ILLUSION
ILLUSI
Métaphoriquement dérivé de la réduction psychologique des enchantements magiques et des découvertes de l’optique géométrique, couronnant, avec Kant, la critique relativiste de l’optimisme leibnizien, le concept moderne d’illusion a conquis une position centrale dans la réflexion de Schopenhauer et dans celle de Nietzsche, avant de soutenir le développement de l’expérience psychanalytique en une théorie de la culture.
Sous les espèces de l’«illusion transcendantale», l’illusion est en effet appelée à recouvrir, dans la pensée kantienne, ce phénomène «naturel et inévitable» qu’est la représentation des liaisons subjectives «dans l’apparence d’une nécessité objective», par transgression des conditions limitatives de l’expérience sensible, qui en assureraient la validité effective. Avec Schopenhauer, la critique est étendue à l’ensemble des déterminations individuelles, pour autant que celles-ci relèvent du domaine phénoménal régi par le principe de raison suffisante, à l’exclusion de l’en-soi de la volonté; c’est la représentation tout entière qui peut être ainsi assimilée à la maya hindoue. Mais l’organisme est la première figure de l’individuation; on sera donc amené à expliquer la genèse des illusions par les exigences de la vie: telle sera la position de Nietzsche. L’existence, en son fond, n’est plus l’en-soi, elle est en position intermédiaire entre l’en-soi et le néant, elle est devenir; l’illusion ne sera donc plus, comme elle l’était chez Schopenhauer, un voile jeté sur le néant des déterminations, en opposition à l’indétermination pure de l’en-soi; elle exprimera la tentative du vivant humain pour se masquer l’angoisse de cette existence en devenir.
L’originalité de la conception freudienne va consister alors, en rupture avec Nietzsche, à dériver l’illusion non plus d’une économie de défense de la vie, mais de la tentative de résolution, au niveau de la culture, des impasses auxquelles est confronté le sujet du fait même des servitudes de son acculturation. Ainsi pourra-t-on décrire, selon les domaines où cette compensation intervient, divers types d’illusion — artistique, religieuse, politique — dont le paradigme sera figuré par l’illusion amoureuse.
Dans sa définition la plus générale, illustrée par Freud avec l’exemple de la religion, l’illusion pourra donc être entendue comme «une croyance motivée par le désir, et indifférente à l’effectivité». Sur ce fondement, quatre orientations de recherche pourront être dégagées.
L’illusion est croyance: à ce titre, le transfert permet d’en restituer la genèse; elle prend origine de l’amour, et plus précisément de l’investissement de l’adulte omnipotent, dont le thérapeute est le substitut.
L’illusion est motivée par le désir: à partir des conditions générales de la croyance auront à être décrites les diverses voies tracées par le désir pour la maintenance de l’objet ancestral tout-puissant dans une position gratifiante.
L’illusion est indifférente à la réalité: dans cette vue, auront à être distinguées réalité (indépendance du soi narcissique) et effectivité (existence hic et nunc ).
L’illusion peut s’ordonner au principe de réalité, dans le cas de l’illusion artistique par exemple, tout en mettant hors circuit l’effectivité.
Les différents types d’illusion pourront précisément se différencier selon leur degré de tolérance aux exigences du principe de plaisir, en opposition à la réalité.
On comprend, dès lors, que toute illusion puisse être entendue comme une projection de la structure scindée du psychisme en un «ultra-monde», monde de l’Idéal, du Bien ou de la Justice. La séparation entre l’en deçà et l’au-delà y figure le clivage entre les instances psychiques, que celles-ci soient comprises dans l’acception de la première ou de la seconde topique — le problème soulevé par la genèse respective de ces «mythes endopsychiques» nous renvoyant à la restitution des voies de retour susceptibles d’être empruntées par les réincarnations de l’objet ancestral, ainsi qu’à la description des véhicules par lesquels celles-ci viennent à se doter d’une quasi-effectivité: surfaces artistiques, espace sacré ou discours prospectif du registre politique.
illusion [ i(l)lyzjɔ̃ ] n. f. I ♦
1 ♦ Erreur de perception causée par une fausse apparence. ⇒ aberration. Les illusions des sens. Être le jouet, être victime d'une illusion. Statue qui donne l'illusion de la vie. Peinture, décor qui donne l'illusion du relief, de la réalité (⇒ trompe-l'œil) .
2 ♦ Interprétation erronée de la perception sensorielle de faits ou d'objets réels. Illusions visuelles, tactiles. Illusion d'optique, provenant des lois de l'optique; fig. erreur de point de vue.
3 ♦ Apparence dépourvue de réalité. ⇒ hallucination, mirage, vision. « ce n'est point une illusion, ni de ces choses qu'on dit en l'air, c'est une vérité » (Mme de Sévigné). « L'Illusion comique » (théâtrale), de Corneille. Illusions dues au trucage, à la prestidigitation (⇒ illusionnisme) .
II ♦ (1611)
1 ♦ Opinion fausse, croyance erronée qui abuse l'esprit par son caractère séduisant. ⇒ chimère, leurre, rêve, utopie. « il préférait ses illusions à la réalité » (Musset). Avoir, se faire des illusions. ⇒ s'illusionner (cf. Se faire des idées). Ne se faire aucune illusion sur qqn, sur qqch. Caresser une illusion. Entretenir qqn dans une illusion. Se bercer de douces illusions. Dissiper les illusions de qqn. Dire adieu à ses illusions. « Il croyait au mariage. C'était sa dernière illusion » (Maurois). Être sans illusions. Perdre ses illusions (⇒ déchanter) . « Illusions perdues », roman de Balzac. « La Grande Illusion », film de J. Renoir.
♢ Écon. Illusion monétaire : erreur d'appréciation de l'évolution du revenu réel en période d'inflation. ⇒ surestimation, surévaluation.
2 ♦ Absolt Le pouvoir, la force de l'illusion. L'homme a besoin de l'illusion.
♢ FAIRE ILLUSION : duper, tromper, en donnant de la réalité une apparence flatteuse. Il cherche à faire illusion (cf. En imposer).
⊗ CONTR. Certitude, réalité, réel, vérité. Déception, désillusion.
● illusion nom féminin (latin illusio, -onis) Interprétation erronée d'une donnée sensorielle : Illusion auditive. Illusion d'optique. Effet obtenu par le moyen de l'art, de l'artifice, du truquage et qui crée le sentiment du réel ou du vrai : L'illusion de la vie donnée par un automate. Appréciation conforme à ce que quelqu'un souhaite croire, mais fausse par rapport à la réalité : Perdre ses dernières illusions. ● illusion (citations) nom féminin (latin illusio, -onis) Jacques Audiberti Antibes 1899-Paris 1965 La vie est faite d'illusions. Parmi ces illusions, certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la réalité. L'Effet Glapion Gallimard Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 L'illusion est une foi démesurée ! Les Employés Georges Bernanos Paris 1888-Neuilly-sur-Seine 1948 Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions. Dialogues des carmélites Le Seuil Maurice Chapelan 1906-1992 La dernière illusion est de croire qu'on les a toutes perdues. Main courante Grasset Charles de Gaulle Lille 1890-Colombey-les-Deux-Églises 1970 […] Aucune illusion n'adoucit mon amère sérénité ! Mémoires de guerre, le Salut Plon Panait Istrati Brăila 1884-Bucarest 1935 […] C'est par la force de l'illusion que les hommes deviennent des héros. Pour avoir aimé la terre Denoël Max Jacob Quimper 1876-Drancy 1944 […] Une œuvre sincère est celle qui est douée d'assez de force pour donner de la réalité à une illusion. Art poétique Émile-Paul Guy de Maupassant château de Miromesnil, Tourville-sur-Arques, 1850-Paris 1893 Une femme a toujours, en vérité, la situation qu'elle impose par l'illusion qu'elle sait produire. Notre cœur Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 Les illusions tombent l'une après l'autre, comme les écorces d'un fruit, et le fruit, c'est l'expérience. Sa saveur est amère. Les Filles du feu, Sylvie Jean-Paul Sartre Paris 1905-Paris 1980 Il n'y a que Dieu. L'homme, c'est une illusion d'optique. Le Diable et le Bon Dieu Gallimard François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Un jour tout sera bien, voilà notre espérance ; Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion. Poème sur le désastre de Lisbonne Hu Shi Shanghai 1891-Taïbei 1962 Les plus pessimistes d'aujourd'hui ont été les plus optimistes autrefois. Ils poursuivaient de vaines illusions. L'échec les a découragés. Traduction D. Tsan ● illusion (expressions) nom féminin (latin illusio, -onis) Faire illusion, tromper sur sa nature véritable en donnant une image flatteuse, mais surfaite. Se faire des illusions, concevoir de vaines espérances, surestimer ses possibilités, ses capacités. Illusion optico-géométrique, erreur de la perception visuelle de figures géométriques, se manifestant chez les individus par une surestimation ou une sous-estimation systématiques de longueur, de surface, de direction ou d'incurvation des angles, de la verticale, etc. (illusions de Müller-Lyer, de Poggendorff, de Delbœuf, d'Oppel-Kundt, etc.). ● illusion (synonymes) nom féminin (latin illusio, -onis) Interprétation erronée d'une donnée sensorielle
Synonymes :
- mirage
- vision
Appréciation conforme à ce que quelqu'un souhaite croire, mais fausse...
Synonymes :
- chimère
- rêve
Contraires :
illusion
n. f.
d1./d Perception erronée due à une apparence trompeuse.
d2./d Interprétation erronée d'une sensation réelle.
|| Illusion d'optique: perception erronée de certaines qualités des objets (forme, dimensions, couleur, etc.).
d3./d Apparence trompeuse dénuée de réalité. Théâtre d'illusions. "L'Illusion comique", comédie de P. Corneille.
d4./d Jugement erroné, croyance fausse, mais séduisants pour l'esprit. Se faire des illusions. Dissiper les illusions de qqn. "Illusions perdues", roman de Balzac.
|| Faire illusion: tromper en présentant une apparence flatteuse.
⇒ILLUSION, subst. fém.
A. — [Comme principe d'erreur dans le domaine sensoriel] Perception erronée dans la mesure où elle ne correspond pas à la réalité considérée comme objective, et qui peut être normale ou anormale, naturelle ou artificielle. À cause des cornes dressées au bord des casques, les uns croyaient apercevoir un troupeau de bœufs; d'autres, trompés par l'agitation des manteaux, prétendaient distinguer des ailes, et ceux qui avaient beaucoup voyagé, haussant les épaules, expliquaient tout par les illusions du mirage (FLAUB., Salammbô, t. 1, 1863, p. 164). Philippe croyait sentir, non sans un vague effroi, le même silence se reformer autour d'eux, silence qui paraît n'absorber que la part plus grossière du bruit, donne l'illusion d'une espèce de transparence sonore (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1367) :
• 1. Tel est l'empire de l'imagination, qu'elle se représenta sur-le-champ cette scène, et qu'au bout d'un moment tous ses sens, également trompés, se livrèrent à l'illusion la plus complète. Elle crut encore voir et entendre.
NODIER, J. Sbogar, 1818, p. 114.
SYNT. Illusion des sens, de la vue, de l'ouïe, du toucher; les illusions du rêve, d'un cauchemar; une illusion de fraîcheur, de légèreté, de profondeur, de relief; les illusions de la perspective; produire une illusion; avoir l'illusion de voir, de sentir, d'entendre qqc.; être le jouet d'une illusion.
— Spécialement
1. PSYCHOL. et MÉD.
a) [P. oppos. à hallucination, perception sans objet de caractère pathologique] Interprétation perceptive erronée de données sensorielles réellement existantes, due aux lois mêmes de la perception et susceptible d'être critiquée par le raisonnement. Illusions sensorielles; illusion d'Aristote. Quelquefois même il semble que (...) le pouls vienne frapper les doigts au moment même où le bruit produit par la contraction des oreillettes se fait entendre. Ce phénomène me paraît être une illusion d'acoustique due à l'extrême fréquence des contractions du cœur (LAENNEC, Auscult., t. 2, 1819, p. 225) :
• 2. Il existe toute une série de cas dans lesquels le volume apparent et le poids semblent donner des informations sensorielles contradictoires. Ce sont les illusions [it. ds le texte] poids-volume (dites aussi illusions [it. ds le texte] de soupèsement). Elles consistent à surestimer ou à sous-estimer des poids identiques selon que leur volume est plus petit ou plus grand.
THINÈS-LEMP. 1975.
♦ Illusion d'optique (illusion optique, illusion de l'optique). Erreur d'interprétation des données visuelles, due aux lois de l'optique. Illusions optico-géométriques; illusion de Müller-Lyer. Votre honneur, répondit le jeune capitaine, est trompé par une illusion d'optique. Bien qu'elle semble marcher, la houle ne marche pas. C'est un balancement des molécules liquides, rien de plus (VERNE, Enf. Cap. Grant, t. 3, 1868, p. 73). L'effort d'Elstir de ne pas exposer les choses telles qu'il savait qu'elles étaient, mais selon ces illusions optiques dont notre vision première est faite, l'avait précisément amené à mettre en lumière certaines de ces lois de perspective (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 838).
Au fig. :
• 3. ... la cour est un lieu bas, fort bas, fort au-dessous du niveau de la nation. Si le contraire paraît, si chaque courtisan se croit, par sa place, et semble élevé plus ou moins, c'est erreur de la vue, ce qu'on nomme proprement illusion [it. ds le texte] optique...
COURIER, Pamphlets pol., Au Réd. « Censeur », 1820, p. 32.
♦ Illusion des amputés. Sensations tactiles, thermiques, douloureuses, fréquemment éprouvées par les amputés et faussement localisées dans le membre absent :
• 4. ... le général Gouraud promenait sa manche vide parmi les dames de l'Union des femmes de France; ces anciennes infirmières averties de cette illusion des amputés qui ne fait pas moins parler d'elle que la bille d'Aristote et les vieilles plaisanteries des opticiens, s'effaçaient pour ne pas heurter la manche vide, ce bras d'ombre...
NIZAN, Conspir., 1938, p. 27.
b) Illusion (pathologique). Forme d',,hallucination qui utiliserait comme matériau quelques éléments du réel`` (Psychol. 1969) :
• 5. [Dans certaines hallucinations,] le malade croit voir un homme derrière lui, croit voir de toutes parts autour de lui, croit pouvoir regarder par une fenêtre qui est située derrière son dos. L'illusion de voir est donc beaucoup moins la présentation d'un objet illusoire que le déploiement et comme l'affolement d'une puissance visuelle désormais sans contre-partie sensorielle.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 392.
♦ Illusion de fausse reconnaissance, illusion du déjà vu, illusion de la mémoire. Trouble de la mémoire dans lequel le malade ressent comme déjà éprouvée une situation en réalité nouvelle ou dans lequel il ,,prend des faits rêvés, lus ou entendus comme effectivement vécus`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Si la réponse [aux exigences du présent] fléchit ou se fait attendre, c'est alors que se forme, en pellicule de l'actuel, l'illusion du « déjà vu » ou plus exactement du « déjà vécu ». Janet l'appelle plus justement peut-être un « sentiment de non-présence ». À sa limite morbide, il aboutit aux sentiments d'irréalité, de vide, de négation de soi (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 316).
2. TEXT. Tulle(-)illusion. V. tulle.
B. — [Comme principe d'erreur dans le domaine intellectuel et affectif]
1. Croyance ou conception erronée procédant d'un jugement ou d'un raisonnement faux (dû à l'ignorance ou à l'imagination). Quant à la question de la médecine artistique, elle est une pure illusion fondée sur une idée fausse (BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 48). L'opposition du sentiment et de la pensée a donc pour effet de susciter une véritable illusion philosophique, en scindant la vie organique de l'esprit en deux substances isolées et ennemies (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 88) :
• 6. Il est évident que mécanicisme et vitalisme doivent être rejetés au même titre que tout autre système. Il faut nous libérer en même temps de la masse des illusions, des erreurs, des observations mal faites, des faux problèmes poursuivis par les faibles d'esprit de la science, des pseudo-découvertes des charlatans, des savants célébrés par la presse quotidienne.
CARREL, L'Homme, 1935, p. 39.
SYNT. Illusion collective, commune, générale, individuelle; illusion inconsciente, volontaire; illusions humaines, populaires, modernes; illusions dangereuses, fâcheuses, funestes, trompeuses; illusion de la conscience, de l'esprit, de l'imagination, de l'intelligence, de la pensée, de la raison; l'illusion mathématique, mécanistique, métaphysique, rationaliste, matérialiste; l'illusion libérale, républicaine; l'illusion de la science, des chiffres, de la démocratie.
♦ ÉCON. Illusion monétaire. Phénomène par lequel des individus sont portés à surestimer leur revenu réel dont ils apprécient de façon erronée l'évolution en la confondant avec celle de leurs revenus nominaux, sans tenir compte de la hausse des prix. Cette inconscience est d'autant plus grande que le taux d'inflation est faible (de 1 à 3 %). L'inflation lente ou rampante crée donc une illusion monétaire qui a pu être considérée comme un moyen d'accroître la propension à épargner et l'incitation à investir (COTTA 1972).
— [Avec accentuation de la composante affective] Croyance erronée, idée vaine dont le caractère séduisant abuse l'esprit et le cœur. L'âme caresse l'illusion de l'infini; comment? En évitant le fini. Mauvais moyen, pauvre stratagème; ruse instinctive du cœur qui désire s'abuser (AMIEL, Journal, 1866, p. 237). Pureté et tendresse, pourquoi vous avoir séparées? Nous ne voulons renoncer ni à la pureté, ni à la tendresse : est-ce une vérité retrouvée ou une illusion que l'enfant Mozart nous impose? (MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 131) :
• 7. Et sans doute c'était une grande tentation que de recréer la vraie vie, de rajeunir les impressions. Mais il y fallait du courage de tout genre, et même sentimental. Car c'était avant tout abroger ses plus chères illusions, cesser de croire à l'objectivité de ce qu'on a élaboré soi-même, et, au lieu de se bercer une centième fois de ces mots : « Elle était bien gentille », lire au travers : « J'avais du plaisir à l'embrasser ».
PROUST, Temps retr., 1922, p. 896.
SYNT. Douce, folle, grande illusion; illusion consolante, rassurante; illusions charmantes, ravissantes, séduisantes; une illusion amoureuse, enchanteresse, voluptueuse; les illusions de la jeunesse, de la vie; les illusions de l'amour, de l'amitié, de l'amour-propre, de la vanité; les illusions de l'espérance; les illusions du langage; une illusion de liberté, l'illusion de la liberté; avoir, se faire une (des) illusion(s); avoir, se donner l'illusion de (faire qqc.); ne pas avoir, ne pas se faire d'illusion; être sans illusion; entretenir, nourrir une illusion; jouir d'une illusion; se bercer, se payer, se repaître d'illusions; détruire, dissiper les illusions; garder, perdre ses illusions.
2. P. méton.
a) Caractère trompeur d'une chose. Voulez-vous encore vous convaincre davantage de l'illusion de ces préceptes? (CHATEAUBR., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 96).
b) Artifice (dû à une puissance magique, au démon) qui séduit et trompe. Méphistophélès dans les longs habits de Faust : Méprise bien la raison et la science, suprême force de l'humanité. Laisse-toi désarmer par les illusions et les prestiges de l'esprit malin (NERVAL, Sec. Faust, 1840, 1re part., p. 76).
c) Ce qui est l'objet d'une croyance ou d'une conception erronée; chose à laquelle l'esprit prête abusivement une existence ou une valeur réelle. Ne regrettez jamais un monde dont les biens ne sont qu'illusions, les grandeurs que songes, et les plaisirs qu'impostures (COTTIN, Mathilde, t. 1, 1805, p. 175). Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n'y eut d'orthographe positive, et qu'il ne saurait y en avoir. Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion (FLAUB., Bouvard, t. 2, 1880, p. 16).
3. Acte de l'esprit qui s'abuse ou se laisse abuser par des idées fausses, des conceptions chimériques et séduisantes; état qui en résulte. Besoin, capacité, faculté, force, pouvoir d'illusion; les douceurs, le pouvoir de l'illusion; tomber, vivre dans l'illusion. Il est vrai que certains ont pu céder à l'illusion ou au découragement quand le désastre et le mensonge avaient submergé notre pays (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 405) :
• 8. Une fois que dans le malheur un homme peut se faire un roman d'espérance par une suite de raisonnements plus ou moins justes avec lesquels il bourre son oreiller pour y reposer sa tête, il est souvent sauvé. Beaucoup de gens ont pris la confiance que donne l'illusion pour de l'énergie. Peut-être l'espoir est-il la moitié du courage, aussi la religion catholique en a-t-elle fait une vertu.
BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 247.
— Locutions
♦ Faire illusion. Tromper en se présentant ou en présentant quelque chose sous une apparence flatteuse qui ne correspond pas à la réalité. Faire illusion à qqn; faire illusion sur qqc. [Un] style de journal qui veut faire illusion sur la pensée nulle ou puérile par l'insolite du style (STENDHAL, H. Brulard, t. 2, 1836, p. 403). Donner continuellement le change, n'être jamais soi, faire illusion, c'est une fatigue (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 212) :
• 9. Dans les premiers temps de leur mariage, Ferdinand lui avait fait illusion. Il perdait alors sa virginité et s'employait avec une ardeur d'assez bon augure.
AYMÉ, Jument, 1933, p. 186.
♦ Se faire illusion. S'abuser, se tromper en s'imaginant ou en imaginant quelque chose ou quelqu'un sous un jour flatteur ou trop favorable. Se faire illusion à soi-même; se faire illusion sur qqc., sur qqn. Pour me faire illusion à moi-même sur mes motifs et m'en déguiser honnêtement le caprice déréglé (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 1, 1834, p. 35). Il ne faut pourtant pas se faire illusion : les armées cédèrent aussi à l'impulsion de leurs chefs (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 491).
— En partic. [Dans certaines philosophies et chez certains mystiques] L'ensemble des phénomènes du monde sensible et temporel qui cachent la réalité absolue, l'essence des choses, le spirituel. L'universelle illusion; l'illusion éternelle, perpétuelle; l'illusion du monde, de la vie. Notre meilleure espérance est en Dieu. Je le crois, je le sens par expérience, et que tout est illusion dans la vie, et cependant je ne sens pas cette consolation de la piété (E. DE GUÉRIN, Journal, 1839, p. 262).
♦ [Dans la religion brahmanique] Principe divin identifié à ces apparences trompeuses et désigné sous le nom de . Il faudra, si on n'a pas obtenu et conquis le nirwana, revenir de nouveau dans le monde, et être encore la proie de l'illusion (LEROUX, Humanité, t. 2, 1840, p. 447) :
• 10. Là comme ailleurs il est possible que nous soyons l'objet d'une vaste illusion, cette illusion toute puissante que les Hindous appellent Maya et dont certains pensent qu'elle est la récréation des dieux. Il n'y a de vérité ni d'absolu que dans l'invisible.
GREEN, Journal, 1941, p. 61.
• 11. Pour l'Inde, pour l'Extrême-Orient, l'apparence a été l'illusion, c'est-à-dire le mal, non au sens chrétien mais au sens métaphysique. L'art fut alors conquis sur le mensonge du cosmos.
MALRAUX, Voix sil., 1951, p. 590.
C. — [Comme effet de la création et principe de représentation dans les arts] Phénomène par lequel un acteur ou un créateur, à l'aide des techniques diverses de son art, reconstruit une certaine réalité qu'il tend à imiter ou qu'il transforme et transpose, et suscite l'adhésion du spectateur, de l'auditeur ou du lecteur en lui donnant le sentiment du vrai. Créer, obtenir, produire l'illusion; détruire l'illusion, nuire à l'illusion; illusion complète, parfaite; l'illusion de la réalité, du réel, du vrai. La vérité de l'art n'est pas celle de la nature. Le bouffon devait donner mieux que le cochon l'illusion d'un cochon (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 148) :
• 12. L'art (...) rétablit le jeu des fils de la Providence sous les marionnettes humaines, revêt le tout d'une forme poétique et naturelle à la fois, et lui donne cette vie de vérité et de saillie qui enfante l'illusion...
HUGO, Préf. Cromw., 1827, p. 29.
— Effet obtenu par un prestidigitateur, un illusionniste qui, à l'aide de procédés techniques et psychologiques, parvient à offrir au spectateur une vision de l'insolite. Palais des illusions; « l'Illusion comique » (comédie de Corneille). La mimicry est invention incessante. La règle du jeu est unique : elle consiste pour l'acteur à fasciner le spectateur, en évitant qu'une faute conduise celui-ci à refuser l'illusion; elle consiste pour le spectateur à se prêter à l'illusion sans récuser de prime abord le décor, le masque, l'artifice auquel on l'invite à ajouter foi, pour un temps donné, comme à un réel plus réel que le réel (Jeux et sports, 1967, p. 1023).
♦ P. méton. Tour exécuté par le prestidigitateur. Le tour du manguier qui pousse à vue d'œil. Cette illusion remonte à des temps très anciens (Jeux et sports, 1967, p. 1036).
— Dans le domaine des BEAUX-ARTS. L'illusion de la vie s'obtient dans notre art par le bon modelé et par le mouvement (RODIN, Art, 1911, p. 72) :
• 13. Il [Leonard de Vinci] a le secret de composer des êtres fantastiques dont l'existence devient probable (...). Il fait un christ, un ange, un monstre en prenant ce qui est connu, ce qui est partout, dans un ordre nouveau, en profitant de l'illusion et de l'abstraction de la peinture, laquelle ne produit qu'une seule qualité des choses, et les évoque toutes.
VALÉRY, Variété [1], 1924, p. 250.
— Dans le domaine du théâtre, de la musique, de la littérature. L'illusion scénique, romanesque. Les étrangers font consister cette illusion [l'illusion théâtrale] dans la peinture des caractères, dans la vérité du langage et dans l'exacte observation des mœurs du siècle et du pays qu'on veut peindre (STAËL, Allemagne, t. 2, 1810, p. 245). La musique seule échappe aux dangers de l'analyse et donne l'illusion de l'absolu en exprimant les idées les plus vagues sous la forme mathématique (FAURE, Hist. art, 1914, p. 517) :
• 14. Le théâtre ne pourra redevenir lui-même, c'est-à-dire constituer un moyen d'illusion vraie, qu'en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur. En d'autres termes, le théâtre doit poursuivre, par tous les moyens, une remise en cause non seulement de tous les aspects du monde objectif et descriptif externe, mais du monde interne, c'est-à-dire de l'homme, considéré métaphysiquement.
ARTAUD, Théâtre et son double, 1938, p. 109.
REM. Illusionnaire, adj. Qui tient de l'illusion. Synon. illusoire. Tout libéralisme est faux et illusionnaire (FOURIER, Nouv. monde industr., 1830, p. 76).
Prononc. et Orth. : [il(l)]. PASSY 1914 [-y:-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1re moitié XIIe s. « moquerie, risée; objet de risée » (Ps. Oxford, 78, 4 ds T.-L.); 2. ca 1223 « fausse apparence, représentation trompeuse, mirage » (G. DE COINCI, éd. F. Koenig, 2 Mir. 9, 2281); 3. 1611 « trucage, tour de passe-passe » (COTGR.), cf. FUR. 1690 : l'optique fait paroistre aux yeux mille agréables illusions dans les lunettes polyedres; 1765 domaine de l'art dram. (Encyclop.). Empr. au lat. illusio « ironie, terme de rhét. » à l'époque class.; « moquerie, raillerie, objet de dérision; illusion, tromperie, erreur des sens; mirage, déception, illusion nocturne » dans la lang. chrétienne. Fréq. abs. littér. : 5 304. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 7 689, b) 5 977; XXe s. : a) 7 075, b) 8 538. Bbg. GOHIN 1903, p. 336. - QUEM. DDL t. 8, 16.
illusion [i(l)lyzjɔ̃] n. f.
ÉTYM. Déb. XIIIe; illusiun « moquerie », v. 1120; lat. illusio, de illusum, supin de illudere « se jouer, se moquer de », de il- (→ 1. In-), et ludere « jouer ». → Ludique.
❖
———
1 Erreur de perception causée par une fausse apparence (⇒ Aberration, erreur [1., 2.], leurre). || Les illusions des sens, que les sens produisent. || L'illusion de qqch., que qqch. est visible, perçu, présent (→ Aspect, cit. 33). || Avoir un instant l'illusion de… || Une illusion de chaleur, de fraîcheur (→ Bruissement, cit. 3). — Être le jouet d'une illusion, d'illusions (→ Erreur, cit. 38). — Produire, causer une illusion. || Donner l'illusion de la vie (→ Agencement, cit. 4). || Donner l'illusion de qqch., par une habile simulation, par l'imitation.
1 (…) ses yeux (d'un pendu), tout grands ouverts avec une fixité effrayante, me causèrent d'abord l'illusion de la vie.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXX.
2 (…) les marionnettes de Pothin devaient être sculptées, machinées, peintes et vêtues de manière à produire une illusion complète (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, p. 220.
3 (…) sachant imiter jusqu'à l'illusion le chant de tous les oiseaux (…)
J. Bédier, Tristan et Iseut, Préface, p. VII.
4 (…) des illusions, forgées par nous de toutes pièces, se défendent plus longtemps de l'invraisemblance que les illusions des sens, où le monde extérieur a sa part (…)
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 114.
♦ Peinture, décor qui donne l'illusion du relief, de la réalité (⇒ Trompe-l'œil). || L'art moderne est indifférent à l'illusion, méprise l'illusion. ⇒ Illusionnisme (2.; → Esquisse, cit. 2). — L'illusion théâtrale, scénique, par laquelle « nous attribuons une certaine réalité à ce que nous savons n'être pas vrai » (Littré). || La vraisemblance crée l'illusion du vrai.
5 L'orateur conduit la persuasion; l'illusion marche à côté du poète. L'orateur et le poète sont deux grands magiciens, qui sont quelquefois les premières dupes de leurs prestiges. Je dirai au poète dramatique : voulez-vous me faire illusion, que votre sujet soit simple, et que vos incidents ne soient point trop éloignés du cours naturel des choses ! (…)
6 On se rappelle cette admirable décoration du Juif-Errant (…) Quel style, quelle noblesse, quelle poésie et quelle illusion !
Th. Gautier, Portraits contemporains, p. 343.
2 Psychol. Interprétation erronée de la perception sensorielle de faits ou d'objets réels. || L'illusion résulte des caractères primitifs et universels de la perception, ce qui la distingue de l'erreur de perception proprement dite. || Illusion qui fait paraître brisée une droite coupée par des bandes parallèles. || Illusion stroboscopique. || Illusions visuelles, illusions tactiles, de la cénesthésie. — (1879). || Illusion des amputés (sensation localisée dans le membre perdu). — Illusions pathologiques de la vue, dans les intoxications. || Illusion de déjà-vu, de fausse reconnaissance (troubles de la mémoire). || Illusion de sosie ou de non-reconnaissance. || Illusion de jamais vu.
♦ Illusions d'optique, provenant des lois de l'optique (réfraction : illusion du bâton brisé, etc.). || Illusions optico-géométriques. — ☑ Fig. Illusion d'optique, erreur de point de vue (→ Grand, cit. 23). — Var. : illusions optiques (→ Perspective, cit. 1).
7 Il y a des illusions du toucher. L'une des plus connues est l'expérience d'Aristote : en croisant le médius et l'index et en plaçant entre les extrémités de ces deux doigts une petite boule, on croit toucher deux objets.
A. Burloud, Psychologie, XII, p. 206.
3 Apparence dépourvue de réalité (→ Écoulement, cit. 5, Pascal). || Cette oasis que vous croyez voir n'est qu'une illusion. ⇒ Mirage, vision. || Illusion trompeuse, fallacieuse. || Ce n'est pas une illusion, c'est une vérité (→ 1. Barbe, cit. 5). — Les illusions du sommeil. ⇒ Rêve, songe.
8 Je n'étais pas sûr que ce ne fût une illusion, une fantasmagorie, un rêve, ou que je n'eusse lu cela quelque part, ou même que ce ne fût une histoire composée par moi, comme je m'en suis fait bien souvent. Je craignais d'être la dupe de ma crédulité et le jouet de quelque mystification.
Th. Gautier, Mlle de Maupin, III, p. 109.
♦ Spécialt. || Illusions créées, suscitées par artifice, magie, sortilège. ⇒ Charme, enchantement, fantasmagorie, prestige. — L'illusion comique (théâtrale), comédie de Corneille.
9 Alcandre (magicien) : Je vais de ses amours Et de tous ses hasards vous faire le discours. Toutefois, si votre âme était assez hardie, Sous une illusion vous pourriez voir sa vie, Et tous ses accidents devant vous exprimés Par des spectres pareils à des corps animés (…)
Corneille, l'Illusion, I, 2.
♦ (1611, « trucage »). || Illusions produites par des tours d'adresse, des trucages (⇒ Illusionnisme, prestidigitation). || Théâtre d'illusion; palais de l'Illusion.
B Concret.
1 Pierre précieuse de très petite dimension.
2 En appos. || Tulle illusion : tulle de soie extrêmement fine, presque invisible.
9.1 Elle avait une robe de tulle illusion à mailles sur satin blanc, avec la ceinture de bleu Mademoiselle à la mode de cet hiver-là, l'hiver de 1836.
Ed. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais, p. 118.
———
II (1611).
1 Opinion fausse, croyance erronée que forme l'esprit et qui l'abuse par son caractère séduisant. ⇒ Amusement (vieilli), chimère, fantasme (ou phantasme), leurre, rêve, songe, utopie. || Les illusions de qqn, ses illusions. || Vaines, trompeuses illusions. || Agréables, douces, flatteuses illusions. || Illusions apaisantes, consolantes. || Des illusions généreuses, nobles, respectables, sublimes (→ Courage, cit. 16; erreur, cit. 5; fourberie, cit. 4). || De patriotiques illusions (→ Animer, cit. 26). || Dangereuses, coûteuses, funestes illusions. || La sincérité, la naïveté de ses illusions (→ Aléatoire, cit. 1). || Les illusions de l'artiste, de l'écrivain (→ Dada, cit. 3). || Narcisse mourut de l'illusion qui l'avait charmé (→ Amoureux, cit 9.1). — Ils croyaient s'aimer, mais l'illusion dura peu (→ Épris, cit. 17). — L'illusion de qqch., que qqch. existe. || L'illusion d'une fraternité humaine (→ Coudoiement, cit. 2). || « L'illusion des amitiés de la terre » (→ Amusement, cit. 6, Bossuet).
10 Flatteuse illusion, erreur douce et grossière (…)
Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir !
Corneille, Horace, III, 1.
11 Je serai bien aise qu'il (mon fils) vienne ici pour voir un peu par lui-même ce que c'est que l'illusion de croire avoir du bien, quand on n'a que des terres.
Mme de Sévigné, 454, 9 oct. 1675.
12 Il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité.
A. de Musset, les Caprices de Marianne, II, 6.
13 Grimm est un homme judicieux, droit, sûr, ferme, formé de bonne heure au monde, estimant peu les hommes en général, les jugeant, n'ayant rien des fausses vues et des illusions philanthropiques du temps.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 10 juin 1850.
14 Les illusions (…) sont aussi innombrables, peut-être, que les rapports des hommes entre eux, ou des hommes avec les choses. Et quand l'illusion disparaît, c'est-à-dire quand nous voyons l'être ou le fait tel qu'il existe en dehors de nous, nous éprouvons un bizarre sentiment, compliqué moitié de regret pour le fantôme disparu, moitié de surprise agréable devant la nouveauté, devant le fait réel.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXX.
15 Nous sommes les jouets éternels d'illusions stupides et charmantes toujours renouvelées.
Maupassant, les Sœurs Rondoli, Suicides, p. 261.
16 Cette illusion, lorsqu'elle entraînera tout le reste, c'est elle qui fera d'une utopie la réalité.
Gide, Pages de journal 1929-32, p. 172.
17 (…) cet orgueil, ils le tiraient de l'illusion de leur puissance.
Saint-Exupéry, Terre des hommes, p. 101.
18 Ne nous étonnons pas que les illusions de l'esprit soient plus difficiles à réduire que les autres : elles ne sont même pas aperçues.
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, III, p. 110.
19 Se marier… Voilà qui répondait tout à fait au désir de Byron lui-même. Il croyait au mariage. C'était sa dernière illusion.
A. Maurois, la Vie de Byron, II, XVI.
♦ Les illusions de la jeunesse, que cause la jeunesse; ou propres à la jeunesse (→ Assagir, cit. 2; 1. feu, cit. 30). || Les illusions de l'amour.
20 Mme de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. Auprès d'elle, je n'ai pas besoin de jouir pour être heureux.
Laclos, les Liaisons dangereuses, VI.
♦ S'aveugler, s'éblouir (cit. 18) d'une illusion; se complaire (cit. 7) dans une illusion. || Caresser, goûter (cit. 7) une illusion. || Vivre enveloppé (cit. 16) d'un voile d'illusions. — Donner à qqn l'illusion de… (→ Enfiévrer, cit. 4). || Flatter (cit. 28), nourrir une illusion (→ Empire, cit. 7). || Entretenir (cit. 11) qqn dans une illusion. || Bercer quelqu'un d'illusions (⇒ Endormir).
21 Quelque neuf que je fusse en 1821 (j'avais toujours vécu dans les illusions de l'enthousiasme et des passions)…
Stendhal, Souvenirs d'égotisme, p. 46.
22 L'âme a des illusions comme l'oiseau a des ailes; c'est ce qui la soutient.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, Tas de pierres, VI.
23 (…) mais l'univers ne connaît pas le découragement; il recommencera sans fin l'œuvre avortée; chaque échec le laisse jeune, alerte, plein d'illusions.
Renan, Souvenirs d'enfance…, Préface, p. 19.
23.1 Il faut avoir de grosses illusions bien grasses : on a moins de peine à les nourrir.
J. Renard, Journal, 6 sept. 1893.
♦ Les illusions fuient, s'envolent, se dissipent (cit. 22). || Détruire, dissiper les illusions de qqn (⇒ Dégriser, désenivrer). || Dépouiller qqn de ses illusions (→ Demander, cit. 31). || Dire adieu (cit. 12) à ses illusions, perdre ses illusions au sujet de qqn (→ Élémentaire, cit. 2). || Ses illusions sont tombées, se sont écroulées, effondrées. || Cela ne lui laisse aucune illusion; il n'a plus d'illusions. ⇒ Blasé, désillusionné (→ Émigration, cit. 3). — ☑ Sans illusions. || Être sans illusions. || Regarder la vie en face, sans illusions (→ Évoluer, cit. 4). (En fonction d'adj.). || Un homme sans illusions. — Illusions perdues, roman de Balzac.
24 On ne peut y vivre (dans le monde) qu'avec des illusions; et, dès qu'on a un peu vécu, toutes les illusions s'envolent.
Voltaire, Correspondance, Lettre à Mme du Deffand, 2 juil. 1754.
25 Les illusions tombent l'une après l'autre, comme les écorces d'un fruit, et le fruit, c'est l'expérience.
Nerval, les Filles du feu, Sylvie, XIV.
26 (…) quelle abondance d'illusions ! Il n'en restait plus maintenant !
Flaubert, Mme Bovary, II, X.
27 (…) il était conscient de ce qu'il y a de stérile dans une vie sans illusions.
Camus, la Peste, p. 318.
♦ ☑ Loc. Se faire des illusions. ⇒ Idée (se faire des idées), imagination; abuser (s'), aveugler (s'), flatter (se), illusionner (s'), leurrer (se). → Illusionniste, cit. 1. Abrév. fam. (1947, Genet) : illuse(s). || Vous vous imaginez qu'il va tenir ses promesses; vous vous faites des illusions ! || Ne pas se faire d'illusions : voir les choses en face (→ Handicaper, cit. 2). — Se faire des illusions sur soi-même.
28 (Gluck) ne jouait pas l'idéaliste. Il ne se faisait d'illusion ni sur les hommes ni sur les choses.
R. Rolland, Musiciens d'autrefois, p. 227.
♦ Écon. || L'illusion monétaire : surestimation du revenu par négligence des effets de l'inflation.
2 Absolt. || L'illusion, considérée comme une entité active. || La puissance, le pouvoir de l'illusion. || Les mirages de l'illusion (→ Attrayant, cit. 4). || L'homme a besoin de l'illusion; se nourrit, vit de l'illusion.
29 L'illusion féconde habite dans mon sein.D'une prison sur moi les murs pèsent en vain,J'ai les ailes de l'espérance.
André Chénier, Odes, II, XIV, La jeune captive.
30 Sans l'illusion, où irions-nous ? Elle donne la puissance de manger la vache enragée des Arts, de dévorer les commencements de toute science en nous donnant la croyance. L'illusion est une foi démesurée !
Balzac, les Employés, Pl., t. VI, p. 912.
31 À cette heure, l'illusion règne despotiquement, peut-être se lève-t-elle avec la nuit ! l'illusion n'est-elle pas pour la pensée une espèce de nuit que nous meublons de songes ? L'illusion déploie alors ses ailes elle emporte l'âme dans le monde des fantaisies, monde fertile en voluptueux caprices et où l'artiste oublie le monde positif, la veille et le lendemain, l'avenir, tout jusqu'à ses misères, les bonnes comme les mauvaises.
Balzac, la Bourse, Pl., t. I, p. 328.
32 (…) l'illusion est le pain du songe (…)
Hugo, l'Homme qui rit, II, II, VII.
33 (…) le désir embellit les objets sur lesquels il pose ses ailes de feu (…) sa satisfaction, décevante le plus souvent, est la ruine de l'illusion, seul vrai bien des hommes; elle tue le désir, qui fait seul le charme de la vie.
France, la Vie en fleur, XXI, p. 241.
34 La forme que revêt l'illusion importe peu. Mais il faut l'illusion, il faut cette ivresse légère et permanente qui rend possible une vie même empoisonnée par tous les périls et toutes les erreurs.
G. Duhamel, Récits des temps de guerre, IV, XLII, p. 155.
♦ L'illusion, effet des passions. ⇒ Aveuglement (cit. 11; → Égarer, cit. 7).
35 L'amour n'est qu'illusion; il se fait, pour ainsi dire, un autre univers; il s'entoure d'objets qui ne sont point, ou auxquels lui seul a donné l'être, et comme il rend tous ces sentiments en images, son langage est toujours figuré.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Entretien sur les romans, p. XI.
36 (…) ôter l'illusion à l'amour, c'est lui ôter l'aliment.
Hugo, l'Homme qui rit, II, II, VII.
♦ Le monde, la vie n'est qu'illusion. ⇒ Irréel, rêve, songe. || La gloire n'est qu'illusion. || Illusion que tout cela ! ⇒ Fumée (fig.), vanité.
37 J'ai deviné que les êtres n'étaient que des images changeantes dans l'universelle illusion, et j'ai été dès lors enclin à la tristesse, à la douceur et à la pitié.
France, le Livre de mon ami, II, X.
♦ ☑ Faire illusion : duper, tromper, en donnant de la réalité une apparence flatteuse, avantageuse. ⇒ Flatter (→ Avoué, cit. 2; homme, cit. 93). || Il cherche à faire illusion. ⇒ Imposer (en); bluff. || Ce livre peut faire illusion à première lecture, mais il n'a pas grande valeur. — Se faire illusion à soi-même. ⇒ Abuser (s'), illusionner (s'). → Génie, cit. 32.
38 (…) rien ne sert de rêver, si ce n'est à se faire illusion à soi-même.
REM. Faire illusion, ne s'emploie plus guère au sens concret (→ ci-dessus, cit. 5 [avec un compl. en à; vx] faire illusion à qqn).
❖
CONTR. Certitude, réalité, réel, vérité. — Déception, désillusion (cit.).
DÉR. Illusionnel, illusionner.
COMP. Désillusion.
Encyclopédie Universelle. 2012.