ALSACE
L’Alsace est la plus petite des vingt-deux régions françaises avec 8 280 kilomètres carrés (1,5 p. 100 du sol national). Mais, en 1990, ses deux départements, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, totalisent 1,62 million d’habitants, soit 2,9 p. 100 de la population française grâce à une économie diversifiée et à une forte urbanisation. Ses limites ont été façonnées par l’histoire à laquelle elle doit également son évolution économique, sa biculture, son dialecte et son droit local. Centre de la vie intellectuelle au Moyen Âge, elle a retrouvé un rôle en Europe: façade française sur le Rhin, elle est associée à la dynamique «dorsale» européenne que ce fleuve parcourt.
1. Histoire
Des origines à 1789
Des villages lacustres à la fin de l’occupation romaine
À l’origine, l’Ill et le Rhin mêlaient abondamment leurs eaux dans cette dépression de la terrasse lœssique qui allait devenir la plaine d’Alsace. Ce vaste marécage n’étant guère hospitalier, l’homme de l’époque paléolithique y a laissé peu de traces. Au Néolithique, des habitations sur pilotis sont construites au bord des rivières: l’art du potier en est à ses premiers balbutiements. Il faut attendre l’âge du bronze pour parler d’un peuplement de la région; les trouvailles plus nombreuses témoignent d’un progrès sensible. Ce furent les dernières vagues celtiques, parties de la région danubienne, qui apportèrent les prémices d’une civilisation durable comme l’attestent la toponymie et, au mont Saint-Odile, l’architecture du «mur païen», typique de ces retranchements construits en blocs cyclopéens que rendaient nécessaires d’incessantes invasions.
L’une d’elles, conduite par les Suèves, fut à l’origine de l’intervention de Rome et se solda par la victoire de César sur Arioviste en 58 avant J.-C. Dès lors, aux pistes gauloises se substitueront les voies romaines reliant Augusta Rauracorum (près de Bâle) à Mayence, et la Rhénanie à la vallée du Rhône; deux siècles et demi de paix romaine feront oublier les guérillas entre tribus gauloises (Médiomatriques au nord, Séquanes et Rauraques au sud) contenues par l’occupant dans des circonscriptions administratives: les provinces de Germanie supérieure (chef-lieu Mayence) et de Séquanaise (chef-lieu Besançon); enfin Brocomagus (Brumath), l’ancienne capitale des Triboques, sera éclipsée par Argentoratum (Strasbourg), à la fois camp militaire, gardienne d’un réseau routier développé, centre d’échanges commerciaux et productrice d’objets de fer et de bronze. Son sort fut lié à celui des légions romaines. Sels (Saletio ), Brisach (Mons Brisiacus ), Saverne (Tres Tabernae ), Horbourg (Argentovaria ), tous points stratégiques importants, connurent la même aventure à laquelle participèrent militaires, marchands itinérants, paysans et artisans, notamment les potiers de Heiligenberg et d’Ittenwiller, dont les belles coupes de terre sigillée semblent avoir été fort appréciées.
Cette coopération fructueuse apporta sa contribution à la civilisation gallo-romaine, qui s’exprima en pays rhénan par une plastique rude et réaliste dont un des thèmes favoris était peut-être celui du «cavalier à l’anguipède». Profondément enraciné, le paganisme celtique se profilait derrière le panthéon romain comme en témoignent statues et ruines (notamment celles du grand temple dédié à Teutatès, encore visibles au Donon). Le culte oriental de Mithra, dieu des légionnaires (mithrea , ou sanctuaires de Kœnigshoffen et de Mackwiller), introduisit les premiers germes de mystique. De ce syncrétisme harmonieux, que restait-il après les Grandes Invasions, qui commencèrent en 352? Ce fut le désastre et la ruine: les Alamans occupèrent toute la plaine; ils constitueront désormais le fond de la population alsacienne.
Les heures obscures du haut Moyen Âge
Prenant la relève de l’Empire romain agonisant, l’Église entreprit de regrouper autour d’elle ce qui survivait des communautés gallo-romaines. Tâche ingrate dans un pays très peu christianisé. Elle en triompha pourtant et il faut citer des noms prestigieux, tels ceux de saint Amand considéré comme le premier évêque de Strasbourg, saint Arbogast et saint Pirmin. Des édifices religieux s’élèvent un peu partout: églises de Saint-Pierre et de Saint-Étienne à Strasbourg, abbayes bénédictines de Murbach, Munster, Ebersmunster, Andlau, Wissembourg. Les moines défrichent les terres gagnées sur la forêt et répandent la culture de la vigne et des céréales. La lente progression de ce travail anonyme fut souvent compromise par les désordres de l’époque (Huns au Ve siècle, Hongrois au Xe), mais peu à peu se forge la personnalité du pays, et, au VIIIe siècle, les textes font la distinction entre Alsatii et Alamani .
Quant au nom «Alsace», cité pour la première fois au VIIe siècle, il est impossible de préciser sa date de naissance. Fut-il antérieur à la création par les Francs d’un duché entre la forêt sainte de Haguenau et le Jura? Faut-il y voir une origine germanique (Alis-lauti-sat , établissement en pays étranger), celtique (Alis-atia , région au pied de la montagne), ou plus simplement une déformation d’Ell (Ill) Sass (vieux mot allemand pour habitant)? Autre événement d’ordre linguistique: le Serment de Strasbourg (842), alliance des héritiers de Charlemagne, Charles le Chauve et Louis le Germanique, rapporté en langue romane et en allemand. Signalons également le premier poème allemand, œuvre d’un moine de Wissembourg, Otfried.
Ainsi, grâce à la ténacité laborieuse de ses habitants, l’Alsace émergea de la nuit des temps, parée d’édifices sacrés, et prête à entrer en lice pour la compétition commerciale qui caractérisera la période suivante.
Libertés et urbanisme dans le cadre du Saint Empire romain germanique
Au XIIe siècle commence l’âge d’or des cités. Des campagnards abandonnent la glèbe pour l’artisanat et le négoce, déjà pleins de promesses lucratives, et c’est l’éclosion de villes nouvelles, l’agrandissement des anciennes. Après Strasbourg obligée d’élargir plusieurs fois son enceinte, Haguenau, sise aux portes d’un château impérial, reçoit un privilège de Frédéric Barberousse (1164). Au XIIIe siècle, Colmar, Sélestat, Obernai sont autorisés à s’entourer de murs. Une large autonomie politique caractérise ce développement urbain. Strasbourg, qui se libère en 1262 de la tutelle de son évêque, se voit reconnaître le titre rare de «ville libre»; dix autres villes impériales dont Wissembourg, Haguenau, Colmar et Mulhouse, s’unissent en 1354, dans une ligue, la Décapole, qui se maintiendra durant trois siècles.
Jusqu’au début du XIVe siècle, quelques familles puissantes détiennent partout le pouvoir. Puis les métiers, organisés en corporations, forcent peu à peu l’entrée des Conseils dirigeants (Rat ) et réduisent finalement le patriciat à un rôle purement honorifique, l’écartant même parfois entièrement de la vie politique. C’est l’époque où artisans et commerçants déploient une grande activité. La batellerie strasbourgeoise achemine aux foires de Francfort et ailleurs les céréales et le vin d’Alsace. Ce dernier, dont la production égalait presque celle d’aujourd’hui, était exporté jusqu’en Angleterre et en Scandinavie, tandis que les draps grossiers de basse Alsace trouvaient preneur en Suisse et même en Italie.
Cette prospérité résiste aux calamités diverses qui frappent la contrée: invasions des routiers de la guerre de Cent Ans, des «Anglais» puis des «Armagnacs»; peste noire de 1349, décimant la population et entraînant des massacres de juifs qui, désormais et jusqu’à la Révolution, sont exclus des villes; guerres féodales endémiques, d’autant plus fréquentes que ni les Habsbourg qui dominaient la majeure partie de la haute Alsace ni Charles le Téméraire qui durant quelques années substitua son autorité à la leur ne surent réaliser l’unité du pays.
Autre caractéristique des derniers siècles du Moyen Âge: l’intensité de la vie religieuse. Fondation de couvents nouveaux, au XIIe siècle, par les ordres de Cluny, de Cîteaux, de Hirsau (Allemagne); au XIIIe siècle, par les franciscains et les dominicains, qui connaissent un succès étonnant (deux couvents dominicains d’hommes, et sept de femmes à Strasbourg) et jouent un rôle culturel de premier plan malgré d’âpres querelles avec le clergé séculier. Le dominicain Tauler contribuera à faire de Strasbourg, puis de Colmar, des foyers de la mystique rhénane.
Quant à la littérature profane, elle prend un tour plus aimable, plus accessible aussi, car poètes et prosateurs abandonnent le latin pour l’allemand. On chante l’amour courtois, la Minne en s’inspirant des troubadours provençaux, tels Reimar de Haguenau, le «chef des rossignols», et surtout Gottfried de Strasbourg, qui adapta le roman de Tristan et Iseut . Enfin, on trouve des œuvres historiques comme les Annales des dominicains de Colmar et la Chronique strasbourgeoise de Kœnigshoffen (début XVe s.).
La fin du Moyen Âge connaît un essor artistique dont la variété s’explique par l’entrecroisement d’influences françaises, allemandes et italiennes. Dès le XIe siècle s’édifient plusieurs églises romanes; la plus originale est celle d’Ottmarsheim, consacrée par le pape alsacien Léon IX en 1049; à plan central octogonal, elle dérive visiblement de la chapelle royale d’Aix-la-Chapelle. Ailleurs les bandes lombardes témoignent de l’apport italien: c’est le cas notamment à Marmoutier et surtout à Rosheim. L’influence lorraine, au contraire, prévaut à Sainte-Foy-de-Sélestat, et la bourguignonne au chevet de Murbach.
L’art roman s’attardera jusqu’au milieu du XIIIe siècle, tout en empruntant au style nouveau certains éléments comme l’arc en tiers-point. Puis, subitement et irrésistiblement, s’impose l’art gothique, qui se réalise magnifiquement dans la cathédrale de Strasbourg (fin XIIe-XVe s.). Accolée au chœur et au transept romans, une nef aérienne du plus pur gothique français s’élève entre 1240 et 1260 environ. Le plan de la façade commencée par maître Erwin dès la fin du XIIIe siècle devait comporter deux tours. On y substitua un puissant massif occidental dans la tradition impériale sur lequel fut portée, au XVe siècle, une tour unique octogonale, surmontée d’une flèche ajourée de 142 mètres de hauteur. Dans la sculpture se retrouvent ces influences opposées: les statues du pilier des Anges, la Synagogue, l’Église sont de facture chartraine, et d’autres sculptures trahissent une origine rémoise ou bourguignonne; au contraire, au portail occidental, les Vierges sages et les Vierges folles, par leur réalisme appuyé, s’inspirent nettement d’un modèle de Magdebourg.
Parmi tant d’autres églises gothiques, il faut citer au moins celle de Thann, souvent qualifiée de cathédrale en raison de ses dimensions; sa richesse ornementale s’explique par la vogue de son patron, saint Thiébaut. Car on circulait beaucoup en Alsace: pèlerins, tailleurs d’images, soldats, marchands, et il faudra ajouter bientôt, réformateurs et humanistes.
L’humanisme en Alsace. Heurs et malheurs de la Réforme
Au début était l’imprimerie. Mise au point à Strasbourg par Gutenberg, elle assura la diffusion des ouvrages anciens et le cheminement des idées nouvelles. Déjà à la fin du XVe siècle, Geiler de Kaysersberg, prédicateur à la cathédrale, ose s’attaquer aux vices de la société en général et du clergé en particulier. Quelque chose s’ébranle dans l’édifice rigide que la scolastique du Moyen Âge avait cru immuable. Strasbourg est prête à recevoir les premiers messages de Luther (1517) et bien d’autres villes après elle, dont Mulhouse et Wissembourg. Dès 1519, les presses strasbourgeoises publient quatre traités de Luther. La fièvre monte dans la ville, entretenue par tous ceux qui viennent y prêcher la parole nouvelle. Parallèlement, on assiste à la progression de l’humanisme. Il se manifeste précocement à Sélestat. Son école où Witz, dit Sapidus, introduit l’étude du grec comptera parmi ses élèves Beatus Rhenanus qui fit don à sa ville natale d’une bibliothèque prestigieuse.
Strasbourg, à son tour, allait devenir un des hauts lieux de l’humanisme; cela lui vaudra, entre autres, un Éloge d’Érasme qui, en 1514, avait été l’hôte de la société littéraire animée alors par Sébastien Brant (auteur de La Nef des fous ) et Wimpheling. C’est surtout à partir de 1523 que les savants affluent de partout. Il faut citer principalement Martin Bucer, Capiton, Hédion, Sleidan et Jean Sturm dont le nom est lié à l’enseignement de qualité qu’il dispensa pendant une quarantaine d’années au Gymnase, fondé en 1538, dont il était le recteur. Cette haute école où professa notamment Calvin sera élevée au rang d’académie en 1566 et d’université en 1621.
Organisation des cours, publication d’ouvrages de tous genres, cette vitalité ne pouvait demeurer sans écho dans le domaine artistique. La technique des graveurs, verriers, orfèvres parvient à un degré de raffinement frisant le maniérisme, que l’on rencontre également dans l’ornementation des demeures bourgeoises. La peinture qui, antérieurement, avait déjà trouvé un maître accompli en Grünewald, auteur du célèbre retable d’Issenheim, s’illustre avec Baldung Grien. Ce Strasbourgeois d’adoption, qui fut l’élève de Dürer, mérite de figurer dans la galerie des peintres les plus représentatifs de l’humanisme.
Cependant, loin du faste des villes, des rumeurs de révolte grondent dans la campagne où la Réforme apporte l’espoir soudain d’une amélioration des conditions sociales. Conjurations, formations de bandes armées aboutissent à la sanglante guerre des Paysans qui se terminera par un affreux massacre de dix-huit mille d’entre eux, et le rétablissement de l’ordre ancien. Calme très relatif, car la Réforme entraîne de profonds bouleversements politiques. Voici Strasbourg devenue une sorte de capitale du protestantisme et portée, de ce fait, à se rallier à la ligue protestante conclue à Smalkalde (1532), négociant avec le roi de France, tout en ménageant Charles Quint, tâche bien difficile dont le politicien Jacques Sturm s’acquitte adroitement.
La défaite des protestants allemands en 1547 complique la situation et compromet momentanément les progrès de la religion nouvelle. Finalement la répartition géographique du protestantisme et du catholicisme en Alsace sera conforme au principe de la paix d’Augsbourg (1555): tel prince, telle religion. Les positions se durcissent de part et d’autre: Contre-Réforme menée par les jésuites, intolérance des luthériens comme Pappus et Marbach. C’est l’annonce du déclin intellectuel et du marasme financier qui vont peser sur l’Alsace au XVIIe siècle.
Guerre de Trente Ans. Rattachement de l’Alsace à la France
Pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648), l’Alsace servit de champ de bataille aux armées impériales, suédoises, weimariennes et françaises. Massacres, famines, pestes déciment plus de la moitié de la population, et c’est une Alsace misérable qu’en des clauses obscures le traité de Westphalie cède à la France. En fait, seule la haute Alsace lui est nettement reconnue, et Louis XIV profitera de la guerre de Hollande pour accentuer sa domination sur la Décapole (1673). En 1680, les arrêts de «réunions» forcent les dynastes alsaciens à faire leur soumission. 1681 est marqué par la prise de Strasbourg et la fortification de la ligne du Rhin par Vauban.
Un intendant siégeant à Strasbourg et un Conseil souverain établi à Colmar assurent l’organisation de la «Province d’Alsace». Les privilèges locaux sont largement respectés, sauf en matière religieuse (recul du luthéranisme à la suite du soutien officiel apporté au catholicisme), mais l’esprit de tolérance triomphera au XVIIIe siècle, gagnant même les quatre cardinaux de Rohan qui se sont succédé à l’évêché de Strasbourg.
Siècle de paix (interrompue, il est vrai, en 1744 par l’invasion des «pandours», corps francs hongrois incorporés par la suite dans l’armée autrichienne). Siècle de prospérité: en 1789, la population a triplé par rapport à la fin du XVIIe siècle, on développe la culture de la pomme de terre et du tabac, du chanvre et de la garance. En 1746, Mulhouse crée son industrie textile avec bientôt vingt-quatre fabriques. Sur le plan culturel, à côté de l’université catholique transférée de Molsheim à Strasbourg en 1701, l’université protestante retrouve un éclat international, attirant des élèves comme Goethe, Herder et Metternich.
C’est aussi l’époque des églises baroques (Ebersmunster et Guebwiller) et des palais tels ceux des cardinaux de Rohan. Enfin, l’engouement pour le style à la française qui se rencontre jusque dans les maisons bourgeoises, la pénétration de la langue et des idées nouvelles annonciatrices de la Révolution allaient susciter les sympathies profondes qui attacheront désormais les Alsaciens à la France. La province d’Alsace va laisser place aux départements.
De 1789 à 1945
La Révolution et ses répercussions en Alsace
Le 21 juillet 1789, à la nouvelle de la prise de la Bastille, le peuple strasbourgeois se précipite à l’hôtel de ville qu’il saccage entièrement. Châteaux et abbayes sont pris d’assaut par les paysans, notamment dans le Sundgau. La première grande manifestation populaire se déroule à l’occasion de la fête de la Fédération du Rhin qui rassemble à Strasbourg, le 13 juin 1790, cinquante mille citoyens, Alsaciens, Lorrains, Francs-Comtois, accueillis par le maire de la nouvelle municipalité, Dietrich. La Constituante supprime les institutions de l’Ancien Régime; à la province d’Alsace se substituent les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
C’est pendant cette période agitée que se crée l’unification de l’Alsace avec la France: la population, dont les aspirations profondes tendent depuis le Moyen Âge à la démocratie, accepte avec enthousiasme les réalisations révolutionnaires; en même temps se dessine une réaction hostile à l’Allemagne, devenue le symbole des «tyrans étrangers» par suite de l’émigration et, surtout, des menées antirévolutionnaires des princes d’Empire possessionnés en Alsace. Aux institutions féodales germaniques s’opposent les libertés démocratiques françaises. C’est pour les sauver et défendre leur territoire que les Alsaciens se battent avec tant d’acharnement lorsque surgit le péril de l’invasion. La Marseillaise , née à Strasbourg, traduit cette ferveur. Cependant ces élans d’enthousiasme connaissent des fluctuations dues aux excès de la Terreur, car les proclamations des «représentants du peuple» signées Saint-Just et Lebas ne sont pas toutes aussi affables que celle qui invite les citoyennes de Strasbourg «à quitter les modes allemandes puisque leurs cœurs sont français».
Ordres de réquisitions, emprunts forcés se multiplient, et, dans le Bas-Rhin, un ancien moine franciscain, Euloge Schneider, fait régner la Terreur. Parallèlement, en 1793, on assiste au triomphe de la déchristianisation avec la fermeture des églises, la destruction des statues et la conversion en temple de la Raison de la cathédrale de Strasbourg, affligée de surcroît d’un bonnet phrygien coiffant sa flèche en quoi l’on voyait une «insulte à l’égalité». Indépendamment de ces mesures persécutrices, sévira jusqu’à la fin de la Révolution une véritable guerre religieuse opposant les prêtres réfractaires qui se réclament du cardinal Louis de Rohan, réfugié au pays de Bade, et le clergé «jureur», difficilement recruté (souvent à l’étranger) et mal accueilli par les fidèles, surtout à la campagne. Car la ferveur religieuse ne faiblit pas, d’où les apparitions fugitives de nombreux réfractaires dès que les rigueurs terroristes se relâchent un moment.
Après la chute de Robespierre, les municipalités se débarrassent des Jacobins, les prisons se vident, les églises sont rendues aux cultes catholique et protestant. La lutte entre patriotes et contre-révolutionnaires continue pendant tout le Directoire, période confuse dont le fait marquant est la réunion à la France, en 1798, de Mulhouse, dernière ville libre, associée jusqu’alors aux cantons suisses. L’unité de l’Alsace est achevée.
Le Consulat et l’Empire
Avec le Consulat, les émigrés reviennent nombreux et les esprits les plus conciliants accueillent favorablement le Concordat qui viendra péniblement à bout des luttes religieuses. Le blocus continental a pour corollaire le développement de la culture de la betterave à sucre et l’essor de l’industrie textile de Mulhouse débarrassée de la concurrence anglaise. L’Alsace est gouvernée par des administrateurs de talent tel Lezay-Marnésia, préfet du Bas-Rhin de 1810 à 1814. La réfection des routes, l’assainissement des finances, le retour à la prospérité expliquent la popularité durable de Napoléon dont la gloire fascine l’imagination populaire. C’est une réception grandiose qui, le 22 janvier 1806, accueille au pont du Rhin le vainqueur d’Austerlitz. Cette visite est marquée par le décret de construction du canal du Rhône au Rhin. Durant toute l’épopée napoléonienne, l’Alsace fournira contingents et généraux dont Kellermann, Kléber et Lefebvre.
1814 amène un nouveau déferlement des Alliés sur l’Alsace. Les coups de théâtre se succèdent. Abdication de Napoléon, accession des Bourbons au pouvoir, retour de l’île d’Elbe. Ce dernier événement suscite en Alsace un enthousiasme délirant qui éclate à l’occasion de la fête de la Confédération des départements du Rhin. Puis, l’invasion recommence. Après le départ de Napoléon, le second traité de Paris ampute l’Alsace de la région qui s’étend au nord de Wissembourg, cédée à la Bavière.
L’Alsace de 1815 à 1870
Peu de faits marquants pendant cette période où deux révolutions, des conspirations, un coup d’État et des régimes successifs sont enregistrés passivement. Pas d’incidents lors du voyage de propagande de Charles X en 1828. La politique conservatrice de Guizot aura l’approbation de la bourgeoisie. En 1836, échec lamentable de la tentative de soulèvement de la garnison de Strasbourg par le prince Louis-Napoléon. L’esprit républicain qui semble se réveiller en 1850 (envoi d’un grand nombre de députés rouges à l’Assemblée) retombe en léthargie: on comptera un nombre insignifiant de «non» au plébiscite sur l’Empire. L’Alsace se désintéresse de la politique, tout occupée à développer son économie fondée sur l’essor du machinisme, le percement des canaux (Rhône au Rhin et Marne au Rhin), la construction d’un réseau ferroviaire, jusqu’à ce que le désastre de 1870 l’arrache brutalement à cette douceur de vivre (cf. question d’ALSACE-LORRAINE).
L’Alsace après 1870
Pendant quarante-huit années (1871-1918), devenue «terre d’Empire» (Reichsland ), l’Alsace a vécu repliée sur elle-même. Son particularisme s’affirme alors, notamment lorsqu’elle vise à l’autonomie sur un pied d’égalité avec les États allemands. C’est l’origine des difficultés de sa réintégration dans l’unité française.
La «question d’Alsace-Lorraine» n’avait pas été résolue avec la victoire de 1918. Les souffrances endurées par les Alsaciens, l’élan avec lequel ils accueillirent leurs compatriotes retrouvés les autorisaient à défendre leur particularisme dont le génie centralisateur de la République ne pouvait pas ne pas tenir compte.
Du désir des Alsaciens de rester fidèles à eux-mêmes et à la France, Hitler ne tint aucun compte. Encore qu’aucune loi organique entre 1940 et 1945 n’ait rattaché l’Alsace au IIIe Reich, l’annexion fut écrasante.
Le 20 mars 1945, l’Alsace est enfin libérée. Elle se relève de ses ruines et s’apprête à assumer un rôle auquel sa situation géographique et son passé semblaient la prédestiner: Strasbourg devient la capitale politique de l’Europe démocratique avec l’installation du siège permanent du Conseil de l’Europe, puis celle du Parlement européen de la C.E.E. et de diverses institutions européennes, dont la Cour européenne des droits de l’homme.
2. Géographie économique
Paysages
Le cadre naturel offre une variété de paysages: une partie du fossé rhénan à l’ouest du fleuve; le versant oriental abrupt des Vosges; un petit fragment du Jura (dans le haut Sundgau) et des éléments de paysages lorrains (au nord-ouest, l’Alsace bossue). La géologie et la géomorphologie des Vosges amènent à distinguer, au sud, les hautes Vosges, aux sommets en «ballons» avec hautes chaumes, aux grandes vallées à longs versants où sont localisés habitat et activités majeures, et, au nord, les Vosges du Nord, moins élevées, aux entablements gréseux disséqués, fortement boisés. Deux systèmes de failles séparant le massif vosgien du fossé rhénan encadrent les collines sous-vosgiennes (roches sédimentaires variées fracturées), terres d’élection du vignoble alsacien ou de vergers, jalonnées de nombreuses petites villes anciennes égrenées le long de la première route méridienne (nord-sud) dite Bergstrasse . La plaine est constituée par des sédiments tertiaires dégagés en basses collines recouverts de limons quaternaires (Sundgau, pays de Brumath, Kochersberg, Outre-Forêt), des cônes de déjection quaternaires construits par les rivières venues des Vosges (infertiles), des restes de terrasses alluviales rhénanes et, en contrebas, des dépôts de lits d’inondations récents (du Rhin, de l’Ill et des rivières vosgiennes) dénommés rieds . Le puissant remblaiement sédimentaire de la plaine comporte, en profondeur, la présence de potasse exploitée au nord de Mulhouse et, en Alsace du Nord, le gisement, aujourd’hui épuisé, du pétrole de Pechelbronn. Il recèle une puissante nappe phréatique alimentée par le Rhin et son système d’affluents, et d’importantes masses de granulats (gravières).
Cette mosaïque multiplie les contrastes paysagers où les nuances topographiques et pédologiques jouent un grand rôle. En plaine s’opposent les ackerlands aux terres rendues fertiles par les couvertures limoneuses ou lœssiques (basses collines, parties de terrasses), les hardts à forêts sèches ou à landes (cônes de déjection, terrasses rhénanes caillouteuses) et, jusqu’aux années 1950, les rieds humides à prairies et forêts ripisilves; là, la régularisation puis les aménagements du Rhin, en y abaissant le toit de la nappe phréatique, ont facilité le recul des prés devant la culture du maïs et provoqué la réduction des forêts (réalisation du grand canal d’Alsace, de barrages hydroélectriques, création de zones industrielles).
Population
La densité de la population régionale (196 hab./km2) résulte d’une précoce et intense occupation du sol associant des campagnes tôt défrichées aux villages proches (habitat groupé) et des petites villes nombreuses fixant artisanat et échanges, d’une forte natalité qui s’est maintenue à un taux supérieur à la moyenne française jusqu’à la fin des années 1960, d’une agriculture intensive, d’une industrialisation assez généralisée dès le XIXe siècle et bien relancée à compter des années 1950, et enfin d’une dynamique urbaine soutenue.
Après les guerres du XVIIe siècle, l’Alsace a connu un accroissement naturel très excédentaire grâce à une natalité forte (de 35 à 40 p. 1 000 jusque vers 1880) permise par l’intensification et l’amélioration des techniques culturales (cultures nouvelles, assainissement des rieds), l’appropriation des terres et la diffusion d’ateliers en milieu rural. Malgré l’émigration provoquée par l’annexion au Reich, en 1871, et malgré les guerres mondiales auxquelles elle paya tribut de diverses manières, l’Alsace demeura un fort foyer de peuplement. Le taux de natalité y resta élevé plus longtemps que dans le reste du pays (24 p. 1 000 en 1910, 19,3 en 1930), ce qui maintint une jeunesse relative à la province; sa participation au «baby boom» demeura également à un bon niveau jusque vers 1965-1968, d’où un potentiel actuel d’actifs élevé. Les vagues d’industrialisation ont en outre induit des afflux extérieurs d’étrangers (années 1920 et 1930, et 1960-1974) et de Français d’autres régions: le solde migratoire est demeuré excédentaire de 1945 jusque vers 1975, d’autant que l’émigration des Alsaciens, dans le même temps, était réduite. D’où un «fonds autochtone» important: en 1975, 73,3 p. 100 des habitants étaient nés dans cette région.
Maintenant, le taux de fécondité a chuté, rejoignant le niveau national, et on relève une relative surmortalité. Les effectifs d’étrangers sont stabilisés et forment 8 p. 100 de la population. Le solde migratoire est devenu quasi nul, les mouvements ne portant que sur de petits nombres.
La distribution des habitants a, bien entendu, évolué. Le maximum des peuplements ruraux se situe vers 1820-1860 (taux d’urbanisation de 36,6 p. 100). Le glissement vers les villes s’est opéré avec le développement industriel et les moyens de transport modernes vers Mulhouse, Strasbourg et les villes moyennes surtout, mais sans dévitaliser les campagnes et les vallées, car l’industrie y a tôt trouvé place. Mais la crise des industries traditionnelles a affecté notablement celles-ci au XXe siècle, l’installation de nouveaux établissements entre 1955 et 1978 ne jouant que trop faiblement dans les vallées vosgiennes, la moyenne Alsace, le Sundgau et l’Alsace bossue. En revanche, ailleurs, ce nouveau semis d’industries ainsi que le travail en R.F.A. et en Suisse pour les cantons frontaliers ont fixé le peuplement des contrées rurales et de leurs petites villes. Cependant, de 1954 à 1990, plus de la moitié des gains d’habitants en Alsace a été captée par les bassins d’emploi de Strasbourg (plus de 158 000) et de Mulhouse (plus de 80 000), le reste se partageant entre ceux de Colmar, Haguenau, Molsheim et Saint-Louis (ensemble plus de 100 000) et dans une moindre proportion ceux de Sélestat, Saverne, Wissembourg ou Altkirch. Ces traits, avec la péri-urbanisation récente, expliquent l’actuel taux d’urbanisation (74 p. 100) et l’urbanisation des modes de vie et des mentalités, sans renoncement à une forte identité ancrée dans les «pays», et leurs traditions.
Agriculture
L’agriculture a été longtemps l’activité fondamentale, axée sur la polyculture céréalière pratiquée sur des terroirs d’openfields par des communautés villageoises. Précocement intensive, elle inclut assez tôt des cultures commerciales (garance, tabac, puis houblon et betterave à sucre) et remplaça la jachère par les fourrages artificiels pour l’élevage associé au système de culture. Le vignoble est également très ancien. Il s’était démesurément étendu après 1871 au détriment de la qualité et s’est réorienté au XXe siècle sur les productions A.O.C. (vins d’appellation d’origine contrôlée) désignés par les cépages (sylvaner, muscat, pinot, riesling, gewurztraminer); le «crémant» (mousseux) connaît un grand succès actuellement. Une extension récente des terres A.O.C. (+ 13 p. 100 entre 1979 et 1988) permet à la production de dépasser le million d’hectolitres, répartie entre 6 550 exploitants (7 400 en 1979) qui se partagent 13 500 hectares (la vigne occupe une surface totale de 14 740 ha). La vente est assurée par des négociants (40 p. 100 environ) ou par des coopératives (de 25 à 30 p. 100), et 30 p. 100 sont vendus directement par des viticulteurs manipulants. Le produit représente à lui seul 25 p. 100 de la production agricole régionale – alors que la vigne ne couvre que 4 p. 100 de la surface agricole – et se positionne bien à l’exportation (cinquième rang en France pour les vins).
Le houblon a connu une forte concentration des surfaces (le dixième de 1883, soit 475 ha) et des planteurs (de 3 000 en 1955 à moins de 300 actuellement) mais garde, en tonnage, une bonne stabilité (1 100 t); de même pour le tabac dont la production, 6 900 tonnes, est inférieure de moitié à celle des années 1950.
La production de betterave à sucre était aussi très éparpillée (répartie sur 6 000 exploitations en 1950). Il s’y est opéré une concentration des producteurs équipés de façon moderne (940) pour fournir 250 000 tonnes (quotas stabilisateurs) traités à la sucrerie d’Erstein. L’Alsace est aussi connue pour ses choux à choucroute, ses légumes et fruits alimentant des conserveries.
Mais les céréales gardent la place principale avec 48,1 p. 100 de la S.A.U.: blé tendre (310 000 t), orge (160 000 t) et maïs-grain en grand progrès (25 p. 100 de la S.A.U.) ou fourrager, dont la place est désormais considérable dans les pays de rieds. Les surfaces toujours en herbe régressent (33,7 p. 100 de la S.A.U. en 1979, 27,6 p. 100 en 1988), ne se maintenant que dans l’espace vosgien et partiellement dans le Sundgau, l’Alsace bossue, le pays de Hanau. En revanche, prennent place désormais avec des gains considérables le colza (4 900 ha en 1970, 11 150 en 1988) et le tournesol inexistant encore dans les années 1970 (près de 5 000 ha en 1988). La polyculture a cédé le pas devant des exploitations spécialisées et profondément modernisées, moins nombreuses qu’autrefois. Les 102 000 exploitations de 1907, les 64 600 de 1955 sont ramenées à 22 533 (1988): non par abandon des terres, mais par concentration en unités plus grandes. Celles qui avaient moins de 5 hectares (55,6 p. 100 en 1955) ne comptent plus que pour 46 p. 100, et celles de de 5 à 20 hectares (41 p. 100 en 1955) pour 28 p. 100. Celles de taille moyenne (de 20 à 50 ha) passent de 2,1 p. 100 en 1955 à 19,6 p. 100, et les plus grandes de 1,3 à 6,4 p. 100. 42 p. 100 des espaces travaillés sont le fait des exploitations moyennes, et 31,8 p. 100 sont aux mains des plus grandes fermes. Très largement remembré, le parcellaire se prête mieux à la mécanisation et à l’agriculture moderne. Dans le même temps, les actifs agricoles sont passés de 25 p. 100 en 1936 et 21 p. 100 en 1954 à 3,7 p. 100 en 1988.
Industrie
L’Alsace compte parmi les régions françaises les plus industrielles: 30 p. 100 des actifs, soit 185 115 en 1988 (4 p. 100 des effectifs nationaux) malgré les contractions de ce secteur depuis quinze ans; elle apparaît moins touchée, grâce à la diversité des branches que présente son tissu.
Amorcée dans le passé par l’exploitation de ressources vosgiennes (mines, bois, verre) et par l’artisanat des bourgs et des villes, elle se signale aussi précocement aux abords du massif (métallurgie à Niederbronn, outillage à Saverne) avant de connaître l’essor du textile: à Mulhouse, à l’initiative d’une bourgeoisie protestante qui l’impulsa et la diffusa dans les vallées des hautes Vosges; à Colmar, à Bischwiller, dans la vallée de la Bruche et des localités du piedmont. Une partie de l’industrie mécanique (Mulhouse, Guebwiller) et chimique (Thann) lui fut liée. De récessions en restructurations, le textile diminua au cours du XXe siècle, surtout dans les vallées qui par ailleurs n’ont pas vu les pertes compensées par d’autres industries issues d’une période récente de créations d’usines (1955-1978). Entre-temps, l’agglomération strasbourgeoise (carrefour, port) s’était industrialisée à son tour de façon diversifiée à partir de 1880. Au nord de l’Alsace, on exploitait le pétrole de Pechelbronn (jusqu’en 1960); près de Mulhouse, à partir de 1918, on extrait la potasse (apogée vers 1960, 11 Mt de produits bruts et 10 000 emplois), maintenant en récession (4 000 emplois) et dont la fermeture des mines est prévue vers 2004. Les implantations des années 1955-1978 ont, d’une part, fait naître plusieurs foyers aux abords du Rhin (Saint-Louis, Ottmarsheim, Neuf-Brisach) et dans bien des villes de la plaine ou du piedmont, et, d’autre part, conforté l’aire strasbourgeoise et relayé le textile à Mulhouse.
Au début des années 1990, la première place est tenue par les industries mécaniques et métallurgiques (66 300 emplois): première transformation, production d’équipements, de machines-outils, de matériel ferroviaire, automobile (Peugeot-Mulhouse avec 12 000 emplois, General Motors et divers équipementiers ou producteurs de pièces).
La branche matériel électrique et électronique emploie 17 500 salariés (Telic Alcatel, Clemessy), rattrapant presque le textile-habillement (18 000 actifs), aujourd’hui devancé par les industries agro-alimentaires (22 580). Malgré l’absence de traitement sur place de la potasse et la fermeture d’une des deux raffineries de pétrole créées au nord de Strasbourg en 1963 (oléoduc Sud européen), la chimie offre 10 000 emplois: 7 000 dans les produits de base et les fibres synthétiques et 3 000 dans les branches en progrès de la parachimie-pharmacie. Il faut ajouter 6 350 salariés dans le caoutchouc et les matières plastiques, et prendre en compte la modernisation de branches traditionnelles: travail du cuir (Adidas), 4 000 emplois; du bois et de l’ameublement (9 940); du papier-carton (6 000) et de l’imprimerie (6 740).
En termes de structures, on notera la large place des unités de 10 à 500 salariés: celles de 10 à 100 emplois représentant 77 p. 100 des établissements et 25 p. 100 des effectifs, celles de 100 à 500 comptant pour 18,6 p. 100 des usines et 36 p. 100 des salariés. Les établissements de plus de 500 salariés (4 p. 100) retiennent 39 p. 100 des actifs de l’industrie.
Dans les créations postérieures à 1950 interviennent largement les investissements extra-régionaux, étrangers ou provenant de divers groupes français. 36 p. 100 des effectifs relèvent d’entreprises à participation étrangère, faisant de la région l’une des plus ouvertes à ces capitaux (R.F.A., Suisse, Amérique du Nord et, maintenant, Japon...). 190 unités (P.M.I. ou plus grandes) ont ainsi leur centre de décision à l’étranger et 180 l’ont dans une autre région de France, de sorte que 56 p. 100 de l’emploi au moins est «dépendant» de l’extérieur. Cette situation conduit l’Alsace à être bonne exportatrice (à 72 p. 100 vers la C.E.E.). Toutefois, cela l’expose à la concurrence internationale; or elle se positionne majoritairement sur des activités classiques. Heureusement, son abondante main-d’œuvre est qualifiée, le taux d’investissement et les efforts de productivité et de modernisation dépassent la moyenne française, ce qui tend à corriger ce handicap (12,2 p. 100 seulement cependant des emplois se rattachent aux industries de haute technologie).
Au total, l’industrie fait montre d’une relative santé et d’un équilibre entre les grandes catégories de production (biens intermédiaires, d’équipement, de consommation et industrie agro-alimentaire), ce qu’exprime un faible taux de chômage (6,6 p. 100), atténué il est vrai par l’emploi frontalier qui concerne 56 000 actifs (22 700 vers la R.F.A., 33 300 vers la Suisse).
Organisation régionale
On distingue plusieurs ensembles longitudinaux. À l’ouest, du haut Sundgau à l’Alsace bossue, un arc englobe les contrées vosgiennes, en difficulté (déprise agricole, industries en récession ou de densité moindre, vieillissement) mais avec des potentialités touristiques «de nature» et de patrimoine. On s’efforce d’en organiser l’aménagement et le développement (contrats de développement, de pays d’accueil touristique, parcs naturels régionaux, «Vosges du Nord», «Ballons») pour y maintenir les habitants. Le vignoble, plus stable, doit sa richesse à ses productions et à ses villes attrayantes et vivantes. À l’est, le long du Rhin corrigé (1836-1876), régularisé (1870-1890), puis complété par le grand canal d’Alsace à grand gabarit (et le système de boucles qui le complète depuis 1956), dix centrales hydroélectriques et la centrale nucléaire de Fessenheim ont été construites, faisant de l’Alsace une région riche en énergie et ouverte à une batellerie de 1 300 tonnes. On a un moment pensé y développer un «boulevard industriel» doté d’amples zones industrialo-portuaires (années 1960). En fait n’ont pris corps que celles qui sont proches des grandes villes: Saint-Louis-Huningue (Bâle), Ottmarsheim (Mulhouse), Neuf-Brisach (Colmar) et, bien entendu, Strasbourg, port rhénan dès 1900, agrandi et devenu port autonome (1924). L’industrialisation, puis l’équipement plurimodal (Eurofret, trafic de conteneurs) ont cherché à compenser la réduction de la fonction de redistribution induite par la canalisation de la Moselle (chute du trafic lorrain) et à contrebalancer la concurrence de Bâle comme port terminus de la navigation rhénane (trafic actuel de Strasbourg: 4 Mt/an hors tonnage des graviers).
Toutefois, l’organisation est dominée par l’armature urbaine, hiérarchisée après 1850-1880. Trois agglomérations majeures commandent ce réseau. La métropole en est Strasbourg, vieille cité marchande rhénane (XIIIe-XVIe s.), qui a repris au XIXe siècle une place importante grâce à sa position de carrefour et à ses infrastructures (routes, canaux, rail, port), à des fonctions économiques étoffées (industries, banques, grossistes et détaillants, services marchands), et à l’administration (elle fut capitale du Reichsland d’Alsace-Lorraine entre 1871 et 1919). Capitale de région après avoir été «métropole d’équilibre», siège d’institutions européennes, pôle culturel et intellectuel (3 universités, 54 000 étudiants), deuxième ville de congrès de France, pôle touristique de renom, ce chef-lieu compte, en 1990, 388 500 habitants dans son agglomération, 425 860 dans l’aire de sa communauté urbaine (27 communes) et 500 000 dans sa zone d’emploi. Ses relais directs sont Haguenau (agglomération de 33 700 hab.), chef-lieu de sous-région pour l’Alsace du Nord, Saverne, rayonnant sur le nord-ouest du Bas-Rhin (15 000 hab.), et Sélestat (15 500 hab.), dont l’aire d’influence est disputée par Colmar. Colmar, chef-lieu du Haut-Rhin, au cœur du vignoble et du tourisme régional, est la capitale judiciaire de l’Alsace et le troisième pôle industriel régional (agglomération de 83 820 hab.). Mulhouse domine pour sa part le sud de la région et constitue le deuxième foyer alsacien, en une aire urbaine multipolaire allant des Vosges au Rhin, du bassin potassique au bas Sundgau. L’agglomération compte 233 850 habitants et le bassin d’emploi 273 400. «Manchester français» au moment de l’apogée du textile, elle est restée fortement industrielle, avec de grandes unités; mais elle développe, de nos jours, ses activités tertiaires: services aux entreprises, université à orientation technologique (5 000 étudiants), fonction «transports» (carrefour autoroutier et aéroport international avec Bâle). Ses musées techniques sont ses fleurons. Elle s’appuie sur Saint-Louis (agglomération de 33 500 hab.) pour son rayonnement vers le «secteur des trois frontières» (sud-est), sur Altkirch pour le Sundgau et, pour les Vosges, sur Thann-Cernay (28 900 hab.) et Guebwiller (26 000). Elle anime en outre un «réseau de villes» avec Colmar et Belfort-Montbéliard.
La fixation de la population, de l’emploi et du secteur tertiaire amorce ainsi une bipolarisation alsacienne plus forte.
L’Alsace actuelle s’efforce de devenir une région française active, compétitive, offrant un bon niveau et une bonne qualité de vie, en même temps qu’une région ancrée sur l’économie dynamique des pays du Rhin supérieur (eurorégion).
● alsace nom masculin Vin d'Alsace. (Ce sont le plus souvent des vins blancs secs qui se consomment jeunes. Les cépages caractéristiques sont le traminer, le riesling, le muscat, le pinot et le sylvaner.)
Alsace
région admin. française et région de la C.E., formée des dép. du Bas-Rhin et du Haut-Rhin; 8 310 km²; 1 648 849 hab.; cap. Strasbourg. Géogr. phys. et hum. - à l'E., le grand fossé du Rhin et de l'Ill, au climat semi-continental, groupe l'essentiel de la pop. (75 % de citadins). à l'O. s'élèvent les Vosges, humides et forestières (1 424 m au ballon de Guebwiller), peuplées dans les vallées. écon. - Traversée par le principal couloir de circulation de la C.E., l'Alsace est prospère (mais la crise du textile a affecté les Vosges): vignoble, polyculture de la plaine, élevage laitier et sylviculture des Vosges; l'industrie (notam. à Strasbourg et à Mulhouse), dispose d'une hydroélectricité abondante (barrages du Rhin et centrale nucléaire de Fessenheim), de gisements de potasse et offre une gamme variée de productions. Strasbourg est le siège d'import. organisations européennes.
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Alsace
région historique de France. Au IVe s., les Alamans s'en emparent. Clovis les vainc à Tolbiac en 496. Après le traité de Verdun (843), la rég. revient finalement à la Germanie (870). Dès le XIIe s., elle connaît une prospérité écon., puis culturelle. La guerre de Trente Ans la dévaste et elle est réunie à la France (1648). En 1871, elle devient allemande, redevient franç. (1919-1940), puis all. et enfin (1945) française.
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Alsace
(ballon d') sommet (1 250 m) des Vosges (France), au nord de Belfort.
alsace [alzas] n. m.
ÉTYM. XXe; de vin d'Alsace.
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♦ Vin d'Alsace (généralement blanc). || Un verre d'alsace. || Un excellent alsace.
➪ tableau Classification des vins.
Encyclopédie Universelle. 2012.