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GUERRE FROIDE
GUERRE FROIDE

L’expression «guerre froide» a été employée pour la première fois par le prince Juan Manuel d’Espagne, au XIVe siècle, pour désigner l’interminable conflit qui opposait alors les Rois Catholiques aux Maures d’Andalousie. Non certes qu’il ne fît pas couler le sang. Mais il présentait cette double originalité de n’avoir pas été précédé d’une déclaration de guerre et d’être voué à s’achever sans traité de paix.

L’usage contemporain, même si l’on a pu parler de «guerre froide» sino-soviétique, ou, à propos des événements de mai 1968, de «guerre civile froide», réserve en général, à la suite du financier américain Bernard Baruch et du grand journaliste Walter Lippmann, le nom de guerre froide à la longue épreuve de force qui s’est engagée entre les États-Unis et l’Union soviétique après la dissolution, au lendemain de la capitulation du Reich, de la coalition anti-hitlérienne.

Pour cette guerre froide-là, non plus, il n’y a pas eu de «déclaration», et elle s’est achevée, elle aussi, sans traité de paix. Mais ce qui a popularisé cette appellation, c’est que les belligérants, tout en employant toutes les ressources de l’intimidation, de la propagande, de la subversion, voire de la guerre locale, les États-Unis participant massivement quant à eux aux deux guerres de Corée et du Vietnam, ont réussi à éviter de se trouver directement aux prises.

La présence des armes nucléaires y est évidemment pour beaucoup, qui a conduit plus d’une fois les superpuissances à reculer au seuil de l’apocalypse et à s’engager sur la route d’une détente marquée par d’importants accords, les uns de nature politique, les autres portant sur la limitation des armements. Mais la détente ne pouvait être qu’un ersatz de paix, dont de nouvelles tensions devaient prendre immanquablement le relais, et il aura fallu attendre l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est pour qu’on puisse enfin, en 1990, considérer la guerre froide comme terminée.

Les bolcheviks, en 1917, croyaient que la révolution s’étendrait comme une traînée de poudre. Leur déconvenue, comme l’échec des tentatives des États capitalistes pour détruire dans l’œuf le régime soviétique, conduit à une première période de coexistence marquée par une coopération étroite entre les deux «réprouvés» du moment: l’U.R.S.S. qui bâtit le «socialisme dans un seul pays» et l’Allemagne de Weimar.

L’avènement du nazisme renverse la situation. Staline, pour protéger son pays contre un homme qui ambitionne de le coloniser, s’allie à la France, jusqu’alors considérée comme le champion de l’impérialisme, et oblige les Partis communistes du monde entier à s’entendre avec les formations «bourgeoises» désireuses de faire échec au fascisme.

En 1938, nouveau renversement: écartée de l’accord de Munich, l’U.R.S.S. interprète celui-ci comme dirigé contre elle et se retourne vers l’Allemagne. À la veille de la guerre, les deux pays se partagent l’Europe orientale. Pendant près de deux ans, le Kremlin pratique une politique de collaboration active avec le Reich.

L’agression nazie (1941), qui prend Staline par surprise, fait de lui l’allié de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Des plans d’organisation du monde d’après guerre sont arrêtés de concert. Mais l’alliance, déjà agitée en temps de guerre, ne survit pas longtemps au péril qui l’a suscitée.

À la différence de Franklin D. Roosevelt, Harry Truman se méfie de Staline. La possession de l’arme nucléaire le convainc qu’il est possible de dresser un barrage contre ses ambitions. L’aide à la Grèce et à la Turquie, le plan Marshall, le pacte atlantique, le réarmement de l’Allemagne occidentale, entre autres, marquent les étapes de cette politique dite de l’endiguement, encouragée par le durcissement continuel de l’U.R.S.S., l’asservissement rapide de ses voisins européens, le blocus de Berlin, l’invasion de la Corée du Sud, etc.

La mort de Staline (1953) change l’atmosphère. Des accords mettent fin aux guerres de Corée et d’Indochine et à l’occupation de l’Autriche. Mais le choc en retour de la «déstalinisation» entraîne l’intervention de l’U.R.S.S. en Hongrie (oct. 1956) au moment même où la crise de Suez bat son plein. La guerre froide rebondit partout pour aboutir, en 1961, à la construction du Mur de Berlin et, l’année suivante, à la dramatique crise des fusées de Cuba, dont l’heureux dénouement a engendré entre les deux «Super Grands» une longue période de détente.

Des accords négociés mettent fin à la guerre du Vietnam, consolident le statu quo en Europe centrale, établissent entre les deux grands la parité des arsenaux nucléaires stratégiques. Enfin, le conflit sino-soviétique, né à l’origine d’une divergence d’appréciation sur la force de l’«impérialisme», fait pour un temps de Pékin l’allié de fait de Washington.

En 1973, les relations soviéto-américaines paraissaient suffisamment détendues pour que Leonid Brejnev envisage un «condominium». Mais le scandale du Watergate, conduisant à l’éviction de son partenaire Richard Nixon, et la guerre d’octobre au Proche-Orient, avec le «choc pétrolier» qui en est résulté, ont rapidement mis fin à ce rêve. L’«équilibre de la terreur» réalisé entre les États-Unis et l’U.R.S.S. ouvre à celle-ci des possibilités d’intervention dans le Tiers Monde, soit directement, soit par Cubains interposés, qui ne peuvent que recréer un climat de guerre froide.

L’occupation de la Tchécoslovaquie, en 1968, en réplique au Printemps de Prague a déjà montré que Moscou ne tolérerait aucune dissidence dans sa zone d’influence. Le coup d’État du général Jaruzelski en Pologne, en 1981, le confirme. Entre-temps, le passage dans cette zone de la totalité de l’Indochine, du Yémen du Sud, de l’Éthiopie, des anciennes colonies portugaises d’Afrique, du Nicaragua et, pour finir, en 1979, l’invasion de l’Afghanistan montrent que Moscou n’a en rien renoncé à faire progresser ses pions. Il était sans doute fatal que dans ces conditions s’installe à la tête des États-Unis, avec Ronald Reagan, un pouvoir déterminé à bloquer cette avance, au prix d’une relance spectaculaire de la course aux armements. Il était beaucoup moins probable qu’arrivât au pouvoir à Moscou, en la personne de Mikhaïl Gorbatchev, un homme qui allait si vite mesurer l’incroyable délabrement de l’économie et en conclure à la nécessité impérieuse de réduire massivement les dépenses militaires.

Se doutait-il que le prix de ce revirement et de la glasnost , de la transparence du discours sans laquelle il eût été impossible, serait (avec l’abandon du glacis est-européen, la réunification de l’Allemagne dans le cadre de l’O.T.A.N., la renonciation du Parti communiste à son rôle dirigeant et enfin l’éclatement de l’État soviétique) de concéder à l’Occident la victoire dans la guerre froide?

1. La rupture de l’alliance

Le discours de Fulton

On a souvent dit que le coup d’envoi de la guerre froide avait été donné par Winston Churchill dans son discours du 5 mars 1946 à Fulton (Missouri). Se déclarant convaincu que les Russes «ne respectaient que la force», il invitait «les peuples de langue anglaise à s’unir d’urgence pour enlever toute tentation à l’ambition ou à l’aventure». Bien qu’il ne fût plus Premier ministre, il parlait avec l’autorité qui s’attachait à son nom et avec le complet accord du président Truman. Staline ne s’y trompa pas et répliqua peu après sur le même ton. C’était la fin de la conception qui inspirait les accords anglo-soviéto-américains de Yalta (11 févr. 1945): un monde vivant définitivement en paix, dans le cadre des Nations unies, sous la surveillance des trois grandes puissances; une Allemagne administrée conjointement par ses vainqueurs jusqu’au jour où elle se serait définitivement reconvertie à la démocratie.

Les causes de cette détérioration sont multiples. Les historiens soviétiques et, dans une plus ou moins grande mesure, les «révisionnistes» américains en attribuent la responsabilité essentielle à Truman. Celui-ci, devenu président à la mort de Roosevelt (avr. 1945), avait rompu, en effet, avec la politique de bonne entente avec l’U.R.S.S. suivie par son prédécesseur. À ce changement, deux raisons principales: la crainte du communisme – que rien selon eux ne justifiait, Staline menant une politique nationale et non idéologique – et la conviction, née de la possession de l’arme atomique, que les États-Unis, débarrassés de l’Allemagne comme du Japon et devenus la plus grande puissance de tous les temps, n’avaient plus aucune raison de «faire des cadeaux» aux Russes. Pour les dirigeants américains et leurs alliés, c’est le refus de Staline d’appliquer l’accord de Yalta sur le droit des peuples libérés à disposer d’eux-mêmes et la menace qu’il faisait planer sur ses voisins qui sont à l’origine de la guerre froide.

Les deux thèses sous-estiment la complexité d’une situation qui rendait peut-être cette guerre froide inévitable. Les alliances survivent d’ailleurs rarement à la disparition de la menace qui les a suscitées. En un sens, on peut dire que c’est l’ampleur même de sa victoire, conduisant à la capitulation sans condition de ses communs adversaires et à l’occupation totale de leurs territoires, qui a provoqué la dissolution de la coalition antihitlérienne. Pendant la guerre, la nécessité du combat faisait sinon taire, du moins passer au second plan les désaccords entre alliés; avant même la fin des hostilités, cependant, la gravité de ces désaccords est apparue en pleine lumière, à propos notamment de la Pologne.

L’accord oublié

Dès octobre 1944, Churchill avait montré le peu de confiance qu’il faisait à la coopération future entre les Alliés, en se rendant à Moscou pour négocier un accord secret sur le partage des zones d’influence dans les Balkans. Pour obtenir les mains libres en Grèce, où ses troupes intervinrent contre la résistance de gauche, il laissa toute latitude à Staline en Roumanie et en Bulgarie, pays que les troupes soviétiques venaient d’ailleurs tout juste d’occuper. En Hongrie et en Yougoslavie, il était convenu que l’influence des deux camps fût partagée.

Staline a d’abord appliqué cet accord. Il a poussé les communistes grecs à se soumettre aux autorités, il a insisté – vainement – auprès de Tito pour qu’il rétablisse la monarchie, il a laissé des élections à l’occidentale se dérouler en Hongrie. Mais les États-Unis, hostiles à la politique des zones d’influence, ont obtenu à Yalta, en 1945, la signature de Staline au bas d’un accord permettant aux peuples libérés de choisir librement leurs institutions et leurs gouvernements.

Il paraît évident que, dans la conception des Soviétiques, les élections tenues chez eux étaient «libres». Ils ne s’engageaient donc pas beaucoup. D’où un premier malentendu: dès l’automne de 1945, les Américains s’indignent de la façon dont se déroulent les élections – et les épurations – en Roumanie et en Bulgarie. Moscou, de son côté, voit dans les démarches et les protestations de Washington une intrusion inadmissible dans la sphère d’influence que lui a reconnue Churchill et en conclut que l’accord d’octobre 1944 n’est plus valable.

Le Kremlin, du coup, soutient matériellement l’extrême gauche qui déclenche un nouveau soulèvement en Grèce. Cette initiative, faisant suite à de vives pressions sur la Turquie pour qu’elle cède des bases à l’U.R.S.S. et à la tentative de celle-ci de conserver l’Azerbaïdjan d’Iran, occupé pendant la guerre, provoque le premier engagement américain dans la guerre froide: la «doctrine Truman» d’assistance économique et militaire à la Grèce et à la Turquie (11 mars 1947).

Cette décision marque un véritable tournant dans l’histoire des États-Unis, à qui le testament de Washington et la doctrine de Monroe (1823) avaient prescrit de demeurer à l’écart des querelles européennes. Roosevelt avait tendance à préférer le «démocratisme» de l’U.R.S.S. à l’«impérialisme» de la Grande-Bretagne et à se poser en médiateur dans le conflit qui, dès 1944-1945, se dessinait entre elles.

La relève de l’Angleterre

La situation change, non seulement parce que Truman, prévenu contre l’U.R.S.S. et excédé par son comportement, rompt avec la politique de son prédécesseur, mais aussi parce que la Grande-Bretagne, épuisée par sa victoire, est obligée de se décharger sur l’Amérique d’un certain nombre de ses responsabilités traditionnelles. Tel est le cas précisément de la Grèce. Au début de 1947, le gouvernement travailliste décide qu’il ne peut continuer à soutenir la monarchie hellénique face à la guerre civile et il demande aux Américains de le faire à sa place. En acceptant et en engageant une action qui aboutira, en deux ans, à la victoire des armées royalistes, les États-Unis accomplissent le premier pas dans une évolution qui fera d’eux, très rapidement, grâce à leur force intacte et à leur armement atomique, le leader incontesté du «monde libre» ou «atlantique».

Le problème allemand

Malgré le désaccord sur l’Europe orientale, malgré des malentendus avivés par la différence des idéologies, l’entente des vainqueurs se serait peut-être maintenue si, très vite, ils ne s’étaient pas opposés sur le sort de l’Allemagne.

À Yalta, il avait été question de la démembrer, de rétablir l’indépendance de la Bavière, de la Saxe, du Hanovre, etc., mais Staline y avait soudain renoncé. À Potsdam (juill. 1945), il avait conclu avec Truman et Clement Attlee un accord auquel le général de Gaulle devait s’associer par la suite sous certaines réserves. Cet accord maintenait le principe de l’unité allemande sous la souveraineté d’un conseil de contrôle allié. Le territoire et la capitale étaient divisés en quatre zones pour les besoins de l’occupation, mais l’administration devait être quadripartie, les Alliés se dessaisissant de leurs pouvoirs au profit des Allemands au fur et à mesure que ceux-ci feraient la preuve qu’ils méritaient leur confiance. L’ancien Reich serait définitivement démilitarisé, et son industrie lourde démantelée. Il paierait de lourdes réparations.

Pour l’U.R.S.S. ravagée par la guerre, rien ne comptait davantage que de rebâtir le plus vite possible son économie. Les États-Unis lui refusant leur concours, la Grande-Bretagne ne pouvant y songer, la tentation était forte pour elle de se servir sur sa zone d’occupation, qui fut littéralement mise au pillage. En même temps, elle y décrétait une réforme agraire radicale et contraignait le Parti social-démocrate à la fusion avec le Parti communiste. À l’automne de 1946, des élections législatives eurent lieu dans les cinq pays (Länder ) de cette zone; le nouveau parti unifié remporta partout la victoire, et des communistes s’installèrent aux postes clés. Dans les zones occidentales, où le Parti socialiste avait refusé la fusion avec le Parti communiste, ce furent soit ses partisans, soit ceux du Parti chrétien-démocrate dirigé par le docteur Konrad Adenauer qui prirent le pouvoir.

Pendant ce temps, les quatre discutaient vainement de l’avenir. Staline avait rejeté un projet américain tendant à conclure un traité assurant pour vingt-cinq ans le désarmement et la neutralité de l’Allemagne. Le 10 juillet 1946, l’U.R.S.S. proposa de mettre fin aux limitations de la production de charbon et d’acier et de placer la Ruhr sous contrôle quadriparti.

De ce projet les Anglo-Saxons retinrent surtout qu’il étendrait à la production de la Ruhr les contestations quotidiennes que rencontraient leurs représentants au conseil quadriparti établi à Berlin. Las de payer en fait pour les prélèvements des Soviétiques, ils décidèrent de fusionner leurs zones. La France devait y joindre la sienne, après l’échec de tentatives pour faire soutenir par Moscou sa thèse sur le rattachement économique de la Sarre. Auparavant, le 5 septembre 1946, James Byrnes, secrétaire d’État des États-Unis, avait annoncé qu’il était temps de donner au peuple allemand la responsabilité de ses propres affaires et la possibilité de se suffire à lui-même sur le plan économique. La division de l’Allemagne en deux républiques hostiles ne devait prendre corps officiellement qu’en 1949, mais elle était contenue en germe dans les prises de position de 1946.

2. La création des blocs

Le plan Marshall

De plus en plus persuadé que le gouvernement soviétique «était froidement résolu à exploiter l’état où se trouvait une Europe sans défense pour propager le communisme», le nouveau secrétaire d’État américain, George Marshall, annonça le 5 juin 1947 l’intention de son gouvernement de fournir une aide économique importante aux pays européens, à charge pour ceux-ci de s’entendre au préalable sur l’étendue de leurs besoins et la répartition des crédits qui leur seraient ouverts. Les pays de l’Est et l’U.R.S.S. elle-même furent invités à une conférence tenue à Paris à cet effet. Mais le Kremlin déclencha une offensive à boulets rouges contre le projet, forçant la Pologne et la Tchécoslovaquie à revenir sur l’acceptation de principe qu’elles avaient commencé par donner.

Il accentue sa mainmise sur les pays d’Europe orientale libérés par l’Armée rouge et que, malgré la signature, en 1946, de traités de paix avec les satellites du Reich, il n’a commencé d’évacuer qu’en 1990. Les communistes prennent le pouvoir à Budapest tandis qu’à Sofia on apprend la pendaison du leader agrarien Ivan Petkov, l’un des héros de la résistance antiallemande. Le 5 octobre est créé un bureau d’information des Partis communistes, le Kominform, destiné à remplacer l’Internationale communiste, dissoute en 1943, au plus fort de la collaboration interalliée contre l’Axe. Le délégué soviétique Andreï Jdanov fait approuver par les participants à la réunion constitutive la thèse selon laquelle le monde est désormais divisé en deux camps, «l’impérialisme qui prépare la guerre contre l’U.R.S.S. et celle-ci, avec les pays pacifiques qui lui sont alliés». Des grèves violentes éclatent dans les pays d’Europe occidentale où les communistes ont été partout chassés du gouvernement. Les troubles révolutionnaires, latents dans le Sud-Est asiatique depuis la capitulation du Japon, s’intensifient rapidement.

Le « coup de Prague » et le pacte atlantique

Un événement dramatique, au début de 1948, fait monter la tension à son comble. Encouragés par la chute de la popularité des communistes, qui partageaient le pouvoir avec eux depuis la Libération, les partis «bourgeois» tchécoslovaques essayent de desserrer le contrôle que l’extrême gauche exerce sur la police. Mais ils perdent la partie, et, le 25 février, le président Edvard Beneš se résigne à mettre en place un gouvernement communiste homogène. Le «coup de Prague», qui fait croire qu’une nouvelle guerre mondiale est inévitable, répand un début de panique. Le 17 mars, la Grande-Bretagne, la France et les pays du Benelux concluent un traité d’assistance mutuelle: c’est le premier de l’après-guerre qui soit dirigé non pas contre l’Allemagne, mais «contre tout agresseur», ce qui était une façon de désigner l’U.R.S.S. Déjà des pourparlers étaient engagés avec les États-Unis pour conclure le «pacte atlantique» (traité de l’Atlantique Nord) qui sera signé le 4 avril 1949 et rapidement ratifié par ses douze signataires, malgré l’opposition violente de l’U.R.S.S., des communistes, des «neutralistes» européens et des isolationnistes américains.

L’aboutissement des négociations, qui remettaient en cause les traditions séculaires de la diplomatie américaine, avait été grandement facilité par deux événements de première importance: la rupture soviéto-yougoslave et le blocus de Berlin.

Le 28 juin 1948, le Kominform proclamait, à la surprise générale, que le maréchal Tito et son parti, par leur ligne «fausse, révisionniste, et leur politique de diffamation envers l’U.R.S.S. (s’étaient) mis en dehors de la famille communiste». Ainsi éclatait au grand jour un conflit qui remontait en fait à l’époque de la guerre et résultait du refus du maréchal yougoslave de se faire purement et simplement l’exécutant des volontés soviétiques. Des campagnes d’une violence inouïe furent déclenchées contre Tito, que Moscou chercha à renverser de l’intérieur. Mais très vite la Yougoslavie obtint le soutien du monde occidental, allant jusqu’à conclure un pacte défensif avec la Turquie et la Grèce, en 1954, après leur adhésion au pacte atlantique. La rupture fut le signe d’une gigantesque épuration dans les pays demeurés fidèles à l’U.R.S.S. Soupçonnés de «titisme», des chefs communistes de premier plan furent envoyés à la potence.

Quant au blocus de Berlin, il avait marqué le couronnement d’une série de mesures prises par les Soviétiques pour gêner les communications des Occidentaux avec leurs secteurs et ainsi, sans doute, les forcer à les abandonner. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ayant, le 18 juin 1948, promulgué une réforme monétaire dans leurs zones, faute d’avoir pu s’entendre avec Moscou sur les moyens de mettre fin à l’inflation généralisée, voulurent étendre ses dispositions à Berlin-Ouest. Staline répliqua en bloquant tous les accès terrestres et fluviaux. Washington improvisa en hâte un pont aérien qui, contrairement à toute attente, réussit à maintenir la ville en activité.

Les Soviétiques n’osèrent pas intercepter les avions alliés. Un peu moins d’un an plus tard, le 12 mai 1949, soit six semaines après la signature du pacte atlantique, le blocus était levé en échange de la convocation d’une conférence à quatre. Celle-ci devait se séparer quelques semaines plus tard sans avoir pu se mettre seulement d’accord sur son ordre du jour.

Victoire communiste en Chine

Personne à l’époque n’aurait osé prophétiser que le statu quo en Europe ne serait pratiquement pas modifié pendant quarante ans. Très vite, cependant, il devient évident que le théâtre principal de la guerre froide s’est transporté en Asie. C’est qu’un événement de première importance vient de s’y produire: la prise du pouvoir par les communistes en Chine au terme d’une guerre civile de plus de vingt ans.

L’aide donnée par l’U.R.S.S. à Mao a été pendant toute cette période fort modeste, surtout si on la compare à l’assistance massive des États-Unis à Tchiang Kai-chek. Staline ne souhaitait pas la victoire des communistes, pensant probablement qu’il aurait quelque peine à maintenir son autorité sur eux. Mais, dans le climat de tension créé par le «coup de Prague» et le blocus de Berlin, il était fatal que la proclamation, le 1er octobre 1949, de la république populaire de Chine apparût aux Américains comme un nouveau coup de boutoir de la révolution mondiale. Fatal aussi que les mouvements communistes ou communisants d’Asie s’en trouvassent considérablement encouragés.

C’est le cas notamment de l’Indochine où les tentatives de la France de reprendre pied, après la défaite nippone, s’étaient heurtées au Viêt-minh, mouvement remarquablement organisé par Hô Chi Minh, vieux militant du Komintern. L’arrivée des troupes communistes chinoises à la frontière du Tonkin, dont le corps expéditionnaire français ne parvient pas à conserver le contrôle, ouvre au Viêt-minh un «sanctuaire» où s’approvisionner en matériel et faire reposer ses troupes. Du coup, alors qu’ils avaient fait tout leur possible en 1945 pour empêcher les forces françaises de regagner l’Indochine, les Américains se mettent à considérer cette guerre comme un des éléments du combat planétaire du «monde libre» contre le communisme, et ils fournissent à Paris une aide en crédits et en matériel de plus en plus considérable.

La guerre de Corée

L’invasion de la Corée du Sud par les troupes du gouvernement communiste du Nord (25 juin 1950) renforce encore leur détermination. Les déclarations faites quelques mois plus tôt par le secrétaire d’État américain Dean Acheson, selon lesquelles la Corée du Sud «n’appartenait pas au périmètre de défense des États-Unis», ne pouvaient pas être passées inaperçues à Moscou qui avait certainement donné son feu vert à l’opération. Compte tenu de l’impopularité du régime installé à Séoul par Syngman Rhee, Staline pensait peut-être obtenir là un succès à bon compte, de nature à faire oublier ses échecs en Grèce et à Berlin. Mais Truman envoie des troupes en Corée sous le pavillon des Nations unies, dont l’approbation a été sollicitée in extremis. Après une série de revers, elles remontent jusqu’aux abords de la frontière mandchoue, ce qui entraîne l’intervention de «volontaires» chinois. C’est alors aux soldats de l’O.N.U. de battre en retraite. Un débat dramatique s’engage entre le commandant en chef Douglas MacArthur, partisan de bombarder la Mandchourie en employant au besoin l’arme atomique, et Truman qui redoute une guerre mondiale et finalement le destitue. Bientôt le front se stabilise autour de l’ancienne ligne de démarcation et des pourparlers d’armistice s’ouvrent à Kaesong (juill. 1951); mais ils conduisent vite à une impasse complète. Il ne faut rien de moins que la mort de Staline pour que les combats s’arrêtent.

Le réarmement de l’Allemagne

Entre-temps, la guerre de Corée aura poussé les États-Unis à réclamer le réarmement de la république fédérale d’Allemagne, contrairement aux dispositions les plus formelles des accords de Potsdam comme aux engagements pris au moment de la signature du pacte atlantique. Ils justifient ce reniement par la nécessité de recruter assez de soldats pour faire face à une éventuelle répétition en Europe de la guerre de Corée. Il s’y ajoute que l’U.R.S.S. a essayé en 1949 sa première bombe atomique, et que Washington est en passe de perdre l’avantage énorme que lui donnait son monopole dans ce domaine.

Opposé au réarmement de l’Allemagne, mais soumis à une forte pression de ses alliés, le gouvernement de Paris, alors présidé par René Pleven, essaye d’en limiter la portée, et en même temps de le faire contribuer au progrès de la «construction européenne». Depuis juin 1950, un «pool charbon-acier» unit la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays du Benelux. Il s’agit d’appliquer la même méthode aux problèmes de défense, et ainsi de se diriger vers une fédération européenne capable d’arracher l’Allemagne aux tentations de la revanche et de rendre à l’Europe une place de premier plan dans les affaires du monde. L’U.R.S.S. déclenche une violente action de propagande contre le projet, qui se heurte en France même à une vive opposition. Dans les pays de l’Est, où tout paraît dirigé vers la préparation à la guerre, l’épuration prend des proportions dramatiques.

3. Le dégel

La mort de Staline et l’armistice de Corée

Le dictateur soviétique succombe, le 5 mars 1953, à une congestion cérébrale. Une «troïka» de trois membres – Malenkov, dauphin désigné, Molotov, chef de la diplomatie, et Beria, chef de la police – s’installe au pouvoir. Son premier souci est de détendre la situation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. D’où les décisions prises en faveur de l’armistice, de la baisse des prix, de la reprise des relations avec la Yougoslavie et des négociations de Corée. L’armistice est enfin conclu le 27 juillet après une guerre qui avait fait des centaines de milliers de victimes.

Ce «dégel» va-t-il permettre d’en finir avec la guerre froide? Churchill, redevenu Premier ministre l’année précédente, Eisenhower qui vient de succéder à Truman multiplient les déclarations favorables à la négociation avec l’Est, deux problèmes devant être réglés en priorité, ceux de l’Allemagne et de l’Indochine.

Des incidents entre ouvriers et policiers est-allemands survenus à Berlin en juin 1953 soulignent la gravité du premier de ces problèmes. Ils coûtent sa place – et la vie – à Beria, accusé non seulement d’avoir été responsable en tant que chef de la police stalinienne d’innombrables violations de la légalité, mais d’avoir voulu abandonner le socialisme en Allemagne. Ce dernier grief sera repris beaucoup plus tard par Nikita Khrouchtchev contre Malenkov. Lui-même sera renversé quelques jours après avoir annoncé son intention de se rendre à Bonn.

En tout cas, les dirigeants du Kremlin n’entendent pas payer une éventuelle neutralisation de l’ancien Reich de l’abandon du système communiste en Allemagne de l’Est. La conférence des ministres des Affaires étrangères qui se déroule à Berlin en janvier-février 1954 ne peut pour cette raison parvenir à aucun résultat. À défaut d’accord sur l’Allemagne, les Quatre s’entendent pour convoquer à Genève, en mai de la même année, une conférence destinée à régler les problèmes coréen et indochinois.

Les accords de Genève et la fin de l’armée européenne

Sur le problème coréen, les débats de cette rencontre tournent court rapidement. Il n’en va pas de même de la négociation sur l’Indochine, qui s’ouvre en mai à Genève dans un climat dramatique; le camp retranché de Diên Biên Phu est tombé la veille après un terrible siège. Quelques jours plus tôt, les États-Unis ont rejeté une requête de Paris tendant à faire exécuter par leur aviation un raid contre les assaillants; ils ne peuvent s’opposer à l’armistice conclu le 20 juillet par Pierre Mendès France, devenu le mois précédent président du Conseil. Le Vietnam est provisoirement partagé entre le Viêt-minh au Nord et, au Sud, le gouvernement pro-américain de Ngô Dinh Diem, qui refuse d’approuver les accords. La déclaration finale, non signée, de la conférence prévoit que des élections auront lieu dans un délai de deux ans pour réunifier le pays. Le Cambodge et le Laos se voient en fait neutralisés. En 1956, le refus de Saigon de procéder aux élections entraînera rapidement une reprise des hostilités, dans lesquelles les États-Unis vont se trouver impliqués, au point d’y envoyer, en 1968, jusqu’à 520 000 hommes et d’écraser le Vietnam du Nord sous les bombes.

Dans la foulée du succès que lui vaut l’armistice, Mendès France s’attaque au dossier de l’armée européenne. Il élabore un compromis destiné à mettre d’accord partisans et adversaires du projet, mais ne réussit pas à y rallier les autres gouvernements signataires. Après l’échec d’une conférence tenue à Bruxelles, l’Assemblée nationale rejette le traité, le 30 août 1954. Il s’ensuit une phase de vive tension entre la France et ses alliés, à laquelle met fin, le 23 octobre, la conclusion des accords de Paris. Ceux-ci autorisent l’adhésion de l’Allemagne au pacte atlantique et son réarmement dans le cadre d’une Union de l’Europe occidentale (U.E.O.) associant les Six et la Grande-Bretagne et instituant un contrôle des niveaux d’effectifs et des armements des pays membres. L’Allemagne renonce à fabriquer sur son sol les armes atomiques, bactériennes et chimiques, entre autres. L’Union soviétique, qui avait peut-être cru que l’Assemblée nationale rejetterait ces accords, comme elle avait rejeté le traité de Paris, déclare qu’ils rendent la réunification de l’Allemagne impossible, dénonce ses traités d’alliance avec la France et la Grande-Bretagne et met sur pied le pacte de Varsovie, rival et symétrique du pacte atlantique.

On aurait pu penser que le réarmement de l’Allemagne, qu’elle avait si longtemps combattu, allait pousser l’U.R.S.S. à durcir son attitude. Une vive tension régnait déjà en Asie, où les Américains manifestaient, par la voix de leur secrétaire d’État, John Foster Dulles, anticommuniste acharné, leur volonté de conserver le Vietnam du Sud à l’abri des infiltrations du Viêt-minh. Pour ce faire, ils avaient provoqué la constitution, en septembre 1954, du pacte de Manille, complémentaire du pacte atlantique et auquel avaient adhéré la Grande-Bretagne, la France, les Philippines, la Thaïlande, le Pakistan, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ils n’avaient eu de cesse que la France leur transférât les responsabilités qu’elle assumait jusque-là pour l’entraînement des troupes sud-vietnamiennes.

Peut-être en réplique à la signature du pacte, nettement contraire à l’esprit des accords de Genève, les communistes chinois déclenchent un violent bombardement sur les îles Quemoy et Matsu, avant-postes de Formose (Taiwan), où Tchiang Kai-chek, après la défaite de ses troupes sur le continent, avait établi son gouvernement. De part et d’autre, le ton devient très menaçant et Eisenhower se fait donner par le Congrès le droit d’engager les troupes américaines pour défendre Formose si nécessaire. Subitement, cependant, la tension retombe. Le 25 avril 1955, devant la première conférence afro-asiatique réunie à Bandung, Zhou Enlai, chef de la délégation chinoise, se déclare prêt à négocier avec les États-Unis au sujet de la situation dans la région de Taiwan.

L’équilibre de la terreur

Les signes de détente les plus spectaculaires devaient intervenir en Europe. Renonçant à lier plus longtemps la solution du problème autrichien à celle du problème allemand, l’U.R.S.S. acceptait, au printemps de 1955, la neutralisation et l’évacuation de l’Autriche qui retrouvait quelques mois plus tard sa liberté. Khrouchtchev, devenu en septembre 1953 premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, se rendait en mai à Belgrade pour présenter à Tito les excuses de son pays. C’est dans ce climat que s’ouvrit à Genève, le 18 juillet, la première rencontre «au sommet» à quatre de l’après-guerre. Étaient présents: Dwight D. Eisenhower, Nikolaï Boulganine – depuis février chef du gouvernement soviétique, mais en fait simple porte-parole de Khrouchtchev –, Harold Macmillan pour la Grande-Bretagne et Edgar Faure pour la France.

Deux sujets dominèrent les débats: l’éternel problème allemand, sur lequel les progrès enregistrés furent de pure forme, et le désarmement. Les États-Unis, depuis 1953, et l’U.R.S.S., depuis 1954, disposaient de la bombe à hydrogène, plusieurs centaines de fois plus puissante que l’engin utilisé à Hiroshima: un «équilibre de la terreur» se dessinait ainsi entre les deux «Super-Grands» qui ne pouvaient plus raisonnablement espérer se contraindre l’un l’autre à quoi que ce fût; dans ces conditions, il pouvait paraître raisonnable de chercher à organiser une réduction, ou au moins une limitation des armements, dans le double but d’économiser sur les sommes fantastiques englouties dans une course désormais sans espoir ni objet, et de réduire les risques de déclenchement d’une guerre. À cet effet, Eisenhower proposa un plan de «cieux ouverts» destiné à permettre le contrôle aérien du dispositif militaire du camp opposé. Khrouchtchev le rejeta, assurant qu’il ne s’agissait que d’espionnage. Le résultat fut que ces missions furent assurées par la suite sans sa permission par des appareils U2, en attendant que des satellites artificiels viennent fournir à la C.I.A. tous les renseignements qu’elle pourrait désirer.

D’autres signes de détente, et notamment la visite d’Adenauer à Moscou, conduisant à l’établissement de relations diplomatiques entre Bonn et l’U.R.S.S., étaient encore enregistrés à l’automne de 1955, mais peu à peu la guerre froide reprenait, au Moyen-Orient cette fois.

4. Le temps des crises

L’affaire de Suez

Bien que l’U.R.S.S. se fût passablement intéressée au Moyen-Orient pendant la guerre, elle s’y était peu manifestée par la suite, se contentant d’être la première, en 1948, à reconnaître de facto l’État d’Israël, qu’elle aida discrètement à venir à bout de ses ennemis arabes. Staline pensait ainsi faire échec à l’«impérialisme» britannique, dont la Ligue arabe pouvait paraître l’instrument. Mais très vite il s’avéra que l’État juif n’avait aucune intention de s’inspirer de la ligne soviétique. À l’O.N.U., le Kremlin donna bien un appui de principe aux mouvements d’indépendance nationale, notamment au docteur Mossadegh qui, en 1951, nationalisa les pétroles iraniens; mais lorsque celui-ci fut renversé par la C.I.A., en août 1953, il ne leva pas le petit doigt.

D’une manière générale, les Occidentaux vivaient dans l’illusion que le Moyen-Orient était pour eux une chasse gardée, comme en témoignent leur déclaration tripartie de 1950, destinée à garantir le statu quo dans cette région, de même que les efforts de Foster Dulles pour enrôler les pays arabes dans un «pacte de Bagdad» destiné à compléter le réseau d’alliances «contenant» l’U.R.S.S.

À partir de 1955, cependant, et de la conférence de Bandung qui marque la prise de conscience du Tiers Monde, la diplomatie soviétique se rend compte des possibilités d’action qui lui sont ouvertes dans les pays sous-développés, et plus spécialement dans le monde arabe. En septembre, la Tchécoslovaquie conclut avec l’Égypte un accord de livraison d’armes qui provoque la plus vive inquiétude à Tel-Aviv. Quelques mois plus tard, le refus de Washington de participer au financement du barrage d’Assouan, indispensable au développement de l’économie égyptienne, amène Gamal Abdel Nasser à décider, en représailles, la nationalisation du canal de Suez (juill. 1956). La Grande-Bretagne ressent la décision comme une menace directe pour ses approvisionnements en pétrole, tandis qu’en France le gouvernement Guy Mollet, aux prises avec la guerre d’Algérie, pense qu’en renversant le régime du Caire, dont l’appui à la rébellion est avéré, il porterait à celle-ci un coup décisif. Israël, de son côté, sentant se développer le potentiel arabe, est tenté par une guerre préventive. C’est ainsi que naît l’idée d’une expédition commune. Le 29 octobre, l’armée israélienne envahit le Sinaï, et quelques jours plus tard un corps expéditionnaire franco-britannique débarque à Port-Saïd.

La révolte hongroise

Au moment où débutent les hostilités, des événements dramatiques se produisent en Europe centrale. Khrouchtchev a, quelques mois plus tôt, devant le XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, prononcé contre les crimes de Staline un véhément réquisitoire qui, en Pologne et en Hongrie, encourage les éléments désireux d’en finir avec la terreur. Si, à Varsovie, Wladyslaw Gomulka réussit à imposer à Khrouchtchev un modus vivendi qui donne satisfaction à la population, il n’en va pas de même à Budapest où l’agitation tourne vite à la contre-révolution, entraînant le 4 novembre 1956 l’intervention des blindés soviétiques, qui écrasent durement l’insurrection.

Les deux affaires, de Suez et de Hongrie, provoquent un vif regain de la tension internationale; l’O.N.U. est le théâtre de débats passionnés et Moscou accable l’Occident de mises en demeure. Sa pression concorde avec celle des États-Unis, hostiles à tout recours à la force au Moyen-Orient, pour contraindre les troupes françaises, britanniques et israéliennes à se retirer d’Égypte. Des « casques bleus» mandatés par l’O.N.U. sont chargés de surveiller la ligne de démarcation. En revanche, les forces russes demeurent en Hongrie où s’installe un gouvernement de collaboration présidé par János Kádár, lui-même ancienne victime des persécutions staliniennes.

Si l’U.R.S.S. conserve un certain prestige auprès de l’opinion arabe, qui lui est reconnaissante de son attitude au moment de l’affaire de Suez, elle doit faire face à une vigoureuse contre-offensive américaine, menée dans le cadre de la «doctrine Eisenhower », visant à étendre au Moyen-Orient les promesses d’assistance militaire et économique jadis contenues dans la «doctrine» formulée dix ans plus tôt par Truman à propos de la Grèce et de la Turquie.

Le résultat est une lutte incessante entre d’une part les proaméricains comme les rois d’Arabie, d’Irak et de Jordanie et le président du Liban, Camille Chamoun, et d’autre part les «progressistes» du Caire et de Damas. Plusieurs crises se succèdent qui conduiront, à l’été de 1958, à la guerre civile au Liban et à une révolte sanglante en Irak où périssent le roi Fayçal et le dictateur Noury Saïd (N ri as-Sa‘ 稜d). Le débarquement de marines américains à Beyrouth porte la tension à son comble, mais l’unanimité se refait provisoirement entre les pays arabes, au mois d’août, pour définir à leur usage une sorte de doctrine de Monroe mettant fin pour une dizaine d’années aux interventions étrangères les plus voyantes.

Le spoutnik

En Europe, l’invasion de la Hongrie a eu pour effet un net isolement de l’Union soviétique qui ne prendra fin qu’en octobre 1957 avec le lancement du premier spoutnik. C’est pour le prestige de la science et de l’idéologie soviétiques un succès énorme. En Occident, on se persuade rapidement qu’il signifie que les fusées russes sont désormais capables d’atteindre les États-Unis alors qu’aucun engin américain ne peut toucher le sol de l’U.R.S.S. D’où l’accélération de la production outre-Atlantique d’armes «intercontinentales» et des négociations fiévreuses avec les alliés sur l’installation en Europe occidentale de fusées dites «intermédiaires».

En même temps, à Moscou, se déroule une conférence des Partis communistes au pouvoir. Un débat s’engage à mots couverts entre Mao et Khrouchtchev sur les conséquences stratégiques du triomphe du spoutnik. Le premier croit qu’il n’y a plus désormais de ménagements à observer vis-à-vis de l’Occident; si, contre toute vraisemblance, celui-ci voulait la guerre, eh bien! même si elle faisait des dizaines de millions de morts, le socialisme vaincrait. Le chef du parti soviétique, qui vient de renforcer son pouvoir en se débarrassant de ses rivaux Molotov et Malenkov, et qui va bientôt prendre personnellement la direction du gouvernement, se montre beaucoup plus prudent. Aussi bien des pourparlers s’engagent-ils avec l’Ouest sur l’opportunité d’une conférence à quatre. Des projets de désatomisation de l’Europe centrale sont lancés et, en mars 1958, l’U.R.S.S., dont les Anglo-Saxons suivront bientôt l’exemple, suspend ses essais nucléaires. Le terme de « coexistence pacifique» revient constamment dans les textes de l’Est, qui a officiellement enterré le vieux dogme de la guerre inévitable entre le socialisme et l’impérialisme, et il commence à être employé à l’Ouest.

Épreuve de force à Berlin

En novembre 1958, cependant, après la crise déjà signalée du Moyen-Orient et une nouvelle épreuve de force, qui tourne court, dans le détroit de Formose, le Kremlin se lance dans une opération aventurée en mettant en demeure les Occidentaux de consentir à la transformation de Berlin-Ouest en ville libre neutralisée. À défaut, il signera avec la République démocratique allemande un traité de paix donnant à celle-ci le droit de s’opposer aux mouvements des troupes alliées entre la république fédérale d’Allemagne et l’ancienne capitale. Les Trois ayant repoussé cette exigence, une crise s’ouvre qui va durer des années.

En septembre 1959, une certaine détente est enregistrée grâce à un voyage de Khrouchtchev aux États-Unis, au cours duquel Eisenhower reconnaît le caractère «anormal» de la situation à Berlin. Le leader soviétique en déduit que les Occidentaux sont prêts à lâcher du lest. Il tombe de haut lorsque, quelques mois plus tard, se réunit à Paris un nouveau sommet à quatre, auquel participent, outre Eisenhower et lui-même, le général de Gaulle et Macmillan. Non seulement les Occidentaux n’envisagent aucune concession importante sur Berlin, mais le président des États-Unis refuse de présenter des excuses pour le survol de l’U.R.S.S. par un avion espion, abattu quelques jours avant l’ouverture de la conférence. Khrouchtchev repart pour Moscou après une extraordinaire explosion de fureur, sans même que la conférence ait officiellement commencé ses travaux. Mais, au lieu de procéder à la signature redoutée du traité avec la R.D.A., il déclare qu’il reprendra l’examen de la question avec le futur président des États-Unis. Le mandat d’Eisenhower approche en effet de son terme. L’été sera marqué de violentes passes d’armes à l’O.N.U., notamment à propos du Congo-Léopoldville (futur Zaïre) où l’indépendance a été suivie d’une période de confusion extrême.

En mai 1961, Khrouchtchev rencontre à Vienne le nouveau président américain, John Kennedy. Il l’avertit de son intention de signer avant la fin de l’année le fameux traité, si les Occidentaux ne cèdent pas auparavant. En juillet, l’U.R.S.S. reprend ses essais nucléaires et, le 13 août, la police est-allemande établit un mur qui, en coupant Berlin-Est des secteurs occidentaux, met fin au départ ininterrompu vers l’Ouest de milliers d’Allemands de l’Est mécontents du régime. L’indignation et les protestations des Occidentaux n’y changent rien, mais Khrouchtchev n’insiste pas lorsqu’ils rejettent sa prétention d’interdire aux ressortissants ouest-allemands d’utiliser leurs avions pour aller à Berlin. À l’automne, il renonce à fixer un délai pour la neutralisation de Berlin-Ouest et des négociations s’engagent. Il apparaît vite cependant qu’elles ont peu de chance d’aboutir.

La crise des fusées

À l’été de 1962, le Kremlin se fait une fois de plus menaçant. Ce n’est pas à Berlin, cependant, que l’orage éclate, mais à Cuba, où s’est établi en 1959 un régime socialiste, dirigé par Fidel Castro, dont les rapports avec les États-Unis se sont détériorés rapidement. En avril 1961, peu après son arrivée au pouvoir, Kennedy avait autorisé la C.I.A. à faire débarquer dans l’île un groupe d’opposants émigrés. Voyant que la population était loin de se soulever, comme on le lui avait prédit, il avait presque aussitôt donné un contrordre, mais les Cubains en avaient ressenti de graves inquiétudes pour leur sécurité et avaient fait appel à l’aide de l’U.R.S.S. Celle-ci avait envoyé d’importantes fournitures militaires, et les États-Unis avaient fait savoir qu’ils ne resteraient pas indifférents devant l’arrivée d’armes «stratégiques»; Moscou avait aussitôt répondu qu’il n’en était pas question. Or, le 18 octobre 1962, des appareils de reconnaissance, survolant Cuba, repéraient les travaux d’installation de fusées capables d’atteindre le territoire américain.

Le 22 octobre, Kennedy ordonnait l’établissement d’une surveillance navale autour de Cuba pour empêcher la livraison de nouvelles fusées et mettait l’Union soviétique en demeure de retirer celles qui s’y trouvaient déjà. Après une semaine dramatique, Khrouchtchev se décidait à obtempérer, les États-Unis renouvelant en contrepartie l’engagement qu’ils avaient pris quelques mois plus tôt de ne pas envahir l’île tant qu’il ne s’y trouverait pas d’armes stratégiques, et confirmant leur décision de retirer leurs fusées de Turquie.

5. Les alliances en question

L’interdiction des essais nucléaires

Cet affrontement direct des États-Unis et de l’U.R.S.S., le seul qui se soit produit entre eux, a introduit dans la guerre froide une sorte d’armistice. Ayant frôlé la guerre nucléaire, les deux parties en ont tiré la conclusion qu’il leur fallait tout faire pour éviter de se trouver placées de nouveau au bord du gouffre. L’assassinat de Kennedy (nov. 1963) et la destitution de Khrouchtchev (oct. 1964) n’ont pas changé ces dispositions qui ont conduit à l’établissement entre Washington et Moscou du fameux «téléphone rouge». Non seulement on n’a plus entendu parler de crise à Berlin, mais les États-Unis et l’U.R.S.S. ont successivement conclu divers traités interdisant l’un la plupart des essais nucléaires, l’autre la dissémination des armes nucléaires, un autre encore réservant l’espace aux usages pacifiques.

Malgré son peu d’effet pratique, le premier de ces traités a marqué un véritable tournant dans les relations Est-Ouest, en faisant apparaître la profondeur des failles existant dans les «blocs» de la guerre froide. Pour la première fois depuis vingt ans, les leaders des deux camps passaient outre, pour s’entendre, à l’opposition d’un de leurs principaux alliés: dans un cas la France, dans l’autre la Chine.

Le général de Gaulle, de plus en plus, faisait bande à part. Faute d’avoir pu obtenir la création d’une organisation occidentale où la France aurait été l’égale des États-Unis et de la Grande-Bretagne, il avait décidé de réduire progressivement sa participation à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (O.T.A.N.). Il entendait de toute façon rendre au pays sa pleine souveraineté, ce qui impliquait qu’il dispose rapidement et librement de l’arme nucléaire. Il avait exprimé sa conviction qu’un jour viendrait où disparaîtraient les «blocs» de la guerre froide. Dans ces conditions, il était impensable qu’il adhérât à un traité de nature à consacrer la «double hégémonie» soviéto-américaine.

Par la suite, il prendra de plus en plus de champ avec la politique des États-Unis, retirant la France de l’O.T.A.N., critiquant la guerre du Vietnam, esquissant un rapprochement général avec Moscou, où il se rendra en juin 1966, condamnant Israël pour la «guerre des Six Jours», cherchant enfin à «casser» la suprématie du dollar. La révolte de mai 1968, en mettant son prestige à l’épreuve, l’invasion de la Tchécoslovaquie, en montrant les limites de la politique de «l’Atlantique à l’Oural» qu’il préconisait, devaient porter à ses ambitions un coup dont elles ne se sont pas relevées. La visite du président Richard Nixon à Paris, en mars 1969, sera l’occasion d’une réconciliation que l’élection de Georges Pompidou à la présidence de la République, quelques semaines plus tard, confirmera, et qui ne sera jamais sérieusement mise en cause par la suite, même lorsqu’en 1981 un gouvernement socialiste à participation communiste s’installe à l’hôtel Matignon.

La rupture sino-soviétique

Les relations entre Pékin et Moscou ont mis vingt ans de plus à se détendre. Il n’est pas impossible que l’installation des fusées à Cuba ait eu pour objet de démontrer la supériorité des méthodes soviétiques. Mais son échec ne pouvait que relancer la polémique. Il est significatif, de ce point de vue, que la conclusion du traité sur les essais nucléaires ait coïncidé avec la première dénonciation publique par le Kremlin de l’hérésie chinoise. Malgré une tentative de l’U.R.S.S. pour reprendre le contact, après la chute de Khrouchtchev, la controverse s’est développée entre les deux grands du socialisme, allant jusqu’à provoquer, en 1969, de graves incidents armés et à conduire, à partir de 1971, à la normalisation progressive des relations sino-américaines à tel point qu’on a pu parler un moment d’une alliance de fait.

Ce renversement d’alliances, d’ailleurs temporaire puisque à partir de 1982 on a vu la Chine s’installer dans une position d’équidistance vis-à-vis de la Maison-Blanche et du Kremlin, n’a pas empêché les relations soviéto-américaines, après la conclusion du premier traité sur la limitation des armements stratégiques (SALT I, 1972), et l’accord sur la cessation des hostilités au Vietnam (1973), de revêtir un caractère de plus en plus cordial. Des visites ont été échangées entre le président Nixon et Leonid Brejnev, conduisant à un accord sur la prévention de la guerre nucléaire, où Michel Jobert, alors ministre français des Affaires étrangères, n’était pas seul à voir l’amorce d’un condominium puisque le secrétaire général du P.C. soviétique lui-même employait la formule. Entre-temps, le succès de la politique à l’Est du chancelier social-démocrate Willy Brandt, entraînant la normalisation des relations entre la R.F.A. et ses voisins orientaux, la consolidation du statut de Berlin-Ouest et l’entrée aux Nations unies des deux Républiques allemandes, avait créé l’impression que la détente avait pour de bon supplanté la guerre froide.

La déception devait rapidement suivre. Le scandale du Watergate entraînait, fait sans précédent dans l’histoire des États-Unis, la démission de Richard Nixon, semant le doute au Kremlin sur la crédibilité de ses partenaires américains. Le Sénat de Washington s’opposait à l’octroi à l’U.R.S.S. de la clause de la nation la plus favorisée aussi longtemps qu’elle ne laisserait pas émigrer tous ceux de ses ressortissants juifs qui le souhaiteraient, ce à quoi Moscou réagissait avec vivacité. Un putsch militaire renversait, au Chili, en septembre 1973, le gouvernement d’union populaire de Salvador Allende. Et surtout, le mois suivant, une nouvelle guerre éclatait au Proche-Orient, mettant un instant en péril l’existence d’Israël et portant un coup très sérieux, avec le rapide quadruplement du prix du pétrole, aux bases mêmes de la croissance et de la prospérité occidentales.

Par-dessus le marché, on allait bientôt s’apercevoir que l’équilibre de la terreur, dont on avait cru qu’il assurerait la paix pour toujours, avait surtout pour effet d’empêcher les États-Unis de brandir la menace nucléaire pour contenir les poussées locales d’un adversaire qui avait désormais les moyens de leur infliger de terribles représailles. Les successeurs de Richard Nixon: Gerald Ford et Jimmy Carter, devaient assister, impuissants, au passage de toute l’Indochine, par Vietnam interposé, dans la zone d’influence soviétique, à l’établissement de régimes marxistes-léninistes (parfois avec l’aide de l’armée cubaine) dans les anciennes colonies portugaises d’Afrique, comme en Éthiopie, jadis chasse gardée israélo-américaine, au Yémen du Sud et en Afghanistan, à l’écroulement du trône d’Iran, longtemps principal relais de l’hégémonie des États-Unis dans la région, et enfin au développement, en Amérique centrale, d’une guerre civile de plus en plus généralisée menaçant, à long terme, le canal de Panamá et leur frontière méridionale. Le changement de cap de l’Égypte, revenue dans le camp occidental et, seule du monde arabe, désormais en paix avec Israël, ne compensait que partiellement cette série d’échecs.

6. La réunification

L’invasion, en décembre 1979, de l’Afghanistan – révolté contre ses maîtres communistes –, par les troupes soviétiques, intervenant ainsi pour la première fois depuis 1945 hors de la zone d’influence tacitement reconnue à Moscou, devait porter l’inquiétude du monde occidental à son comble. Cette inquiétude, jointe au sentiment d’humiliation ressenti, après tant d’échecs, par le peuple américain, a largement contribué à l’élection, à la tête des États-Unis, en la personne de Ronald Reagan, d’un homme déterminé à rétablir leur image dans le monde et à s’opposer aux empiétements de l’adversaire.

Sa première décision a été de renforcer considérablement le budget militaire de son pays, espérant que les grandes difficultés économiques que connaissait l’U.R.S.S. l’obligeraient à jeter du lest. Une dure bataille diplomatique s’est vite engagée dont l’enjeu, une fois de plus, était l’Allemagne et l’objet l’installation, sur son sol et sur celui d’autres pays du continent, de plusieurs centaines de fusées américaines à moyenne portée destinées à équilibrer la menace découlant du déploiement de quelque deux cent cinquante SS-20 soviétiques pointés sur l’Europe occidentale. L’U.R.S.S. et les mouvements pacifistes et neutralistes s’y opposent avec vigueur.

Outre le fait qu’elle constitue un enjeu, l’Allemagne se trouve également en position d’arbitre en attendant sans s’en douter de devenir le vrai vainqueur de cette partie de bras de fer. Le 22 novembre 1983, le Bundestag, qui a été fortement encouragé dans ce sens par François Mitterrand, donne son aval à la mise en place des Pershing II. Le Kremlin, qui ne s’attendait pas à ce résultat, multiplie les menaces. On croit revenus les pires moments de la guerre froide. On en vit, en réalité, les derniers soubresauts.

En mars 1985, la gérontocratie soviétique, durement frappée par la mort, à peu de distance, de Brejnev et de ses successeurs Andropov et Chernenko, se décide à donner le pouvoir à Mikhaïl Gorbatchev qui, à cinquante-quatre ans, fait figure de jeune homme. Très vite, il se montre déterminé à tirer les leçons du marasme où la course aux armements et à l’espace, l’engagement outre-mer et l’inertie propre à la bureaucratie ont plongé le pays. À l’intérieur, ce sera la perestroïka (reconstruction) et la glasnost (transparence); à l’extérieur, une nouvelle détente, d’autant plus nécessaire que Reagan, inspiré par ses souvenirs de Hollywood, s’est maintenant mis en tête de se préparer à une apocalyptique «guerre des étoiles» à laquelle Moscou est hors d’état de faire face.

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le 25 avril 1986, accélère le mouvement, dans la mesure où elle met brutalement en évidence l’impéritie générale et la nécessité de faire appel, pour limiter les dégâts, à l’aide étrangère. Dès le 8 décembre 1987, Mikhaïl Gorbatchev signe avec Reagan, à Washington, un traité éliminant tous les «euromissiles» de l’Est comme de l’Ouest: c’est «l’option zéro» que Moscou n’avait cessé de rejeter avec hauteur. Bientôt, les deux Supergrands s’entendront pour détruire, sous contrôle, une partie de leurs armements stratégiques. Et le numéro un soviétique déclarera, à l’automne de 1988, devant l’Assemblée générale des Nations unies, que «l’idéologie doit être exclue des relations entre États», celles-ci devant être désormais «guidées par la primauté des valeurs universelles». Il est difficile de renvoyer plus nettement au musée de l’histoire le célèbre mot d’ordre de Lénine qui avait été pendant trois quarts de siècle celui du mouvement communiste universel: «ce sera eux, ou nous».

Bientôt, les Soviétiques évacuent l’Afghanistan et les Vietnamiens le Cambodge. Un cessez-le-feu est conclu au Nicaragua entre les sandinistes, soutenus par La Havane et par Moscou, et la Contra armée par Washington. Un accord intervient entre l’Afrique du Sud, l’Angola et Cuba sur l’indépendance de la Namibie. Dans tous les pays du pacte de Varsovie, y compris l’U.R.S.S., la réhabilitation des victimes de Staline va bon train et l’intelligentsia retrouve une liberté d’expression perdue depuis la révolution d’Octobre. La Hongrie s’éloigne de plus en plus du communisme. Sept ans après avoir dissous Solidarno ごが et envoyé ses chefs en prison, Jaruzelski consacre Wa face="EU Caron" ゥ きsa dans la position d’interlocuteur privilégié du pouvoir.

Deux ans plus tard, il aura passé la main, sans qu’un seul communiste demeure dans le gouvernement. Même situation en Tchécoslovaquie où Václav Havel, condamné à neuf mois de prison ferme, le 21 février 1989, pour participation à un rassemblement illégal, est élu à l’unanimité, le 29 décembre, président de la République par un parlement dont pas un membre ne lui aurait donné sa voix six mois plus tôt.

Il faut dire qu’entre-temps l’incroyable s’est produit en Allemagne de l’Est où la population, à force de regarder chaque jour les émissions de la télévision de l’Ouest, prenait de plus en plus mal son parti de la grisaille et de la pauvreté spartiates maintenues par un régime tout à fait imperméable au vent de la perestroïka. Grâce au démantèlement du rideau de fer entre la Hongrie et l’Autriche, un sas s’est soudain ouvert qui permet de fuir la R.D.A. sans risquer sa vie: des dizaines de milliers de jeunes et de moins jeunes s’y engouffrent, tandis que d’immenses cortèges défilent dans les rues de Leipzig, de Dresde ou de Berlin-Est pour réclamer la destruction du Mur. Venu pour les fêtes du quarantième anniversaire de la R.D.A., en octobre 1989, Gorbatchev fait savoir qu’en aucun cas, et à la différence de ce qui s’est passé auparavant ou ailleurs (Pologne de 1980 et 1981 exceptée), l’Armée rouge ne participera à une éventuelle répression. Une attitude opposée n’aurait abouti qu’à lui faire perdre en un instant tous les bénéfices de son rapprochement avec l’Occident et à consolider un régime qui ne se cachait guère de souhaiter sa perte. Le chef de l’État soviétique se doute-t-il pour autant qu’il vient sans doute de prendre la décision la plus importante de sa carrière? Un processus est en route, qui va rapidement conduire à la réunification de Berlin et de l’Allemagne, et à la réconciliation des deux Europe.

L’ouverture du Mur, le 9 novembre 1989, bien loin, comme certains l’avaient espéré, de tarir l’exode des Allemands de l’Est ne fait que l’amplifier, et la R.D.A., de plus en plus vidée de sa substance, n’a plus qu’à aller se jeter dans les bras de la République fédérale qui, le 3 octobre 1990, l’accueille solennellement en son sein. Gorbatchev, qui avait imprudemment déclaré, quelques mois plus tôt: «la réunification? on en parlera dans cent ans», s’est vu obligé de l’entériner et même d’accepter que le nouvel État demeurât au sein de l’O.T.A.N. Il faut dire que Kohl, pour arriver à ce résultat, n’a pas lésiné sur l’ouverture au Kremlin des crédits dont celui-ci a tant besoin.

La guerre froide, en tout cas, est finie et bien finie. Une ère nouvelle s’ouvre, au début des années quatre-vingt-dix, marquée par la crise du Golfe, l’éclatement de l’U.R.S.S. et la dissolution idéologique, institutionnelle et militaire du bloc communiste en Europe centrale et orientale.

Guerre froide état de tension internationale prolongée, dû à une politique d'hostilité entre deux adversaires, qui ne va pas jusqu'au conflit armé (l'expression est employée depuis le « coup de Prague » de 1948) ; état de tension, d'hostilité, sans manifestation violente, entre deux personnes, deux groupes.

guerre froide
nom donné au conflit latent entre les États-Unis et l'U.R.S.S. au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La "déstalinisation", suivie du dialogue entre Kennedy et Khrouchtchev (1961-1962), instaura une détente.

Encyclopédie Universelle. 2012.