ICÔNE
Le terme icône, du grec 﨎晴諸益, qui signifie image ou ressemblance, désignait à l’origine toute image religieuse, portative ou fixe, quelles qu’en soient la technique (peinture, mosaïque, marbre, ivoire, orfèvrerie, tissu, etc.) et l’échelle. Mais, dans son acception moderne la plus courante, il s’applique à une image religieuse peinte (ou, plus rarement, réalisée en mosaïque) sur un panneau de bois mobile, représentant soit un portrait (le Christ, la Vierge, les saints), soit une scène, et destinée au culte (privé ou public). À la fois œuvre d’art et objet de culte, l’icône est l’expression picturale par excellence de la foi orthodoxe. Elle occupe une place de premier plan dans l’histoire de l’art, mais aussi dans la spiritualité et le culte des chrétientés orientales et, particulièrement, de Byzance. Pourtant, malgré des progrès récents, liés à la découverte et à la publication de nouvelles icônes (au mont Sinaï, à Chypre, en Géorgie, etc.), aux travaux de restauration et à une exploitation plus systématique des sources écrites, l’étude des icônes soulève encore bien des difficultés. La stabilité de l’iconographie, l’anonymat des artistes (à quelques exceptions près) ne facilitent guère les datations, souvent établies de façon approximative sur des critères essentiellement stylistiques. La localisation des ateliers de production, l’identification des écoles locales et, a fortiori, des peintres demeurent très problématiques.
Byzance: origine des icônes et développement de leur culte
Comme la plupart des formes de l’art chrétien, l’icône prend ses racines dans la tradition de la fin de l’Antiquité. Les portraits hellénistiques et romains de défunts, comme ceux qui ont été retrouvés en grand nombre en Égypte, les images officielles de l’empereur ou les représentations de divinités païennes (en particulier les panneaux peints des religions à mystères) ont dû fournir aux artistes chrétiens leurs premiers modèles. Ils annoncent, en tout cas, par leur technique, leur facture, leur fonction même («double magique» de la personne représentée), les premières icônes chrétiennes.
La tradition de l’Église orthodoxe, qui voit dans saint Luc le premier peintre d’icônes, voudrait faire remonter l’usage de celles-ci à l’époque apostolique, mais c’est fort peu vraisemblable. Si les plus anciennes icônes qui nous sont parvenues ne sont pas antérieures au VIe siècle, quelques témoignages anciens, comme une vie apocryphe de saint Jean l’Évangéliste (IIe s.), font état d’une utilisation quasi païenne des icônes chez de simples fidèles, à une époque où l’Église est encore généralement hostile, ou du moins réticente, à l’égard des représentations figurées. Aux IVe et Ve siècles, ces mentions textuelles, qui concernent surtout les provinces orientales (Égypte, Syrie, Palestine), deviennent plus fréquentes. L’icône a alors surtout pour fonction de faire revivre la mémoire d’un saint personnage, de susciter un sentiment de vénération à son égard ou d’instruire les fidèles en leur présentant les grands événements de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est surtout à partir du milieu du VIe siècle que se développe le rôle des icônes dans la dévotion populaire. Investies, comme les reliques, dont le culte fleurissait en Orient, de pouvoirs surnaturels, les icônes sont utilisées comme des objets magiques. On leur prête des vertus protectrices et bénéfiques, et la distinction entre image et prototype (personnage représenté) tend à s’effacer. Il est significatif qu’apparaissent à cette époque (vers le milieu du VIe s.) les premières légendes concernant les icônes d’origine miraculeuse, dites acheiropoiètos (non faites de main d’homme), et les premiers témoignages sur les icônes peintes par saint Luc. Dans la première catégorie, citons le très célèbre Mandylion (Sainte Face d’Édesse), envoyé par le Christ lui-même au roi Abgar et qui en 544 sauva Édesse d’un assaut des Perses. Transporté à Constantinople en 944, le Mandylion y fut vénéré comme le palladium de l’Empire et maintes fois reproduit. À saint Luc, l’Évangéliste, la tradition attribue trois icônes de la Vierge, peintes d’après nature et approuvées par Marie, qui leur aurait conféré sa force spirituelle. Celle-ci est censée se transmettre à toutes les images qui reproduiraient ses traits authentiques. C’est à l’une de ces icônes, acquise en Palestine par la femme de Théodose II et rapportée à Constantinople, que remonterait le type, très populaire, de la Vierge Hodigitria (le Christ enfant sur le bras gauche, la main droite ramenée devant le buste).
La multiplication des icônes aux VIe et VIIe siècles, le culte de plus en plus fervent qui leur est porté, lié à la croyance en la présence quasi physique de la personne représentée dans l’icône, vont conduire à de nombreux excès. Des pratiques magiques et superstitieuses se développent, qui font craindre à certains un retour de l’idolâtrie. Pour des raisons politiques et sociales autant que religieuses, les empereurs iconoclastes vont s’élever contre ce culte excessif et ordonner la destruction et l’interdiction, à Byzance, des images du Christ, de la Vierge et des saints, de 726 à 843 (avec une brève interruption entre 787 et 813). La polémique iconoclaste conduira les théologiens iconodoules des VIIIe et IXe siècles (Jean Damascène, Nicéphore, Théodore Stoudite) à formuler une théorie de l’image religieuse qui en justifiait le culte (cf. infra , signification de l’icône): la vénération de l’icône est légitime, car elle s’adresse au prototype, dont l’image assure la présence. Icône et prototype ne sont pas de même essence, mais sont liés par la ressemblance. De la conception de l’icône, reflet du prototype et véhicule de l’énergie divine, découlent les principales caractéristiques de l’art des icônes: la fidélité à des types iconographiques consacrés par la tradition et l’adoption d’un style hiératique, spiritualisé, propre à exprimer la présence du sacré.
Technique
Les deux grandes techniques de la peinture d’icônes, toutes deux héritées de l’Antiquité, sont l’encaustique et la détrempe. La première, qui consiste à mélanger les pigments colorés à de la cire chauffée, fut surtout utilisée aux VIe et VIIe siècles. À partir du VIIIe siècle, c’est la détrempe, qui utilise des couleurs délayées dans de l’eau additionnée d’œuf, qui devient la technique habituelle de la peinture d’icônes. On connaît assez bien aujourd’hui les différentes phases d’exécution d’une icône, depuis le choix et la préparation du panneau de bois (tilleul, pin, cyprès ou autre) jusqu’à la consécration de l’œuvre achevée. Après l’application de toile encollée et d’enduits de plâtre est tracée (et parfois, tardivement, incisée) l’esquisse de la figure ou de la scène, pour laquelle le peintre peut s’inspirer de cahiers de modèles ou de guides de peintres (Manuel de Denys de Fourna, «podlinniks» russes). On applique ensuite, sur un enduit rougeâtre, le fond or, avant que ne commence la peinture proprement dite. Les pigments réduits en poudre (principalement d’origine minérale) sont délayés dans de l’eau additionnée d’œuf. En dernier lieu est inscrit le nom du saint (ou de la scène), indispensable pour authentifier la représentation. Un vernis à l’huile, responsable du noircissement de bien des icônes, était souvent appliqué pour protéger les couleurs et en rehausser l’éclat. L’icône a parfois reçu un revêtement de métal précieux (argent ou argent doré), travaillé au repoussé et soutenu par une âme de cire, décoré d’ornements floraux, de bustes de saints en médaillons ou de petites scènes et rehaussé parfois d’émaux ou de pierreries. Il peut être limité à l’encadrement ou couvrir tout le fond, voire toute la surface de l’icône, à l’exception du visage.
Usages et fonctions
C’est d’abord, nous l’avons vu, pour répondre aux besoins de la piété populaire que les icônes se sont multipliées, et cette catégorie reste très importante tout au long de l’histoire de Byzance. Souvent de petit format, ces icônes étaient exposées dans les maisons ou les boutiques, emportées en voyage, à la guerre ou en pèlerinage. Certaines étaient d’ailleurs protégées par un couvercle coulissant. L’Église, malgré ses premières réticences, va rapidement multiplier les icônes dans les édifices de culte. Elles seront accrochées sur les colonnes ou les piliers, suspendues le long des murs, exposées dans des chapelles ou placées sur le proskynétarion , sorte de lutrin, où l’on mettait l’icône du saint ou de la fête du jour. Au début du XIe siècle fut créée l’icône-calendrier, qui permettait d’avoir, alignés en longues théories, sur un même panneau, tous les saints d’un ou de plusieurs mois, dans l’ordre du calendrier liturgique. Mais l’emplacement le plus important, dans l’église, pour le développement des icônes et pour leur culte, est le templon , c’est-à-dire la clôture (d’abord en marbre ou en matériaux précieux, puis en bois), qui sépare la nef, où se tiennent les fidèles, du chœur, réservé au clergé. Sa transformation en iconostase va commencer à l’époque de la dynastie macédonienne. C’est alors qu’apparaissent, au Xe siècle, les icônes d’épistyle placées sur l’architrave. La Déisis (le Christ entre la Vierge et saint Jean-Baptiste en prière) est représentée au centre, parfois élargie en Grande Déisis (avec archanges et apôtres) ou entourée des scènes du cycle du Dodécaorton (douze grandes fêtes de l’année liturgique) ou encore des épisodes de la vie des saints. Les iconostases deviennent progressivement plus hautes, surtout au cours du XIIIe siècle: de grandes icônes isolées, parfois superposées sur plusieurs registres, remplacent les icônes allongées, où étaient juxtaposés plusieurs sujets, qui décoraient primitivement l’architrave. À la même époque, de grandes icônes sont aussi placées entre les colonnes du templon . Reproduisant à nouveau le thème de la Déisis , auquel est souvent associé le saint patron de l’église, elles transforment l’iconostase en un mur plein, dissimulant la liturgie aux yeux des fidèles. La porte centrale («portes royales») peut également être décorée d’icônes (l’Annonciation, les quatre évangélistes, etc.). Le développement en hauteur de l’iconostase se poursuit aux XIVe et XVe siècles, surtout en Russie, où elle devient un véritable «mur d’icônes». Une dernière catégorie d’icônes utilisées dans les églises est celle des icônes processionnelles, qui étaient peintes des deux côtés (icônes bilatérales).
L’évolution de l’icône à Byzance et dans sa sphère d’influence
Il n’est guère possible de retracer l’histoire primitive de la peinture d’icône: les œuvres conservées sont peu nombreuses et aucune ne peut être précisément datée. La plupart de celles qui nous sont parvenues, peintes à l’encaustique et datant sans doute des VIe-VIIIe siècles, se trouvent aujourd’hui au monastère de Sainte-Catherine, au mont Sinaï, et dans les églises de Rome, où elles ont souvent été dégagées de leurs repeints modernes (icônes de la Vierge de Sainte-Marie-Nouvelle et de Sainte-Marie du Transtévère). Parmi les icônes du Sinaï, publiées en 1976 par K. Weitzmann, se distinguent quelques pièces remarquables, probablement produites à Constantinople (le Christ en buste , la Vierge entre saint Théodore et saint Georges , Saint Pierre ). D’autres œuvres peuvent être attribuées à la Palestine, à la Syrie ou à l’Égypte (Christ trônant en Ancien des Jours ), mais, dans la plupart des cas, le lieu de fabrication est encore, tout comme la datation, l’objet de controverses.
Après l’interruption toute relative de l’iconoclasme, pendant lequel des icônes continuèrent à être fabriquées dans la clandestinité ou, librement, dans les régions passées sous la domination des Arabes (Égypte, Syrie, Palestine), la production connut, à l’époque de la dynastie macédonienne, un nouvel essor. Les œuvres conservées, encore très peu nombreuses avant le XIe siècle, montrent que le style des icônes évolua parallèlement à celui de la peinture murale et des miniatures. Le classicisme de la «renaissance macédonienne» fit place, au cours du XIe siècle, à un style plus sévère, visant à une représentation plus dématérialisée et plus spiritualisée des figures. Au XIIe siècle, une tendance à l’humanisation des personnages sacrés se fait jour, dont témoigne, par exemple, la célèbre Vierge Eléousa de Vladimir, peinte à Constantinople vers 1130 et transportée ensuite en Russie (Galerie Tretiakov, Moscou). L’art raffiné et élégant de la seconde moitié du siècle est représenté par plusieurs icônes du mont Sinaï (Échelle céleste de Jean Climaque, Crucifixion, Annonciation). C’est aussi aux XIe et XIIe siècles que remontent les plus anciennes icônes en mosaïque (Vierge Hodigitria du Patriarcat grec à Istanbul, Saint Nicolas de Patmos, Vierge Hodigitria de Chilandari, etc.).
Les spécialistes se sont spécialement intéressés, ces dernières années, aux icônes du XIIIe siècle, période complexe, marquée par la prise de Constantinople par les Latins, en 1204, et par le démantèlement de l’Empire aux mains des croisés. La situation historique explique les contacts plus étroits entre les cultures de l’Orient et de l’Occident, dont témoignent nombre d’icônes, pour la plupart récemment découvertes ou publiées. Le problème de la localisation des ateliers (Jérusalem, Acre, la Syrie, le mont Sinaï, Chypre) et celui de l’origine des artistes restent cependant ouverts. S’agit-il de peintres latins (français et italiens surtout), qui, séjournant en Orient, avaient assimilé le style byzantin? Ou d’Orientaux, introduisant dans leurs œuvres des notations occidentales pour se conformer au goût de patrons latins? La petite icône de Saint Serge à cheval , conservée, avec la plupart des icônes dites des croisés, au monastère Sainte-Catherine du Sinaï et exécutée pour une donatrice occidentale, a été attribuée par K. Weitzmann à un Italien du Sud, peut-être des Pouilles, tandis que Doula Mouriki la rattache à toute une série d’œuvres d’origine chypriote. Chypre apparaît, en effet, au XIIIe siècle, comme l’un des centres artistiques les plus importants de la Méditerranée orientale pour la peinture d’icônes. Mêlant, à des degrés divers, éléments orientaux et occidentaux, sur un fonds de tradition byzantine, la production chypriote présente une certaine homogénéité. L’attachement à la stylisation linéaire de l’époque comnène, l’expressivité des visages, le goût des couleurs vives (en particulier le rouge), le recours à la technique de la pastiglia (reliefs de stuc décorant les nimbes, le fond ou certains détails) sont quelques-unes des caractéristiques de la maniera cypria .
La peinture d’icônes va atteindre son point culminant à l’époque des Paléologues (1261-1453); art désormais majeur, elle évolue parallèlement à la peinture murale, les artistes étant souvent les mêmes: l’ico
nographie s’enrichit, un intérêt plus marqué est porté à l’expression des sentiments, à la plasticité des formes et au rendu de l’espace. L’icône bilatérale de l’Annonciation , à Saint-Clément d’Ohrid, est un bel exemple de ce style paléologue à son apogée. Les icônes en mosaïque connaissent à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle un regain de faveur. D’une technique très raffinée, comme en témoigne l’icône de Saint Jean Chrysostome de la collection de Dumbarton Oaks (Washington), elles sont réalisées avec de minuscules tesselles d’or, d’argent, de lapis-lazuli et de pierres semi-précieuses, appliquées sur un fond de cire. À partir des années 1330, la réaction qui s’opère à Byzance dans les mentalités (mouvement hésychaste) favorise le développement d’un art plus traditionnel et plus austère. Signalons enfin que c’est à l’époque des Paléologues que les signatures d’artistes, apparues timidement au XIIe siècle, deviennent plus fréquentes sur les icônes. Cela révèle une évolution dans la conception du statut de l’artiste.
De nombreuses icônes sont aujourd’hui conservées dans les Balkans, en Bulgarie, dans l’ex-Yougoslavie ou en Grèce, mais l’influence de l’art de Constantinople, de Thessalonique et du mont Athos fut si forte dans ces régions qu’il est souvent difficile de distinguer les productions locales des importations byzantines
(ou des œuvres peintes sur place par des maîtres grecs itinérants). Si la Sainte Face de la cathédrale de Laon pourrait bien être l’œuvre, vers 1200, d’un peintre bulgare, la plus ancienne icône qui soit sûrement bulgare n’est pas antérieure à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle: c’est l’icône bilatérale (Christ Pantocrator / Vierge Eléousa ), provenant de Nesebar, qui reste proche des modèles byzantins (musée de Sofia). En Macédoine et en Serbie, il faut également attendre le XIIIe siècle pour identifier des productions locales, dont certaines sont signées. L’un des centres artistiques les plus importants était la ville d’Ohrid, en Macédoine, où se trouve encore, dans l’église de la Vierge Péribleptos (Saint-Clément), une remarquable collection d’icônes.
En dehors des Balkans, il faut signaler les nombreuses icônes de Géorgie, qui témoignent, elles aussi, de liens étroits avec Byzance, tout en conservant une spécificité locale. Parmi les pièces de Haute-Svanétie, dont certaines peuvent rivaliser avec les plus belles créations byzantines, citons l’émouvante Vierge de tendresse de Lagurka, à l’expression grave et mélancolique. Mais l’originalité de la production géorgienne tient surtout au grand nombre d’icônes de métal (argent doré le plus souvent), travaillées au repoussé et parfois décorées de nielle, d’émaux et de pierreries.
Les icônes russes
En Russie, dont l’art religieux, comme celui des Balkans, tire ses origines de Byzance, l’icône connut un exceptionnel essor. Là, mieux qu’ailleurs, s’affirmèrent les caractères distinctifs d’écoles locales, de nouveaux thèmes iconographiques furent créés (les saints Boris et Gleb, le Pokrov – voile – de la Vierge, par exemple) et des peintres de talent développèrent un style souvent original. Les plus anciennes icônes conservées, souvent d’une qualité remarquable, remontent aux XIe et XIIe siècles (le Saint Georges du Kremlin de Moscou, la Vierge orante de la Galerie Tretiakov, l’Archange aux cheveux d’or de Saint-Pétersbourg). Certaines restent si fidèles à la tradition byzantine qu’il est bien difficile de déterminer la nationalité des artistes et, plus encore, de localiser les ateliers de production. C’est à Kiev que s’établirent probablement les plus anciens ateliers d’icônes: aux maîtres grecs se joignirent bientôt des peintres russes, comme le célèbre Alimpii. Après le déclin de Kiev, d’autres centres (Vladimir, Souzdal) se développèrent, dont le plus important fut Novgorod. Dans cette ville, qui échappa à l’invasion mongole, se maintint, du XIIe au XVe siècle, une intense activité artistique. Les peintres d’icônes élaborèrent un style local, caractérisé par des compositions simples et bidimensionnelles, un goût prononcé pour le linéarisme et pour les couleurs pures, vives et lumineuses.
Avec l’arrivée de Théophane le Grec, venu de Constantinople à Novgorod (vers 1378), puis à Moscou (vers 1395), une nouvelle vague d’influences byzantines (de l’époque des Paléologues) se répandit en Russie. La Transfiguration de la Galerie Tretiakov est un bel exemple du style savant et passionné, d’une grande intensité dramatique, de Théophane.
Moscou, devenue le centre politique de la Russie, va s’imposer, à la fin du XIVe et au XVe siècle, comme la principale école de peinture d’icônes. Son meilleur représentant est Andreï Roublev (1360/1370-env. 1430), dont l’art exerça une influence importante sur la peinture du XVe siècle. S’éloignant de l’intensité dramatique de Théophane, il élabore des compositions harmonieuses, caractérisées par la fermeté et la fluidité des lignes, le lyrisme des couleurs et la spiritualité douce émanant des visages aux traits fins (la Trinité , Galerie Tretiakov). Le dernier grand peintre de l’école de Moscou est Dionysii (maître Denys), né vers 1450, qui peignit, dans des couleurs délicates et rayonnantes, des icônes d’un art raffiné, aux figures très élancées et animées d’une intense spiritualité. En dehors de Moscou, la peinture d’icônes fleurit, au XVe siècle, dans d’autres centres: Novgorod, surtout, mais aussi Pskov, Tver et Souzdal.
Le déclin de l’art de l’icône, en Russie, commence dans la seconde moitié du XVIe siècle. Les «maîtres de la famille Stroganov», au nord-est du pays, s’inspirent des anciennes icônes de Novgorod, mais multiplient les détails et les personnages en des compositions surchargées, d’un style miniaturiste, dont le goût se répandra dans toute la Russie.
Les icônes post-byzantines
Les plus belles, peut-être, des icônes (nombreuses, mais d’inégale qualité) produites après la prise de Constantinople par les Turcs (1453) sont celles de l’«école crétoise». Les peintres étaient, en Crète (sous domination vénitienne), organisés en corporations et ils pratiquaient, pour une clientèle très diversifiée, un art éclectique, alliant, à des degrés divers, traditions byzantines et influences des modèles italiens. Des contrats précisaient le prix, les délais de fabrication, voire le style à suivre (a la greca ou a l’italiana ). L’icône est désormais moins un objet de culte qu’une œuvre d’art ayant une valeur marchande. Parmi les peintres les plus renommés, citons Andréas Ritzos et Angélos au XVe siècle, Théophane le Grec, Michel Damaskinos et Georges Klontzas au XVIe siècle. Après la prise de la Crète par les Turcs en 1669, les peintres crétois vinrent en grand nombre s’installer dans les îles ioniennes, à Zante, à Corfou, à Cephalonie et à Venise (Théodore Poulakis, Emmanuel Tzanès).
Dans les Balkans, sous l’influence dominante des maîtres grecs et slaves du mont Athos, gardien vigilant de la tradition, se
maintient un art souvent plus fidèle aux principes traditionnels de l’art byzantin. Une école importante et originale se développe, vers le milieu du XVIe siècle, en Grèce centrale, à Jannina et aux Météores (Frangos Catélanos). Mais, à côté de quelques œuvres de qualité (celles du moine Longin en Serbie, par exemple), se multiplient les productions artisanales et populaires, de qualité souvent médiocre.
Signification de l’icône
Le VIIe Concile œcuménique (787) a justifié et formulé la «vénération» des «saintes images» en précisant que cette vénération n’est pas l’adoration mais son moyen, car l’icône, transparente à son prototype, permet de connaître Dieu par la Beauté.
L’Église tout entière, avec son architecture, ses fresques, ses mosaïques, constitue une gigantesque icône qui est à l’espace ce que le déroulement liturgique est au temps: «le ciel sur la terre», la symbolisation de la divino-humanité, lieu de l’Esprit où la chair-pour-la-mort se métamorphose en soma pneumatikon , en corporéité spirituelle.
Certes le Dieu vivant est radicalement inaccessible: le VIIe Concile œcuménique et le grand Concile de Moscou de 16661667 ont interdit de représenter le Père, «source» de la divinité. Mais celle-ci est rendue visible – «Qui m’a vu a vu le Père» (Jean, XIV, 9) – par l’incarnation de celui qui n’est pas seulement le Verbe de Dieu mais son Image . Le fondement de l’icône est donc christologique : «Puisque l’Invisible, s’étant revêtu de la chair, est apparu visible, tu peux figurer la ressemblance de Celui qui s’est fait Théophanie» (saint Jean Damascène). Par là même l’icône est aussi pneumatologique , elle anticipe la Transfiguration ultime de l’humanité: dans le Corps du Christ, lieu d’une perpétuelle Pentecôte, l’homme créé à l’image de Dieu peut trouver dans l’Esprit son vrai visage. C’est ce visage que suggère l’icône en illustrant l’enseignement ascétique et mystique de l’Orthodoxie sur la «déification»: la réduction intériorisante des oreilles et de la bouche, le front dilaté et lumineux, le cou gonflé par le Souffle vivifiant, le visage devenant «tout yeux» (Corpus macarianum ), c’est-à-dire pure transparence, la représentation toujours frontale (le profil serait objectivation), tout indique un être devenu à la fois «prière pure» et pur accueil.
L’icône n’est pas consubstantielle à son prototype et, tout en utilisant le symbolisme, elle n’est pas elle-même symbole. Elle fait surgir, non sans une certaine rigueur «portraitique», une présence personnelle ; et le symbolisme montre cette présence, et toute l’ambiance cosmique autour d’elle, saturée de la paix et de la lumière divines. Les chairs et les vêtements sont illuminés par l’«assiste» (de fines hachures dorées); animaux, plantes et rochers sont stylisés selon une sorte d’essentialité paradisiaque; les architectures deviennent un jeu surréaliste, défi évangélique à la pesanteur de ce monde.
La Jérusalem céleste, c’est-à-dire l’univers transfiguré que suggère l’icône, «n’a besoin ni du soleil ni de la lune, c’est la gloire de Dieu qui l’éclaire» (Apoc. XXI, 23). Dans l’icône, la lumière ne provient donc pas d’un foyer précis, elle est partout, sans projeter d’ombre (c’est le fond même de l’image que les iconographes nomment «lumière») et toute réalité semble intérieurement ensoleillée. La perspective, souvent inversée, ouvre l’espace sur cette plénitude où disparaît l’extériorité.
L’icône a une valeur non seulement pédagogique mais «mystérique », quasi sacramentelle , que scelle une bénédiction solennelle de l’Église. «Nom» (au sens biblique) représenté et toujours inscrit de part et d’autre du visage, elle montre chaque personne sanctifiée comme le sacrement de la Lumière et de la Beauté divines. Chaque présence révèle, en effet, un nouveau visage de la divino-humanité, et, loin de s’interposer, entraîne les fidèles dans son adoration, les introduit à la communion des saints.
L’art de l’icône dépasse l’opposition, soulignée par André Malraux, entre les arts de l’Orient non chrétien, témoins d’une impersonnelle éternité, et ceux de l’Occident moderne livrés aux caprices – et au secret – de l’individu. C’est dans l’inépuisable, voire dans l’inaccessible, du visage personnel qu’il exprime une éternité qui n’est pas fusion mais communion. Il n’est nullement limité à l’Orient chrétien (les arts carolingien, ottonien, roman, et celui du Trecento participent de lui); il n’est pas enclos dans le passé (comme en témoignent à l’époque actuelle les œuvres de Photis Kontoglou à Athènes, de Grégoire Krug et de Léonide Ouspensky à Paris). Sans doute pourrait-il jouer un rôle dans le destin actuel de l’art occidental.
icone [ ikon ] n. m.
• v. 1970; angl. icon
♦ Didact. Signe qui ressemble à ce qu'il désigne, à son référent. ⇒ iconique (2o). L'onomatopée est un icone. L'icone, l'indice et le symbole.
♢ (1989) Inform. Symbole graphique affiché sur un écran d'ordinateur, qui représente et permet d'activer une fonction du logiciel. Icone de traitement de texte. — Recomm. ofic. une icône.
⊗ HOM. Icône.
● icône nom féminin (russe ikona, du grec byzantin eikona, du grec classique eikôn, -onos, image) Image sacrée, portative ou fixe, qui orne les églises de rite chrétien oriental. ● icône (synonymes) nom féminin (russe ikona, du grec byzantin eikona, du grec classique eikôn, -onos, image) Image sacrée, portative ou fixe, qui orne les églises de...
Synonymes :
- image
● icône
nom féminin
(anglais icon, de icône)
Signe qui est dans un rapport de ressemblance avec la réalité extérieure. (Par exemple, le dessin d'une maison est une icône par rapport à la maison qu'il représente.)
Symbole graphique affiché sur l'écran d'un ordinateur et correspondant, au sein d'un logiciel, à l'exécution d'une tâche particulière.
Informatique
Représentation pictographique de petite dimension affichée sur l'écran d'un ordinateur, symbolisant un programme et correspondant à l'exécution d'une tâche particulière. (L'icône, en tant que repère visuel, facilite la circulation dans un logiciel ou sur Internet.)
● icône (difficultés)
nom féminin
(anglais icon, de icône)
Orthographe
Avec un accent cir-conflexe sur le o. Les mots de la même famille s'écrivent sans accent circon-flexe : iconique, iconoclaste, iconographe, iconologie, iconostase, etc.
icône ou icone
n. f.
d1./d Dans les religions orthodoxes, image sacrée du Christ, de la Vierge et des saints, peinte sur du bois.
d2./d INFORM Complexe graphique apparaissant sur un écran d'ordinateur à partir duquel on peut appeler un programme.
I.
⇒ICÔNE1, subst. fém.
Dans l'Église d'Orient, peinture religieuse sur panneau de bois, souvent rehaussée de métal précieux ou de pierreries, à valeur symbolique et sacrée. Icône de la Mère de Dieu; les saintes icônes; l'art des icônes; se signer devant une icône; cierges, bougies, lumières qui brillent devant l'icône. Les peintres (...) des icônes byzantines, avaient comme préoccupation essentielle de diviser une surface donnée en fragments entretenant entre eux des rapports rythmiques (Arts et litt., 1935, p. 30-07). On m'a poussé dans un autre côté de la maison, au milieu des femmes de service, qui récitaient des prières devant l'icône (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 49) :
• Bientôt, c'est la télévision qui dans chaque demeure apportera sa présence agissante, tendant à suppléer, dans nos intérieurs modernes, à l'absence de ces autels, de ces chapelles ou de ces icônes où les hommes de jadis, ceux de l'Antiquité comme ceux d'hier, se livraient à une confrontation avec les images, peintes ou sculptées, incarnant leur âme la plus profonde.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 383.
— P. ext. Représentation artistique de la divinité ou de sujets à caractère religieux. L'icone submerge les temples des XIIe et XIIIe siècles en Europe, et, dès la fin de l'ère antique, ceux des Indes (Arts et litt., 1935, p. 58-05).
Prononc. et Orth. : [iko:n]. Att. ds Ac. 1935. Forme icone ds Arts et litt., supra; v. aussi BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1918, p. 362 et DUHAMEL, Passion J. Pasquier, 1945, p. 73. Cf. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971. Étymol. et Hist. 1859 « image sainte dans l'Église d'Orient » (GAUTIER, Voyage en Russie, XV, p. 226 ds ROB.). Empr. au russe ikona « image », du gr. byz. « id.», dér. du gr. class. « image, statue, portrait »; cf. l'angl. icon « id. » 1833 ds NED; l'a. fr. icoine « image » (ca 1220, G. DE COINCI, Mir. Vierge, éd. V. F. Kœnig, II Mir. 30, 122 : ycoine) est empr. au b. lat. iconia de même sens (VIe s. ds NIERM.), du gr. byz. plur. de (cf. KAHANE Byzanz t. 1, 368); l'a. fr. ancone « enseigne des Byzantins » (ca 1208, G. DE VILLEHARDOUIN, Conquête Constantinople, éd. E. Faral, § 228) est prob. empr. à l'ital. (KAHANE, loc. cit.). Fréq. abs. littér. : 60.
II.
⇒ICÔNE2, subst. fém.
LING. ,,Dans la classification de Peirce : type de signe qui opère par similitude de fait entre deux éléments; p. ex. : le dessin représentant une maison et la maison représentée`` (Media 1971). L'onomatopée est une icône (Pt ROB.). À l'icône s'opposent l'indice (sans rapport de ressemblance, mais avec un rapport de contiguïté) et le symbole (où le rapport est purement conventionnel) (Ling. 1972).
Prononc. : [iko:n]. Étymol. et Hist. 1971 (Media). Empr. à l'angl. icon de même sens (av. 1914, C. S. PEIRCE, Coll. Papers [1931] ds NED Suppl.2), du gr. « image », v. icône1.
1. icône ou icone [ikon] n. f.
ÉTYM. 1838, Académie; russe ikona, du grec byzantin eikona (prononcé ikona), du grec class. eikôn « image »; cf. anc. franç. icoine « image sainte ».
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♦ Dans l'Église d'Orient, « Peinture religieuse exécutée sur un panneau de bois, par opposition à la fresque » (Réau). || Icônes byzantines, russes. || Peintres d'icônes. → Recueillir, cit. 11. || L'art des icônes a eu son apogée en Russie aux XIVe et XVe siècles (Écoles de Novgorod, de Moscou). || Icônes exposées dans une église orthodoxe (⇒ Iconostase).
1 Ce groupe (…) offre une particularité remarquable : les personnages sont en ronde bosse, à l'exception des têtes et des mains peintes sur une découpure d'argent ou d'autre métal taillée d'après le contour. Cette composition de l'icone byzantin (sic) avec la sculpture produit un effet d'une puissance extraordinaire (…)
Th. Gautier, Voyage en Russie, XV, p. 226.
2 La technique des icones (…) n'a guère varié depuis les origines. La première opération consiste à enduire une planchette (…) d'une préparation blanche (…) qui se compose d'une poudre fine de plâtre ou d'albâtre délayée dans de la colle. Sur ce fond (…) le peintre trace sa composition (…) après quoi il colorie ce dessin à la détrempe (…) L'icone une fois peinte est enduite d'un vernis à base d'huile (…)
Louis Réau, Dict. d'art, art. Icone.
3 Même pour les historiens de l'art, les icônes symbolisaient le style byzantin; et lorsqu'on eut cessé d'appeler byzantines toutes les images qui n'étaient plus antiques et n'étaient pas encore médiévales, on commença d'appeler antiques celles qui ne ressemblaient pas aux icônes.
Malraux, la Métamorphose des dieux, p. 127.
♦ Collectif. || L'art de l'icône. || Le développement de l'icône en Russie.
REM. L'Académie écrit icône avec un accent circonflexe. Mais la plupart des auteurs ne la suivent pas (→ ci-dessus; cf. aussi Valery Larbaud, Barnabooth, p. 332).
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DÉR. Iconiser.
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2. icone [ikon] n. m. ou f.
ÉTYM. V. 1970; angl. icon, employé par le philosophe américain Ch. S. Peirce à la fin du XIXe; du grec eikona. → 1. Icône.
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♦ Didact. (chez Peirce). Signe qui renvoie à ce qu'il dénote (l'objet) en vertu de ses caractères propres et qui a donc avec l'objet des caractères (abstraits, relationnels) communs. — Spécialt (plus cour.). Signe qui a avec son objet une similitude (chez Peirce, il s'agit alors d'un hypo-icone). || L'icone appartient à l'une des classifications des signes (en icones, indices et symboles). || L'icone échappe à l'arbitraire du signe. || Icones visuels, acoustiques ou auditifs, gestuels. ⇒ 2. Iconique (2.). — REM. Le mot est parfois employé (erronément s'il s'agit de théorie sémiotique) pour « signe visuel constituant une image ». → Image.
Encyclopédie Universelle. 2012.