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BAUXITES
BAUXITES

La bauxite est un minerai d’aluminium constitué essentiellement de un ou plusieurs hydrates d’alumine. Une roche comparable, alors inconnue en tant que minerai d’aluminium, fut découverte en Guinée par G. Mollien dès 1819. C’est en analysant simultanément des échantillons de Guinée et de France en 1821 que F. Berthier y découvrit la présence d’alumine hydratée. La paternité du terme beauxite revient à A. Dufrénoy (1837). L’orthographe actuelle est due à H. Sainte-Claire Deville (1861), en référence au nom du village des Baux-de-Provence (près d’Arles).

Après sa découverte en Guinée, cette roche fut successivement retrouvée en Guyane par M. Itier entre 1839 et 1842, puis en Grèce par M. Lebas en 1843. Elle était alors considérée comme une curiosité minéralogique «trop riche en alumine pour être un minerai de fer». Il faut attendre 1858 pour que Deville emploie un échantillon des Baux, comme minerai, pour fabriquer un chlorure double d’aluminium dont le métal soit aisément extractible.

1. Définitions

À l’origine, le terme «bauxite» désigne un ensemble de roches alumineuses et ferrugineuses analogues à celles qui furent découvertes aux Baux. Ces roches reposent sur une surface irrégulière, de morphologie karstique, creusée dans des calcaires ou des dolomies.

Après que l’Allemand M. Bauer eut découvert, en 1898, que la latérite des Seychelles était en partie constituée de roches semblables à celles des Baux, l’acception du terme «bauxite» a été étendue aux accidents alumineux rencontrés parfois dans certaines latérites, produits de l’altération in situ de roches silicatées alumineuses sous un climat tropical humide.

Afin de distinguer ces deux types de gisements de bauxites, G. Bardossy (1981) propose de désigner les premières, de substrat carbonaté, par bauxites de karst , les secondes, de substrat alumino-silicaté, par bauxites latéritiques . Synonymes de bauxites de karst, les termes bauxites calcaires ou bauxites de terra rossa ne sont plus guère utilisés.

Fondée sur la nature du substrat, cette distinction entre deux grands types de bauxites mérite souvent d’être nuancée pour rendre compte de l’imbrication des multiples facteurs qui régissent la genèse des bauxites: nature de la roche-mère, morphologie du substrat, succession de phases climatiques, évolution structurale, etc.

Selon les auteurs ou les utilisateurs, le terme bauxite est appliqué soit de manière large à une roche , selon des critères lithologiques , soit de manière étroite à un minerai , selon des critères économiques qui prennent en compte des contraintes minières, minéralurgiques, etc. Variables avec le temps et, dans une certaine mesure, avec les pays, ces contraintes sont appréciées en fonction de la rentabilité de l’exploitation.

La bauxite-minerai ne forme le plus souvent qu’une très petite partie d’un ensemble de roches moins alumineuses et plus siliceuses, appelé formation bauxitique (J.-P. Lajoinie, P. Laville, 1979); le volume relatif du minerai par rapport à cet ensemble peut varier avec les conditions économiques, les progrès technologiques, etc., de sorte que l’inventaire des minerais économiques doit être très souvent révisé. Au demeurant, dans beaucoup de pays, de nombreuses statistiques ne distinguent pas ou distinguent insuffisamment la qualité de la formation bauxitique recensée, ce qui contribue à alimenter l’ambiguïté du concept de réserves minières.

2. Utilisations

Selon leur composition, les bauxites sont diversement utilisées. Comme minerai d’aluminium , dans les conditions actuelles, elles ne doivent pas contenir en moyenne plus de 8 p. 100 de silice (SiO2) réactive dans le procédé de traitement et moins de 39 p. 100 d’alumine (A123) récupérable par ce même procédé.

Pour l’industrie des réfractaires , la bauxite doit être blanche (siliceuse et pauvre en fer). La qualité «abrasif» implique des teneurs en alumine proches de 60 p. 100, en silice inférieures à 5-6 p. 100, et en chaux inférieures à 0,25 p. 100. Pour l’industrie des ciments , seule la qualité «hydrofondu» exige de très fortes teneurs en alumine et des teneurs en silice inférieures à 5 p. 100.

La bauxite est également un minerai de métaux rares tels le vanadium et le gallium, parfois récupérés comme sous-produits de son traitement par les usines d’alumine.

3. Productions. Réserves

La France est restée à la tête de la production mondiale de bauxite jusqu’en 1939. En dépit d’une montée de sa production jusqu’en 1973 (3,3 millions de tonnes [Mt]), elle n’a jamais retrouvé ce premier rang. En 1990, avec 0,6 Mt, elle se trouvait au seizième rang mondial, derrière l’Australie (40,7 Mt), la Guinée (17,5 Mt), la Jamaïque (10,9 Mt), le Brésil (7,9 Mt), l’U.R.S.S. (5,7 Mt) et un groupe de pays produisant entre 2,5 et 4,5 Mt (Inde, Chine, Suriname, Yougoslavie, Hongrie, Grèce). La production mondiale de bauxite est donnée dans le tableau 1.

Ce rang de la France, uniquement pourvue de minerais du type karst , s’explique par la découverte, relativement récente, à l’étranger de minerais latéritiques qui occupent souvent de très vastes superficies dans des régions d’accès parfois difficile, et dont la prospection ou l’estimation des réserves demeurent dans certains cas inachevées. 85 p. 100 des tonnages connus dans le monde appartiennent à des gisements latéritiques (G. Bardossy, 1981).

Bien que l’appréciation des réserves soit souvent difficile en raison de l’imprécision, de la diversité et de l’hétérogénéité des statistiques et des sources d’information, il est indubitable qu’elles se trouvent concentrées dans les gisements latéritiques de quelques pays de l’Océanie, de l’Afrique et de l’Amérique du Sud (fig. 1). C’est ainsi que deux pays, la Guinée (34 p. 100) et l’Australie (21 p. 100), possèdent ensemble la moitié des réserves mondiales; suivent le Brésil (13 p. 100) et la Jamaïque (7 p. 100); enfin, cinq pays (Inde, Guyana, Suriname, Cameroun, Mali) se partagent, en proportions sensiblement équivalentes, 20 p. 100 des réserves mondiales. Au total, ce sont donc seulement neuf pays qui possèdent 90 p. 100 des réserves du monde.

À la fin des années quatre-vingt, ces réserves se répartissaient de manière très inégale entre le monde occidental (94 p. 100) et les pays de l’Est (6 p. 100). Il est difficile d’en estimer le tonnage avec précision. Les réserves certaines et probables semblent se situer dans une fourchette allant de 18 à 23 milliards de tonnes. Des statistiques prudentes ajoutent à ces chiffres entre 10 et 20 milliards de tonnes de ressources potentielles, dont il est impossible de prévoir dans quelles proportions et dans quels délais elles seront confirmées et exploitables en tant que minerais.

À cet égard, la comparaison des productions et des réserves depuis 1945 montre une évolution sensiblement parallèle des tonnages, de sorte que, au fil des années, la durée de vie des réserves mondiales connues est toujours restée située entre 150 et 300 ans. Dans l’état actuel des connaissances, cette constatation apparaît encourageante, du moins pour ce qui concerne le «marché physique» de l’aluminium (H. Missonnier).

4. Principaux caractères des bauxites

Pétrographie

Les bauxites se présentent tantôt comme des roches indurées, rouges, brunes, grises ou vertes (France, Grèce, Inde, ex-U.R.S.S.), tantôt comme de la poudre rouge à ocre (Jamaïque), ou encore comme un agglomérat de petites concrétions noyées dans un fond argileux (Hawaii).

Elles montrent des textures très diversifiées: aphanitique, noduleuse, bréchique, conglomératique, et les très caractéristiques textures oolitiques et pisolitiques.

Chimie et minéralogie

Six éléments principaux composent chimiquement les bauxites: l’aluminium, le fer, le silicium, le titane, l’oxygène et l’hydrogène (tabl. 2).

Les autres éléments décelés, toujours en teneur très faible, se trouvent dans les minéraux rares des bauxites ou se substituent aux éléments majeurs des minéraux constitutifs de ces roches.

Parmi les minéraux des bauxites, peuvent être distingués: des hydroxydes et l’oxyde d’aluminium, des hydroxydes et oxydes de fer, des minéraux du titane, des silicates argileux, des minéraux accessoires divers, ainsi que des minéraux de métamorphisme.

Hydroxydes et oxyde d’aluminium

Quatre sont connus dans les bauxites; ce sont la gibbsite, la bœhmite, le diaspore, le corindon.

La gibbsite , ou hydrargillite , 塚A1(OH)3, cristallise dans le système monoclinique et se présente en petits cristaux (de 2 à 4 microns en moyenne; quelquefois visibles à l’œil nu) hexagonaux, souvent maclés. Elle constitue parfois des sphérolites à cristallisation fibroradiée. La gibbsite est fréquente dans les bauxites mésozoïques et cénozoïques et, particulièrement, dans les gîtes latéritiques où elle peut être le seul hydroxyde d’aluminium individualisé. Dans les bauxites de karst, elle est généralement associée à un autre hydroxyde d’aluminium.

La bœhmite , 塚A1O(OH), également monoclinique, se présente en cristaux si petits qu’ils ne sont pas identifiables au microscope polarisant. Ce minéral est déterminé au moyen des techniques physiques de laboratoire (analyses thermiques différentielle et pondérale, rayons X, etc.). La bœhmite est très abondante dans les bauxites de karst, où elle peut être seule ou associée à la gibbsite ou à l’autre monohydrate d’alumine, soit encore aux deux (fait assez rare). Elle est connue dans les bauxites latéritiques, où il semble qu’elle soit un minéral secondaire. Dans la bœhmite ferrifère , le fer pourrait se substituer à l’aluminium dans le rapport 1/1.

Le diaspore , 見A1O(OH), cristallise dans le système orthorhombique; la taille des cristaux est intermédiaire entre celle des cristaux de gibbsite et de bœhmite (de 2 à 3 microns en moyenne, de 40 à 100 microns au maximum). L’habitus le plus commun est celui de petites écailles finement engrenées. Le diaspore forme parfois des sortes de concrétions tubulaires. Dans les bauxites karstiques, le diaspore est souvent associé à la bœhmite. Accompagné du corindon, c’est un minéral de métamorphisme des bauxites.

Le corindon , 見A123, cristallise dans le système hexagonal. Il a longtemps été considéré uniquement comme un minéral de métamorphisme des bauxites («émeris» de Grèce, du Salaïr), où il pseudomorphose des cristaux de diaspore ou bien se présente en petits cristaux prismatiques. Il a été reconnu, depuis, dans les bauxites de karst non métamorphisées comme minéral détritique et comme minéral authigène en association avec la gibbsite en petites masses pierreuses cryptocristallines.

Hydroxydes et oxydes de fer

Les plus fréquents sont la gœthite 見FeO(OH), abondante dans les gîtes à gibbsite, et l’hématite 見Fe23 qui est le minéral ferrugineux le plus important des bauxites à diaspore et à bœhmite. On connaît encore: la magnétite, Fe34, dans les bauxites métamorphiques notamment; la maghémite, 塚Fe23, qui dérive de la magnétite par oxydation; l’hydrohématite et l’hydrogœthite.

Minéraux du titane

Les principales formes minéralogiques du titane dans les bauxites sont représentées par le rutile, l’anatase, la brookite, formes différentes de Ti2. On signale aussi de faibles quantités de sphène, leucoxène, titanomagnétite et pérovskite.

Minéraux argileux

C’est dans les silicates argileux et, surtout, dans les phyllites du groupe de la kaolinite , que se trouve presque toujours la silice décelée dans les analyses chimiques. La kaolinite, Al4Si410(OH)8, est un minéral très répandu dans les gîtes à bœhmite et gibbsite. Il arrive même que ce soit le minéral prédominant de ces gîtes. La dickite et la nacrite, minéraux de la famille de la kaolinite, sont exceptionnelles dans les bauxites.

Ont également été mises en évidence des phyllites micacées , des chlorites , des minéraux du groupe des montmorillonites .

Minéraux accessoires

Ils sont très nombreux et concentrent la majorité des éléments mineurs des bauxites. Signalons la tourmaline, le zircon, la muscovite, le quartz, parmi les minéraux terrigènes; et encore les carbonates de fer et de calcium, les sulfures de fer, de cuivre, de zinc, les sulfates d’aluminium, de fer, de calcium, les phosphates d’aluminium, de fer, de strontium, les zéolites, etc.

Minéraux de métamorphisme

Outre le corindon, le diaspore et la magnétite déjà notés, les principaux minéraux qui caractérisent le métamorphisme des bauxites sont les chlorites, le chloritoïde, la margarite, le disthène, la staurotide, l’andalousite et la sillimanite.

5. Modes de gisement

Bauxites karstiques

Les bauxites de karst reposent sur un mur toujours calcaire ou dolomitique; elles sont souvent scellées dans leur gîte par des assises sédimentaires qui constituent leur toit .

Elles apparaissent à différents niveaux stratigraphiques en divers points du globe; ainsi connaît-on des bauxites sur du Cambrien en Sibérie, sur du Silurien dans l’Oural, sur du Dévonien dans l’Oural et dans le Salaïr, sur du Carbonifère aux États-Unis, sur du Trias en Hongrie, en Grèce, au Monténégro, sur du Jurassique en Inde, en France, sur du Crétacé inférieur en France, sur du Crétacé supérieur en Yougoslavie, sur de l’Éocène à la Jamaïque, à Haïti, en république Dominicaine, sur de l’Oligocène et du Miocène à la Jamaïque.

Dans une même région, les bauxites reposent sur une «surface» qui peut entamer des niveaux d’âge différent. Les bauxites sur mur calcaire témoignent d’une émersion suivie d’une phase érosive. En Provence, par exemple, la bauxite se trouve aussi bien sur le Crétacé inférieur que sur le Jurassique moyen. Sur cette «surface», la bauxite occupe des gîtes particuliers. Parfois elle comble des dépressions de vaste extension horizontale, sortes de cuvettes peu profondes dont le «fond» présente une morphologie irrégulière, très déchiquetée dans le détail, hérissée de pitons et de seuils qui délimitent, au sein de la cuvette, des lentilles plus ou moins vastes. Dans ces gisements, la bauxite apparaît comme une couche dont l’épaisseur dépasse rarement la dizaine de mètres. Telle est, en Provence, la cuvette de Mazaugues, d’allongement estouest, de plus de 30 km de long sur quelques kilomètres de large (fig. 2). Parfois elle remplit des poches (fig. 3) plus ou moins isolées les unes des autres, circulaires ou elliptiques, profondément karstifiées, qui peuvent dépasser 50 m de profondeur, d’extension latérale limitée (de quelques mètres à une centaine de mètres). Telles sont, toujours en Provence, les poches du haut Var.

Les bauxites de karst sont souvent fixées dans leur gîte par un toit qui les protège contre l’érosion, et qui peut être de nature, d’âge et d’origine diverses; ainsi remarquet-on fréquemment, au toit des bauxites en couche, la présence de sédiments charbonneux, eux-mêmes ennoyés sous des dépôts pararécifaux. Le toit gêne l’exploitation des bauxites de karst: il oblige soit à extraire la bauxite en exploitation souterraine, soit à déblayer une puissance parfois importante de morts-terrains, lors d’exploitation en carrière.

Les paragenèses minérales les plus fréquentes des bauxites de karst sont: bœhmite-gibbsite, bœhmite, bœhmite-diaspore, diaspore. Les gîtes à gibbsite seule sont très rares.

Par métamorphisme, les bauxites de karst se transforment en roches à diaspore, corindon, magnétite, chloritoïde, etc. («émeris» de Samos, de Naxos, en Grèce).

Bauxites latéritiques

Les bauxites latéritiques reposent sur des roches silico-alumineuses de nature variée, desquelles elles dérivent: syénites néphéliniques en Guinée (îles de Los), dans l’Arkansas; basaltes ou dolérites, en Allemagne (Vogelsberg), en Irlande (Antrim), en Inde (trapps du Deccan), au Cameroun (Adamaoua); trachytes et andésites en Malaisie (Johore, Sarawak); schistes sédimentaires ou métamorphiques dans les Guyanes, en Guinée (Kindia), au Ghana; grès arkosiques en Australie (Queensland), etc.

Pour l’essentiel, les bauxites latéritiques ont une répartition chronostratigraphique plus limitée que les bauxites de karst. Il semble que nombre d’entre elles soient fossiles et aient pris naissance au Crétacé, au Tertiaire et au Quaternaire. Il existe cependant des bauxites latéritiques plus anciennes, telles les bauxites russes de Bielgorod, carbonifères (G. Bardossy, 1981).

Les bauxites latéritiques sont un produit d’altération continentale, d’ordre pédogénétique, sous l’influence des climats agressifs connus actuellement dans la zone intertropicale. Elles se localisent préférentiellement sur des surfaces suffisamment élevées au-dessus du niveau phréatique, au moment de leur formation, pour permettre un drainage excellent qui favorise une meilleure attaque de la roche mère. Elles peuvent couvrir de larges surfaces sur les hauts plateaux en formant une écorce d’altération d’épaisseur à peu près constante. Aussi les réserves les plus importantes se situent-elles dans ce genre de bauxite. À part quelques rares exceptions (Arkansas, Inde, Russie), elles n’ont pas de toit. Ce caractère facilite l’exploitation et compense un peu le fait que ces bauxites se rencontrent dans des régions tropicales d’accès souvent difficile.

La gibbsite est le minéral essentiel des bauxites latéritiques, où la bœhmite peut intervenir localement. Le diaspore est connu, mais exceptionnel (Inde).

Il existe des dépôts de bauxites, inter-stratifiés dans d’autres sédiments, qui résultent du colluvionnement de bauxites latéritiques (Arkansas, Russie). Dans la classification de G. Bardossy (1981), ces bauxites sont rattachées à un type particulier, qualifié de type Tikhvin , gisement de la partie nord-ouest de la plate-forme russe. Dans les gisements de cette catégorie, la bauxitisation s’est faite in situ, mais les roches mères sont des latérites détritiques, allochtones.

Cet exemple attire l’attention sur l’insuffisance d’une classification fondée sur le seul critère de la nature du substrat au détriment de critères d’ordre génétique, en particulier autochtonie ou allochtonie de la roche mère et de la bauxitisation.

6. Genèse des bauxites

Si le mode de formation des bauxites latéritiques est aujourd’hui pour l’essentiel bien connu, il n’en est pas de même de la genèse des bauxites karstiques, dont l’interprétation suscite encore bien des hypothèses et des controverses. Cela tient au fait qu’on a tenté de mettre en parallèle, ou au contraire d’opposer sans nuance, les deux modes de formation. Il est admis que la plupart des bauxites latéritiques se sont formées à l’endroit où on les trouve actuellement. Elles représentent un produit d’évolution pédogénétique particulier de roches silico-alumineuses, sous un climat chaud et humide. Sous ce climat, et pourvu que certaines conditions soient remplies – bon drainage, notamment – il se produit une hydrolyse intense des silicates de la roche mère. Les alcalins, les alcalino-terreux, la silice sont éliminés, tandis que l’aluminium, le fer, le titane se concentrent par accumulation relative. Les bauxites latéritiques ainsi formées peuvent bénéficier d’un enrichissement relatif supplémentaire en alumine par une élimination secondaire du fer. Elles peuvent, en outre, être enrichies de manière absolue par importation d’alumine des horizons supérieurs.

De nombreux auteurs ont tenté de transposer le mode de formation des bauxites latéritiques aux bauxites de karst. Ils ont supposé qu’elles étaient également autochtones. Les bauxites de karst se seraient développées sur place, à partir d’une argile, la «terra rossa», libérée au cours de la décalcification des calcaires sur lesquelles elles reposent. C’est l’hypothèse de l’autochtonie absolue proposée par G. Dolfuss en 1904 et reprise par J. de Lapparent en 1930. Cependant, devant la difficulté d’admettre l’énorme volume de calcaires dont la dissolution est nécessaire pour engendrer une quantité suffisante d’argiles de décalcification, l’hypothèse d’une autochtonie relative de la «terra rossa» a été soutenue en 1935 par P. George puis reprise par J. G. de Weisse (1948), A. F. de Lapparent (1949), A. Bonte (1958)... Ces auteurs font encore appel à la décalcification, mais envisagent une accumulation dans les pièges karstiques après un faible transport.

Tout en respectant le principe d’une bauxitisation à l’emplacement des gîtes actuels, de nombreuses variantes à cette théorie portent sur la nature de la roche mère, la distance et les agents de transport: transport par le vent (E. Roch, 1956) ou par l’eau (I. Valeton, 1972) de matériaux silico-alumineux issus du Massif central ou des Maures-Esterel; transport sous forme de solutions vraies (S. Caillère et T. Pobeguin, 1965).

Ces hypothèses du transport d’altérites depuis les Maures et surtout le Massif central ont été progressivement abandonnées, ne serait-ce que pour des raisons de paléogéographie. Des transports plus modestes, voire négligeables, ont été envisagés: bauxitisation à l’emplacement même des gîtes actuels d’apports argileux littoraux (P. J. Combes, 1969) ou de marnes crétacées (G. Rousset, 1968); sédimentation de caractère littoral d’une bauxite déjà élaborée au sein de profils latéritiques proches, démantelés. Déjà esquissée en 1881 par L. Dieulafait, cette hypothèse a été reprise par J. Nicolas en 1968.

Ces nombreuses hypothèses sur la genèse des bauxites de karst traduisent la multiplicité, la complexité et l’imbrication des faciès et des processus. La synthèse la plus récente pour la Provence (P. Laville, 1981), compatible avec le tableau brossé par P. J. Combes pour le Languedoc et l’Ariège, met l’accent sur l’évolution morphologique au Crétacé et sur les pulsations épirogéniques qui en sont le moteur. Cette évolution induit une succession de remaniements de sorte que chaque district porte une lignée d’altérites dont chaque gisement représente un stade d’évolution entre un pôle initial kaolinique, résiduel, concentré sur le karst, et un pôle karstique final, dispersé dans les bassins sédimentaires voisins. L’apparition et la conservation des hydroxydes d’alumine ne sont pas des étapes obligatoires; elles sont possibles dans des conditions particulières de drainage et de protection. L’évolution karstique incessante, même après dépôt du toit des gisements, est responsable d’une «allochtonie relative» de la bauxite, même si les altérites qui en sont la roche mère sont issues de roches très voisines.

Encyclopédie Universelle. 2012.