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ALCOOLISME
ALCOOLISME

L’alcool éthylique ou éthanol est le facteur commun aux boissons fermentées (à des dilutions qui vont de 20 pour certaines bières faibles et certains cidres, à 100 et 120 pour les vins courants) et aux boissons distillées, alcools, liqueurs (à des concentrations beaucoup plus fortes, 400, 500, voire davantage). L’action sur l’organisme de ces diverses boissons est essentiellement attribuée à l’alcool éthylique, ce qui peut paraître exact en première approximation.

Le mot alcoolisme désigne tout à la fois les manifestations individuelles de l’intoxication par l’alcool éthylique et les problèmes sociaux que posent à la collectivité les phénomènes psychologiques, biologiques et criminologiques résultant de cette intoxication.

L’alcool est à la fois un aliment , très anciennement connu et attesté par l’histoire, et le plus employé de tous les stimulants. Notons d’ailleurs que presque tous les peuples absorbent, en plus de leur alimentation, quelques substances à action psychotrope. L’alcool est la plus habituelle, et, à en juger par les strictes définitions des pharmacologues, sans doute l’une des moins dangereuses, avec le thé et le café. Si la physiologie distingue «stimulant» et «aliment», l’homme qui absorbe un produit ne peut faire cette distinction et, en un sens, ce qu’il apprécie dans un aliment, c’est l’action stimulante de celui-ci. Cette disparité entre le jugement du physiologiste et l’opinion du consommateur doit être rappelée avant toute étude de la biologie de l’alcool dans l’organisme humain ou animal.

1. Aspects biologiques

Le caractère alimentaire de l’alcool n’est vérifié qu’en dessous d’un certain taux.

À des doses inférieures à 2 g/kg/24 h sur l’animal sain normalement nourri et non accoutumé, l’éthanol est oxydé préférentiellement à une vitesse constante et limitée: 100 mg/kg/h chez l’homme, 400 mg/kg/h chez le rat. Cette oxydation fournit 7 calories par gramme, utilisables pour couvrir, en gros, la moitié de la dépense basale sans produire d’extrachaleur, et épargnant, de ce fait, des nutriments. Ces propriétés font des boissons alcoolisées d’indiscutables aliments. Les calories d’alcool, à doses modérées, dans une ration alimentaire par ailleurs correcte, sont à prendre en compte pour un obèse. Il est nécessaire de le rappeler en prescrivant une diététique chez un malade, buveur très modeste, qui désire maigrir. À cette utilisation métabolique, il faut opposer l’ingestion dangereuse de l’éthanol à doses supérieures à 2 g/kg, lorsqu’il est associé à une alimentation déséquilibrée ou insuffisante et absorbé de façon assez répétée pour produire l’accoutumance.

Dans ces dernières conditions, l’éthanol, oxydé par des voies métaboliques anormales, accroît les dépenses azotées et produit une extrachaleur.

Absorption digestive

Plus rapide dans le duodénum et le jéjunum (entre 15 et 30 minutes), l’absorption de l’alcool est lente dans l’estomac, du moins lorsqu’il est plein. Les boissons comme la bière, riches en produits de torréfaction, y séjournent longtemps. Les alcools à concentration élevée sont absorbés plus rapidement que les alcools dilués.

La vitesse d’absorption est donc d’autant plus rapide que l’estomac se vide plus vite, que la concentration en alcool est plus élevée et que l’alcool est associé à moins de substances entraînant un séjour plus prolongé dans l’estomac.

Diffusion

L’alcool pénètre dans 80 p. 100 environ du corps. Le taux sanguin en alcool, ou alcoolémie, décroît normalement de 10 mg par kg et par heure. Cette valeur («coefficient d’éthyloxydation», C.E.O.) peut s’élever jusque vers 140 mg/kg/h avec un régime riche en protéines et glucides ou sous l’influence de l’insuline; elle peut diminuer à 60 mg/kg/h avec un régime riche en graisse en cas de jeûne ou sous l’influence de la thyroxine. Chez certains alcooliques, les espaces solvants peuvent être réduits de 50 p. 100, si bien que pour la même quantité d’alcool ingéré l’alcoolémie peut doubler.

Dans les organes, la concentration est plus faible que dans le sang, surtout dans le foie, lieu principal d’oxydation de l’alcool. La diffusion se fait aussi bien dans les espaces intra- qu’extracellulaires. L’alcool, diffusant vite, peut être dosé soit dans l’air expiré, soit dans la salive ou l’urine. Il faut noter qu’il existe normalement de l’alcool d’origine endogène dans le plasma (moins de 40 mg/l chez l’homme).

Oxydation

L’alcool est oxydé en fournissant 7 calories par gramme (environ 700 calories pour un litre de vin à 110). Les preuves de cette oxydation sont solides. L’alcoolémie baisse, sans que l’alcool soit excrété au-dehors pour plus de 1 à 2 p. 100 de la quantité ingérée. L’alcool marqué au carbone radioactif donne lieu à la production de C2 marqué et d’un peu d’acides gras. L’abaissement du quotient respiratoire (Q.R.) rend compte du pourcentage d’alcool oxydé. Pendant l’oxydation de l’alcool, le métabolisme basal ne s’élève pas. C’est donc que l’alcool est bien utilisable et économise des glucides, des protéines et des graisses. Mais tout cela n’est vrai que pour un sujet normalement nourri et non alcoolique.

Le travail musculaire ou le froid n’augmentent pas notablement la vitesse d’oxydation de l’alcool. Ainsi, lorsque le travailleur manuel boit davantage, cela n’alimentera pas le travail musculaire lui-même. L’alcool épargne seulement, et laisse donc disponibles, davantage de glucides ou de graisses.

Une enzyme oxyde l’alcool en acétaldéhyde, qui est ensuite transformé en acide acétique. C’est dans le foie que se trouve en plus grande abondance cet «alcool-déshydrogénase» (ADH). C’est une enzyme cristallisant avec 2 ou 4 atomes de zinc, site de fixation d’un cofacteur, le NAD (nicotinamide – adénine – dinucléotide), accepteur d’hydrogène.

Dès qu’une petite quantité de NADH est formée, une autre réaction doit le reconvertir en NAD pour que l’oxydation de l’alcool puisse continuer. Cette réaction couplée est probablement une étape de l’oxydation du glucose, mettant en jeu l’acide pyruvique.

L’acétaldéhyde est très rapidement oxydé en acide acétique fournissant de l’acétylcoenzyme A. On ne connaît pas les enzymes responsables (cf. figure).

Dans l’intoxication chronique, l’acétaldéhyde atteint des taux élevés qui sont dus à l’action simultanée de trois mécanismes d’épuration (alcool déshydrogénase, système microsomial d’oxydation de l’éthanol ou MEOS et catalase). L’accumulation de l’acétaldéhyde semble conduire à la synthèse de molécules ressemblant aux alcaloïdes, jouant comme de faux médiateurs chimiques et expliquant à la fois les accidents de sevrage et la dépendance psychique, puis physique, peut-être déjà d’ailleurs les effets psychotropes de l’alcool. L’alcoolisme chronique serait donc une toxicomanie au sens strict du terme. Pourtant, d’autres auteurs pensent expliquer la dépendance de façon simple. L’alcool modifierait la membrane cellulaire, et un sevrage brusque nécessiterait une réadaptation (Hill et Bengham). Pour certains, le MEOS «lancé» par l’intoxication continuerait à fabriquer des substances actives après l’arrêt de celle-ci.

Toxicité

Pourquoi l’éthanol est-il nocif à des doses supérieures à 2 g/kg, ou bien pour un sujet mal nourri ou accoutumé? La dose toxique utilisée en expérimentation est de 3 g/kg. La dose létale 50, tuant la moitié des animaux par voie péritonéale, est de l’ordre de 4,5 g/kg. Physiologiquement, une dose toxique diminue la sécrétion d’hormones antidiurétiques, d’où polyurie; elle produit une stimulation surrénale (correspondant momentanément à une impression «tonique») mais suivie d’une dépression.

Il se produit un accroissement de la perte azotée, une extrachaleur et donc une détérioration de l’état de nutrition.

Certains tissus sont plus sensibles que d’autres. Le pancréas, organe qui, après le cerveau, est le siège des synthèses protéiques les plus actives, présente des lésions semblables à celles des pancréatites aiguës lorsque l’alcool est injecté deux fois à vingt-quatre heures d’intervalle, et à la dose de 3 g/kg chez le rat. Les lésions succèdent à une chute du taux d’acide ribonucléique (ARN).

Sur le plan biochimique, on voit les taux de ribonucléase, de xanthine-oxydase et de catalase s’élever largement dans le plasma. Il est donc probable que les C.E.O. élevés observés parfois après absorption de fortes doses d’alcool correspondent à l’oxydation de l’alcool par des voies peroxydasiques dont on connaît les dangers.

La toxicité des boissons alcoolisées paraît bien être due essentiellement à l’éthanol. Certains vins, alcools et même jus de pomme renferment de l’alcool méthylique. Il est oxydé par l’ADH comme l’éthanol, mais beaucoup plus lentement, et il présente une toxicité propre sur les voies optiques. On ignore les répercussions de son oxydation sur celle de l’éthanol. Les alcools supérieurs sont en partie éliminés par sulfo- ou glucurono-conjugaison.

Autrement dit, l’homme normal peut oxyder normalement un maximum de 100 g d’alcool par 24 heures , soit environ 1 litre de vin à 120; la femme 75 g d’alcool, soit en gros 3/4 de litre de vin.

2. Aspects cliniques

Effets neuro-psychiques

Si, avec le consommateur et le grand public, on feint de considérer l’alcool comme un stimulant, en réalité, il se rapproche plutôt des anesthésiques. Il fut le premier anesthésique connu en chirurgie générale. Dans la classification actuelle des substances qui agissent sur le système nerveux, l’alcool se rapproche des tranquillisants dont l’effet électif est l’apaisement de l’angoisse.

L’intoxication alcoolique aiguë a été très étudiée sur l’animal et chez l’homme, et l’intérêt actuel porte sur les intoxications mineures: le sujet ne présente aucun signe clinique, son alcoolémie est modérée, son comportement parfaitement normal, mais il semble bien que les tests psychomoteurs les plus fins soient déjà perturbés. Cette période fait actuellement l’objet des discussions les plus importantes. Il ne fait aucun doute que se trouvent dans cet état des sujets qui ont pris des doses d’alcool modérées et qu’on ne saurait en aucun cas taxer d’ivresse. Mais il reste que ces sujets présentent probablement un risque social, par exemple dans la conduite d’un véhicule, dont la vitesse est telle qu’un léger retard des réflexes peut être cause d’accidents graves. Cette pointe de bonne humeur sans autre aspect anormal qu’une moindre autocritique, le fait que le sujet soit euphorique et par conséquent ne prenne aucune précaution, est la phase la plus dangereuse sur le plan des accidents de la route ou des accidents du travail. Le problème a pris une acuité nouvelle du fait que, à ce stade, l’intoxication alcoolique aiguë peut être démontrée par un dosage chimique (on trouve des alcoolémies au voisinage de 0,50 g/l). La jurisprudence est diverse selon les pays quant aux suites à donner à cette découverte. Certains pays, comme la France, pénalisent des taux (0,80) beaucoup plus élevés, confondant l’ivresse que la morale réprouve avec cette donnée biologique qu’est l’action de l’alcool ingéré à dose modérée sur les réflexes d’un conducteur; d’autres, au contraire, se fient purement et simplement aux chiffres.

À dose plus forte, les signes cliniques apparaissent. Entre 1 et 2 g/l, ils peuvent être peu évocateurs chez des sujets dont les troubles psychologiques sont déjà importants. L’absence d’autocritique, la levée des inhibitions et, notamment, des inhibitions névrotiques, peuvent avoir des conséquences médico-légales, et c’est à ce stade que l’on peut observer combien l’alcoolisme facilite la délinquance passionnelle , notamment les délits sexuels ou les crimes de sang. À dose plus forte, un tableau confusionnel devient évident, accompagné de signes neurologiques, et en particulier de déséquilibre qui marque l’atteinte des structures cérébelleuses. Enfin, au-delà de 4 à 5 g/l, c’est le coma qui risque d’être mortel, comme tous les comas toxiques, si des mesures adéquates de réanimation ne sont pas prises.

Tout autre est le tableau de l’intoxication alcoolique chronique. Deux modes doivent en être opposés.

D’abord la recherche de l’ivresse pour l’ivresse. Certains alcooliques chroniques (le roman de Steinbeck, Les Naufragés de l’autocar , en donne un exemple saisissant) sont habituellement sobres: entre de véritables accès dipsomaniaques, le sujet est normal. Si les crises sont espacées, de tels malades sont plus de grands psychopathes que des intoxiqués alcooliques chroniques. Ils peuvent ne révéler que faiblement les lésions viscérales de l’alcoolisme chronique, ce qui n’est plus le cas si les crises sont très fréquentes. Il s’agit toujours là d’un alcoolisme hautement pathologique, relevant des grands états névrotiques.

À l’opposé, il existe un alcoolisme chronique de sujets qui ne sont jamais ivres , parce que leur consommation alcoolique n’est jamais telle qu’ils fassent des accidents psychiques aigus; mais leur ration quotidienne dépasse les normes métaboliques définies ci-dessus. Ce type d’alcoolisme se rencontre chez des sujets initialement normaux au point de vue mental. Il est plus fréquent dans les pays latins où les habitudes alimentaires et les traditions considèrent comme naturelle l’absorption régulière, au cours des repas, de doses relativement importantes de boissons alcooliques (généralement fermentées: vin, bière). On a de bonnes raisons de penser, par exemple, que l’absorption régulière de plus d’un litre de vin par jour chez la femme, de plus d’un litre et demi chez l’homme, aboutit en dix ou vingt ans, suivant la dose, à des lésions viscérales. Or, dans certaines professions et dans certains pays, notamment les pays viticoles, de telles habitudes sont tenues pour normales. Elles peuvent être le fait de sujets que l’hygiéniste trouvera peu instruits sur le plan de l’éducation sanitaire mais qui, sur le plan psychique, ne se distinguent pas de leur entourage. Un tel type d’alcoolisme est beaucoup plus rare dans les pays anglo-saxons, où l’absorption de substances alcoolisées n’est pas habituelle au cours des repas.

Entre ces deux catégories extrêmes, peut-être un peu artificiellement distinguées, figurent un grand nombre de cas intermédiaires. Chez ces malades, il y a à la fois absorption régulière et excès. Au départ, ces sujets sont presque toujours psychopathes. On a beaucoup discuté, et ceci est général en médecine psychosomatique, la spécificité du tableau névrotique qui aboutit à l’alcoolisme. On a insisté notamment sur le caractère oral et captatif de ces sujets, sur leur infantilisme affectif, sur les échecs de leur libido, sur leur absence d’autonomie et d’indépendance. En fait, ces affirmations ne sont guère démontrables, car ces sujets ne peuvent être examinés qu’après intoxication, et il est alors difficile de démêler le fond mental avant l’intoxication et la modification due à celle-ci. Rappelons que ces névrosés trouvent à court terme dans l’alcool une véritable «thérapeutique». Une des causes d’échec de la rééducation de l’alcoolique est qu’on ne fournit rien en remplacement de cette «thérapeutique» efficace.

La classification de Jellinek acceptée sur le plan international (O.M.S.), des classifications classiques en France: alcoolites sans facteur névrotique, alcooloses (névropathiques distinguées par Fouquet) retrouvent ces types différents:

alcoolisme alpha
Dépendance uniquement psychologique. L’alcool apporte un soulagement à des malaises physiques ou émotifs. Il n’y a ni perte de contrôle, ni incapacité de s’abstenir, ni évolution progressive.

alcoolisme bêta
Complications dues à l’alcool (polynévrite, gastrite, cirrhose) sans dépendance physique ou psychologique. Pas de syndrome de sevrage.

alcoolisme gamma
Dépendance psychologique et physique, perte de la liberté de boire modérément, «perte de contrôle». Syndrome de sevrage.

alcoolisme delta
Dépendance physique et psychologique. Pas de perte de contrôle mais incapacité de s’abstenir. Symptômes de sevrage.

alcoolisme epsilon
Alcoolisme périodique (dipsomanie), différent de l’alcoolisme gamma par de longues périodes d’abstinence.

Lésions viscérales de l’alcoolisme chronique

Leurs liens avec l’intoxication alcoolique, souvent difficiles à préciser, sont d’ordre statistique, et la filiation des lésions n’est guère aisée à mettre en évidence et à expliquer de manière détaillée. Nous limitant aux cas les plus fréquents, et aux faits les plus indiscutables, nous insisterons sur deux ordres d’atteintes: les phénomènes nerveux et la cirrhose du foie.

L’intoxication alcoolique chronique s’accompagne d’une atteinte progressive du système nerveux. On a longtemps insisté sur les polynévrites, c’est-à-dire sur les atteintes distales, celles des nerfs périphériques se traduisant par des douleurs, de l’atrophie musculaire des jambes ou des troubles de l’équilibre. On insiste davantage actuellement sur les lésions du système nerveux central au niveau cérébral. Après un certain nombre d’années, la plupart des alcooliques évoluent vers l’atrophie cérébrale avec démence, dont la constitution s’accompagne souvent de crises comitiales. On sait que l’alcool, même à faible dose, peut être révélateur d’une épilepsie, quelle qu’en soit l’origine, et qu’il en aggrave tous les types. Il semble même que l’alcool, à lui seul, soit à l’origine de certaines comitialités. En dehors des crises comitiales, les démences alcooliques sont d’un diagnostic souvent tardif, car la dégradation mentale est lente et n’est guère perçue que comme une désocialisation progressive de l’individu. Le malade perd peu à peu ses possibilités d’avancement, puis son adaptation au travail (encore que les automatismes professionnels soient longtemps remarquablement conservés, en apparence du moins), enfin son insertion familiale.

Cette évolution chronique est souvent entrecoupée d’accidents aigus: les encéphalopathies alcooliques aiguës ou subaiguës peuvent présenter le tableau très anciennement connu – objet d’une description célèbre dans L’Assommoir , de Zola – que constitue le delirium tremens. Avec les neuroleptiques, le delirium tremens a cessé d’être aussi souvent mortel, et si les formes subaiguës et moins spectaculaires sont plus fréquentes, le pronostic à longue échéance est celui de la démence alcoolique. Il s’agit d’accès de confusion mentale, souvent accompagnée de rêves vécus, avec des hallucinations visuelles auxquelles le sujet répond, se croyant menacé. La persistance d’un certain contact permet d’éviter la contention, qui doit toujours être proscrite chez ces malades, et de les traiter dans de bonnes conditions. Certaines encéphalopathies aiguës sont identiques à celles que l’on observe au cours des carences en vitamine B1, déclenchant l’encéphalopathie de Gayet et Wernicke dont le traitement héroïque est l’administration de vitamine B1 à très forte dose et d’urgence. On a encore insisté sur la fréquence des troubles cérébelleux chez l’alcoolique.

Les atteintes hépatiques sont souvent précédées par des atteintes digestives. On insiste sur la quasi-constance de la gastrite éthylique, d’ailleurs souvent dépourvue de symptômes nets, et sur la fréquence des pancréatites chroniques ou aiguës. La cirrhose du foie est souvent précédée par des lésions cellulaires avec ou sans surcharge graisseuse des cellules hépatiques. Elle constitue, à partir du moment où elle s’accompagne d’hypertension portale avec ascite, de varices œsophagiennes et de saignements digestifs, une maladie de gravité extrême. Très peu de malades atteints de cirrhose constituée survivent plus d’un ou deux ans et, dans ce cas, on observe en outre une fréquente dégénérescence cancéreuse du foie cirrhotique.

Anatomiquement et cliniquement, la cirrhose du foie d’origine alcoolique ne se distingue pas nettement des cirrhoses d’autre origine: dans les pays où l’alcoolisme en est la cause la plus fréquente, il faut n’affirmer le diagnostic qu’à partir de données certaines.

En fait, les lésions viscérales sont plus variées qu’on ne l’a longtemps pensé. Il y a notamment un rôle nocif sur l’appareil cardiovasculaire: certes des doses très modérées (deux verres de vin par jour) protègent, semble-t-il, contre l’athérosclérose (par le biais de facteurs antithrombotiques), mais il existe des hypertensions artérielles induites par l’alcool, une hyperlipidémie, essentiellement hypertriglycéridémie, qui est athérogène (et par ailleurs à l’origine de nécroses de la tête fémorale, sources de coxopathies graves); enfin des cardiomyopathies alcooliques que l’on sait maintenant distinguer des cardiopathies de l’avitaminose B1.

Les études statistiques systématiques – les plus importantes sont réunies dans l’ouvrage de S. Ledermann – montrent qu’en dehors de ces lésions spécifiquement alcooliques l’alcoolisme joue un grand rôle dans l’aggravation de la morbidité et de la mortalité des sujets atteints. Le phénomène reste incomplètement analysé. Il est difficile, notamment, de discriminer dans le taux élevé des cancers du tube digestif supérieur et des voies aériennes que l’on relève chez les alcooliques ce qui revient en propre à l’intoxication alcoolique et ce qui revient à l’intoxication tabagique, rarement indépendante d’un certain degré d’intoxication alcoolique associée. En effet, la plupart des alcooliques sont aussi des tabagiques. Il est même une localisation quasi spécifique de cette double intoxication: c’est la névrite optique nicotino-alcoolique.

Enfin une découverte fondamentale en 1968 (Lemoine) a été celle de l’atteinte du fœtus et de l’embryon par l’alcool. Un tableau caractéristique associe un faciès particulier, une débilité mentale, des anomalies congénitales du cœur.

Diagnostic et traitement

Ce bref survol de la pathologie de l’alcoolisme ne doit pas faire méconnaître que le diagnostic d’intoxication alcoolique aiguë ou chronique n’est jamais évident, précisément parce que l’intoxication est fréquente. Les erreurs par excès sont nombreuses. Toute intoxication aiguë du système nerveux peut donner un état ébrieux ou confusionnel; et l’on a vu confondre avec l’ivresse une intoxication oxycarbonée ou barbiturique, une intoxication benzolique, voire un accident vasculaire cérébral ou méningé. De même, tous les délires aigus avec confusion mentale et onirisme ne sont pas alcooliques. La pathologie infectieuse, la pathologie virale, la pathologie toxique rendent compte de nombreux cas de confusion mentale onirique qu’il faut bien distinguer du delirium tremens ou des encéphalopathies alcooliques. Répétons qu’il y a des cirrhoses non alcooliques.

La prudence est d’autant plus souhaitable que le diagnostic d’alcoolisme traumatise le malade et son entourage, ce qui est particulièrement regrettable lorsque le diagnostic est erroné, sans parler des conséquences sociales dramatiques qui doivent conduire à redoubler de précautions.

Sur le plan individuel, si l’on peut opposer diverses thérapeutiques aux maladies dues à l’alcoolisme, celui-ci ne peut être jugulé que par la désintoxication. La cure de dégoût grâce au vomissement provoqué par l’apomorphine en a été la première tentative. Le disulfirame, qui provoque une crise vasomotrice très pénible lorsque le sujet prend de l’alcool après avoir absorbé son médicament, peut rendre service. Il bloque le métabolisme de l’alcool au stade de l’acétaldéhyde, ce qui entraîne un malaise très désagréable, dont le malade doit avoir été prévenu et qu’il doit avoir expérimenté. Il est plus facile pour un malade de prendre chaque matin un comprimé que de résister toute la journée au désir de boire. Mais cela implique d’abord que le malade soit coopérant. Une psychothérapie préalable et complémentaire, une réinsertion sociale lorsqu’elle est possible sont les bases nécessaires à un traitement de l’alcoolisme. Elles doivent s’accompagner de la correction de toutes les erreurs diététiques que pouvait commettre le sujet.

Malheureusement, lorsque le médecin l’examine, c’est le plus souvent au stade de lésions constituées, et l’on se trouve maintes fois en présence d’une double difficulté: situation familiale et sociale quasi irrémédiable; malades dont le niveau mental a été trop atteint pour qu’ils soient sensibles à une thérapeutique psychothérapique. À un certain stade de dégradation, la psychothérapie peut être remplacée par une tutelle, à condition que le milieu, en général familial, soit apte à la fournir et que le malade veuille l’accepter.

En pratique, on ne voit guérir qu’une catégorie de sujets: ceux qui ont trouvé dans leur désintoxication un stimulant et une valorisation au moins égaux et souvent supérieurs à ceux que procurait l’alcool. C’est le triomphe de mouvements comme celui des Alcooliques anonymes, qui a connu un immense succès dans les pays anglo-saxons. Les adhérents s’y rassemblent régulièrement pour parler de leur intoxication passée et de la victoire quotidiennement remportée sur elle. Ils s’entraident en cas de rechute, sans complexe de supériorité puisqu’ils sont tous anciens buveurs qui ont tous rechuté. Ils retrouvent un rôle à la mesure de leurs possibilités dans la fraternité avec des sujets plus atteints et moins désintoxiqués qu’eux. Ainsi arrivent-ils à reconstituer une vie fragile, mais valorisée, dans leur guérison. Le traitement de l’alcoolisme est donc autant une sociothérapie qu’un traitement individuel.

On insiste beaucoup sur l’importance de prévoir et de traiter les rechutes, très fréquentes, sans rompre avec le malade un contact toujours fragile.

3. Aspects économiques et juridiques

Le phénomène de l’alcoolisme est-il individuel? À propos des alcooliques, comme des autres catégories d’asociaux et de marginaux sociaux, de longues controverses théoriques ont porté sur la compréhension du phénomène. On a cherché à l’alcoolisme des explications individuelles de type biologique, psychologique (ou psychanalytique, si l’on veut se borner à l’aspect psychogénétique) et sociologique. L’ignorance, la misère, le taudis comme les névroses, ne sont pas seulement en effet des conséquences de la désocialisation de l’alcoolique; elles peuvent être des constellations étiologiques. L’alcool représente, dans nos sociétés, la seule évasion possible pour certains sujets qui se trouvent placés dans des situations très défavorisées. Il constitue pour eux un moyen de compensation d’autant plus recherché qu’ils sont par ailleurs le moins protégés contre la tentation de l’alcoolisme par leur niveau éducatif.

Des différentes théories, plus personne actuellement n’en soutiendrait une seule dans toute sa rigueur. On admet généralement l’idée d’une pluralité des facteurs étiologiques et, partant, la nécessité d’une analyse multidisciplinaire. Celle-ci intègre les aspects économiques, sociaux, psychologiques et biologiques pour rendre compte de façon exhaustive d’un cas individuel.

S’il est permis de rapprocher l’alcoolisme des toxicomanies sur le plan biologique, il y a, sur le plan pratique, une différence fondamentale: la lutte contre la toxicomanie comporte accessoirement la rééducation psychologique et psychiatrique, et la ségrégation du toxicomane, mais son principe est la lutte pour la suppression du produit et de son commerce. Au contraire, le commerce des produits alcoolisés est licite, il est encouragé, il constitue une ressource économique très importante pour un certain nombre de pays, de plus en plus nombreux d’ailleurs. En outre, rappelons-le, la consommation de ces produits est normale et, peut-on dire, légitimement normale pour le plus grand nombre des consommateurs. Enfin, et ceci est une conséquence de cela, s’il faut un certain degré de psychose, de névrose ou de désocialisation pour se procurer des stupéfiants, on peut, nous l’avons dit, avoir recours à l’alcool et s’y assujettir de façon progressive, alors qu’au départ on était dans une situation psychologique ou sociale normale.

En un certain sens, la lutte contre le produit reste pourtant un des aspects majeurs du règlement du problème de l’alcoolisme. Elle a pris des aspects multiples: reconversion agricole vers des cultures différentes de la vigne, ou vers des cultures fruitières destinées à la consommation de table, car il ne faut pas seulement penser raisins mais aussi pommes – dont on fait le cidre et le calvados – voire tous les autres fruits, céréales et pommes de terre. La difficulté vient de ce que la fermentation et la distillation sont des procédés de conservation des surplus. Cet argument économique, très plausible du point de vue de l’agriculture, est resté valable tant que les emplois industriels de l’alcool faisaient appel aux alcools d’origine agricole. Il semble actuellement que la production des alcools industriels soit moins onéreuse; aussi la fonction économique de l’alcool devient-elle de plus en plus discutable. De fait, la distillation constitue, dans de nombreux pays, une subvention indirecte à l’agriculture et aboutit à la constitution de stocks revendus à perte.

Il est possible, bien entendu, de lutter contre la commercialisation de manière plus ou moins directe. Les échecs des tentatives de prohibition absolue, comme aux États-Unis après la Première Guerre mondiale ou dans certains États scandinaves, n’encouragent guère à généraliser le procédé. Mais on peut avoir une politique de l’alcool cher, on peut pourchasser l’usage de l’alcool certains jours, à certaines heures, dans certains lieux; on peut en rendre l’acquisition difficile (ce qui d’ailleurs implique une surveillance et une répression de la fraude). On peut plus modestement encore, sans que la tâche en soit plus facile pour autant, essayer de restreindre la publicité en faveur de l’alcool.

De telles mesures ont rarement été réalisées de façon efficace dans quelque pays que ce soit, malgré des efforts considérables; et les tentatives de contre-publicité faites par les institutions antialcooliques ne sont pas à l’échelle du phénomène social de l’alcoolisme et de la coutume universelle de la consommation. Trop souvent, l’appel aux méthodes éducatives et la publicité antialcoolique ne servent qu’à donner aux collectivités un sentiment agréable de bonne conscience.

Les sociétés recourent encore à la répression de l’ivresse ou de l’alcoolisme diagnostiqué. Considéré comme une faute morale, il fait alors l’objet d’une sanction pénale. Mais les limites de cette méthode sont patentes. Elles ne peut guère concerner que l’ivresse caractérisée, c’est-à-dire une minorité d’alcooliques pendant le temps très court de leur intoxication.

Un obstacle majeur tient au fait que l’on exploite le plus imprudemment la confusion populaire de l’ivresse avec l’alcoolisme, alors qu’il faudrait au contraire expliquer que l’alcoolisme le plus discret est aussi le plus dangereux, aussi bien pour le sujet lui-même que pour les autres, qui risquent tôt ou tard, sur la route ou en famille, d’en devenir les victimes.

Le malade alcoolique, lorsqu’il présente des troubles caractériels, peut être l’objet de mesures de ségrégation et de traitement obligatoire. Tantôt celles-ci sont confondues avec celles qui frappent les aliénés, tantôt une législation spéciale sur le traitement obligatoire de certains alcooliques socialement dangereux peut, au contraire, essayer de trouver pour eux un statut intermédiaire entre celui de l’internement et celui de la coercition pénale; ce second type de législation a la Belgique pour origine. Pareilles méthodes, si elles permettent d’imposer à l’alcoolique une certaine tutelle et de venir en aide, socialement à sa famille, médicalement ou psychiatriquement à lui-même, ne sont que complémentaires. Le nombre de sujets auxquels elles sont applicables est petit; et l’époque à laquelle ils font l’objet de tentatives de traitement est trop souvent tardive.

Une entreprise plus généreuse et plus récente est l’adaptation à l’alcoolisme du schéma de lutte qui servit souvent contre certaines maladies sociales, comme la tuberculose et les maladies vénériennes: dépistage, cure, postcure. Ce schéma général a donné des résultats intéressants dans certaines collectivités fermées, bien surveillées, aux mains de services médico-sociaux disposant de cette arme efficace que sont les conditions d’emploi de certains personnels et les normes de sécurité. Le dépistage a été considérablement facilité depuis qu’il est objectif. Ce dépistage clinique sur des signes (aspect du visage et tremblement des extrémités) même codifiés (grille de Le Go) peut être facilement contesté par le malade. Des signes biologiques de très haute valeur sont maintenant disponibles (augmentation du taux sanguin d’une enzyme, la gamma-glutamyltransférase et augmentation du volume globulaire moyen). Leur constatation objective (en dehors de toute autre cause) facilite le dialogue avec le malade et le met sur le plan d’une anomalie organique. Ces signes sont précoces et servent lors de la cure de surveillance, pour le médecin, mais aussi pour le malade lui-même. Mais le dépistage touche des sujets qui nient souvent leur intoxication, à un stade où celle-ci présente très peu de signes subjectifs. Pour bien faire, il faut convaincre un sujet, sans déployer à son égard les mesures d’autorité qui compromettraient complètement l’effort psychothérapique. Aussi, le dépistage ne touche-t-il pas la totalité des alcooliques, mais seulement une certaine catégorie d’entre eux, les moins névrosés sans doute. Néanmoins, vu sous cet angle, il n’est pas dénué d’importance.

Après une cure, il est indispensable qu’un malade parfaitement désintoxiqué soit encadré selon une méthode psychothérapique de longue durée. Par conséquent, toute une pratique de l’environnement – qualifiée peut-être abusivement de postcure, puisqu’en réalité c’est une cure prolongée – est à prévoir. Ces mesures ne sont efficaces que si l’attitude psychologique du personnel soignant et de l’entourage, lors du dépistage, pendant la cure et après la cure, est une attitude détendue et non moralisatrice. Il importe que le sujet soit considéré comme un malade sans plus de problèmes psychologiques ou mentaux que tout autre névrosé ou qu’un tuberculeux. Il faut déculpabiliser largement l’alcoolique, car la culpabilité joue certainement un rôle dans ses rechutes; et seul un individu qui a surmonté le sentiment névrotique de sa faute peut assumer la responsabilité de ses actes.

Le petit nombre de médecins disposés à tenter de telles cures restreint la portée sociale de celles-ci. Pourtant, lorsqu’on en étudie les résultats on se rend compte que, sans être excellents, ils sont beaucoup moins mauvais qu’on ne le prétend habituellement: un tiers des sujets guérit, et peut-être un autre tiers est substantiellement amélioré, au moins pour un certain temps. Le médecin qui soigne des cardiopathies décompensées, des tumeurs malignes, des hypertensions artérielles et des diabètes est au fond habitué à se contenter de pareils taux de réussites et d’améliorations. S’il ne s’en satisfait pas s’agissant de l’alcoolique, c’est probablement pour trois raisons. D’abord, parce que la plupart des malades qu’il examine sont à un stade très tardif. Ensuite, parce que le praticien ne pose pas toujours en principe que l’alcoolique est un malade comme les autres, que l’alcoolisme est une maladie parmi d’autres. Enfin, parce que les sujets, tels qu’il les voit, ne sont pas, en première approximation, seulement des alcooliques. La plupart des patients traités dans ces conditions sont en effet atteints d’affections organiques, secondaires à l’alcoolisme ou antérieures à lui, et qui nécessitent une prise en charge médicale délicate. Dans leur cas, il y a risque de considérer l’alcoolisme comme un élément secondaire du problème. C’est d’autant plus vrai que ces malades sont souvent pris en charge à l’occasion d’une complication aiguë, dont le diagnostic et le traitement prennent alors la première place et empêchent par leur influence l’examen de fond de l’état du malade. Au demeurant, ces alcooliques sont presque toujours devenus des malades mentaux et beaucoup d’entre eux étaient déjà des névropathes. Ils posent donc, indépendamment de leur alcoolisme, un problème de psychiatrie difficile et de psychothérapie de longue haleine.

Pourtant, médecins spécialisés en alcoologie, pouvoirs publics et organisations d’anciens malades semblent dans un même mouvement vouloir se démarquer de la psychiatrie. Ainsi, en France, se créent des Centres d’hygiène alimentaire. Il n’y a pas vraiment contradiction.

En matière d’alcoolisme, les sociétés se sont, en somme et assez naturellement, tournées vers le médecin. Mais les thérapeutiques médico-sociales de l’alcoolisme se trouvent, comme les thérapeutiques individuelles, devant une impasse. Faut-il s’en étonner? Le problème, en vérité, vient seulement d’être posé dans l’histoire. C’est le plus souvent après quinze ou vingt ans d’intoxication continue que l’intoxication alcoolique amène des accidents graves. Elle commence rarement avant l’âge adulte. Donc l’alcoolisme est devenu un problème social aigu depuis que l’espérance de vie dans nos sociétés occidentales contemporaines dépasse largement 40, 50, 60, voire 70 ans. Sans discuter les chiffres, il est hors de doute que l’alcoolisme joue un rôle considérable dans la charge sociale représentée par un certain nombre de maladies somatiques et psychiques, dans les accidents de la voie publique et les accidents du travail, dans la délinquance et dans la criminalité. Il est cause de l’un des grands gaspillages sociaux de notre époque. Opposer cet immense gaspillage aux ressources relativement limitées que constituent les taxes sur la consommation alcoolique n’est que trop aisé. La comparaison n’en demeure pas moins significative.

En fait, ce problème récent est un problème complexe. Le résoudre impliquerait l’adoption des politiques de production et de commercialisation agricoles auxquelles il a déjà été fait allusion et surtout une prise de conscience de l’inefficacité des attitudes morales.

Actuellement, il semble que la répression intelligente de la «toute petite alcoolisation» représente la plus aisée parmi les solutions partielles. Elle ne pose aucune question éthique. L’alcoolisation minime devrait être simplement considérée comme une conduite de risque. Son interdiction serait dès lors comparable à la défense faite aux voyageurs de se pencher à la fenêtre des wagons et de jeter des objets à l’extérieur; ou encore à l’interdiction d’absorber certains médicaments lors de la conduite d’automobiles ou de tout autre appareillage industriel. Cela sans aucune référence à la notion d’ivresse, parfaitement inadéquate. L’interdiction doit en effet être imposée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les problèmes de l’ivresse ni pour beaucoup de sujets avec les dangers de l’intoxication chronique. Une autre politique serait en outre nécessaire, confusément définissable sous le nom de «politique d’hygiène mentale»: elle instituerait le dépistage non seulement des alcooliques mais encore des névrosés, avant qu’ils se soient polarisés sur cette échappatoire à leur névrose qu’offre l’alcool. Imaginons un coup de baguette magique qui supprimerait l’alcool de nos sociétés – certes, ce coup de baguette s’est produit et il s’est appelé la guerre, avec les restrictions agricoles qui l’ont accompagnée –, mais cette expérience de crise extrême réalisait une situation si anormale qu’elle n’a pas permis d’étudier jusqu’au bout les conséquences de la privation d’alcool. Imaginons-le donc ce coup de baguette magique: toutes choses égales d’ailleurs, un certain nombre de sujets actuellement alcoolisés seraient à soigner comme névrosés, peut-être même comme psychopathes. Il n’est pas certain qu’un grand bénéfice, ni pour eux, ni pour la société, résulterait de la transformation de ces alcooliques en toxicomanes divers avant qu’ils ne puissent être traités par des formes adaptées de psychothérapie.

Il faudrait enfin que nos sociétés, qui refoulent de plus en plus inexorablement vers les «ténèbres extérieures» certaines catégories fragiles de leurs populations pour s’étonner ensuite de les retrouver à leur charge comme cas sociaux, possèdent de larges structures d’accueil: un très grand nombre de sujets seraient sans doute récupérables si l’accident initial qui leur fait lâcher pied n’aggravait pour eux la difficulté de leur réinsertion, car c’est finalement aux faibles qu’on demande les plus grands efforts. Ces structures d’accueil seraient nécessaires pour toutes les catégories marginales de la société. Des sociétés très intégrées, susceptibles de concentrer sur elles-mêmes et pour une période prolongée l’effort de l’ensemble des populations qui les composent, leur fourniraient motivation et idéal, ainsi que la valorisation permanente permettant à tous de ne pas rechercher de stimulants artificiels. C’est assimiler l’état normal des sociétés de demain à l’élan d’une troupe d’élite chargée d’une mission de sacrifice. Cela nous paraît improbable sur le plan historique, et l’on pourrait aussi se demander si on doit le souhaiter. Qu’il y ait un certain hasard, qu’il y ait une certaine liberté dans les sociétés humaines, implique certaines lacunes. Mais cette considération ne doit pas servir d’excuse à l’abandon de ceux qui commencent à ne plus pouvoir nager. Elle doit au contraire faire prendre conscience à toutes les collectivités humaines qu’en un certain sens elles sont responsables de leurs noyés et doivent instituer un système de surveillance et de rattrapage pour toutes les catégories menacées qu’elles dénomment asociales. Aucune société n’a fait actuellement ce qu’elle devait pour ses alcooliques.

alcoolisme [ alkɔlism ] n. m.
• 1858; de alcool
Abus des boissons alcooliques, déterminant un ensemble de troubles morbides; ces troubles eux-mêmes. delirium tremens. Alcoolisme aigu : ivresse. Alcoolisme chronique, ou (cour.) alcoolisme, résultant de la consommation habituelle d'alcool. ⇒ éthylisme, ivrognerie, œnolisme. Le fléau social de l'alcoolisme. alcoologie. Alcoolisme mondain.

alcoolisme nom masculin Dépendance à l'égard de l'alcool et ensemble des manifestations pathologiques qui en résultent. ● alcoolisme (citations) nom masculin Isidore Ducasse, dit le comte de Lautréamont Montevideo 1846-Paris 1870 […] beau comme le tremblement des mains dans l'alcoolisme […]. Chants de Maldoror

alcoolisme
n. m. Toxicomanie à l'alcool. Alcoolisme chronique. Alcoolisme aigu, dû à l'absorption, en peu de temps, d'une grande quantité d'alcool et qui provoque l'euphorie avec levée des contraintes, anomalies du comportement et de la coordination, et, dans les cas graves, stupeur puis coma, lequel peut entraîner la mort par dépression respiratoire.

⇒ALCOOLISME, subst. masc.
PATHOL. Intoxication provoquée par l'abus de la consommation d'alcool :
1. Le scarabée, beau comme le tremblement des mains dans l'alcoolisme, disparaissait à l'horizon.
LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror, 1869, p. 294.
2. Le tableau des instincts déréglés est généralement très large. Pour la nutrition : voracité, tachyphagie et boulimie, ou au contraire, anorexie et refus de nourriture; coprophagie et ingestion de corps étrangers; gourmandise délinquante; toutes les potomanies et toxicomanies, l'alcoolisme chronique.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 726.
P. ext. [En tant que fléau social] :
3. — « Je m'intéresse beaucoup aux problèmes sociaux, Mademoiselle, et je désirerais des documents sur la campagne, en France, contre l'alcoolisme dans les classes ouvrières. »
P. BOURGET, Nos actes nous suivent, 1926, p. 69.
Rem. Syntagmes alcoolisme aigu, — chronique, — héréditaire; progrès de l'-, ravages de l'-, victimes de l'-; combattre l'-, lutter contre l'-.
Prononc. :[]. BARBEAU-RODHE 1930, WARN. 1968 et Pt ROB. indiquent en outre une prononc. [--], les 2 premiers comme var. princ., le dernier comme var. second. (cf. également alcool). — Rem. LITTRÉ et DG notent la prononc. disyllabique du groupe -oo-. Enq. :/alkolism/.
Étymol. ET HIST. — 1. Ca 1852 méd. (A. Dastre ds R. des Deux Mondes, 15 mars 1874, p. 471 ds LITTRÉ Suppl. : Le mot d'alcoolisme a été introduit dans la langue médicale vers 1852 par un médecin suédois, M. Magnus Huss, pour résumer l'ensemble des symptômes pathologiques qu'entraîne l'abus de l'alcool); 2. 1859 id. (Thèse de la fac. de méd. de Paris, 1859, citée ds Année sc., 1861, éd. 1862, p. 339 ds Fr. mod., t. 36, n° 4, p. 326 : Considérations générales sur l'alcoolisme, et plus particulièrement les effets toxiques produits sur l'homme par la liqueur d'absinthe).
Dér. de alcool étymol. 2 a; suff. -isme.
STAT. — Fréq. abs. litt. :64.
BBG. — BÉL. 1957. — GARNIER-DEL. 1961 [1958]. — LAFON 1963. — Lar. méd. 1970. — Lar. mén. 1926. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MONT. 1967. — PIÉRON 1963. — POROT 1960. — ROMEUF t. 1 1956.

alcoolisme [alkɔlism] n. m.
ÉTYM. Après 1852, → cit.; de alcool.
Abus des boissons alcooliques déterminant un ensemble de troubles morbides; ces troubles. || Alcoolisme aigu. Ivresse. || Alcoolisme chronique, ou (cour.) alcoolisme, résultant de la consommation habituelle d'alcool. Alcoolomanie (didact.), éthylisme, œnilisme (méd.), ivrognerie (cour.); absinthisme (vx). || L'alcoolisme de qqn, son alcoolisme.
0 Le mot d'alcoolisme a été introduit dans la langue médicale vers 1852 par un médecin suédois, M. Magnus Huss, pour résumer l'ensemble des symptômes pathologiques qu'entraîne l'abus de l'alcool.
A. Dastre, Revue des Deux Mondes, 15, mars 1874, in Littré, Suppl.
(1861, distingué de l'absinthisme). Absolt. || L'alcoolisme : le fait de consommer habituellement de l'alcool et de s'en intoxiquer, dans un groupe social. || Combattre, lutter contre l'alcoolisme, le fléau social de l'alcoolisme. || Propagande contre l'alcoolisme. Anti-alcoolique. || « En France, l'alcoolisme est un des grands pourvoyeurs des services et des hôpitaux psychiatriques… » (A. Porot, Manuel de psychiatrie, 1975, art. Alcoolisme).
COMP. Anti-alcoolisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.