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BEHAVIORISME
BEHAVIORISME

L’acte de naissance du behaviorisme est constitué par l’article intitulé «La Psychologie telle qu’un behavioriste la voit», que John Watson publia en 1913 dans la revue qu’il dirigeait, la Psychological Review. Il développa et précisa ensuite ses idées dans divers articles et dans plusieurs ouvrages, dont le principal est Behaviorism , publié pour la première fois en 1925. Bien que Watson lui-même n’ait pas apporté de découvertes empiriques considérables, l’influence des idées qu’il a ainsi exprimées et du véritable manifeste qu’il a lancé en 1913 fut telle, aux États-Unis et par contrecoup dans le reste du monde, que l’on a pu parler à ce sujet de «rupture» dans le champ de la psychologie. Pour toute la psychologie qui se réclame du qualificatif «scientifique», c’est-à-dire d’abord, certes, pour la psychologie expérimentale générale, mais aussi pour d’autres secteurs de la psychologie (et même, au-delà de celle-ci, pour des domaines tels que la biologie ou les sciences sociales), la notion de «comportement» devient alors une notion de référence.

Il est important de voir avec précision en quel sens elle le devient, pour pouvoir saisir le fond des débats et des développements historiques qui ont affecté la psychologie depuis environ un siècle.

La rupture watsonienne

Le terme même de comportement est ancien et, au début du XXe siècle, les dictionnaires le qualifient de «vieux». Une de ses premières utilisations françaises se trouve chez Pascal: «Pour reconnaître si c’est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s’examiner par nos comportements au-dehors que par nos motifs au-dedans.» Mais, bien entendu, son usage nouveau s’inspire plutôt de la tradition cartésienne, celle des animaux-machines. C’est en 1907 que Henri Piéron réintroduit le terme dans le langage psychologique français à titre d’équivalent de l’américain behavior (ou de l’allemand Verhalten ), pour désigner «les manières d’être et d’agir des animaux et des hommes, les manifestations objectives de leur activité globale». Toutefois, il considère, comme le fait de son côté Pavlov, que les faits ainsi identifiés renvoient à la physiologie.

Les idées développées par Watson vont ainsi être en net contraste avec deux courants qui lui préexistent. La naissance de la psychologie scientifique lui est, d’une certaine manière, antérieure: Gustav T. Fechner, Hermann L. Helmholtz, Wilhelm Wundt – qui fonda en 1879 le premier laboratoire de psychologie expérimentale – Hermann Ebbinghaus, Ivan Setchenov, Ivan Pavlov, Alfred Binet et d’autres chercheurs, ont ouvert la voie en observant divers types de comportements et en essayant de les mettre en relation avec leurs conditions d’apparition. Toutefois, la notion de comportement elle-même ne fut pas alors encore complètement dégagée. En France, Pierre Janet utilise systématiquement le terme de «conduites», mais en y englobant les contenus de conscience, qui lui paraissent en être indissociables.

Watson prend nettement position contre les conceptions de ce type; il se montre fort sévère pour la postérité de Wundt, pour la psychologie introspective allemande et pour les émules qu’elle a aux États-Unis; il condamne la «trentaine d’années stériles» de cette science et s’oppose à William James. Selon lui, la psychologie doit devenir une «science naturelle» – ou, pour être plus clair, une «science de la nature» – au même titre que la médecine, la chimie ou la physique. «Pourquoi, écrit-il dans Le Behaviorisme , ne pas faire de ce que nous pouvons observer le champ réel de la psychologie? Limitons-nous aux choses qui peuvent être observées et formulons des lois concernant uniquement ces choses.» Cette limitation a, d’une certaine façon, fondé effectivement la psychologie scientifique, mais, en même temps, la façon dont elle doit être conçue n’a cessé de diviser cette discipline.

Le premier principe de Watson est donc de rejeter toute référence non seulement à des entités «métaphysiques» telles que l’âme ou l’esprit, mais encore à la conscience. Cela implique le refus de considérer les états mentaux comme des objets d’observation. C’est sur ce point capital que le radicalisme de John Watson est novateur. La psychologie scientifique a commencé à se développer dès que l’on a décidé, à l’instar de ce qui se faisait dans les sciences déjà évoluées, de fonder la connaissance sur des «faits», c’est-à-dire sur des observables. Mais le pas ainsi franchi est resté insuffisant aussi longtemps qu’on a continué d’admettre que les états mentaux étaient aussi des observables. Watson, au contraire, exclut ces états du champ de l’observation, et il décide de ne prendre en compte que des observables objectifs , ceux qui apparaissent dans l’univers matériel: ce sont précisément ceux-ci qui constituent les comportements. Le prolongement de cette prise de position est que le langage soit lui-même considéré comme un comportement et qu’il soit analysé comme tel.

Le choix épistémologique de Watson est le même que celui qu’avaient fait avant lui Pavlov et, encore avant ce dernier, son maître Setchenov. Une différence importante sépare toutefois Watson de ceux-ci: c’est qu’il distend quelque peu les relations entre le comportement et l’activité nerveuse, au point d’être parfois accusé de négliger cette dernière; il proteste de l’importance qu’il lui attribue, mais il considère le système nerveux central comme étant seulement un organe intégré au corps dans son ensemble. Pavlov, dont il faut rappeler qu’il n’observait pas de façon directe le système nerveux, considérait le point de vue objectif qu’il avait adopté, ainsi que l’ensemble de ses propres travaux, comme étant «physiologique» et comme traitant de l’«activité nerveuse supérieure». Watson parle des mêmes choses en termes de comportement et de psychologie. L’évolution ultérieure a suivi le second plutôt que le premier: on réserve le qualificatif de physiologiques aux observations directes du tissu nerveux ou de ses manifestations électriques ou chimiques, et l’on parle de psycho-physiologie lorsque celles-ci sont prises en compte en même temps que celles qui portent sur des comportements globaux.

La conception «stimulus-réponse», forme typique du behaviorisme

Lorsqu’on examine avec quelque recul la conception que Watson et ses continuateurs se font du comportement, on voit clairement qu’ils considèrent le plus souvent ce terme comme étant l’équivalent de «réponse» ou de «réaction». Ces deux derniers termes impliquent nettement que le comportement pris en considération se produit en présence d’un événement défini de l’environnement, qui est appelé «stimulus». La question de savoir ce qu’est au juste un stimulus ne peut en aucun cas recevoir une réponse simple en psychologie. Toutefois, le behaviorisme tend à simplifier le problème en disant, de façon en quelque sorte circulaire, que le stimulus est ce qui, dans l’environnement, détermine la réponse.

De la concomitance on glisse, en effet, aisément à la causalité et l’on pourra dire que le stimulus «produit», «provoque» ou «déclenche» la réponse. Une expression plus faible, et donc préférable, consiste à dire que le stimulus «suscite» (en anglo-américain evokes ) la réponse. Cette façon de conceptualiser le comportement, qui est étroitement apparentée à l’idée de «réflexe», bien que ce terme ne soit pas employé de façon extensive par les behavioristes, conduit à ce que l’on désigne souvent par l’expression de «théorie S-R», ou «stimulus-réponse». Il est plus approprié de parler de «conception S-R», étant donné qu’il s’agit là d’une position épistémologique plutôt que d’une théorie à proprement parler. Dans cette conception, l’objet de la psychologie se trouve être précisément l’étude des relations entre les stimulus et leurs réponses.

Une première démarche possible consiste alors à tenter d’identifier des réponses et à repérer les stimulus qui les suscitent de façon régulière. Watson la met en œuvre partiellement dans ses recherches sur le problème des émotions. Critiquant la méthode de William James, qu’il considère comme essentiellement introspective, il s’en tient à la notion de «réponse émotionnelle», la seule, selon lui, qui permette une étude objective et expérimentale. Il renonce assez rapidement à expérimenter sur des adultes, dont les réactions émotionnelles sont trop complexes, et ne craint pas, dans son laboratoire, de soumettre de très jeunes sujets à des stimulations fortes; elles lui permettent d’isoler trois grandes classes de réactions émotionnelles primitives, qu’il rapporte à la peur, à la colère et à l’amour – «dans un sens plus large qu’il n’est habituel de l’employer».

La recherche des stimulus qui suscitent des réponses de façon innée peut donc être une des démarches du behaviorisme S-R. Elle sera réinventée et développée plus tard par les éthologistes de l’école «objectiviste», qui, dans un contexte théorique quelque peu différent, l’appliqueront avec succès à l’étude des comportements instinctifs chez l’animal et, avec plus de risque théorique, à l’enfant ou à l’homme. Toutefois, ni Watson ni les behavioristes qui le suivent ne mettent au centre de leurs investigations ce type de relations stimulus-réponse, qui est pourtant parmi les plus stables. En dépit de l’hommage qu’il rend à Darwin, dont il qualifie les descriptions de «tout à fait objectives et behavioristes», Watson s’écarte de lui et s’oppose à William James au sujet de l’extension des activités instinctives chez l’homme.

Ce qui va demeurer durant plusieurs décennies au centre de la psychologie behavioriste est l’ensemble des phénomènes d’apprentissage. D’emblée, Watson fait siennes les découvertes de Pavlov et de son école: il les réinterprète, les intègre à sa conception et pousse à ce qu’elles soient développées. Sa contribution à cette recherche est l’étude expérimentale, qu’il conduisit avec sa femme, R. Rayner, des réactions émotionnelles conditionnées chez des enfants.

Dans ce contexte, à l’intérieur du schéma S-R, S désigne, autant et plus que les stimulus innés, les stimulus qui sont devenus capables de susciter la réponse. La «théorie de l’activité nerveuse supérieure» de Pavlov s’appelle désormais « conditionnement ». La différence n’est pas seulement terminologique, car le mécanisme fondamental du conditionnement est conçu par les behavioristes comme étant celui de la substitution. Un stimulus Si suscitait une réponse R; désormais, un stimulus Sc suscite cette même réponse R. Tel est le paradigme fondamental de l’apprentissage dans la conception S-R. Celle-ci est essentiellement, pour reprendre une formule ultérieure de Neal Miller, une «théorie du trait d’union».

La conception S-R du behaviorisme n’est certes pas totalement dominante puisque, en demeurant dans un cadre méthodologiquement et épistémologiquement behavioriste, Edward C. Tolman et un certain nombre de chercheurs qui lui sont apparentés tentent de développer une théorie cognitiviste, illustrée par le schéma S-S; l’apprentissage y est plus une modification des connaissances qu’une pure et simple modification du comportement. Toutefois, c’est la conception S-R qui, historiquement, apparaît aujourd’hui comme la plus représentative du behaviorisme.

Le développement du behaviorisme

Après Watson, la psychologie expérimentale se développe, aux États-Unis, de façon extrêmement rapide; elle se caractérise, pour l’essentiel, par son inspiration behavioriste. Toutefois il subsiste aussi, parallèlement, une pratique assez étendue de la psychologie non expérimentale, surtout dans le domaine clinique, où le behaviorisme ne pénètre que très lentement et où les courants psychanalytiques deviennent bientôt prédominants.

En psychologie expérimentale générale, si le thème central des recherches et de l’élaboration théorique demeure celui de l’apprentissage, un second thème s’y trouve de plus en plus étroitement lié, selon la même formulation behavioriste: celui de la motivation.

Des années trente aux années cinquante, se déroule un grand débat sur les théories de l’apprentissage, alimenté par de nombreuses recherches expérimentales, soit chez l’animal, à partir de procédures de conditionnement, soit chez l’homme, notamment au moyen des apprentissages par cœur. L’objectif principal est de construire une théorie unifiée du comportement qui soit capable de rendre compte, à partir d’un nombre limité de principes, de postulats ou de lois, de tous les phénomènes observés, aussi bien chez l’animal que chez l’homme. Les chercheurs les plus marquants qui aient travaillé à cette tâche sont, entre autres, Clark L. Hull, Edward C. Tolman, Edwin R. Guthrie, Burrhus F. Skinner.

Ce dernier est sans conteste le plus positiviste et le plus strictement «S-R» des théoriciens behavioristes de cette période; il répond de façon négative, au moins provisoirement, à la question qu’il a lui-même posée: «Des théories de l’apprentissage sont-elles nécessaires?» Il construit un système original et un peu marginal par rapport aux autres behavioristes, mais il apporte une contribution expérimentale et théorique importante. En premier lieu, il met en évidence et conceptualise, à peu près en même temps que Jerzy Konorski et Stefan Miller en Pologne, un «second type» de conditionnement, qu’il appelle «opérant» et que Hilgard et Marquis nommeront «instrumental». Par contraste avec le comportement «répondant» qu’illustre le conditionnement pavlovien, dit aussi «classique», le comportement opérant n’est pas tant déterminé par le stimulus qui le précède que par celui qui le suit. Skinner réinterprète donc l’apprentissage par essais et erreurs, ainsi que la «loi de l’effet» de Edward L. Thorndike, et les intègre à une théorie du conditionnement et du comportement. Il isole ainsi un troisième moyen par lequel l’environnement agit sur celui-ci. Les deux premiers étaient la liaison S-R innée et la liaison S-R conditionnelle classique; le troisième est la modification du comportement par les stimulus qui le suivent, dont la récompense et sa suppression sont deux cas typiques. On a pris l’habitude – de façon peu heureuse, car cela ajoute à la confusion terminologique – de détourner le terme pavlovien de «renforcement» de son sens primitif pour désigner ce type d’effet du stimulus subséquent.

Toutefois, la théorie behavioriste la plus ambitieuse de cette période a été le système hypothético-déductif de Hull, qui repose sur l’énonciation formalisée d’un certain nombre de «postulats» et de «corollaires» d’où sont dérivées des prédictions qui peuvent être expérimentalement mises à l’épreuve. Bien que le système de Hull n’ait, précisément, pas résisté à l’expérimentation, il a joué un rôle historique très important et a préfiguré l’organisation logique et conceptuelle des modèles de l’époque postérieure.

Ceux-ci ont reposé, pour l’essentiel, sur l’introduction de relations probabilistes entre les stimulus et les réponses, ou entre les réponses et les stimulus. Toutefois, les modèles sont alors devenus beaucoup plus locaux, l’introduction des probabilités n’ayant pas connu le succès d’ensemble escompté. Après les théories médiationnistes, héritières de celles de Hull, dont on va reparler, il n’y aura plus aucune grande théorie behavioriste d’ensemble qui soit à la fois assez générale et assez précise.

Évolution, mise en cause et affaiblissement du behaviorisme

À partir de la fin des années quarante, les diverses théories behavioristes S-R se heurtent à de croissantes difficultés internes et externes.

Les premières sont elles-mêmes de deux espèces. Tout d’abord apparaissent un certain nombre de désaccords entre des prédictions expérimentales dérivées des théories, et les résultats observés empiriquement. Contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue, ces désaccords ne constituent pas, en eux-mêmes, un échec dans la voie suivie; ils correspondraient plutôt à un type de succès de la psychologie expérimentale. C’est, en effet, la première fois, dans l’histoire millénaire des idées que les hommes se forgent à propos de leur propre psychisme, qu’une conception d’ensemble est mise à mal par sa confrontation avec des faits recueillis spécialement à cette fin. Le désaccord tient ainsi à ce que les conceptions étaient assez précises pour pouvoir être infirmées, ce qui n’est pas souvent le cas pour d’autres sortes de théories. C’est pour une large part autour des notions de renforcement, de motivation et d’anticipation que se cristallisent ces difficultés. Le lieu théorique d’où elles naissent est assez facilement repérable: il se trouve dans ce qui joint S et R. En renonçant à l’introspectionnisme, le behaviorisme – et la psychologie objective en général – se prive de toute possibilité d’accès direct à la connaissance des activités internes. Peut-on pour autant nier l’existence de ces dernières? Les exigences mêmes de la recherche expérimentale tendent progressivement à bousculer toute tentative de supprimer ce problème, ou de le contourner par la simple description des concomitances entre stimulus et réponses.

Dans le débat sur les théories de l’apprentissage, des conceptions différentes s’étaient déjà opposées sur ce point. On a évoqué plus haut l’extrémisme positiviste de Skinner. Tolman, pour sa part, avait accepté d’utiliser des «constructions conceptuelles hypothétiques» (hypothetical constructs ) pour rendre compte des comportements, alors que Hull s’en tenait à des «variables intermédiaires» (intervening variables ), beaucoup plus directement fixées aux variables observables. Un exemple des secondes était la variable intermédiaire «degré de faim», ou plus généralement «force du mobile» (drive ), que l’on peut inférer et estimer à partir de la relation qui lie, d’une part, la durée de la privation de nourriture d’un animal, d’autre part, la vigueur d’un de ses comportements, appris au moyen d’une récompense alimentaire.

Les premiers désaccords expérimentaux avaient conduit à des remaniements théoriques locaux; c’est ainsi qu’à la motivation par privation évoquée plus haut Hull avait adjoint une motivation différente, la «motivation incitatrice». Un des moyens de construire celle-ci était de prendre en compte la relation qui lie la vigueur d’un comportement avec récompense à l’importance de la récompense.

Vers le début des années cinquante, ces remaniements deviennent insuffisants; la solution cherchée aux difficultés expérimentales et théoriques donne alors naissance aux théories de la médiation. Elles consistent, pour l’essentiel, à introduire un ou plusieurs chaînons s-r , dits «médiats», entre S et R, c’est-à-dire entre le stimulus et la réponse observables; le nouveau schéma général est ainsi du type Sr s R. Les entités intermédiaires r et s sont, conformément aux idées de Watson, considérées comme «implicites», c’est-à-dire non observables de façon directe. Toutefois, les développements expérimentaux ultérieurs devraient, en droit, conduire à les mettre en évidence. Vingt-cinq ans après, il faut convenir qu’ils n’y sont pas parvenus et qu’ainsi la théorie behavioriste S-R n’a pas pu échapper à la contradiction entre l’observable et l’inobservable.

Vers la fin des années cinquante, le behaviorisme se heurte aussi à une très vive contestation externe, qui a pour objet principal les problèmes du langage.

Les premiers actes en sont la publication en 1957 du livre de Skinner, Verbal Behavior , et la critique acérée qu’en donne Noam Chomsky deux ans plus tard. Paradoxalement, l’ouvrage de Skinner est presque entièrement spéculatif; Chomsky considère qu’il donne, en outre, des activités langagières une idée appauvrie et inexacte. D’une manière générale, toutes les recherches, même non skinneriennes, qui portent sur les «comportements verbaux», notamment celles qui étudient les apprentissages associatifs, sont considérées par l’école chomskyenne comme sans intérêt. La polémique atteint une âpreté inhabituelle, peut-être parce qu’elle a de surcroît un arrière-fond idéologique: les États-Unis sont au cœur de leur guerre du Vietnam et de leur contestation universitaire.

La psycholinguistique, en tant que discipline originale, vient juste de naître de la rencontre de linguistes, de spécialistes de la toute nouvelle théorie de l’information et de psychologues partisans d’un behaviorisme assoupli, tels Charles Osgood et George Miller. Ce courant est rapidement supplanté par la psycholinguistique d’inspiration chomskyenne, qui se proclame «cognitiviste», voire «mentaliste», c’est-à-dire foncièrement antibehavioriste en ce qu’elle affirme l’existence et la prééminence des activités mentales ou centrales. Les auteurs appartenant à cette tendance s’opposent aussi au behaviorisme par la faible importance qu’ils accordent aux facteurs d’environnement, et plus spécialement à l’apprentissage; la plupart d’entre eux marquent leur prédilection pour un point de vue innéiste ou nativiste. Une certaine jonction s’établit entre leurs idées et celles de Jean Piaget.

En même temps que se développe ce courant, et pour une large part indépendamment de lui, la notion d’«information» pénètre progressivement et profondément la psychologie. Les problèmes relatifs à la motivation et à l’affectivité sont désormais traités à part. Ce qui se passe «dans la tête» du sujet humain est de plus en plus largement conçu comme une certaine sorte de traitement de l’information, ce qui constitue une autre branche du cognitivisme.

On pourrait dire que le behaviorisme S-R est alors en plein déclin si, assez curieusement, ne prenait essor à ce même moment une de ses applications: le courant de la behavior therapy – expression traduite en français par «thérapies du comportement», «thérapies comportementales», voire «thérapies behaviorales» – ou encore des «modifications du comportement».
Comme l’indique cette dernière expression, il s’agit de mettre au point des techniques reposant sur une série de résultats expérimentaux relatifs aux apprentissages, interprétés dans une perspective S-R, et de les utiliser en vue de modifier des comportements jugés pathologiques ou indésirables, par exemple asociaux (c’est-à-dire non conformes à une certaine conception de la société). Ces pratiques ont suscité, notamment en France, de vives objections théoriques, cliniques, déontologiques et politiques; leur appréciation définitive reste à établir.

Un bilan du behaviorisme

Il convient de mettre à part le domaine des thérapies comportementales. Comme il concerne essentiellement les déterminants psychologiques qui touchent aux motivations, à l’affectivité, à la personnalité et, d’une manière générale, à la psychologie clinique, l’opposition à ce sujet reste vive entre, d’une part, les partisans de la psychologie objective et parfois de ses formes les plus étroites, et, d’autre part, ceux de la psychologie subjective, dont la psychanalyse demeure la doctrine de référence.

Mais, dans tous les domaines qui correspondent aux rubriques psychologiques intitulées «mémoire», «apprentissage», «perception», «langage», «activités intellectuelles», etc., il semble bien que la bataille de doctrine autour du behaviorisme soit apaisée et dépassée. Les théories d’inspiration cognitiviste paraissent s’être peu à peu imposées dans leurs formes mesurées. Certes, la théorie chomskyenne a elle-même, depuis le milieu des années soixante-dix, perdu une grande part de son crédit; mais l’accord se fait assez largement sur l’idée que, dans les domaines précités, les activités psychologiques s’apparentent à un «traitement de l’information», qui repose sur une imbrication complexe d’activités plus élémentaires de saisie et de transformation et qui s’appuie sur les connaissances acquises par le sujet. On a visiblement mieux pris la mesure de la complexité de ces activités, ce qui contraste avec la simplification abusive qu’en proposait le behaviorisme S-R, même quand il était mis en œuvre avec une sophistication extrême.

Cette reconnaissance du rôle des activités internes, qui s’est imposée aux chercheurs des États-Unis, s’est encore davantage affirmée dans les diverses psychologies européennes, dont aucune, pratiquement, n’avait d’ailleurs adhéré au point de vue S-R strict.

Toutefois, il est frappant de constater que nulle mise en cause sérieuse de la notion de comportement ne s’est développée sur le plan méthodologique durant les dernières décennies. Bien que la linguistique générative ait largement fait appel à l’intuition du chercheur, elle a, en dépit de son antibehaviorisme militant, toujours cherché du côté psychologique un appui empirique dans la mise en œuvre de la méthode expérimentale, c’est-à-dire comportementale. Tous les chercheurs en psychologie qui étudient les activités cognitives et le langage, quelle que soit leur obédience, utilisent ainsi une méthodologie générale unique, à savoir l’observation systématique de classes de comportements et leur mise en relation avec les conditions et, le plus souvent, avec les stimulus qui en sont le contexte, l’occasion ou le déterminant. Il n’est donc pas exagéré de dire qu’une certaine sorte de «behaviorisme méthodologique» généralisé a survécu au «behaviorisme théorique», lequel est en voie de disparition. La dissociation opérée par le behaviorisme entre l’introspection et la démarche objective demeure, à cet égard, une des acquisitions définitives de la psychologie scientifique. Mais le refus de prendre en considération ce qui se passe entre le stimulus et la réponse et, au-delà, le refus de chercher à connaître les activités internes, même lorsqu’elles ne se traduisent pas par des comportements immédiats, ne correspondent plus aux exigences ni aux possibilités actuelles de la recherche.

behaviorisme [ bievjɔrism; beavjɔrism ] n. m.
• 1926; mot angl. amér. de l'angl. behaviour « comportement »
Anglic. Didact. Théorie qui fait consister la psychologie dans l'étude scientifique et expérimentale du comportement (psychologie du comportement), sans recours à l'introspection, ni aux explications d'ordre physiologique, ni à la psychologie profonde. — On trouve aussi BÉHAVIORISME [ beavjɔrism ], et BEHAVIOURISME [ beavjurism ].

béhaviorisme nom masculin (américain behaviorism) Courant de la psychologie scientifique, qui ne prend en considération que les relations directes ou presque directes entre les stimulus et les réponses. ● béhaviorisme (synonymes) nom masculin (américain behaviorism) Courant de la psychologie scientifique, qui ne prend en considération...
Synonymes :
- comportementalisme

béhaviorisme ou behaviourisme
n. m. PSYCHO Doctrine, élaborée à partir de 1913 aux È.-U. par J. B. Watson, qui propose de substituer une psychologie du comportement à une psychologie introspective qui cherchait à décrire et à expliquer les "états de conscience".

⇒BEHAVIO(U)RISME, (BEHAVIORISME, BEHAVIOURISME)subst. masc.
PHILOS. Doctrine qui assigne à la psychologie l'étude du comportement des individus à l'exclusion de l'introspection :
1. Nous ne sommes pas, en Europe, des gens qui se ressemblent tellement! Et croyez bien qu'entre le behaviourisme et le bergsonisme l'écart n'est pas d'une autre nature qu'entre Bergson et Hegel.
MALRAUX, Les Conquérants, 1928, p. 167.
2. Malgré leur opposition apparente à ce behaviourisme élargi et transfiguré, les phénoménologues ne nous mènent pas vers d'autres buts ni par des chemins tellement différents.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 43.
3. Le « behaviourisme » est la vérité de la sociologie objective, qui a d'ailleurs fait appel à ses principes. Ce n'est plus en effet la « représentation », mais l'« action » dans son déroulement spatio-temporel qui sert d'objet primitif, duquel nous devons partir pour comprendre aussi bien l'individu que la société, supprimant du même coup le problème de la conscience et constituant une psychologie sans âme.
J. VUILLEMIN, L'Être et le travail, 1949, p. 140.
Prononc. et Orth. Pt ROB. transcrit [bia(e)()] (graph. behaviorisme), ROB. Suppl. 1970 [()] ou [()] (ces 2 possibilités pour une même graph. behaviorisme). Pt Lar. 1968 note [] (graph. béhaviourisme). Lar. encyclop. admet béhaviorisme ou béhaviourisme (cf. aussi Pt Lar. 1968). L'orth. avec ou est angl., l'orth, avec o, amér. QUILLET 1965 donne uniquement béhaviorisme. Pt ROB. et ROB. Suppl. 1970 écrivent behaviorisme sans accent sur l'e de l'initiale. Les spécialistes de la psychol. exp. sont partagés à ce sujet (cf. le livre de A. TILQUIN, Le Behaviorisme, Paris, 1942; l'art. béhaviorisme dans Encyclopaedia universalis, Paris, t. 3, 1969), le flottement de la graph. indiquant lui-même un flottement de la prononc., en liaison avec la difficulté de créer un dérivé en -isme sur le mot fr. comportement. Étymol. et Hist. [Ca 1920 d'apr. ROB. Suppl.]; 1926 behaviorism (LALANDE, Vocab. techn. et critique de la philos., Suppl. Paris : Behaviorism. — Terme anglais [...] souvent employé tel quel en français pour désigner la doctrine qui limite la psychologie à l'étude du comportement ou des réactions). Mot forgé par le psychologue amér. J. B. Watson [1878-1958] en 1912 et rendu public dans son manifeste de 1913 (J.-B. Watson dans Psychol. Rev., XX, 158 dans NED Suppl. : Psychology as the behaviorist views it is a purely objective experimental branch of natural science. Its theoretical goal is the pure prediction of behavior [ibid., 166] I feel that behaviorism is the only consistent and logical functionalism); à partir de behavior « comportement » avec suff. -ism. Fréq. abs. littér. :25.

behaviorisme [bievjɔʀism; biavjɔʀism] ou behaviourisme [biavjuʀism; bievjuʀism] n. m.
ÉTYM. 1926, behaviorisme (béhaviorisme, 1922, in D. D. L.); behaviourisme, 1938, in Höfler; mot créé en 1912 par J. B. Watson, psychologue américain, de behavior « comportement », angl. britannique behaviour.
Anglic. Théorie qui fait consister la psychologie dans l'étude scientifique et expérimentale du comportement, sans recours à l'introspection, au mentalisme, ni aux explications d'ordre physiologique, ni à la psychologie profonde. Comportement (psychologie du comportement). || Le behaviourisme est indispensable à la psychologie animale, à l'éthologie. || Les limites du behaviorisme en linguistique, en sociologie.
0 Le behaviourisme illustré par Watson, mais correspondant à des courants convergents en bien d'autres régions que les États-Unis (cf. la psychologie soviétique avec Pavlov ou celle de langue française avec Piéron) préconise une méthodologie fondamentale qui consiste, pour étudier le sujet, à partir non pas de son introspection, mais de l'ensemble de sa conduite.
J. Piaget, Épistémologie des sciences de l'homme, p. 120.
CONTR. Introspectionnisme, mentalisme.
DÉR. V. Behavioriste.

Encyclopédie Universelle. 2012.