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RECHERCHE SCIENTIFIQUE
RECHERCHE SCIENTIFIQUE

La recherche scientifique correspond à un besoin de l’homme, celui de connaître et de comprendre le monde et la société dans lesquels il vit. Ce besoin n’a pas a priori de justification économique ou politique; il constitue, en quelque sorte, la finalité culturelle de l’activité scientifique. Mais la science, même dans ses aspects les plus fondamentaux, implique une maîtrise de la nature: associée, de plus en plus, à la technologie, elle est un enjeu de puissance.

La science et la technologie sont aujourd’hui des composantes essentielles de l’activité humaine dans les sociétés modernes. Elles influencent la vision que celles-ci ont de leur avenir, elles leur permettent de répondre à des demandes économiques, sociales et culturelles.

L’émergence des politiques de la recherche et de la technologie, depuis la Seconde Guerre mondiale, correspond à la prise de conscience de cette réalité par les pays industriels.

La recherche scientifique et technologique a une dimension sociale. Au fil des décennies, son développement a exigé des moyens de plus en plus importants, son «institutionnalisation» et son intégration, avec ses spécificités, à la vie sociale, culturelle, économique et politique des nations.

1. Les origines de la recherche organisée: l’institutionnalisation de la science

La Chine et les pays musulmans parvinrent à donner une forme relativement développée à l’activité scientifique bien avant les pays européens. En effet, les Chinois et les savants des pays islamiques firent de très nombreuses découvertes en astronomie, en optique, en mathématiques, en chimie et en médecine. La paternité de l’invention de la poudre et de la boussole magnétique revient aux Chinois. Dans les pays musulmans, le système d’éducation a joué un rôle dans la diffusion des connaissances. L’enseignement était rattaché aux mosquées et aux écoles coraniques, mais, progressivement, des établissements distincts, appelés madrasas, se sont développés; certains sont même devenus des universités. La première d’entre elles fut celle d’al-Azhar au Caire. Mais dans des hôpitaux et des observatoires astronomiques se développait aussi une activité scientifique.

Toutefois, c’est en Occident que la science prit une forme institutionnelle stable. La Renaissance fut une étape décisive, car l’activité des scientifiques devint autonome à cette époque. Elle se distingua de celle des philosophes et des théologiens, abandonnant ainsi une longue tradition héritée des universités médiévales. Des chaires de science et de médecine furent alors créées dans les facultés européennes. Cependant, le statut encore trop marginal de ces disciplines dans les universités conduisit les petites collectivités de scientifiques professionnels et d’amateurs éclairés à créer les premières académies, placées sous la tutelle de personnages politiques influents, en Italie en particulier. La plus illustre fut à Rome l’Accademia dei Lincei, créée en 1609 par le prince Cesi, dont Galilée fut membre. Les académies italiennes jouèrent un rôle relativement important, car elles constituaient l’embryon d’une institution distincte des universités, et représentaient la première tentative pour rechercher la protection d’un pouvoir.

L’émergence progressive en Europe d’une science moderne, ouverte aux hypothèses et aux théories nouvelles, et à l’expérimentation, fut contemporaine de l’apparition, pendant la Renaissance, d’un monde de marchands à qui les méthodes des scientifiques devaient fournir des clés pour comprendre l’homme et la société. Il faut noter, dans ce contexte, le rôle important des applications des sciences et des techniques à la navigation maritime, facteur de l’expansion commerciale.

L’idée que la science pouvait devenir l’élément central d’une conception du progrès émergea petit à petit, portée par les élites et une partie des classes dirigeantes. À partir du XVIe siècle, des «utopies» apparurent: elles intégrèrent, dans une vision à long terme, des projets éducatifs et sociaux, et des perspectives de développement organisé des connaissances au service de la société. Le philosophe Francis Bacon, qui occupait des fonctions politiques importantes à la cour d’Angleterre (il fut lord chancelier de 1618 à 1622), devint à travers ses écrits l’idéologue et le théoricien de la première étape de la socialisation de la science. Dans La Nouvelle Atlantide , il développe une grande idée: «La science peut et doit être organisée et appliquée à l’industrie, pour améliorer et transformer les conditions de vie.» Ce texte utopique est le premier manifeste moderne pour une organisation de la science, qui prendra donc la forme de ce que nous appelons désormais la «recherche scientifique».

Une nouvelle étape fut franchie avec la fondation de nouvelles académies: la Royal Society fut instituée à Londres en 1662, puis l’Académie des sciences à Paris en 1666. La Royal Society de Londres, dont la création doit beaucoup aux idées de Bacon, était une novation, car elle voulait substituer à la spéculation purement philosophique l’observation et l’expérience. Avec ces deux académies, créées par le pouvoir politique, un nouveau mode de relations s’instaurait entre la science et le pouvoir: la recherche était reconnue officiellement.

L’Académie des sciences de Paris, fondée à l’initiative de Colbert, était le prototype d’un service public de la science et celui des futurs organismes de recherche du XXe siècle. Le dessein politique de Colbert – renforcer le potentiel économique de la France – était lié au projet des scientifiques de trouver, pour leurs activités, un appui. Cette rencontre devait permettre à la France de se doter, bien avant les autres pays européens, d’un système institutionnel nécessaire à l’expansion des sciences et des techniques. Après l’Académie des sciences, on construisit l’Observatoire de Paris et, en 1669, une école des «enfants de langue» pour former des spécialistes et des interprètes en langues orientales, on institua l’enseignement de la marine avec la création de chaires d’hydrographie dans des collèges spécialisés, etc. Cette politique était l’application du «colbertisme», inspiré par le souci pragmatique de constituer les structures d’un État moderne dont l’industrie était en compétition avec des puissances commerciales, comme les Provinces-Unies, et souvent en état d’infériorité.

Au XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières contribua à ancrer l’idée que le progrès des connaissances scientifiques et technologiques pouvait être un puissant facteur de transformation des sociétés; cette idéologie influencera des hommes politiques et des administrateurs de nombreux pays européens. En France, alors que le réseau institutionnel pour développer les techniques s’était élargi avec la création de corps et d’écoles d’ingénieurs (ponts et chaussées, génie militaire à Mézières), Turgot, dans sa tentative de réforme politique et sociale du régime (1774-1776), fit appel à Lavoisier et à Condorcet pour moderniser les structures du pays.

À la même époque, Frédéric II mena une politique assez semblable, en privilégiant l’importation de techniques étrangères pour développer l’industrie de la Prusse, en

particulier en Silésie. Il avait fait venir le Français Maupertuis pour diriger l’Académie des sciences de Berlin.

En France, à nouveau, la Révolution et Napoléon ne feront que renforcer le dispositif institutionnel mis en place par l’Ancien Régime, avec la création de l’École polytechnique et de l’École normale supérieure en 1794, la réforme de l’Académie des sciences et son intégration dans l’Institut. Napoléon, lors du conflit avec l’Angleterre qui le conduisit à instaurer le blocus continental, eut recours aux services de la technologie pour trouver des procédés industriels nouveaux, permettant de remplacer des matériaux ou des produits qu’on ne pouvait plus importer (remplacement du sucre de canne par celui de la betterave par exemple, avec la mise au point du procédé Dellesert).

En effet, si au XIXe siècle la grande révolution industrielle fondée sur des innovations techniques importantes (machines textiles, machines à vapeur) n’a pas eu besoin de la recherche, la situation change très rapidement à cette époque. La découverte des premiers colorants synthétiques par le chimiste anglais Perkin, en 1856, devait marquer le début d’une collaboration étroite entre la science et l’industrie. Cette découverte fut rapidement appliquée, et elle devait donner naissance à une industrie nouvelle, fondée sur l’application systématique des découvertes scientifiques, et cela par la médiation de la recherche industrielle que sut organiser l’Allemagne à partir de 1870-1880, et dont le développement fut l’une des forces de ce pays. De grands groupes se constituèrent, comme A.E.G., Siemens, Bayer, B.A.S.F., etc., et ces derniers créèrent des laboratoires de recherche.

À la même époque, de grands instituts furent fondés: l’Université allemande comprit, la première, que la recherche scientifique devait être organisée et qu’elle ne pouvait plus être, du moins dans les sciences exactes, une activité menée isolément par des professeurs. L’Institut impérial de physique et de technologie fut créé à Berlin en 1887, puis, en 1911, le premier grand organisme national de recherche, l’institut Kaiser-Wilhelm (devenu, après 1945, l’institut Max-Planck). Cet institut fonda de grands laboratoires de recherche dans les secteurs de pointe. C’est donc une dimension nouvelle qui fut donnée au système institutionnel: la recherche fondamentale allait se développer dans les laboratoires universitaires, mais aussi dans des instituts distincts des universités, dépendant d’organismes scientifiques ayant une mission nationale. Ce schéma allait se mettre en place progressivement dans tous les pays industriels, mais d’abord en Europe.

Au Japon, à la fin du XIXe siècle, avec l’avènement de l’empereur Mutsushito de la dynastie Meiji, le potentiel scientifique crût rapidement, la science et la technologie étant considérées comme la voie de passage obligée pour la modernisation du pays et la constitution de sa puissance militaire. Une Académie des sciences fut créée à T 拏ky 拏 en 1879, ainsi que des écoles d’ingénieurs avec l’aide de l’Allemagne et du Royaume-Uni. À la même époque, le système universitaire commença son essor aux États-Unis, grâce à la loi sur les Land Grant Colleges, tandis que les premiers laboratoires industriels apparurent.

Après la Première Guerre mondiale, il sembla nécessaire d’organiser la recherche scientifique et de développer ses relations avec l’ensemble des activités nationales, en particulier l’industrie. En France, après un long débat sur les modalités institutionnelles d’organisation et des étapes marquées par la création, en 1922, d’un Office national des recherches scientifiques et techniques, l’événement décisif fut la fondation, en 1939, du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.), issu des réformes du gouvernement de Front populaire où, pour la première fois, figurait un sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique, Jean Perrin.

Avec l’avènement de la physique nucléaire à la fin des années 1930, l’ère des grandes machines et des grands programmes scientifiques et technologiques s’annonçait. Pendant la Seconde Guerre mondiale, avec les projets sur le radar en Grande-Bretagne et sur l’arme atomique aux États-Unis (projet Manhattan), des scientifiques seront mobilisés par milliers dans leurs laboratoires pour atteindre les objectifs fixés. Ainsi, dans les domaines où il fallait construire et mettre en œuvre des équipements lourds et coûteux, la programmation de la recherche devint nécessaire.

Après la guerre, dans tous les grands pays industriels, le pouvoir politique fut désormais convaincu que la science et la technologie exigeaient des choix de priorité, des stratégies, des politiques d’investissement, la coordination des efforts et donc une programmation. La recherche scientifique devint une préoccupation gouvernementale.

2. Les objectifs des politiques de la science et de la technologie

La quasi-totalité des pays industrialisés ainsi que certains pays du Tiers Monde ont été progressivement conduits à déterminer des politiques de la science et de la technologie. Celles-ci s’efforcent de définir des objectifs de développement national, de mobiliser un potentiel, public ou privé, d’imaginer des modalités d’affectation des ressources. Elles président à la mise en œuvre de programmes nationaux pour produire des connaissances qui aient une application économique et sociale. La recherche scientifique et technologique représente, pour un pays, un investissement important qui couvre tous les domaines d’activité, depuis les plus fondamentaux jusqu’aux travaux qui précèdent l’introduction, dans l’industrie, d’un procédé ou d’un produit nouveau et que l’on appelle le développement. D’où le concept de recherche-développement (R-D), souvent utilisé, qui rassemble toutes ces activités.

En fait, la science et la technologie représentent aujourd’hui pour les pouvoirs publics quatre enjeux de nature différente: culturelle, économique et sociale, stratégique au sens large, et militaire.

Un enjeu culturel

L’enjeu culturel est évidemment très important, mais il a rarement pris, à lui seul, une dimension politique susceptible de faire reconnaître par les pouvoirs publics la priorité de la recherche scientifique. L’activité scientifique désintéressée, c’est-à-dire la recherche fondamentale, doit donc être protégée, développée. Cette idée, qui était en particulier celle de la philosophie des Lumières au XVIIIe siècle, est incontestablement importante. Le pouvoir politique la comprend dans la mesure où le rayonnement d’un pays est aussi celui de sa culture, et donc de son potentiel scientifique, qui lui permet d’être producteur de «connaissances»; de plus, la reconnaissance internationale du niveau et de la qualité de la production scientifique d’un pays n’est jamais une donnée négligeable. Ce potentiel, en particulier celui des universités, est aussi un moyen de formation de cadres de haut niveau par la recherche. Ce fut la politique de l’Allemagne, dès le XIXe siècle. On prête d’ailleurs ce mot au chancelier Bismarck: «La nation qui a les écoles tient l’avenir.»

Des institutions scientifiques spécifiques ont pour mission d’assurer le progrès des connaissances de base par la recherche fondamentale, les universités, de grands organismes comme le C.N.R.S. en France, la société Max-Planck en Allemagne. Dans la plupart des pays industrialisés, la part de la dépense nationale de recherche-développement consacrée à la recherche fondamentale est comprise entre 10 et 20 p. 100.

Un enjeu économique et social

La science et la technologie représentent aujourd’hui un enjeu économique et social au sens large. L’appropriation des connaissances scientifiques et des techniques et leur intégration dans les processus de production sont devenues une arme dans la compétition internationale. En effet, la recherche, source d’innovations, permet de mettre sur le marché des produits nouveaux d’importance pour l’«intérêt public». Même si les économistes n’ont pas toujours accordé au progrès technique le rôle qu’il méritait comme facteur de croissance, on estime que, durant la période 1950-1962, la part du «facteur résiduel» (c’est-à-dire tout ce qui n’est pas imputable dans la croissance à une augmentation du capital et du travail) dans la croissance du Royaume-Uni a été de 52 p. 100, et de 60 p. 100, 62 p. 100 et 75 p. 100 dans celles du Japon, de la R.F.A. et de la France respectivement. Une grande partie de ce facteur résiduel peut être attribuée au progrès technique, mais aussi à l’éducation (d’où une meilleure qualification de la main-d’œuvre).

Les entreprises sont, certes, les éléments moteurs de cette intégration de la science et de la technologie dans les processus industriels, mais la compétitivité technologique des entreprises est devenue, dans tous les pays, une affaire de gouvernement et donc partie intégrante de leur politique. Des mécanismes sont recherchés pour faciliter les transferts de connaissance de la recherche publique vers l’industrie et pour inciter les entreprises à dépenser davantage en recherche-développement. Des programmes spécifiques soutiennent des secteurs de pointe afin que, globalement, le potentiel industriel maîtrise des domaines clés qui commandent des développements à long terme. Parmi ceux-ci, citons: la productique et l’automatisation des processus de production (y compris les lasers et l’informatique), les procédés industriels (engineering process depuis le génie chimique jusqu’aux biotechnologies), les matériaux.

Un enjeu stratégique et militaire

La recherche scientifique n’a pu acquérir un «statut» social et politique important et enviable que dans la mesure où l’État moderne a perçu son caractère «opérationnel» (elle est riche d’applications) et qu’elle pouvait être l’allié objectif du pouvoir politique. Le troisième enjeu des politiques de la science et de la technologie est donc stratégique, au sens large du terme: la maîtrise de certaines connaissances scientifiques et de techniques de base est vitale pour assurer à une nation les outils de son indépendance, telles la capacité à communiquer, la maîtrise de l’énergie et des matières premières ou la mise au point de nouveaux systèmes de production. D’où l’importance des programmes de recherche dans les secteurs du nucléaire, de l’aérospatial, des télécommunications et de la microélectronique ainsi que sur des systèmes comme les lasers.

Le dernier enjeu de la recherche est militaire. Il concerne tout ce qui touche, de près ou de loin, à la défense d’un État moderne: les systèmes d’armes, les télécommunications, l’observation de la Terre par satellite.

On retrouve ainsi des techniques «stratégiques»: le nucléaire, l’informatique, la microélectronique, l’optoélectronique, l’aérospatial, les matériaux, etc. Dans de nombreux domaines, le développement des systèmes d’armes requiert le lancement de grands programmes mobilisant des organismes de recherche civils et militaires ainsi que des entreprises. Dans certains domaines, comme la microélectronique et les matériaux, les techniques sont souvent duales: elles ont un intérêt civil et militaire.

Au début des années 1960 a émergé le concept de recherche-développement englobant l’ensemble des activités scientifiques et technologiques qui produisent des connaissances ou qui s’appuient sur des connaissances pour développer des techniques (recherche fondamentale, recherche finalisée ou appliquée, développement expérimental).

La répartition des financements publics et privés, qui sont accordés aux objectifs économiques, sociaux, stratégiques et militaires au sein de la dépense nationale de recherche-développement, varie beaucoup d’un pays à l’autre. On constate ainsi que, dans la quasi-totalité des pays occidentaux, la part de l’effort national de recherche-développement exécutée par l’industrie est comprise entre 50 et 70 p. 100 (59 p. 100 en France, 72 p. 100 en Allemagne, 70 p. 100 au Japon en 1990). Par ailleurs, on observe que pour des raisons politiques évidentes, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis consacrent une part très importante du budget public de recherche-développement au secteur militaire: 63 p. 100 aux États-Unis en 1990, 50 p. 100 au Royaume-Uni, 35 p. 100 en France. La majorité des pays industriels, en particulier l’Allemagne et le Japon, privilégient la recherche civile et industrielle.

3. Les nouvelles conditions d’exercice de la recherche

L’activité de recherche scientifique s’est considérablement diversifiée au fil des décennies. À la fin des années 1980, si des constantes demeurent, elle prend une forme notablement différente de celle qui prévalait en 1945. L’édifice actuel de la science est devenu très complexe: cette complexité, qui est inhérente à la dynamique même de la science, a en quelque sorte deux pôles. En premier lieu, la recherche scientifique nécessite un approfondissement constant de chaque champ d’études, ce qui conduit, à la fois, à une spécialisation au sein de chaque discipline et à un éclatement de ces dernières. Des branches nouvelles apparaissent au sein de la physique, de la biologie, etc. De la même façon, des approches pluridisciplinaires s’avèrent nécessaires et fructueuses et président inversement à l’apparition de domaines nouveaux, comme celui de la biologie moléculaire à partir des années 1950 ou encore, plus récemment, de l’intelligence artificielle, des matériaux et de l’environnement.

Un autre phénomène est l’interdépendance croissante entre la science et la technologie. En premier lieu, la science fournit une base à la technologie sous forme de données diverses sur la matière et ses propriétés (constantes physiques et chimiques, par exemple). La technologie peut, elle aussi, puiser dans le réservoir des connaissances scientifiques pour réaliser un dispositif nouveau ou améliorer un procédé industriel (par exemple, Rudolf Diesel avait étudié de façon très scientifique la combustion avec différents carburants pour résoudre le problème de l’injection). En second lieu, la science fournit une méthode à la technologie: elle permet de quantifier et de donner des modèles mathématiques simulant des systèmes pratiques, elle fournit des règles de sélection pour tester un produit ou un procédé. La connaissance scientifique est la base rationnelle de l’amélioration des techniques.

Inversement, on peut affirmer que la technologie exerce une influence directe sur la science: elle lui pose des problèmes et, de fait, oriente parfois la recherche scientifique vers des voies nouvelles. Ainsi, les travaux d’hydrodynamique, à la fin du XIXe siècle, ont conduit à une meilleure connaissance du phénomène de turbulence et ont été inspirés par le souci de mieux comprendre le fonctionnement des turbines.

De plus, on assiste depuis quelques décennies à une dépendance plus grande de la recherche vis-à-vis de la technique: le progrès des connaissances dépend de plus en plus de machines expérimentales complexes, comme les accélérateurs de particules, les radiotélescopes, les réacteurs à neutrons, les grands ordinateurs, etc. Les techniques dérivées de l’informatique ont un impact de plus en plus important sur des disciplines comme la chimie et la biologie (par exemple, les méthodes de conception assistée par ordinateur, ou C.A.O., appliquées à la représentation et à l’étude de molécules). Cette évolution progressive est spécifique du XXe siècle. Elle a eu un impact direct sur l’organisation même de la recherche: des organismes de recherche nationaux ont reçu pour mission de construire et de gérer de grands équipements scientifiques (accélérateurs, radiotélescopes, navires océanographiques, etc.). Des coopérations internationales ont été de plus nécessaires pour construire de grandes machines comme le Cern (Laboratoire européen pour la physique des particules, anciennement Conseil européen pour la recherche nucléaire).

Enfin, les coopérations entre équipes de recherche autour d’une technique expérimentale et l’approche d’un problème par des méthodes complémentaires ont conduit à organiser la recherche en «réseaux». Ces réseaux peuvent être structurés autour de projets communs; ils peuvent associer des laboratoires publics et des laboratoires industriels, favorisant ainsi l’exploitation rapide des découvertes scientifiques.

Bien entendu, chaque domaine de la science a ses spécificités. L’organisation de la recherche en sciences de l’homme et de la société ne saurait être identique à celle qui prévaut en physique. Néanmoins, les sciences humaines et sociales (histoire, archéologie, sociologie, économie, etc.) ont aussi connu des développements importants. Elles s’intéressent aux sociétés, aux civilisations et aux cultures dans leurs dimensions temporelles, spatiales et institutionnelles. Si, dans ces branches, la notion de recherche érudite menée par un chercheur ou un universitaire a encore un sens, il n’en demeure pas moins que l’utilisation de techniques physico-chimiques (en archéologie, en histoire) ou mathématiques et informatiques (en économie, en sociologie, mais aussi en histoire) est également répandue.

4. Les caractéristiques des politiques nationales

La quasi-totalité des pays développés ainsi qu’un nombre croissant de pays du Tiers Monde, prenant conscience du rôle que jouent désormais la science et la technologie dans les politiques publiques, ont été conduits à mettre en œuvre des politiques de la recherche et de la technologie. Celles-ci ont pour tâche de fixer des priorités pour la recherche, de mobiliser le potentiel de recherche public et privé, de promouvoir l’innovation technologique et d’arbitrer les affectations de ressources (moyens financiers, personnels). Elles ont aussi pour vocation de mettre en œuvre des programmes nationaux, en particulier dans les secteurs représentant des enjeux importants pour l’État, de susciter la production de connaissances et d’expertises nécessaires aux politiques publiques, d’organiser la coopération internationale.

La forme institutionnelle nécessaire pour définir et mettre en œuvre les politiques de la recherche et de la technologie varie d’un pays à l’autre et oscille entre deux extrêmes: dans certains cas, un ministère unique a la responsabilité de la politique; dans d’autres, le pouvoir de décision et d’exécution est beaucoup plus diffus au sein de l’appareil gouvernemental.

Au niveau de l’exécution de la recherche, c’est-à-dire des lieux (instituts, laboratoires) où elle s’effectue, il apparaît que les pays occidentaux ont adopté un système à cinq acteurs principaux: les universités, les organismes de recherche à vocation pluridisciplinaire (dont le C.N.R.S. est le prototype en France) proches des universités, les organismes de recherche finalisée (pour le nucléaire, l’espace, le secteur maritime, etc.), les agences finançant la recherche sur programmes et par contrats, les entreprises industrielles.

France

La France a attaché une grande importance aux notions de planification et de coordination de l’effort de recherche. La volonté de l’État, héritée d’une ancienne tradition historique, a été de lancer la recherche et le développement technologique par l’intermédiaire de grands programmes mis en œuvre progressivement à partir de 1945 (le nucléaire, l’espace, l’aéronautique) et par l’action de grands organismes publics. La nécessité d’un centre politique, avec un pouvoir d’arbitrage et de coordination, s’est fait alors sentir. Il est vrai que la forme institutionnelle de ce centre a souvent oscillé entre plusieurs formules et, en particulier, entre deux modèles aussi peu satisfaisants l’un que l’autre: l’association de la recherche soit à l’industrie, soit à l’enseignement supérieur. Cependant, depuis les années 1960, un ministère, chargé de la responsabilité de la politique scientifique, prépare les arbitrages budgétaires et coordonne l’action de tous les acteurs de la recherche publique civile (tabl. 1). La création, par le général de Gaulle, d’un ministère de la Recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales (qui fut confié, en particulier, à Pierre Guillaumat et Gaston Palewski), ainsi que d’une Délégation générale à la recherche scientifique et technique (D.G.R.S.T.), initialement rattachée au Premier ministre et créée à l’initiative de Michel Debré, a constitué une première variante

institutionnelle responsable, de 1959 à 1967, d’un mouvement important d’expansion de la recherche. À la fin des années 1970, un secrétariat d’État à la recherche scientifique rattaché au Premier ministre s’est vu confier la responsabilité de la politique de la recherche. En 1981, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, la création d’un ministère de la Recherche et de la Technologie fut une étape importante. Ce nouveau ministère, formule institutionnelle novatrice, assurait la coordination de l’ensemble de la politique scientifique et technologique civile. En 1993, enfin, c’est une autre formule qui a prévalu dans le gouvernement d’Édouard Balladur: la recherche et l’enseignement supérieur ont été regroupés au sein d’un même ministère.

Sur le plan budgétaire, l’annuité des budgets votés par le Parlement a toujours constitué un obstacle pour la programmation à long terme des investissements de recherche. Cela explique l’importance accordée périodiquement en France à la notion de planification de la recherche. La première expérience dans ce domaine fut tentée dans le IIIe Plan national (1957-1961), qui programmait une partie importante des investissements de recherche publics civils.

Ultérieurement, une nouvelle étape fut franchie dans le vote par le Parlement, en 1982, d’une première loi de programmation et d’orientation de la recherche, préparée à l’initiative du ministre de la Recherche et de la Technologie, Jean-Pierre Chevènement, à la suite du colloque national sur la recherche et la technologie qui avait fait émerger les principes de réformes institutionnelles introduites dans la loi (la création, par exemple, de groupements d’intérêt public fédérant partenaires publics et privés sur un programme spécifique).

Il faut souligner que les régions sont apparues à côté de l’État comme de nouveaux acteurs de la politique de recherche.

Les régions, en particulier depuis la mise en œuvre de la politique de décentralisation de 1982, consacrent une part parfois importante de leur budget à la recherche et à la technologie (1 milliard de francs au niveau national en 1991). Par ailleurs, les contrats de Plan signés entre l’État et les régions prévoient, depuis 1984, la réalisation d’opérations prioritaires comme la construction de nouveaux laboratoires.

Globalement, si la région Île-de-France demeure le principal pôle scientifique et technologique français (48,4 p. 100 des chercheurs publics y travaillaient en 1990), il est loin d’être le seul; la politique de décentralisation de la recherche menée depuis 1960 a fait émerger d’autres pôles importants, comme les régions Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Alsace. La concentration de la recherche industrielle sur la région parisienne (56,8 p. 100 des chercheurs industriels en 1990) reste toutefois plus forte que pour le secteur public.

Le gouvernement consulte, en matière de politique et de recherche, le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, composé de scientifiques et de représentants du monde économique. Ce Conseil émet des avis sur les orientations de la politique de la recherche et de la technologie.

On retrouve, en France, la typologie des grands acteurs de la recherche caractéristique des pays occidentaux. Les universités et les grandes écoles ont créé des laboratoires de recherche fondamentale dans toutes les disciplines, le plus souvent en liaison avec le C.N.R.S.

Le C.N.R.S., créé en 1939, a reçu la mission de promouvoir la recherche fondamentale dans tous les secteurs de la science (des sciences humaines et sociales aux sciences pour l’ingénieur). Il comptait, en 1993, 27 000 chercheurs, ingénieurs et administratifs. Les deux tiers de ses unités de recherche sont des laboratoires universitaires qui lui sont associés.

Toute une série d’organismes de recherche à vocation finalisée ont été créés en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Parmi les principaux, citons l’Institut national pour la santé et la recherche médicale (I.N.S.E.R.M.), l’Institut national pour la recherche agronomique (I.N.R.A.), le Commissariat à l’énergie atomique (C.E.A.), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), le Centre national d’études spatiales (C.N.E.S.), le Centre national d’études des télécommunications (C.N.E.T.), l’Institut national pour la recherche en informatique et en automatique (I.N.R.I.A.), l’Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération (O.R.S.T.O.M., anciennement Office de la recherche scientifique et technique outre-mer). L’Institut Pasteur, qui est une fondation, joue également un grand rôle dans le secteur biologique et médical.

Citons également deux agences qui jouent un rôle important: l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche (Anvar), qui aide l’innovation dans les entreprises, et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (A.D.E.M.E.), qui finance des travaux sur les économies d’énergie et la protection de l’environnement.

Dans le domaine de la recherche militaire, la coordination de la recherche est assurée par la Direction des recherches, études et techniques d’armement (D.R.E.T.) qui a sous tutelle des organismes de recherche militaire comme l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (O.N.E.R.A.). Dans le domaine de l’océanographie militaire, le Service hydrographique et océanographique de la marine (S.H.O.M.) dépend, lui, directement de l’état-major de la marine.

La recherche militaire représentait en France, en 1990, 22,6 p. 100 de la dépense nationale de recherche-développement (35 p. 100 du financement public). Le poids des grands programmes technologiques civils (nucléaire, aérospatial) est aussi important: près de 20 p. 100 du financement public de la recherche-développement en 1990.

La recherche industrielle, qui représentait 60 p. 100 de la dépense nationale de recherche-développement en 1990 (les entreprises finançaient 46 p. 100 de l’effort national en ce domaine), est concentrée au sein de 2 700 entreprises et d’une cinquantaine de centres techniques; les secteurs de l’aéronautique, de l’électronique, de la chimie et de la pharmacie effectuent la majeure partie de la recherche industrielle.

Notons enfin que la France comptait, en 1991, 100 000 chercheurs, ingénieurs de recherche (en équivalent temps plein) pour une dépense nationale de recherche-développement de 164 milliards de francs.

États-Unis

Aux États-Unis, la politique de la science et de la technologie n’a jamais pris la forme d’une entreprise systématiquement organisée et centralisée, sauf pendant la Seconde Guerre mondiale. Les universités jouent un rôle très important dans le système de recherche, dont elles sont le principal exécutant pour l’effort dans les sciences fondamentales. À côté d’elles, un organisme fédéral, la National Science Foundation (N.S.F.), a pour mission de distribuer des contrats et des crédits de recherche et d’équipement aux équipes universitaires. La N.S.F. est devenue plus directive ces dernières années, en contribuant à la création de centres de recherche coopératifs avec l’industrie au sein des facultés et des laboratoires en sciences de l’ingénieur. D’autres agences fédérales ont des programmes de recherche importants qu’ils conduisent au sein de leurs propres laboratoires: le National Institutes of Health (N.I.H.), le National Institute of Standards and Technology (N.I.S.T.), la National Aeronautics and Space Administration (N.A.S.A.). Les Départements de l’énergie et de la défense financent aussi un réseau de laboratoires fédéraux, comme ceux de Los Alamos et de Fermilab. La recherche industrielle américaine est très diversifiée, avec de grands laboratoires de firmes multinationales et ceux qui sont intégrés au sein des entreprises de taille moyenne: en 1990, l’industrie américaine finançait 50,6 p. 100 de l’effort de recherche-développement national et en exécutait 70 p. 100; le poids des contrats militaires y est très important.

Face à ce pluralisme des centres d’élaboration et d’exécution des plans de recherche et en l’absence, au niveau fédéral, d’un département ministériel chargé de coordonner les efforts et d’établir des priorités, la nécessité s’est fait sentir de placer, au plus haut niveau, c’est-à-dire auprès du président, un organisme chargé de préparer les décisions de politique scientifique de portée générale. Un conseiller spécial du président pour la science et la technologie a donc ainsi été nommé en 1959 avec, sous son autorité, un Bureau de la science et de la technologie. Le conseiller présidentiel a une fonction consultative à l’échelon le plus élevé du pouvoir politique mais, n’ayant pas d’autorité directe sur les agences fédérales, il n’a pas la possibilité d’imposer des décisions ou des priorités. La mobilité du système américain évite des cloisonnements trop importants, mais l’absence d’un véritable lieu de coordination et d’arbitrage entre les administrations a souvent conduit à des difficultés et des incohérences, comme ceux qui sont rencontrés par le programme spatial et la N.A.S.A.

Dans le secteur militaire, en revanche, le Département de la défense a su à la fois coordonner l’effort de recherche militaire et orienter certaines recherches civiles dans les domaines jugés stratégiques grâce, en particulier, à l’action de l’Advanced Research Projects Agency (A.R.P.A.). En créant, en 1993, un Conseil national de la science et de la technologie où sont représentées toutes les agences fédérales ayant vocation de soutenir la recherche-développement, le président Bill Clinton a voulu doter l’exécutif d’un moyen plus efficace pour piloter la politique de recherche nationale.

Aux États-Unis, le Parlement (Congrès) intervient beaucoup dans les domaines de la science et de la technologie. Le vote du budget, le lancement d’un programme, la politique d’une agence sont l’occasion de séances d’audit de l’exécutif et des responsables scientifiques, qui examinent dans le détail les problèmes. Un organisme spécifique a été créé auprès du Congrès, l’Office of Technology Assessment (O.T.A.), pour étudier l’impact sur la société des grandes options scientifiques et technologiques. L’Académie nationale des sciences joue également un rôle important comme conseil du pouvoir politique pour la science.

Japon

L’organisation de la science et de la technologie au Japon constitue un exemple intéressant, car il allie dirigisme et décentralisation. Ce pays a depuis longtemps le souci d’une politique volontariste d’abord tournée vers les besoins technologiques du pays. Mais, depuis la fin des années 1970, le Japon a senti la nécessité de développer sa recherche fondamentale et de se doter d’outils scientifiques dans des domaines stratégiques comme le nucléaire, l’espace et l’océanographie en lançant de grands programmes. Même si la politique de recherche est exécutée dans le secteur public par les départements ministériels – le ministère de l’Éducation, de la Science et de la Culture (Monbusho) joue le rôle le plus important, comme tuteur des universités –, il existe une centralisation très forte du processus de décision et de coordination au niveau du Premier ministre. Celui-ci préside en effet un Conseil de la science et de la technologie, dont sont membres les ministres concernés par la recherche ainsi que des représentants de la communauté scientifique et de l’industrie. Tous les acteurs de la recherche sont ainsi associés et mettent en application l’idée centrale du système de décision japonais: le consensus. Une Agence de la science et de la technologie est également rattachée directement au Premier ministre, elle joue un rôle primordial dans la coordination de la recherche et prépare les plans à long terme. Elle crée aussi des instituts de recherche dans les domaines jugés prioritaires.

Le Japon a réussi à mettre en œuvre une politique technologique volontariste dans les secteurs stratégiques pour son développement industriel. Le ministère de l’Industrie et du Commerce international (M.I.T.I.) a été le maître d’œuvre de cette politique; son bras séculier est l’Agence pour la science industrielle et la technologie, qui est responsable de programmes nationaux de recherche-développement. Celle-ci mobilise les universités, les laboratoires gouvernementaux et les entreprises sur des objectifs prioritaires et sur des programmes ambitieux, établis en concertation (robotique, biotechnologies, intelligence artificielle, etc.).

En 1990, l’industrie exécutait 71 p. 100 de la recherche-développement nationale et en finançait 73 p. 100; elle contribue donc au financement de la recherche publique. Il faut souligner par ailleurs que le financement de la recherche nationale par la Défense est très faible: 1,5 p. 100 de l’effort de recherche-développement total en 1990.

Allemagne et Royaume-Uni

L’Allemagne et le Royaume-Uni sont presque deux cas opposés d’organisation de la recherche. Alors que le Royaume-Uni a poursuivi avec une relative continuité, jusqu’à la fin des années 1970, un effort important en faveur de la recherche, celui-ci s’est considérablement ralenti depuis lors, provoquant une crise très sérieuse de la recherche, en particulier dans les universités. Le Royaume-Uni n’a tenté aucune expérience de planification globale des dépenses de recherche-développement, et la coordination d’ensemble de la politique de la recherche et de la technologie est relativement faible. Toutefois, depuis 1992, un ministre est chargé de la politique scientifique; il dispose d’un appareil administratif très léger (Office of Science and Technology) placé sous la responsabilité du conseiller scientifique du Premier ministre. Six conseils de recherche (le plus important étant le Science and Engineering Research Council, S.E.R.C.) financent la recherche fondamentale et finalisée, dans les domaines des sciences physiques, des sciences pour l’ingénieur, de la biologie, de la médecine, de l’environnement et des sciences sociales, dans leurs propres laboratoires et dans les universités.

Le ministère de la Défense a ses propres laboratoires de recherche dont le rôle est important dans les secteurs du nucléaire et de l’aéronautique. Le Royaume-Uni, qui a une forte tradition aéronautique, n’a créé qu’en 1985 une agence pour la recherche spatiale, le British National Space Center, dont le rôle est resté cependant relativement faible.

Par contraste, l’Allemagne a confié à un ministère fédéral de la Recherche et de la Technologie, le Bundesministerium für Forschung und Technologie (B.M.F.T.), un rôle majeur dans le financement et la coordination de la politique scientifique et technologique allemande. Ses missions ont été étendues à l’éducation en 1994.

Le B.M.F.T. exerce également une tutelle sur la société Max-Planck et les grands instituts fédéraux de recherche répartis sur l’ensemble du territoire de l’Allemagne (Jülich, Karlsruhe, Munich...). Ces instituts, comme les laboratoires de la société Max-Planck, ont leur personnel propre. Dans le secteur des grands programmes civils, le B.M.F.T. a eu le poids politique nécessaire pour procéder à des choix volontaristes (ralentissement de la recherche nucléaire, lancement d’un important programme spatial). De même, il a choisi des programmes nationaux, mobilisant en particulier l’industrie, à laquelle il apporte des moyens financiers importants dans les secteurs de pointe (biotechnologies, électronique, informatique, etc.). À côté de la société Max-Planck, les universités jouent un grand rôle dans le développement de la recherche fondamentale. Leurs laboratoires sont en majeure partie financés par un organisme fédéral, la Deutsche Forschung Gemeinschaft (D.F.G.). Il faut souligner que les Länder allemands jouent un rôle de soutien pour la recherche scientifique et la politique d’innovation technologique: ils financent en particulier les universités, la société Max-Planck et des opérations de valorisation des travaux de recherche.

Les dépenses de recherche militaire ont un poids relativement faible en Allemagne, contrairement au Royaume-Uni (soit, respectivement, 5 p. 100 et 22,3 p. 100 de la dépense nationale en 1990). Les entreprises exécutaient, en 1990, 72 p. 100 de la recherche-développement nationale en Allemagne et en finançaient 63 p. 100; au Royaume-Uni, elles en exécutaient 66 p. 100 et en finançaient 49 p. 100. L’Allemagne apporte un soutien financier important à la recherche industrielle et à l’innovation; un organisme fédéral, la société Fraunhofer, travaille pour l’industrie sur contrats. Au Royaume-Uni, le British Technology Group (B.T.G.) soutient l’innovation avec du capital à risque; cet organisme a été privatisé.

Il faut noter, enfin, qu’après sa réunification l’Allemagne s’est engagée dans un effort de réorganisation des instituts de recherche de l’ex-R.D.A., qui absorbe une part importante de ses moyens financiers pour la recherche.

Les autres pays européens se conforment avec des variantes très importantes à ces différents modèles d’organisation. Il faut noter cependant la situation très contrastée par rapport aux autres pays occidentaux de la Suède, de la Suisse et de la Belgique, où le secteur public de recherche est presque totalement dominé par les universités, et où le rôle des organismes publics est marginal. Des conseils de recherche en Suède et un Fonds national de la recherche scientifique en Suisse et en Belgique soutiennent les facultés par une politique contractuelle. En Italie, un organisme national, le Consiglio nazionale delle ricerche (C.N.R.), a un rôle pilote pour la recherche fondamentale: un effort très important de développement a été effectué au cours des années 1980 sous l’égide d’un ministère de la Recherche, qui a essentiellement un rôle de coordination de la politique scientifique.

Europe centrale et orientale

Le système d’organisation de la recherche et de la technologie a été profondément modifié à la suite des bouleversements politiques survenus dans les ex-pays socialistes de l’Europe centrale et orientale. Jusqu’au début des années 1990, les universités et les entreprises n’ont eu qu’un rôle marginal dans les pays socialistes comme l’ex-U.R.S.S., la Pologne, l’ex-Tchécoslovaquie...

En Russie, l’Académie des sciences a conservé un rôle important dans l’ensemble des secteurs de la recherche fondamentale et appliquée; elle gère un très grand nombre d’instituts dans toutes les disciplines. C’est désormais un ministère de la Science et de la Technologie qui a la mission de coordonner l’ensemble des activités de recherche du pays. Dans les secteurs technologiques liés à la production, la recherche est encore très largement l’apanage d’instituts techniques placés sous la tutelle des ministères. La recherche militaire et spatiale a toujours bénéficié d’une très grande autonomie et d’une priorité des moyens, cette situation s’est en grande partie maintenue après les changements politiques du début des années 1990.

La recherche militaire représentait, semble-t-il, 42 p. 100 de la dépense nationale de recherche-développement en 1991, tandis que la recherche exécutée dans les entreprises n’en représentait, elle, que 4 p. 100.

Les difficultés économiques et financières considérables de la Russie ont privé une grande partie de la recherche russe de ressources, et une partie des scientifiques ont émigré temporairement ou définitivement.

Dans les autres pays d’Europe centrale, une série de réformes sont également intervenues suivant des schémas analogues à celui de l’ex-U.R.S.S.: maintien d’un rôle important des Académies des sciences, création de ministères chargés de la science, renforcement de la recherche universitaire.

Chine

En Chine, l’Académie des sciences joue un rôle analogue à celui de son homologue russe, mais son activité est assez largement orientée vers la recherche appliquée. La nécessité de développer la recherche universitaire a conduit à la création, en 1986, d’une Fondation nationale des sciences, sur le modèle de la N.S.F. américaine, qui finance sur contrats la recherche universitaire. En Chine, la recherche technologique reste la responsabilité d’instituts dépendant des ministères techniques. Un comité d’État pour la science et la technologie, l’équivalent d’un ministère, est chargé de coordonner la politique nationale de la recherche et de la technologie ainsi que de préparer les plans pour la recherche. Alors que le système scientifique, en particulier l’Académie des sciences et les universités, avait été fortement éprouvé par la révolution culturelle, une politique de développement de la recherche, menée avec une relative continuité depuis le début des années 1980 et accompagnée d’une ouverture du pays à la coopération internationale, a permis de reconstituer et de moderniser une partie du potentiel scientifique et technologique du pays qui a, dans certains secteurs (espace, nucléaire, biologie, matériaux), des réalisations importantes à son actif.

5. Les ressources

L’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie industrielle réalisaient ensemble près de 90 p. 100 des 400 milliards de dollars que représentaient les activités de recherche-développement de la planète en 1991.

L’Amérique latine et l’Asie pesaient moins de 1 p. 100 du total mondial chacune, et l’Asie en développement moins de 2 p. 100. Le poids de la C.E.I. (Communauté des États indépendants, ex-U.R.S.S.) était estimé entre 5 et 13 p. 100, selon que l’on prenait une estimation conservatrice ou non. Le monde de la recherche et de la technologie est donc massivement inégalitaire.

La dépense nationale de recherche-développement rapportée en produit intérieur brut (P.I.B.) est un indicateur du taux d’effort de recherche. La plupart des pays développés consacrent de 2 à 3 p. 100 de leur P.I.B. à la recherche-développement (tabl. 2). En 1991, le Japon était en tête: il lui consacrait 3,1 p. 100 de son P.I.B. Il était suivi par les États-Unis (2,8 p. 100), les pays de l’Association européenne de libre-échange (la Suisse, l’Autriche, la Scandinavie) avec 2,2 p. 100 et de la Communauté européenne (2 p. 100). En 1992, la recherche-développement représentait 2,4 p. 100 du P.I.B. pour la France, et 2,8 p. 100 pour l’Allemagne. Pour les pays en développement, la dépense nationale est, en général, très inférieure à 1 p. 100 de leur P.I.B. Si l’on rapporte les effectifs de chercheurs et d’ingénieurs de recherche à la population, on trouve, là encore, une structure inégalitaire: pour les pays développés, le ratio est supérieur à 1,9 p. 1 000 (2 p. 1 000 pour la France; 3,8 pour les États-Unis, 4,7 pour le Japon); pour les pays en développement, il est compris entre 0,1 et 0,9 p. 1 000. L’évolution des efforts financiers réalisés par les pays a été contrastée au cours des années 1980: le Japon a, ainsi, fortement accru ses investissements pour la recherche au sein de la même O.C.D.E.; au sein de la Communauté européenne, ce sont des pays comme l’Espagne et l’Italie qui ont accru leur part relative (l’effort français a crû en moyenne annuelle de 4,8 p. 100 sur la période 1981-1990). Cette décennie a été incontestablement marquée par la montée en puissance de la recherche et de la technologie japonaises. Depuis 1990, un net ralentissement de la progression des dépenses est constaté partout dans le monde.

6. La coopération internationale

La science et la technologie ont une vocation internationale, car la circulation des idées, la diffusion des découvertes scientifiques et des innovations technologiques ne s’arrêtent pas aux frontières des États. Même si les conflits militaires et les rivalités économiques ont pu, dans le passé, ralentir la diffusion du savoir, la recherche scientifique a depuis longtemps été une activité stimulée par les échanges et les coopérations entre les hommes et les institutions de toutes les nations. Cet «internationalisme» de la découverte n’est pas incompatible avec l’idée, qui a fini par prévaloir progressivement auprès des dirigeants politiques, que la science et la technologie constituent désormais un atout décisif dans la compétition entre les États. Bien sûr, les pays industriels ont réalisé, à la fin du XIXe siècle, que la recherche scientifique et le progrès technique pouvaient être à la base même du développement industriel; plus récemment, l’interdépendance croissante entre la science et la technologie a conduit les grandes entreprises, en particulier les firmes multinationales, à faire de l’appropriation rapide des connaissances scientifiques une arme dans la compétition technologique.

Après la Seconde Guerre mondiale, la prise de conscience par l’Europe des retards qu’elle avait accumulés dans le domaine de la science du fait de la guerre et le coût des grands programmes de recherche devaient conduire à la création d’organismes internationaux. Le Centre européen pour la recherche nucléaire fut le premier à être institué, à Genève, en 1952. Le Centre a construit plusieurs grands accélérateurs de particules sur lesquels travaillent des physiciens européens, mais aussi américains et chinois; le dernier en date est un accélérateur pour les électrons et les positons, le L.E.P. (Large Electron Positron Collider); le Cern a en projet la construction d’un très grand accélérateur, le Large Hadron Collider (L.H.C.), qui serait la machine la plus puissante au monde.

Le Cern, aujourd’hui à la pointe de la recherche mondiale en physique des particules, est, par ses succès, le modèle institutionnel de la coopération internationale. La recherche a suivi cette voie dans d’autres domaines. En biologie moléculaire, l’European Molecular Biology Organization (E.M.B.O.) joue un rôle similaire: son principal laboratoire se situe à Heidelberg (Allemagne). Dans le domaine de l’espace, l’Europe s’est également aperçue qu’elle risquait d’être distancée par les superpuissances si elle ne fédérait pas ses efforts. Après de longues hésitations, l’Agence spatiale européenne (European Space Agency, E.S.A.) a été créée pour construire le lanceur Ariane, mettre en orbite des satellites et réaliser des programmes communs de recherche et d’applications. L’E.S.A., dont le siège est à Paris, possède plusieurs centres de recherche ou d’opérations à Noordwijk (Pays-Bas), à Darmstadt (Allemagne) et à Frascati près de Rome. Son budget était de 2,7 milliards d’écus en 1992. Les enjeux importants que représentent l’observation de la Terre, les vols habités et la participation à la réalisation de stations orbitales placent l’Europe devant des choix difficiles, depuis le début des années 1990, dans une période de restrictions budgétaires. Dans le domaine de l’espace, les coopérations internationales s’imposent comme une nécessité. L’E.S.A. coopère ainsi avec la N.A.S.A., en particulier dans un projet de station orbitale, mais elle a aussi développé sa coopération avec la Russie.

L’Europe a su mettre en œuvre une politique de coopération scientifique et technologique efficace autour de grands équipements de recherche et de programmes spatiaux. Le lanceur Ariane lui donne ainsi, par exemple, un atout tout à fait considérable.

La dépense de recherche effectuée dans le cadre d’institutions européennes non communautaires, comme l’E.S.A., le Cern, l’institut Laue-Langevin (un réacteur à haut flux de neutrons) et la machine pour le rayonnement synchrotron de Grenoble (European Synchrotron Radiation Foality, E.S.R.F.), était de l’ordre de 25 milliards de francs en 1992. Cette dépense correspond, en gros, à la dépense nationale de recherche-développement de l’Espagne; on voit donc son importance.

La Communauté européenne a pris progressivement conscience de l’importance que représentaient pour elle les enjeux scientifiques et technologiques. L’Europe de la science et de la technologie n’est pas aujourd’hui la simple addition de politiques nationales et de projets de collaboration élaborés au coup par coup: la recherche-développement est aussi un volet majeur de la politique communautaire. Les activités de recherche se trouvaient au cœur du traité constituant l’Euratom, signé en 1957, en même temps que le traité de Rome, instituant le Marché commun. Malgré la création de centres de recherche communs (notamment à Ispra, en Italie), l’Euratom fut un échec. Depuis les années 1970, les projets lancés sous l’égide de la Communauté européenne se sont multipliés: construction du Joint European Torus (J.E.T.) à Culham (une machine pour l’étude de la fusion thermonucléaire contrôlée), lancement de programmes spécifiques comme E.S.P.R.I.T. (European Strategic Programme for Research and Information Technology) en électronique, dans le domaine des télécommunications, des biotechnologies, etc. Depuis 1983, ces efforts sont mis en cohérence, coordonnés et planifiés au sein de «programmes-cadres de recherche-développement» pluriannuels. En 1987, l’Acte unique, puis, en 1993, le traité de Maastricht ont, en quelque sorte, institutionnalisé le rôle de l’Union européenne dans le domaine de la recherche et de la technologie en spécifiant les objectifs et les modalités d’intervention de l’Europe. Le traité de Maastricht met l’accent sur l’importance de la recherche pour la compétitivité de l’industrie européenne. En 1993, avec un volume annuel de dépenses de recherche-développement de près de 2,4 milliards d’écus, la recherche est le troisième volet d’intervention de l’Europe par l’importance des moyens engagés.

Il faut ajouter que les pays européens ont décidé, en 1985, sur proposition de la France, de renforcer leur coopération technologique et industrielle en lançant le programme Eurêka, qui a pour objectif de développer de nouveaux produits et de nouvelles techniques grâce à la collaboration d’entreprises industrielles et de laboratoires publics de recherche. En 1992, on dénombrait 624 projets Eurêka en cours ou terminés. La «dimension européenne» est de plus en plus complémentaire des dimensions nationale et régionale pour les systèmes nationaux de la science et de la technologie en Europe.

La recherche internationale s’intéresse également aux problèmes de développement des pays du Tiers Monde (santé, alimentation, ressources naturelles). Ainsi, dans le domaine agricole, une douzaine d’instituts internationaux ont la vocation de promouvoir des recherches sur des productions intéressant les pays en développement (riz, café, etc.). En France, l’O.R.S.T.O.M. et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (C.I.R.A.D.) ont la mission spécifique de mener des travaux de recherche en liaison étroite avec les pays du Tiers Monde, en particulier en Afrique.

Le manque de ressources, mais aussi l’absence d’une tradition scientifique sont des obstacles considérables à l’émergence d’une recherche de qualité en prise sur les problèmes du développement dans le Tiers Monde. La relation entre la science, la technologie et le développement reste l’un des grands enjeux des politiques de la science et de la technologie.

7. Recherche et compétition: le rôle de l’innovation

La plupart des pays occidentaux connaissent, depuis la fin des années 1970, une crise économique et sociale profonde que l’on considère souvent comme une crise de l’industrialisation. Les secteurs industriels «traditionnels» (sidérurgie, textile, etc.) ainsi que des industries plus récentes, comme la chimie, subissent des mutations profondes causées, en partie, par les progrès de productivité résultant eux-mêmes de l’automatisation et de l’introduction de nouvelles techniques de production. Dans certains pays, ces mutations ont provoqué une forte croissance du chômage. Tout cela conduit à réexaminer la contribution du progrès technologique et donc de la recherche, au développement de l’industrie et des services.

La prise de conscience de l’importance de la technologie comme facteur de la croissance économique, et du lien qui existe entre celle-ci et l’activité de recherche scientifique, a été très tardive, comme le rappelle un économiste spécialiste de la recherche-développement, Cristopher Freeman. Si des auteurs comme Adam Smith dans la Richesse des nations et Karl Marx dans Le Capital ont consacré une longue réflexion au rôle de la machine et de l’innovation des techniques dans le processus de production, il n’en demeure pas moins que la plupart des économistes se sont contentés de donner un coup de chapeau poli à la science et à la technologie considérées comme facteurs de production. Les travaux de Joseph Schumpeter sur les cycles économiques et l’innovation ont cependant ouvert, bien avant la Seconde Guerre mondiale, la voie à une réflexion économique approfondie sur la relation entre la croissance et le progrès technologique. On doit à Joseph Schumpeter un modèle qui met en évidence le rôle de la technologie et de la science dans l’innovation et dans la création de nouvelles industries par l’activité des entrepreneurs.

D’autres modèles économiques, compatibles avec le précédent, mettent l’accent sur des cycles du développement industriel (les cycles de Kondratiev) qui, sur de grandes périodes de l’histoire, mettent en jeu des vagues d’innovations. Les périodes de moindre croissance économique, comme celle des années 1980, traduiraient l’«épuisement» d’une vague d’innovations. En adoptant ce point de vue, on peut s’interroger de la façon suivante: les pays industriels ne seraient-ils pas au stade préliminaire d’une nouvelle étape de l’industrialisation fondée sur de nouvelles techniques comme la robotique, l’informatique, l’intelligence artificielle et les biotechnologies? C’est un élément dont les politiques de la recherche doivent tenir compte aujourd’hui.

Les réflexions sur l’organisation, les relations, l’impact sur l’industrie et les enjeux économiques de la science et de la technologie permettent de mieux mesurer l’émergence des innovations, et leur intégration dans le tissu économique et social. Elles tendent à relativiser une conception linéaire de l’innovation technologique. Celle-ci serait, selon certains, l’aboutissement d’une chaîne avec, à l’origine, la découverte scientifique et, à la fin, un produit ou un procédé nouveau mis sur le marché, avec des étapes intermédiaires qui seraient précisément la recherche appliquée et le développement. En fait, il existe tout un éventail de créations, de découvertes ou de changements: des innovations dites «de rupture», souvent issues de la science fondamentale, comme le transistor; ou d’autres qui adaptent ou transforment des techniques existantes, comme le procédé de fabrication de l’acier à l’oxygène; ou d’autres encore qui transfèrent, dans un domaine nouveau, les connaissances techniques propres à un secteur. Dans cette perspective, la technologie devient une forme de savoir qui contribue au processus d’innovation.

Le triptyque «science, technologie, industrie» est au cœur des réflexions sur les stratégies industrielles dans un contexte international de plus en plus marqué par une forte compétition entre les entreprises, et la maîtrise des technologies joue souvent un rôle déterminant. Les firmes multinationales ont, de longue date, compris l’intérêt qu’elles avaient à développer des relations étroites avec la recherche publique, de façon à connaître l’évolution du front de la recherche et à avoir accès aux découvertes les plus utiles pour leur stratégie. Les pouvoirs publics ont pris conscience, depuis les années 1970, de l’importance des politiques de valorisation de l’effort national de recherche-développement et de transfert des résultats de la recherche au secteur industriel.

Les responsables des politiques de la recherche et de la technologie ont donc mis au point des procédures, des programmes incitatifs, des stimulants financiers pour favoriser l’innovation dans l’industrie, en particulier dans les petites et moyennes entreprises C’est en particulier le rôle de l’Anvar en France. La formation des scientifiques et des techniciens est également un élément important des politiques de transfert, car c’est le plus souvent par les hommes que diffusent les idées neuves dans les entreprises.

Il faut aussi souligner l’importance de la «recherche technologique de base» (ou des sciences pour l’ingénieur) pour l’industrie. Les recherches dans des domaines comme la robotique, la mécanique, les matériaux, le génie chimique ont, en effet, un impact direct sur les procédés de fabrication; elles sont souvent à l’origine de produits nouveaux. Ce sont des domaines que la recherche française a le moins bien pris en compte, alors qu’ils sont traditionnellement mieux développés dans des pays comme l’Allemagne, la Suède, la Suisse et le Japon. Les politiques nationales de recherche-développement devront certainement à l’avenir s’intéresser davantage aux sciences pour l’ingénieur, qui sont souvent à la base de progrès techniques.

Il est clair que l’intégration de la recherche et de la technologie dans une entreprise dépend beaucoup des modes d’organisation des activités de recherche-développement en son sein. L’entreprise doit savoir gérer son développement technologique, éviter les cloisonnements qui s’opposent à la diffusion des résultats de la recherche, promouvoir l’innovation, faciliter les relations entre la recherche interne, les services de production et de marketing. Dans la plupart des grands groupes internationaux, le responsable de la recherche-développement appartient au comité exécutif ou au directoire de la firme. C’est rarement le cas en France.

L’importance qu’accordent à la recherche militaire des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Russie conduit les économistes à s’interroger sur son impact économique. Certaines analyses mettent en évidence le fait que la recherche-développement polarise des ressources et des compétences au détriment des activités civiles. Par ailleurs, des économistes américains, comme Ralph L. Nelson, ont formalisé le concept d’«industries stratégiques» qui englobent des secteurs industriels où le changement technique est rapide et où le progrès technique confère une position de force dans la compétition internationale aux pays qui ont su y investir massivement. L’électronique, l’informatique, l’aéronautique, les matériaux sont typiquement des secteurs stratégiques. Leur importance est double: elle est économique, car ils permettent de développer des technologies de base utiles à l’ensemble de l’industrie; elle est aussi militaire, car les techniques qui y sont développées sont la clé de nouveaux systèmes d’armes. Il y a là un débat d’autant plus important pour l’avenir que les accords de désarmement (sur les armes nucléaires tactiques et stratégiques) et la fin de la guerre froide conduisent à des réorientations drastiques des programmes d’armements.

8. Des outils pour la recherche: les indicateurs, l’évaluation et la prospective

La recherche scientifique et le développement mobilisent aujourd’hui des ressources humaines et financières importantes qui doivent être connues avec précision et dont les résultats doivent être évalués. C’est pourquoi des indicateurs de la science et de la technologie ont été mis au point (tabl. 2): ce sont des mesures quantitatives et fiables des paramètres qui définissent l’état et la dynamique du système de la recherche et de la technologie (dépenses de recherche-développement, personnels, publications scientifiques dans les grandes disciplines, brevets par secteurs industriels, etc.).

Aux États-Unis, la N.S.F. publie une série biennale: les Science and Engineering Indicators . L’O.C.D.E., également, publie périodiquement des indicateurs internationaux afin de comparer les efforts de recherche-développement des pays développés. En France, l’Observatoire des sciences et des techniques (O.S.T.) a été créé, en 1990, avec la mission de produire de tels indicateurs qui sont, de façon générale, utiles aux responsables des politiques de la recherche et de la technologie. Ils permettent d’établir en quelque sorte une géographie politique et économique de la science et de la technologie.

On constate ainsi, une fois de plus, que cette géographie mondiale est fortement inégalitaire: en 1991, près de 76 p. 100 des publications scientifiques mondiales étaient assurées par l’ensemble États-Unis - Europe de l’Ouest-Japon; 94 p. 100 des brevets déposés aux États-Unis l’étaient par ce même ensemble de pays (tabl. 2). Le poids de la Communauté européenne, mesuré à l’aide de ces indicateurs, est important: elle assure 28 p. 100 des publications mondiales (les États-Unis, 36 p. 100) et 20 p. 100 des brevets américains (les États-Unis, 46 p. 100). Quant à la France, son poids mondial représente 4,7 p. 100 des publications scientifiques mondiales et 3,6 p. 100 des brevets américains (9 p. 100 des brevets européens, en revanche). Ces indicateurs permettent aussi de repérer, par les publications, les spécialisations des différents pays (les domaines où ils publient le plus). On trouve, ainsi, que la France est spécialisée en physique, en chimie, en recherche biomédicale, mais que ses performances sont moins bonnes en médecine clinique et en sciences pour l’ingénieur.

L’évaluation des performances des laboratoires, des chercheurs, des programmes et des institutions est également un outil important des politiques de recherche. En France, le Comité national d’évaluation de la recherche (C.N.E.R.) a la mission d’évaluer les programmes et les organismes de recherche.

Si les indicateurs et l’évaluation apportent des informations indispensables sur l’état de la recherche, elles n’éclairaient pas pour autant l’avenir. C’est le rôle de la prospective d’apporter cet éclairage (une vision du futur), qui devrait être l’étape initiale obligée de toute politique de la recherche et de la technologie. La prospective est avant tout une attitude, un art, dit-on parfois, qui permet de projeter dans le futur une situation donnée ou d’évaluer les possibilités de mutations profondes ou, encore, de «ruptures» qui bouleversent les champs de recherche. Elle a donc pour rôle d’interroger la science et la technologie en identifiant, par exemple, les paradigmes qui vont émerger (les grands schémas théoriques, les concepts dominants), les mutations possibles (en particulier dans le domaine de l’instrumentation), les voies prometteuses. Elle doit aussi permettre la confrontation des potentialités de la science et de la technologie aux besoins économiques et sociaux, c’est-à-dire à la «demande sociale».

Le lancement, pendant la Seconde Guerre mondiale, de grands programmes scientifiques et technologiques a mis en évidence la possibilité d’une planification technologique en vue de rassembler l’ensemble des moyens nécessaires afin d’atteindre les objectifs et de prévoir les étapes requises pour acquérir les techniques nouvelles. La démarche planificatrice requiert un effort de prévision appelé prévision technologique , identique à la réflexion prospective appliquée à la science. Elle a pour mission de conjecturer l’état d’avancement d’un champ technologique dans un avenir à plus ou moins long terme, et d’envisager les transferts d’un domaine à l’autre. À la différence de la prospective, elle utilise souvent un arsenal méthodologique fondé sur des calculs probabilistes. Certaines de ces méthodes, comme le système P.A.T.T.E.R.N. (planning assistance through technical evaluation relevance numbers ) ou la méthode P.E.R.T. (program evaluation and review techniques ), ont été employées pour les programmes spatiaux et militaires. D’autres, plus simples, utilisent des scénarios ou la consultation d’experts appelés pour évaluer, de façon statistique, la date d’apparition d’une innovation (méthode Delphi).

La prospective et les méthodes plus complexes de la prévision technologique sont incontestablement utiles, néanmoins elles ne permettent pas d’anticiper des découvertes et des innovations révolutionnaires. Rares sont les pays qui procèdent à des analyses prospectives pour l’élaboration d’une politique de recherche; c’est probablement le Japon qui est allé le plus loin dans cette direction.

9. L’avenir de la recherche

La recherche scientifique s’est profondément transformée depuis la Seconde Guerre mondiale: de nouvelles disciplines sont apparues; les nécessités expérimentales ont conduit, dans certaines branches, à une véritable industrialisation des recherches (organisation quasi industrielle de grandes expériences); l’interdépendance entre la science et la technologie s’est renforcée. Sur le plan politique, l’importance des enjeux a accéléré l’intégration de la recherche scientifique dans les processus de décision gouvernementaux. Il est clair qu’une adhésion collective des nations industrialisées à une conception de la science et de la technologie, parties intégrantes d’une stratégie éclairant et préparant l’avenir, n’évacue pas pour autant un certain nombre de questions fondamentales, liées aux finalités de la recherche, aux responsabilités des scientifiques et à l’éthique.

Les progrès récents de la biologie, de la génétique et de la médecine ont contribué à poser, en termes nouveaux, les problèmes d’éthique: où s’arrêtent les possibilités d’intervention de l’homme en matière de procréation, de dépistage ou de guérison de maladies d’origine génétique, ou encore de remèdes aux maladies mentales? De façon générale, ces progrès soulèvent la question des limites de l’expérimentation et, surtout, incitent à réfléchir sur les moyens d’action que la science apporte à l’homme. Dans plusieurs pays, dont la France, des comités d’éthique ont été mis en place avec la communauté scientifique ou avec des membres représentant une autorité morale, les Églises par exemple. La nécessité de préserver l’autonomie de la création scientifique mais aussi, pour la recherche, de prendre en compte des objectifs extérieurs au champ de la science constituera un autre ensemble de questions primordiales ayant trait à l’évolution même des relations entre science et société. C’est dire que les débats sur les enjeux et les priorités, sur les notions de programmation et de planification conserveront toute leur importance à l’avenir.

Confrontée à une exacerbation de la compétition internationale, l’Europe est amenée à déterminer comment elle peut préserver son autonomie scientifique et technologique en élaborant une véritable stratégie de coopération scientifique et technologique.

Encyclopédie Universelle. 2012.