étrange [ etrɑ̃ʒ ] adj.
• estrange « étranger » 1050; lat. extraneus « étranger »
1 ♦ (XIIe) Vx Incompréhensible; hors du commun. « J'aperçois bien qu'amour est de nature étrange » (Marot). Spécialt Épouvantable, extrême. « Ô Dieu, l'étrange peine ! » (P. Corneille).
2 ♦ (1668) Mod. Très différent de ce qu'on a l'habitude de voir, d'apprendre; qui étonne, surprend. ⇒ bizarre, extraordinaire, singulier, surprenant. Une étrange aventure. « Un bruit étrange, inexplicable [...] effrayant et risible, me préoccupait l'oreille » (Gautier). Un air, un sourire étrange. ⇒ indéfinissable. C'est un étrange garçon. ⇒ étonnant, incompréhensible, inexplicable, 2. original. Une conduite étrange. Étrange façon d'agir ! Cet empressement est plutôt étrange. ⇒ inaccoutumé, inquiétant, insolite, 1. louche. Un cas étrange. ⇒ exceptionnel, rare. C'est étrange comme vous vous ressemblez. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que... Il trouve étrange qu'on ne l'ait pas invité. ⇒ anormal. Il est étrange de (et l'inf.), que (et le subj.).
♢ Subst. L'étrange : caractère étrange. ⇒ étrangeté. « plus l'être est faible, plus il répugne à l'étrange, au changement » (A. Gide). Le monde de l'étrange. ⇒ fantastique.
⊗ CONTR. Banal, commun, 1. courant, habituel, normal , ordinaire.
● étrange adjectif (latin extraneus, extérieur, étranger) Qui frappe par son caractère singulier, insolite, surprenant, bizarre : D'étranges phénomènes. Un personnage étrange. Se dit, en physique, d'une particule porteuse d'une étrangeté non nulle. ● étrange (citations) adjectif (latin extraneus, extérieur, étranger) Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 En étrange pays dans mon pays lui-même Je sais bien ce que c'est qu'un amour malheureux. Les Yeux d'Elsa Cahiers du Rhône Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Toute vue de choses qui n'est pas étrange est fausse. Si quelque chose est réelle, elle ne peut que perdre de sa réalité en devenant familière. Méditer en philosophe, c'est revenir du familier à l'étrange, et dans l'étrange affronter le réel. Choses tues Gallimard Commentaire La première phrase de cette pensée de Valéry a été écrite sur les murs de la Sorbonne lors des événements de mai 1968 (avec « des choses » au lieu de « de choses »). H. de Montherlant l'a reprise comme épigraphe de son roman les Garçons. Théophile de Viau Clairac 1590-Paris 1626 Dans ce climat barbare où le destin me range, Me rendant mon pays comme un pays étrange […]. Élégie ● étrange (synonymes) adjectif (latin extraneus, extérieur, étranger) Qui frappe par son caractère singulier, insolite, surprenant, bizarre
Synonymes :
- bizarre
- curieux
- drôle
- énigmatique
- étonnant
- insolite
- saugrenu
Contraires :
- normal
● étrange
nom masculin
Caractère de ce qui est étrange, qui sort des normes habituelles.
étrange
adj. et n. m. Qui étonne, intrigue comme différent de ce qui est habituel ou ordinaire. Objet, animal étrange. D'étranges coïncidences.
— (Personnes) Singulier, bizarre. C'est qqn d'étrange.
|| n. m. Ce qui est ou paraît étrange. Le plus étrange de l'histoire est que...
⇒ÉTRANGE, adj. et subst. masc.
I.— Adjectif
A.— Vx, littér. Synon. de étranger. Captif en pays étrange (PSICHARI, Voy. Centur., 1914, p. 29) :
• 1. ... comme nous suivions, quasi depuis sa source, cette rivière [l'Indre] qui passe chez nous, je ne me trouvais plus si étrange et ne me sentais plus en un pays perdu.
SAND, Maîtres sonneurs, 1853, p. 207.
B.— Qui est hors du commun, qui sort de l'ordinaire, inhabituel.
1. Vieilli. Terrible, excessif, inconvenant. Si vous saviez à quelles étranges extrémités j'ai été réduite (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 50) :
• 2. AMBROISE. —
(...) Dès longtemps je vous aime, et vous presse, Madame,
De recevoir ma main, de devenir ma femme :
C'est trop long-temps, aussi, me jouer, m'amuser :
Il faut m'admettre enfin, ou bien me refuser.
Mme ÉVRARD. —
Mais vous pressez les gens d'une manière étrange,
Il le faut avouer.
COLLIN D'HARL., Vieux célib., 1792, II, 6, p. 44.
2. Usuel. Qui surprend l'esprit, les sens par un (ou des) caractère(s) inhabituel(s); singulier, extraordinaire.
a) [En parlant d'une pers., d'un animal ou d'une plante] Étrange animal; créature, fille, homme, personnage étrange. C'est un étrange peintre, un singulier génie que Goya! (GAUTIER, Tra los montes, 1843, p. 115) :
• 3. Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
BAUDEL., Fl. du Mal, 1861, p. 223.
• 4. Quant à l'aîné des enfants, Étienne, c'était un étrange garçon (...). C'était un bossu (...). Il avait été marié. Il était arrivé dans le Nord avec sa femme. Mais il la battait, la séquestrait (...). Au fond, un déséquilibré.
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 49.
b) [En parlant d'un inanimé concr. ou abstr.] Fort étrange; d'une étrange façon. Demande étrange et surtout inattendue (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 10). Le toit était baigné d'une étrange lumière (...) : c'était la lune (MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p. 965).
Rem. 1. Comme beaucoup d'adj., étrange a une valeur intensive quand il est antéposé : étrange aventure/événement étrange; étrange regard/voix étrange; étrange sensation/impression étrange; étranges paroles/mots étranges. 2. Autres associations. Étrange et bizarre; étrange et magnifique; étrange et mystérieux; étrange et terrible.
— Spéc., PHYS. NUCL. Particule étrange. Particule fondamentale dont le comportement reste inexpliqué et qui a une étrangeté non nulle (cf. Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 380).
c) Locutions
— cour. C'est, il est, il paraît, il semble étrange de + inf., que + prop.; c'est étrange comme + prop.; trouver étrange de + inf., que + prop.; c'est une chose étrange que + subst., de + inf., comme + prop.; quelle chose étrange de + inf., que + subst. ou prop. C'est une chose étrange que la facilité avec laquelle les coquins croient que le succès leur est dû (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 218). C'était étrange de ne savoir que faire de soi, de son corps (GREEN, Moïra, 1950, p. 233).
— plus rares. Il est étrange à + inf., combien, comme + prop.; c'est une chose étrange à quel point, combien, comme + prop. Il est étrange combien toutes mes rigoles se bouchent, comme toutes mes plaies se ferment (FLAUB., Corresp., 1847, p. 5). Il est étrange à penser que... (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 293).
d) Avec une valeur adv. Ta voix sonnait étrange tout à l'heure quand tu parlais devant le monde (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p. 246).
II.— Subst. masc. avec valeur de neutre. Caractère étrange de quelque chose; ce qui présente un caractère étrange. L'insolite et l'étrange d'un appartement garni et déjà sali par d'autres (MICHELET, Journal, 1852, p. 191). Le singulier me touche et l'étrange me charme; J'excuse le bizarre et me sens fort épris Du rare (MONTESQUIOU, Hort. bleus, 1896, p. 6) :
• 5. L'étrange est une tentation : en souffrir c'est en jouir. Voilà bien son ambivalence. Conscience de l'étrange, séduction de l'étrange et horreur de l'étrange, c'est tout un.
L. VAX, La Séduction de l'étrange, Paris, P.U.F., 1965, p. 13.
— L'étrange est que. L'étrange est que dans cette dépersonnalisation systématique, (...) tout rend l'effet maximum (ARTAUD, Théâtre et double, 1938, p. 70).
Rem. La plupart des dict. gén. enregistrent le verbe trans. étranger, vx. Chasser, éloigner. Les rats, les moineaux ont étrangé les pigeons du colombier (Ac. 1798-1835). Après la première connaissance [dit Octave de ses amis] il n'en est aucun que mes discours n'étrangent de moi (STENDHAL, Armance, 1827, p. 150). Spéc., vén. rare. Étranger le gibier d'un pays (Ac. 1798-1835). Emploi pronom. réfl. Le gibier s'est étrangé de cette plaine (ibid.).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 estrange « étranger » (Alexis, éd. Chr. Storey, 608); 2. ca 1165 « hors du commun, extraordinaire » (B. DE STE-MAURE, Troie, éd. Constans, 12445); 1668 par affaiblissement de sens « bizarre, singulier (ici d'une personne) » (MOLIÈRE, L'avare, IV, 4). Du lat. class. extraneus « du dehors, extérieur; qui n'est pas de la famille, du pays, étranger ». Fréq. abs. littér. :8 642. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 8 391, b) 14 503; XXe s. : a) 13 492, b) 13 707. Bbg. VAX (L.). La Séduction de l'étrange. Paris, 1965, passim.
étrange [etʀɑ̃ʒ] adj. et n. m.
ÉTYM. 1050, estrange « étranger »; du lat. extraneus « étranger », de extra « au-dehors, à l'extérieur ».
❖
A Adj.
1 Vx. ⇒ Étranger.
1 Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l'univers
Et se font écouter des nations étranges.
La Fontaine, Fables, XII, 23.
1.1 J'aperçois bien qu'amour est de nature étrange, Difficile à connaître et facile à sentir (…)
Clément Marot, Épigrammes, CCLXXVI.
♦ Spécialt (langue class.). Épouvantable, terrible.
2 O Dieu, l'étrange peine !
Corneille, le Cid, I, 6.
3 C'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur.
Bossuet, Oraison funèbre de Henriette-Anne d'Angleterre.
3 (1668). Mod. Très différent de ce qu'on a l'habitude de voir, d'apprendre; qui étonne, surprend (tout en restant dans le domaine du possible, du vraisemblable). ⇒ Bizarre, curieux, drôle, extraordinaire, singulier. || Une étrange aventure. || Des mœurs étranges. || Un nom étrange. || Un bruit, une musique étrange (→ Antique, cit. 3). || Sensation étrange (→ Angoisse, cit. 5). || Atmosphère (cit. 14) étrange. || Un visage étrange (→ Brouillé, cit. 26). || Avoir un air, un sourire, un regard, un charme étrange (→ Baladin, cit. 3). ⇒ Indéfinissable. || Une étrange pâleur (→ Couleur, cit. 12). || Être vêtu d'étrange façon. || Un étrange garçon. ⇒ Étonnant, excentrique, incompréhensible, inexplicable, original. || Une conduite étrange. || Une étrange faiblesse. || Voilà une idée bien étrange ! ⇒ Ébouriffant, extravagant, inattendu (→ Dépourvu, cit. 7). || Étrange façon d'agir ! || Cet empressement est plutôt étrange. ⇒ Inaccoutumé, inquiétant, insolite, louche. || Un cas étrange. ⇒ Exceptionnel, rare (→ Contre, cit. 9). || Histoire étrange. ⇒ Abracadabrant. || Œuvre, style étrange. ⇒ Baroque, biscornu, ésotérique. || Ce qu'il y a d'étrange dans sa conduite, c'est… || C'est une chose étrange ⇒ Admirable (vx), inconcevable, incroyable, inouï, surprenant (→ Coquin, cit. 2). || N'est-il pas étrange que… || Chose étrange ! || Il trouve étrange qu'on ne l'ait pas invité. ⇒ Anormal, choquant, déplacé, inconvenant.
4 Estrange, signifie aussi, Ce qui est surprenant, rare, extraordinaire (…) Ce Poëte a des visions, des pensées estranges (…) Il y a des monstres, des animaux estranges dans la mer.
Furetière, Dictionnaire, art. Estrange.
5 (…) on ne saurait rien imaginer de si étrange et si peu croyable, qu'il n'ait été dit par quelqu'un des philosophes (…)
Descartes, Discours de la méthode, II.
6 Ne t'y trompe pas; tu ne sais pas encore
Quel étrange garçon est Ascagne.
Molière, le Dépit amoureux, V, 8.
7 C'est donc une chose étrange qu'on ne peut définir ces choses sans les obscurcir. Nous en parlons en toute sûreté.
Pascal, Pensées, VI, 392.
8 Charité chrétienne, que vous avez un étrange langage dans la bouche des ministres de Jésus-Christ !
Rousseau, Lettre à Mgr de Beaumont.
9 Un bruit étrange, inexplicable, enroué, effrayant et risible, me préoccupait l'oreille depuis quelque temps (…)
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 9.
10 (…) il sied de voir à quoi se réduit au juste la faute de Louis XIV, ce que fut en réalité sa conduite avec ses maîtresses, et enfin d'expliquer cette conduite, qui, quelquefois je l'avoue, ne laisse point de nous paraître étrange.
Louis Bertrand, Louis XIV, III, IV.
11 Sa laideur (celle de Pascal) est vivante. Son masque de mort seul est beau : tous les deux également étranges, hors de lieu et presque hors de propos.
André Suarès, Trois hommes, Pascal, II.
♦ ☑ Loc. Il est (il paraît, il semble) étrange de… (et inf.), que… (et subj.). || C'est étrange de… (et inf.). — Vx. || Il est étrange combien, comme… (et ind.). || « Il est étrange (…) comme toutes mes plaies se ferment » (Flaubert, in T. L. F.). || Il est (il semble, il paraît) étrange à… (et inf.). || « Il est étrange à penser que… » (Gautier, in T. L. F.).
4 (1968; d'après l'angl. strange, 1956, Gell-Mann). Phys. nucl. || Particule étrange : particule instable, produite dans des interactions de haute énergie, dont le temps de désintégration est relativement beaucoup plus long que le temps de formation. ⇒ Étrangeté (3.); hypéron, kaon. || Les particules étranges, toujours produites par paires, sont caractérisées par un nombre d'étrangeté différent de zéro. || Particules non étranges, d'étrangeté nulle.
B N. m. || L'étrange.
1 Caractère étrange. ⇒ Étrangeté. || L'étrange est qu'ils soient encore amis, après cette querelle.
12 Il lui semblait que tous les autres avaient senti l'étrange de cette question, mais que tous (…) n'eussent qu'un but, la faire oublier, cette question singulière, déplacée.
Aragon, les Beaux Quartiers, p. 276.
2 Ce qui est étrange. || Ce poète a le goût de l'étrange.
13 (…) plus l'être est faible, plus il répugne à l'étrange, au changement (…)
Gide (→ Adaptation, cit. 2).
14 On raffine pour produire du nouveau, et on fait de l'étrange de peur de faire du banal.
Antoine Albalat, la Formation du style, XIV, p. 303.
♦ Spécialt (littér.). Genre dans lequel des éléments étranges sont intégrés au récit, sans impliquer d'interprétation surnaturelle. || L'étrange et le fantastique.
15 À la fin de l'histoire, le lecteur, sinon le personnage prend (du récit fantastique) toutefois une décision (…) et par là-même sort du fantastique. S'il décide que les lois de la réalité demeurent intactes et permettent d'expliquer les phénomènes décrits, nous disons que l'œuvre relève d'un autre genre : l'étrange.
Tzvetan Todorov, Introd. à la littérature fantastique, p. 46.
❖
CONTR. Banal, commun, courant, fréquent, habituel, normal, ordinaire.
DÉR. Étrangement, 1. et 2. étranger, étrangeté.
Encyclopédie Universelle. 2012.