EUCHARISTIE
À l’origine, un événement: selon un usage juif, Jésus a partagé avant de mourir un repas avec ses disciples, rompant avec eux le pain «qui était son corps», et il les a invités à «faire cela en mémoire de lui». Ce repas religieux aux multiples significations a été transmis de génération en génération, comme un donné de tradition vivante qui toujours dépasse les explicitations théoriques que l’on peut en proposer. Cette tradition, fidèle, n’a pas connu un développement linéaire. On a insisté sur la sacralité de cet acte, puis on s’est efforcé de le désacraliser. On l’a surchargé de symboles admirables que beaucoup interprètent aujourd’hui comme des survivances d’un univers culturel devenu étranger. On l’a diversement ritualisé, avec certaines structures fixes toutefois. On a perdu, puis retrouvé quelques-unes de ses valeurs fondamentales. La valorisation de tel ou tel aspect de l’acte liturgique a engendré des théologies limitatives. Théologies – car ce geste a suscité aux divers temps de la vie de l’Église des doctrines accordées avec la façon dont il était vécu. Deux idées maîtresses y dominent: l’actualisation mystérieuse dans l’eucharistie de l’événement de salut qu’est la mort-résurrection du Christ; son lien à l’Église dont elle est le sacrement par excellence, signe et source d’unité.
1. Évolution des doctrines
Il n’y a pas de doctrine organisée de l’eucharistie dans le Nouveau Testament, mais on y trouve une pluralité de thèmes, parfois simplement évoqués et ne découvrant leur sens que sur la toile de fond de l’Ancien Testament: mémorial ( 見益見猪益兀靖晴﨟, 笠 Cor., XI, 25), action de grâce ( 﨎羽﨑見福晴靖精兀靖見﨟, Luc, XXII, 19), acte suprême d’amour ( 見塚見神兀靖見﨟, Jean, XIII, 1-20), unité ( 﨎晴﨟 見福精礼﨟, 﨎益 靖諸猪見, I Cor., X, 17), repas du Seigneur en attendant son retour ( 見﨑福晴 礼羽 﨎凞兀, I Cor., XI, 26; cf. Matth., XXVI, 29), pain de vie et corps du Christ ( 見福精礼﨟, 靖見福﨡, Jean, VI, 51-57; 靖諸猪見, I Cor., X, 16), Pâque nouvelle (Marc, XIV, 12-16; cf. Jean, XIX, 36). La période patristique sera l’âge d’or de la liturgie: création de rites multiples; enrichissement par des symboles empruntés au judaïsme ou au paganisme (lumières, gestes, vêtements, comparaisons poétiques); apparition de théologies symboliques comme celle d’Augustin, reliant entre eux et au mystère du salut les thèmes divers et désormais somptueusement étoffés. Cette pensée symbolique n’incluait aucune négation de la réalité de la présence du corps et du sang du Christ, même si celle-ci ne faisait pas l’objet d’analyses spécifiques. Le haut Moyen Âge avait gardé un sens vigoureux de la symbolique mais, dès le XIe siècle, survient la crise déclenchée par la réaction de Bérenger de Tours contre un matérialisme sacramentel très accusé. Bérenger semble nier la présence réelle, montrant par là que les augustiniens eux-mêmes ne comprennent plus le réalisme du symbole. Des siècles de dévotions au Saint-Sacrement et de constructions théologiques, l’intervention d’un concile (quatrième concile du Latran, 1215), ne sembleront pas de trop pour assurer cette doctrine. En outre, au XIIIe siècle, la participation réelle de l’assemblée est déjà très réduite (langue, évolution du chant), la théologie eucharistique s’appauvrit et n’est plus en connaturalité avec les symboles, la mentalité scolastique tend à définir avec précision le statut ontologique des réalités de salut. Toute l’attention se concentre sur la présence réelle du Christ, jusqu’à ce qu’une autre controverse vienne fournir un nouveau point de fixation. La doctrine scolastique était restée discrète et traditionnelle quant à l’aspect sacrificiel de la messe; mais on a tendu, à partir du XIVe siècle, à isoler le sacrifice eucharistique de celui de la croix jusqu’à sembler en faire un nouvel acte sauveur. On discutait sur son efficacité propre, sur la nature de l’immolation, etc. Là encore, la réaction brutale de Luther et des réformateurs entraîna un raidissement des catholiques, un gauchissement de la pratique (apologie de la messe privée, des intentions de messe) et de la théologie (spéculations sur le sacrifice). L’enseignement du concile de Trente (cf. session XXII, 1562) est modéré et équilibré. Mais nul lien théologique ne relie plus sacrifice et communion au Christ présent, et la pratique elle-même les dissocie (messe sans communion, communion en dehors de la messe) et les sépare de la vie réelle. Le renouveau liturgique vivifiant la vieille structure préservée par son conservatisme même et la purifiant, a obligé à revenir aux sources bibliques et patristiques, pour mettre en valeur toutes les richesses vécues et en chercher l’unité. Il faut donc revenir au fonds commun des rites eucharistiques tels qu’on les redécouvre aujourd’hui, pour déceler les valeurs essentielles qu’élabore la théologie.
2. Structure commune des rites eucharistiques
Originellement, l’eucharistie revêt le caractère d’un repas communautaire, mais ce repas comporte une indiscutable dimension cultuelle, qui a pu effacer la forme initiale. Dans les diverses familles liturgiques, la messe contient, après le rite d’entrée, une liturgie de la Parole, office de lectures avec des chants de méditation ou d’action de grâces . Cette proclamation actualisante de la Parole de Dieu et la prédication qui la prolonge ont pour effet de susciter la foi de l’assemblée, disposition indispensable pour que la liturgie ait un caractère chrétien authentique. Au cœur de cette liturgie de la Parole, une ou plusieurs prières adressées à Dieu (oraisons, prières d’intercession ) manifestent bien la structure de l’assemblée: un peuple fraternellement uni; des ministres (au moins un célébrant dûment ordonné) qui président; un dialogue s’institue entre eux, car ils sont tous ensemble tournés «vers le Père par le Fils dans l’Esprit». Viennent ensuite, en général, un geste – souligné dans certains cas par le symbolisme de la procession – et des prières d’«offertoire»: la simple préparation des « oblats » a été très gonflée au cours des temps; elle se conclut par une deuxième oraison. La partie essentielle de la célébration est la grande prière eucharistique, dont les traits majeurs peuvent être esquissés ainsi: une «préface» d’action de grâces précède l’anaphore proprement dite ou canon; elle a pu en être séparée en Occident par des accidents historiques, mais la continuité est telle, malgré le chant antique du Sanctus qui s’interpose, que l’anaphore débute parfois par la poursuite de l’hymne de louanges en reconnaissance des bienfaits de la création et du salut. L’anaphore se poursuit par une demande de sanctification des oblats (épiclèse) par Dieu (la première épiclèse ne se rencontre pas partout; elle mentionne souvent l’Esprit-Saint), pour qu’ils deviennent corps et sang du Christ. Suit le récit liturgique de l’institution de la Cène, et plus largement un rappel (anamnèse ou mémorial) de la mort et de la résurrection du Christ, auquel est intimement associée une prière d’offrande du sacrifice du Christ et de l’Église . L’anaphore s’achève par une demande de sanctification pour l’assemblée et l’Église entière (deuxième épiclèse), en attendant la consommation eschatologique , et par une doxologie. Le dernier cycle est celui de la communion à laquelle prépare le chant du Notre Père. Après le geste de communion – communion fraternelle dans et par la communion au Christ –, une oraison finale et une formule de «renvoi». Dans cette structure, gestes, rites et symboles donnent accès à des valeurs multiples (soulignées dans notre texte) qui sont le contenu même de l’acte liturgique et ne peuvent donc en être séparées. Ce sont ces valeurs qu’une réflexion chrétienne sur l’eucharistie doit intégrer et unifier.
3. Analyse des thèmes et recherche de synthèse
Le mémorial
Ce concept biblique représente l’idée-mère d’où naissent de façon organique tous les autres thèmes. Quand Jésus a dit «faites ceci en mémoire de moi», il ne prescrivait pas quelque chose de radicalement neuf, mais il demandait d’accomplir en souvenir de lui un geste que l’on était déjà accoutumé à faire: repas pascal ou repas de communauté à portée religieuse. Il importe au fond assez peu de savoir si la Cène fut ou non un véritable repas pascal: aussi bien dans les Évangiles synoptiques que dans celui de Jean, Jésus est la pâque nouvelle; au reste, tout repas ordinaire se déroulait dans une atmosphère pascale, celle du mémorial.
Selon la Bible, «faire quelque chose en mémorial» c’est rappeler un événement de l’histoire du salut, en ayant conscience de son actualité et de la participation réelle à laquelle on accède; un événement jadis accompli, non réitéré, mais partout et toujours présent dans la parole et le rite (Ex., XII, 14 et XIII, 9: c’est le couple classique mythe-rite; mais, paradoxalement, dans le judaïsme et dans le christianisme, les événements fondateurs sont historiques). Le mémorial de la Pâque est rappel de la délivrance, conviction qu’on la revit par le rite et que l’on y participe; il se complète par l’action de grâces et la louange. À travers le récit de la Cène et les anamnèses liturgiques, auxquelles est intimement liée l’offrande, l’objet du mémorial apparaît clairement: ce que l’on rappelle aux hommes, c’est la pâque du Seigneur, la nouvelle alliance, sa mort-résurrection. Si le mémorial est la forme originaire à partir de laquelle se déploient les autres valeurs – et c’est pourquoi il faut partir de lui –, la Pâque en est le contenu, qui permettra, au terme, d’en synthétiser toutes les données partielles. Le mémorial inclut encore un rappel à Dieu: qu’il se souvienne, lui aussi, de l’homme (Ex., XXXII, 43). On remarque donc dans le mémorial une présence de l’intercession qui se retrouvera dans toutes les liturgies chrétiennes: que Dieu poursuive l’œuvre de salut dont on fait mémoire et qui devient actuelle pour l’assemblée! Cela fait découvrir également une ouverture vers l’avenir: le royaume de Dieu est manifesté dans l’eucharistie, mais il est aussi absent, et la supplication se nuance d’attente du retour du Christ, accomplissement ultime attendu de l’action de l’Esprit.
L’action de grâces
L’action de grâces est l’acte religieux typique du judéo-christianisme, elle est l’expression affective et culturelle de la foi. Comme cette dernière est réponse existentielle à l’interpellation de la Parole, l’action de grâces est assentiment joyeux, commun, liturgique, à l’actualisation de la Parole dans la communauté. Elle présente donc un lien originaire avec le mémorial: on fait mémoire et on rend grâces; elle fait suite à l’écoute, elle est consentement à l’initiative divine, elle est – comme toute prière chrétienne – dialogue, parce que réponse à la Parole définitive de Dieu en Jésus-Christ. En ce sens, elle est reconnaissance pour les bienfaits divins, gratitude. Mais plus fondamentalement encore, elle est louange, célébration de la puissance glorieuse et bienfaisante de Dieu, proclamation joyeuse et admirative de sa grandeur; elle traverse le bienfait pour célébrer sa source. Finalement, elle est, comme toute louange, gratuite et aimante. De même que le mémorial a suscité chez les chrétiens une expression liturgique spécifique (l’anamnèse au sens strict), tout en la débordant, de même l’action de grâces avait donné naissance à une forme d’expression très ample, la berâkhâh ou bénédiction adressée à Dieu, genre littéraire qui commande toute la liturgie juive et dont la prière eucharistique relève encore. Mais l’action de grâces devient une atmosphère générale de la célébration entière. Il lui est essentiel d’être commune, et cette dimension communautaire, constitutive de l’eucharistie, fait découvrir que l’Église est le sujet intégral de l’action liturgique. Il lui est naturel aussi de trouver son expression exultante dans la beauté de la célébration: musique, vêtements, expression plastique et architecturale. On pourrait insister longuement sur le caractère de fête qu’a l’eucharistie, à condition d’inclure dans ce mot, à côté de la fête publique, collective, la fête intime, familiale.
Le sacrifice des fidèles
La réflexion s’approfondit, dans la même ligne, quand on passe de l’action de grâces au sacrifice «spirituel», oblation de la vie dans l’Esprit, qui en constitue le plan le plus profond, existentiel: la vie entière reliée à Dieu dans la foi. Si le culte de la Nouvelle Alliance est offrande de l’existence humaine, et donc s’il n’est pas référé d’emblée à une expérience liturgique, il n’en est pas moins vrai que lorsque l’Église accomplit le mémorial de son Seigneur, lorsqu’elle célèbre sa pâque, non seulement elle s’engage par la louange dans l’action pascale, mais encore elle offre, à la suite du Christ et comme lui, son sacrifice spirituel. Aussi l’eucharistie est-elle foncièrement sacrifice, c’est-à-dire offrande que les fidèles font d’eux-mêmes au Père par le Christ dans l’Esprit. En effet, la nature du culte dans le Nouveau Testament ne peut se comprendre qu’en référence à la promesse de faire un peuple nouveau, rempli de la grâce messianique, renouvelé à fond, purifié, doué d’un cœur de chair, au fond duquel est gravée la loi divine et dans lequel tous connaissent Dieu par eux-mêmes (Ez., XXXVI; Jér., XXXI; Joël, III). Pour les Actes des apôtres, pour Paul, tous les chrétiens sont prophètes, tous sont libres, tous ont accès à Dieu, tous vivent dans l’Esprit. C’est dans cette ligne d’intériorisation, d’approfondissement du rapport religieux que se situe le culte nouveau. À la suite du sacrifice de la Nouvelle Alliance, qui est celui du Christ, tous sont prêtres par leur baptême: ils offrent un sacrifice spirituel, offrande de toute la vie et annonce de la parole de Dieu (I Pierre, II, 5-9), qui est le sacrifice, le culte de la Nouvelle Alliance, lui aussi. Or ce sacrifice a pour objet la vie même et se situe en deçà de toute expression liturgique: il concerne la foi (Philipp., II, 17), le martyre (II Tim., IV, 6), l’annonce de l’Évangile (Rom., I, 9 et XV, 16), la vie de charité (Hébr., XIII, 16 et Philipp., IV, 18), la louange (Hébr., XIII, 15), bref, l’offrande des personnes (Rom., XII, 1-2). Voilà l’âme et la raison d’être de la célébration eucharistique qui est donc, en ce sens, sacrifice: ce culte spirituel de toute la vie vient s’y insérer sacramentellement dans l’éternelle offrande du Christ. Du reste, toujours au titre du baptême, tous sont actifs dans cette célébration, même si quelques-uns, au bénéfice de tous, y jouent un rôle spécial en vertu du sacerdoce ministériel.
Le sacrifice du Christ
Quand l’Église offre dans l’eucharistie son sacrifice, elle n’entend pas seulement par là présenter au Père l’offrande de sa vie à la suite du Christ, mais aussi lui offrir en quelque façon le sacrifice de son chef, pourtant consommé une fois pour toutes sur la croix. Celui-ci devient son offrande, dans laquelle s’inclut l’oblation qu’elle fait d’elle-même. Mais cela ne détruit-il pas l’unicité du sacrifice de la croix (Hébr., VIII, 27)? Il faut partir de la Cène: celle-ci est un repas qui se trouve lié à la Pâque par une sorte d’anticipation et qui prend dès lors une valeur d’offrande sacrificielle; le vocabulaire sacrificiel (pain rompu, vin versé pour la multitude, chair et sang) et les allusions en ce sens (alliance, serviteur) abondent dans les récits du dernier repas. L’eucharistie chrétienne, qui répond à la Cène, retrouve sa relation à la Pâque, non plus toutefois comme anticipation mais comme mémorial. Le sacrifice de la croix ne commence pas à la Cène et il ne se prolonge pas à la messe: il demeure unique. Mais il est présent et présenté sacramentellement . C’était déjà une note biblique du mémorial de n’être pas seulement présence efficace de l’événement de salut rappelé aux hommes et à Dieu mais encore, quand il était anamnèse d’un sacrifice, d’évoquer aussi son offrande. Sacrifice des fidèles, la messe est donc aussi re-présentation en mémorial du sacrifice de la croix, non un autre sacrifice ni un sacrifice nouveau mais une offrande en mystère de l’Unique. De fait, dans les liturgies chrétiennes, c’est dans l’anamnèse, prière née du mémorial et l’exprimant, que les expressions sacrificielles apparaissent d’abord, comme s’il s’agissait de l’expliciter et qu’il faille maintenant la traduire pour les non-juifs.
L’unité du sacrifice
Le sacrifice de l’Église est donc offert avec celui du Christ, mieux: incorporé à celui-ci. Cela suppose qu’entre le sacrifice de la croix, sacramentellement représenté et offert, et le sacrifice de toute leur vie qu’offrent les fidèles il y ait une homogénéité foncière. Si le sacrifice du calvaire est à entendre dans une ligne à la fois rituelle et expiatoire (celle d’un sacrifice corporel) et juridique (celle d’une satisfaction offerte à la justice divine par une oblation infinie), sa commémoration ne peut être qu’un drame sacré qui demeure étranger aux fidèles; ceux-ci peuvent en bénéficier, mais non y intégrer leurs existences. Dans le Nouveau Testament, il est exégétiquement indiscutable que tout le prix de la passion rédemptrice vient de l’attitude profonde du Christ en face de son Père, faite d’obéissance et d’amour. On peut même avancer que ce sacrifice spirituel, offrande de soi-même dans la liberté, n’est décrit en images cultuelles que parce qu’il prolonge les sacrifices de l’Ancien Testament et qu’il a la même fonction de réconciliation. Ce sacrifice est offrande faite à Dieu et recherche de communion, et la mort est partie intégrante du retour au Père accompli par la résurrection et l’entrée dans la gloire. Dès lors, le sacrifice manifesté sur la croix est aussi ce qui est représenté à la messe. C’est donc en parfaite homogénéité que pourra s’y adjoindre l’offrande personnelle des croyants, non seulement celle des joies de la vie mais aussi des souffrances. Saint Augustin a exprimé admirablement cette unité du sacrifice: «Cette cité rachetée tout entière, c’est-à-dire l’assemblée et la société des saints, est offerte à Dieu comme un sacrifice universel par le grand prêtre qui, sous la forme d’esclave, est allé jusqu’à s’offrir pour faire de nous le corps d’une tête si admirable. [...] Voilà pourquoi, après nous avoir exhortés à offrir nos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, comme un hommage spirituel [...] parce que le sacrifice en sa totalité c’est nous-mêmes, l’Apôtre poursuit [...] «Tel est le sacrifice des chrétiens: à plusieurs n’être qu’un seul corps dans le Christ.» Et ce sacrifice, l’Église ne cesse de le reproduire dans le sacrement de l’autel bien connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce qu’elle offre, elle est elle-même offerte (Cité de Dieu , X, 6).
Le corps et le sang du Christ
Pour comprendre la «présence réelle» du Christ dans l’eucharistie, il faut distinguer entre la signification majeure de cette affirmation et les efforts pour en rendre compte théologiquement. Deux approches convergentes éclairent cette doctrine: la place du récit de l’institution dans le mémorial et le sens de l’épiclèse.
L’idée d’une présence particulière du Christ dans la nourriture du repas eucharistique est introduite d’emblée par les paroles mêmes de la Cène, répétées dans le mémorial. Pain et vin, symboles de la chair et du sang du Christ et donc de son sacrifice, contiennent mystérieusement, réellement, son corps ressuscité. La perspective d’une unité de vie par la nourriture du corps et du sang du Christ a pu trouver un terrain d’enracinement dans l’anthropologie sémitique, si réaliste, et ne concevant de salut qui ne soit corporel. Dès les théologies paulinienne (I, Cor., XI, 27-29) et johannique (Jean, VI, 53-6), ce réalisme prolonge et dépasse la présence de l’événement de salut dans le mémorial et c’est bien comme un élément de ce dernier qu’apparaissent, dans la tradition liturgique ancienne, les paroles de la Cène.
Quant à l’épiclèse liturgique, elle n’a pas toujours été la demande d’une transformation des oblats: elle est dite sur les oblats, pour les fidèles (Hippolyte), et quand la première requête s’introduit, c’est explicitement en vue de l’unité eschatologique de l’Église (liturgie de saint Marc). La présence du Christ est donc essentiellement conçue comme une réalité opérative, un don sanctifiant et non comme une donnée contemplée ou théologisée pour elle-même. Telle est aussi la théologie de saint Augustin: le «corps» du Christ, c’est inséparablement son corps personnel, son corps sacramentel, son corps ecclésial (sermons XXXVII et CLXXII).
Mais comment le Christ est-il présent? Fallait-il vraiment poser cette question? Le fait est qu’à partir du moment où une crise (au IXe, puis au XIe s.) et un souci d’intelligibilité métaphysique avaient conduit les esprits à se la poser, la théologie ne pouvait plus l’éviter. Entre le symbolisme radical d’un Bérenger ou d’un Zwingli et le matérialisme d’un Ratramme ou d’un cardinal Humbert, deux voies se partagent la faveur des théologiens: celle de Wyclif et de Luther, ou consubstantiation (le corps du Christ est «dans, avec, sous» le pain, impliquant donc la permanence des aliments naturels); celle des auteurs de Sommes du XIIe siècle et de Thomas d’Aquin, ou transsubstantiation (l’être foncier du pain devient celui du corps sans être anéanti, il est totalement converti au corps ressuscité du Christ). Sans s’engager dans l’interprétation aristotélisante de cette doctrine, le concile de Trente (XIIIe session, 1551) en fera un enseignement catholique.
La communion fraternelle
La communion fait essentiellement partie de la messe. Jusqu’au IVe siècle, on ne communie en dehors de la célébration qu’en cas d’impossibilité de s’y rendre, il n’y a pas de messe sans communion des fidèles et tout le monde communie. Petit à petit, des dissociations se sont introduites dans la pratique religieuse, et la théologie les a rationalisées. Or le sens du mémorial est de tendre à sa réalisation; sacrifice et communion sont les deux moments indissociables d’un même mystère. Quel rapport y a-t-il entre la commune offrande des fidèles et le don de Dieu à chacun? C’est que la communion est non pas d’abord don individuel, mais acte communautaire, signe et source d’unité: la dimension ecclésiale de l’eucharistie, donnée fondamentale, se manifeste électivement dans la communion. Dans le Nouveau Testament, le mot 礼晴益諸益晴見 signifie, non pas d’abord la rencontre du Christ, mais la communauté (Actes, II, 42; Gal., II, 9-10; I Jean, III, 6-7) et il est normal qu’elle se manifeste par un repas, acte social par excellence, comme jadis le repas pascal et la Cène du Christ. D’ailleurs, cette dernière est à la fois l’acte fondateur de l’Église et l’institution de l’eucharistie, qui demeureront liées indissolublement: l’Église fait l’eucharistie, mais celle-ci est signe et construction de celle-là. On comprend mieux dès lors que l’eucharistie ait une dimension sociale et qu’elle soit liée à l’essentiel du message chrétien, annonce et grâce de la réconciliation de tous dans l’amour (Eph., I). Le texte majeur est ici I Cor., X, 17: «Puisqu’il n’y a qu’un pain, à nous tous nous ne formons qu’un corps, car nous avons part à ce pain unique»; l’image, toute simple, est celle d’une nourriture une, que beaucoup reçoivent en commun et qui est signe d’unité. La Didachè propose une image superbe, amplification poétique de la précédente: «Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour devenir un seul tout, qu’ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton royaume» (IX, 4). Augustin à son tour montre que le pain eucharistique représentant l’unité parfaite, déjà accomplie mais toujours à faire, tend par sa vertu à la produire, de telle sorte que la communion pauvre d’aujourd’hui devienne celle, épanouie, qu’il figure déjà (sermon CCLXXII).
L’union au Christ
L’union au Christ, est l’autre aspect de la communion; la nourriture sainte, en changeant l’homme, engendre cette unité dans l’amour qu’est la communion fraternelle. Les deux thèmes sont inséparables: le texte de Paul cité plus haut (I Cor., X, 17) ne se comprend pas sans le verset précédent: «Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au corps du Christ?». Jean, à son tour, qui insiste sur l’union au Christ, montre bien que le dessein de Dieu va à l’unité. Il reste que le point de vue johannique (VI, 51-58) porte avant tout sur la nourriture et sur le fait de demeurer avec le Christ qui se prolongera en vie éternelle: «Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui» (verset 56). Ce thème de l’aliment a été pour le Moyen Âge – dans une conception plus individualiste – ce que celui de la fabrication était pour l’Église primitive, le symbole préféré: un effet de grâce est figuré par la manducation corporelle, une vie nouvelle envahit le communiant, la vie du Christ (verset 55), permettant une union personnelle. Mais comment revenir à la communion fraternelle? Pour Augustin, les croyants ne changent pas le Christ en eux, comme un autre aliment, c’est lui qui change chacun d’eux en lui-même; on devient ce que l’on reçoit. Aussi, par cette nourriture, peuvent-ils tous devenir un (Questions évangéliques ). À partir de là, le grand docteur synthétise la communion, en ses deux aspects coordonnés, et le sacrifice. C’est que «ce qui est offert» est la figure de «ce qui sera». Le sacrifice des chrétiens signifiant «à plusieurs n’être qu’un seul Corps dans le Christ» (Cité de Dieu , X, 6), le fruit de l’offrande est organiquement un commencement de réalisation de cette unité. Quand le grand prêtre, avec tout son Corps qui s’unit à lui, s’offre lui-même dans le sacrifice d’obéissance, ce qu’il offre c’est ce pain unique qui figure l’unanimité de l’Église dans l’amour. Et le fruit de l’offrande, qui résulte de ce sacrifice agréable à Dieu, c’est de pouvoir poursuivre la réalisation de cette unité dans la charité, par le dynamisme même du mystère (sermons CCXXVII, CCXXIX, CCLXXII).
La plénitude de la Pâque
La synthèse pascale ne fera qu’exprimer cette doctrine de façon plus simple et plus biblique. Résumons l’ensemble des considérations précédentes: la Pâque est le contenu du mémorial auquel répond l’action de grâces; le sacrifice spirituel de l’Église est entraîné par le sacrifice pascal du Christ, représenté mais non réitéré; la communion n’est unité fraternelle du corps que parce qu’elle est union au ressuscité par la réception de son corps; l’Esprit du Christ réalise cette unité en marche vers la consommation finale qu’attend la prière des fidèles. Qu’est-ce à dire sinon que la pâque de l’Église complète la pâque du Christ qui attend sa plénitude – et qu’en un autre sens elle ne lui ajoute rien, car il n’y a rien dans le peuple chrétien qui ne soit le développement de ce qui était en lui (Irénée, Contre les hérésies , XVIII, 1)? Double est le dessein de Dieu: amener l’homme à sa communion et lui faire partager sa vie, mais aussi exalter la liberté de sa créature et donc susciter chez elle le consentement, le don de soi, l’ouverture à ce projet de grâce. Double aussi la pâque de Jésus qui l’accomplit: le Christ est «livré à cause de nos péchés et ressuscité pour notre justification» (Rom., IV, 25). Jésus répond en effet pour tous et consent au projet de Dieu en un engagement total qui va jusqu’au renoncement à sa vie terrestre: sacrifice parfait, rejet du péché, recherche de communion, offrande d’amour qui passe toutes les faiblesses des hommes. En le ressuscitant, le Père l’introduit dans sa gloire, met en lui toutes les puissances de salut pour l’humanité entière – l’Esprit –, amène tout le genre humain à sa communion. Le double dessein de Dieu se prolonge et, pour les chrétiens, le mystère eucharistique actualise dans l’histoire l’échange pascal. Le Christ entraîne les siens dans son sacrifice et du même mouvement dans la communion divine issue de sa résurrection. Comme dans la Pâque qui est passage à Dieu, après avoir été sacrifice d’amour, dans la messe, tout ce qui est déjà passé, dans le Chef et les membres, s’offre pour ce qui ne l’est pas encore. Par la communion, cette unification dans l’amour se poursuit grâce à l’union avec celui qui sanctifie, crête visible de cette lame de fond qui emporte l’humanité entière, travaillée par Dieu, vers son unité définitive.
4. Questions ouvertes
Les questions de la Réforme
Dans les pages qui précèdent, les réclamations des réformateurs du XVIe siècle ont été dans une certaine mesure entendues. Il est certain aussi que l’admirable tradition liturgique orthodoxe aurait à faire valoir plus d’un point de vue complémentaire, en particulier par sa doctrine de l’Esprit-Saint. Il faut cependant donner priorité au rappel de deux débats qui ont divisé les confessions chrétiennes pendant des siècles. Sauvegarder l’unicité du sacrifice sauveur de la croix, s’opposer à une offrande de la messe considérée comme une «œuvre» humaine qui offusque la gratuité de la justification, tenter de rétablir l’importance primordiale de la communion alors désertée ont conduit Luther et Calvin à nier, sinon tout aspect sacrificiel de la messe, du moins l’idée de sacrifice propitiatoire. Sur ce point, on peut noter une réelle convergence actuelle des théologies protestantes (Leenhardt, Thurian), anglicanes (Dix) et catholiques (Vonier, Bouyer), grâce à l’idée du sacrifice sacramentel, du sacrifice en mémorial.
Plus délicate est la divergence qui porte sur la présence du Christ. Calvin notamment a rejeté la position «spiritualiste» de Zwingli et retrouvé, contre la consubstantiation, les arguments de Thomas d’Aquin; il écarte aussi la transsubstantiation qu’il comprend comme une sorte d’annihilation du pain et du vin. Il envisage donc une présence spirituelle et cependant réelle, où pain et vin «sont tellement signes que la vérité est jointe avec». L’accent porte sur la foi, sans laquelle il n’y a pas de présence, car il n’y a pas de lien ontologique entre corps et sang du Christ, d’une part, et pain et vin, de l’autre; si l’on mange et boit avec foi, on reçoit aussi le don spirituel. La présence ne dépasse donc pas le temps de la cène. Dans les termes anciens, le débat est sans issue. L’est-il dans une problématique renouvelée de part et d’autre, revivifiée à sa source biblique et consentant à de nouvelles voies d’approche?
Vers une nouvelle formulation
Que dit, pour l’essentiel, le concile de Trente ? Dans l’eucharistie, il s’agit bien d’une présence réelle, mais d’un type original par rapport à celle des autres sacrements: accessible à la foi et cependant donnée pour sa condamnation à celui qui ne la discerne pas; n’entraînant pas de disparition de la réalité sensible qui la porte et donc vraiment sacramentelle. Cela, Trente l’exprime en un certain langage et dans un contexte donné. Peut-on maintenir le sens de son affirmation dans un autre système? La question se pose, parce que la position scolastique est aujourd’hui critiquée. La présence est en vue du don, dans une rencontre de personnes; or, à force de vouloir la penser indépendante de la relation à l’homme, on la déshumanise: on croit la rehausser en la disant «ontologique», mais on la situe dans le domaine le moins personnel, donc le moins réel. Le monde réel, c’est en effet celui de l’homme, de sa relation aux êtres et aux choses. D’autre part, il n’est pas besoin d’être kantien pour que l’idée «d’une substance de ce morceau de pain» apparaisse inintelligible. Ce pain est un conglomérat sans unité essentielle, un fragment de continuum sans unité substantielle; y a-t-il un contenu mystérieux, «derrière» le physico-chimique? Dès lors, on a cherché à reformuler la vieille doctrine en termes de présence fonctionnelle, à partir du sens de l’aliment, de sa fonction, de sa finalité, de sa valeur de signe. Cela est bien réel et substantiel: quand il s’agit du monde humain, tout se réévalue; ce qui n’est qu’un agrégat accidentel devient par sa fonction quelque chose de substantiel, une nourriture pour l’homme. Mais il peut devenir aussi un moyen de communication, un signe entre les hommes; quoi de plus réel? Le Christ change totalement cette fonction du pain: non seulement celui-ci est chargé d’une fonction nouvelle – celle de la rencontre et du don du Christ, unifiant les croyants –, mais il n’est plus destiné à nourrir les corps, il est devenu un nouvel objet. La présence mystérieusement offerte sous les apparences inchangées, se substituant à la fonction, et donc à la réalité, du pain et du vin comme nourriture corporelle ou communication simplement humaine, c’est le corps du Seigneur et son sang. Une voie de recherche renouvelée s’est donc ouverte, dont la portée nous échappe encore.
Le mouvement liturgique
Le rôle du mouvement liturgique contemporain dans la rénovation de la pratique et de la théologie de l’eucharistie oblige à parler de ses étapes, de la logique interne de son développement, des contestations qu’il a suscitées. Après une préhistoire romantique et une longue période de tâtonnements dominée par quelques précurseurs de génie, le mouvement est entré, vers les années 1930, dans une phase active de redécouverte . Sous l’impulsion de grands monastères et de centres nationaux, ce fut une grande période de remise à jour de la pratique liturgique, où l’on a progressé dans la compréhension érudite et théologique, en même temps qu’on cherchait à se débarrasser des superstructures médiévales et baroques. Le mouvement, encouragé par Pie XII, a abouti à la Constitution du deuxième concile du Vatican qui a consacré ses efforts et relancé la recherche. Les résistances qu’il a rencontrées à l’origine relevaient d’un réflexe conservateur et étaient généralement injustifiables. Une deuxième phase, logiquement consécutive au concile, mais en fait largement inaugurée avant celui-ci, peut être caractérisée en termes de réajustement . Il s’agit de prendre conscience des exigences de la participation de tous à l’action eucharistique: simplifications, adoption de langues vivantes, recherches musicales, voire réinstaurations «audacieuses» comme la concélébration ou la communion sous les deux espèces – cela dans un cadre traditionnel encore incontesté. Les oppositions, ici, semblent plus compréhensibles. Elles sont parfois liées à un attachement à des formes belles, ou encore représentent une réaction à des initiatives incompétentes, aux abus d’une catéchèse trop bavarde, à la pauvreté de la création artistique. Il est permis néanmoins de les juger vaines: il faut errer pour trouver et rénover. Mais cette phase, elle non plus, ne semble pas devoir être la dernière; et, au retour aux sources, succèdent un moment plus critique et une recherche de formes nouvelles, susceptibles d’être vécues par l’homme du XXe siècle, véritables recréations (d’eucharisties «domestiques» par exemple, pour des groupes restreints, à ne pas confondre avec de prétendues «agapes» eucharistiques au cours d’un repas profane). D’un intérêt certain, ces expériences appelleraient des réserves sérieuses en répétant les erreurs du passé: appauvrissement, concentration sur un point unique (amour fraternel manifesté par le repas partagé). Il est indispensable que la structure constante et les valeurs essentielles de l’eucharistie y soient sauvegardées.
Vers une désacralisation?
Dans une phase critique postérieure à celle de la redécouverte des richesses traditionnelles de la liturgie, deux types convergents de questions s’imposent aujourd’hui à beaucoup d’esprits. Le premier recouvre une mise en question radicale du culte en tant que catégorie de la «religion» au nom de la désacralisation que le Nouveau Testament lui-même implique et que la sécularité moderne réalise. Le geste eucharistique devrait alors tendre à s’accomplir de manière aussi totalement profane que possible. Le second est une critique des formes et des symboles essentiels de la liturgie en fonction d’une volonté d’intégration de la célébration à notre monde culturel, supposé fermé au langage symbolique. L’originalité du rapport à Dieu dans le christianisme nous semble permettre à la fois de maintenir un véritable culte, offrande de toute la vie dans l’Esprit, jusque dans son expression liturgique, et de ne pas chercher à sauvegarder la catégorie ambiguë du sacré, si ce n’est après une très profonde transition et exclusivement dans le domaine sacramentel. Pour le second point, on peut se demander si cette critique des symboles, par-delà une dénonciation légitime du décalage culturel existant entre beaucoup d’entre eux et l’univers de l’homne moderne, ne procède pas d’un emprisonnement dans une mentalité scientifique-technicienne exclusive de toute autre sensibilité au réel. S’il en allait ainsi, c’est l’homme qui serait mutilé, et l’expression de tout rapport à l’Absolu définitivement impossible.
Avec qui partager le pain?
Des chrétiens, appartenant à des Églises différentes, mais unis dans des combats humains qui revêtent à leurs yeux plus d’importance que les divergences confessionnelles, se demandent pourquoi ils ne partageraient pas le pain du Seigneur. Ne serait-ce pas, en outre, signe et progrès de leur recherche commune d’unité? À l’inverse, des chrétiens de la même communauté, heurtés déjà par l’anonymat des assemblées paroissiales, se demandent comment communier avec d’autres membres de leur Église dont tout les sépare, et en premier lieu des combats politiques où la justice est essentiellement engagée.
Le lien étroit, l’équivalence, qui ont été marqués, entre eucharistie et Église, ne devraient-ils pas dissuader de voir dans la première un moyen magique de réaliser la seconde? L’intercélébration est une action liturgique commune de ministres de confessions différentes, et il est important de ne pas la confondre avec l’intercommunion, accès de chrétiens à la communion eucharistique dans la célébration d’une communauté confessionnelle autre que la leur. Autant la seconde, dans beaucoup de cas, ne semble pas poser de problème fondamental, autant on peut se demander si l’intercélébration n’est pas trompeuse, car elle peut dissimuler des désaccords réels portant sur le sens de l’acte que l’on pose (rôle des ministres, doctrine eucharistique). Du reste, la communion profonde de ces chrétiens doit-elle nécessairement s’exprimer par le partage de l’eucharistie?
De ce point de vue, l’Église apparaît comme faisant l’eucharistie; mais, d’autre part, l’eucharistie à son tour fait l’Église. Elle ne peut certes la faire à partir du néant ou d’une absence totale de vérité: si l’opposition entre membres de la même Église provient de l’adoption par certains d’attitudes qui semblent à d’autres faire fi des exigences élémentaires de l’Évangile, communier serait mentir. Mais, si un dialogue existe, et si, même en s’opposant, on reconnaît une même foi et une même appartenance ecclésiale, le signe eucharistique ne peut-il être posé: prophétie de l’unité future, volonté d’amour des personnes, reconnaissance de l’action mystérieuse de l’Esprit?
eucharistie [ økaristi ] n. f.
• 1165; lat. ecclés. eucharistia; gr. eukharistia « action de grâce »
♦ Sacrement essentiel du christianisme qui commémore et perpétue le sacrifice du Christ. ⇒ cène, communion. Le mystère, le sacrement de l'Eucharistie. Célébration de l'Eucharistie. ⇒ messe.
♢ Les espèces (pain et vin) qui, selon la doctrine catholique, contiennent substantiellement le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ. ⇒ transsubstantiation; hostie. Donner, recevoir l'Eucharistie. « Fréquentons donc ce sacré repas de l'Eucharistie, et vivons en union avec nos frères [...] ; mangeons ce pain qui soutient l'homme; buvons ce vin qui doit réjouir le cœur » (Bossuet). — Doctrine luthérienne de l'Eucharistie. ⇒ consubstantiation, impanation.
● eucharistie nom féminin (latin ecclésiastique eucharistia, du grec eukharistia, action de grâces) Acte de l'Église qui renouvelle le geste du Christ à la dernière Cène. Sacrement qui, selon la doctrine catholique, contient réellement le corps et le sang du Christ sous les apparences du pain et du vin. Sacrifice du Christ, rendu présent sous la forme de sacrement. Communion au pain et au vin consacrés.
eucharistie
n. f. Pour les chrétiens, sacrement par lequel se continue le sacrifice du Christ. (V. transsubstantiation et consubstantiation.)
⇒EUCHARISTIE, subst. fém.
THÉOL. et LITURG. [Souvent avec une maj.] Sacrement contenant le corps, le sang et la divinité du Christ au terme de la transsubstantiation du pain et du vin, renouvelant rituellement en action de grâce le sacrifice du Christ et constituant la nourriture des fidèles et le symbole de leur unité. Banquet, institution, mystère, symbole de l'Eucharistie; distribuer, recevoir l'Eucharistie. Le IVe concile du Latran, sous le même pape [Innocent III], enseigne l'efficacité de l'Eucharistie quant à la transsubstantiation du pain au corps, du vin au sang (du Christ) (Théol. cath. t. 14, 1 1939, p. 594) :
• Il est certain d'ailleurs que le christianisme, dont le principal symbole a été la communion ou l'Eucharistie, a connu et enseigné jusqu'à un certain point, et sous des voiles, cette loi de la vie qui fait que l'être ne vit pas seulement par lui-même, mais par la communion avec ses semblables et avec l'univers.
P. LEROUX, Humanité, t. 1, 1840, p. 201.
Rem. 1. Les églises protestantes ont une conception différente du sacrement de l'Eucharistie; pour Luther, p. ex., il s'agit d'une consubstantiation (la présence de Jésus-Christ est réelle, mais la substance du pain et du vin demeurent). 2. La docum. atteste eucharistier, verbe trans., rare. Transformer en eucharistie. L'aliment eucharistié par un discours de prières (Théol. cath. t. 14, 1 1939, p. 501).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Pour la prononc. de -ch, cf. lettre C. Étymol. et Hist. Fin du XIIIe s. (E. STENGEL, Codex Digby 86, f° 6 v°, p. 3 : Set sacrements [...] eukariste). Empr. au lat. chrét. eucharistia « action de grâces; ce qui a été consacré par la prière d'action de grâces, le pain, le vin eucharistique » (BLAISE), celui-ci empr. au gr. class. « reconnaissance; action de grâces », gr. chrét. « le sacrifice de l'Eucharistie ». Fréq. abs. littér. :181.
eucharistie [økaʀisti] n. f.
ÉTYM. 1150; lat. ecclés. eucharistia; grec ecclés. eukharistia « action de grâce », de eukharistos, de eu « bien », et kharizesthai « complaire à », de kharis. → Charisme.
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♦ Sacrement essentiel du christianisme qui commémore, perpétue le sacrifice du Christ. ⇒ Cène, communion. || Selon l'Écriture, l'Eucharistie fut instituée par Jésus lui-même (Évangile selon saint Matthieu, XXVI). || Le mystère de l'Eucharistie. || Consécration et distribution des espèces (⇒ Hostie, pain [céleste, des anges ou angélique]; calice, ciboire, coupe, patène, vin) dans la célébration de l'eucharistie. || Recevoir l'eucharistie. — REM. Le mot est souvent écrit avec la majuscule.
1 « Ma chair est vraiment une nourriture, mon sang est un breuvage. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Évang. St Jean, VI, 56-57). L'Église catholique conclut que, de ces mots et de ces gestes de Jésus, est né le sacrement de l'Eucharistie.
Daniel-Rops, Jésus en son temps, p. 481.
♦ Théol. cathol. et orthodoxe. Les espèces (pain et vin) qui, selon la doctrine, contiennent substantiellement le corps, le sang, l'âme et la divinité de Jésus-Christ. ⇒ Transsubstantiation. || L'Eucharistie ou Sacrement de l'Autel, Sacrement du corps et du sang du Christ (absolt Saint-Sacrement), est une oblation, un sacrifice effectif. ⇒ Messe. || Sainte Eucharistie gardée dans le tabernacle. || Adorer Jésus-Christ dans l'Eucharistie. ⇒ Élévation. || L'Eucharistie, nourriture spirituelle des fidèles, viatique des mourants.
2 Fréquentons donc ce sacré repas de l'Eucharistie, et vivons en union avec nos frères : fréquentons-le et nourrissons-nous de l'espérance de la joie céleste; mangeons ce pain qui soutient l'homme; buvons ce vin qui doit réjouir le cœur.
Bossuet, Méditations sur l'Évangile, t. VI, p. 433.
3 « Sacrement de la Passion du Seigneur » dit saint Thomas d'Aquin, l'Eucharistie nous la rappelle et nous en assure le bienfait (…) D'autre part, l'Eucharistie n'est pas seulement le sacrement de la présence divine, mais un pain qui donne la vie. En s'offrant à nous sous les espèces du pain et du vin, Notre-Seigneur a signifié qu'il veut être la nourriture de nos âmes, afin d'entretenir et de fortifier en elles la vie de la grâce.
Mgr Grente, les Sept Sacrements, p. 92-93.
♦ Protestantisme. || Doctrine luthérienne de l'Eucharistie. ⇒ Consubstantiation, impanation. || Doctrine calviniste de l'Eucharistie où la présence du Christ dans les Saintes Espèces est réelle mais spirituelle. || Sacramentaires niant la présence réelle dans l'Eucharistie.
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DÉR. Eucharistique.
Encyclopédie Universelle. 2012.