langue [ lɑ̃g ] n. f. I ♦
1 ♦ Organe charnu, musculeux, allongé et mobile, placé dans la bouche. La langue, organe du goût. Filet, frein, muqueuse, papilles de la langue. Relatif à la langue. ⇒ lingual; gloss(o)-. Avoir la langue blanche, chargée, pâteuse. Se brûler la langue en mangeant trop chaud. Passer sa langue sur qqch. ⇒ lécher. « La langue de Lily se glisse dans ma bouche » (Dabit). Baiser langue en bouche. ⇒fam. patin, pelle. Laisser fondre un médicament sous la langue (⇒ perlingual) . — Loc. Tirer la langue à qqn, pour le narguer. Loc. fig. Tirer la langue : avoir soif, et par ext. être dans le besoin, désirer ardemment qqch. sans obtenir satisfaction.
♢ (Animaux) La langue du serpent. La langue râpeuse du chat. Cuis. Langue fumée, braisée (de bœuf, mouton, porc).
2 ♦ Ce corps charnu en tant qu'organe de la parole. Rôle de la langue dans l'articulation des sons. — Loc. Avoir la langue bien pendue : parler facilement, être bavard. Ne pas avoir la langue dans sa poche : parler avec facilité et, notamment, répliquer. Ne pas savoir tenir sa langue : ne pas savoir se taire quand il le faudrait. Retenir sa langue. Avoir un bœuf sur la langue : garder un silence obstiné, avoir qqch. qui empêche ou retient de parler. Avoir avalé sa langue. Avoir un mot sur le bout de la langue. Avoir un cheveu sur la langue. Se mordre la langue : se retenir de parler, ou se repentir d'avoir parlé. PROV. Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler : il faut réfléchir. La langue lui a fourché. Délier la langue. Donner sa langue au chat. — Prendre langue avec qqn, prendre contact avec lui en vue d'un entretien. ⇒ s'aboucher.
♢ Une mauvaise, une méchante langue, une langue de vipère : une personne qui n'hésite pas à médire, à calomnier. Adj. « Faut-il que les gens soient mauvaises langues dans ce milieu ! » (Anouilh).
II ♦ (Xe)
1 ♦ Système d'expression et de communication commun à un groupe social (communauté linguistique). ⇒ dialecte, idiome, 2. parler, patois; créole; -lingue. Langue mixte. ⇒ pidgin, sabir. Langue parlée, langue écrite. Les mots d'une langue. ⇒ lexique, vocabulaire. Syntaxe, morphologie d'une langue. ⇒ grammaire; orthographe. — Origine, histoire, évolution d'une langue. Étude scientifique des langues. ⇒ linguistique; lexicologie, morphologie, phonologie, sémantique, syntaxe. Unités d'une langue. ⇒ graphème, phonème; morphème, mot, syntagme, phrase. Langue écrite, non écrite. Transcription d'une langue. ⇒ alphabet; phonétique. Dictionnaire de langue (opposé à encyclopédique) . Fixer, codifier, normaliser une langue. Tournure propre à une langue. ⇒ idiotisme. Défense de la langue. ⇒ purisme; norme.
♢ Langue maternelle, première. Langue seconde : langue apprise après la langue maternelle. Parler, savoir, écrire, lire deux langues (⇒ bilingue) , plusieurs langues (⇒ polyglotte; plurilinguisme) . Dictionnaire mettant en rapport plusieurs langues. ⇒ multilingue, plurilingue . Dire qqch., s'exprimer dans une langue. Parler une langue avec, sans accent. Il est de langue germanique. Langues étrangères. Traduire une langue dans une autre. ⇒ interprète, traducteur, traduction; interlingual. Langues mortes (qui ne sont plus parlées) et langues vivantes. « Une langue morte : celle qui n'a plus de correspondant physique, sonore, dans le corps de celui qui la lit » (Quignard). Absolt Les langues : les langues étrangères. Être doué pour les langues. Professeur de langues. Apprendre une langue par les méthodes audiovisuelles. Didactique des langues. Bain de langue. Laboratoire de langues. — Langue artificielle internationale (espéranto, volapuk). Langue officielle d'un État. Langue nationale. Langue vernaculaire, véhiculaire. Langues en contact. — Typologie des langues. Langue flexionnelle, agglutinante, isolante. — Classification des langues. Familles de langues. Les langues indo-européennes, chamito-sémitiques, indiennes. Langues romanes, germaniques, slaves, orientales. La langue latine, anglaise, française. Langue d'oc, d'oïl. Langues anciennes (spécialt le grec et le latin).
2 ♦ Ling. Système d'expression potentiel opposé au discours, à la parole qui en est la réalisation. ⇒ code, système; langage. L'opposition langue/parole chez Saussure.
3 ♦ Langage parlé ou écrit, spécial à certaines matières, à certains milieux, à certaines époques; aspect que peut prendre une langue donnée. ⇒ langage (II, 1o). Langue parlée et langue écrite. Langue populaire. Langue verte. ⇒ argot, argotique. Langue littéraire, poétique. Langue savante, vulgaire. Langue scientifique. ⇒ 1. jargon. La langue classique.
4 ♦ Utilisation individuelle du langage, façon de s'exprimer par le langage. ⇒ idiolecte. La langue d'un écrivain. ⇒ style. — La langue de bois.
5 ♦ Mode d'expression non langagier. ⇒ langage. La langue musicale.
III ♦ (XIIe; par anal. de forme du sens I) Chose plate et allongée. Langue de feu. ⇒ flamme. Langue de terre, bande de terre allongée et étroite. Langue glaciaire : partie inférieure d'un glacier, de forme allongée. — Nom de divers outils ou instruments.
♢ (Suivi d'un nom d'animal) LANGUE-DE-BŒUF :arum, fistuline; outil de maçon. LANGUE-D'AGNEAU : plantain. LANGUE-DE-CHAT : petit biscuit plat, allongé, à extrémité arrondie, à pâte croquante. Des langues-de-chat.
● langue nom féminin (latin lingua) Corps charnu, allongé, mobile, situé dans la cavité buccale et qui, chez l'homme, est un des organes principaux de la parole. Tout ce qui a une forme allongée et étroite : Langue de feu. Langue de terre. Langue de certains animaux (bœuf, veau) accommodée diversement. Géographie Partie inférieure d'un glacier de vallée, là où la glace forme un fleuve bien individualisé. Zoologie Chez les mollusques, synonyme de radula. Chez les insectes hyménoptères, modification du labium, velu, creusé d'une gouttière pour lécher et aspirer le nectar des fleurs. ● langue (citations) nom féminin (latin lingua) Bible La langue est un membre minuscule et elle peut se glorifier de grandes choses ! Voyez quel petit feu embrase une immense forêt : la langue aussi est un feu. Épître catholique de saint Jacques, III, 5 ● langue (difficultés) nom féminin (latin lingua) Orthographe Langue-de-... Les mots composés du type langue-de-… s'écrivent avec deux traits d'union : langue-de-bœuf, langue-de-carpe, langue-de-chat, langue-de-serpent. Le deuxième élément ne prend pas la marque du pluriel : des langues-de-bœuf, des langues-de-carpe, etc. Registre Prendre langue avec qqn = se mettre en rapport avec lui. Registre soutenu. ● langue (expressions) nom féminin (latin lingua) Adhérence de la langue, malformation mineure dans la bouche, consistant en une attache trop courte du frein de la langue et entraînant une diminution de la mobilité de celle-ci. Avoir avalé sa langue, garder le silence alors que d'ordinaire on parle beaucoup. Familier. Avoir la langue bien pendue (affilée, déliée), parler facilement, être bavard, voire médisant. Avoir la langue liée, être contraint au silence. Avoir quelque chose sur le bout de la langue, ne pas réussir à se le rappeler ou être sur le point de le dire et se retenir. Cancer de la langue, tumeur maligne de la langue. Délier la langue à quelqu'un, le faire parler, lui faire dire un secret : Le vin lui a délié la langue. Langue noire, état pathologique de la langue présentant un aspect brun verdâtre. Les langues vont aller bon train, on va jaser, parler, faire des commérages. Mauvaise langue, langue de serpent, de vipère, d'aspic, personne qui se plaît à médire, à calomnier. Familier. Ne pas avoir sa langue dans sa poche, avoir la repartie vive. Prendre langue avec quelqu'un, entrer en pourparlers, prendre contact avec lui. Retrouver sa langue, retrouver ses moyens pour s'exprimer, se mettre à parler après un moment de silence. Familier. Savoir tenir sa langue, savoir garder un secret. Tirer la langue, la sortir de la bouche en signe de moquerie ; avoir soif ; être dans une situation embarrassante, dans la gêne financière (familier). Tourner sept fois sa langue dans sa bouche, réfléchir avant de s'exprimer pour s'éviter une bévue, un impair, etc. Coup de langue, technique d'exécution des instruments à air pour former, articuler ou répéter les notes. Langue géographique, glossite bénigne constituée de zones rouges dépapillées bordées d'un liséré blanchâtre en constante évolution. Langue noire pileuse ou villeuse, glossite caractérisée par l'hypertrophie des papilles filiformes, qui prennent une teinte noire. Langue bleue, symptôme de la fièvre catarrhale du mouton. Langue de bois, gonflement, durcissement de la langue et ulcération superficielle des bovins atteints d'actinomycose et d'actinobacillose. Langue noire, synonyme de black-tongue. ● langue (synonymes) nom féminin (latin lingua) Médecine vétérinaire. Langue noire
Synonymes :
Synonymes :
- Zoologie. radula
● langue
nom féminin
(de langue)
Système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propre à une communauté d'individus, qui l'utilisent pour s'exprimer et communiquer entre eux : La langue française, anglaise.
Système abstrait sous-jacent à tout acte de parole : L'opposition langue/parole est un concept fondamental dans la théorie de F. de Saussure.
Ensemble des règles concernant les diverses composantes d'un système linguistique : Défendre la langue.
Manière de parler, de s'exprimer, considérée du point de vue des moyens d'expression à la disposition des locuteurs : Avoir une langue riche, pauvre.
Système d'expression défini en fonction du groupe social ou professionnel qui l'utilise : La langue du barreau ; en fonction de la personne qui l'utilise : La langue de V. Hugo ; par la nature de la communication et le type de discours : Langue populaire, littéraire ; par l'époque où il est utilisé : La langue du Moyen Âge.
Manière particulière de s'exprimer inspirée par un sentiment : La langue de l'amour.
Littéraire. Moyen d'expression non verbal utilisé par un artiste pour traduire sa pensée ou ses sentiments : La langue de Van Gogh.
Langue étrangère actuellement parlée : Avoir le don des langues.
Histoire
Division régionale de l'ordre de Malte. (Il y eut huit langues : Provence, Auvergne, France, Aragon, Castille, Italie, Allemagne et Angleterre.)
● langue (citations)
nom féminin
(de langue)
Gaston Bachelard
Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962
La langue de l'alchimie est une langue de la rêverie, la langue maternelle de la rêverie cosmique.
La Poétique de la rêverie
P.U.F.
Pierre Daninos
Paris 1913
Le privilège de l'Anglais est de ne comprendre aucune autre langue que la sienne. Et même s'il comprend, il ne doit en aucun cas s'abaisser à le laisser croire.
Les Carnets du major W. Marmaduke Thompson
Hachette
Claude Lévi-Strauss
Bruxelles 1908
La langue est une raison humaine qui a ses raisons, et que l'homme ne connaît pas.
La Pensée sauvage
Plon
Alfred de Musset
Paris 1810-Paris 1857
Fille de la douleur, Harmonie ! Harmonie !
Langue que pour l'amour inventa le génie !
Qui nous vins d'Italie et qui lui vins des cieux.
Poésies, Lucie
Commentaire
Ces trois vers se trouvaient déjà dans les Premières Poésies (Le Saule).
Jean Paulhan
Nîmes 1884-Neuilly-sur-Seine 1968
Académie française, 1963
Ce n'est pas un crime de savoir plusieurs langues, c'est plutôt un malheur.
De la paille et du grain
Gallimard
Antoine Rivaroli, dit le Comte de Rivarol
Bagnols-sur-Cèze 1753-Berlin 1801
Les écrivains qui savent le plus de langues sont ceux qui commettent le plus d'impropriétés.
Discours sur l'universalité de la langue française
Émile Zola
Paris 1840-Paris 1902
Une langue est une logique.
Les Romanciers naturalistes, les Romanciers contemporains
Charpentier
Johann Wolfgang von Goethe
Francfort-sur-le-Main 1749-Weimar 1832
Celui qui ne connaît pas les langues étrangères ne sait rien de sa propre langue.
Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß nichts von seiner eigenen.
Maximes et réflexions
Hugo von Hofmannsthal
Vienne 1874-Rodaun, près de Vienne, 1929
La langue est tout ce qui reste à celui qui est privé de sa patrie. Mais la langue, il est vrai, contient tout.
Die Sprache ist alles, was einem bleibt, der seine Heimat entbehren muß. Aber sie enthält auch alles.
Tournures françaises
Juan Ramón Jiménez
Moguer, Huelva, 1881-San Juan de Porto Rico 1958
Qui apprend une nouvelle langue acquiert une nouvelle âme.
El que aprende una nueva lengua, adquiere una nueva alma.
Primeras prosas, En la alameda verde
Frédéric Mistral
Maillane, Bouches-du-Rhône, 1830-Maillane, Bouches-du-Rhône, 1914
Dans la langue, un mystère, un vieux trésor se trouve… Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde sa chanson.
Dins la lengo un mistèri, un vièi tresor s'atrovo… Chasque an, lou roussignòu cargo de plumo novo, mai gardo sa cansoun.
Les Îles d'or
● langue (expressions)
nom féminin
(de langue)
De langue, se dit d'une personne, d'un groupe, d'un pays, d'une publication, etc., qui utilisent telle langue : Les pays de langue anglaise.
Langue de bois, manière rigide de s'exprimer qui use de stéréotypes et de formules figées et qui reflète une position dogmatique.
Langue morte, qui n'est plus parlée.
Langue verte, l'argot.
Langue vivante, actuellement parlée.
Langue diplomatique, langue adoptée pour la rédaction des actes exigés par les relations internationales. (Ces actes sont actuellement écrits en plusieurs langues, chacune des versions faisant également foi.)
Don des langues, synonyme de glossolalie.
Langue liturgique, langue utilisée pour la célébration des offices.
● langue (synonymes)
nom féminin
(de langue)
Système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propre à une communauté...
Synonymes :
- dialecte
- idiome
- parler
Système d'expression défini en fonction du groupe social ou professionnel...
Synonymes :
- jargon
- langage
Littéraire. Moyen d'expression non verbal utilisé par un artiste pour traduire...
Synonymes :
- style
Histoire. Division régionale de l'ordre de Malte. (Il y eut huit...
Synonymes :
- nation
Religion. Don des langues
Synonymes :
langue
n. f.
rI./r
d1./d Organe charnu et mobile situé dans la bouche. La langue, qui joue un rôle capital dans la déglutition et dans l'articulation des sons du langage, est organe du goût, grâce aux papilles gustatives qui recouvrent sa face supérieure.
— Tirer la langue à qqn, le narguer en lui montrant la langue.
|| (Animaux) Cet organe utilisé comme abats. Langue de boeuf. Langue fumée.
d2./d (En loc.) Langue, en tant qu'organe de la parole. Ne pas savoir tenir sa langue, avoir la langue (trop) longue: ne pas savoir taire un secret.
— Avoir la langue bien pendue ou (Belgique) avoir une grande langue: avoir la parole facile ou hardie.
— Je l'ai sur (le bout de) la langue, en parlant d'un mot que l'on croit tout près de revenir à la mémoire.
— Se mordre la langue: retenir à temps une parole, ou se repentir de l'avoir dite.
— Prendre langue avec qqn, entrer en rapport avec lui.
— Mauvaise (ou méchante) langue, langue de serpent, de vipère: personne portée à la médisance, à la calomnie.
— (Belgique) Grande langue: personne bavarde.
d3./d Ce qui a la forme d'une langue. Langues de feu. Langue de terre: portion de terre étroite et longue qui s'avance dans les eaux.
rII./r
d1./d Ensemble de signes linguistiques et de règles de combinaison de ces signes entre eux, qui constitue l'instrument de communication d'une communauté donnée. La langue française, créole.
— Langues vivantes, qui sont toujours en usage. Langues mortes, qui ne se parlent plus.
— Langue maternelle.
— Langue nationale, d'une nation ou d'une partie d'une nation.
— Langue dominante, dominée.
— Langue véhiculaire, vernaculaire.
— Industries de la langue.
d2./d Forme parlée ou écrite du langage propre à un milieu, à une profession, à un individu, etc. Langue savante, poétique. La langue de Rabelais.
— La langue verte: l'argot.
— Langue de bois: toute façon de s'exprimer construite autour de stéréotypes.
d3./d Fig. Tout système de signes non linguistiques. Langue algébrique. Langue des couleurs, des sons.
Encycl. La langue est un système de signification utilisé notam. à des fins de communication. (V. encycl. linguistique.) Elle recouvre également des enjeux politiques importants: elle est le symbole de l'unité nationale d'un pays, comme a pu l'illustrer la volonté des Québécois que le français devienne la langue officielle de leur province. Le plurilinguisme (V. encycl. bilinguisme) de certaines nations, qui est le fait d'événements historiques plus ou moins récents, peut faire obstacle à cette unité, qu'elle soit politique ou culturelle. La Belgique compte ainsi les Flamands qui, au nord, parlent néerlandais, les Wallons qui, au sud, parlent français et une petite communauté qui, à l'est, parle allemand. D'autres pays, qui ont récemment obtenu leur indépendance, doivent également gérer leur plurilinguisme par une politique d' aménagement linguistique adaptée aux langues coexistantes (V. sociolinguistique). Il est impossible de dénombrer avec exactitude les langues parlées dans les sociétés humaines; les linguistes qui ont tenté l'expérience évaluent le nombre des langues à environ 6 000. Cet inventaire est d'autant plus délicat qu'aucun critère ne permet de considérer certains systèmes linguistiques comme des langues plutôt que des dialectes ou des patois. Généralement, on entend par langue une langue nationale; ainsi, le danois et le suédois sont deux langues et non deux dialectes d'une même langue. Dans d'autres cas, le statut de langue est conféré lorsqu'il y a écriture: le breton peut être considéré comme une langue à cause de sa tradition écrite et littéraire. Il existe plusieurs façons de classer les langues du monde, et chaque classification est matière à controverse. La classification typologique des langues consiste à les regrouper selon leur analogie de structure grammaticale; la classification génétique regroupe les langues en fonction de leur origine commune; la classification géographique les regroupe selon leur proximité. La classification génétique ordonne les langues en familles, qui se divisent elles-mêmes en groupes (ou sous-familles). Parmi les principales familles de langues, on compte: la famille indo-européenne (groupes roman, slave, germanique, celtique, balte, iranien, indien), dont l'albanais, l'arménien et le grec qui constituent des groupes à eux seuls; la famille afro-asiatique ou chamito-sémitique (groupes sémitique, égyptien, berbère, couchitique, tchadique); la famille altaïque ou turco-mongole (groupes turc, mongol, toungouse); la famille ouralienne (groupes finno-ougrien, samoyède); la famille sino-tibétaine (groupes chinois, tibéto-birman); la famille dite austroasiatique (groupes thaï, môn-khmer) au sein de laquelle le miao-yao, le vietnamien et le mundâ constitueraient des groupes à eux-seuls; la famille austronésienne ou malayo-polynésienne; la famille nigéro-kordofanienne ou congo-kordofanienne (groupes nigéro-congolais, kordofanien); la famille nilo-saharienne (groupes songhay-zarma, saharien, chari-nilotique, maban), dont le fur et le koman qui constituent des groupes à eux seuls; la famille khoisan; la famille caucasienne; la famille dravidienne; la famille algonquine; la famille iroquoise; la famille sioux; la famille maya; le japonais et le coréen qui constituent des entités autonomes avec, selon certains linguistes, le mundâ (V. ces mots).
⇒LANGUE, subst. fém.
I. — [La langue comme organe]
A. — 1. Organe musculeux, mobile, généralement allongé, situé dans la cavité buccale. Les Batraciens ont la langue fixée en avant à l'arc du menton, et libre en arrière (CUVIER, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 276). Il [un serpent] faisait bruire ses anneaux sur les dalles, gonflait sa gorge, dardait sa langue fourchue (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 323). Une sorte de glace dont la pulpe feuilletée crisse sous la langue (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 116). Il se mit à rouler sa cigarette, la lécha d'un coup de langue (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 179). Elle s'est réveillée tristement, avec le bruit de la pluie dans les vitres et cette vague angoisse sous la langue qui donne à la salive un goût fade et miellé (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1427). V. bouche ex. 22 :
• 1. Ce baiser ne finira plus. Il semble qu'il y ait sous la langue de Chrysis, non pas du miel et du lait comme il est dit dans l'Écriture, mais une eau vivante, mobile, enchantée. Et cette langue elle-même, multiforme, qui se creuse et qui s'enroule, qui se retire et qui s'étire, plus caressante que la main, plus expressive que les yeux, fleur qui s'arrondit en pistil ou s'amincit en pétale, chair qui se raidit pour frémir ou s'amollit pour lécher, Chrysis l'anime de toute sa tendresse et de sa fantaisie passionnée...
, Aphrodite, 1896, p. 182.
SYNT. Bords, base, faces, pointe, sommet de la langue; muscles, muqueuse, papilles de la langue; cancer, inflammation, tumeur, ulcération de la langue; claquement de langue; avoir la langue pâteuse, rouge, sèche, la langue pendante; passer sa langue sur les/ses lèvres; humecter, mouiller ses lèvres de (avec) sa langue.
— Loc. ou expr.
a) Langue + adj.
♦ Langue chargée (v. ce mot II A 2 a). Langue mauvaise ou mauvaise langue. Langue blanche. La langue est blanche, un peu rouge à la pointe et aux bords (CADET DE GASSICOURT, Mal. enf., t. 1, 1880, p. 87).
b) [Langue en fonction de compl. du nom]
♦ Tractions de la langue.
c) Verbe + langue
♦ Avaler sa langue. Mourir. Trois mille francs! Qu'est-ce que vous voulez qu'on fiche avec ça? Il n'y aurait pas six jours de pain, et si l'on comptait sur des étrangers, des gens qui habitaient l'Angleterre, on pouvait tout de suite se coucher et avaler sa langue (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1285).
♦ Avoir soif à avaler sa langue. Avoir très soif.
♦ Ennuyeux à avaler sa langue; s'ennuyer à avaler sa langue; avaler sa langue; s'avaler la langue d'embêtement, d'ennui. [En parlant d'une chose] Qui provoque un grand ennui; s'ennuyer extrêmement. Deux créatures qui ne se conviennent pas, pourraient aller chacune de son côté; eh! bien, faute de quelques pistoles, il faut qu'elles restent là en face l'une de l'autre à se bouder, à se maugréer, à s'aigrir l'humeur, à s'avaler la langue d'ennui (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 31). Je m'ennuie ici [à Paris] à avaler trois langues, si je les avais (SAND, Corresp., t. 3, 1863, p. 367). Ils blaguaient les camarades, les convaincus, qui allaient avaler leur langue d'embêtement (ZOLA, Germinal, 1885p. 1344).
♦ Tirer la langue (à qqn). Faire sortir sa langue de la bouche en direction de quelqu'un pour se moquer, pour narguer. Quand elle était assurée de ne plus figurer aux yeux de la gouvernante qu'une quille bleuâtre au bout de la longue allée, elle lui adressait un pied de nez ou lui tirait la langue (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 74).
P. méton. Narguer. Il faut bien s'amuser un peu et tirer la langue à la mort qui nous surveille et nous recommande de ne prendre ni froid ni chaud. Quelle gouvernante! Quelle colle! (COCTEAU, Appogiatures, 1953, p. 95).
♦ Tirer la langue. Avoir très soif. On tire la langue dans la grange, et les Maloret tirent la langue dans le plein soleil à finir de moissonner (AYMÉ, Jument, 1933, p. 178).
Au fig. Désirer ardemment quelque chose; être dans le besoin. Il n'a rien pour lui. Je ne le voudrais pas dans ma chambre en peinture. Et tu te ruines pour un oiseau pareil; oui, tu te ruines, ma chérie, tu tires la langue (ZOLA, Nana, 1880, p. 1309).
♦ CHASSE, MAN. Donner de la langue. Appeler, exciter (un chien, un cheval) par des claquements de langue.
d) En partic. [La langue de certains animaux utilisée comme aliment] Langue fumée; langue de bœuf, langues de mouton braisées, langue de veau à la vinaigrette. Sa voisine de droite se trouva à demi étouffée, d'une langue de mouton, que sottement elle s'était mis dans la tête d'avaler (MICHAUX, Plume, 1930, p. 172).
♦ Langue fourrée (v. fourré II B 1).
♦ Langue à l'écarlate (v. écarlate II B 2 b).
2. [P. anal. de forme] Elles [les vagues] en jaillissaient en un torrent d'écume nouvelle qui se dressait comme des langues furieuses jusqu'au sommet du rocher (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 94). Une autre porte (...) recula soudain (...) et presque aussitôt de maigres langues de lumière se répandirent dans une chaude salle à plafond bas (CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 358). La cheminée trop large où le bois siffle et crache avant de pousser vers le haut une mince langue de flamme, fourchue comme celle d'une vipère (BERNANOS, Crime, 1935, p. 848). Le petit garçon à côté de vous mord violemment dans un morceau de pain coupé en deux d'où dépasse une langue de jambon (BUTOR, Modif., 1957, p. 90).
— Langue de feu. Flamme allongée. Venez, Rome à vos yeux va brûler, — Rome entière! (...) Déjà l'incendie, hydre immense, Lève son aile sombre et ses langues de feu (HUGO, Odes ball., 1828, p. 324). Déjà ses langues de feu s'allongeaient en tournoyant jusqu'au clocher (FEUILLET, Bellah, 1850, p. 319).
♦ THÉOL. Langue de feu (de la Pentecôte). ,,Manifestation théophanique de la descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres le jour de la Pentecôte`` (Foi t. 1 1968). Dans nos mains, sur nos fronts, fais resplendir, ô Dieu! Tes glaives flamboyants et tes langues de feu! (HUGO, Cromw., 1827, p. 331). Et quelque mille ans plus tard, c'est toi qui retombais en langues de feu sur les Apôtres rassemblés dans ton église (CENDRARS, Du monde entier, 1919, p. 82). Pourquoi ne pas éteindre aussi les « langues de feu » de la Pentecôte? C'est d'ailleurs peine perdue. Nous ne pouvons naturellement pas décrire ce feu (BREMOND, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 367).
— Langue de terre, de sable. Bande de terre allongée et étroite. Le hardi montagnard défrichant quelques langues de terre entre les fentes des roches inclinées (DUSAULX, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 55). Entre la mer et le ciel (...) s'avance une mince langue de terre couronnée d'un monastère en ruine (ARTAUD, Théâtre et son double, 1938, p. 43). La langue de terre qui joignait au gros de l'île la pointe des parcelles (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p. 33) :
• 2. Sans même que j'eusse pris conscience du chemin parcouru, j'étais parvenu sur la mince langue de sable qui barrait la lagune et longeait le front de mer. Au milieu de ces eaux toutes vernissées de lune, et hérissée de ses joncs, elle s'allongeait devant moi comme un long liséré de fourrure sombre, et courait se perdre dans un horizon rapproché par la nuit.
GRACQ, Syrtes, 1951, p. 44.
— GÉOMORPHOL. Langue glaciaire. Partie inférieure, de forme allongée, d'un glacier. La langue glaciaire (...) présente à la fois de la glace de structure très évoluée (...) et d'abondantes moraines superficielles; elle est le siège des mouvements les plus rapides du glacier et (...) responsable des formes de la vallée glaciaire (GEORGE 1970).
♦ Langue de glacier. Extension d'un glacier flottant sur la mer. Dans l'Antarctique, les langues de glacier peuvent atteindre plusieurs dizaines de kilomètres (VILLEN. 1974).
— En partic. [Suivi d'un compl. prép. de désignant un animal]
a) [Désigne des plantes, dans la langue courante] Langue d'agneau (plantain); langue de cerf (scolopendre); langue de cheval (dragon); langue de chien (cynoglosse).
b) [Désigne des outils] Langue-de-bœuf, langue-de-carpe, langue-de-vache (v. ces mots).
c) [Désigne un gâteau]. Langue-de-chat (v. ce mot).
B. — 1. [La langue comme organe de la parole] On peut considérer la langue de l'homme, dans le mécanisme de la parole, comme la corde qui lance d'elle-même la flèche qu'on y a ajustée (JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 148). Il était étonné de sa manière singulière de remuer la langue en prononçant les mots (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 268). À la moindre phrase qu'il avait à prononcer, sa langue s'embarrassait dans sa bouche, sa pensée s'obscurcissait (BILLY, Introïbo, 1939, p. 243) :
• 3. La conversation devint générale. De temps en temps, madame Rabourdin y mit la langue comme une chatte bien apprise met la patte sur les dentelles de sa maîtresse, en veloutant ses griffes.
BALZAC, Employés, 1837, p. 210.
a) Loc. et expr.
— Verbe + langue
♦ Avaler sa langue. Garder obstinément le silence. La petite avalerait sa langue plutôt que de révéler à Michel... (COCTEAU, Par. terr., 1938, I, 8, p. 219).
♦ Avoir bien de la langue (vx) (Ac.); avoir la langue bien (trop) longue. Parler trop, ne pas se taire à propos. Ne te fâche pas : tu as eu la langue trop longue, mais de toutes les obsessions, celle du suicide est la plus facile à dépister... (...) chacun de vos muscles nous fait ses confidences, malgré vous, à votre insu (BERNANOS, Joie, 1929, p. 651).
♦ N'avoir pas (point, plus) de langue. Ne pas (plus) parler. Il est flambé, le nôtre [un lutteur], s'il s'obstine à louvoyer ainsi contre ce félon! Et Blas, ne pouvant admettre cette éventualité, répondait, toujours confiant : — Il gagnera! Le public, lui, n'avait plus de langue et fixait l'œil sur les forcenés (CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 284).
♦ Ne pas avoir la langue dans sa poche. Avoir la répartie vive. Avoir la langue dans sa poche. Ne pas avoir de répartie. En tout cas s'il ne trouve pas cela (une plaisanterie) trop fort de café, c'est peut-être qu'il a sa langue dans sa poche et du jus de navet dans les veines (AVENEL, Calicots, 1866, p. 43).
♦ Avoir la langue acérée, (bien) affilée (v. ce mot II A 2 a), bien pendue. Parler beaucoup, facilement; avoir la parole facile et vive. Il avait la langue bien pendue, la réponse facile, et il était enclin aux longs récits (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 119). Tu as la langue bien pendue, tu peux discuter des heures avec Cazau au sujet de la volaille ou du potager. Avec les enfants, même les plus petits, tu jacasses et bêtifies des journées entières (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 17).
♦ Avoir la langue dorée (vieilli). Parler facilement, élégamment, de façon habile et ornée, généralement trompeuse. Il m'avait entièrement ensorcelé (...). Les mots : honneur, vertu, comtesse, femme honnête, malheur, s'étaient, grâce à sa langue dorée, placés comme par magie dans ses discours (BALZAC, Gobseck, 1830, p. 407). Le joyeux Marius était bien l'amoureux qui devait plaire à cette ingénue. Intrépide danseur et bon vivant, ayant la mine fleurie et la barbe touffue, l'œil hardi et la langue dorée (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 191).
P. méton. Une langue dorée. Personne qui parle facilement, élégamment, généralement de façon trompeuse. Est-ce à dire que je vais prendre au pied de la lettre et louer pour leur générosité (...) les plumes de cygne ou les langues dorées qui me prodiguent et me versent ces merveilles morales et sonores? (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 3, 1862, p. 29).
♦ Avoir la langue grasse (vx). ,,Avoir la langue épaisse (...) mal prononcer certaines consonnes, et notamment les R`` (Ac.).
♦ Brûler la langue (à qqn). [Le suj. désigne un acte de parole que le locuteur a envie de réaliser] Ça lui brûle la langue (REY-CHANTR. Expr. 1979).
♦ Délier, dénouer la langue (à, de qqn). Faire parler quelqu'un. Il avait fallu la mort pour délier les langues, tant Albertine gardait dans sa conduite, comme cette jeune femme même, de prudente circonspection (PROUST, Fugit., 1922, p. 650). Nul n'ignorait à Mégère que l'alcool déliait la langue de Mathurin pour des heures, mais il buvait presque toujours seul, et ne parlait guère qu'à un cheval (BERNANOS, Crime, 1935, p. 779).
Emploi pronom. passif. La mort laisse le mort sans défense contre ce qu'il parut être. Les craintes révérentielles s'évanouissent. Les langues se délient. Les souvenirs (et vous pensez bien que ce ne sont pas toujours les souvenirs les plus dignes) sortent des mémoires malicieuses (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 22).
♦ Donner, jeter sa langue au(x) chat(s), au(x) chien(s). Renoncer à deviner quelque chose. Je donne ma langue aux chiens, j'avoue mon insuffisance et je m'obstine à ne pas pénétrer pourquoi le baron de Storch (...) n'a plus la confiance du pays (GOBINEAU, Pléiades, 1874, p. 106). Je croyais avoir un certain flair, et quand je m'étais dit : sûrement non, n'avoir pas pu me tromper. Hé bien, j'en donne ma langue aux chats (PROUST, Prisonn., 1922, p. 306). Lucciana : C'est un rébus? Silvio : Écoute : des navigateurs sont partis du sud de l'Espagne vers le soleil couchant. Ils fileront toutes voiles dehors, toujours droit devant eux, et, un matin, leurs voiles apparaîtront entre les îles grecques. Lucciana : Je donne ma langue au chat (SALACROU, Terre ronde, 1938, I, 4, p. 162).
♦ Donner du plat de la langue à qqn. Faire merveille du plat de la langue.
♦ Garder, tenir sa langue. Se taire à propos. Gavard n'avait pu tenir sa langue, contant peu à peu toute l'histoire de Cayenne (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 746). Elle le supplia de dire quelque chose pour elle. Le prêtre s'était levé. Pas de singeries dans le presbytère. Thomas ferait mieux de garder sa langue, il en aurait besoin plus tard... (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p. 209).
♦ Se mordre la langue. Se retenir de parler (généralement par crainte de dire quelque chose qu'il vaut mieux éviter de dire dans les circonstances données). Un coup d'œil jeté sur le fermier, la rassura : il ne savait rien, le vieux s'était mordu la langue (ZOLA, Terre, 1887, p. 102).
Se repentir vivement d'avoir parlé. Je n'ai pas eu plutôt lâché cette parole que je m'en suis mordu la langue (Ac. 1935).
♦ Prendre langue (avec qqn). Prendre contact avec quelqu'un, entrer en pourparlers. Ludovic connaissait à Bologne deux ou trois domestiques de grandes maisons; il fut convenu qu'il irait prendre langue auprès d'eux (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p. 194). L'amiral chargea cet homme banni [un forçat irréductible] d'aller prendre langue avec les anthropophages (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 181).
— Langue + verbe
♦ La langue lui démange. Il a envie de parler, de dire quelque chose. Il avait appris en se levant l'aventure du bal des saules, et il aurait aimé à en régaler le chevalier (...). La langue lui démangeait fort, mais d'un autre côté il était retenu par la crainte des orageuses colères de M. de Seigneulles (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 21). Le sabotier s'émerveillait de la curiosité de Thomas pour ce qui concernait l'Église. Une fois la langue lui démangeait trop, il interrogea son élève : « Tu veux être prêtre? » L'autre nia (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944p. 142).
♦ Avoir la langue qui fourche. Dire un mot pour un autre. Une mère!... La langue m'a fourché... Gendarme, vous êtes une mère! (COURTELINE, Gend. sans pitié, 1899, 3, p. 180).
♦ Sa langue va comme un claquet de moulin
— Avoir qqc. sur la langue
♦ Avoir un bœuf sur la langue (v. bœuf C 2). Ne pas parler, ne pas donner son opinion. Il ne pensait point par ordre, n'avait pas de bœuf sur la langue comme les autres officiers d'active qui s'asseyaient autour de cette table. En toute circonstance, il prenait position. On sentait chez lui l'habitude de dire à peu près ce que bon lui semblait (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 41).
♦ Avoir un cheveu sur la langue. Zézayer légèrement.
♦ Avoir un mot (une phrase, une question) sur (le bout de) la langue, au bout de la langue. Être sur le point de dire quelque chose et se retenir de le dire. Au fait, nous dévions. J'avais une question sur le bout de la langue : Vous êtes un peu amoureux de Maria, n'est-ce pas? (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 177) :
• 4. On avait vu cet homme, à cinquante ans passés, rougir comme une jeune fille au moment où il disait à une certaine personne que, dans la difficulté, elle pourrait compter sur lui. Encore, pour lui dire cela, avait-il dû se vaincre; il était venu la voir deux fois déjà dans le but de le lui dire, mais chaque fois, les mots sur la langue, n'avait pas osé, avec la même gêne et la même honte, exactement, que s'il s'était agi pour lui non d'offrir cet argent, mais de le demander.
MONTHERL., Célibataires, 1934, p. 804.
Avoir le sentiment qu'on est prêt à trouver un mot qui échappe. J'ai son nom au bout de la langue (A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 9). Le nom lui trotte dans la tête, elle l'a sur le bout de la langue — mais elle ne peut pas mettre la main dessus (P. DANINOS, Un certain Monsieur Blot, p. 62 ds REY-CHANTR. Expr. 1979).
b) Proverbes
♦ Beau parler n'écorche point la langue (vx). ,,Il est toujours bon de parler honnêtement et civilement`` (Ac.).
♦ (Il faut) tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, de répondre, de dire qqc. Il faut réfléchir longuement avant de parler. Personne ne comprit goutte à mon exposé et je me vis, pour finir, reprocher aigrement de ne pas avoir protesté avec vigueur au moment où notre cellule avait été critiquée. Sur ce point, je n'aurais pas eu besoin de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de répliquer que le blâme n'était que trop juste (M. LEIRIS, Fibrilles, p. 67 ds REY-CHANTR. Expr. 1979).
♦ Qui langue a, à Rome va (vx). ,,Quand on sait parler, on peut aller partout`` (Ac.).
2. En partic. [P. réf. au contenu du discours] Malitourne croyait avoir enfin, une fois en sa vie, eu la langue heureuse. Mais, quand le propos heurta Madame de Matefelon et la Marquise, le maladroit reprit conscience de son destin (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 115). T'es un salaud. Ma femme s'est pendue dans la grange (...). C'est toi qui as fait cela. Pas avec tes mains, sûr, avec ta langue, ta pute de langue. T'as dans la bouche tout le jus sucré du mal... (GIONO, Colline, 1929, p. 138). La justice devra fermer la bouche de certaines personnes dont la langue distille un venin pire que celui de la vipère (BERNANOS, Crime, 1935, p. 831) :
• 5. Elle ne causait que des autres, racontait leur vie, jusqu'à dire le nombre de chemises qu'ils faisaient blanchir par mois, poussait le besoin de pénétrer dans l'existence des voisins, au point d'écouter aux portes et de décacheter les lettres. Sa langue était redoutée, de la rue Saint-Denis à la rue Jean-Jacques-Rousseau, et de la rue Saint-Honoré à la rue Mauconseil.
ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 668.
— Avoir une mauvaise, méchante langue; avoir une langue d'aspic, de serpent, de vipère. Tenir des propos calomniateurs, médisants. Cette petite fille a une langue de vipère, et elle a sans doute déjà bavardé... (THEURIET, Mar. Gérard, 1875, p. 204). Les foudres qu'échangeaient leurs regards, le choc de leurs caprices, leurs langues méchantes (COCTEAU, Enf. terr., 1929, p. 33).
♦ P. méton. Personne qui aime à calomnier, à médire. La police avait un jour surpris, au dire des méchantes langues, le sieur Schmidt au milieu d'une bande de ses partisans (...), gambadant et chantant autour d'un amas de livres d'école auxquels ils avaient mis le feu (GOBINEAU, Pléiades, 1874, p. 117). Entre nous, confidentiellement, je pense qu'il y aura une autopsie... par précaution, vous comprenez?... plutôt pour faire taire les mauvaises langues... (SIMENON, Vac. Maigret, 1948, p. 36) :
• 6. Laisse dire la calomnie
Qui ment, dément, nie et renie
Et la médisance bien pire
Qui ne donne que pour reprendre
Et n'emprunte que pour revendre...
Ah! laisse faire, laisse dire!
Faire et dire lâches et sottes
Faux gens de bien, feintes mascottes,
Langues d'aspic et de vipère.
VERLAINE, Œuvres compl., t. 1, Odes en son honn., 1893, p. 11.
♦ P. iron. Une bonne langue. Je ne dis pas qu'elle ne soit pas volage, et Swann lui-même ne se fait pas faute de l'être, à en croire les bonnes langues qui, comme vous pouvez le penser, vont leur train (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 467).
SYNT. Langue double, envenimée, fausse, flatteuse, médisante, venimeuse, vipérine; langue de traître.
♦ Coup de langue. Médisance, calomnie, raillerie cruelle. Assassiner qqn à coups de langue. Hélas! Marie, il m'a fait pitié. Vous autres grandes dames, vous poignardez un homme à coups de langue (BALZAC, Chouans, 1829, p. 303). D'Aubigné était de cette race cassante qui ne se refuse jamais un coup de langue, et qui pour un bon mot va perdre vingt amis ou compromettre une utile carrière (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 10, 1851-62, p. 339).
II. — [La langue comme système]
A. — 1. Système de signes vocaux et/ou graphiques, conventionnels, utilisé par un groupe d'individus pour l'expression du mental et la communication. Le plus grand des crimes, c'est de tuer la langue d'une nation avec tout ce qu'elle renferme d'espérance et de génie (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 139). La langue est le signe principal d'une nationalité (MICHELET, Tabl. Fr., 1833, p. 3). Elle parla tout à coup dans une langue que je n'avais pas encore entendue. C'était des syllabes sonores, gutturales, des gazouillements pleins de charme, une langue primitive sans doute; de l'hébreu, du syriaque, je ne sais (NERVAL, Filles feu, Octavie, 1854, p. 644). Elle disait : « Mamma! Oh! Mamma, mamma! » C'est un mot qui est le même dans presque toutes les langues de la terre (MILLE, Barnavaux, 1908, p. 206). Aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l'orthographe d'une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu'ils étaient des grands vivants, ne faisaient de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 15) :
• 7. On ne distingue les sensations, qu'en leur attachant des signes qui les représentent et les caractérisent : on ne les compare, qu'en représentant et caractérisant également par des signes, ou leurs rapports, ou leurs différences. Voilà ce qui fait dire à Condillac qu'on ne pense point sans le secours des langues, et que les langues sont des méthodes analytiques : mais il faut ici donner au mot langue [it. ds le texte], le sens le plus étendu. Pour que la proposition de Condillac soit parfaitement juste, ce mot doit exprimer le système méthodique des signes par lesquels on fixe ses propres sensations.
CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 61.
— Loc. et expr.
♦ Langues anciennes, mortes. Langues qui ne sont plus en usage. Il consacre [Roger Bacon] la troisième partie de l'opus majus à l'utilité de l'étude des langues anciennes (grec, arabe, hébreu) (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 504) :
• 8. On sait un latin, ou, plutôt, on fait semblant de savoir un latin, dont la version du baccalauréat est la fin dernière et définitive. J'estime, pour ma part, que mieux vaudrait rendre l'enseignement des langues mortes entièrement facultatif (...) et dresser seulement quelques élèves à les connaître assez solidement, plutôt que de les contraindre en masse à absorber des parcelles inassimilables de langages qui n'ont jamais existé...
VALÉRY, Variété III, 1936, p. 278.
♦ Langue artificielle (v. ce mot ex. 7).
♦ Langues classiques. Langues latine et grecque. Il ne parlait que l'anglais — et peut-être les langues classiques : car un petit Platon en grec (...) sortait de la poche (...) de son blazer (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 479).
♦ Langues étrangères, ou p. ell. du déterm., les langues. Langues vivantes étrangères. Cours, école de langues; enseignement des langues; maître (vieilli), professeur de langues; apprendre, étudier les langues; avoir le don des langues, être doué pour les langues. Il est permis de profiter des idées et des images exprimées dans une langue étrangère, pour en enrichir la sienne (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 515). La fille du colonel Jean savait un peu de français et d'anglais (...). J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les langues étrangères (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 36).
♦ Langue internationale. Langue utilisée ou créée pour permettre la communication entre des personnes de langues différentes. Le latin du Moyen Age était encore bien vivant : on pouvait traiter des affaires, bavarder, plaisanter, se disputer, jurer en latin! Il restait en outre la langue littéraire la plus pratiquée de l'Occident, et sa langue internationale la plus utile (P. BURNEY, Les Langues internationales, Paris, P.U.F., 1962, p. 12).
♦ Langue maternelle. Première langue apprise par une personne (généralement celle de la mère). Il suffit (...) à un enfant d'apprendre sa langue maternelle par l'usage, et la lecture des bons écrivains; il en étudiera les règles quand son jugement sera formé (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 306). L'idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu'en latin; et il persista dans cette résolution, jusqu'au moment où ils furent capables de soutenir avec lui une conversation entière comme ils l'eussent fait dans leur langue maternelle (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Quest. du lat., 1886, p. 566).
♦ Langue nationale. Langue d'un groupe ethnique dont l'usage est reconnu légalement dans et par l'État auquel ce groupe appartient. Les dialectes, (...) les patois viennent se résoudre en une seule et même langue nationale (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 163).
♦ Langue officielle. Langue dont l'emploi est reconnu dans un État ou un organisme pour la rédaction des textes officiels. Les langues officielles de la cour sont le français et l'anglais (Charte Nations Unies, 1946, p. 123). En Hongrie, l'effervescence demeura très vive en 1790. Des centaines de pamphlets réclamaient, au nom du « peuple », le rétablissement du régime représentatif et l'adoption du magyar comme langue officielle (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 205).
♦ Langue sacrée, liturgique, religieuse. Langue utilisée pour l'exercice d'un culte religieux. Les religions, qui durent plus que les races humaines, conservent leur langue sacrée quand les peuples ont perdu les leurs (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 107).
♦ Langue seconde (p. oppos. à langue maternelle). Un élève apprendra d'autant mieux un type de structure ou d'emploi en langue seconde qu'il en aura préalablement compris les principes en langue maternelle (E. ROULET, Lang. maternelle et lang. secondes, Paris, Hatier-CREDIF, 1980, p. 10).
♦ Langue vivante. Langue actuellement en usage. La plainte timorée de Lamennais : « On ne sait presque plus le français, on ne l'écrit plus, on ne le parle plus », — plainte qui ne veut rien dire, sinon : le français étant une langue vivante se modifie périodiquement (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p. 120). Que faut-il donc penser de l'évanouissement de vertu, puisque telle est la tendance irréfutable de la langue vivante et que telle est la misérable condition où je trouve réduit un mot qui fut des plus puissants et des plus beaux d'entre les mots (...)? (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 166).
— [La langue envisagée du point de vue esthétique, de ses qualités d'expression] Langue pauvre, riche; langue agréable, chantante, dure, gutturale; clarté, élégance d'une langue. La langue française n'est pas la plus abondante, mais elle est la plus riche des langues. L'abondance consiste dans le nombre des mots, la richesse dans la facilité de tout exprimer (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 346). Langue fluide, voltigeante et rythmée, qui donne à l'idée des chocs sonores, et fait du vocabulaire italien un livre de musique (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 237). Esthétique de la langue française, cela veut dire : examen des conditions dans lesquelles la langue française doit évoluer pour maintenir sa beauté, c'est-à-dire sa pureté originelle (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899p. 7). Les cavaliers zézayaient à l'andalouse, langue molle, coulante et imprononcée, où on supprime les consonnes parce qu'elles demandent un peu d'effort (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 414).
— En partic. Ensemble des règles de la grammaire, des règles concernant le lexique d'un système linguistique donné. Bien connaître sa langue. Je voudrais voir son figure, dit l'Anglais qui, par quelques fautes de langue, donnait parfois, sans le savoir, un tour assez plaisant à ses discours ordinairement graves (SAND, Jeanne, 1844, p. 21).
— LING. Système abstrait de signes (par opposition au discours, à l'énoncé ou à la parole, qui en sont l'actualisation). La langue est un système de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de l'état momentané de ses termes (SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 116). La conception de la langue comme système, conduit à l'affirmation que « dans la langue il n'y a que des différences » et que « la langue est une forme et non une substance » (F. de Saussure) (PERROT, Ling., 1953, p. 116) :
• 9. L'étude du langage comporte donc deux parties : l'une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de l'individu (...); l'autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c'est-à-dire la parole (...). Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent l'un l'autre : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s'établisse; historiquement, le fait de parole précède toujours.
SAUSSURE, Ling. gén., 1916p. 37.
♦ Langue commune (v. ce mot B 1).
♦ Langue spéciale. [P. oppos. à langue courante] Langue dont le vocabulaire est propre à une activité, à un milieu. L'argot donc est la langue spéciale de la pègre, c'est-à-dire l'ensemble des mots propres aux truands, et des malfaiteurs, créés par eux et employés par eux à l'exclusion des autres groupes sociaux qui les ignorent ou ne les utilisent pas en dehors de circonstances exceptionnelles (P. GUIRAUD, L'Argot, Paris, P.U.F., 1958, p. 7).
♦ Langue véhiculaire.
♦ Langue vernaculaire.
♦ Langue vulgaire. [P. oppos. à langue savante, le latin du Haut Moyen Âge jusqu'au XVIIe s.] Langue du peuple, du quotidien. Les clercs (...) gardèrent l'usage du latin (...). Dédaignés des gens instruits, les écrits en langue vulgaire ne s'adressaient guère qu'aux ignorants (FRANCE, Vie littér., 1890, p. 270). Descartes revient (...) à chaque instant sur cette idée que ses preuves de l'existence de Dieu dans le Discours ne valent rien parce qu'en un ouvrage écrit en langue vulgaire, où il a voulu que les femmes mêmes pussent entendre quelque chose, il n'a pas osé pousser assez loin les raisons des sceptiques (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 90).
♦ [Les langues classées d'après leurs caractères distinctifs apparents] Langues analytiques, synthétiques; langues analogues, transpositives, inversives; langues isolantes, incorporantes, agglutinantes; langues formatives, flexionnelles.
♦ [Les langues classées d'après leur parenté] Langues indo-européennes, germaniques, néo-latines, romanes, slaves; langues orientales, dravidiennes, tibéto-birmanes :
• 10. ... une langue qui a évolué dans la discontinuité géographique présente vis-à-vis des langues parentes un ensemble de traits qui n'appartiennent qu'à elle, et quand à son tour cette langue s'est fractionnée, les divers dialectes qui en sont sortis attestent par des traits communs la parenté plus étroite qui les relie entre eux à l'exclusion des dialectes de l'autre territoire.
SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 289.
Langue mère, primitive, source. Langue qui est à l'origine d'autres langues (qui en sont dérivées). Langue fille, dérivée. Langue issue d'une autre langue. Langues sœurs. Langues dérivées d'une même langue mère. Nos langues européennes, qui ne sont que des dialectes de langues primitives (BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p. 338). Il n'en est pas du langage comme de l'humanité : la continuité absolue de son développement empêche d'y distinguer des générations, et Gaston Paris s'élevait avec raison contre la conception de langues filles et de langues mères, parce qu'elle suppose des interruptions (SAUSSURE, Ling. gén., 1916p. 296) :
• 11. Appliqué aux choses linguistiques, le terme de parenté est ambigu et a souvent induit en erreur des gens peu avertis des faits du langage. Certains linguistes même, ce qui est moins excusable, ont parfois pris au sérieux un simple terme métaphorique et ont dressé pour les langues des tableaux généalogiques (...). On s'est cru dès lors autorisé à dire que le français par exemple ou l'italien étaient nés du latin, et à parler de langues mères, et de langues filles, et de langues sœurs. Terminologie fâcheuse, parce qu'elle donne une idée fausse du rapport des langues entre elles. Il n'y a rien de commun entre la « parenté » des langues et la filiation ou la génération, au sens physiologique de ces termes.
VENDRYES, Langage, 1921, p. 349.
2. [Constr. avec un compl. prép. de ou un adj.]
a) [Désignant un domaine, une matière, une science ou une technique] Système de signes spécialisés appartenant à une langue donnée. Langue juridique, mathématique, scientifique; langue de la biologie, du droit, de l'économie, de la médecine. J'ai tâché d'expliquer, mieux qu'on ne l'avait encore fait suivant moi, les raisons spéciales de l'imperfection inévitable de la langue philosophique (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. VI). Voici deux lignes de vraie langue marine; « on cargue la brigantine, on assure les écoutes de gui; une caliourne venant du capelage d'artimon est frappée sur une herse en filin... » (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p. 90). Vouivre, en patois de Franche-Comté, est l'équivalent du vieux mot français « guivre » qui signifie serpent et qui est resté dans la langue du blason (AYMÉ, Vouivre, 1943, p. 10).
b) [Désignant une activité, un usage, un groupe social, professionnel ou culturel] Système d'expression spécifique, particulier à un groupe de la communauté linguistique; aspect que peut prendre une langue donnée. Langue diplomatique, poétique; langue écrite, parlée; langue populaire; langue de la conversation; langue du barreau, du commerce, du théâtre. La langue du berger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la nôtre, à quelques élisions près, avec des tournures douteuses, des mots hasardés, des terminaisons et des liaisons de fantaisie (NERVAL, Filles feu, 1854, p. 627). De l'emploi des grands mots dans la langue bourgeoise, par exemple cœur, — mon cœur de mère, ton cœur de fils, — appliqué à un baiser donné le soir ou à un ravaudage de chaussettes. Une langue toujours sur les échasses; à propos de rien, la solennité des mots et la solennité dramatique (GONCOURT, Journal, 1860, p. 842). C'est ce système que, dans la langue courante, on désigne sous le nom d'état (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 198) :
• 12. ... le langage donné acquis dès notre enfance, étant l'origine statistique et commune, est généralement peu propre à exprimer les états d'une pensée éloignée de la pratique (...). De là naissent les langages techniques, — et parmi eux, la langue littéraire. On voit dans toutes les littératures apparaître, plus ou moins tard, une langue [it. ds le texte] mandarine, parfois très éloignée de la langue usuelle; mais, en général, cette langue littéraire est déduite de l'autre, dont elle tire les mots, les figures, les tours les plus propices aux effets que recherche l'artiste en belles-lettres.
VALÉRY, Variété III, 1936, p. 26.
— Littér. La langue des dieux. La poésie. Les métaphysiciens d'Élée et Empédocle d'Agrigente chantèrent les mystères de la nature dans la langue des dieux (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p. 56).
c) En partic. Langue verte. Argot. Avec eux la chanson (...) parle l'argot des faubourgs. Au XVIIIe siècle, elle parlait avec Vadé, le langage poissard (...). Nos nouveaux Vadé chantent en langue verte. La langue verte est expressive (FRANCE, Vie littér., 1891, p. 393).
3. En partic. Ensemble des moyens linguistiques utilisés par une personne pour exprimer une opinion, un sentiment, un état d'âme. Cette douloureuse aventure du père (...) était jetée à la face du fils avec une abondance fangeuse de détails faux, d'imaginations atroces, en une langue qui roulait l'outrage et l'ordure (ZOLA, Vérité, 1902, p. 120).
a) [En parlant d'un écrivain] Façon particulière d'écrire. Synon. style. La langue de Corneille, de Stendhal; image propre à la langue d'un auteur; fixer des impressions dans une langue exacte, rigoureuse. Zola (...) voyait partout le diable et (...) maudissait la corruption de son temps dans une langue obscène et hyperbolique (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 266). Exprimer, dans une langue à la fois élégante et précise, qu'un reflet de soleil échappé à une glace s'était venu loger dans son œil, lui devenait une tâche au-dessus de ses forces (COURTELINE, Train 8 h. 47, 1888, 1re part., 3, p. 32) :
• 13. Elle [l'Académie française] a semblé accueillir et reconnaître à son tour cette vérité, que les grands poëtes ont chacun une langue à part, une langue originale qui, en même temps qu'elle est ou qu'elle devient celle de tous, est la leur aussi en particulier. Qu'on appelle cela style ou langue [it. ds le texte] peu importe, car qui dit langue dit aussi tours et locutions.
SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 7, 1864, p. 200.
b) [Constr. avec un compl. prép. de désignant un affect] Façon particulière de s'exprimer, inspirée par cet affect. Langue de l'amour, du dépit, de la haine, de l'envie; parler la langue de la raison. Au point où j'en étais, c'est-à-dire osant à peine épeler sans émoi le mot le plus innocent et le plus usuel de la langue du cœur, mes prévisions les plus hardies n'auraient jamais dépassé toutes seules l'idée d'un sentiment désintéressé et muet (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 92).
B. — P. anal.
1. Système de signes conventionnels quelconques utilisé pour communiquer. Langue chiffrée, langue des signes.
2. Ensemble des moyens d'expression utilisés par un artiste pour créer une œuvre. Langue musicale. Il [Jean Van Dyck] a créé un art vivant, inventé ou perfectionné son mécanisme, fixé une langue et produit des œuvres impérissables (FROMENTIN, Maîtres autrefois, 1876, p. 393). La musique étant une sorte de vague langue universelle est l'organe de la fraternité universelle, non de la domination d'une race (SAINT-SAËNS, Harm. et mélod., 1885, pp. 314-315). La langue de César Franck est rigoureusement individuelle (D'INDY, C. Franck, 1906, p. 64).
C. — Au fig. Manifestation du réel ou de l'imaginaire considérée comme un signe ou un ensemble de signes interprétables, porteurs de signification. Chaque pays a ses harmonies, ses plaintes, ses cris, ses chuchotements mystérieux, et cette langue matérielle des choses n'est pas un des moindres signes caractéristiques dont le voyageur est frappé (SAND, Hiver à Majorque, 1842, p. 43). Les lumières du ciel s'éteignent dans l'ombre du soir, la nature s'enveloppe de silence, ses oracles sont muets pour nous. (...) nous ne pouvons entrevoir le secret de notre destinée qu'en interrogeant la langue des symboles, cette langue mystérieuse que parlaient nos pères et que nous ne comprenons plus (MÉNARD, Rêv. païen, 1876, p. 129) :
• 14. Le langage du rêve n'est pas composé de signes abstraits, conventionnellement adoptés par les humains pour la commodité de leurs rapports sociaux; il est fait d'images, qui sont avec la réalité exprimée dans un rapport de participation réelle. De cette attitude fondamentale découlent tous les caractères de cette langue onirique (...). Elle se sert (...) d'images qui sont les mêmes que celles de la langue courante : un chemin épineux ou verglassé y désigne une période difficile de l'existence; les ténèbres parlent de mélancolie; la mort ou la séparation s'annoncent par un voyage ou une traversée.
BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 109.
REM. 1. Languard, -arde, adj., vx. Médisant. Mon petit, cela t'apprendra à te méfier... de fille oiseuse et languarde (ROLLAND, J.-Chr., Maison, 1909, p. 1024). 2. Langué, -ée, adj., hérald. [En parlant d'un oiseau] Dont la langue est d'un autre émail que le corps. Langué. Se dit des aigles dont la langue est d'un émail particulier (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 762). 3. Languée, subst. fém., hapax. Elle [la vache] troussait une dernière languée de germen et de fleurs et rentrait à l'étable dont l'ouverture contenait juste ses flancs (ARNOUX, Écoute, 1923, p. 34).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 2e moitié Xe s. anat. lingua (St Léger, éd. J. Linskill, 158); 1er quart XIIe s. langue(t) (Cantique des cantiques, 26 ds FOERSTER-KOSCHWITZ, p. 165a); 2. 2e moitié Xe s. lingu' « cet organe, considéré comme principal agent de la parole » (St Léger, 169); ca 1210 (GUIOT DE PROVINS, Bible, éd. J. Orr, 2431 : il ferait une fort glose Es lengues fauses deslïées, Qui devroient estre lïées De ceu que j'oi dire es decreiz); 1424 longue langue « langue bavarde » (A. CHARTIER, Belle Dame sans mercy, éd. A. Piaget, 736); 1606 avoir la langue longue, avoir la langue bien pendue « être très bavard » (NICOT); ca 1260 mauvaises laingues « mauvais propos » (Ménestrel Reims, éd. N. de Wailly; § 281); 1528 mauvaises langues « médisants » (Percef., V, fol. 85b ds LA CURNE); 1549 l'avoir sur le bout de la langue « être sur le point de le dire » (EST.); 1574 prendre langue « entrer en contact » (E. PH. COSMOPOLITE, Deuxième Dialogue du Réveille-Matin des Français d'apr. FEW t. 5, p. 358b); 1676 jeter sa langue aux chiens « renoncer à deviner » (SÉV., Lettre, éd. Monmerqué, t. 4, p. 354, n° 500), cf. l'expr. bon à jeter aux chiens, s.v. chien; 1842 donner sa langue aux chiens « id. » (SUE, Myst. Paris, t. 1, p. 333); 1845-46 jeter sa langue aux chats « id. » (BESCH.); 1860 donner sa langue aux chats « id. » (GONCOURT, Ch. Demailly, p. 227); pour l'explication v. REY-CHANTR. Expr.; 3. fin Xe s. lingue « système d'expression de la pensée commun à un groupe » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 459); spéc. langue verte 1820-40 (Ms. Jacquinot ds LARCH. Suppl. 1883, XI : Professeur de langue verte : Joueur ruiné s'offrant comme conseil et empruntant aux gagnants), d'où l'accept. « argot des joueurs » donnée par MICHEL en 1856 et reprise par DELVAU; 1864 désigne prob. les mots crus (DELVAU, Dict. érotique mod., par un professeur de langue verte ds LARCH. Nouv. Suppl. 1889); 1866 « argot » (DELVAU, v. introd., pp. X-Xij); 4. p. anal. de forme ca 1165 lengue « languettes d'une banderole » (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 2481); 1347-48 langue de terre « pièce étroite de terre enclavée dans d'autres terres » (Compte des eaux et forêts du douaire de la reine Jeanne d'Evreux, 402 H ds C. A. BEVANS, The Old French Vocabulary of Champagne, p. 23); 1636 langue de terre « péninsule » (MONET). Du lat. lingua terme d'anat., « organe de la parole », « système d'expression commun à un groupe » et dans des sens métaph. comme « péninsule », v. aussi TLL s.v., 1446, 62-67. L'expr. langue verte peut s'expliquer p. réf. au tapis vert des joueurs, ou par la hardiesse et crudité de ce vocab. (cf. ESN., s.v. vert et FEW t. 14, p. 507b et notes 3 et 4). Fréq. abs. littér. : 9 687. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 19 778, b) 12 526; XXe s. : a) 12 955, b) 9 814. Bbg. BRESSON (F.). Langue écrite et langue parlée. Fr. auj. 1977, n° 39, pp. 67-75. - DINNEEN (F.P.) Analogy, langue and parole. In : [Mél. Reichling (A.)]. Lingua. 1968, t. 21, pp. 98-10 - GESCHIERE (M.L.). Plaidoyer pour la langue. Neophilologus. 1961, t. 45, pp. 21-37. - GILL (A.). La Distinction entre langue et parole. In : [Mél. Orr (J.)]. Manchester, 1953, pp. 90-103. - JOURJON (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1929, t. 41, pp. 136-137. - KOLL (H.-G.). Die Französischen Wörter langue und langage im Mittelalter. Genève-Paris, 1958, 192 p. - MALMBERG (B.). Langue-forme-valeur. Semiotica. 1976, t. 18, pp. 195-200. - (W.). Les Termes langue et parole désignent-ils qq. ch. de réel? B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. XXIV-XXVII. - NIQUE (C.). Notes et déf. pour une approche des ouvrages de ling. Fr. auj. 1972, n° 19, p. 58. - POLLAK (W.). Reflexionen über langue und parole. Moderne Sprachen. 1965, t. 9, pp. 122-133. - QUEM. DDL t. 10, 14. - SPENCE (N.C.W.). A Hardy perennial : the problem of la langue and la parole. Archivum Linguisticum. 1957, t. IX, pp. 1-27; Langue and parole yet again. Neophilologus. 1962, t. 46, pp. 197-200.
langue [lɑ̃g] n. f.
ÉTYM. Fin Xe; du lat. lingua, qui a les deux grandes acceptions (I et II).
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1 (Fin Xe). Organe charnu, musculeux, allongé, mobile, placé dans la cavité buccale. ⇒ fam. Bavarde, lavette, menteuse; → vx Chiffon rouge. || Relatif à la langue. ⇒ Lingual; préf. gloss(o)-. || Portion pharyngienne, buccale de la langue. || Faces (supérieure et inférieure), bords, base, pointe ou sommet (⇒ Bout) de la langue. || Squelette ostéofibreux de la langue (⇒ Hyoïde). || Muscles de la langue; muqueuse, papilles (cit. 1) de la langue. || Replis de la muqueuse, à la face inférieure de la langue. ⇒ Filet (I., A., 1.), frein; barbillon. || Qui est sous la langue. ⇒ Hypoglosse, sublingual. — Privé de langue. ⇒ Aglosse. — Aspects pathologiques de la langue : langue blanche, chargée, rouge, sèche (→ Fébricitant, cit.). || La langue de qqn, sa langue. || Avoir une grande langue. || Avoir la langue sèche, ardente de soif (→ Ardeur, cit. 5). || Langue qui s'empâte, s'embarrasse; empâtement de la langue. || Langue épaisse, pâteuse. — Maladies, inflammations de la langue. ⇒ Glossite, hypoglossite. || Tumeurs, ulcérations de la langue (⇒ Grenouillette). — Instrument pour abaisser la langue. ⇒ Abaisse-langue. || Médecin qui examine la langue d'un malade. || Tirez la langue et faites ah ! — La langue, organe du goût. ⇒ Goût, gustation (→ Dégustation, cit.; huître, cit. 1). || La langue sert à la déglutition (→ 2. Bol, cit.). — Passer sa langue sur qqch. ⇒ Lécher, pourlécher. || Mouiller ses lèvres avec sa langue (→ Gonfler, cit. 12); s'humecter (cit. 5) le pouce à coups de langue. || Clapper (cit. 1), claquer (cit. 2) la langue. || Claquement de langue (→ Exprimer, cit. 19). || Boire en attirant le liquide avec la langue. ⇒ Laper. || Goûter qqch. du bout de la langue. || Se brûler la langue. || Terre bolaire qui happe à la langue. — Montrer, sortir la langue (→ Grain, cit. 1). || Chien (cit. 12) qui tire la langue, qui a la langue pendante (→ Haleter, cit. 2). — ☑ Fig. Tirer la langue : désirer ardemment qqch., sans obtenir satisfaction, être dans le besoin. || Faire tirer la langue à quelqu'un. ⇒ Languir.
1 Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
La Fontaine, Fables, VII, 1.
2 (…) le bourreau, lui ayant enfoncé des tenailles en la bouche, lui arracha la langue jusqu'à la racine et la jeta au feu.
Gide, Journal, 3 avr. 1945.
2.1 Ce pouls qui bat à coups précipités comme son cœur, qui devient intense, plein, bruyant; cet œil rouge, incendié, puis vitreux; cette langue qui halète, énorme et grosse, d'abord blanche, puis rouge, puis noire, et comme charbonneuse et fendillée, tout annonce un orage organique sans précédent.
A. Artaud, Le Théâtre et son double, p. 26.
♦ ☑ Loc. Tirer la langue, la sortir, soit par réflexe (notamment, en ayant l'esprit absorbé), soit par un geste qui (dans nos cultures) manifeste l'agression, la dérision. → Grimace, cit. 5. || Tirer la langue à qqn. || Maman, elle m'a tiré la langue !
3 (…) l'écolier penché sur sa page d'écriture, et qui tire la langue.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne, p. 229.
♦ Baiser avec introduction de la langue; baiser langue en bouche. → fam. Galoche, patin, pelle. — ☑ Loc. Langue fourrée. — Caresses érotiques avec la langue. → Buccogénital; vulg. brouter, gamahucher, lécher, sucer.
♦ Langues d'animaux. || Langue de serpent. ⇒ Dard (poét.). || La langue d'un bœuf, d'un veau. Spécialt. Cet organe, comestible. || De la langue de bœuf. || La langue fait partie des abats. || Manger de la langue. Cuis. || Langue fourrée, salée, fumée. || Langue de porc. ⇒ Languier. || Langues de mouton braisées. ☑ Allus. littér. Les langues d'Ésope.
4 Xanthus (…) lui commanda (à Ésope) d'acheter ce qu'il y aurait de meilleur (…) Il n'acheta (…) que des langues (…) l'entrée, le second, l'entremets, tout ne fut que langues (…) Et qu'y a-t-il de meilleur que la langue ? reprit Ésope : c'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l'organe de la vérité et de la raison (…) Eh bien, dit Xanthus (…) achète-moi demain ce qu'il y a de pire (…) Le lendemain Ésope ne fit servir que le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde : « C'est la mère de tous débats (…) la source des divisions et des guerres (…) »
La Fontaine, Vie d'Ésope.
4.1 Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon.
Zola, le Ventre de Paris, t. I, p. 56.
♦ Par métaphore. || Langue de… (suivi d'un nom d'animal), désigne des objets plats et allongés. → Langue III., ci-dessous, et les comp. — REM. Ces composés désignent des plantes, d'après leurs feuilles, des coquillages, des outils, etc.
4.2 Les langues (…) sont des herbes désignées d'après leurs feuilles; feuilles simples de forme ovale et qui les apparente aux oreilles (…) c'est ainsi que les langues et les oreilles désignent des champignons, en particulier de l'espèce parasite qui s'attache aux arbres.
On trouve surtout des langues de bœuf, de mouton, de chat et divers mammifères; d'autre part des langues d'oiseaux : oie, passereau, pic, poulet; enfin des langues de serpent (…) Dans tous les cas il s'agit de plantes à feuilles simples de formes plus ou moins allongées (…) Les langues d'oiseaux sont plus petites que les langues de mammifères. Il s'agit toujours de feuilles simples, de forme ovale, souvent pointues ou lancéolées (…)
Pierre Guiraud, Structures étymologiques du lexique français, p. 161-162.
♦ ☑ Loc. fig. Langue de belle-mère : serpentin qui se déroule en produisant un son continu et nasillard, lorsqu'on souffle à son extrémité. Syn. : mirliton (2.), sans-gêne.
2 (XIIIe). Cet organe, considéré en tant qu'organe de la parole chez l'homme. || Rôle de la langue dans l'articulation (cit. 6) des sons (→ Articuler, cit. 10). ⇒ Apical (2.), apicolabial. — Par métaphore et fig. (dans des loc.). ⇒ Parole; bec (supra cit. 7), bouche. Fam. ⇒ Bavarde, menteuse, platine, tapette. ☑ Avoir la langue acérée, bien affilée, bien pendue : parler beaucoup, facilement. ⇒ Bavard. ☑ Langue dorée. ☑ Sa langue va comme un claquet de moulin. || Avoir la langue trop longue. ☑ Ne pas savoir tenir sa langue : ne pas savoir se taire quand il faudrait, être indiscret. ☑ La langue lui démange (cit. 4). ☑ Avoir un bœuf sur la langue. ☑ Tu as avalé ta langue ? || S'avaler (cit. 8.1) la langue d'ennui. ☑ Avoir un mot sur le bout de la langue (→ Sur le bord des lèvres). ☑ Se mordre la langue, pour se retenir de parler (par crainte de dire une sottise, de révéler un secret), et aussi se repentir vivement d'avoir parlé. ☑ Avoir un cheveu sur la langue. ⇒ Zézayer. ☑ Prov. Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler : il faut réfléchir longuement avant de parler. — Langue embarrassée (cit. 19), enchaînée (cit. 4), engourdie (cit. 12); qui balbutie (cit. 3 et 14), bégaye (cit. 1, 2 et 6), fourche (cit. 2). ☑ La langue lui a fourché. ⇒ Lapsus (linguæ). ☑ Assouplir (cit. 5), délier (cit. 4), dénouer (cit. 4 et 5) la langue de qqn. — ☑ Jeter, donner sa langue au chat (infra cit. 15), au chien : renoncer à deviner. — ☑ Prendre langue avec qqn, prendre contact avec lui, en vue d'un entretien, lui parler. ⇒ Aboucher (s'). — Absolt. ☑ Loc. fig. Vx. Avoir (bien) de la langue : parler avec aisance. → ci-dessous, cit. 10. || Donner de la langue à qqn. → cit. 14.
5 (…) le Créateur n'a donné à ceux de votre espèce une langue que pour avaler, et non pas pour parler.
Cyrano de Bergerac, Lettres satiriques, Contre un médisant.
6 Veuillent les Immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris !
La Fontaine, Fables, XI, 7.
7 L'on voudrait avoir cent langues pour se faire connaître (…)
Pascal, Discours sur les passions de l'amour.
8 Et de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi ? (…) Parbleu ! de la langue que j'ai dans ma bouche.
Molière, le Mariage forcé, IV.
9 Que n'ai-je la langue aussi bien pendue ?
Molière, le Médecin malgré lui, II, 4.
10 Je suis bien aise de savoir que vous avez de la langue, et cela m'apprendra à ne vous plus rien dire.
Molière, George Dandin, II, 5.
11 Elle a converti son docteur, cette fine langue dorée de ma mère !
Beaumarchais, le Mariage de Figaro, IV, 1.
12 On peut considérer la langue de l'homme, dans le mécanisme de la parole, comme la corde qui lance d'elle-même la flèche qu'on y a ajustée.
Joseph Joubert, Pensées, III, XV.
13 Je m'embarquai dans la chaloupe du bâtiment avec le capitaine pour aller prendre langue à terre.
Chateaubriand, Itinéraire…, I.
14 Faites-en un avocat (…) dans ce métier-là, ses défauts deviendront peut-être des qualités, car l'amour-propre donne de la langue à la moitié des avocats.
Balzac, Un début dans la vie, Pl., t. I, p. 736.
14.1 Je cherche depuis quinze jours, je donne ma langue aux chiens… Monsieur Gavard le connaît certainement… J'ai dû le rencontrer quelque part, je ne me souviens plus…
Zola, le Ventre de Paris, t. I, p. 118.
14.2 Une peur, mêlée de respect, les retenait. Il était possible que des inspecteurs de police, chargés de surveiller les passagers, fussent secrètement embarqués à bord du Caucase, et mieux valait tenir sa langue, l'expulsion, après tout, étant encore préférable à l'emprisonnement dans une forteresse.
J. Verne, Michel Strogoff, p. 97.
15 La journée des femmes commençait, autour des cafetières, les poings sur les hanches, les langues tournant sans repos, comme les meules d'un moulin.
Zola, Germinal, II, II.
16 Je faisais « Heu… Mérovée !… Heu, heu, heu. » J'aurais donné ma langue au chat, pour peu que c'en eût été l'usage dans la classe de huitième préparatoire.
France, Livre de mon ami, Livre de Pierre, II, VII.
16.1 Mais entêtons-nous à parler
Remuons la langue
Lançons des postillons
On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons
On veut des consonnes sans voyelles
Des consonnes qui pètent sourdement
Imitez le son de la toupie
Laissez pétiller un son nasal et continu
Faites claquer votre langue
Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité
Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle consonne.
Apollinaire, Calligrammes, « La victoire », Pl., p. 310.
17 Alors écoutez-moi, mon ami, et sachez tenir votre langue.
A. Maurois, les Discours du Dr O'Grady, VIII.
♦ (En parlant du contenu du discours). ⇒ Langage, II.; discours, parole. || La langue du juste (→ Chanceler, cit. 1), du détracteur (cit. 1). — Langue flatteuse, médisante, traîtresse (→ Adresse, cit. 9; flatter, cit. 43). || Langue envenimée (cit. 8), venimeuse; langue d'aspic (cit. 4 et 5), langue de serpent, langue de vipère. || Langue vipérine. — Par ext. (en parlant de la personne qui parle). ☑ C'est une méchante langue (1618, in D. D. L.), une bonne langue (iron.), une personne qui aime à calomnier, à médire (⇒ Calomnie, médisance). || C'est une langue de vipère. — Blessures (cit. 7) que fait la langue. ☑ Coup de langue : médisance; épigramme cruelle. || Assassiner (cit. 8) à coups de langue.
18 (…) une (…) de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant (…)
Molière, l'Impromptu de Versailles, I.
19 La langue, dit un apôtre, est un feu dévorant (…)
20 Les langues ont toujours du venin à répandre (…)
Molière, Tartuffe, V, 3.
21 (…) les morts mêmes dans le tombeau ne trouvent pas un asile contre sa mauvaise langue.
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, De la médisance.
♦ ☑ Loc. Mauvaise, méchante langue : langage envieux, méchant. — Par métonymie. Personne qui a un tel langage. || Les méchantes langues font courir sur son compte des bruits fâcheux. || Taisez-vous, mauvaise langue ! — Adj. (attribut). || Elles sont plutôt mauvaises langues.
22 Si je vous disais que je suis presque heureuse de ne plus habiter Dax. Nulle part, il n'y a d'aussi méchantes langues.
P. Benoit, Mlle de la Ferté, p. 61.
23 — Faut-il que les gens soient mauvaises langues dans ce milieu ! Parce qu'on m'a vu déjeuner deux ou trois fois avec elle, on est venu te raconter des choses.
J. Anouilh, Ornifle, II, p. 103.
———
II (Fin Xe).
1 Système d'expression du mental et de communication, commun à un groupe social humain (communauté linguistique). ⇒ Idiome (cit. 3, 5 et 7). — REM. Pour l'opposition entre langue et langage et entre langue et discours, voir ci-dessous, spécialt, et aussi langage.
24 (…) une langue est la forme linguistique idéale qui s'impose à tous les individus d'un même groupe social.
J. Vendryes, le Langage, p. 285.
25 En un sens général, le mot (langue) est souvent employé comme synonyme de langage. Quand on l'en distingue, c'est pour l'appliquer à telle forme de langage particulière, limitée à un groupe (…) Une langue déterminée se définit par l'ensemble des procédés linguistiques qui s'imposent à un groupe d'hommes. En un sens plus spécial, on appelle langue, par opposition à dialecte, un idiome nettement différencié (…) et tel que les sujets parlants d'un autre groupe ne le comprennent pas sans apprentissage; par l'opposition à patois, un idiome consacré par un usage particulièrement étendu, ou par une certaine qualité de civilisation (…)
J. Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique, p. 128.
♦ Variantes géographiques, dialectes, parlers, patois d'une langue. || Les mots d'une langue. ⇒ Lexique, vocabulaire (→ Agencer, cit. 4). || Syntaxe, morphologie d'une langue. ⇒ Grammaire (cit. 3, 6, 8, 9 et 10), linguistique. || Dictionnaire de la langue anglaise, russe. — Classement des langues d'après leurs caractères apparents. || Langues amalgamantes. || Langues analytiques (cit. 5), synthétiques. || Langues inversives, transpositives (à construction libre). || Langues isolantes, juxtaposantes, agglutinantes, holophrastiques, polysynthétiques. || Langues formatives, flexionnelles. || Langues casuelles. || Langues monosyllabiques (monosyllabisme). || Langues à tons. || Langue à clicks. — REM. Cette terminologie est en partie abandonnée.
♦ Parenté des langues. || Familles de langues. || Langue mère, langue fille (→ Anthropomorphisme, cit. 2, Bréal). || Langues sœurs. || Langue primitive (vx); langues dérivées. || Langues proches, qui se ressemblent. || Comparaison des langues (→ Étymologie, cit. 1). — Langue commune, qui s'est étendue à plusieurs groupes sociaux ou qui a précédé une différenciation. || Langue de civilisation, de culture. — Langue vernaculaire. || Langue véhiculaire. || Pays où l'on parle deux, plusieurs langues. ⇒ Bilingue, plurilingue. || Peuples de même langue. || Frontière (cit. 5) de langues. || Langue mixte, langue hybride (cit. 8) : sabir, pidgin… || Langue artificielle internationale : esperanto (cit.), interlingua, volapük. — Langue sacrée, liturgique, utilisée dans la liturgie d'une religion. || L'hébreu, langue liturgique juive. || Le latin, langue liturgique des catholiques romains. || Langue diplomatique, langue du commerce. — Langue administrative, langue de l'État. || L'arabe, le français et l'anglais sont des langues utilisées par certains États africains (où d'autres langues sont parlées en tant que langues maternelles). — Langue officielle d'un État. || Langue nationale, qui n'a pas le statut de langue officielle, mais qui est considérée comme importante et spécifique dans un pays. — Bibl. || La confusion des langues. ⇒ Babel. || L'esprit en chaque langue a sa forme particulière (→ Former, cit. 41, Rousseau).
26 Toutes nos langues sont des ouvrages de l'art. On a longtemps cherché s'il y avait une langue naturelle et commune à tous les hommes; sans doute, il y en avait une; et c'est celle que les enfants parlent avant de savoir parler.
Rousseau, Émile, I.
27 (…) le goût qu'on a dans l'Europe pour les Français est inséparable de celui qu'on a pour leur langue; et combien l'estime dont cette langue jouit est fondée sur celle que l'on sent pour la nation.
Rivarol, Discours universel sur la langue française, p. 15.
♦ Langue dominante, langue de colonisation. || Langue dominée. || Conflit des langues, dans une société. || Contacts entre langues. || Langues en contact. || Influence d'une langue sur une autre (⇒ Adstrat, superstrat). || Politique des langues. || Le bureau des langues du Canada.
28 (…) la langue est la représentation fidèle du génie des peuples, l'expression de leur caractère, la révélation de leur existence intime, leur Verbe, pour ainsi dire.
Michelet, Hist. de France, I, IV.
29 L'histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d'une nationalité.
Michelet, Hist. de France, III, Tableau de la France.
30 Dès le début du XIIe siècle, la France des premières croisades tend de la sorte à créer, à constituer en dignité, par-dessus la diversité et la rusticité de ses dialectes et de ses patois, cette merveille, une langue littéraire.
J. Bédier, Chanson de Roland, Avant-Propos, p. XVI.
31 La plupart des minorités ethniques, au XIXe siècle, en même temps qu'elles luttaient pour leur indépendance, ont passionnément tenté de ressusciter leurs langues nationales. Pour pouvoir se dire Irlandais ou Hongrois, il faut sans doute appartenir à une collectivité qui jouisse d'une large autonomie économique et politique, mais pour être Irlandais, il faut aussi penser Irlandais, ce qui veut dire avant tout : penser en langue irlandaise.
Sartre, Situations III, p. 243.
➪ tableau Classification des langues.
♦ La langue latine (→ Barbare, cit. 18; berceau, cit. 14). || Langues romanes (→ ci-dessus). || La langue anglaise (→ Goddam, cit. Beaumarchais). — Langue française (cit. 3, Rivarol). ⇒ Français (cit. 12, 13 et 16). || Langue d'oc, d'oïl : groupe des parlers de France correspondant à l'emploi de oil ou de oc (⇒ Occitan; et aussi franco-provençal) pour « oui ».
32 (…) remettre en usage les antiques vocables, et principalement ceux du langage Wallon et Picard, lequel nous reste par tant de siècles l'exemple naïf de la langue Française, j'entends de celle qui eut cours après que la Latine n'eut plus d'usage en notre Gaule (…)
Ronsard, Œuvres en prose, La Françiade, Au lecteur apprenti(f).
32.1 Je sais aussi des lettrés dont toute l'émotion se passe à se dire : « C'est la fin de la langue française », à remarquer que l'Académie a accueilli tel mot, à dire que Heredia a adhéré au vers libre.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 631.
♦ Langues anciennes, langues classiques (spécialt, le grec et le latin).
♦ Langues orientales (qualificatif sans contenu scientifique; purement pédagogique et institutionnel). || L'École des langues orientales (argot d'école : langues o [lɑ̃gzɔ]). Par métonymie. || Professeur aux langues orientales. || Diplômé des langues orientales.
♦ Qualités d'expression (cit. 5 et 6) d'une langue. || La pensée et la langue, ouvrage de F. Brunot. || Élégance, clarté (cit. 10 et 14), flexibilité (cit. 3), harmonie (cit. 22) d'une langue. || Euphonie (cit. 2), musique, douceur d'une langue. || Intonation (cit. 6), accent d'une langue (→ Criard, cit. 2). || Les grâces (cit. 74) d'une langue. || Langue chantante, agréable à l'oreille. || Langue dure, gutturale. || Langue barbare, incompréhensible. ⇒ Baragouin. — Pauvreté, richesse d'une langue; langue pauvre, riche, souple, complexe. || Langue mâle (→ Allure, cit. 6). — Génie (cit. 12, 17 et 18) d'une langue, de la langue.
33 Il n'y a point de langue assez riche pour fournir autant de termes, de tours et de phrases que nos idées peuvent avoir de modifications.
Rousseau, Émile, II.
34 L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite.
Condillac, la Logique…, II, 5.
35 Les Grecs se plaisaient à parler leur langue, et à la sentir couler ou sous leur plume ou de leur bouche; elle les charmait. C'est que leur langue était aisée (…)
Joseph Joubert, Pensées, XVII, XXVII.
36 De vieux civilisés comme nous parlent une langue très abstraite, compliquée à l'excès par la surcharge des significations, simplifiée à l'excès par le sacrifice des formes (…)
Valéry, Variété IV, p. 151.
♦ Origine, histoire, évolution d'une langue (→ Archaïsme, cit. 1; historique, cit. 3 et 11). || Histoire de la langue française. || Étymologies (cit. 8) d'une langue. || Étude scientifique des langues. ⇒ Linguistique. || Unités d'une langue. ⇒ Phonème; morphème, mot, phrase. || Phonologie, morphologie, syntaxe, lexique, sémantique d'une langue. || Dictionnaire de langue. ⇒ Dictionnaire. — Fixer, codifier (cit. 1) une langue, la langue (→ Classique, cit. 2). || Langue fixée (cit. 15 et 16). || Emploi de mots nouveaux dans une langue (⇒ Néologie). || Mot, expression qui passe d'une langue dans une autre (⇒ Emprunt). || Tournure propre à une langue (⇒ Idiotisme). — Enrichir (cit. 9 et 11), améliorer (→ Définition, cit. 7), renouveler (→ Hardi, cit. 17) la langue. || Appauvrir la langue. || Épurer (cit. 8, 10 et 12) la langue. ☑ Prov. L'usage est le tyran des langues. — Défense et Illustration de la langue française, de Du Bellay (→ Floral, cit.; imitation, cit. 14). || Remarques sur la langue française, de Vaugelas (1647). || Observations sur la langue française (Ménage, 1672). — Absolt. La langue, considérée par rapport à un usage idéal (→ Auteur, cit. 31, Boileau). || Fautes de langue. — REM. Dans ce sens, langage est plus courant.
37 Le maniement et emploi des beaux esprits donne prix à la langue (…)
Montaigne, Essais, III, V.
38 Toute langue vit, travaille, respire, souffre, s'exalte et succombe en se transformant. On peut tout retirer à un peuple malheureux (…) il est presque impossible de lui retirer son langage.
G. Duhamel, Refuges de la lecture, VIII, p. 240.
39 (…) le fait de style résulte d'un sentiment de liberté que l'artiste conçoit en face de la langue. Celle-ci se présente à lui comme un trésor inépuisable de mots et de tours (…)
R.-L. Wagner, Introd. à la linguistique franç., p. 42.
♦ (La langue, dans sa relation avec les locuteurs). Système linguistique, dans ses rapports avec l'individu. || Langue maternelle : système linguistique naturel, homogène ou non (cas des variétés mixtes) dans lequel un sujet a mené à bien son apprentissage du langage dans une communauté linguistique, les rôles des composantes de cette communauté (famille, école, groupe de pairs) variant en fonction des cultures. || La différence fondamentale entre créoles et pidgins vient de ce que seuls les créoles peuvent être des langues maternelles. || La langue maternelle n'est pas forcément la langue de la mère; ex. : il est américain, mais sa langue maternelle est l'italien (son père était italien et sa mère grecque : on parlait italien dans la famille). — Langue seconde : langue maîtrisée après la langue maternelle, mais dont l'apprentissage est requis dans une partie de la communauté concernée (à la différence de la langue étrangère, apprise par choix individuel et par décision didactique). || La langue seconde peut être une langue officielle, une langue véhiculaire. — La langue de qqn, sa langue maternelle ou la langue dans laquelle il s'exprime le plus normalement. || Comment dites-vous cela dans votre langue ? — Parler, écrire, lire, comprendre, connaître, savoir une, deux, plusieurs langues. ⇒ Bilinguisme; bilingue, trilingue; polyglotte. || Bien, mal parler une langue. || Baragouiner (cit. 2) une langue. || Exprimer (cit. 4 et 24) qqch., s'exprimer (cit. 41) dans une langue. || Langue apprise. || Langues étrangères (par rapport à une langue de référence); spécialt, langue considérée comme objet d'apprentissage (→ Enrichir, cit. 5). || Traduire une langue dans une autre. ⇒ Interprète, traducteur, traduction. || Passage d'une langue à une autre (→ Inexactitude, cit. 2; intraduisible, cit. 1). || À quelle langue appartient ce mot ? || Spécialiste en langue latine (latiniste), italienne (italianisant), espagnole (hispaniste), allemande (germaniste), chinoise (sinologue), sanskrite (sanskritiste), en langues slaves (slaviste)… || Langues mortes, qui ne sont plus parlées, par oppos. à langues vivantes (→ Goût, cit. 44). || Spécialiste des langues anciennes. ⇒ Paléologue (vx). || Langue inconnue, indéchiffrable (→ Formule, cit. 2). Absolt. || Les langues : les langues étrangères (surtout vivantes). || Don (supra cit. 13) des langues. || Maître, professeur, école, cours de langues. || Étude (cit. 11 et 12) des langues. || Apprendre les langues (→ Entendre, cit. 4), une langue, par la conversation, les méthodes audiovisuelles, le dictionnaire et la grammaire. ⇒ Apprenant. || Laboratoire de langues. || Bain de langue. ⇒ Bain (A., 3.).
40 L'on ne peut guère charger l'enfance de la connaissance de trop de langues (…)
La Bruyère, les Caractères, XIV, 71.
41 Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences (…)
La Bruyère, les Caractères, XII, 19.
42 C'est Charles-Quint lui-même qui a dit qu'un homme qui sait quatre langues vaut quatre hommes.
Mme de Staël, Corinne, VII, I.
43 Nul, dans une littérature vivante, n'est juge compétent que des ouvrages écrits dans sa propre langue.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 143.
43.1 O bouches l'homme est à la recherche d'un nouveau langage
Auquel le grammairien d'aucune langue n'aura rien à dire
Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir
Que c'est vraiment par habitude et manque d'audace
Qu'on les fait encore servir à la poésie.
Apollinaire, Calligrammes, « La victoire », Pl., p. 310.
♦ (Déb. XXe). Spécialt. Ling. Système d'expression potentiel, opposé au discours ou à la parole, qui en est l'utilisation momentanée. || Un mot sans contexte, considéré en langue. || Saussure définit la langue comme « un système de signes distincts correspondant à des idées distinctes » (Cours de linguistique générale, p. 26). || La langue est une forme (cit. 41, Saussure), un système de différences, de valeurs. || Passage de la langue à la parole. ⇒ Actualiser; actualisation. || Distinguer la langue, ses variantes (usages, normes) et ses réalisations.
43.2 En séparant la langue de la parole, on sépare du même coup : 1o ce qui est social de ce qui est individuel; 2o ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins accidentel.
La langue n'est pas une fonction du sujet parlant, elle est le produit que l'individu enregistre passivement (…) La parole est au contraire un acte individuel.
F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Introd., II, p. 30.
43.3 Langue et discours sont deux réalités liées. On peut imaginer une langue sans discours (quand on ne pense à rien) ou sans parole (le discours intérieur), mais non un discours organisé sans langue.
Bernard Pottier, Systématique des éléments de relation, p. 8.
2 Langage parlé ou écrit, spécial à certaines matières, à certains milieux; aspect que peut prendre une langue donnée. ⇒ Langage (II., 1.). || Langue parlée et langue écrite. || La langue de la conversation (→ Gallicisme, cit. 2). || Langue populaire. || Langue des halles. ☑ Langue verte. ⇒ Argot (cit. 2 et 3), argotique. || Langue littéraire, poétique (→ Genre, cit. 14). || Langue commune (→ Homonyme, cit. 2). || Langues spéciales. || Langue savante, vulgaire. || Langue scientifique, philosophique. ⇒ Jargon.
44 En France, à côté de la langue littéraire qui s'écrit partout et que les gens cultivés ont la prétention de réaliser en parlant, il y a des dialectes (…) D'autre part, à l'intérieur d'une seule ville, comme Paris, il y a un certain nombre de langues diverses qui se superposent (…) la langue des salons n'est pas celle des casernes, ni la langue des bourgeois celle des ouvriers (…)
J. Vendryes, le Langage, p. 285.
3 Utilisation individuelle du langage, façon de s'exprimer par le langage. Syn. : langage (II.). || La langue d'un écrivain (→ Cent, cit. 6; ellipse, cit. 2; épouser, cit. 20). ⇒ Style. || Langue noble, simple et familière, gauche et embarrassée (cit. 22). || Langue empreinte de provincialisme. — REM. Dans cette acception, langue est parfois employé abusivement pour style.
45 Le grand talent était rare (sous la Révolution), plus rare l'invention politique, la langue fort monotone, toujours calquée sur Rousseau. Grande, immense différence avec le seizième siècle, où chacun a une langue forte, une langue sienne, qu'il fait lui-même, et dont les défauts énergiques intéressent, amusent toujours.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, X.
45.1 Qu'y a-t-il donc de si rare chez cet homme fluide, incertain ? D'abord, il y eut l'ami de Proust. Et puis, il y a l'écrivain, un des inventeurs à part entière du style contemporain. Quand la langue de Morand est apparue en France, elle n'était la fille de personne, neuve comme le jazz, précise comme la photo.
Pascal Jardin, la Guerre à neuf ans, p. 113.
♦ Type de discours. ☑ Loc. Langue de bois : le discours des dirigeants, dans les pays de l'Est (désigné par les opposants au régime). || « La langue de bois des dirigeants soviétiques servirait-elle à masquer cette inavouable profession de foi ? » (l'Express, 4-10 nov. 1983, p. 66). Par ext. Toute façon de s'exprimer qui abonde en stéréotypes et en formules figées. || « (…) on est assommé par la langue de bois, quel que soit celui qui l'emploie (…) Au point qu'on devrait inventer une sorte de châtiment pour ceux qui emploient certaines expressions » (le Nouvel Obs., 9-15 déc. 1983, p. 38).
45.2 Depuis que quelques-uns des acteurs de notre vie publique se sont donné pour rôle de « parler vrai », il est convenu de condamner la « langue de bois » de la plupart des hommes politiques et de vanter le langage neuf dont usent ceux qui (…) savent apparemment se faire entendre de l'opinion.
À y bien regarder, ce qui distingue la « langue de bois » de la « parole vraie », c'est principalement la pauvreté de son contenu, ou, si l'on préfère, le caractère très général des notions qu'elle véhicule. Les vastes mobilisations se font à ce prix. L'inconvénient est qu'elles ne vont pas sans malentendus (…)
Entre la « langue de bois », qui laisse dans le flou l'action qu'elle accompagne, et le discours prétendu « véridique », qui a d'autant plus de force qu'il ne s'accompagne d'aucune action, le langage que le peuple attend de ses dirigeants est celui qui limite au strict minimum la part de dissimulation qu'impose toujours la conduite des hommes.
4 ☑ Fig. et littér. La langue des dieux : la poésie (→ Improviser, cit. 1). Allus. littér. (→ Harmonie, cit. 28, Musset; 1. harpe, cit. 6, Lamartine).
5 Par ext. Mode d'expression. || La langue des signes. ⇒ Langage. || La langue musicale (→ Exprimer, cit. 36; idiome, cit. 2).
46 Que d'attention chez les Romains à la langue des signes !
Rousseau, Émile, IV.
47 (Berlioz) nous a donné une langue musicale d'une vérité psychologique et d'une souplesse admirables (…)
R. Rolland, Musiciens d'aujourd'hui, p. 56.
———
III (XIIe). Par anal. du sens I. Chose plate et allongée (surtout dans des expressions). || Petite langue. ⇒ Languette. — Les langues de feu de la Pentecôte (→ Aile, cit. 14). || Langue de feu : flamme allongée (→ Coquemar, cit. 1; éparpiller, cit. 17). — (Mil. XIVe). || Langue de terre : bande de terre plus ou moins longue et étroite. ⇒ (spécialt) Isthme, péninsule, presqu'île (→ Finir, cit. 22). — (1899, langue de glace, in D. D. L.). Géogr. || Langue glaciaire : glacier d'écoulement (partie allongée d'un glacier alpin).
48 Des chèvres, des vaches, et leur conducteur, qui tirait de son cornet des sons agrestes, passaient en ce moment sur une langue de terre restée à sec entre la plaine inondée et la Thièle. Des pierres placées aux endroits les plus difficiles, soutenaient, ou continuaient cette sorte de chaussée naturelle (…)
É. de Senancour, Oberman, IV.
49 Soudainement, le bois sec et léger prit flamme,
Une langue écarlate en sortit, et, rampant
Jusqu'au ventre, entoura l'homme, comme un serpent.
Leconte de Lisle, Poèmes tragiques, « L'holocauste ».
♦ Techn. Outil, instrument plat et allongé. — Coin en bois placé sous l'étrave d'un navire sur cales. — Tuyau dont l'orifice est aplati.
➪ tableau Noms d'outils.
❖
COMP. Abaisse-langue. Interlangue, métalangue. Langue-de-bœuf, langue-de-carpe, langue-de-cerf, langue-de-chat, langue-de-chien, langue-de-femme, langue-de-serpent, langue-de-vache, langue-d'oiseau.
DÉR. Langage, langué, languette, langueyer, languier.
Encyclopédie Universelle. 2012.