MUSICALES (TRADITIONS) - Musiques des Amériques
Le continent américain présente une immense variété de cultures issues, non seulement d’ethnies différentes (indiennes, africaines, néo-européennes et néo-asiatiques), mais aussi de circonstances ethno-historiques particulières, liées aux mouvements migratoires inter- et transcontinentaux du début de la colonisation du XVIe siècle. Cette diversité s’exprime dans les traditions musicales indo-américaines, euro-américaines et afro-américaines aussi bien en Amérique du Nord, en Amérique centrale et aux Antilles qu’en Amérique du Sud. Les formes acculturées de ces traditions constituent de nos jours le véritable univers des musiques des Amériques dont les caractères essentiels demeurent métissés. Cette hybridation prend une forme et un style tout particuliers selon l’aire culturelle ou les groupes sociaux que l’on considère. Ainsi, la musique métissée des Andes péruviennes ou équatoriennes conserve beaucoup plus de son héritage indien que celle du Mexique. D’autre part, les villageois des Appalaches aux États-Unis entretiennent un ancien répertoire de chants traditionnels, comme les ballades des îles Britanniques, qui a disparu en Grande-Bretagne, mais dont les modes d’exécution se rapportent surtout à la tradition locale.
La colonisation des Amériques a eu pour effet d’altérer, et, dans les cas les plus extrêmes, de détruire de nombreuses cultures musicales indigènes; d’imposer dans les territoires conquis des répertoires européens qui ont subi de nombreuses transformations et réinterprétations; de créer de nouvelles expressions de musique nègre, et d’établir d’une façon générale un langage musical sui generis résultant des influences plus ou moins prononcées de ces sources bien différentes.
À peu d’exceptions près, la connaissance précise des musiques traditionnelles indigènes date du XXe siècle, c’est-à-dire de l’avènement de l’enregistrement sonore, aux environs de 1890. Les musiques indiennes se trouvaient alors sans aucun doute fortement imprégnées d’éléments européens. Les sources d’information qui permettraient de reconstruire l’histoire de ces musiques depuis le début de la colonisation se limitent, en fait, à la connaissance de plusieurs collections d’instruments archéologiques, aux chroniques des missionnaires des XVIe et XVIIe siècles, à quelques dictionnaires de langues indigènes, et surtout aux pratiques musicales et systèmes musicaux de certains groupes indiens contemporains qui se seraient peut-être maintenus à l’écart des populations métissées. Toutefois, attribuer les pratiques musicales contemporaines aux périodes antérieures de l’histoire de la musique indienne relèverait d’une conception douteuse qui consacrerait l’inertie de la dynamique culturelle. En effet, il est impossible de démontrer que la culture musicale des Indiens d’Amérique s’est maintenue sans changement notable pendant plusieurs siècles.
1. Les témoignages de l’archéologie
Étant donné l’absence de notation musicale et la prédominance, en général, de la musique vocale, l’archéologie a peu apporté à l’étude des musiques traditionnelles des Indiens d’Amérique du Nord et à celle des cultures indiennes des forêts tropicales en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Par contre, les hautes cultures précolombiennes du Mexique, du Guatemala (Aztèques, Mayas), du Pérou, de l’Équateur et de la Bolivie (l’Empire quetchua des Incas) nous ont transmis un héritage archéologique musical remarquable. Au vu des instruments de musique archéologiques des Aztèques et des Mayas, nous pouvons énoncer les conclusions suivantes: les Indiens ne connaissaient pas les instruments à cordes à l’époque de la Conquête espagnole, même si certains pensent que l’arc musical, connu de plusieurs tribus mexicaines contemporaines, peut être d’origine précolombienne; les instruments à vent, à percussion et les tambours dénotent clairement que les Aztèques ont emprunté et assimilé ceux des civilisations plus anciennes qu’ils conquirent; les sculptures sur les instruments en bois indiquent symboliquement les fonctions, souvent rituelles, auxquelles ils répondent; pour les Espagnols, les instruments joués par les diverses tribus sont identiques. Certains vases peints, certaines statuettes et peintures murales, celles du fameux temple de Bonampak par exemple, permettent de faire de nombreuses observations sur la chorégraphie et l’exécution musicale. D’après les descriptions contemporaines et une quarantaine de manuscrits mexicains, le teponaztli – sorte de tambour de bois à deux langues correspondant à deux sons distincts, en tierce et en quinte le plus souvent – et le huehuetl – tambour cylindrique à une seule peau – étaient fréquemment joués ensemble et considérés comme des instruments sacrés. On les retrouve de nos jours dans la musique indienne du Mexique. De même, au centre de l’organologie précolombienne se trouvaient les flûtes verticales, les flûtes de Pan ou syrinx, et les flûtes à tubes multiples (double, triple, quadruple) mais dotées d’une seule embouchure, dont les possibilités harmoniques illustrent l’apogée de la musique précolombienne en Amérique du Nord et en Amérique centrale. Les comptes rendus des missionnaires révèlent la fonction primordiale de la musique comme moyen d’expression communale, la musique d’ensemble était donc la plus fréquente. En certaines occasions, on jouait des morceaux de musique particuliers, et, étant donné l’absence de notation musicale, les musiciens devaient faire preuve d’une mémoire prodigieuse. Les chroniqueurs espagnols nous expliquent aussi que le chant et l’exécution instrumentale étaient inséparables, tout comme la musique et la danse. L’étude des langues indiennes montre la préférence, dans l’exécution musicale, pour les qualités de clarté dans la production des sons, la force vocale et la hauteur du registre sonore. Le style vocal de la musique indienne contemporaine maintient ces traits spécifiques, particulièrement, la force et le registre aigu de la voix.
L’ancien Empire quetchua, dominé par les Incas au moment de la Conquête espagnole, s’enorgueillit également d’un développement musical extraordinaire. Les Incas eux-mêmes héritèrent une culture musicale avancée des peuples de la côte péruvienne, particulièrement des Nazca, Mochica et Chimú, et de la civilisation Tiahuanaco sur le plateau bolivien. Les flûtes de Pan en argile (antaras ) des Nazca, par exemple, sont d’une facture instrumentale supérieure. Du point de vue organologique et strictement culturel, les instruments les plus importants sont les flûtes verticales et traversières avec ou sans encoche, pincollos et quenaquenas , les flûtes de Pan, les trompettes, qquepas , les trompes faites de grandes conques, les tambours de plusieurs tailles et de nombreux instruments à percussion. La quena (ou kena ), flûte verticale à encoche, de trois à huit trous, conserve sa popularité dans les Andes contemporaines. La fabrication d’instruments à plusieurs époques précolombiennes montre le développement des flûtes à trous équidistants, puis de celles à trous non équidistants, des flûtes de Pan d’une rangée, puis de celles à double rangée de six à quatorze et quinze tubes, enfin de la flûte verticale, puis de la flûte traversière. L’étude des langues indigènes indique la distinction que faisaient les Indiens entre les diverses substances employées dans la fabrication des instruments, entre les différentes couleurs et tailles d’un même instrument. Bien que les échelles pentatoniques semblent avoir été très courantes parmi les Incas au temps de la Conquête espagnole, elles ne constituaient pas un système mélodique exclusif, comme on l’a souvent supposé.
Le sujet de la reconstruction des systèmes mélodiques précolombiens au Mexique comme au Pérou a été traité par conjecture, étant donné l’impossibilité pour les missionnaires espagnols de transcrire la musique indigène au début de la colonisation. De plus, les possibilités mélodiques des instruments archéologiques ne peuvent pas, jusqu’à présent, corroborer des conclusions définitives. Projeter tel ou tel système fondé sur des traits musicaux particuliers de la musique indienne contemporaine relèvent d’une fausse méthodologie.
2. Les aires culturelles
L’Amérique du Nord: les musiques indiennes et eskimos
Les musiques indiennes . Avant l’arrivée des Européens en Amérique du Nord, les cultures indiennes agricoles s’étaient développées surtout dans la partie méridionale du continent, dans les terres boisées de la Georgie, du Tennessee et de l’Ohio où se trouvaient les tribus Seminole, Creek, Cherokee et Shawnee, et plus au nord, autour des grands lacs, les Chippewa (ou Ojibway) et les Menomini. Dans les forêts du Nord – le Nord-Est américain et canadien – se trouvaient de nombreuses tribus, comme les Iroquois et les Wabanaki, pour lesquelles la musique était étroitement liée à leur mode de vie consacrée à la chasse ou l’agriculture. De nombreuses cérémonies donnaient lieu à de longs festivals de musique et de danses rituelles d’action de grâces. Ces danses étaient accompagnées par des tambours, des sonnailles et hochets pour marquer le rythme, notamment la danse du maïs à la fin de la récolte, les danses de guerre et les rites pour l’intronisation des nouveaux chefs.
S’étendant sur un immense territoire à l’ouest du Mississippi, les plaines du centre-ouest des États-Unis et du Canada accueillent de nombreuses tribus indiennes (les Flathead, Blackfoot, Cree, Pawnee, Arapaho, Kiowa, Sioux, Cheyenne) qui, malgré leur diversité linguistique, présentent un style musical régional relativement homogène. Ce style se caractérise par des mélodies descendantes, pentatoniques pour certains répertoires, par un style vocal qui utilise souvent le registre le plus aigu de la voix et même le fausset, par une production vocale de qualité rauque, dont les pulsations rythmiques sont très caractéristiques. Les textes des chants sont fréquemment dépourvus de sens sémantique et accompagnés, comme la plupart des musiques indiennes, par des tambours et hochets divers. Le tambour le plus courant dans cette aire culturelle est une sorte de tambourin à une seule peau frappée avec une baguette à tampon. La grosse caisse européenne est aussi employée, par exemple dans les powwows modernes qui sont des réunions sociales au cours desquelles tous les Indiens d’une région, sans tenir compte de leur appartenance tribale, célèbrent par le chant et la danse leur ethnicité indienne.
L’aire du Sud-Ouest américain renferme deux cultures et styles musicaux prépondérants appartenant à deux groupes différents. D’une part, les Pueblo, populations qui comprennent les Taos, Zuni, Hopi et Tewa, établis dans près de trente villages qui s’étendent du Nouveau-Mexique à l’Arizona, ont été colonisés par les Espagnols et convertis au catholicisme et pratiquent pourtant leur religion traditionnelle; d’autre part, les tribus semi-nomades des Apaches et Navajos, et les Yuman, habitent les zones désertiques de cette région. La musique des Pueblo est considérée comme la plus variée et la plus complexe des musiques indiennes d’Amérique du Nord. Les chants se composent souvent de longues mélodies (jusqu’à plus d’une douzaine de phrases) organisées en échelles pentatoniques, hexatoniques et heptatoniques et leur style vocal maintient la tension et la pulsation propres à la musique indienne en général, mais se caractérise par l’émission un peu «grognante» et très profonde de la voix. La précision de leur exécution chorale est aussi très typique. La musique des Apaches et des Navajos, au contraire, se singularise par des formes plus simples, souvent fondées sur deux idées mélodiques, des rythmes intenses employant deux valeurs de durée, un système tonal et un style vocal nasal, aigu et orné. En raison de leur contact plus fréquent avec les Indiens Pueblo, les Navajos se sont un peu éloignés, musicalement, des Apaches, comme le témoigne leur musique qui tend à se rapprocher de la complexité de celle des Pueblo. Dans toute la région du Sud-Ouest, les flûtes sont les instruments mélodiques les plus importants et les tambours d’eau sont courants, surtout chez les Apaches.
À l’ouest et au nord-ouest des États-Unis, sur les hauts plateaux désertiques du Colorado, du Nevada, de l’Utah, de l’Idaho, dans les régions orientales de l’Oregon et de Washington, du nord de la Californie jusqu’au Canada, les descendants des tribus nomades comme les Ute, Paiute et Shoshoni vivent de nos jours dans les «réserves» ou parcs nationaux, comme la plupart des Indiens américains. La musique de ces tribus comprend des mélodies de courte durée, formées de phrases fonctionnant par paires (aabb). La voix, peu tendue, se cantonne dans un registre plus grave que celui des Indiens des plaines du Centre-Ouest.
Le développement culturel et artistique des tribus indiennes de la côte pacifique du Nord-Ouest, dans l’État de Washington, la Colombie britannique, est extraordinaire et unique en Amérique du Nord. Les sculptures sur bois et l’art du tissage des Indiens Bella Coola, Kwaliutl, Salish et Nootka ressemblent à ceux des hautes cultures mexicaines précolombiennes. Les instruments de musique montrent la richesse de la tradition. Ceux-ci comptent non seulement des tambours et hochets de genres les plus divers, mais aussi des hochets et sifflets sculptés et peints, en forme d’oiseau, qui deviennent ainsi des objets mythiques. En outre, la trompe à anches, en cèdre, est le seul instrument à vent de ce genre en Amérique du Nord. Dans cette région, la possession individuelle ou familiale d’un répertoire de chants particulier est un fait très répandu. D’une façon générale, le style musical de ces tribus comporte une grande variété de formes assez complexes établies à partir de phrases mélodiques courtes, et une organisation rythmique plus variée que celle des autres musiques indiennes.
Les musiques eskimos . Les régions polaires arctiques de l’Amérique du Nord constituent l’aire culturelle des Eskimos. Bien qu’ils soient culturellement et racialement différents des Indiens américains, les Eskimos d’Alaska, ceux de langue Yupik de la zone de la mer de Béring et ceux de langue Inupik, au nord de la baie de Norton Sound et du Canada, dans les territoires du Nord-Ouest et, plus particulièrement, les districts de MacKenzie et Franklin et la péninsule du Labrador, possèdent une tradition musicale appartenant à la même famille que celle des Indiens nord-américains. La musique et la danse accompagnent les cérémonies rituelles et les festivals, mais les chants relatifs à l’importance vitale et au pouvoir que confère la chasse sont les plus nombreux. D’autres chants cérémoniels permettent d’invoquer les esprits des animaux, de souhaiter la bienvenue, de se moquer et même de plaisanter. Certains de ces chants consistent en mélodies courtes de quelques notes, répétées avec quelques variations. D’autres sont plus élaborés et présentent des mélodies pentatoniques avec ou sans demi-tons, les intervalles les plus fréquents du discours mélodique étant les secondes et les quartes. Une organisation polyrythmique provient souvent du jeu métrique combiné de la mélodie vocale et de celui de l’accompagnement par le tambour. Les Eskimos canadiens préfèrent des chants sous la forme couplet-refrain qui présentent des variations rythmiques. Le degré d’acculturation de leur musique est sensible surtout dans l’adoption et l’adaptation de chants et d’instruments d’origine européenne, comme les hymnes chrétiens et l’emploi de guitares, d’accordéons et du «violon eskimo». La voix des Eskimos, nasale et plutôt stridente, se caractérise dans certains chants-jeux de constructions glottiques qui renforcent les pulsations vocales.
L’Amérique centrale et l’Amérique du Sud: les musiques indiennes
Bien que le Mexique appartienne, du point de vue géographique, au continent nord-américain, il est plus logique de l’inclure dans un traitement musicologique de l’Amérique latine pour des raisons historiques et culturelles bien évidentes. Les Mexicains distinguent la musique métissée, música mestiza , de la musique indienne, música indígena , mais ces deux traditions se manifestent dans presque toutes les tribus indiennes contemporaines. La musique sacrée rituelle conserve dans sa fonction et son style des éléments d’origine précolombienne, transformés par l’assimilation de nombreux traits culturels hispaniques. Que ce soit pour les rites saisonniers, les rites des cycles de la vie: la naissance, le mariage, la mort ou les rites de guérison, la musique revêt pour les Indiens une importance capitale. Ainsi, la pratique du chamanisme s’accompagne de chants qui permettent au chamane de diagnostiquer la maladie d’un individu, et, par d’autres chants, de communiquer avec les esprits qui dictent la cure. Chez les Mazatèques au nord de l’État de Oaxaca, un genre de cantilène exprime les diverses parties de la cérémonie chamanique, y compris les visions produites par l’ingestion du champignon sacré, hallucinogène. Les Séri, qui habitent dans l’île Tiburón et le long du littoral de Sonora au nord-ouest, donnent à leur musique une origine surnaturelle; c’est le chamane qui la transmet à l’homme. Une autre tribu du Nord-Ouest mexicain, celle des Yaqui, garde peu de chose de sa culture traditionnelle; les danses rituelles, comme la danza del venado («danse du cerf») et la danza de los matachines («danse des matassins»), sont spectaculaires, et, tout en mettant en jeu plusieurs aspects de la mythologie indigène, sont exécutées à l’occasion des festivités chrétiennes. Les chants de la danse du cerf s’accompagnent du tambour d’eau frappé avec une baguette en bois, de deux raspadores (percussions dont le son est obtenu par raclage ou frottement), de hochets, joués par les danseurs, du violon et de la harpe. Les mélodies et l’ensemble instrumental témoignent de la fusion des deux traditions. Chez les tribus Cora et les Huichol de la région montagneuse de Nayarit, les chants de la récolte et les rites du maïs s’accompagnent d’un arc musical à résonateur, le mitote , de flûtes en roseau, chez les Cora, et de tambours du type huehuetl chez les Huichol. L’effet narcotique du cactus, le peyote, est révéré dans la religion huichole traditionnelle, et les chants qui sont consacrés à la fête de cette plante se rapportent directement aux mythes indigènes.
Les Indiens Tarascan de Michoacán nous offrent un exemple typique de culture indienne qui maintient sa tradition dans une musique religieuse pourtant bien métissée. Leurs chants dits pirecuas et abajeños ont pour base une structure hispanique, mais certaines modalités d’exécution, par exemple la production vocale, restent indigènes. Comme chez tant d’autres groupes indigènes, leurs danses dramatiques comprennent les «danses de la conquête», parmi lesquelles celle des maures et chrétiens (moros y cristianos ) est la plus répandue dans tout le pays et dans le reste de l’Amérique latine, où le même thème se retrouve dans de nombreuses danses locales. Les villages des Tarascans sont riches en ensembles d’instruments à cordes et en fanfares. Leur musique jouée par des violons, guitares, vihuelas , jaranas , guitarrones est totalement métissée. Le village Tarascan de Paracho est l’un des centres les plus renommés pour la fabrication d’instruments à cordes populaires.
La danse des voladores , ceux qui volent, qui date du VIe siècle de notre ère, est exécutée par de nombreuses tribus d’Amérique centrale et du Mexique. Les Indiens Totonac, Nahua, Tepehua et Otomi la dansent au Mexique et lui attribuent une fonction rituelle de fertilité, selon ce que rapportent les légendes du dieu Soleil des anciens Mexicains: Quetzalcoatl. La musique de l’abattage de l’arbre qui servira de poteau au sommet duquel se déroulera la danse rituelle, celle de la mise en place du poteau, symbole phallique et de fertilité devant l’église du village, et celle qui accompagne «le vol» des danseurs-oiseaux qui descendent du ciel pour fertiliser la terre, est typiquement indienne. Strictement instrumentale, cette musique comprend une série de sones (airs ou mélodies) joués par de petites flûtes à deux ou trois trous, accompagnées de petits tambours à deux peaux. Le jeu simultané, par un même musicien, d’un instrument mélodique à vent (de la famille de la flûte) et d’un tambour-accompagnateur, se retrouve dans toute l’Amérique indo-ibérique.
Les Indiens Tzotzil, qui vivent dans le pays montagneux de l’État de Chiapas et parlent la langue maya, ont développé, sous l’influence des missionnaires dominicains, certaines pratiques harmoniques européennes, comme le chant choral harmonisé et le canon, qui se retrouvent surtout dans les processions religieuses. En outre, la harpe diatonique, composée en général de treize cordes mélodiques et de quatre à six cordes fondamentales, est l’instrument central des ensembles qui participent aux nombreuses festivités sociales. Le chant choral masculin se distingue par l’emploi fréquent du fausset chez les Tzotzil.
L’aire culturelle indigène de l’Amérique centrale qui s’étend du Panamá aux pays bas du Nicaragua, Honduras, jusqu’au Guatemala, comprend les descendants de plusieurs tribus; les Maya-Quiché, les Caribes-Arawak, les Cuna, les Guaymi, les Chocó (au Panamá), les Caribes nègres et les Miskitos, métis d’origine indienne et nègre antillaise. Leurs musiques ont subi divers degrés d’acculturation. Les formes musicales les plus traditionnelles sont associées, en général, aux festivals religieux et aux rites de passage, comme chez les Cuna, le inna suid : cérémonie de la coupe des cheveux des jeunes filles. Les Indiens du Guatemala combinent l’usage d’instruments précolombiens, comme le tun ou tunkul des anciens Maya, les ocarinas et sifflets, employés par les chamanes dans les rites de guérison, la xul , flûte verticale, avec ceux des métis comme la marimba , xylophone, la chirimía , sorte de chalumeau d’origine espagnole, et les instruments à cordes, violon, guitare, mandoline, harpe, pour exécuter les formes acculturées de leur musique.
Bien que les cultures indigènes d’Amériques du Sud présentent une grande diversité, il est possible de distinguer trois catégories générales:
– d’une part, les cultures indiennes de langues quetchua et aymara (descendantes de l’ancien Empire inca) du nord de l’Équateur aux régions septentrionales du Chili et occidentales de l’Argentine;
– d’autre part, les nombreuses tribus des forêts tropicales. Certaines vivent le long de la côte nord du continent sud-américain de la Colombie jusqu’aux Guyanes (par exemple les Goajiro, Motilones et Warao au Venezuela). D’autres se trouvent au bord des grands fleuves; l’Orénoque, l’Amazone et leurs affluents au Venezuela, en Colombie, en Équateur, au Pérou, au Brésil et en Bolivie (parmi elles, les Piaroa et les Yekuana de l’Orénoque, les Tukano et Witoto des fleuves Vaupés et Caquetá, en Colombie, les Jívaros ou Shuares de l’Équateur oriental, les Shipibo et Cocama de l’Amazone péruvienne et les Mojo et Siriono dans le département de Beni en Bolivie). Les tribus indiennes brésiliennes se concentrent dans le parc national du Haut Xingu, au bord de l’Araguaia, en particulier dans l’île du Bananal, et sur le plateau du Mato Grosso; les tribus dont les traditions musicales sont assez bien connues comprennent les Nambicuara, les Kamaiura, les Suya, les Xavante et les Karaja;
– enfin, la troisième catégorie comprend des groupes indigènes assimilés ou en voie d’hybridation, comme les Guarani paraguayens, par exemple.
Dans ces musiques indigènes sud-américaines, on peut distinguer certains traits généraux. Les musiques quichua, aymara ont des mélodies descendantes, tétratoniques et pentatoniques accompagnées de rythmes syncopés; la musique instrumentale prédomine; dans les accompagnements, les rythmes sont réguliers; on y trouve des polyphonies parallèles à distance et tierces et sixtes chez les Quetchua, de quartes, quintes et octaves chez les Aymara ; la musique de danse constitue une quantité considérable des répertoires musicaux, adaptés aux rituels et aux festivités de la vie sociale; la musique autochtone accompagne les fêtes catholiques comme la Fête-Dieu, la Saint-Jean, la semaine sainte, Noël. Les Quetchua conservent la tradition des instruments à vent (flûtes, flûtes de Pan diverses) et à percussion (tambours à deux membranes); ils ont aussi une harpe indigène diatonique, et le charango , qui est une petite guitare de dix cordes, dont la caisse de résonance est souvent faite de la carapace du tatou. Les Aymara demeurent plus fidèles à la tradition organologique précolombienne.
Les musiques des Indiens des forêts tropicales comportent des enchaînement mélodiques de trois à six sons, des mélodies à plusieurs motifs, de courte durée; toutefois, la structure mélodique de ce type de musique est souvent rattachée à la fonction sociale de certains chants ou morceaux. L’usage de micro-intervalles, qui échappent souvent à l’oreille occidentale, est courant. La monodie et la monophonie prédominent. Le rythme est varié: lent et libre pour les cantilènes chamaniques, très mesuré et vif pour les danses. La musique et la mythologie sont inséparables; ainsi, tout ce qui touche à la tradition musicale à valeur synthétique. Le chant sacré est l’élément essentiel des rites de guérison, et le tambour kultrun des Araucan ou Mapuche au Chili et en Argentine représente symboliquement un microcosme relié à la religion animiste indienne. Les musiques des groupes indigènes acculturés reflètent les éléments caractéristiques des groupes avec lesquels elles sont en contact. La musique des Guarani paraguayens, par exemple, est, de nos jours, très influencée par la musique populaire nationale qui préfère les instruments à cordes comme la harpe paraguayenne, les guitares et l’accordéon et les genres musicaux comme la guarania , la polca criolla (chantée aussi bien en guarani qu’en espagnol) qui doivent beaucoup à la tradition créole locale. Plusieurs sociétés indigènes au Brésil, par exemple les Kariri de l’État de Bahia, se sont, de nos jours, intégrées à la culture prédominante du pays. Les musiques de ces groupes ne se distinguent pas nettement de la musique métissée de leur région. En ce cas, les questions ethnomusicologiques de grand intérêt qui peuvent se poser portent sur le degré d’influence probable que les musiques indigènes de ces sociétés auraient pu avoir sur la musique populaire locale. De telles questions n’ont pas été élucidées jusqu’à présent.
3. Les formes acculturées et la musique savante
La seule description des nombreuses formes musicales acculturées des traditions nord-américaines, latino-américaines et afro-américaines serait trop longue. C’est dans l’hybridation que le génie musical de l’hémisphère américain s’exprime de la manière la plus caractéristique. Une vue d’ensemble des musiques métissées du monde hispanique nous rappelle que parmi les formes de chant populaire, dérivées du folklore musical espagnol ou portugais, on rencontre tout d’abord les formes voisines de la ballade espagnole, la romance . Les divers sujets des romanceros ibériens se retrouvent en Amérique latine; les textes poétiques sont plus ou moins intacts, mais les chants qui les accompagnent semblent avoir subi les transformations inévitables de la tradition orale. Les romanceros créoles comprennent le corrido mexicain (suivant la forme décima , de dix vers de structure abbaaccddc, ou le quatrain), la copla , de structure abcb en Colombie, dans les pays andins et en Argentine, la romance et xácara au Brésil. D’autres genres traditionnels de poésie chantée comportent le verso ou canto a lo poeta chilien qui révèle des éléments semblables à certains styles de musique espagnole médiévale, comme l’emploi de certains modes et la pratique des cadences. Le canto a lo humano et le canto a lo divino , suivant que le contenu des textes se rapporte à un sujet humain ou religieux, et les chants religieux populaires, comme les alabados et alabanzas , les villancicos , les chants de Noël, comme les aguinaldos , esquinazos et coplas de Navidad , se retrouvent dans presque tous les répertoires créoles.
C’est toutefois dans la musique de danse que l’univers musical latino-américain se montre le plus singulier. De nombreux sujets religieux sont traités dramatiquement, par des danses théâtrales populaires, comme l’auto sacramental , les pastoris , en Amérique espagnole, et les divers bailados au Brésil où l’on trouve un syncrétisme tout particulier entre la commémoration des saints catholiques et les divinités africaines. La congada , par exemple, est une danse dramatique qui mêle des éléments du théâtre religieux populaire de la péninsule Ibérique (y compris certaines réminiscences de la Chanson de Roland) et certaines traditions afro-brésiliennes, comme le couronnement des rois africains au temps de l’esclavage. Les chants, où dialoguent les solistes et les chœurs pendant toute la représentation, présentent, en général, les caractéristiques de la tradition portugaise, mais de nombreux instruments d’origine africaine accompagnent les danses.
De nombreuses danses latino-américaines conservent des traits chorégraphiques ibériques, comme le battement des pieds (zapateado ) et le claquement des doigts, ainsi que certains rythmes particuliers. La chacarera argentine, par exemple, conserve une structure rythmique dans laquelle les mesures à 6/8 et 3/4 alternent. Les mêmes formules rythmiques dites sesquialtera ou hemiola se retrouvent dans les différents sones (jarocho, huasteco, jalisciense) mexicains, le bambuco colombien et la cueca bolivienne et chilienne. Ils consistent à établir une relation disjointe, polymétrique entre l’accompagnement instrumental et la partie vocale. Le chant de ces danses est très souvent en tierces ou sixtes parallèles, autre héritage hispanique.
La tradition de la musique populaire afro-américaine en Amérique latine est importante surtout au Brésil, au Venezuela, en Colombie, dans les régions du littoral, en Équateur et au Pérou, au Panamá et dans toutes les îles antillaises. C’est dans les répertoires de musique religieuse que les styles africains se conservent d’une façon plus directe. Aussi bien en Haïti, à Cuba, en Jamaïque et à Trinité et Tobago qu’au Brésil, ces religions réalisent leur but liturgique par la musique et la danse rituelle. Les chants rituels, souvent d’échelles pentatoniques semblables à celles de l’Afrique occidentale, s’exécutent de manière homophonique et responsorielle, le chœur est souvent constitué de voix de femmes alors que le soliste peut être un homme ou une femme. À chaque divinité correspond un répertoire de chants sacrés et de rythmes de tambour spéciaux. Les textes de ces chants se présentent en langues africaines (yoruba, fon, kikongo), en langues créoles (le créole haïtien), en espagnol et portugais, ou en un mélange de toutes ces langues. L’un des aspects rituels et musicaux les plus importants est, sans aucun doute, le battement rituel des tambours. Ceux-ci sont consacrés par des cérémonies de «baptême» qui leur sont réservées. Des trois tambours de taille décroissante joués en batterie, le plus grand, au son le plus grave, est battu par le maître-tambourinaire qui détermine, par ses improvisations, le déroulement de la danse cérémoniale. Le maître-tambourinaire conduit, dans une certaine mesure, par sa musique, l’entrée en transe des initiés. Les relations de la musique et de la transe suivent de très près les pratiques religieuses du monde surnaturel africain.
Les relations de la musique traditionnelle et populaire et de la musique savante commencent à se faire sentir vers la fin du XIXe siècle et se développent pleinement dans les œuvres des compositeurs nationalistes entre les années 1920 et 1950. Ainsi, les ballets aztèques de Carlos Chávez, les choros et bachianas brasileiras de Heitor Villa-Lobos et les ballets-gauchos des années 1940 d’Alberto Ginastera. De nombreux compositeurs qui ont d’autres exigences esthétiques ont également contribué au développement de la composition musicale contemporaine de l’Occident.
Encyclopédie Universelle. 2012.