu du IIe siècle environ, des idées du genre gnostique se rencontrent, non plus seulement chez des chrétiens, mais dans des écrits qui semblent païens, par exemple les Hermetica.

Ainsi, à partir d’une certaine époque, les idées gnostiques ne semblent plus liées nécessairement au christianisme. C’est ce qui a permis à certains savants de soutenir que le gnosticisme n’était pas essentiellement une hérésie chrétienne; que dès l’origine, contrairement à ce qu’ont cru les Pères de l’Église, c’était un grand courant de pensée qui, tout en se mêlant au christianisme, existait en dehors de lui, indépendamment de lui, et peut-être même avait commencé avant lui. Ces savants en ont cherché l’origine principalement dans le mazdéisme, ou l’hellénisme, ou certains courants du judaïsme. Cependant, ces recherches n’ont abouti jusqu’ici à aucune certitude. Le problème de l’origine du gnosticisme est toujours ardemment discuté, et les hypothèses d’une origine non chrétienne manquent toujours de preuves décisives.

Il est très possible que la crucifixion du Christ, c’est-à-dire l’échec du juste dans le monde, ait été le point de départ de ces spéculations. Le christianisme a pu être compris comme la révélation d’un Dieu auquel le monde peut s’opposer et dont par conséquent le monde ne dépend pas immédiatement. En outre, l’idée paulinienne et johannique qu’on ne peut être sauvé que par la grâce divine sépare profondément la nature d’une part et le salut de l’autre.

Manichéisme

Fondé au IIIe siècle par le Perse Mani, le manichéisme est l’une des formes tardives et syncrétistes du gnosticisme. Mani voulut unir le christianisme (sous sa forme gnostique) au mazdéisme, au bouddhisme et à la philosophie grecque. En fait, la part du christianisme gnostique est de beaucoup la plus importante dans sa doctrine. Mais il a changé le dualisme proprement gnostique en l’assimilant au dualisme grec et en le rendant rigide et systématique sur le modèle du dualisme mazdéen. Le mal était pour lui la matière; en outre, il le représentait symboliquement par des figures mythiques qui rappellent Ahriman et ses démons.

Mani est l’un des rares dualistes qui l’aient été consciemment et volontairement. Distinguer nettement deux principes était pour lui la condition du salut. Chez lui, les deux principes sont vraiment indépendants et coéternels. Cela ne signifie pas qu’ils soient divins l’un et l’autre; seul le bon est appelé Dieu. Le grand mythe manichéen décrit la séparation primitive des deux substances: la substance des âmes, qui est appelée Lumière, et la matière, qui est appelée Ténèbres; puis le mélange violent qui s’en est fait, les Ténèbres ayant attaqué la Lumière et en ayant englouti une partie; puis la façon dont le monde a été organisé pour que les particules de Lumière puissent se dégager des Ténèbres et remonter à leur source. Ce processus doit se poursuivre jusqu’à ce que toute la Lumière soit rendue à son origine et que les principes soient de nouveau séparés.

L’emploi du mot «manichéisme» par certains écrivains français, depuis quelques dizaines d’années, pour signifier la condamnation sans nuances de certains hommes, pourrait faire croire que les manichéens divisaient tous les êtres du monde en êtres absolument bons et absolument mauvais. C’est plutôt le fait des mazdéens. Pour les manichéens, tout dans le monde était mélange. Selon une parole attribuée à Mani, «le bien et le mal habitent dans chaque homme» (Kephalaia , I, p. 220). Les manichéens n’étaient ni violents ni particulièrement intolérants. Le salut pour eux n’était pas de combattre certains êtres, mais de combattre en eux-mêmes la force de la matière et d’échapper à la condition du mélange.

Hérésies dualistes et théologies à tendance dualiste

Le paulicianisme, le bogomilisme, le catharisme venaient probablement, non du manichéisme, mais, comme le manichéisme lui-même, du gnosticisme, qui avait subsisté en Orient. Ils venaient aussi en partie d’une réflexion nouvelle sur les textes chrétiens. Le principe en est toujours la différenciation profonde de Dieu et du monde. Dans certains cas seulement, l’accentuation de cette différence a conduit au dualisme absolu des principes.

On a parfois pensé que le manichéisme avait laissé quelques traces dans la théologie de saint Augustin, qui dans sa jeunesse fut neuf ans manichéen. Mais ce qu’il y a de dualiste dans cette théologie s’explique sans doute suffisamment par saint Paul et saint Jean l’Évangéliste qui, sans être eux-mêmes gnostiques, avaient peut-être été les principaux inspirateurs du gnosticisme. Quoi qu’il en soit, en accentuant la transcendance du salut, la transcendance de la grâce par rapport à une nature qui, sans grâce, est incapable du bien, saint Augustin a maintenu dans la théologie occidentale un courant assez fortement dualiste. Cette sorte de dualisme augustinien se retrouve chez Luther et chez les jansénistes entre autres.

dualisme [ dɥalism ] n. m.
• 1697; lat. mod. dualismus, du lat. dualis « composé de deux »
1Philos. Doctrine qui admet dans l'univers deux principes premiers irréductibles. Antagonisme des principes du Bien et du Mal dans les dualismes zoroastrien, manichéen.
2Système qui, dans un ordre d'idées quelconque, admet la coexistence de deux principes essentiellement irréductibles. Dualisme de la volonté et de l'entendement.
3Coexistence de deux éléments différents. dualité. Dualisme de races, de religions. Dualisme de l'Autriche-Hongrie (1867-1919). Écon. Coexistence de populations à niveaux de vie différents ( dual).
⊗ CONTR. Monisme, pluralisme.

dualisme nom masculin (latin dualis, de deux) Système philosophique ou religieux qui divise son objet en deux sous-éléments s'opposant irréductiblement, par opposition au monisme. Coexistence de deux éléments différents opposés ou complémentaires : Le dualisme des partis. Système social de nombreuses sociétés non industrielles, caractérisé par la division de la société en deux clans assumant des fonctions complémentaires dans le domaine de l'échange des femmes, de la transmission du pouvoir et de l'organisation du travail. Dans une économie, juxtaposition de deux ou plusieurs secteurs d'activité à caractéristiques économiques et sociales différentes (par exemple, secteur d'économie vivrière et secteur industriel dans les pays sous-développés ; secteur intégré à l'économie mondiale et secteur d'activités traditionnelles dans les pays développés). Système politique régissant les relations entre l'Autriche et la Hongrie de 1867 à 1918. (Ces deux États formaient l'Autriche-Hongrie et avaient en commun leur souverain, leur armée et leur diplomatie. Ils disposaient d'une pleine indépendance pour leurs affaires intérieures.)

dualisme
n. m.
d1./d PHILO Système qui admet la coexistence de deux principes irréductibles (le corps et l'âme, par ex.). Ant. monisme.
d2./d Par ext. Coexistence de deux principes essentiellement différents.

⇒DUALISME, subst. masc.
A.— Système de croyance ou de pensée qui, dans un domaine déterminé, pose la coexistence de deux principes premiers, opposés et irréductibles. Dualisme et déterminisme.
1. PHILOS. Dualisme métaphysique, ontologique, platonicien, gnostique, manichéen; dualisme pascalien, cartésien; dualisme éthique; dualisme psycho-physiologique. Anton. monisme. Descartes créa le dualisme du corps et de l'âme (CARREL, L'Homme, 1935, p. 339). Il y a chez l'un et chez l'autre quelque chose qui les rend supérieurs à tous les philosophes confinés dans le dualisme (QUENEAU, Enf. du limon, 1938, p. 131) :
1. On visait par là à supprimer un certain nombre de dualismes qui embarrassaient la philosophie et à les remplacer par le monisme du phénomène.
SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, p. 11.
2. RELIG. Dualisme mystique; dualisme et panthéisme. Anton. monothéisme. Toutes les religions indo-germaniques (...) sont ou le panthéisme ou le dualisme (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 285).
B.— P. ext. et p. anal. Caractère de ce qui comporte deux éléments disjoints, opposés et complémentaires. Le dualisme des partis; surmonter un dualisme. Synon. dualité, binarité; anton. pluralisme. Le dualisme installé à la tête du pouvoir avait pu, pendant quelque temps, contrarier les décisions (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 256) :
2. Oh! que M. Cousin a raison avec son dualisme! car, depuis les bœufs de la charrue jusqu'aux deux chambres, tout va par deux.
BALZAC, Œuvres diverses, t. 1, 1824-30, p. 348.
[Suivi de deux compl. de nom exprimant la nature des deux éléments distingués] Principe (...) de la tonalité moderne caractérisée par le dualisme des modes majeur et mineur (DUBOIS, Harm., 1921, p. 240). En même temps qu'il se pose, le dualisme de la plastique et de l'expression se résout (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 233). Une inversion qui traduit le dualisme regardant-regardé (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 189).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1878 et 1932. Étymol. et Hist. 1755 « opinion affirmant l'existence de deux principes » (Encyclop.). Dér. du rad. du lat. dualis « de deux »; suff. -isme. Fréq. abs. littér. :271. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 94, b) 71; XXe s. : a) 56, b) 999. Bbg. MAT. Louis-Philippe 1951, p. 38, 263.

dualisme [dɥalism; dyalism] n. m.
ÉTYM. 1697, Bayle, Dict.; dualismus, lat. mod., dér. sav. du lat. dualis « qui est composé de deux », de duo « deux ».
Philosophie.
1 Doctrine qui admet dans l'univers deux principes premiers irréductibles. || Antagonisme, conflit des principes du Bien et du Mal dans les dualismes zoroastrien, manichéen… || Dualisme de l'Idée et de la Matière chez Platon.
0 (Le) conflit entre le dieu du soleil (…) et le dragon qu'on supposait le gardien de la pluie, devint en Perse la lutte spirituelle entre le bien moral et le mal moral : de façon qu'un texte, suggéré par un spectacle très commun du monde extérieur, se trouva être le fondement d'une philosophie connue sous le nom de Dualisme (en d'autres mots, le conflit entre deux dieux, l'un bon, l'autre mauvais)… Ce combat du bien et du mal (…) on en parle aussi comme du grand conflit entre Ormuzd et Ahriman.
Mallarmé, les Dieux antiques, Mythes perses, Pl., p. 1174.
2 Système qui, dans un ordre d'idées quelconque, admet la coexistence de deux principes essentiellement irréductibles. || Dualisme de la nature et de la grâce. || Dualisme de la volonté et de l'entendement. || Dualisme de la matière et de l'esprit.
3 Coexistence de deux éléments différents. Dualité. || Dualisme de l'Autriche-Hongrie (1867-1919). || Dualisme de races, de religions. || Dualisme des partis.
4 Ethnol. Organisation sociale dualiste par division d'une ethnie en deux clans.
Écon. Juxtaposition de deux secteurs économiques à caractéristiques différentes.
CONTR. Monisme, pluralisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.