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ANDES (CORDILLÈRE DES)
ANDES (CORDILLÈRE DES)

De toutes les chaînes qui entourent le Pacifique, la Cordillère des Andes est l’élément le plus important, à la fois par sa longueur (8 000 km environ), sa continuité et son extension en latitude sur 660 (de 110 de latitude nord à 550 de latitude sud). Ces montagnes, souvent étroites, notamment dans le sud où elles ne dépassent guère 100 à 150 km de largeur, forment une barrière qui borde l’Amérique du Sud en lisière de l’océan Pacifique. Les Andes recoupent donc les zones équatoriale, tropicale, subtropicale et tempérée. Ainsi, à l’étagement en altitude et aux facteurs habituels d’exposition propres à toutes les montagnes s’ajoute la zonation en latitude qui contribue à multiplier les situations climatiques. La Cordillère est donc un exemple, unique au monde, d’une grande chaîne où l’on trouve tous les climats, à l’exception des climats polaires. Mais les Andes sont d’abord les grandes montagnes de l’Amérique tropicale dont l’étagement permet, sur de courtes distances, les activités agricoles et pastorales les plus diverses, de celles du climat chaud, sec ou humide à celles des zones froides.

Les Andes furent le plus ancien foyer de peuplement du continent et l’un des domaines les plus peuplés de l’Amérique tropicale avant l’arrivée des Espagnols. Elles restent le siège d’une forte paysannerie où subsistent, de l’Équateur à la Bolivie, des masses indiennes qui, cependant, depuis plusieurs décennies, prennent peu à peu le chemin des cités du bas pays. Trois des six capitales andines furent fondées, par les Espagnols au XVIe siècle, à plus de 2 500 m d’altitude: Bogota, Quito, La Paz (cette dernière construite à 3 700 m). À Lima comme à Santiago, villes de piémont, les Andes forment l’arrière-plan des paysages.

De nos jours encore, on regroupe parfois sous la dénomination d’États andins le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et le Chili. La chaîne des Andes est certes présente dans tous ces pays, mais son importance dans les paysages et sa place dans la géographie ne sont pas les mêmes pour les six États. À cet égard, on doit faire la distinction entre les Andes tropicales, anciens foyers de peuplement du continent qui continuaient à rassembler dans les années quatre-vingt 60 p. 100 des populations de la Colombie à la Bolivie, soit une quarantaine de millions d’habitants, et les Andes subtropicales sèches et tempérées d’Argentine et du Chili, montagnes presque vides à proximité de bassins du piémont densément occupés, surtout dans le Chili central. À des degrés divers, comme toute l’Amérique de langue espagnole, ces pays en voie de développement sont sous la houlette des États-Unis.

Ce sont des États «moyens» tant en superficie qu’en population: le Venezuela comptait en 1991 près de 20 millions d’habitants sur 912 050 km2; la Colombie 33,5 millions d’habitants sur 1 138 338 km2; l’Équateur 11 millions d’habitants sur 270 670 km2; le Pérou près de 23 millions d’habitants sur 1 285 215 km2; la Bolivie 7 millions d’habitants sur 1 098 581 km2; le Chili enfin près de 18 millions d’habitants sur 756 945 km2. La croissance démographique est restée forte au cours des dernières décennies (proche de 3 p. 100 dans les pays andins tropicaux, inférieure à ce taux au Chili) et elle s’accompagne d’un gonflement des villes: 85 p. 100 de la population du Venezuela est urbaine, 80 p. 100 de celle du Chili; seule la population de la Bolivie est encore rurale à 50 p. 100. Ces quelque 110 millions d’habitants des pays andins en 1991 sont répartis inégalement dans l’espace: des noyaux densément peuplés voisinent avec des espaces vides. Et si le quotient annuel par habitant du produit national brut (P.N.B.) calculé en dollars est un élément de comparaison entre les États, il rend particulièrement mal compte de l’inégale répartition des ressources entre les habitants. Structures sociales et économiques font de ces États des pays en voie de développement, bien que des mentions particulières doivent être faites à propos du Venezuela, pays pétrolier dont le P.N.B. par tête était en 1989 de l’ordre de 2 500 dollars, et à propos du Chili où il était de 2 000 dollars environ tandis que le Pérou, l’Équateur et la Colombie faisaient partie des pays dont le P.N.B. par habitant se situait aux environs de 1 000 dollars par an, et que, en Bolivie, ce dernier avoisinait les 600 dollars.

1. Données physiques

La genèse

Les Andes sont l’une des guirlandes montagneuses qui s’enroulent autour du Pacifique. Elles sont bordées, dans l’Océan, par des fosses profondes qui forment en quelque sorte le négatif sous-marin des reliefs terrestres. La structure des Andes est très différente de celle des Alpes: les mouvements verticaux l’emportent sur les mouvements tangentiels; les nappes de charriage, importantes dans les Alpes comme dans l’Himalaya, sont ici absentes.

L’interprétation de la genèse de la chaîne andine devient maintenant plus intelligible grâce à la tectonique des plaques. Le dispositif d’ensemble des Andes centrales et méridionales (de 20 de latitude nord à 410 de latitude sud) est celui d’une chaîne «liminaire», c’est-à-dire édifiée sur une marge continentale active où se produit la subduction de la plaque océanique pacifique sous la plaque continentale sud-américaine. Le «cycle andin», marqué par le rapprochement des deux plaques et la subduction de la plaque pacifique sous celle de l’Amérique du Sud commence au Permien il y a 230 Ma (millions d’années). La chaîne andine se construit sur la bordure occidentale «sialique» de la plaque d’Amérique du Sud et sur une chaîne hercynienne qui repose elle-même sur un substratum précambrien métamorphique.

Le cycle andin comporte deux grandes phases: une phase de sédimentation de près de 100 Ma caractérisée par un magmatisme synsédimentaire calco-alcalin et une sédimentation, en partie marine, en partie continentale, qui s’effectue dans des bassins en distension du substratum sialique. Dans les bassins s’accumulent des calcaires, des grès et des quartzites, des pélites qui affleurent actuellement dans les régions centrales des Andes. La deuxième partie du cycle, un peu plus courte mais qui se poursuit actuellement, comporte une succession de phases de compression, donc de plissements, séparées par des épisodes plus longs de distension au cours desquels se mettent en place des batholites entre 100 Ma et 10 Ma, comme celui qui est parallèle à la côte centrale du Pérou. Des bassins subsidents, subparallèles à la marge du Pacifique, situés dans l’intérieur de la chaîne, se remplissent de dépôts terrigènes comme dans les bassins tertiaires de l’Altiplano où l’on mesure 8 000 m de roches détritiques.

Quatre phases majeures de compression se placent au Crétacé terminal, à la fin de l’Éocène, au Miocène et au Pliocène. Les épisodes de distension sont marqués par la surrection des secteurs antérieurement plissés et par un magmatisme calco-alcalin accompagné de phénomènes volcaniques. Corrélativement se développent des aplanissements qui tronquent les reliefs, comme ceux de la «surface d’érosion de la puna», maintenant portée à plus de 4 000 m, et qui s’est élaborée à plusieurs moments, de l’Oligocène au Pliocène.

Il n’y a pas de relations évidentes entre l’orogenèse – processus créateur de relief – et la subduction de la plaque océanique. La géophysique montre que la racine sialique des Andes centrales est particulièrement volumineuse. On peut admettre ici que la surrection est due à des apports de produits légers, du Sial, qui proviennent de la plaque océanique en subduction. La surrection serait donc à mettre en rapport avec la poursuite de la subduction qui s’accompagne d’un volcanisme et d’une séismicité active. Le volume de la chaîne andine est pour l’essentiel mio-pliocène, c’est-à-dire qu’il s’est formé au cours des douze derniers millions d’années. Actuellement des massifs continuent de se soulever, comme la Cordillère blanche, tandis que l’on enregistre des phénomènes localisés de subsidence.

Aux deux extrémités de la chaîne s’effectuent des transitions avec les guirlandes antillaises. Les styles tectoniques changent, mais sont assez semblables au nord comme au sud.

Au nord, en Colombie et au Venezuela, on distingue un secteur oriental construit comme les Andes centrales sur un socle précambrien et paléozoïque et une partie occidentale composée de roches basiques et ultrabasiques, mise en place lors d’une phase de distension morcelant la bordure occidentale du continent. Cette phase pourrait être mise en rapport avec l’ouverture de l’Atlantique Nord entre 180 Ma et 100 Ma, le mouvement relatif des plaques sud et nord-américaines devenant alors le facteur déterminant du développement des Andes septentrionales. Ces roches basiques pourraient soit s’expliquer par une mise en place entre les blocs sialiques disjoints, soit être des éléments d’un panneau du toit de la croûte océanique accolé au continent.

Pour les Andes septentrionales le calendrier n’est pas le même que pour les Andes liminaires: phases à l’Albien inférieur, à l’Éocène inférieur, au cours de l’Oligocène et au Mio-Pliocène. Le plissement migre vers l’est au cours des phases, d’où l’incorporation progressive des zones externes à la chaîne andine. Ici les grandes cordillères bien individualisées de Colombie – orientale, centrale et occidentale – constituent autant de compartiments séparés par des failles subverticales qui jouent parfois en décrochement. Le soulèvement est pour l’essentiel de la fin du Tertiaire et du Quaternaire et s’accompagne de la mise en place des volcans sur la Cordillère centrale dont certains sont encore actifs.

À l’extrémité sud du continent, on retrouve des caractéristiques semblables dans la cordillère de Magellan qui se poursuit dans l’arc de Scotia et rejoint l’Antarctide. Ainsi aux deux extrémités des Andes liminaires à andésites préorogéniques, édifiées sur une croûte sialique, on passe à des systèmes montagneux intermédiaires: les ophiolites et les charriages apparaissent. C’est là une différence fondamentale avec les Andes centrales où les roches vertes sont absentes, où les mouvements tangentiels sont d’une ampleur limitée, mais où en revanche les manifestations volcaniques sont importantes. Autre caractéristique des Andes centrales, l’extension des surfaces planes en haute altitude: plateaux des punas et altiplanos qui se tiennent à plus de 3 500 m, héritages des aplanissements tertiaires et des remblaiements des hauts bassins pris dans le grand soulèvement andin mio-pliocène.

Le relief actuel

Selon la date et l’ampleur des dernières manifestations tectoniques, l’importance du volcanisme récent et la répartition des volumes durs et des volumes tendres, les Andes ont des aspects orographiques très différents.

Les Andes de Merida, au Venezuela, sont un grand voussoir, culminant à 5 000 m, dont l’axe gneissique est flanqué de séries mésozoïques. Elles sont coupées de fossés longitudinaux dont le plus remarquable est celui du Chama. Il semble qu’une partie du soulèvement et, consécutivement, de l’affaissement des dépressions médianes soit quaternaire.

Les Andes colombiennes se divisent, au nord du nœud de Pasto, en trois grands rameaux qui s’épanouissent en éventail vers le nord. Ils sont séparés par de grandes vallées qui s’élargissent en plaines débouchant dans la mer des Caraïbes.

En Colombie, l’orographie ne coïncide pas avec les grandes divisions structurales, où l’on distingue deux secteurs: le secteur oriental et le secteur occidental.

La Cordillère orientale est formée de séries paléozoïques coupées de batholites qui affleurent surtout sur le flanc de la montagne ployée par la flexure qui domine les Llanos . Le Paléozoïque est recouvert en discordance par des couches secondaires et tertiaires sédimentaires, ployées en larges synclinaux séparés par des anticlinaux étroits et cassés. Les cuvettes synclinales sont parfois remplies de dépôts lacustres plio-quaternaires, comme dans la haute plaine de la «savane» de Bogota. Les mouvements verticaux sont ici d’une grande ampleur; ils dépasseraient 2 000 m depuis le Pliocène.

La vallée de la Magdalena, installée dans une dépression subsidente, où des sédiments tertiaires sont localement plissés, sépare la Cordillère orientale de la Cordillère centrale.

Celle-ci comporte un domaine structural oriental et un domaine structural occidental. Au premier appartient un socle composé des séries sédimentaires et volcaniques, plissées, métamorphisées et coupées de batholites. De grands volcans récents qui constituent, à plus de 5 000 m, les plus hauts sommets de la Cordillère, sont posés sur ce socle. Les chaînes plissées dans un matériel tendre, flysch et marnes, appartiennent au domaine occidental.

La Cordillère occidentale, plus basse, est un vaste anticlinorium, parfaitement linéaire. Dans son axe, des roches triasiques sont traversées de diorites; par ses traits structuraux, cette chaîne externe est plus proche des chaînes du domaine caraïbe que de celle du domaine andin. À l’ouest du syndical de l’Atrato, la Cordillère de la côte se présente plus comme un alignement de collines où affleurent des roches sédimentaires du Crétacé au milieu du Tertiaire que comme une chaîne continue; c’est un avant-pays qui se raccorde aux reliefs de l’Amérique centrale.

L’une des caractéristiques des Andes colombiennes reste l’existence de grandes vallées intramontagneuses qui s’élargissent en vastes plaines dont les altitudes sont inférieures à 500 m. Ce sont les vallées de la Magdalena, du Cauca, du San Juan et de l’Atrato qui sont généralement des secteurs subsidents entre des montagnes en exhaussement. À l’intérieur même des Cordillères, des bassins de quelques centaines de kilomètres carrés constituent des secteurs privilégiés pour l’occupation humaine. La sabana de Bogota en est un exemple.

Entre le nœud de Pasto, en Colombie, et le col du Porcullo dans le nord du Pérou, les Andes qui traversent la république de l’Équateur sont formées par deux axes montagneux couronnés de grands volcans plio-quaternaires. Ils sont séparés par une dépression centrale, élevée, mais morcelée en une série de bassins tapissés de cendres facilement ravinées. Les épanchements volcaniques masquent une grande partie du soubassement où l’on retrouve des séries paléozoïques plissées et métamorphisées, surtout dans la Cordillère orientale. Ces séries sont recouvertes en discordance par des grès et des calcaires du Mésozoïque qui, plissés à la fin du Secondaire, ont été localement aplanis au Tertiaire avant d’être ennoyés sous les laves et les cendres. Le Quaternaire a vu se transformer la physionomie des Andes équatoriennes. Les grands appareils volcaniques se construisent (Chimborazo, Cotopaxi); des blocs se soulèvent, d’autres s’affaissent.

Les Andes centrales péruano-boliviennes sont plus larges au sud qu’au nord, plus élevées et massives également. Elles ont leur ampleur maximale en Bolivie (400 à 500 km de large) et les points les plus bas de l’Altiplano se trouvent encore à 3 600 m. Au sud du 8e parallèle austral, aucun col ne permet le franchissement à moins de 4 000 m. La barrière andine est ici sans créneau. En revanche, entre le 5e et le 8e parallèle, les sommets ne dépassent qu’exceptionnellement 5 000 m et des brèches s’ouvrent dans la montagne à moins de 3 000 m. Vers l’ouest, les plis calcaires et gréseux se succèdent comme des tuiles sur un toit incliné vers le Pacifique; à proximité de l’Océan, ils sont traversés par des grano-diorites crétacées. Dans la partie médiane alternent des plateaux gondolés, des bassins et des vallées profondément encaissées, comme celle du Marañon, immense coupure complexe qui tranche les Andes sur 500 km de longueur du sud - sud-est vers le nord - nord-ouest. Dans la vallée affleurent peut-être les éléments précambriens, mais surtout le géanticlinal paléozoïque revêtu, par plaques, d’une couverture mésozoïque. À l’est de la rivière, des cuvettes et des montagnes aux formes lourdes sont dominées par des barres orientées.

Les Andes, à la latitude de Lima, comprennent de hauts plateaux creusés de bassins tapissés de dépôts quaternaires, des chaînons orientés dans le Paléozoïque à l’est, des plis calcaires échelonnés à l’ouest, ou des blocs à noyau cristallin comme la Cordillère blanche qui aligne sur 150 km des sommets dont une quinzaine dépassent 6 000 m. Les plateaux centraux sont généralement couronnés par la surface d’érosion de la puna qui recoupe les plis de la couverture mésozoïque ou les volumes paléozoïques. Les vallées, souvent profondes de 2 500 m, en forme de V, s’enfoncent, sur le versant pacifique, dans une couverture volcanique tertiaire, dans les plis des séries secondaires et dans un long batholite qui date de la fin du Crétacé, sur le flanc amazonien, dans les séries paléozoïques coupées de masses granitiques. À l’est de la grande flexure qui limite les Andes vers l’Amazonie, on trouve les chaînes préandines, anticlinaux étroits et dômes cassés séparés par de très amples cuvettes où se sont entassés au cours du Tertiaire des milliers de mètres de sédiments pélitiques et de grès rougeâtres tendres. Dans le sud du Pérou, la grande montagne est précédée en lisière du Pacifique par un bourrelet faillé, morcelé, où affleurent des éléments précambriens, paléozoïques et jurassiques. Cette «Cordillère de la côte» qui se poursuit au Chili est généralement séparée de la flexure qui limite les Andes à l’ouest par des bassins de piémont remplis de dépôts détritiques continentaux arrachés aux Andes à la fin du Tertiaire et au Quaternaire, et interstratifiés de cinérites. Parfois le fond des cuvettes est tapissé de séries marines tendres de l’Oligo-miocène.

Les Andes proprement dites comprennent:

– une Cordillère occidentale , couronnée de grands volcans et tapissée de laves. Son soubassement est formé de séries sédimentaires et volcaniques mésozoïques plissées, pénétrées de batholites. L’ensemble s’est soulevé en un immense bombement mio-pliocène;

– une Cordillère orientale où les principaux massifs couverts de glaciers au-dessus de 5 000 m sont formés de schistes paléozoïques, de granites ou de rhyolites. Ces hautes montagnes dominent des plateaux disséqués où la surface de la puna ne subsiste qu’à l’état de lambeaux. Les massifs culminants sont-ils des horsts ou des reliefs résiduels? La réponse paraît varier selon les cas. La flexure orientale, qui ploie de très importantes masses schisteuses paléozoïques, est flanquée, à l’est, de chaînons étroits séparés, en Bolivie, par des cuvettes qui s’allongent parallèlement aux Andes; ce sont là des reliefs d’avant-pays;

– des plateaux centraux , à plus de 4 000 m, volcaniques à l’ouest, où affleurent des séries sédimentaires à l’est, encadrent une haute plaine, large de 150 km en Bolivie. Cet altiplano est tapissé de dépôts lacustres et fluviatiles quaternaires; c’est, au point de vue structural, une zone de subsidence où se sont entassés au cours du Tertiaire des milliers de mètres de sédiments en alternance sur les marges, avec des coulées volcaniques.

Ces séries ont été vigoureusement plissées, avec des déversements locaux. Les plus grandes profondeurs du lac Titicaca correspondent à un fossé d’effondrement. Dans le secteur méridional de ce vaste bassin endoréique, les eaux se perdent dans des lagunes salées.

Les Andes chiléno-argentines, orientées du nord au sud sur près de 4 000 km, s’amincissent dans la partie méridionale du continent; elles sont plus étroites, plus morcelées et plus basses en Patagonie qu’au niveau de Santiago. La barrière est ici particulièrement impressionnante. Les crêtes, aux formes lourdes bien qu’aérées par des criques glaciaires, culminent à 7 000 m à l’Aconcagua. La retombée des montagnes du côté pacifique est brutale; elle est cependant burinée par des vallées encaissées qui débouchent dans des plaines de piémont allongées parallèlement à la chaîne. Ces dépressions préandines sont séparées de l’Océan par une Cordillère de la côte, constituée de plateaux étroits et faillés. Sur le versant argentin, les bassins de piémont sont étendus. Ils sont séparés de la Pampa par des massifs, dont les uns sont des chaînons plissés, continuation méridionale des précordillères boliviennes, les autres les restes d’une chaîne hercynienne oblique à la direction méridienne des Andes.

Dans les Andes chiliennes, on retrouve des granites d’âges divers, paléozoïques, jurassiques, crétacés et même tertiaires, des séries paléozoïques plissées et métamorphisées, une importante dalle porphyritique jurassique et des calcaires mésozoïques. La plupart des grands sommets sont des volcans, du Sajama à l’Osorno. Les fréquents tremblements de terre témoignent de l’instabilité tectonique actuelle de cette région du monde où l’on trouve les plus grandes dénivellations entre la ligne de faîte des cordillères et les grands fonds océaniques.

Le sud des Andes comporte encore des montagnes aux formes vigoureuses comme le Fitz Roy, flamme granitique qui, bien qu’il ne dépasse guère 3 000 m, fait figure de très grande montagne. Mais les sommets ne sont plus ici, comme dans les Andes tropicales, posés sur un socle de plateaux élevés. Les Andes se terminent dans le Pacifique par une série de couloirs d’effondrement. Des lacs, mitoyens entre l’Argentine et le Chili, sont à des altitudes voisines du niveau de la mer.

En Terre de Feu, les derniers chaînons andins, accolés aux bas plateaux qui les flanquent au nord, ont une direction ouest-est. C’est l’amorce de la grande virgation jalonnée par les îles Sandwich, les Shetland du Sud, et qui s’achève en terre de Graham sur le continent antarctique.

Mais l’originalité de cette extrémité méridionale des Andes est plus climatique que structurale; ce sont, surtout dans le sud du Chili, des montagnes humides, fraîches et ventées.

2. Variété écologique et morphoclimatique

La structure, lato sensu , donne aux montagnes leur volume, mais ce sont les climats et la végétation qui marquent leurs empreintes sur le modelé, qui apportent les éléments colorés, facteurs importants dans l’individualisation des paysages. Or, on l’a vu, les Andes, aux latitudes intertropicales et moyennes, baignent dans des climats très différents. On peut y distinguer: les Andes fraîches et humides du sud du Chili, les Andes sèches tropicales et subtropicales, les Andes tropicales et équatoriales arrosées. À ces grandes divisions il convient d’ajouter les différences dues à l’étagement en altitude et à la position.

Les Andes fraîches et humides du sud du Chili

La côte, orientée nord-sud comme les reliefs montagneux, reçoit de plein fouet les vents d’ouest qui soufflent presque toute l’année. Le sud des Andes est sur la trajectoire des dépressions qui suivent les oscillations du front polaire. L’extrême Sud, pourtant situé à des latitudes comparables à celles de l’Angleterre, a une température moyenne annuelle qui ne dépasse guère 5 0C; les hivers sont neigeux et venteux, les étés restent frais et humides. Des glaciers, bien qu’en recul, peuvent s’accrocher sur les reliefs de plus de 1 000 m. Certains s’étalent en glaciers de piémont, réponse australe au glacier de Malaspina de l’hémisphère Nord. Les lacs, qui occupent des cuvettes creusées par les glaciers quaternaires ou des dépressions tectoniques réaménagées par la glace, sont très nombreux. Les tourbières ont une grande extension. C’est aussi le début du domaine de la forêt à Notofagus (hêtres du continent américain); les arbres, dans le Sud, sont rabougris et courbés par le vent. Lors des éclaircies dans la grisaille des brumes, le paysage peut être somptueux: montagnes travaillées par les glaciers, les lacs et fjords, basses forêts ou prairies. Le versant argentin est plus à l’abri; il est plus sec et froid en hiver, mais la chaleur estivale y est plus marquée.

Au nord du 45e parallèle, les températures sont plus élevées, les précipitations moins constantes et les vents moins violents. C’est le secteur de la grande forêt tempérée australe, à Notofagus et Araucarias . Mais cette forêt est en voie de destruction et cède le pas aux pâturages à moutons. Des volcans comme l’Osorno se dressent au-dessus des collines et dépressions de la frange pacifique.

Courte transition entre le Chili humide et frais et le Chili subtropical aride, la partie centrale du pays bénéficie d’un climat méditerranéen. Les pluies, dans la dépression de Santiago qui n’en reçoit que 350 mm, tombent entre mai et septembre, c’est-à-dire en hiver. À la même époque, au-dessus de 2 000 m, la montagne se couvre d’une couche de neige qui permet la pratique du ski (Portillo). Mais, dans ces montagnes déjà sèches, les glaciers se tiennent généralement au-dessus de 3 500 m. À 3 800 m, sous le 35e degré de latitude sud, la température moyenne annuelle est de 漣 1 0C; elle s’abaisse en juillet à 漣 8 0C.

Les Andes intertropicales

Dans les Andes intertropicales on insiste souvent avec raison sur l’importance de l’étagement qui est particulièrement développé en raison de l’ampleur du volume montagneux et des températures élevées à la base de la montagne. On trouve toute la gamme des situations liées au froid et au chaud, au sec et à l’humide, au pentu et au plat, d’où une grande diversité d’écosystèmes.

Les étages classiquement reconnus sont: l’étage chaud, où les températures moyennes annuelles sont supérieures à 22 0C, de 0 m à 800-1 000 m; l’étage tiède, de 800-1 000 m à 1 600-1 800 m (températures entre 22 0C et 18 0C); l’étage tempéré (températures entre 18 0C et 14 0C) de 1 800 m à 2 800 m; l’étage frais (températures entre 15 0C et 10-12 0C) de 2 800 à 3 600-3 700 m; l’étage froid de 3 600-3 800 m à 4 500-4 800 m dont les températures moyennes annuelles sont comprises entre 10 0C et 4-6 0C, où les gelées sont fréquentes pendant la saison sèche; enfin l’étage cryonival, où par suite du froid (gel quasi quotidien pendant l’année, température moyenne annuelle inférieure à 4-5 0C) la végétation est pratiquement absente.

Chaque étage a une ampleur altitudinale comprise entre 800 m et 1 000 m. Y correspondent des formations végétales adaptées au climat et aux conditions édaphiques et donc des conditions de mise en valeur agricole particulières. Cependant la quantité des précipitations, leur répartition selon les saisons et les teneurs en humidité de l’air introduisent des différences importantes dans les milieux naturels, qui s’additionnent à celles de l’étagement, d’où la distinction faite dans la zone intertropicale entre les Andes sèches et les Andes humides.

Les Andes sèches, tropicales et subtropicales

Les Andes sont coupées, transversalement, entre le 4e et le 30e parallèle, par une bande sèche qui longe la côte pacifique du Pérou et du Chili, prend en écharpe les Andes occidentales et méridionales de Bolivie, et se termine dans les bassins du piémont argentin entre les 25e et 30e parallèles.

L’anticyclone du Pacifique Sud, d’où soufflent les alizés qui balaient le littoral péruvien, est l’un des facteurs de cette sécheresse, caractéristique des façades occidentales des continents subtropicaux. Mais nulle part au monde on ne trouve un désert ayant une pareille extension en latitude. La présence de courants froids le long de la côte, liée à la remontée d’eaux profondes à proximité du littoral et à leur dérive sous l’action des vents, contribue au maintien d’une anomalie thermique négative qui, à Lima, sous le 12e degré de latitude sud, est de 6 à 7 0C. Compte tenu de l’extension en latitude, les températures ne varient guère entre le 10e et le 20e parallèle.

Plusieurs secteurs doivent être distingués. Le désert côtier, brumeux, ponctué d’oasis de brouillards temporaires, les lomas , et coupé par les oasis accompagnant les rivières allogènes venues des Andes, passe au nord, dans le Piura, à un «sahel» équatorial, tandis qu’à plus de 3 500 km au sud il se termine dans le «Norte chico» par un sahel méditerranéen. Dans la montagne, l’aridité, sur la face occidentale, est particulièrement marquée dans le coude péruano-chilien. C’est le cas pour le désert d’Atacama, situé juste sous le tropique du Capricorne. Au Pérou, le volcan Misti, qui culmine à près de 6 000 m et dont le sommet a une température moyenne annuelle de 漣 6 0C, est dépourvu de glaciers permanents par suite de l’indigence des précipitations nivales et de la sublimation dans un air raréfié et très sec. Les plateaux du Sud, entre 4 000 et 5 000 m, sont parsemés de buissons résineux; c’est la steppe à tolars et à yaretas . La limite du désert s’abaisse vers le nord; elle se trouve à 2 000 m environ au-dessus de Lima, et n’est plus qu’à 500 m sous le 5e degré de latitude sud.

Les plateaux des Andes centrales ont un climat tropical d’altitude, caractérisé par de très faibles variations des moyennes thermiques mensuelles et du rythme saisonnier des précipitations: la saison de pluies, l’«hivernage», se place entre novembre et avril, au moment du passage dans l’hémisphère Sud de la zone des basses pressions équatoriales qui suit le mouvement apparent du soleil. Les contrastes de températures sont faibles pendant l’hivernage; en revanche, pendant la saison sèche, caractérisée par un bon ensoleillement, un rapide échauffement diurne succède aux nuits froides. À 4 300 m, sous le 11e parallèle austral, Cerro de Pasco a des températures moyennes annuelles de 6 0C, tandis qu’à Huancayo, à 3 300 m, elles sont de 12 0C environ. Les précipitations sont de 1 000 mm à Cerro de Pasco, de 600 mm seulement dans le bassin abrité de Huancayo. Entre 3 800 et 4 800 m, la formation végétale caractéristique est la steppe herbeuse de la puna dont les graminées, les fétuques et les poas ont des feuilles rêches, cellulosiques, résistantes au froid et à la sécheresse. La couverture nivale saisonnière est absente. Selon l’exposition et l’ampleur du volume montagneux, la limite des glaciers s’établit entre 4 800 et 5 200 m.

Les Andes tropicales et équatoriales humides

La façade orientale des Andes, du Béni en Bolivie au Venezuela, est chaude et arrosée. Les Andes, de l’Équateur à la Cordillère de Merida, sont plus humides que les Andes péruano-boliviennes. L’aridité de la façade pacifique disparaît en Colombie pour faire place, dans l’Atrato, à l’un des secteurs les plus arrosés du monde (entre 6 et 8 m de précipitations annuelles). Les flancs des montagnes, jusqu’à 3 000 m, sont couverts d’une forêt dense; l’étage supérieur de cette forêt d’altitude est celui de la selva nublada , lacis impénétrable de bambous retombants, de fougères arborescentes et de lianes. Au-dessus, c’est le paramo , prairie humide où les tourbières sont fréquentes; les plantes les plus caractéristiques sont les frailejones (espeletia ). Les précipitations sont plus abondantes sur le paramo que sur la puna . Ainsi, à 3 600 m, celui de Sumapaz, proche de Bogota, reçoit 2 500 mm de pluie par an; il baigne la majeure partie de l’année dans des brumes. Les gelées ne sont pas très fortes par suite de l’intense humidité, mais les températures maximales s’élèvent rarement au-dessus de 10 0C. Les glaciers, peu importants, sauf sur les grands volcans d’Équateur, et de Colombie ou dans le massif de Santa Marta qui se dresse à 5 700 m à proximité des Caraïbes, se tiennent généralement au-dessus de 4 800 m.

Cependant, la pluviosité, dans l’ensemble plus forte et mieux répartie que dans les Andes tropicales du Sud, n’exclut pas la persistance de secteurs secs dans les bassins et vallées sous le vent. Ainsi, dans la vallée du Chama, Lagunillas est dans le domaine steppique; on en trouve bien d’autres exemples dans les vallées colombiennes. Le long du littoral caraïbe, la Guajira est, sinon un vrai désert, du moins un sahel à la maigre végétation d’épineux.

Les systèmes d’érosion

Les systèmes d’érosion agissant sur les Andes peuvent être classés en plusieurs familles:

– dans la moyenne montagne tropicale humide (entre 1 000 et 3 000 m) couverte de forêts denses, selva alta et selva nublada , les processus d’action chimique (lessivage des éléments mobiles, décomposition des roches) sont prédominants quand la pente n’est pas trop forte. Les éléments les plus actifs dans l’élaboration du modelé, dès que la pente dépasse une vingtaine de degrés (ce qui est fréquent dans les vallées étroites qui entaillent les montagnes), sont les glissements par paquets, les ravinements qui griffent les pentes et se raccordent vers le bas à des gorges;

– dans la moyenne montagne sèche, les ravinements sont particulièrement redoutables en raison de la faiblesse de la couverture végétale et de l’intensité des averses. Ces dernières peuvent déclencher des coulées torrentielles qui s’étalent dans le fond des vallées. L’action de l’érosion est facilitée dans bien des cas par le broyage des volumes rocheux dû à la tectonique. Des éboulements sont parfois provoqués par des secousses séismiques;

– à plus de 4 000 m, le gel est encore actif dans les Andes tropicales, mais c’est un gel quotidien et non pas saisonnier. Il contribue dans les hautes Andes à l’extension des champs de boue labourés par des «pickrakes» que l’on trouve en Bolivie à la limite supérieure de la végétation. Cependant, la gélifraction actuelle est surtout active dans la haute montagne non englacée, au-dessus de 4 700 m. Dans la zone intertropicale, les façades rocheuses tournées vers l’est, soumises au gel nocturne et au dégel matinal, libèrent des fragments rocheux qui s’accumulent en talus d’éboulis mobiles au pied des parois (Andes centrales). Les actions nivales sont en revanche très limitées en comparaison de celles que l’on trouve dans les montagnes de latitudes moyennes (sud du Chili). Les glaciers, qui sont souvent des résidus des périodes plus froides et humides, flottent dans des moraines trop amples. On distingue les glaciers «de calottes» qui coiffent les sommets arrondis ou coniques (grands volcans), des glaciers «de parois», qui dans la Cordillère blanche, plombent des faces occidentales inclinées à plus de 750; on trouve quelques glaciers «de cirque». Cependant, à la différence des glaciers des Andes tempérées, ceux des montagnes tropicales ne se prolongent guère par des langues glaciaires.

La plupart des actions morphologiques actuelles s’exercent sur des formations détritiques, mises en place au cours du Quaternaire et héritées des crises climatiques des deux derniers millions d’années.

Les héritages quaternaires

Dans toutes les montagnes, depuis le niveau de la mer dans le sud du Chili, jusqu’à 3 500 m dans les Andes tropicales, on relève les traces de plusieurs glaciations. La plus ancienne, qui a revêtu, dans les Andes centrales, la forme d’une glaciation de plateau, date du Quaternaire ancien. Ses dépôts sont généralement altérés ou encroûtés. Les glaciations plus récentes ont été d’une moindre ampleur. Plusieurs poussées glaciaires se sont marquées par autant de constructions d’arcs morainiques dont l’altitude est de plus en plus élevée à mesure que l’on s’approche de l’Actuel. À chaque phase froide et humide (de 5 à 8 0C en dessous des moyennes annuelles d’aujourd’hui dans les Andes tropicales, avec des précipitations mieux réparties dans l’année) correspondait la progression des glaciers; à l’étage inférieur ou dans les domaines plus secs, la gélifraction contribuait à la construction de nappes d’éboulis, de grèzes ; les mouvements de solifluxion, les glissements de terrain, amorces souvent de coulées torrentielles, étaient d’une autre ampleur qu’à l’époque actuelle. Les rivières, dont les débits étaient pourtant accrus et plus soutenus que maintenant, déposaient leurs alluvions dans le fond des vallées et dans les bassins, la charge venue des versants augmentant plus rapidement que la capacité de transport.

Les «interglaciaires» se marquaient, dans les Andes tropicales, par le retour au rythme saisonnier des précipitations avec peut-être des températures moyennes plus élevées que de nos jours. Les dépôts des périodes froides pouvaient s’altérer (rubéfaction des sols et formation d’argiles, désagrégation des galets); dans les secteurs où les eaux sont calcaires, on note d’importants encroûtements. Les rivières, moins alimentées en charge solide que dans la période antérieure, entaillent en terrasses les remblaiements.

Dans les piémonts, on a ainsi un jeu complexe de phases de remblaiements et d’érosion (formation de glacis ou incisions linéaires).

Presque partout dans les Andes et sur leurs bordures, on constate cette alternance des phases d’accumulation et d’érosion, d’une ampleur décroissante à mesure qu’on se rapproche de l’Actuel. C’est ainsi que du Venezuela au bassin de Santiago, J. Tricart enregistre quatre phases d’accumulation correspondant aux pluviaux et aux glaciaires. Les nappes d’accumulation les plus anciennes ont généralement un matériel altéré, surtout dans les piémonts humides et chauds; elles peuvent être faillées ou déformées par une néo-tectonique.

Ces dépôts ont pu aussi s’entasser dans des fosses subsidentes (au nord de Lambayeque au Pérou, bassin de Santiago au Chili) ou bien être portés par des mouvements tectoniques à des dizaines, parfois même des centaines de mètres au-dessus des secteurs où ils s’étaient mis en place.

Dans l’analyse des formes, il convient de ne pas oublier la vigueur des incisions linéaires des rivières, qui s’attaquent aux volumes montagneux récemment soulevés. Certaines gorges andines sont parmi les plus belles du monde. Il suffit d’évoquer celles de l’Urubamba entaillant les granites de Machupicchu.

Dans le sud du Chili, la reconstitution de l’histoire quaternaire est particulièrement délicate en raison de l’interférence d’une série de facteurs. Le long du littoral, le jeu mondial des variations eustatiques se combine ici avec un relèvement isostatique consécutif à la disparition des calottes glaciaires quaternaires couvrant le sud du continent. Il s’y ajoute des actions tectoniques pratiquement constantes.

Ces modifications climatiques dont les témoignages se lisent partout dans les paysages andins ont influencé également les débuts de l’occupation humaine de ces montagnes.

3. Les modalités de l’occupation du sol

Les Andes tropicales sont le plus ancien foyer de peuplement humain actuellement connu de l’Amérique du Sud. Elles ont été le cadre de certaines des civilisations précolombiennes les plus élaborées. Aujourd’hui encore, on y trouve des densités rurales particulièrement élevées. Mais elles sont, pour les États andins, des secteurs en perte de vitesse.

Un ancien foyer de peuplement

L’existence des hommes dans les Andes est attestée sûrement depuis 14 000 ans. Les témoignages d’une présence plus ancienne sont plus incertains, bien que des préhistoriens affirment que des groupes nomadisaient dans les montagnes il y a 22 000 ans. De nouvelles découvertes ne sont pas à exclure, qui repousseraient de plusieurs millénaires l’ancienneté de la présence humaine dans les Andes.

Selon certains, une première phase d’occupation s’étendrait de 22 000 B.P. à 14 000 B.P. (before present , c’est-à-dire avant 1950) et correspondrait à une période marquée par plusieurs pulsations glaciaires dans la haute montagne. Elle serait caractérisée par l’absence de fines pointes bifaciales fréquentes dans les phases plus récentes. On trouve ainsi à Garzon, en Colombie, des choppers grossiers associés à du megatherium (paresseux géant) et à du mastodonte. Au Pérou, à Pikimachay près d’Ayacucho, une industrie à choppers et éclats, associés à du megatherium et à du cheval est datée par le carbone 14 de 20 000 B.P. Cependant les associations avec de la faune fossile sont parfois sujettes à caution. En revanche à partir de 14 000 B.P., c’est-à-dire après la dernière grande poussée glaciaire, les traces sont plus nombreuses, du Venezuela au Pérou; il s’agit d’abris ou de grottes où des industries lithiques sont associées à de la faune et des structures telles que des foyers. Des sites de chasseurs, de collecteurs et de pêcheurs existaient sur la côte. Sur les punas la faune de cervidés, d’auquénidés (lamas), de rongeurs était abondante. Le long du littoral, qui se trouvait plus à l’ouest par suite de la régression eustatique, coquillages, mammifères marins et poissons pouvaient être récoltés et pêchés tandis que des escargots étaient ramassés sur les lomas (oasis de brume) voisines. À partir du VIIe millénaire B.P., les sites se multiplient: dans les abris-sous-roche des Andes, les ossements des camélidés l’emportent sur ceux des cervidés et annoncent probablement les débuts de la domestication des auquénidés. On trouve dans une grotte du Callejon de Huailas des restes d’un haricot qui était peut-être cultivé au VIe millénaire. À partir de 5 000 B.P. on relève dans l’étage tempéré, en dessous des punas , des témoignages de la consommation de pommes de terre, d’olluco (Ullucus tuberosus ), peut-être de quinoa (Chenopodium quinoa ) et d’un maïs très primitif. Dans les étages tièdes, haricots, tomates et coca commencent à être plantés. Les premières cultures étaient faites au bâton à fouir, dans les terres légères des versants faiblement couverts de végétation.

Entre le second et le premier millénaire avant notre ère, les grandes composantes des systèmes agraires, tels qu’ils se maintiendront jusqu’au XVIe siècle, se mettent en place. Dans les Andes tropicales apparaissent les premières irrigations, fondées sur la dérivation des torrents et la distribution de l’eau sur des terrasses, les andenes , soutenues par des murs de pierre. Au pied des Andes, dans le désert côtier, les lits d’inondation sont cultivés après les crues d’hivernage. De l’eau est puisée dans les nappes phréatiques des vallées secondaires jusqu’à ce que l’accroissement de la population et le perfectionnement des techniques d’irrigation et d’aménagement des terres permettent la mise en place des grands périmètres d’irrigation utilisant l’eau des fleuves les plus importants, dont le maïs est la culture principale. Le coton, récolté dans les étages chauds et tièdes, est tissé. Les calebasses cessent d’être les uniques récipients quand apparaît la poterie. On commence à savoir fondre les minerais de cuivre, d’argent ou d’étain; on fabrique des objets de bronze. Les tacclas , bêches andines, permettent de retourner la terre dont les mottes sont brisées à la masse. La pierre taillée, et notamment l’obsidienne, reste l’outil le plus utilisé pour couper et trancher.

Dès les débuts de l’agriculture, mais probablement bien avant, des échanges s’établissent entre côte, montagne et forêt. Les groupes humains sont mobiles et savent tirer parti de la diversité des ressources des écosystèmes répartis sur l’ensemble des montagnes et de leurs piémonts. À noter que les steppes d’altitude sont faciles à parcourir, que les distances sont réduites d’une oasis à l’autre sur la côte du Pérou actuel – quelques dizaines de kilomètres – et qu’en quelques jours de marche à pied on peut accéder aux plateaux andins en partant de la côte ou des collines du piémont forestier à l’est des Andes tropicales. Et dans la haute montagne tropicale on n’a pas à affronter les difficultés d’une couverture nivale comme dans les montagnes des latitudes moyennes pendant l’hiver. Donc des milieux «perméables» à de petits groupes d’hommes sachant le parti que l’on peut tirer des diverses ressources. L’altitude ne constitue une contrainte physiologique sérieuse qu’au-dessus de 3 500 m. On constate d’ailleurs chez les populations installées depuis plusieurs millénaires sur les hauts plateaux comme les Aymaras en Bolivie des traits adaptatifs: cage thoracique plus développée, muscle cardiaque puissant. L’altitude n’a, semble-t-il, jamais constitué un obstacle décisif à l’occupation et au peuplement des hautes terres, exploitées jusqu’aux limites supérieures de la végétation, c’est-à-dire jusqu’à 4 600-4 700 m dans les Andes tropicales sèches.

Les Andes tropicales constituent des foyers de peuplement, car elles offrent de bonnes possibilités pour l’étagement des cultures et pour l’élevage; elles sont généralement moins malsaines que les plaines tropicales. Les animaux indigènes, lamas et alpacas, vivent jusqu’à 5 000 m; les bêtes venues d’au-delà des mers s’adaptent généralement à l’altitude. Dans les Andes sèches, des troupeaux de moutons et de bovins parcourent la puna , et l’on sait le rôle joué dans l’histoire économique de la colonie par les caravanes de mules. Des champs de pommes de terre sont travaillés à 4 100 m; l’orge peut être récoltée jusqu’à 4 000 m, le blé jusqu’à 3 800 m, et le maïs pousse encore à 3 500-3 600 m. Ces limites maximales s’abaissent de quelques centaines de mètres dans les montagnes humides.

Dans les Andes tropicales, la vie agricole est rythmée par les précipitations. La saison humide, aux températures quotidiennes moins contrastées, est celle de la croissance des plantes; les semailles se font au début de l’hivernage, et les récoltes lors de la transition avec la saison sèche. Celle-ci est marquée par l’interruption des travaux des champs, à cause de la sécheresse et aussi des gelées nocturnes au-dessus de 3 200 m. Cependant, le calendrier agricole peut être allongé, grâce à une irrigation complémentaire par des rigoles creusées à flanc de versant.

Les Andes tropicales ont donné naissance à quelques-unes des plus brillantes civilisations précolombiennes. Un peu avant notre ère, c’est la période chavin dans les montagnes péruviennes, avec la construction de villes et de forteresses; au Xe siècle, c’est la civilisation tihuanaco , particulièrement développée autour du lac Titicaca. À partir du XIIIe siècle, c’est l’expansion de l’Empire inca dont le centre se trouvait à Cuzco; à l’arrivée des Espagnols, il s’étendait de la Colombie au rio Bio Bio dans le Chili central et débordait sur les deux piémonts de la montagne. Cet empire centralisé, s’appuyant sur un bon système de communications (chemins dallés suivant les crêtes et parcourus par des coureurs), sur l’utilisation d’une langue administrative unique, le quetchua , et sur une comptabilité précise, était en voie d’éclatement lors du débarquement à Tumbes, en 1532, de Pizarre et de sa petite troupe.

Dans l’actuelle région de Bogota, les Chibchas constituaient une paysannerie vigoureuse et cohérente.

La conquête espagnole

Au début du XVIe siècle, il semble que les Andes aient été plus peuplées qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les contacts entre colonisateurs et colonisés se sont accompagnés de la diffusion d’épidémies, notamment de variole, qui décimèrent les populations.

L’Espagne s’est solidement implantée dans les Andes. La conquête et l’organisation des vice-royautés et intendances se sont accompagnées de la mise en place d’un quadrillage administratif à partir d’un semis de villes fondées ou réaménagées par les conquérants. Les Espagnols trouvaient dans les Andes des températures adaptées aux plantes et animaux qu’ils apportaient d’Europe (blé, orge, moutons, vaches, chevaux, etc.). Aux étages tempérés et froids de la montagne tropicale, ils pouvaient pratiquer une agriculture et un élevage de type européen. Et c’est dans les Andes que se trouvaient les mines d’argent qui firent, un temps, la richesse de l’Espagne. Il suffit de penser à Potosi dans le haut Pérou.

L’affrontement entre les conquérants et les Indiens donna naissance à de nombreuses formes de métissage et de syncrétisme. Malgré l’évangélisation des populations indiennes, les rites agraires précolombiens subsistent, sous le voile du catholicisme. Dans les villages construits selon le modèle castillan, les paysans maintiennent leurs coutumes indiennes. Deux conceptions de la propriété foncière s’opposent. L’appropriation commune du sol par la collectivité rurale n’exclut pas l’exploitation individuelle. Mais les communautés doivent se défendre contre l’hacienda , la grande propriété individuelle qui, le plus souvent, et même à des dates récentes, s’étend au détriment du terroir des comunidades . En fait, de même que l’on rencontre une grande variété dans les types d’organisation de ces comunidades , on trouve des formes d’exploitation très diverses réunies sous le même terme d’hacienda ; certaines rappellent à bien des égards la villa carolingienne; d’autres sont de grandes entreprises capitalistes.

Les pâturages des hauts plateaux donnent généralement lieu à une exploitation pastorale extensive. Dans les Andes centrales, la densité du peuplement est toujours élevée, sur les terres arables, quel que soit le type de tenure; elle dépasse fréquemment un homme par hectare dans les terroirs de montagne.

Les modalités de l’occupation du sol sont différentes selon les grands ensembles andins. Au Venezuela, les secteurs montagnards, qui furent des terres à blé à l’époque espagnole, sont actuellement en déclin malgré le progrès des cultures maraîchères. Les versants forestiers ont été et sont encore l’objet d’une exploitation itinérante du sol. C’est le conuco , la culture sur brûlis dans des clairières ouvertes au machete dans la forêt et où l’on plante du maïs, du manioc et des bananiers. Ces clairières sont temporaires; elles sont abandonnées quand les sols sont épuisés. Ce système, qui ne permet que de faibles densités humaines, n’apporte à ceux qui le pratiquent que des ressources limitées, difficiles à améliorer. Il a en outre l’inconvénient de favoriser la dégradation des sols sur des pentes sensibles à l’érosion.

Les moyennes montagnes humides et tropicales peuvent être le siège de cultures arbustives. La caféier réussit bien entre 800 et 1 600 m; il fait vivre des centaines de milliers de familles en Colombie et alimente la majeure partie des exportations de ce pays.

Dans les Andes tempérées et humides du Chili, la pénétration des Incas et des Espagnols avait été bloquée sur le rio Bio Bio par la résistance des Araucans. Ces Indiens, venus des pampas argentines au XIVe siècle, vivaient dans les clairières de la forêt australe. La fin de la résistance araucane, au XIXe siècle, s’est traduite par l’avance d’un front pionnier en direction du sud et par la destruction de la forêt australe remplacée par des pâturages à moutons.

Les Andes aujourd’hui

Pour analyser la situation actuelle dans les Andes il faut, comme pour la description des milieux naturels, faire la distinction entre les Andes colombiennes au nord, les Andes tropicales au sud de l’équateur et les Andes tempérées du Chili et d’Argentine.

En Colombie, la localisation dans les Andes des plus grandes villes comme Bogota et Medellin permet le maintien dans les montagnes des foyers de population les plus importants du pays. La population urbaine est majoritaire dans l’ensemble des Andes colombiennes et la croissance des régions urbaines qui sont souvent des régions industrielles comme à Medellin et dans le Boyaca au nord de Bogota contribue à entraîner leur environnement rural: c’est le cas de la «Sabna», à proximité de Bogota. Les régions de culture de café, situées entre 1 000 et 1 800 m sur les flancs des Cordillères, restent fortement peuplées: les densités y sont voisines de la centaine d’habitants au kilomètre carré. Mais des régions entières, notamment dans le sud, sont occupées par des paysans vivant mal sur des exploitations agricoles exiguës (minifundia ) et constituent des poches de pauvreté qui alimentent des courants de migration vers les grandes villes et les secteurs de colonisation agricole dans les plaines chaudes.

De l’Équateur à la Bolivie en passant par le Pérou, les Andes sont restées des régions en majorité rurales (au Pérou, on comptait deux ruraux pour un urbain dans les Andes en 1980) et qui sont pauvres parce qu’à la fois rurales et andines (le revenu par habitant dans les Andes péruviennes est le tiers de celui de la côte). Les paysans andins – et, pour beaucoup d’entre eux, indiens – sont pour la plupart des «minifundistes» qui exploitent des terres et ne parviennent pas à assurer la subsistance de leur famille, d’où la nécessité des migrations de travail, en ville, dans les mines ou dans les plantations pour survivre. En Bolivie, à partir de 1953, au Pérou depuis 1970, des réformes agraires ont contribué à supprimer la grande propriété privée qui a pu être transformée en coopérative ou lotie entre des paysans. En Bolivie les prestations de travail obligatoire dues à l’hacienda ont été supprimées, ce qui a permis aux paysans qui y étaient assujettis de travailler ailleurs, notamment dans les vallées chaudes. Mais les problèmes fonciers, sociaux et économiques n’ont pas disparu pour autant. La longue marche des paysans pour récupérer l’entière maîtrise des terres n’est pas achevée; au Pérou le système des coopératives, souvent en faillite, est contesté par les paysans. Mais dans le même temps l’exode rural, qui se poursuit depuis des décennies, contribue au vieillissement de la population, à l’abandon de terres de culture qui redeviennent en friche. Les avantages passés liés à la diversité des productions agricoles disparaissent devant la difficulté de travailler des terres en pente autrement qu’à l’outil. Les rendements restent médiocres par suite de mauvaises semences, d’une fertilisation insuffisante, d’une lutte imparfaite contre les maladies. D’où une situation de crise générale des paysanneries.

Ces Andes tropicales restent, du nord du Chili au Pérou, des montagnes où les gisements de minerais non ferreux (cuivre, zinc, plomb, argent, étain) sont importants et constituent la base des exportations des pays. Les rivières fournissent l’énergie électrique nécessaire aux villes situées en contrebas: c’est le cas au Pérou avec le Mantaro qui fournit en électricité Lima et la côte centrale. Beautés naturelles et patrimoine archéologique attirent des touristes comme au Cuzco, autour du lac Titicaca ou dans le Callejon de Huailas. Va-t-on vers un ensemble andin où les paysanneries achèvent de se désagréger dans l’indifférence, où la lande envahit les terrasses de culture abandonnées, à côté de «parcs pour touristes» organisés autour de sites archéologiques et naturels d’une grande beauté, où un «folklore indien» est garanti tandis que des mines produisent pour le marché mondial?

Dans les Andes tempérées, la montagne est souvent déserte, à proximité de piémonts peuplés. Des mines y sont exploitées telles que le cuivre au Chili, des réserves naturelles y sont implantées, notamment en Argentine, tandis que des forêts y sont l’objet d’une exploitation destructrice comme au Chili. Ces montagnes finissent par connaître une évolution assez voisine de celle des Alpes dans la seconde moitié du XIXe siècle et au cours du XXe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.