FRESQUE
Dans son acception stricte, le mot italien fresco désigne une technique bien particulière de peinture murale. Cependant, dans le langage courant, le terme a pris le sens plus large de peinture murale en général, sans tenir compte de la technique utilisée. Il semble que le mot fresco, désignant une certaine façon de peindre sur les murs, apparaît pour la première fois dans le traité Il Libro dell’arte , de Cennino Cennini, qui date de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle. Un tel mot était inconnu de Vitruve et de Pline, bien que ces deux auteurs décrivent une technique d’application de peinture sur un mur alors que l’enduit de chaux est encore frais. Fresco signifie, en italien, «frais», et ce n’est pas un hasard si, dans tant de langues, le terme qui désigne les peintures murales en dérive. En effet, en dehors de l’Italie, aucun pays ne peut s’enorgueillir de posséder une tradition plus ancienne, plus brillante, plus continue en ce domaine. C’est pourquoi on se limitera presque toujours ici aux exemples italiens de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. C’est durant cette période que se situe la grande époque de découverte dans la composition et la technique de la peinture murale, et ce sont les méthodes de travail de ces siècles qui sont le mieux connues.
1. Les techniques
Peinture murale et «buon fresco»
La vraie peinture à fresque, ou buon fresco , demande que la plupart des pigments soient des couleurs terre en suspension exclusivement dans l’eau, et qu’ils soient posés sur un enduit de chaux encore humide. On n’emploie pas de chaux pure pour la peinture à fresque, car elle se resserrerait et craquerait. Pour éviter cet inconvénient, on la mélange d’habitude à du sable, à de la pierre finement pilée (souvent du marbre) ou à une substance organique fibreuse. Au fur et à mesure que l’enduit sèche, une fine pellicule se forme. Au contact de l’air, la chaux qui compose l’enduit humide et qui est à l’état d’hydrate de calcium se transforme progressivement en carbonate de chaux. Au cours de ce processus chimique, la chaux absorbe de l’acide carbonique contenu dans l’air et se cristallise. Elle incorpore ainsi les particules de pigment, et il en résulte une surface peinte dure et résistante.
La couche superficielle de l’enduit de chaux, finement granulée, dans laquelle les couleurs sont absorbées (couche qu’on appelle intonaco ou Feinputz ) est généralement séparée de la maçonnerie par une ou plusieurs couches de crépi moins fin appelé arriccio ou arricciato . C’est sur cette couche inférieure que sont souvent tracés les dessins préliminaires avant que soient posées la dernière couche d’enduit, puis la peinture. Dans la vraie fresque, on recouvre progressivement le dessin par une série de raccords d’enduit qui vont de haut en bas, pour éviter d’abîmer une partie déjà terminée. Une fois que le dessin tracé sur l’arriccio était caché, le peintre devait se fier à sa mémoire, ou bien suivre un projet à l’échelle réelle fait sur papier ou sur parchemin (le carton). Lorsqu’on se servait d’un carton, on l’appliquait sur la surface et on en reportait les contours sur l’enduit, soit en retraçant les lignes au moyen d’un style qui perçait le dessin, soit en tamponnant de la poudre colorée à travers ses lignes perforées. La présence de cette série de petits points (ou spolveri ) sur des peintures murales prouve que l’artiste a eu recours à un carton. Des incisions sur la surface du mur indiquent souvent la même chose.
La véritable fresque exige rapidité et habileté, car l’intonaco ne reste généralement frais qu’une journée. C’est pourquoi on appelle les différentes parties de la fresque des giornate , du mot italien qui désigne une journée de travail. Des joints ou raccords sont très souvent visibles, ils permettent d’observer la rapidité et la progression des séances de travail. On peut constater une grande variété qui dépend de l’adresse de chacun et de l’importance du sujet à traiter. Giotto, par exemple, dans Le Jugement dernier de Padoue, a pu peindre en une seule fois une douzaine de têtes du groupe des Élus, ou au contraire consacrer toute une séance à un seul portrait comme celui du donateur Enrico Scrovegni. La véritable peinture à fresque est souvent devenue un tour de force pour virtuoses tels Andrea del Sarto, Giorgio Vasari, Giovanni da San Giovanni et Giambattista Tiepolo. D’après une de ses lettres, Tiepolo comptait terminer un plafond de 11 m sur 6 m en moins d’un mois. Il savait que l’été et le début de l’automne étaient la saison idéale pour la peinture à fresque. Par beau temps sec, il était plus facile de prévoir comment les couleurs sécheraient, et comme elles séchaient rapidement, on pouvait travailler plus vite.
La partie non terminée d’une giornata était grattée, ou finie une fois l’enduit sec (ou secco ). Les peintres se donnaient parfois un mal considérable pour prolonger la fraîcheur de l’enduit. La méthode la plus courante consistait à mouiller le mur recouvert d’enduit avec de l’eau ou de l’eau de chaux. Dans l’église de S. Francesco, à Arezzo, Piero della Francesca a même eu recours à des piles de linge mouillé qu’il appliquait sur la surface enduite pour qu’elle reste fraîche jusqu’à ce qu’il soit prêt à la peindre.
Avant 1500, les peintures murales entièrement traitées en buon fresco sont l’exception. On employait habituellement une technique mixte – en partie le fresco , en partie le secco . Cela facilitait la réalisation et, de plus, beaucoup de couleurs brillantes comme le vermillon, l’orpiment et le résinate de cuivre ne pouvaient être posées qu’après le séchage complet de l’enduit. Pour que ces couleurs adhèrent au mur, on mêlait aux pigments de la colle ou quelque autre médium agglutinant. D’après G. Vasari, les peintures murales faites a secco étaient plus résistantes si l’on appliquait les couleurs sur une surface rugueuse, plutôt que sur une surface lisse: les pigments contenus dans le médium agglutinant ont ainsi une prise plus ferme sur l’enduit. L’historien italien U. Procacci fait remarquer que le frère Andrea Pozzo recommandait dans ce but de rendre l’intonaco granuleux. Les couleurs terre appliquées a secco étaient ordinairement mêlées à de l’eau de chaux pour essayer de donner l’illusion de la vraie technique à fresque. C’est ce qu’on appelle parfois le fresco secco . Durant le Moyen Âge, on s’en est largement servi pour des peintures entières. Après 1300, ce procédé est d’emploi courant pour terminer un ouvrage commencé a fresco. Par exemple, dans Saint François à genoux recevant la règle des mains du pape (chapelle Bardi, Santa Croce, Florence), Giotto a d’abord exécuté la tête en buon fresco , de même que les «préparations» pour la robe et les pieds; mais, en fait, il a probablement traité l’habit du personnage qui se trouve derrière le saint en même temps que les pieds du saint en fresco secco qui se sont écaillés par la suite. La peinture a secco s’est généralement révélée moins durable, car les pigments ont une prise beaucoup plus superficielle sur le mur. Quant aux médiums agglutinants d’origine organique (colle animale, œuf, suc végétal, caséine) dont on se sert dans la peinture a secco , ils sont exposés à l’action destructrice des moisissures et des bactéries. Plus tard, pour leurs œuvres murales, les peintres ont eu souvent recours à la technique du mezzo-fresco ou demi-fresque. Dans ce cas, la couleur mélangée à l’eau de chaux est appliquée sur un enduit qui est en partie sec. La surface présente déjà un aspect plus dur que dans le buon fresco , mais le processus de carbonatation de l’hydrate de chaux que contient l’enduit n’étant pas complètement achevé, une certaine absorption de la couleur par le support est encore possible. C’est sans doute à cette méthode que Sodoma a eu recours pour ses peintures du cloître, à Monte Oliveto Maggiore et, selon Procacci, cette pratique est devenue courante à partir du milieu du XVIe siècle.
Une technique de peinture murale d’un autre genre qui ressortit à l’usage de la fresque est le stucco lustro ou stuc brillant, technique qu’emploient aujourd’hui encore les peintres italiens dans les maisons pour représenter des cimaises et des colonnes de marbre. Quelques heures après que la peinture a été exécutée en fresco proprement dit, on passe, à l’aide d’une brosse, une solution saponifiée, puis on polit l’ensemble. Il a été prouvé qu’une variante de ce procédé était connue de Giotto lorsqu’il peignit à Padoue certains des édifices de marbre des premières scènes du cycle. Dans cet exemple, le buon fresco semble avoir été combiné avec une émulsion à base de cire à laquelle étaient mêlés les pigments terre et de l’eau. Après application sur le mur, on a passé un fer chaud, et la surface a été frottée et polie pour obtenir une qualité de brillant bien caractéristique.
Répartition géographique
La question de savoir si le buon fresco était vraiment pratiqué dans l’Antiquité (cf. E. Berger, M. A. Swindler, A. P. Laurie, H. Schmidt, M. Cagiano de Azevedo, L. Tintori et M. Meiss, E. Schiavi et S. Augusti) a été longuement débattue. Pline et Vitruve apportent la preuve que les Anciens connaissaient le principe fondamental de la technique, et quelques-unes des œuvres de Pompéi (comme le fameux cycle de la villa des Mystères) montrent que cette méthode de peinture était certainement employée, mais sous une forme plus élaborée que celle utilisée plus tard.
On a dit que certaines variantes anciennes de la technique de la fresque avaient été découvertes à Till Barsip en Mésopotamie (VIIIe-VIIe siècle avant J.-C.) de même qu’en Inde et en haute Syrie où l’on a constaté que l’enduit contenait aussi une certaine quantité de paille (trait qui caractérise également les enduits du Moyen Âge en Yougoslavie et en Grèce). Le même auteur (Cagiano de Azevedo) affirme que des fragments de peintures murales de Cnossos, Phaïstos, Tirynthe et Mycènes montrent une fine pellicule de carbonate de chaux «par-dessus la couleur». Cependant, que cela prouve l’existence de la technique du buon fresco , ou plutôt l’usage d’eau de chaux comme fixatif, est une question qui n’est pas définitivement tranchée. Cette pellicule, ainsi que le suggère R. J. Gettens, pourrait même provenir de transformations chimiques dues au séjour sous terre. Parmi les peintures étrusques, on cite la tombe du Cardinal, près de Tarquinia, comme un exemple ancien d’une technique apparentée à celle de la fresque. Dans d’autres régions de l’Étrurie, furent découverts de minces badigeons de chaux qu’on pense être des fixatifs pour les couleurs (tombe des Biges, Tarquinia). Il peut s’agir là d’une sorte de technique de fresco secco.
Dans l’Égypte ancienne, on a parfois employé des enduits de carbonate (CaCO3) et de gypse (CaSO4, 2 H2O) pour des peintures murales exécutées en fresco secco . Comme le plâtre (gesso ) est hygroscopique, des peintures sur un support de ce type ont rarement pu se conserver ailleurs que sous le climat égyptien extrêmement sec. On sait qu’un enduit de boue a été utilisé pour les anciennes peintures murales de Turquie, aux environs de 6 000 ans avant J.-C. Dans les plus vieilles tombes de Chiusi, on a souvent trouvé un enduit fait de chaux mêlée à de l’argile diluée. Il existe aussi des peintures murales sur le roc nu (comme à Lascaux et dans les sites paléo-africains d’Algérie, de Libye et d’Afrique du Sud; sur une maçonnerie de pierre calcaire dans les tombes égyptiennes de l’Ancien Empire). Dans certaines peintures murales d’Égypte (VIe dynastie), des couleurs, sous la forme de poudre de verre, furent parfois employées pour le vert et le bleu. On pense que certaines des peintures murales d’Ajant , en Inde (notamment celles faites du Ve au VIIe siècle), furent exécutées selon un procédé de tempera proche du fresco secco , tandis qu’à Ellor et B gh, les couleurs ont été appliquées sur un enduit très mince. Au XIIIe siècle, en Asie centrale on avait recours à un procédé de peinture à la détrempe pour les décorations murales. La fresque a été introduite en Chine, croit-on, à la période Yuan (1280-1368). Mais la nature des procédés d’alors, comme celle de ceux employés plus tard, est mal connue, car on en a rarement fait une étude complète en appliquant des méthodes physico-chimiques.
D’après l’état des connaissances encore très fragmentaires sur la technique européenne de peinture murale, il semble que le buon fresco a été oublié pendant le Moyen Âge. Les peintures murales étaient presque entièrement exécutées a secco . Lorsqu’on constate l’existence de giornate , ceux-ci sont généralement des pontate , larges bandes d’enduit allant d’un bout à l’autre du mur (abside de l’église de Castel Sant’Elia près de Nepi, Latium). Les limites de ces bandes d’enduit correspondent aux différents niveaux de l’échafaudage ou ponte sur lequel les peintres travaillaient.
L’âge d’or de la peinture murale
La réapparition du buon fresco vers la fin du XIIIe siècle a coïncidé à Rome avec le retour aux schémas classiques de peinture monumentale à thème narratif. C’est ce qui a pu inspirer à Vasari cette phrase: «Era degli antichi molto usato il fresco , ed i vecchi moderni ancora l’hanno poi seguitato » (Vasari, I). («La fresque était souvent employée chez les Anciens; les premiers Modernes ont encore suivi cet usage.») Cependant, on ne saisit pas clairement si par «ancora» Vasari entendait que cette technique était toujours employée ou si elle l’a été de nouveau. Parmi les «vecchi moderni», Vasari comptait Cimabue et Giotto. Vers la fin du XIIIe siècle, les peintures murales paléo-chrétiennes couvrant les nefs des plus importantes basiliques de Rome (Saint-Paul-hors-les-Murs et le vieux Saint-Pierre) ont été restaurées par Pietro Cavallini et d’autres peintres qui ne se sont pas contentés d’imiter les styles des anciens cycles (Sainte-Cécile du Transtévère et l’atrium du vieux Saint-Pierre); ils peuvent aussi avoir imité leur technique. Une autre théorie pour expliquer la renaissance de la fresque à cette époque est proposée par R. Oertel qui en voit l’origine dans la bonne connaissance que ces peintres romains avaient de la technique de la mosaïque. Celle-ci implique également l’usage d’un enduit frais comme support, utilisé dans ce cas pour les tessères.
C’est précisément alors que les programmes décoratifs des basiliques de Rome furent copiés dans beaucoup de vastes églises neuves de l’Italie centrale. L’exemple le plus remarquable en est l’église de Saint-François à Assise. Les deux étages de la basilique sont couverts de peintures murales de ce type. Les peintures réalisées plus tard, comme la Légende de saint François dans l’église supérieure et le cycle consacré au Christ et à sainte Madeleine dans l’église inférieure, ont aussi fait très largement appel au buon fresco .
Nul n’a sans doute étudié les exemples romains (passés et contemporains) avec plus de soin que Giotto ; c’est lui qui, en les perfectionnant, a permis au procédé et au répertoire des thèmes d’évoluer vers plus de puissance expressive et de virtuosité technique. Giotto était le fresquiste le plus célèbre de son temps et il était très demandé partout en Italie, non seulement à Florence, sa ville natale, mais aussi à Rome, à Padoue, à Naples et à Milan. Les peintures murales exécutées par lui ou par son atelier ne sont cependant pas toujours en buon fresco . La chapelle Peruzzi de Florence, par exemple, a été presque entièrement peinte en secco , chaque scène étant exécutée sur deux vastes pontate .
En réalité, rares sont les grandes «fresques» datant de l’âge d’or de la peinture murale italienne – entre 1300 et 1540 – qui soient traitées en totalité selon cette technique. Presque toutes, pour une raison ou pour une autre (convention, préférences personnelles, nature de certains pigments, problèmes de temps), furent exécutées avec des techniques mixtes qui suivent rarement les préceptes et les règles de la théorie académique. Les méthodes de travail peuvent même varier d’œuvre en œuvre chez un même artiste.
Une des rares conventions respectées était celle de peindre à fresque les visages (et souvent les mains) des principaux personnages de la composition, pendant que l’enduit était encore tout frais, de façon à être sûr qu’au moins ces parties-là ne s’altéreraient pas. Le reste était laissé au jugement et à l’initiative de chaque peintre. Il est vrai qu’on trouve beaucoup de buon fresco dans les œuvres de Masaccio, Ghirlandaio, Andrea del Sarto, Corrège et Michel-Ange, par exemple. Néanmoins, même Michel-Ange a eu recours au secco pour les dernières touches du plafond de la chapelle Sixtine et du Jugement dernier . On sait même qu’il a posé une velatura a secco par-dessus l’œuvre terminée afin d’harmoniser les tons. Les spécialistes ont calculé que le Jugement dernier comporte quelque 450 giornate et on peut opposer à ces giornate , relativement petites, celles de Raphaël pour la chambre de la Signature, qui sont vastes et peuvent contenir un personnage entier ou tout un groupe de personnages. Le cas de Raphaël est intéressant, car il semble qu’au fur et à mesure que son travail progressait au Vatican, la proportion de ce qui était traité en buon fresco augmentait. Dans La Dispute , par exemple, une large fraction de la partie supérieure a été faite en secco , de même qu’un grand nombre de hachures ajoutées à ce qui était peint à fresque. Dans L’École d’Athènes , il y a beaucoup moins de peinture a secco et dans les Vertus pratiquement pas.
Les peintres de l’ancienne génération, Filippo Lippi, Ghirlandaio, Pinturicchio et Signorelli, aimaient tous beaucoup employer des ornements d’or dans leurs peintures murales et, pour qu’ils brillent de très loin, ils appliquaient la feuille de métal sur un support de cire en relief. Vinrent ensuite ceux qui tentèrent des expériences, comme Alesso Baldovinetti et Léonard de Vinci qui essayèrent – sans succès – d’inventer un procédé où ils faisaient probablement usage d’huile, afin d’obtenir sur le mur la richesse et la transparence caractéristiques de la peinture de chevalet. C’est pourquoi de nombreuses couleurs des peintures murales d’Alesso se sont écaillées, et pourquoi La Cène de Léonard à Milan n’est guère plus qu’un éloquent fantôme.
2. Préparation des fresques
Les peintures murales étaient préparées de plusieurs façons. On faisait souvent des dessins sur l’arriccio au moyen de terre noire, jaune ou rouge (la prétendue sinopia , du nom de la fameuse terre rouge de Sinope, en Asie Mineure). On a trouvé des dessins préliminaires de ce genre, tracés dès le Ve siècle après J.-C., sous les mosaïques de l’arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure à Rome. Parfois, les dessins en sinopia étaient modifiés sur des surfaces d’enduit successives avant qu’on ne commence la fresque proprement dite. C’est le cas de la lunette peinte par Simone Martini à Notre-Dame-des-Doms en Avignon et peut-être aussi du Triomphe de la mort de Buffalmacco au Camposanto de Pise.
Cependant, on ne trouve pas toujours de sinopie sous les peintures murales lorsqu’on détache celles-ci. Cela ne veut pas forcément dire qu’originellement il n’en ait pas existé. La conservation du dessin sur l’arriccio dépendait soit de la fraîcheur de l’enduit, soit (si la sinopia était tracée sur une surface déjà sèche) du pouvoir fixateur de l’intonaco de chaux qu’on étendait par-dessus. Néanmoins, il arrivait souvent que des dessins préliminaires de ce type soient tout simplement effacés lorsqu’on mouillait le mur pour appliquer l’intonaco .
Fréquemment, l’artiste ne suivait pas exactement la sinopia dans la version définitive. Des corrections intervenaient pour différentes raisons: changement d’idée de la part du peintre, critiques du commanditaire, remplacement de l’exécutant. On en citera comme exemples la Décollation de sainte Catherine de Masolino (San Clemente, à Rome), la lunette de Bicci di Lorenzo, qui provient de la porte Saint-Georges à Florence, et la Déposition du tabernacle de la chapelle des Giustiziati à Certaldo, de Benozzo Gozzoli.
Certaines sinopie sont détaillées et précises, par exemple la Crucifixion du XIIIe siècle faite pour San Domenico à Pistoia et le Couronnement de la Vierge exécuté à la fin du XIVe siècle par Piero di Puccio au Camposanto de Pise; d’autres ne le sont pas, tels le croquis d’Uccello pour la Création des animaux dans le Cloître Vert à Santa Maria Novella ou la Crucifixion de Parri Spinelli au Palazzo Communale d’Arezzo. Cela soulève le problème de distinguer les peintures murales conçues directement sur le mur et celles qui suivaient un carton ou étaient l’agrandissement de dessins plus petits (appelés modelli ).
Selon Cennino Cennini, l’ébauche préliminaire au charbon de bois (carboncino ) qu’on traçait sur l’arriccio , était un dessin à main levée qui précédait une version plus définitive exécutée en sinopia . Des traces de dessins de ce type sont encore visibles parfois, comme dans certaines scènes datant du milieu du XVe siècle et provenant du Chiostro degli Aranci (La Badia, Florence) et dans le Saint Jérôme de Castagno (Santissima Annunziata, Florence).
Dans les œuvres du XIVe siècle, l’absence de sinopia sous des peintures murales d’un dessin complexe peut parfois indiquer que ces œuvres étaient entièrement faites d’après des modelli : la chapelle Peruzzi, de Giotto, en offre un exemple. En ce qui concerne les peintures murales exécutées a secco sur de larges pontate , les sinopie n’auraient pas joué le même rôle pratique de lignes directrices, comme elles le font pour les fresques faites par petites giornate successives.
Bien qu’on connaisse des modelli sur parchemin datant du XIVe siècle, destinés à des œuvres réalisées dans d’autres techniques (des ciboires et des chaires, par exemple), on n’a pas conservé de dessins de ce genre ayant servi pour des peintures murales. Le projet de Taddeo Gaddi pour la Présentation de la Vierge , conservé au Louvre, constitue peut-être la seule exception; la peinture murale se trouve à Florence dans la chapelle Baroncelli de Santa Croce. Toutefois, il ne faut pas confondre les modelli avec des copies d’après des peintures murales, dont il existe un certain nombre. Au tournant du siècle, des documents mentionnent enfin l’emploi de modelli pour des peintures murales, et il en reste plusieurs exemples à la Morgan Library de New York, un dessin de Spinello Aretino et un projet pour une lunette, récemment attribué à Cenni di Francesco Ser Cenni.
Quant à l’apparition de l’usage des cartons, elle n’est guère prouvée de manière plus concluante. On a observé que plusieurs des sinopie de Pistoia datant du XIIIe siècle ont leurs contours incisés dans l’arriccio . On ne sait pas exactement si cela est dû à des incisions faites à partir du carton ou simplement à des dessins à main levée exécutés dans l’enduit encore mou pour servir de ligne directrice au tracé de la sinopia . Le plus ancien exemple indiscutable de peinture murale faite à partir de cartons date de 1360 environ: il s’agit de l’encadrement ornemental de l’œuvre perdue d’Orcagna pour le chœur de Santa Maria Novella à Florence. Bien que les spolveri révélateurs laissés par l’usage de cartons perforés apparaissent de temps en temps sur des peintures murales exécutées entre 1400 et 1425, il s’agit encore d’éléments de caractère ornemental où on trouve un motif répété – comme dans l’encadrement des baldaquins (cf. Starnina à Santa Maria del Carmine et Lorenzo Monaco à Santa Trinità de Florence). Rien ne prouve avec certitude qu’on ait préparé des dessins à l’échelle réelle ou des cartons pour les parties principales d’une peinture murale avant le milieu du XVe siècle. Mais on trouve des spolveri sur les œuvres d’Uccello, de Domenico Veneziano, de Castagno et de Piero della Francesca. Bien qu’à partir de cette époque l’usage des cartons soit devenu une pratique courante, l’emploi de la sinopia n’en est pas pour autant tombé en désuétude. En fait, Andrea del Castagno s’est même servi de cartons pour les sinopie de sa Résurrection à Sant’Apollonia. Des sinopie plus tardives ont été découvertes sous les peintures murales de Corrège, Poccetti, Ferrucci et Ligozzi.
Des cartons ont parfois été réemployés dans la même œuvre ou dans une peinture tout à fait différente. Piero della Francesca s’est servi du même carton, utilisé dans l’autre sens, pour plusieurs visages de la scène de Salomon et la reine de Saba à Arezzo et pour les anges de la Madone del Parto à Monterchi. Benozzo Gozzoli s’est servi de mêmes cartons pour peindre certaines figures dans des œuvres qui ont jusqu’à vingt ans de différence (cf. la chapelle Médicis à Florence et les scènes tirées de la Bible du Camposanto de Pise).
Le fait de se référer à un carton signifiait que les projets pouvaient être étudiés et perfectionnés dans l’atmosphère plus propice de l’atelier, bien que le résultat final ait souvent démontré que le rapport entre la composition picturale et son emplacement était moins harmonieux que lorsque les premiers essais étaient faits directement sur le mur. L’emploi de cartons impliquait aussi une plus grande rapidité et favorisait donc la technique du buon fresco . Le seul fait de passer légèrement de la poudre colorée à travers les lignes perforées permettait de reporter une figure tout entière sur l’enduit frais en quelques secondes. On ne sait pas exactement si les cartons du Quattrocento étaient conçus en fragments séparés ou s’ils étaient faits à partir d’un dessin d’ensemble, qui se serait perdu, reproduisant l’étendue de tout le mur à peindre. Cennino donne une description de ce qui peut apparemment être considéré comme des cartons pour des compositions d’ensemble de vitraux. Mais le plus ancien exemple qu’on possède est un carton de Raphaël; il se trouve à l’Ambrosiana pour la partie inférieure de L’École d’Athènes . Qu’on l’ait conservé est un fait exceptionnel car la plupart des cartons de ce genre ont été perdus du fait même qu’ils étaient découpés en morceaux pour que l’on puisse plus aisément les appliquer sur le mur. Les fragments maculés étaient généralement jetés après usage, bien que des morceaux de cartons célèbres aient été, paraît-il, jalousement préservés (comme ceux de Michel-Ange pour La Bataille de Cascina et certains des ignudi et prophètes du plafond de la chapelle Sixtine). Ces cartons ont été perdus depuis, mais on en possède d’autres, qui ont pu être réellement employés pour reporter le dessin sur le mur (tels ceux d’Agostino et Annibale Carrache pour certaines parties de la galerie Farnèse, conservés à Londres et à Urbino). Dans le cas des cartons de Raphaël de l’Ambrosiana, on peut affirmer qu’il en a été fait un double qui était destiné à être appliqué sur le mur. Il reste à déterminer si des parties entières de ce carton ont été ainsi reproduites, ou si on n’a fait des doubles que pour les figures isolées.
La préparation du carton lui-même comprenait plusieurs étapes. Même une simple petite section était souvent le résultat d’une étude approfondie. Il y a, par exemple, à Chatsworth, en Angleterre, un dessin de Ghirlandaio, une vieille femme qui est celle qu’on trouve dans la Naissance de la Vierge à Santa Maria Novella. Les mesures et les lignes de ce dessin, extrêmement travaillé, correspondent exactement à la tête qu’on voit sur la fresque. Mais comme ce dessin – de même que celui qui figure au verso – est dans un état parfait et ne porte aucune souillure, on doit conclure que si on a percé ses lignes, c’est pour le décalquer non pas sur le mur mais sur une autre feuille qui, elle, a été appliquée sur l’enduit.
À une époque précédente du XVe siècle, on réalisait différemment des plans précis pour des décorations murales entières: par la mise au carreau du modello . C’est le dessin d’Uccello pour le monument de John Hawkwood – dessin conservé aux Offices – qui en est le premier exemple connu qui ait survécu. L’invention de ce procédé qui permet d’obtenir un agrandissement précis a été attribué, selon les auteurs, à Brunelleschi ou à Alberti, mais il était déjà connu des sculpteurs égyptiens de l’Ancien Empire et des Bolognais de la fin du XIVe siècle. Quoi qu’il en soit, les artistes italiens qui exécutaient des peintures murales ont commencé à employer ce procédé au début du XVe siècle, précisément au moment où ils cherchaient à se donner les techniques pratiques et rationnelles dont faisaient usage les mathématiciens et architectes qui s’intéressaient beaucoup, eux aussi, aux problèmes picturaux. Par la suite, les modelli mis au carreau devinrent un élément essentiel des instruments de travail du peintre. Quelquefois, le dessin mis au carreau était agrandi directement sur l’arriccio (et recommencé sur l’intonaco ) comme c’est le cas pour la Présentation de la Vierge , œuvre d’un imitateur d’Uccello à la cathédrale de Prato (vers 1445) et pour les peintures du cloître d’Ognissanti à Florence, exécutées cent cinquante ans plus tard par Jacopo Ligozzi (Saint François partageant son manteau avec un mendiant ). Dans d’autres cas cependant, le modello mis au carreau servait simplement de guide pour l’exécution de cartons à l’échelle réelle, par exemple pour l’Annonciation de Pontormo à Santa Felicità.
3. Thèmes et rôles des fresques
Sous leur forme purement ornementale, les peintures murales ont servi à imiter des revêtements de marbre (comme dans le premier et le second style pompéien) aussi bien que des étoffes et des mosaïques. Dans l’Antiquité, les ornements qu’on peignait sur les murs alternaient souvent avec des scènes à personnages, des vues d’architecture ou des paysages en trompe l’œil dont le but avoué était d’élargir l’espace de la pièce où elles se trouvaient. Cette pratique se retrouve plus de mille ans plus tard à la fin de la Renaissance et à la période baroque en Italie (cf. les peintures de Véronèse à la villa Maser et le plafond de l’église San Ignazio à Rome par le frère Andrea Pozzo).
En dehors de leur emploi comme ornement, dans les demeures privées aussi bien que dans les édifices religieux, les peintures murales ont rempli une fonction didactique – non pas seulement comme substitut de la parole, mais aussi pour donner à des idées un caractère tangible, imposant et dramatique. Dans l’architecture chrétienne, il existait en gros deux formules picturales pour atteindre ce but. À Byzance, les schémas de composition, plus hiératiques que discursifs, vont dans un sens vertical, rayonnant du sommet vers le bas, suivant un plan central en croix grecque. Dans l’Occident latin, la basilique, avec ses grandes lignes horizontales, s’est avérée le lieu par excellence pour traiter des cycles narratifs à l’échelle monumentale. Dans ce dernier cas, l’organisation des scènes soulignait les véritables divisions de la structure de l’édifice. Dans le reste de l’Europe médiévale (France, Espagne, Angleterre, Allemagne et Autriche) les peintures murales ont été, pour autant qu’on puisse en juger d’après les vestiges, des reflets ou des variantes provinciales de la tradition latine ou de la tradition byzantine, ou même des deux. Le Pantocrator de Byzance, par exemple, a été le thème presque universellement adopté pour les peintures de l’abside et du chœur, de Constantinople à la Catalogne et de la Sicile aux îles Britanniques. Ces thèmes picturaux furent diffusés par les pèlerins et les croisés, les ordres monastiques et les manuscrits enluminés. En dehors de l’Italie, à quelques exceptions près, la composition des peintures murales a un caractère moins architectonique; souvent, les scènes se déroulent sur des bandes ou des frises en ruban qui sont rarement articulées selon les divisions architectoniques.
Il ne reste que peu d’ensembles peints du début du Moyen Âge. Les plus beaux exemples italiens sont donnés par les peintures de Sant’Angelo in Formis, qui datent du XIe siècle. On y trouve, pour l’essentiel, le programme des basiliques paléo-chrétiennes, avec des ornements italo-byzantins. Mais par le style de son décor, cette église ressemble à quelques-unes des miniatures de manuscrits provenant de l’abbaye bénédictine de Monte Cassino, toute proche; et il est probable que des peintres de cette école ont réalisé les peintures murales de Sant’Angelo. Un autre exemple bénédictin nous est donné par les deux couches superposées de cycles narratifs peints dans l’église Saint-Jean à Mustair (Grisons, Suisse), et qui datent respectivement de l’époque carolingienne et des XIIe et XIIIe siècles. Une fois de plus, ces peintures reproduisent un prototype de la métropole latine. Cependant, les peintures du XIe siècle de l’église bénédictine de Lambach, en Autriche, s’inspirent de modèles byzantins. Parmi les ensembles romans espagnols les plus importants se trouvent les peintures provenant de San Clemente et Santa Maria à Tahull, exécutées vers 1123 (elles ont été détachées et sont maintenant exposées au Museo de Arte de Cataluña à Barcelone). Elles montrent, mêlées à des éléments caractéristiques du schéma italo-byzantin de décoration d’abside, des scènes jaillies de l’imagination des peintres locaux.
En France, parmi les ensembles de peinture murale les plus complets, figurent ceux de la cathédrale Notre-Dame du Puy (Haute-Loire). Là aussi, on peut voir, dans une absidiole, des anges du XIIIe siècle exécutés en style italo-byzantin. L’église abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe possède un cycle de l’Ancien Testament (fin XIe-début XIIe siècle) peint sur la voûte de la nef. En Angleterre, les œuvres les mieux conservées sont dans les cathédrales de Winchester (chapelle du Saint-Sépulcre) et de Canterbury (chapelle de Saint-Anselme, dans un déambulatoire); elles datent des XIIe et XIIIe siècles. Ces deux ensembles de peintures se rattachent par leur style aux illustrations de manuscrits. En fait, les peintures murales de Canterbury semblent avoir été conçues comme des miniatures agrandies.
Vers la fin du Moyen Âge, l’apparition de l’architecture gothique au nord des Alpes semble avoir favorisé l’évolution du vitrail et de la tapisserie, et l’élaboration de grands projets dans les arts de la sculpture plutôt que celle de grandes décorations murales peintes. C’est peut-être parce que le gothique ne s’est jamais fermement implanté en Italie et parce que la tradition latine classique était encore toute proche que l’art des peintures murales de grande envergure et de dimensions considérables a pu s’épanouir au sud des Alpes, en même temps qu’évoluait la technique elle-même. Les larges surfaces lisses des nefs et des chapelles italiennes, bien éclairées, convenaient mieux à la peinture monumentale que les intérieurs des cathédrales du Nord, relativement sombres et d’une structure plus complexe. Mais, alors que les noms de nombreux sculpteurs et enlumineurs gothiques du Nord sont connus, aucun muraliste de cette époque n’a atteint à une semblable célébrité.
En Italie cependant, avec les peintures murales de Cimabue et de Giotto, se développèrent de nouveaux thèmes tirant parti des particularités locales et apportant à l’iconographie sacrée une humanité et une puissance expressive nouvelles. À Sienne, Simone Martini et Ambrogio Lorenzetti ont donné une dimension héroïque dans leurs peintures murales à des paysages montrant des lieux réels et à des portraits représentant des personnalités de la région. Bien que les Florentins comme Giotto et Taddeo Gaddi aient fait des tentatives de trompe-l’œil, ce sont les Siennois du XIVe siècle qui, les premiers, se sont essayés à la perspective. Au cours du XVe siècle, le goût pour ces procédés picturaux amena à une contradiction telle entre les peintures et leur support architectural réel, que les principaux architectes et théoriciens de l’époque n’admirent plus les peintures murales à l’intérieur des édifices. Elles furent donc alors le plus souvent reléguées sous les porches, dans les loggias ou les galeries de cloîtres. C’est pourquoi la plupart des grandes fresques au XVe et au début du XVIe siècle ont été exécutées sur des structures d’époques plus anciennes. Il existe quelques exceptions à l’époque maniériste, telles que le palais du Te de Jules Romain et la galerie François Ier à Fontainebleau. Mais il faut attendre la période baroque pour que l’ornementation picturale soit de nouveau alliée à l’architecture. Dans les églises baroques et rococo de Bavière particulièrement, le but recherché était de fondre architecture, sculpture et peinture dans un seul ensemble harmonieux; il est atteint à l’Asam Kirche de Munich, à Ottobeuren et à Wies. Dans ces édifices et dans d’autres décorations de plafonds, la maîtrise de la perspective di sotto in sù représente une performance de virtuose. Parmi les œuvres de la même époque, on peut leur comparer dans le domaine du décor profane les fresques de Tiepolo à Venise et à Wurzburg.
Mais depuis le XVIIIe siècle, à de rares exceptions près, l’architecture dédaigne une fois de plus la peinture murale comme décor pictural. En Amérique latine, ces peintures continuent à assumer leur ancienne fonction didactique.
fresque [ frɛsk ] n. f.
• 1669; it. (dipingere a) fresco « (peindre sur un enduit) frais » → 1. frais
1 ♦ Procédé de peinture murale qui consiste à utiliser des couleurs délayées à l'eau sur un enduit de mortier frais. « un peintre de Paris est venu pour peindre en fleurs à fresque son corridor » (Balzac).
2 ♦ Œuvre peinte d'après ce procédé. Les fresques romaines de Pompéi. La fresque de la coupole du Val-de-Grâce, de Mignard, célébrée par Molière.
3 ♦ Par ext. Vaste peinture murale (fresque proprement dite, détrempe, peinture à l'huile, à l'encaustique, sgraffite, marouflage).
4 ♦ (1861) Fig. Composition littéraire, présentant un tableau d'ensemble d'une époque, d'une société, etc. « La Comédie humaine » de Balzac, « les Rougon-Macquart » de Zola, sont de vastes fresques dépeignant toute une époque. « Ce fut l'ambition de plusieurs romanciers de notre époque de peindre une fresque de leur temps » (Maurois).
● fresque nom féminin (italien fresco, frais) Technique de peinture murale caractérisée par l'application sur enduit frais de pigments de couleur détrempés à l'eau. (On dit aussi peinture à fresque.) Œuvre exécutée selon cette technique. Grande peinture murale de technique quelconque. Ample composition littéraire peignant toute une époque.
fresque
n. f.
d1./d Manière de peindre sur des murs enduits de mortier frais, à l'aide de couleurs délayées à l'eau. Peindre à fresque.
|| Peinture murale exécutée de cette manière.
d2./d Fig. OEuvre littéraire de grande envergure présentant le tableau d'une époque, d'une société.
— Par ext. Fresque cinématographique.
⇒FRESQUE, subst. fém.
A.— B.-A. Procédé pictural consistant à employer des couleurs à l'eau sur l'enduit frais d'un mur, d'une surface maçonnée. Peindre à (la) fresque. Une église où l'on voit une peinture à fresque (...) appelée la Madone della Scala (STAËL, Corinne, t. 3, 1807, p. 374). Le décor qui, par la fresque et la saillie, donnera naissance (...) aux peintres et aux sculpteurs (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 88). La fresque et la détrempe (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 192) :
• 1. ... si la peinture est réalisée sur le mur, à la fresque ou à la cire, en communion étroite avec l'architecte, cette peinture ne pourra disparaître sans que l'architecture en paraisse atteinte et désolée, et souffrante comme un corps errant dépouillé de ses habits.
LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 99.
— P. méton. Peinture murale (aux dimensions souvent imposantes et mettant en scène de nombreux personnages) exécutée selon ce procédé. Les fresques de Michel-Ange, du Vatican. Le crépi sur lequel la fresque était peinte est tombé, et la fresque est à jamais perdue (STENDHAL, Brulard, t. 1, 1836, p. 151). Un autel dédié à saint Joseph, au-dessus duquel une fresque du quinzième siècle avait été découverte, sous un tableau qui la cachait, en 1854 (HUYSMANS, Oblat, t. 1, 1903, p. 140). Devant les détails de draperie d'une fresque de Botticelli je pouvais prendre des notes pendant des heures (DU BOS, Journal, 1923, p. 394).
♦ P. ext.
a) Composition picturale de grandes dimensions mettant en scène de nombreux personnages. Les fresques de Puvis de Chavannes (ROB.).
b) Suite de tableaux consacrée à un même sujet. Poulbot continue ses fresques de marmaille (FARGUE, Piéton Paris, 1939, p. 167).
♦ P. anal. Délégués et paysans en blouses noires, debout, faisaient sur les murs des fresques d'ombres (MALRAUX, Espoir, 1937, p. 812). Cf. aviation ex. 1.
B.— P. métaph. ou au fig., domaine des arts et de la litt. Importante composition offrant un caractère grandiose par l'importance des moyens mis en œuvre ou par la reconstitution historique qu'elle cherche à offrir. Fresque historique; fresque d'historien. Comment dire ton nom, ton nom, géant Homère! Qui (...) Laissas couler un jour de ta main gigantesque Toute l'Antiquité, comme une grande fresque! (BANVILLE, Cariat., 1842, p. 22). La richesse tragique de cette fresque sonore [la « Missa Solemnis » de Beethoven] peut difficilement être exprimée (ROLLAND, Beeth., 1937, p. 365). Depuis la découverte de Tolstoï, mon engouement pour les grandes fresques s'était encore accru en lisant le Jean-Christophe de Romain Rolland, Les Âmes mortes de Gogol, les œuvres de Dostoïevski (MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1955, p. LIV). Cf. composer I B, BOURGET, Nouv. Essais psychol., 1885, p. 90 :
• 2. Quelle fresque immense à peindre, quelle comédie et quelle tragédie humaines colossales à écrire, avec l'hérédité, qui est la genèse même des familles, des sociétés et du monde!
ZOLA, Dr Pascal, 1893, p. 107.
REM. Fresquiste, subst. masc., rare. Peintre de fresques. Le statuaire des Cariatides de Cnide à Delphes, le sculpteur de la frise des Apsaras d'Angkor, le fresquiste des grottes d'Ajunta, l'imagier de Moissac, d'Autun, de Chartres (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 201).
Prononc. et Orth. :[]. Enq. //. Ds Ac. 1718-1932. Étymol. et Hist. 1540-50 painture à fresque (Comptes des Bâtiments du Roi, éd. L. de Laborde, t. I, p. 190); 1669 fresque « peinture exécutée sur un enduit frais » (MOLIÈRE, La Gloire du Val-de-Grâce, 239 ds Œuvres, éd. E. Despois et P. Mesnard, t. 9, p. 555). Empr. à l'ital. fresco « frais », attesté comme terme de peint. dep. fin XIVe-début XVe s. (C. Cennini ds BATT. : disegnare, colorire in fresco « dessiner, colorer sur un enduit frais »), de même orig. que frais1, le genre fém. du fr. étant dû à l'infl. de peinture. L'expr. (peindre) à frais, calquée de l'ital., fut également attestée de 1596 (Vigenère d'apr. Greimas ds Fr. mod. t. 17, p. 292) à 1636 (MONET, s.v. peindre). Fréq. abs. littér. : 386. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 468, b) 468; XXe s. : a) 671, b) 587. Bbg. BOULAN 1934, p. 32. — HOPE 1971, p. 287. — KOHLM. 1901, p. 45.
fresque [fʀɛsk] n. f.
ÉTYM. 1669; painture à fresque, 1550; d'après l'ital. dispingere a fresco : « peindre à frais »; cf. au XVIe et au début du XVIIe l'expression francisée peindre à frais, au frais; féminin d'après la finale -que; la forme fresque, attestée en anc. et moy. franç., est une var. de frais (germanique frisk).
❖
1 Procédé de peinture murale qui consiste à utiliser des couleurs délayées à l'eau sur un enduit de mortier frais. || La fresque comporte quatre opérations : la préparation du support (nettoyage du mur); la préparation du crépi et de l'enduit; le calque du poncif; la peinture. — À fresque. || Dans la peinture à fresque, l'enduit frais empêche les retouches. || Peindre à fresque.
1 Cette belle peinture inconnue en ces lieux, La fresque, dont la grâce, à l'autre préférée, Se conserve un éclat d'éternelle durée, Mais dont la promptitude et les brusques fiertés Veulent un grand génie à toucher ses beautés ! (…) Mais la fresque est pressante, et veut, sans complaisance, Qu'un peintre s'accommode à son impatience (…) Avec elle il n'est point de retour à tenter, Et tout au premier coup se doit exécuter (…)
Molière, la Gloire du Val-de-Grâce (1669), vers 238-255.
2 On appelle peindre à fresque, l'opération par laquelle on emploie des couleurs détrempées avec de l'eau, sur un enduit assez frais pour en être pénétré. En italien on exprime cette façon de peindre par ces mots dipingere a fresco, peindre à frais. C'est de là que s'est formée une dénomination qui, dans l'orthographe française, semble avoir moins de rapport avec l'opération, qu'avec le mot italien dont elle est empruntée.
3 Vous voyez, un peintre de Paris est venu pour peindre en fleurs à fresque son corridor.
Balzac, Ursule Mirouët, Pl., t. III, p. 283.
2 (1680, Richelet). Œuvre peinte d'après le procédé de la fresque. || Église ornée de fresques. || Les fresques romaines de Pompéi; les fresques de Giotto, Masaccio, Fra Angelico, Michel-Ange (→ Désolation, cit. 4; élève, cit. 1). || La fresque de la coupole du Val-de-Grâce, de Mignard, célébrée par Molière (→ cit. 1 ci-dessus). || Peintre de fresque ⇒ Fresquiste.
4 C'est toujours comme les fresques du (Campo-Santo) de Pise où l'on aperçoit fort bien un bras, et le morceau d'à côté qui représentait la tête est tombé.
Stendhal, Vie de Henry Brulard, 17.
REM. De nombreuses peintures murales, habituellement désignées sous le nom de fresques, ont été exécutées sur un enduit partiellement ou complètement sec, ou avec des couleurs détrempées à la caséine, etc. (→ Détrempe). Les « fresques » romanes elles-mêmes, comme à Saint-Savin, sont souvent de détrempe à l'œuf (J. Rudel, Techn. de la peinture, p. 44).
3 Par ext. (emploi abusif en techn., en art.). Peinture, décoration murale (fresque proprement dite, détrempe, peinture à l'huile, à l'encaustique, sgraffite, marouflage…) — REM. Fresque ne se dit guère que de peintures de grandes dimensions. || Les fresques de Delacroix dans l'église Saint-Sulpice (peintures à l'huile). || Les fresques de Puvis de Chavannes (toiles marouflées).
5 Je voulus fixer davantage mes pensées favorites, et, à l'aide de charbons et de morceaux de brique que je ramassais, je couvris bientôt les murs d'une série de fresques où se réalisaient mes impressions.
Nerval, les Filles du feu, Aurélia, I, VII.
♦ Par analogie :
6 À perte de vue c'est (la terre vue d'un avion) une immense et informe fresque grisâtre, une fresque posée à plat et vue de très haut, de très loin : une fresque déteinte, craquelée, plâtreuse, avec des îlots de couleurs ternies.
Martin du Gard, les Thibault, t. VIII, p. 148.
4 (1861). Fig. Vaste composition artistique, littéraire, présentant un tableau (I., 3.) d'ensemble d'une époque, d'une société, etc. || Fresque historique. || La Comédie humaine, de Balzac; les Rougon-Macquart, de Zola, sont de vastes fresques dépeignant toute une époque.
7 Tous les sujets (…) ne sont pas également propres à fournir un vaste drame doué d'un caractère d'universalité. Il y aurait évidemment un immense danger à traduire en fresque le délicieux et le plus parfait tableau de genre. C'est surtout dans le cœur universel de l'homme (…) que le poète dramatique trouvera des tableaux universellement intelligibles.
Baudelaire, l'Art romantique, R. Wagner, II.
8 (…) Ce fut l'ambition de plusieurs romanciers de notre époque que de peindre une fresque de leur temps. Ambition assez neuve, inconnue en d'autres siècles où toute tentative de « somme » eût été plutôt théologique, philosophique ou encyclopédique; ambition due pour une part aux remarquables réussites de Balzac et de Tolstoï, pour une autre au développement des civilisations de masses.
A. Maurois, Études littéraires, Martin du Gard, III.
9 (…) ce visionnaire documenté (Balzac), dont les larges fresques, regardées de près, conservent la nette précision de la miniature.
Émile Henriot, les Romantiques, p. 297.
❖
DÉR. Fresquiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.