UNIVERSITÉ
L’Université a longtemps constitué l’exemple presque parfait d’une «institution» au sens traditionnel de ce terme, c’est-à-dire d’une organisation reposant sur des valeurs reconnues comme légitimes et centrales pour la société; étroitement associée à la classe dirigeante et gérée selon des normes décidées par les autorités politiques centrales. Elle était alors davantage un lieu d’élaboration d’un code culturel qu’un instrument de production de connaissances nouvelles. Elle formait aussi un milieu relativement clos, bien qu’étudiants et enseignants aient toujours constitué dans des sociétés à participation politique très limitée des substituts de forces politiques populaires. Le rôle croissant de la connaissance, la rapidité des changements économiques et sociaux, l’extension de toutes les formes de participation et de contrôle social ont imposé au système universitaire des tâches plus diversifiées, si différentes même les unes des autres qu’on peut se demander si elles continueront à être remplies par la même organisation. N’ayant jamais été aussi puissantes et aussi centrales que dans les sociétés industrielles avancées, les universités n’y sont-elles pas aussi menacées de disparition?
1. Les universités aux XIXe et XXe siècles
Le terme «université», en tant qu’il caractérise une organisation d’enseignement, est employé en Europe depuis le Moyen Âge, servant à désigner alors l’Universitas magistrorum et scholarium parisiensium (1215), la future Sorbonne, en France; Oxford (1249) et Cambridge (1284) en Angleterre; Heidelberg (1386), Cologne (1388), Tübingen (1477), etc., dans les divers États germaniques; Bologne en Italie au XIIe siècle. Tous ces établissements étaient entièrement dépendants de l’Église, et la création, le développement ou le déclin de nombre d’entre eux ont coïncidé avec des débats théologiques ou de doctrine (cf. universités MÉDIÉVALES).
Mais les universités en tant qu’éléments d’un système d’enseignement, supérieur d’une part, pourvu d’une relative autonomie d’autre part, sont nées avec les sociétés industrielles, en une période où l’accumulation du capital et l’organisation de la production constituent le moteur du développement économique et social, l’enjeu des rapports de classe; période où la bourgeoisie capitaliste est apparue comme une classe dirigeante montante. Nées au moment ou la créativité sociale se définit en termes de progrès – les débats de la philosophie des Lumières au XVIIIe siècle en avaient déjà montré, sur un plan théorique, nombre d’exigences et de conflits latents –, les universités contribuent à l’élaboration d’un nouveau modèle de connaissance, où la recherche, la diversification des disciplines commencent à jouer un rôle important et qui est plus systématiquement pris en considération.
Les universités créées ou réformées au XIXe siècle sont, plus ou moins consciemment, en rupture avec les institutions qui, au Moyen Âge ou au temps de la monarchie absolue, portaient ce nom. La rupture semble, par exemple, très marquée en France, beaucoup moins en Angleterre. Ainsi, le contenu de l’enseignement ne constitue plus seulement un héritage, le but visé n’étant plus de transmettre les éléments d’un système de valeurs dominant, mais de participer au progrès, donc de créer. Le cursus universitaire devient alors plus diversifié. Les professeurs tendent à avoir une profession propre; ils ne sont plus membres du clergé, mais philosophes, mathématiciens, anatomistes, etc. Enfin, les universités du XIXe siècle sont des organisations assez complexes, se situant par rapport à d’autres enseignements, avec lesquels elles forment, de façon plus ou moins intégrée, un système. Dans ce système, elles sont un élément possible d’enseignement supérieur. Si l’Université est généralement apparue en premier, sa création a entraîné la définition d’un enseignement secondaire qui s’est progressivement constitué en préalable nécessaire à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Au XIXe siècle s’est donc manifestée une relative coordination entre les divers établissements d’enseignement – situation absolument nouvelle par rapport à celle du XVIIIe siècle, qui comptait des établissements d’enseignement multiples, mais dont chacun constituait par lui-même un tout. Les universités qui se créèrent au début et tout au long du XIXe siècle étaient sans aucun doute liées aux groupes dirigeants et dominants; mais elles n’en étaient pas les porte-parole destinés à transmettre l’idéologie propre au capitalisme; elles orientaient un certain type d’action et s’exprimaient au nom du progrès. Par là, elles avaient une autonomie en ce qu’elles faisaient partie d’un système politique et n’étaient pas seulement un élément de domination d’un groupe social. Par ailleurs, elles ne furent pas, pour ce temps, des organisations centrales, les étudiants y étant d’autant moins nombreux qu’elles n’étaient pas d’accès aisé pour ceux qui ne faisaient pas partie de la classe dirigeante, et que, pour cette dernière, elles n’avaient pas une valeur déterminante, permettant, par exemple, de devenir chef d’entreprise. Leur autonomie n’en paraissait que plus grande.
Au XXe siècle, et surtout depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement de la connaissance est devenu un élément essentiel de la survie des sociétés fortement industrialisées; il constitue une des dimensions fondamentales de leur pratique; il est l’objet d’un débat. Par ailleurs, le besoin de diplômés est beaucoup plus important, tandis qu’une demande en éducation, plus ou moins clairement formulée, s’accroît. Le problème des universités est devenu central à plus d’un titre. Ce n’est donc pas la continuité organisationnelle qui est le fait majeur de l’histoire récente des universités – cette continuité paraît pourtant plus réelle qu’entre les universités du Moyen Âge et celles du XIXe siècle –, mais le problème posé par cette histoire et qui pourrait être résumé de la façon suivante: une organisation qui correspond à une volonté de développer le progrès, mais qui est engagée dans tous les conflits que suscitent ce nouveau modèle de connaissance et le problème général de l’organisation sociale, peut-elle trouver en elle-même – étant donné les compromis auxquels elle se soumet et les diverses instances qui s’en réclament – les moyens d’assumer et de provoquer des transformations qui en feront le lieu d’un débat social, lieu à la fois central et critique, où les problèmes inhérents au développement de la connaissance comme pratique sociale seront posés? Il n’y a pas d’université qui constitue un type idéal et sur l’organisation de laquelle les universités du XIXe puis du XXe siècle auraient dû se modeler. La diversité des modalités de développement des universités en Europe et aux États-Unis a au moins deux raisons: d’une part, une université n’est jamais isolée d’une société et de ses divers nivaux de fonctionnement (cf. infra ); d’autre part, une société peut être plus ou moins hétérogène dans son rapport à l’industrialisation et à la forte industrialisation.
L’Université et l’enseignement supérieur en France
Les faits les plus marquants de l’histoire des universités françaises sont les suivants: création du Conservatoire des arts et métiers, de l’École polytechnique, de l’École normale supérieure (1794); création de l’Université de France (1808); loi Falloux (1850); création de l’École pratique des hautes études (1868), création de l’École des sciences politiques (1871); création des universités comme établissements d’enseignement supérieur (1885-1896); création des écoles nationales supérieures d’ingénieurs, E.N.S.I., (1946); création des instituts universitaires de technologie, I.U.T. (1966); loi d’orientation de l’enseignement supérieur (1968).
Créée par décret impérial en 1808, l’Université de France apparaît comme une unité administrative qui établit le monopole de l’État sur la collation des grades plutôt qu’elle ne met en place un enseignement supérieur nouveau. L’Université de France regroupe en effet les trois ordres traditionnels de facultés – droit, médecine, théologie –, auxquels sont ajoutés deux ordres nouveaux – lettres et sciences. Les trois premières facultés, si elles donnent des diplômes d’État, restent principalement des établissements professsionnels liés à leurs corporations propres. Celles de lettres et de sciences n’ont, en 1808 et pendant une bonne partie du XIXe siècle, ni locaux propres ni étudiants. Elles constituent un cadre dans lequel vont être redéfinis (car ces diplômes existaient auparavant) le baccalauréat, la licence, l’agrégation, tous grades qui scanderont la préparation des professeurs d’une nouvelle organisation d’enseignement: les lycées, avatar très déformant des écoles centrales de la Révolution; cette organisation dépendra de l’Université de France. Obtenu après des concours oraux (écrits et oraux après 1830), ces grades – auxquels il faut ajouter la thèse pour les rares professeurs de faculté – ne donnent cependant lieu à aucun cours spécifique.
L’Université de France n’a jamais coordonné l’ensemble des établissements d’enseignement. Ainsi, les écoles spéciales ou grandes écoles – Conservatoire des arts et métiers, École des ponts et chaussées (1775), École polytechnique, École des mines – ne lui sont pas liées. Or ces dernières forment un important ensemble d’enseignement supérieur, en particulier comme infrastructure du développement économique. L’intérêt du décret de 1808 réside surtout dans l’instauration des lycées et d’un corps propre d’enseignants. Les lycées ont alors au moins deux raisons d’être: l’une est de retirer à l’Église – ancien groupe dominant – le monopole de l’enseignement et de montrer l’importance d’un État qui diffuse l’idée du progrès, est capable de mobiliser et d’unifier les divers éléments d’une nation hétérogène et n’est apparemment ni le reflet de la vieille aristocratie foncière, ni celui de la bourgeoisie capitaliste; l’autre raison d’être des lycées est qu’ils peuvent contribuer à la formation d’un appareil d’État: par la forme de discipline qui y a été instituée par le premier Empire – si ce n’est par le contenu de l’enseignement, semblable à celui que donnaient les Jésuites au XVIIIe siècle –, le lycée apparaît comme un préalable utile à la formation reçue dans les grandes écoles, lesquelles forment les cadres supérieurs, civils ou militaires, de l’État.
Ces deux raisons ne sont pas absolument coordonnées: pendant une grande partie du XIXe siècle, les grandes écoles ont recruté pour élèves, autant que des lycéens, des jeunes gens formés par des précepteurs ou dans des collèges religieux. Lors de sa création, en effet, l’Université de France, pour s’imposer comme un monopole d’État, n’avait guère de lettres de créance; son problème était donc d’en acquérir, compte tenu des nombreuses idées que la bourgeoisie avait émises à propos de l’enseignement, au XVIIIe siècle et pendant la Révolution (lorsque son pouvoir de domination était très limité), compte tenu également de l’expérience que l’Église avait acquise en ce domaine. C’est pourquoi le développement de l’Université de France est d’abord lié à un conflit entre l’État et l’Église catholique, à la recherche d’un compromis entre l’ancienne classe dominante et une nouvelle classe dirigeante. Ce compromis fut finalement réalisé par les professeurs que mit en place l’Université de France: ils définirent un contenu de l’enseignement (l’éclectisme de Victor Cousin, par exemple); à partir de 1830, ils étoffèrent une administration, donnant un sens nouveau au conseil de l’Université, bientôt renforcé par le développement de l’Inspection générale (second Empire). Ils se constituèrent en un corps qui, à partir de 1860, réclama, au nom du progrès de la science, mais aussi de l’ordre social et de la stabilité, la constitution d’organisations d’enseignement supérieur marquant l’importance des facultés de lettres et des facultés de sciences. C’est en 1885 que furent créées les facultés comme lieu d’enseignement spécifique où des étudiants suivent des cours; mais ceux-ci furent définis en fonction des diplômes préparant à la profession d’enseignant. Les professeurs ne parvinrent pas, en 1893, à créer des lieux d’enseignement et de recherche qui eussent été de véritables universités; et ce qui en prit le nom en 1896 ne constitua en fait qu’un rassemblement de diverses facultés dans une académie; mais aucun lien n’est créé alors, qui eût permis des échanges ou évité une trop rigide division des disciplines.
L’enseignement supérieur en France, au cours du XIXe siècle, s’est en fait développé dans trois directions: les écoles spéciales, les grands établissements scientifiques et les facultés. Les écoles spéciales, ou grandes écoles, sont des établissements d’enseignement et également de recherche. Un concours permet d’y entrer; le contenu des études y est défini par un conseil de perfectionnement, et il est relativement lié au développement industriel, d’ailleurs lent et discontinu. Ces grandes écoles, qui furent créées tout au long du XIXe siècle, et dont le Conservatoire des arts et métiers, l’École polytechnique, l’École centrale, l’École des chartes, l’École des sciences politiques, l’École des hautes Études commerciales sont parmi les plus célèbres, pratiquent, sauf l’École normale supérieure, une séparation totale entre les sciences et les lettres. D’autre part, du fait de leur implantation dans la capitale, la répartition des établissements d’enseignement supérieur entre la province et Paris est fortement déséquilibrée. Les grands établissements scientifiques (le Muséum d’histoire naturelle, le Collège de France, l’École pratique des hautes études sont les plus importants) ne s’adressent pas à un public particulier, mais abritent des laboratoires de recherche; ils essaient de donner vie à l’idée de progrès: Michelet, Quinet, Bergson, professeurs au Collège de France, ont toujours refusé les compromis élaborés par les professeurs de faculté, tels Cousin et Lavisse. Les facultés sont devenues des lieux d’enseignement qui ne participent guère à la recherche, si ce n’est pas leurs professeurs pris individuellement et en dehors de leurs tâches d’enseignement.
La réforme de 1896 a en quelque sorte signé l’arrêt de mort des universités en tant qu’établissements d’enseignement et de recherche; l’existence des grandes écoles et des grands établissements scientifiques pouvait d’ailleurs limiter provisoirement les conséquences de cet échec. Dès lors, le système d’enseignement supérieur se développa par sédimentation, ce qui n’exclut pas une diversification, mais interdit une cohérence, une action coordonnée et spécifique de l’ensemble de l’enseignement supérieur dans l’orientation de la connaissance, c’est-à-dire une politique d’enseignement. Les universités ont connu leur heure de gloire pendant la IIIe République, notamment parce qu’elles permettaient une reproduction de l’ordre social; mais, progressivement, elles en vinrent à ne pouvoir reproduire qu’elles-mêmes. Le processus de sédimentation s’accroît alors: de nouvelles grandes écoles se créent, tandis que les établissements de recherche comme le Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.) se développent parfaitement en dehors des universités – si les professeurs sont souvent des chercheurs, les deux activités continuent d’être séparées.
À partir de 1956, le nombre des étudiants s’accroît sensiblement, mais surtout dans les domaines littéraires, tandis qu’une pénurie de diplômés scientifiques rend urgentes des réformes; les grandes écoles, dont l’organisation est moins lourde et moins rigide, se réforment plus rapidement; d’autres sont créées, notamment dans le domaine de la gestion d’entreprises. Des instituts d’université – E.N.S.I., I.N.S.A. (instituts nationaux des sciences appliquées) pour les facultés de sciences, institut d’administration d’entreprises pour les facultés de droit – se modèlent plus sur les grandes écoles que sur l’Alma Mater , dont ils peuvent être relativement indépendants. Les facultés forment un ensemble disparate. Celles de lettres, conservant leurs normes, accentuant une rigidité qui aboutit à des contradictions: par exemple, seuls les étudiants qui y auront obtenu l’agrégation ou le C.A.P.E.S. posséderont un diplôme ayant une valeur reconnue; mais le malthusianisme présidant à ces concours est tel qu’il ne permet plus de subvenir aux besoins en professeurs dans l’enseignement secondaire. Par ailleurs, des disciplines comme la sociologie souffrent de la structure éclatée où elles doivent s’intégrer. Les facultés de sciences peuvent acquérir, département par département, une autonomie, mais elles restent encore écartelées entre les exigences de la recherche et celles du corporatisme. Le système d’enseignement supérieur français n’a jamais eu d’unité; cela ne signifie pas qu’il ne puisse être dans quelques cas efficace, mais il ne permet pas l’élaboration d’une politique d’enseignement, et son rôle critique, notamment face à l’interprétation du développement de la connaissance dans les sociétés fortement industrialisées, est très faible. L’une des exigences du mouvement de mai 1968 était que ce système fût critique à l’égard de la société, et donc qu’il fût reconnu comme pouvant, moyennant de profondes transformations, y jouer un rôle central. La loi d’orientation des universités conçue alors par Edgar Faure n’a pas réussi à rendre une cohérence au système, et son efficacité reste localisée et fragile.
Les universités allemandes
L’histoire récente des universités en Allemagne a été marquée par les créations de l’université de Berlin par Fichte et Humboldt, en 1809; de l’université de Bonn, avec la collaboration de Schlegel, en 1818; des universités technologiques d’Aix-la-Chapelle, de Darmstadt, de Baden, de Munich, de Stuttgart, au cours du XIXe siècle; de l’université de Francfort en 1914; de l’université de Hambourg en 1919.
L’université de Berlin est longtemps restée un modèle incontesté d’université, une référence à dépasser, bien qu’aucune des réformes universitaires opérées sur cet exemple n’ait réussi (cf. les réformes de 1885 et de 1896 en France, le rapide déclin de Johns Hopkins et le caractère très rapidement spécifique de Harvard, à la fin du XIXe siècle, aux États-Unis). Le terme «université», dans le cas de l’université de Berlin et de celles qui se créèrent par la suite dans les États germaniques, désigne un organisme qui est absolument l’opposé de celui qui prévaut en France tout au long du XIXe siècle. L’instauration de cette formule, qui se situe dans la ligne du mouvement des Lumières et du romantisme allemand, se fait dans un pays qui est peu unifié mais cherche à s’opposer aux guerres de domination napoléoniennes; le nationalisme, qui est aussi une volonté d’unification des États germaniques, y est donc fort important. En 1809, par ailleurs, la bourgeoisie capitaliste exerce peu de pouvoir, tandis que l’aristocratie foncière, qui n’est plus absolument dominante, ne reste pas insensible à un développement théorique de l’idée de progrès, laquelle, de plus, est associée à l’idée de nationalisme.
L’université de Berlin ne détient pas le monopole des grades d’État; elle n’est pas habilitée à définir le contenu de l’enseignement pour l’ensemble des universités d’État (aucun organisme administratif n’est investi de ces pouvoirs). Elle est, par contre, un lieu d’enseignement et de recherche où l’on trouve, avec des professeurs et des étudiants, un corps intermédiaire, celui des Privatdozenten , assistants préparant leur thèse. Un choix libre des enseignements, tant par les étudiants que par les professeurs, une concurrence entre les universités facilitent une diversification des disciplines. Si, au début du XIXe siècle, l’intérêt se concentre sur la philosophie, qui compte de grandes figures tels Hegel et Schelling, les problèmes théoriques ainsi soulevés et les diverses demandes entraînent rapidement le développement de la physiologie, des mathématiques, de l’histoire, de la physique, des sciences naturelles. Mais plus ce développement s’accentue, plus l’Université devient nécessaire, plus son organisation s’alourdit et plus sa rigidité est perceptible. Les besoins de la recherche amènent à créer des instituts adjoints aux universités, leurs directeurs étant titulaires d’une chaire. Mais ces instituts prennent une certaine indépendance, car ils rassemblent un personnel permanent qui devient en fait difficilement interchangeable avec celui de l’Université. La dimension beaucoup plus théorique que «professionnalisante» des universités de type de celle de Berlin provoque, lorsque l’industrialisation progresse, un retrait des universités technologiques. Elle pèse également sur la formation des enseignants et n’est pas toujours appréciée pour la formation des fonctionnaires. Enfin, les professeurs d’Université, qui sont des fonctionnaires d’État sont peu à peu contraints à une sorte de neutralité, de sorte que la fonction de reproduction de l’ordre social joue de façon très importante au début du XXe siècle, ainsi que W. Benjamin l’a fait remarquer. Des écoles de recherche parallèles apparaissent (Francfort, en particulier, vers 1920). Le contenu de l’enseignement universitaire n’est pourtant jamais arrivé en Allemagne à un compromis aussi éloigné qu’en France du développement de la connaissance.
Pendant la période nazie, l’Université étant soumise à l’État et la vie intellectuelle paralysée, beaucoup d’enseignants s’enfuirent à l’étranger et le nombre des étudiants diminua fortement. Après la guerre, le développement des universités s’avéra évidemment fort différent suivant qu’il s’agit de l’Allemagne de l’Ouest ou de l’Allemagne de l’Est. Dans la République démocratique allemande, la tendance à la professionnalisation s’accentue et les universités y sont, pour la plupart, principalement scientifiques et techniques. Dans la république fédérale d’Allemagne, l’augmentation du nombre des étudiants et un allongement excessif de la durée des études provoquent une crise. Les étudiants dans les disciplines scientifiques sont trop peu nombreux, et le problème se pose d’opérer une refonte des universités technologiques, des écoles techniques supérieures et des universités. Depuis 1962, de nouvelles universités se créent, mais aussi des écoles de gestion. Actuellement, le rôle politique de l’Université en Allemagne de l’Ouest n’est absolument pas en accord avec la puissance économique de ce pays.
Les universités anglaises
De l’histoire des universités anglaises au XIXe et au XXe siècle, il convient de signaler la création de la Royal Institution en 1802; la création, en 1828, de l’université de Londres (dont la charte complète paraîtra en 1898); en 1854, le début d’une série de réformes à Oxford; en 1856, le début des réformes de Cambridge; la création des civics universities , dont beaucoup étaient d’anciennes facultés de médecine (Manchester, Liverpool, Leeds, Birmingham, Newcastle), à la fin du XIXe siècle; la création du ministère de l’Éducation en 1870; le développement des training colleges (formation des enseignants de l’enseignement secondaire) et des colleges of technology dans une perspective plus liée à l’enseignement supérieur au début du XXe siècle; la création de l’University Grants Committee (U.G.C.) en 1919; la création, en 1956, de dix colleges of advanced technology , tous transformés après 1964 en universités technologiques; de 1949 à 1966, la création de dix nouvelles universités (Sussex, Essex, Warwick, etc.); la création des polytechnics en 1966; la création, en 1969, de l’Open University (enseignement reposant sur des cours télévisés et radiodiffusés et permettant d’acquérir des diplômes universitaires).
Les universités traditionnelles anglaises – Oxford et Cambridge, Édimbourg – étaient, au début du XIXe siècle, les lieux de formation et de reconnaissance mutuelle des membres de l’Establishment. Mais des établissements financés les uns par les Églises (pour le recrutement du clergé non mondain) et les autres par les villes se développèrent parallèlement. Les seconds répondaient aux besoins techniques d’une industrialisation dont l’infrastructure était déjà fort importante. La création de l’université de Londres allait donner une cohérence à certains d’entre eux et établir les nouvelles bases d’un enseignement constitué en système. Établissement d’enseignement et de recherche, cette université pouvait conférer également des diplômes aux étudiants ayant subi des cours en dehors de ses collèges, et cela dans beaucoup de domaines techniques. Cette concurrence ainsi que le développement de la recherche provoquèrent la réforme d’Oxford et de Cambridge, qui devinrent des lieux plus préoccupés de problèmes contemporains, en particulier dans le domaine de la recherche scientifique. Enfin, les civics universities , établissements d’un type nouveau insérés dans les villes industrielles (au contraire d’Oxford et de Cambridge), maintiennent alors un caractère pluridisciplinaire, mais mettent l’accent sur la formation des ingénieurs et se montrent également plus ouvertes aux classes moyennes. Cet ensemble permet une reproduction de l’ordre social, mais plus dynamique, plus conforme aux transformations de la classe dirigeante qu’en France ou en Allemagne.
Les universités anglaises, dès lors qu’elles ont reçu une charte royale les autorisant à décerner leurs propres diplômes, sont très autonomes, tant pour le choix de leurs professeurs (qui ne sont pas, comme en France ou en Allemagne, des fonctionnaires) que pour la détermination du contenu des cours. Leur financement fut longtemps assuré indépendamment de l’État; mais celui-ci, lorsque le procédé perdit sa fiabilité, intervint par le truchement d’un organisme, l’U.G.C., qui, essentiellement composé d’universitaires, préserva ainsi la relative autonomie du développement des universités en devenant peu à peu un organisme planificateur de ce développement et en constituant en tout cas un organisme de réflexion. Après la Seconde Guerre mondiale, la demande à l’entrée des universités s’accrut beaucoup, tandis que les employeurs formulaient une demande nouvelle. Ayant un système de sélection très sévère et de fortes exigences pédagogiques, les universités anglaises offrent une résistance assez grande à la pression du nombre. Le Robbins Report s’en prit au problème d’une politique coordonnée de l’enseignement supérieur qui fût aussi une politique d’expansion. Posé en fait dans de multiples instances qui ne s’ignorent jamais totalement l’une l’autre, le problème de l’expansion de l’Université est surtout caractérisé, depuis 1966, par un développement de l’enseignement supérieur non universitaire avec les polytechnics . Mais les universités n’y restent pas indifférentes, et, d’une manière générale, beaucoup plus qu’en France ou en république fédérale d’Allemagne, une politique cohérente de l’enseignement supérieur semble s’être instaurée actuellement en Grande-Bretagne.
L’Université aux États-Unis
C’est à une tout autre échelle que se situe le développement des universités aux États-Unis: les établissements y sont si nombreux et si divers, les transformations si foisonnantes qu’on doit se borner ici à quelques indications. Dans la société peu intégrée que constituaient, au XIXe siècle, les États-Unis, dominaient surtout des collèges techniques en tout genre, indépendamment de tout enseignement secondaire; ils étaient loin de former l’ensemble de l’élite sociale; c’est en vertu de telle ou telle conjoncture – économique, régionale – que peu à peu certains d’entre eux, à partir de 1860, assumèrent cette fonction. Le rôle des présidents d’université fut particulièrement important à cette époque où se mettaient en place les graduates studies , l’elective system (et donc certains éléments de sélection). Une diversité de disciplines techniques et professionnelles apparaît alors; c’est ainsi que beaucoup d’écoles d’administration, par exemple, sont créées.
Au début du XXe siècle, les États-Unis prennent davantage la figure d’une nation et, à ce titre, ont souci de la reproduction. Le développement des grands établissements universitaires s’y poursuit par la mise en place d’une general education , mais aussi par l’élargissement de l’enseignement supérieur: la création des liberal arts colleges et des junior colleges amplifie le système de sélection; par ailleurs, l’administration se développe, ainsi que les exigences de reproduction du système.
Depuis 1956, les universités américaines comptent parmi les lieux les plus importants de la production des connaissances et illustrent le rôle fondamental de cette dernière dans la survie d’une société fortement industrialisée. La professionnalisation des enseignants y est extrême. Les grands centres d’enseignement et de recherche – Harvard, Yale, Princeton, Berkeley, Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.), Chicago, entre autres – sont aussi traversés par des mouvements étudiants qui se caractérisent par une grande violence et sont chargés de multiples significations. Ces mouvements marquent à la fois le rôle central (par les exigences à l’égard du développement de l’Université) et critique (par les exigences à l’égard des orientations sociales et politiques, notamment en ce qui concerne le Vietnam) des universités américaines actuelles.
2. La situation contemporaine
Depuis la fin des années soixante, les universités ont connu dans la plupart des pays de profondes transformations. Elles ont continué de subir les contrecoups d’un afflux d’étudiants sans précédent dans leur longue histoire. Cette croissance des effectifs s’est accompagnée d’une modification de la composition sociale et d’un changement de l’attente des demandeurs. En plusieurs pays, la loi a aussi modifié les institutions et introduit de nouveaux modes de gouvernement. Enfin, depuis 1973, la récession économique et le rétrécissement des débouchés offerts aux étudiants ont jeté le doute sur l’utilité de l’enseignement supérieur de type traditionnel, et les universités qui bénéficiaient d’un prestige et d’une autorité morale incontestables ont vu leur finalité remise en question et leur rentabilité pour la société contestée. Il est significatif que ces divers changements aient touché la plupart des nations développées: pareille simultanéité est une présomption qu’ils sont moins dus aux situations particulières qu’à des contraintes objectives et c’est aussi le signe qu’ils correspondent à des exigences nouvelles qui s’imposent à tous les pays.
Effectifs et débouchés
La croissance des effectifs, qui avait, dans les années soixante, submergé les établissements sous le nombre et fait craquer les cadres, s’est cependant nettement ralentie dès le début des années soixante-dix: de lui-même, le chiffre s’est stabilisé; le renversement de conjoncture et l’incertitude qui pèse désormais sur les débouchés n’y sont pas étrangers. Pour la France, l’effectif global des étudiants est stationnaire autour de 900 000; soit un peu moins de 2 p. 100 de la population globale. Mais les conséquences de cette formidable poussée continuent de peser sur le fonctionnement des universités: dans les pays avancés, elles ont la charge d’une fraction de la jeunesse comprise entre 15 et 20 p. 100 d’une classe d’âge.
La démocratisation est allée de pair avec l’accroissement: à mesure que grandissait la proportion d’une classe d’âge à entrer à l’université, celle-ci recrutait dans des couches plus étendues. Sans être encore l’exacte reproduction de la société globale, la population étudiante n’est plus cette pyramide inversée qu’elle était auparavant: enfants de cadres moyens, d’employés, de petits fonctionnaires, de commerçants modestes y ont fait irruption. Cette mutation de la clientèle a modifié ses attentes: les nouvelles générations sont moins intéressées par l’acquisition d’une culture générale que préoccupées d’obtenir un diplôme qui leur assure un emploi et leur garantisse une position sociale. Et cela au moment même où l’évolution du marché de l’emploi restreint les débouchés. La substitution d’une attente d’ordre social à la demande intellectuelle traditionnelle a de grandes conséquences: elle contraint les universités, sous la pression conjointe des étudiants et de leurs familles, des employeurs, des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds, à faire une place croissante aux filières pratiques; les universités sont ainsi l’objet d’un processus de professionnalisation qui les rapproche des écoles.
La concomitance contradictoire entre l’afflux à l’entrée et la réduction des débouchés à la sortie pose aux universités et aux responsables politiques un grave problème: doit-on maintenir l’accès ouvert à tout titulaire d’un diplôme de fin d’études secondaires (baccalauréat ou ses équivalents, tel l’Abitur ) ou convient-il de proportionner le nombre des admis au volume présumé des débouchés probables? Dans la plupart des pays, par des mécanismes différents, la formule a prévalu récemment d’une sélection, plus ou moins rigoureuse: ici a été adoptée la solution d’un numerus clausus ; ailleurs a été institué un examen de contrôle des aptitudes. Dans les démocraties populaires, le chiffre des étudiants est déterminé pour chaque discipline par les prévisions du plan. Dans les démocraties libérales, des mesures limitatives ont été adoptées. La France elle-même, qui avait écarté la sélection en 1968, y vient par étapes: elle l’a introduite dans quelques filières où la profession organisée redoutait l’engorgement des débouchés et l’abaissement consécutif des revenus: médecine, pharmacie, études dentaires, architecture. Peut-être inévitable, le recours à des formules de sélection ne règle pas entièrement le problème. Y a-t-il au reste une solution satisfaisante? Il n’existe pas à l’heure présente de critères sûrs pour discerner les aptitudes des individus et, de surcroît, il n’est possible dans aucun pays de supputer avec quelque apparence de certitude le volume des besoins à l’échéance des quarante années qui définissent l’horizon de la carrière professionnelle des étudiants.
Le ralentissement, tantôt spontané, tantôt réglementé, de la croissance étudiante, succédant sans transition à l’irrésistible poussée des années soixante, a des effets désastreux sur la carrière des enseignants et l’avenir des établissements. Pour faire face à l’afflux, les universités avaient recruté massivement un personnel jeune: en France, l’effectif des enseignants a quadruplé en une quinzaine d’années. Le plein est fait pour trente ans. La stagnation de la demande suspend tout recrutement et la diminution de la natalité que connaissent la plupart des sociétés occidentales ferme tout espoir de voir la situation se renverser ou seulement s’améliorer. Une pyramide des âges avec une base très large et un sommet exigu interdit à la majorité des enseignants toute perspective de promotion. Cette situation engendre un malaise, tantôt diffus, tantôt explosif. Pour l’institution, c’est un risque de sclérose et de stérilisation: menace redoutable pour une institution dont la mission implique renouvellement et invention.
La diversification des missions
Depuis leur restauration au XIXe siècle et en relation avec le développement de la scolarité, l’habitude était que les universités se consacrent principalement à la formation des adolescents: la préparation à la vie adulte était, avec la recherche, leur activité essentielle. Cette situation tend à se modifier: le développement de la formation des adultes, le recyclage, la reconnaissance du droit à la formation continue pour les individus, assortie, dans le cas de la France, d’une loi qui en fait une obligation pour la collectivité, créent de nouvelles tâches pour les universités. L’organisation d’activités pour le troisième âge étend leur champ d’action. Cette diversification des publics transforme les relations avec la société. La recherche exige des moyens sans cesse accrus. Les universités se voient aussi confier des missions d’animation culturelle. Si la multiplication des tâches resserre les liens, trop distendus, avec la nation, c’est un problème souvent difficile à résoudre d’établir entre elles une hiérarchie qui ne compromette pas les fonctions traditionnelles de culture, d’exercice critique du jugement et d’enrichissement du savoir désintéressé. Toutes ces activités sont onéreuses, et les gouvernements sont tentés de sacrifier les moins rentables à des critères d’utilité immédiate.
Le gouvernement des universités
Les universités étaient traditionnellement gouvernées par des institutions héritées d’un passé souvent fort ancien et où la coutume se mariait à l’application de textes séculaires. En France, elles étaient relativement jeunes: en effet, contrairement à ce qui est dit ordinairement, elles ne dataient pas de Napoléon Ier, qui n’avait fait que créer sur le papier une corporation à monopole, mais de la IIIe République, qui a été la véritable restauratrice de l’enseignement supérieur. Le gouvernement des établissements portait la marque d’un temps où les étudiants n’étaient pas nombreux et où les enseignants ne comptaient guère que des professeurs titulaires. Une modification des structures était devenue nécessaire pour conformer l’organisation aux nécessités du moment et associer les catégories qui avaient surgi depuis lors et que les dispositions traditionnelles excluaient de l’exercice de la responsabilité. En plusieurs pays d’Europe occidentale, en Allemagne, en Italie, des lois ont été votées dans les années soixante-dix par les parlements, qui ont apporté des changements importants au gouvernement universitaire. C’est en France que la mutation a été la plus radicale; c’est en France aussi qu’elle s’est accomplie dans les délais les plus brefs: moins de six mois entre le point culminant de la crise universitaire – Mai-68 – et le vote de la loi d’orientation du 12 novembre. Les deux traits sont liés: c’est parce que la loi a été mise en chantier en pleine effervescence, pour donner une issue à une situation insurrectionnelle, qu’elle a adopté des solutions hardies et novatrices. Mais dans les autres pays les formules retenues s’inspirent de préoccupations analogues et obéissent à des principes voisins.
La loi de 1968 a été remplacée par une autre loi votée en 1983, la majorité de gauche arrivée au pouvoir en 1981 ayant estimé que le moment était venu d’adopter de nouvelles institutions. Mais la loi Savary s’inspire des mêmes principes que sa devancière et, tout bien pesé, les modifications qu’elle a introduites dans l’organisation des universités ne bouleversent pas le système dessiné en 1968. Que les changements de majorité politique aient ainsi des répercussions sur l’organisation de l’enseignement supérieur n’est pas propre à la France: en république fédérale d’Allemagne aussi, l’alternance a eu pour effet le vote d’une nouvelle loi universitaire. Le phénomène, s’il manifeste que les pouvoirs publics ne peuvent plus de nos jours se désintéresser des problèmes universitaires, ne laisse pas d’inquiéter pour l’indépendance des établissements, dont il est souhaitable qu’ils échappent aux vicissitudes des luttes politiques.
Le nouveau régime repose sur trois principes. Celui de pluridisciplinarité, qui dérive de l’interdépendance croissante des savoirs autant que des nécessités sociales, a entraîné la disparition des facultés traditionnelles constituées sur la base d’un découpage qui datait, lui, de Napoléon. Les nouvelles universités doivent être pluridisciplinaires: dans la pratique, elles le sont plus ou moins; certaines sont restées attachées aux anciens partages, et la pluridisciplinarité rencontre la résistance des pesanteurs institutionnelles et des particularismes intellectuels. Le deuxième principe est celui de la participation: il donne satisfaction à la revendication des catégories que le régime antérieur tenait à l’écart. Il introduit dans les institutions universitaires les principes qui régissent la société démocratique: représentation de tous les intéressés et désignation des responsables par l’élection. Conformément à son inclination habituelle, la France est allée plus loin dans l’application en posant le principe de la parité entre les représentants des étudiants et ceux des enseignants permanents. Les Conseils d’université exercent les prérogatives d’un organe législatif: définition des enseignements, détermination des règles pédagogiques, vote du budget, répartition des moyens entre les unités constitutives élémentaires. Ils élisent pour cinq ans le président; celui-ci, qui ne peut être révoqué par les autorités de tutelle ni faire l’objet d’un vote de défiance du Conseil, dispose de grands pouvoirs: il réunit ceux que la société politique distribue ordinairement entre chef d’État, chef du gouvernement et président d’assemblée. Ses pouvoirs sont à la mesure de l’autonomie qui définit le troisième principe inspirateur du nouveau régime.
C’est l’innovation la plus notable du nouveau système. Elle va en effet à l’encontre des habitudes françaises de centralisation administrative. Les nouvelles universités, au lieu de reproduire en de multiples exemplaires identiques le modèle arrêté par l’administration centrale, ont une certaine marge d’initiative. Cette autonomie, naturellement bornée, l’est par trois types de limitations: l’absence de ressources propres qui met les universités dans une dépendance presque exclusive des moyens alloués par le budget de l’État; le statut de la fonction publique qui garantit au personnel la stabilité mais soustrait à l’initiative locale la carrière des personnes; le caractère national des diplômes, enfin, que toutes les parties prenantes ont souhaité préserver bien que l’inspiration de la loi allât plutôt à des diplômes d’université qui eussent permis une plus grande diversité et une meilleure adaptation aux besoins des régions. Le nouveau statut n’en présente pas moins un assouplissement appréciable de la centralisation: à cet égard, les universités ont précédé la décentralisation de l’administration française, qui n’a été décidée qu’après la victoire de la gauche en 1981; l’autonomie des universités, qui s’était trouvée exposée en avant-garde pendant une douzaine d’années, devrait se trouver désormais confortée par la généralisation du même principe, pour peu qu’il parvienne à triompher des habitudes séculaires.
Le problème ne se posait pas dans les mêmes conditions pour les autres pays où les traditions administratives étaient différentes et où les universités avaient préservé leur autonomie. Les expériences nationales tendent néanmoins à se rapprocher: dans le temps où les universités françaises se diversifient à la faveur de l’autonomie, les universités allemandes sentent le besoin de se concerter, et la nouvelle législation leur impose des contraintes qui les subordonnent davantage à l’autorité du gouvernement. Ainsi, partant de prémisses opposées, les deux systèmes, en suivant des démarches contraires, sont aujourd’hui plus proches qu’ils ne l’étaient hier. Et pourtant l’enseignement supérieur est peut-être le domaine où les institutions nationales demeurent le plus fermées sur elles-mêmes: la construction européenne n’y a fait aucun progrès.
La crise des universités
Les universités sont partout en crise pour plusieurs raisons. Sous le poids du nombre, du fait des changements qui leur imposent un effort nécessairement douloureux d’adaptation, mais aussi à cause de l’incertitude sur leur avenir et leurs raisons d’être. La société s’interroge à leur propos. La certitude de leur utilité fondamentale est aujourd’hui ébranlée. La charge budgétaire s’alourdit jusqu’à devenir insupportable: le renversement de conjoncture qui a fait succéder la pénurie à l’abondance retentit sur les conditions de leur fonctionnement; la part des dépenses d’enseignement dans le budget global a sans doute atteint un point extrême. On est conduit à opérer des choix en fonction de critères d’utilité qui sont chose nouvelle et d’emploi malaisé dans l’enseignement supérieur. Au surplus, l’inadéquation entre le nombre des diplômés et les possibilités d’emploi comme la discordance entre le contenu des enseignements dispensés et les exigences des professions ainsi que la forte proportion d’abandons et d’échecs affectent la confiance dans la qualité et la rentabilité du système.
L’université est aujourd’hui l’objet de critiques convergentes qui lui viennent de points opposés idéologiquement. Les esprits soucieux d’efficacité, préoccupés de rentabilité et de technicité, lui font grief d’une formation trop théorique et ignorante des réalités; leurs préférences vont à des écoles professionnelles, à un enseignement technique ou à une formation acquise «sur le tas». Les critiques de la société contemporaine pour des raisons idéologiques lui font un tout autre reproche: celui d’être un «appareil idéologique d’État», de reproduire la hiérarchie et de diffuser l’«idéologie dominante», c’est-à-dire celle de la bourgeoisie capitaliste et de perpétuer les inégalités sociales en intériorisant leurs postulats intellectuels. Dans le même temps, les hommes d’ordre continuent à tenir l’université pour une institution dangereuse, car ils la soupçonnent de ruiner les principes sur lesquels repose l’ordre social. Il est enfin des esprits plus radicaux, tel Ivan Illich, qui entreprennent de démontrer que la société n’a pas besoin d’enseignement, qu’un système éducatif est un luxe inutile et même un obstacle au bonheur individuel comme au développement naturel de la société.
La confrontation des changements considérables dont les universités ont été le lieu dans la plupart des sociétés depuis dix ans et des critiques articulées contre elles attestent, quelque forme qu’elles prendront dans l’avenir, que les universités vivent présentement un temps de mutation décisive pour leur organisation interne, l’exercice de leurs missions et leur relation à la société globale.
3. Université et société
La fonction de reproduction
Une université est un conservatoire. Elle garde les anciens livres, elle enseigne l’histoire et les œuvres des sociétés d’autrefois. Plus encore, elle contribue grandement à créer une image des civilisations passées ou lointaines en accord avec les intérêts de sa propre société, c’est-à-dire de son ordre dominant, qui a besoin d’être transformé en discours impersonnel. Ce rôle est d’autant plus consciemment assumé que l’Université a plus clairement conscience de former une élite sociale, responsable de conduire la société mais aussi d’interpréter l’ensemble des informations disponibles. Cette fonction d’interprétation n’est donc pas séparable du maintien des inégalités sociales. Il n’est pas toujours possible de dire que l’Université aggrave ces inégalités. Dans le cas de la France, par exemple, il n’en est rien. Les chances d’accès à l’enseignement supérieur sont tellement inégales (inégalité qui, au cours des années récentes, se maintient ou s’accroît au lieu de diminuer) que les étudiants de milieu populaire forment un groupe hautement sélectionné dont les résultats scolaires ne sont pas inférieurs et sont parfois même supérieurs à ceux de la moyenne des étudiants de milieu riche. Des études américaines montrent, au contraire, que l’inégalité sociale continue à se renforcer à l’intérieur de l’université. Mais l’essentiel est que le système universitaire doit de plus en plus maintenir une sélection sociale alors que la demande en enseignement supérieur se répand très rapidement. Ce maintien peut être assuré par deux mécanismes principaux. Aux États-Unis, le système universitaire s’est diversifié: un nombre rapidement croissant d’étudiants est dirigé vers des établissements à cycle court (junior ou community colleges ) qui les garantit contre une chute sociale et leur permet de participer, mais sans ascension sociale, à l’élévation générale du niveau moyen d’éducation. Ce système permet à certains d’accéder à des cycles longs et à des établissements de haut prestige. Surtout, il assure la protection des institutions supérieures qui sont à la fois professionnellement excellentes et socialement élitistes. En France, au contraire, la différenciation du système est faible. Il existe bien quelques grandes écoles, de niveau élevé et de recrutement social étroit, mais, en dehors d’elles, qui accueillent quelques milliers seulement d’étudiants, le monde immense des universités est très indifférencié. Le détournement de la poussée s’opère alors de manière beaucoup plus brutale, par l’abandon en cours d’études, qui frappe plus de la moitié des étudiants et même, dans certaines disciplines, une proportion beaucoup plus élevée encore.
Ces deux ordres d’analyse doivent cependant être fortement nuancés. Ils montrent à l’évidence que l’image complaisamment répandue de l’enseignement comme instrument d’ascension personnelle, de progrès social et comme sélection des meilleurs, indépendamment du milieu social d’origine, est très éloignée de la réalité. Mais on ne peut pas en conclure que l’Université, considérée dans sa fonction de reproduction, est un instrument direct de défense de l’élite sociale. Celle-ci ne détient pas son pouvoir des études et ne l’exerce pas avant tout dans l’ordre idéologique. Les universitaires n’assument cette fonction de reproduction que dans la mesure où ils sont une «classe de service»: légistes et administrateurs, enseignants et idéologues au service de l’ordre social dominant et souvent, plus directement, de la classe dominante elle-même, ils n’en possèdent pas moins une certaine autonomie, ne serait-ce que parce qu’ils n’appartiennent pas eux-mêmes aux catégories dirigeantes. Dans un enseignement supérieur de masse, on voit ainsi se former un milieu professionnel qui peut assurer la reproduction de l’ordre culturel et social tout en se considérant comme un groupe social très indépendant, de classe moyenne, formé lui-même par mobilité sociale ascendante et se sentant des intérêts matériels et culturels très opposés à ceux de la classe dirigeante. Ce conservatisme frondeur est d’autant plus accusé que les enseignants se trouvent plus éloignés des activités économiques, et donc des milieux dirigeants.
La fonction d’adaptation
La fonction d’adaptation de l’Université est la plus évidente, semble-t-il, et pourtant c’est celle qui est le moins clairement remplie. L’Université doit préparer à des emplois futurs. Elle doit donc ausssi redéfinir constamment le tableau des formations professionnelles et l’importance relative de chacune pour s’adapter par avance aux modifications prévisibles de l’emploi.
En fait, les formations données par les universités sont de trois types principaux: des fonctions professionnelles définies en fonction d’une demande extérieure à l’Université; des formations non professionnelles, du type de liberal arts ; des formations professionnelles définies par les activités des universités et du système scolaire dans son ensemble. L’inadaptation de l’Université est évidemment extrême dans ce dernier cas. Les anciennes facultés des lettres ou des sciences en France ont préparé environ 56 p. 100 des étudiants français en 1970 dans des filières définies surtout par les catégories de l’enseignement du second degré. Leur inadaptation aux demandes externes est évidente et les débouchés dans l’enseignement ou la recherche sont naturellement très insuffisants pour absorber tous les diplômés. Une formation professionnelle définie par l’ensemble des activités sociales est beaucoup mieux adaptée; mais, dans une économie en changement de plus en plus rapide, il est très difficile de prévoir dix ou vingt ans à l’avance l’état du marché du travail pour les emplois de niveau élevé. Une formation générale, donnant une importance centrale à l’acquisition de méthodes générales d’analyse et d’expression, assure certainement la meilleure adaptation aux emplois futurs. Il est étrange que l’opinion publique en France soit constamment saisie des dangers de la culture générale et de la nécessité de professionnaliser davantage les étudiants, alors que le regard le plus rapide sur l’organisation des universités montre qu’elles sont très étroitement professionnalisées. Au contraire, les colleges américains luttent systématiquement contre une professionnalisation précoce.
La fonction d’adaptation va bien au-delà de la préparation à l’emploi. L’Université est l’instrument d’une adaptation beaucoup plus globale de la société à ses changements. Elle a été aux États-Unis un puissant moyen d’unification, en obligeant les étudiants à sortir d’une collectivité enfermée dans sa sous-culture nationale, régionale ou religieuse. L’Université est le lieu où se forment des modèles de relations sociales, de communication, de hiérarchie. Il est difficile d’isoler les conséquences propres d’une inadaptation de l’Université, du retard de celle-ci en matière de modernisation ou de son incapacité à produire quelque modèle de relations sociales et d’expressions culturelles que ce soit. Mais c’est à juste titre, semble-t-il, que Taine ou Renan ont accusé le système universitaire français d’être responsable de certains des retards de la société française à la fin du second Empire. À l’inverse, les universités en Europe ou en Amérique latine ont joué un rôle essentiel dans le développement, au XIXe et au XXe siècle, d’une classe moyenne «modernisante» et nationaliste. Enfin, dans la France contemporaine, les voix les plus diverses ont dénoncé l’inadaptation de l’Université, qui freine, au lieu de la promouvoir, la recherche de nouvelles formes de connaissance et de communication.
La fonction de production
Très limitée pendant longtemps, la fonction de production de l’Université a connu récemment un développement spectaculaire. Celle-ci est souvent le principal organisme de recherche. Dans certaines universités, les fonds de recherche constituent l’essentiel des ressources. C’est le cas de certains des établissements les plus renommés des États-Unis, comme le Massachusetts Institute of Technology. La préparation à la recherche, assurée par l’Université, ne conduit pas seulement à des fonctions universitaires. Aux États-Unis, la majorité des Ph. D. scientifiques est employée en dehors de l’Université. L’économiste F. Machlup a pu parler des Knowledge Industries , ensemble, il est vrai, hétéroclite, mais réunissant des activités économiques qui traitent de l’information et non des matières premières «naturelles». De l’informatique au cinéma, de l’enseignement aux soins médicaux, ces activités représentent plus du quart du produit national des États-Unis – et probablement de l’Union soviétique – et croissent plus rapidement que tout autre type d’activité. La notion de « tertiaire» reçoit enfin un sens clair et utile si, au lieu d’amalgamer tous les types de «services», elle désigne les activités dont la croissance dépend avant tout de la production et de l’utilisation de la connaissance. Une telle société donne à l’instruction un rôle nouveau comme principe de hiérarchisation sociale. Il est vrai que l’instruction semble avoir déjà ce rôle dans les bureaucraties anciennes, et en particulier en Chine. Mais ce rappel montre plutôt toute la distance qui sépare une reproduction au service d’un appareil d’État et d’un ordre social et culturel et une production qui devient le moteur, le principe de changement d’une société de plus en plus technocratique et donc «méritocratique». Si la fonction de reproduction fait de l’Université un agent de la classe dirigeante, sa fonction de production fait d’elle plus directement un élément de la classe dirigeante. D’une part, en effet, cette œuvre de production requiert des ressources, des crédits de recherche, qui sont accordés en fonction des besoins des grands appareils économiques et politiques ou en fonction de l’influence politique des divers groupes sociaux, ce qui renforce l’inégalité de traitement des divers ordres de connaissance. Les liens ainsi établis entre l’Université, les grandes entreprises et les opérations militaires du gouvernement ont été dénoncés, surtout aux États-Unis, par le mouvement étudiant. D’autre part, l’Université agit elle-même comme appareil dirigeant. Elle tend à monopoliser les ressources que la société consacre à l’éducation, à développer sa propre puissance au détriment de l’élévation optimale du niveau d’éducation ou de l’égalisation des chances. La plupart des pays industrialisés sont arrivés au moment où il leur faut choisir entre le développement de systèmes universitaires et la création d’une éducation permanente qui serait vraiment destinée à redonner des chances à ceux qui ne les ont pas eues ou à protéger ceux qui sont menacés par des changements technologiques et économiques.
Les chercheurs s’identifient parfois à la classe dirigeante; plus souvent, ils se contentant de chercher à développer leurs moyens de travail, la puissance de leurs laboratoires, sans s’interroger sur les implications sociales de leur action. Surtout, leur rôle de production de connaissance tend à les professionnaliser de plus en plus et, par conséquent, à leur faire créer une «rhétorique» centrée sur le rôle culturel de la science et indifférente aux conditions sociales d’exercice de celle-ci. Cette rhétorique résiste aux pressions exercées par les détenteurs du pouvoir politique et économique; elle résiste aussi, et plus vivement en général, à une contestation de sa «pureté» et aux demandes des étudiants, en matière d’éducation ou de relevancy sociale des recherches. Dans le système américain, cette double réaction a dominé le comportement des professeurs au cours de la crise universitaire, les enfermant dans un libéralisme abstrait, qui s’est presque toujours traduit par une attitude conservatrice. Une minorité de chercheurs a poussé très loin la critique de la recherche et de l’activité scientifique elle-même.
Triomphe ou déclin de l’Université
Les fonctions que tout système universitaire doit combiner de quelque manière pour exister sont assez différentes les unes des autres pour que la prise en charge simultanée par la même unité organisationnelle soit très difficile. On peut imaginer facilement un éclatement du système universitaire qui ferait se juxtaposer des instituts de recherche, des écoles professionnelles, de liens de transmission de l’héritage social et culturel. Mais ces trois fonctions peuvent, au contraire, se superposer. Un niveau de base, correspondant à une prolongation de l’enseignement secondaire, assurerait la fonction de reproduction. Telle fut, par exemple, l’idée centrale de R. Hutchins dans sa réforme du collège de l’Université de Chicago dans les années trente. Tel est le rôle des classes de préparation aux grandes écoles ou des instituts d’études politiques en France. Au-dessus viennent les études graduées, de plus en plus professionnalisées; enfin, les instituts de recherche. Mais ces fonctions peuvent être indépendantes les unes des autres.
On voit ainsi s’opposer deux types extrêmes: le type franco-soviétique, défini par la séparation organisationnelle des fonctions; le type américain, caractérisé par leur coexistence à l’intérieur des mêmes unités universitaires.
La situation de la Grande-Bretagne et de la république fédérale d’Allemagne est intermédiaire, mais, en fait, plus proche du type français. Elle est surtout dominée par la résistance de l’organisation universitaire à une expansion rapide et, en conséquence, par la création d’un système dualiste: universités et polytechnics en Angleterre, universités et technische Hochschulen en Allemagne. La fonction de reproduction est ici prédominante dans les centres universitaires; la fonction d’adaptation est considérée comme inférieure et la fonction de production de la connaissance est de plus en plus assumée par des instituts indépendants. En France, l’éclatement est presque total. Il reste très marqué, même dans le domaine des sciences de la nature, où cependant les anciennes facultés des sciences jouent un rôle important dans la recherche, alors que les anciennes facultés des lettres ne jouent en cela qu’un rôle négligeable limité aux disciplines économiques et sociales. La médecine, depuis la création des centres hospitalo-universitaires (C.H.U.), offre un exemple, de tendance inverse, de réunification de plusieurs fonctions dans la même unité organisationnelle.
Le cas des États-Unis est le plus important: aucune nation n’a poussé aussi loin la généralisation de l’enseignement supérieur; les réalisations scientifiques de ce pays le mettent au premier rang dans tous les domaines, et non seulement dans certains comme en Union soviétique; enfin, la multiplicité des formations professionnelles y reste aujourd’hui fidèle à l’esprit de «station-service» proclamé par les grands réformateurs du système universitaire américain à la fin du XIXe siècle. Quelles sont les implications de ces formules si diverses? L’éclatement du système universitaire indique une suprématie de l’élite dirigeante et du pouvoir étatique de la société. Le monde de la production domine le monde professionnel et assure le contrôle idéologique de la population grâce à la fonction reproductrice de l’Université. Celle-ci n’est capable ni d’adaptation autonome, ni de débat politique et culturel: elle est soit essentiellement conservatrice, soit réduite à un service administratif. Dans l’un et l’autre cas, elle n’a pas de poids dans la conduite de la société. Tout au plus les enseignants-chercheurs interviennent-ils pour défendre certains avantages ou certaines libertés pour eux-mêmes. C’est seulement l’interdépendance des trois fonctions dans le même ensemble qui permet à l’Université de limiter sa dépendance à l’égard du pouvoir. L’héritage du passé sert alors de défense contre l’emprise du pouvoir présent; l’adaptation au changement est une réponse aussi au conservatisme des instances dominantes qui cherchent à maintenir l’ordre social et culturel qu’elles contrôlent. L’existence d’un système universitaire intégré apparaît ainsi comme un signe capital de la démocratisation; et le mouvement étudiant peut être regardé, dans de nombreux cas, comme une protestation contre son démembrement et comme un effort pour lui donner plus d’indépendance. Il est vrai que, dans un système universitaire profondément décomposé, comme en France, ce mouvement étudiant est lui-même atteint par cette décomposition et, souvent, l’aggrave. Une société ne possède un système universitaire que dans la mesure où elle a un projet politique de développement; un tel projet lui fait défaut lorsqu’elle baptise objectivité et indépendance l’acceptation aveugle de l’emprise des forces dirigeantes et la réduction de la défense de la liberté par l’Université à la défense des libertés corporatives des universitaires. Il ne convient pas de dire que l’on assiste, dans la société moderne, au déclin général des universités; mais il est vrai qu’à l’Ouest comme à l’Est l’Europe, où naquit (à Berlin) et se diffusa le modèle universitaire dominant du XIXe siècle, semble entraînée aujourd’hui dans une impuissance générale à entrer consciemment dans la société postindustrielle, ce qui la conduit à renoncer de plus en plus à cet indispensable instrument d’action responsable qu’est l’Université.
4. Université et politique du savoir
L’Université n’est pas faite pour qu’une classe privilégiée se reproduise indéfiniment. Elle n’est pas faite non plus pour que le pouvoir des amphithéâtres se joigne au pouvoir de la rue contre le pouvoir des élus (mais la révolte étudiante est toujours le signe d’une crise plus générale, qu’elle exprime et qu’elle attise, sans la créer). Ni bastille de caste ni foyer d’insurrection, l’Université est faite pour l’élaboration critique du savoir, pour la transmission méthodique du savoir, pour la remise en question perpétuelle du savoir.
L’Université en France, l’une des plus libérales qui soient au monde, a failli périr non de son libéralisme mais de son archaïsme. C’est curieusement dans le domaine du savoir, de la conception et de l’organisation du savoir, non dans le domaine du prestige et de l’autorité, qu’elle a faibli, qu’elle aurait pu être emportée. Les contradictions de notre société se sont réfléchies en elle, s’y sont exacerbées, mais elle n’était nullement prête pour les résoudre.
Le vrai est qu’elle était désadaptée (et qu’elle n’est pas encore réadaptée). Insensiblement, elle avait décollé et du processus de production réelle de la science et du processus de diffusion réelle des connaissances.
Production de la science
Depuis des années, la production réelle de la science ne passe plus par la division des lettres et des sciences, ni même par la distinction des sciences humaines et des sciences exactes ou naturelles (maints épistémologues observent qu’un même «patron» logique tend à s’imposer pour les unes et pour les autres).
Surtout, ce qu’on appelle «culture générale» n’est plus qu’une culture résiduelle, à l’heure où l’essor des sciences et des techniques change le visage de l’homme et substitue au monde de la perception un monde du calcul (et des applications du calcul).
Enfin, par l’effet d’une spécialisation croissante, les tâches d’initiation et d’enseignement se laissent de plus en plus distancer par les tâches de recherche et d’approfondissement. D’où une triple nécessité: en premier lieu, articuler autrement les disciplines, ce qu’on a commencé à faire après 1968. En deuxième lieu, forger pour un nouveau type de savoir un nouveau type de sagesse: les notions d’université critique, de savoir critique postulent que les praticiens de la science soient aussi ses théoriciens et que ses théoriciens deviennent ses juges; une philosophie de la vie personnelle et sociale est à réinventer, à partir de chaque science, de chaque branche ou de chaque forme du savoir. Enfin, redéfinir le rapport de deux fonctions distinctes: celle d’enseignant et celle de chercheur; il est d’excellents pédagogues qui ne cherchent rien, pas même en pédagogie, et il est des chercheurs qui sont de mauvais pédagogues; en admettant qu’un chercheur ait intérêt à enseigner, ne serait-ce que pour clarifier ce qu’il sait, il n’est pas sûr que chercher et enseigner doivent se faire dans le même temps: les deux tâches pourraient alterner au cours d’une même carrière.
Pratiquement toutes les sciences, mais aussi toutes les techniques, tous les arts et métiers et chacun des beaux-arts sont mûrs aujourd’hui pour une intégration à l’enseignement supérieur. Il devrait donc y avoir des universités de tout , et ces universités pourraient toutes être professionnelles (problème des débouchés) pourvu qu’aucune ne soit que professionnelle (chacune ayant à inclure son supplément critique et son secteur de pointe).
La difficulté est de faire voisiner dans une même université un conservatoire culturel (héritages du passé, sciences cumulatives et documentaires), des écoles d’apprentissage (et aussi bien de recyclage), des instituts de recherche fondamentale. Cette variété est pourtant indispensable pour que des traditions, des habilitations et des inventions se fécondent mutuellement. De plus, ce mélange ne fortifierait aucun conformisme, bien au contraire. Avec les ghettos littéraires, on a eu des velléités de révolution par la générosité du rêve et la rhétorique de l’injure. Avec des universités réalistes et critiques, on aurait une éclosion moins bruyante mais plus efficace de projets de société, de programmes d’action morale, sociale et politique.
Diffusion des connaissances
La diffusion réelle des connaissances ne passe plus par l’école, le collège ou l’université classique. L’accès à la connaissance se fait par bien d’autres canaux, et il devient ridicule de délimiter un temps d’acquisition des connaissances, quand on sait que le plus important de nos jours n’est pas d’avoir appris, mais de pouvoir sans cesse apprendre et réapprendre (formation continue, éducation permanente).
En outre, la relation de l’enseignant et de l’enseigné se rapproche d’un modèle égalitaire: non que les compétences soient à égalité, mais parce que l’acte d’enseignement n’est fructueux que s’il préserve une égalité de dignité, en supposant ou en suscitant un désir réciproque d’échange, de communication; c’est en quoi l’école contrainte est un genre faux, en quoi l’enseignement des adultes est paradoxalement plus naturel, plus authentique (l’adolescent et même l’enfant contemporains exigent qu’on les traite en adultes, bien qu’à l’occasion ils se conduisent encore de façon puérile).
Enfin, il est regrettable, il est stupéfiant que l’Université de France n’ait pas «accompagné» l’expansion de l’enseignement de masse. Elle s’est contentée d’ajouter à la «massification» du secondaire la «massification» du supérieur, tout en gardant (à peu de chose près) des méthodes humanistes, «élitistes», dont le rendement sur la masse est forcément médiocre.
Le sens de l’évolution était pourtant clair: de même que l’allongement de l’obligation scolaire conduisait à une «secondarisation» massive, de même l’afflux dans l’enseignement secondaire et la baisse de qualité qui en résulte devaient conduire (auraient dû conduire) à un prolongement original du côté de l’enseignement supérieur, non seulement à un supérieur de masse, mais à un supérieur capable d’accueillir et de promouvoir la masse. Parce que les âges de maturation psychique n’étaient plus les mêmes, parce que les effectifs enflaient, parce que, aussi, les filières de formation se compliquaient, il fallait modifier d’un coup l’ensemble des cycles d’étude. En particulier, il est néfaste de maintenir trop longtemps le lycée à clôture et il est vain de déverser dans les universités des bacheliers qui n’y sont pas préparés.
Quand le secondaire s’ouvre à tous, le supérieur ne peut que s’ouvrir à son tour, se démocratiser comme les autres degrés; mais il doit commencer plus tôt, les lycéens âgés ne supportant plus la tutelle, et il doit se différencier, admettre une progressivité, inculquer la méthode de travail qui lui est propre, avant de décréter sa mise en œuvre. Il devrait désormais se faire à deux niveaux: un niveau de perfectionnement secondaire; un niveau d’approche, puis de pratique de la science avancée. On avait prévu et hiérarchisé la communale, le lycée, la faculté. Il convient d’introduire la préfaculté, car il y a place pour une étape intermédiaire entre le lycée et l’université; il y a place pour un secondaire supérieur qui assurera la transition du secondaire au supérieur ou qui, dans de nombreux cas, servira de terminus (provisoire ou définitif). La fondation de collèges universitaires, regroupant la dernière année de lycée et les deux premières années de faculté, eût dispensé de multiplier les universités, de les disséminer, mais elle eût propagé utilement des centres de culture supérieure, puisqu’il paraît inéluctable qu’un enseignement supérieur de premier niveau s’implante dans toutes les villes. Une solution de ce genre répondrait aux exigences conjointes de la psychologie des jeunes, de la sociologie de l’éducation, de la démographie, de la géographie urbaine.
Autonomie et création
L’idée d’université est ambiguë depuis l’origine. Une communauté de savants administrant eux-mêmes la totalité du savoir évoque en effet une défense de prérogatives par des réflexes corporatistes. Mais l’intention première était autre: la science n’est la science que si elle se gère elle-même, si elle est libre. Dans ce sens, université et autonomie sont synonymes.
Toutefois, cette autonomie n’est justifiée que si elle est féconde et créatrice, apte à se contester autant qu’à se défendre. Car à quoi bon l’immunité, l’exemption, les franchises, si la liberté du corps universitaire ne concerne en rien la liberté de tous, si elle n’est le symbole et la garantie que pour tous les hommes l’union du doute et de la connaissance, de l’inquiétude et du progrès peut être libératrice?
De plus, l’autonomie des universités n’a pas besoin d’être insulaire pour tenir en lisière ou en échec des intérêts étrangers à la science. Il suffit à l’Université de ne coopter que des partenaires qui souscrivent à sa charte. Elle a décidé de faire participer les étudiants et de recevoir en ses conseils quelques non-universitaires. C’est un premier pas (d’ailleurs hésitant, et malhabile dans certaines de ses modalités). Un second pas reste à franchir: instituer le pouvoir universitaire comme tel, car le savoir, la possession et le partage du savoir représentent plus que jamais une force d’avenir, mais instituer ce pouvoir (ce sixième pouvoir réel , après le législatif, l’exécutif, le judiciaire, l’économique, l’informatif) de façon que tous les citoyens d’une région ou d’un pays aient à déterminer ses grandes options et à protéger son indépendance. Non, les élèves n’éliront pas leurs professeurs. Mais c’est la population entière qui, demain, aura vocation pour apprécier directement et approuver distinctement une politique du savoir. L’Université ne sera plus une enclave quand un peuple hautement scolarisé et cultivé prendra sur lui de déchiffrer et d’assumer tout ce qu’impliquent les responsabilités de la pensée. Il y faudra un long parcours. Mais, à échéance, ce droit de regard est acquis.
université [ ynivɛrsite ] n. f.
• mil. XIIIe; « communauté » 1218; lat. jurid. universitas « communauté », lat. class. « totalité », de universus
1 ♦ Hist. Chacune des institutions ecclésiastiques d'enseignement secondaire et supérieur, nées de la fusion des écoles cathédrales. Les quatre facultés d'une université. Grades conférés par une université (bachelier, licencié, maître, docteur). L'université de Paris était appelée au Moyen Âge « la fille aînée des rois de France ».
2 ♦ (1806) Mod. L'Université : corps des maîtres de l'enseignement public des divers degrés. Entrer dans l'Université, dans les rangs de l'Université. ⇒ alma mater.
♢ Une université : établissement (en France, établissement public) d'enseignement supérieur constitué par un ensemble d'unités de formation et de recherche, d'instituts, de centres et de laboratoires de recherche. Conseil d'administration, président d'une université. L'université de Paris-Sorbonne, de Paris-V, de Rennes-I. Le campus d'une université. Universités privées. Les grandes universités américaines. Université libre, catholique. — (Belgique) Abrév. fam. UNI n. f.
♢ Par anal. (1898) Université populaire : association donnant l'instruction aux adultes des milieux populaires. — Université d'été : enseignement universitaire ayant lieu pendant les congés d'été. Par anal. Stage de formation politique (d'un parti). — Université du troisième âge : enseignement s'adressant aux retraités.
● université nom féminin (latin médiéval universitas, communauté) Au Moyen Âge, institution ecclésiastique jouissant de privilèges royaux et pontificaux et chargée de l'enseignement. Ensemble d'établissements scolaires relevant de l'enseignement supérieur regroupé dans une circonscription administrative : L'université de Caen, de Paris-X. Bâtiments d'une université. Ensemble du personnel enseignant et administratif des universités d'un pays. Ensemble des membres de l'enseignement public des divers degrés, dépendant de l'Éducation nationale. ● université (citations) nom féminin (latin médiéval universitas, communauté) Marcel, dit Jean Guéhenno Fougères 1890-Paris 1978 Académie française, 1962 Ce n'est pas à l'Université que se fait la Révolution. Caliban et Prospéro Gallimard Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain Florida, Missouri, 1835-Redding, Connecticut, 1910 Le chou-fleur n'est pas autre chose qu'un chou qui est passé par l'université. Cauliflower is nothing but cabbage with a college education. Pudd'nhead Wilson's Calendar ● université (expressions) nom féminin (latin médiéval universitas, communauté) Conseil d'université, organisme chargé de veiller à la gestion et au fonctionnement d'une université. Université d'été, ensemble de réunions et de conférences qu'organisent certains partis politiques pendant les vacances d'été à l'intention de leurs militants, en particulier des plus jeunes d'entre eux, et destinées à compléter la formation de ceux-ci, à susciter des débats, à proposer des thèmes de réflexion, etc. Universités populaires, associations destinées à répandre l'instruction dans les milieux populaires. (La première a été créée en 1898 par G. Deherme.) Université du troisième âge, ensemble de cours et de conférences que certains établissements d'enseignement supérieur proposent aux personnes retraitées ; service chargé de l'organisation de ces cours et de ces conférences, des inscriptions des auditeurs, etc.
université
n. f.
d1./d établissement public d'enseignement supérieur groupant plusieurs établissements scolaires. Les universités françaises sont constituées de plusieurs unités de formation et de recherche (U.F.R.). Abrév. (Belgique) unif.
d2./d L'Université: en France, l'ensemble du corps enseignant recruté par l'état, qui dispense l'enseignement supérieur.
⇒UNIVERSITÉ, subst. fém.
A. — HIST. Institution ecclésiastique jouissant de privilèges royaux et pontificaux, qui était chargée de l'enseignement secondaire et supérieur. [Le duc de Bourgogne] fit convoquer une grande assemblée des princes, des prélats, des conseillers du roi, de l'Université et des principaux de la bourgeoisie (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1824, p. 373). L'Église moderne et ses infatigables travailleurs, depuis les Jésuites (...) jusqu'aux créateurs, fondateurs et metteurs en œuvre des universités, collèges, séminaires (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Voy. Fr., 1896, p. 72). Au début du XVIe s., l'Église romaine continue d'enseigner les peuples d'Occident par l'intermédiaire des Universités (DLF 16e).
♦ Chancelier d'Université. Recteur de l'Université. V. recteur1 C 1.
♦ Université impériale. Institution fondée par Napoléon Bonaparte en vue de créer une unité spirituelle au sein de l'enseignement, garante d'une unité politique, et capable de faire face à l'autorité de l'Église. Le décret du 17 mars 1808 faisait de l'Université impériale une organisation de l'enseignement autonome (DEMN.-FOURM. Enseign. 1981).
B. — 1. Institution d'enseignement supérieur et de recherche constitué par divers établissements (collèges, facultés, etc.) et formant un ensemble administratif. L'Université catholique de Paris, de Lille; l'Université d'Oxford, de Cambridge, de Harvard; grande, petite université; ville d'université; nombre d'enseignants, d'étudiants d'une université; association, groupement d'universités; l'Association des Universités Entièrement ou Partiellement de Langue Française (AUPELF). Université d'État; l'Université Libre de Bruxelles; l'Université Libre de Lyon (Ac. 1935). Les universités anglaises ont singulièrement contribué à répandre parmi les Anglais cette connoissance des langues et de la littérature ancienne (STAËL, Allemagne, t. 1, 1810, p. 246). Coopération universitaire internationale, notamment avec les Universités partiellement ou entièrement de langue française (Loi orient. Enseign. sup., 1968, p. 4).
2. [En France]
a) Établissement public de l'enseignement supérieur, constitué par un ensemble de facultés et, depuis 1968, d'unités d'enseignement et de recherche, puis de formation et de recherche regroupées dans une même circonscription administrative, au sein d'une même académie. Docteur, thèse d'université; Université de Paris-Sorbonne, de la Sorbonne Nouvelle; professeur d'université; président d'université; Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Strasbourg. Mes frères comptaient bien qu'on me nommerait professeur à l'université dès mon retour d'Athènes (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 9). Les grandes écoles d'une part, les industries d'autre part (...) entrent (...) en concurrence avec l'Université et le CNRS (Pédag. 1972). V. doctorat A ex. de Encyclop. éduc., 1960, p. 230.
♦ Conseil d'université. Conseil formé d'un ensemble de membres élus, représentant les enseignants, les étudiants, le personnel administratif, ainsi que de personnalités extérieures, chargé de veiller à la gestion et au fonctionnement d'une université. Les enseignants et les étudiants représentant les Universités et les établissements à caractère scientifique et culturel (...) sont élus (...) par les enseignants et par les étudiants membres des conseils d'Université (Loi orient. Enseign. sup., 1968, p. 7).
b) P. anal.
♦ Université populaire. ,,Association éducative ayant pour objet d'apporter aux adultes des milieux populaires un complément d'instruction générale, de les aider à développer leur raison critique et de susciter solidarité et coopération entre universitaires, étudiants et ouvriers`` (Éduc. 1979). Après avoir cru d'abord à la rénovation du peuple par l'élite, après avoir fondé des Universités Populaires et y avoir dépensé beaucoup de temps et d'argent, ils [des jeunes bourgeois] avaient constaté l'échec de leurs efforts (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1266). En 1902, il existait 47 Universités Populaires à Paris, 48 en banlieue et autant en province (DEMN.-FOURM. Enseign. 1981).
♦ Université du troisième âge. ,,Regroupement de personnes ayant généralement cinquante-cinq ans et plus, associé à une université pour avoir des activités conformes à leurs demandes``(Éduc. 1979). On peut prévoir que les « universités du troisième âge » resteront un des éléments fondamentaux de l'éducation permanente à l'Université (Éduc. 1979).
P. anal. Université inter-âges, interâges. Renouant avec la tradition du cours public, la Sorbonne a créé une université inter-âges (Le Nouvel Observateur, 21 nov. 1981, p. 74, col. 2).
c) POL. Université d'été. Rassemblement de militants et de responsables d'un mouvement politique, réunis, pendant quelques jours, pour l'étude organisée de certaines questions. Clôturant l'université d'été des jeunes démocrates sociaux, le président du CDS (...) a révélé la teneur de ce document (Le Monde, 4-5 sept. 1988, p. 6, col. 5).
C. — P. méton.
1. Le milieu, les membres de l'enseignement supérieur. Voyez le mouvement qui s'est produit dans l'Université, c'est-à-dire dans un milieu où le développement de la culture mentale favorise le plus la liberté des jugements (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 102).
2. Corps des maîtres de l'enseignement public. Être rattaché à, détaché de l'Université; agrégé de l'Université. J'avais l'honneur d'appartenir à l'Université de France, et, depuis longtemps, je portais avec un zèle exemplaire la robe et la toque (TAINE, Notes Paris, 1867, p. 335). Il demanda à rentrer dans l'Université. Il ne pouvait plus espérer, pour l'instant, qu'un poste médiocre dans un lycée de province (ROLLAND, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1125).
3. Bâtiment, ensemble des bâtiments abritant l'institution qu'est l'université. Aller à l'université; les amphithéâtres de l'université. Nous visitâmes la célèbre et riche Université d'Harward où je reçus, pour la troisième fois, le titre de docteur en droit (JOFFRE, Mém., t. 2, 1931, p. 461).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1214 « communauté, corporation, assemblée » (Ms PARIS B.N. Coll. de Lorraine 975, n° 322a, éd. par N. de Wailly ds Notices et extraits des mss de la BN t. 28, 2e part., p. 15: Symons li maistres eschaivins et toute li univerciteit de lai citeit de Més; p. 16: nous avons fait ces presentes lettres dou saiel de l'univerciteit wernir); 2. XIIIe s. « totalité, universalité » (Vie de St François d'Assise, ms. Paris Maz. 1742 [mil. XIIIe s., anc. cote: 1351], f° 4a ds GDF.: tout universitet de bon crestiens); 3. a) 1246 « corporation des maîtres et des étudiants » (Chartularium Universitatis Parisiensis, éd. H. Denifle et E. Chatelain, n° 153, p. 189 ds G. HILDER, Der scholastische Wortschatz bei Jean de Meun, p. 165: nos mandons a vostre université); ca 1270 (PIERRE D'ABERNUN, Vie de Saint Richard, éd. A. T. Baker, 507, ibid., p. 64: de tute l'université); 1269-78 (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 11464: l'acort de l'Université); b) 1806 « en France, corps des maîtres de l'enseignement public des divers degrés » (Décret du 10 mai 1806 ds B. des Lois de l'Empire fr., Paris, 4e série, t. 4, juin 1806, p. 527: Art. 1er. Il sera formé, sous le nom d'Université impériale, un corps chargé exclusivement de l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'Empire); 4. a) ca 1255 « établissement d'enseignement (secondaire et) supérieur » (RUTEBEUF, La discorde de l'Université et des Jacobins, 24 ds Œuvres complètes, éd. E. Faral et J. Bastin, t. 1, p. 239: par lor grant chape roonde Ont versé l'Université); ca 1270 (PIERRE D'ABERNUN, Le Secré de Secrez, éd. O. A. Beckerlegge, 1158: Universitez apparaillez, Estudie en citez establiez); b) 1899 universités populaires (Ch. GIDE, Revue Emancipation, nov., p. 166 ds B. CACÉRÈS, Hist. de l'éduc. pop., éd. du Seuil, 1964, p. 59 [communiqué par M. Tournier]: l'idée qui a conduit au mouvement des Universités populaires); c) 1978 université du troisième âge (R. LEPELLEY ds R. Ling. rom. t. 42, p. 384: l'Université du 3e Âge de Basse-Normandie). Empr. au lat. class. universitas (dér. de universus, v. univers) « universalité, totalité, ensemble; ensemble des choses, univers », b. lat. « corps, compagnie, corporation, communauté », lat. médiév. « toute collectivité religieuse, politique, sociale ou professionnelle (p. ex. chapitre d'une abbaye, ensemble des habitants d'une ville, société d'artisans ou de marchands) » (au XIIes. et surtout au XIIIe s., cf. O. WEIJERS, Terminol. des universités au XIIIe s., Rome, 1987, pp. 23-26), puis, par spécialisation d'empl. universitas magistrorum « corporation des maîtres (ici, ceux de l'université de Paris) » (1208-09 Lettre d'Innocent III ds Chartularium Universitatis Parisiensis, éd. H. Denifle et E. Chatelain, t. 1, n° 8 ds O. WEIJERS, op. cit., p. 18); universitas magistrorum et scolarium « corporation des maîtres et des étudiants » (1215 Statuts du légat Robert de Courçon ds Chartularium... t. 1, n° 20, ibid.) et en empl. abs. universitas même sens (1219, Chartularium... t. 1, n° 31, ibid., p. 21). Aux sens 4 b et c: la première Université populaire a été créée à Paris en 1898 par Georges Deherme et une Société des Universités populaires fondée le 12 mars 1898 par G. Séailles, H. Michel et G. Deherme (d'apr. B. CACÉRÈS, op. cit., p. 54). La première Université du troisième âge a été créée à Toulouse en 1973 par le Professeur P. Vellas (d'apr. Éduc. 1979). Fréq. abs. littér. :1 405. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 2 536, b) 944; XXe s.: a) 1 646, b) 2 314. Bbg. AUBA (J.). Cf. bbg université.
université [ynivɛʀsite] n. f.
ÉTYM. Mil. XIIIe; « communauté », 1218; lat. jurid. universitas « communauté, corporation », lat. class. « totalité, ensemble », de universus. → Univers.
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1 Chacune des institutions ecclésiastiques d'enseignement secondaire et supérieur, nées, sous l'autorité papale, de la fusion des écoles cathédrales, monastiques et privées (d'abord à Bologne, Paris et Oxford). || Sécularisation, nationalisation des Universités, du XIIIe au XVIIIe siècle. || Les quatre facultés d'une université. || Recteur, chancelier, conseil d'une université. || Collèges d'écoliers d'une université. || Grades conférés par une université (bachelier, licencié, maître docteur). || L'université de Paris, « la fille aînée des rois de France » (→ Instruire, cit. 7).
1 Puis (Pantagruel) retourna non à Poitiers, mais voulut visiter les autres universités de France. Dont, passant à la Rochelle, se mit sur mer et vint à Bordeaux (…) De là vint à Toulouse (…) Puis vint à Montpellier (…) et se cuida (et voulut se) mettre à étudier en médecine (…) Pourtant voulait étudier en lois (…) et vint en Avignon (…) son pédagogue, nommé Epistémon, l'en tira et le mena à Valence (…) Après il s'en partit, et (…) vint à Angers (…) à Bourges, où étudia bien longtemps et profita beaucoup en la faculté des lois (…) Partant de Bourges, vint à Orléans (…) il fit le blason et devise des licenciés en ladite université (…)
Rabelais, Pantagruel, V.
2 L'existence de l'école de Paris était pour l'Église un danger. Les idées, jusque-là dispersées, surveillées dans les diverses écoles ecclésiastiques, allaient converger vers un centre. Ce grand nom d'Université commençait dans la capitale de la France, au moment où l'universalité de la langue française semblait presque accomplie.
Michelet, Hist. de France, IV, IV.
♦ Spécialt. Avec la majuscule. Les bâtiments et le quartier (dit quartier ou pays latin) de l'université de Paris (→ Bataillon, cit. 9; grand, cit. 12; oiseau, cit. 23), au moyen âge. || La police et la justice, dans les limites de l'Université, relevaient d'un régime particulier.
2 (Décrets de 1806 et 1808). Avec la majuscule. En France, Corps des maîtres de l'enseignement public des divers degrés (placé à l'origine sous l'autorité d'un grand maître). || Entrer dans l'Université, dans les rangs de l'Université. ⇒ Alma mater. || Il est rattaché à l'Université.
3 La force de l'Université tenait à ce qu'enseigner la littérature est d'abord enseigner son histoire, supposée soumise à la courbe traditionnelle : maladresse, perfection, décadence.
Malraux, l'Homme précaire et la Littérature, p. 7.
3 a Établissement d'enseignement supérieur, constitué par un ensemble d'organisations didactiques (portant des noms divers selon les systèmes nationaux : collèges, facultés, etc.) et formant un ensemble administratif dont dépendent des installations matérielles réunies ou non. || Les universités anglaises, françaises (voir ci-dessous b.), américaines, brésiliennes, soviétiques, chinoises. || Création d'universités dans les pays en voie de développement. || Universités anciennes, historiques, célèbres. || Universités nouvelles. || Grande, petite université. || Nombre d'enseignants, d'étudiants d'une université. — Les bâtiments, les salles, les amphithéâtres, le campus d'une université. || Les instituts, les laboratoires, les musées annexés à une université. — Ville d'université, où se trouve (au moins) une université. ⇒ Universitaire. → Munir, cit. 4. — L'université de… || L'université de Cambridge, d'Oxford (Grande-Bretagne), de Heidelberg (Allemagne fédérale), de Yale, de Harvard, de Cambridge, Massachusetts (États-Unis), de Moscou… || Les universités de Londres, de Tokyo. — Université d'État. || Universités libres, en général confessionnelles (catholiques, protestantes…). || Universités musulmanes. || Université privée. — (Dans des noms propres, avec une majuscule). || L'Université de Moscou. || L'Université libre de Bruxelles, d'Amsterdam. || L'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). — L'« Université des mutants » (à Gorée, près de Dakar).
♦ Association, groupement d'universités. || L'Association des universités entièrement ou partiellement de langue française (AUPELF). || Universités anglophones, arabophones, francophones. — Universités francophones de France (voir ci-dessous), de Belgique, de Suisse, du Canada, du Québec, d'Afrique noire. || L'Université néerlandophone de Louvain, francophone de Louvain-la-Neuve. || L'Université du Québec à Montréal (UQAM), à Trois-Rivières. || L'Université Laval (Québec). || L'Université de Liège, de Lausanne, de Genève, de Dakar…
b (Dans le système français). Établissement public d'enseignement supérieur, constitué par un ensemble de facultés puis (1968) d'unités d'enseignement et de recherche (UER), établies dans une même académie. || Président, chancelier d'une université. || Les unités (⇒ U. E. R.) d'une université. || Conseil d'université : organisme élu, comprenant des représentants des enseignants, des étudiants, du personnel administratif et des personnalités extérieures, avec la mission de veiller à la gestion et au fonctionnement d'une université. || Les universités de Paris : Paris I, Paris II, etc. || L'Université de la Sorbonne nouvelle, de Vincennes-Saint-Denis (ellipt. la Sorbonne nouvelle; Vincennes…). || L'Université de Strasbourg, de Lille, de Lyon… — Anciennt. || Docteur, doctorat, thèse d'université. — Agrégé de l'université.
♦ (1898). || Universités populaires : établissements privés donnant aux adultes des milieux populaires un complément d'instruction générale ou un enseignement technique et scientifique. — Université du troisième âge : organisation d'enseignement aux personnes âgées.
c L'enseignement supérieur. || Depuis qu'il est à l'université, qu'il est étudiant. || Professeur d'université (abrév. fam. [Belgique] : prof d'uni).
♦ Enseignement universitaire. || L'université d'été (d'une université au sens a).
d Bâtiments universitaires. || L'université se trouve dans la banlieue, dans un campus, en ville… || Nanterre-ville et Nanterre-université.
Encyclopédie Universelle. 2012.