IRAK
Les structures géologiques qui, d’une certaine manière, dessinent d’avance la biographie des peuples révèlent qu’entre l’Europe et l’Extrême-Orient les liaisons n’ont pu se faire aisément que dans la direction sud-est - nord-ouest (et réciproquement), c’est-à-dire précisément suivant l’orientation du Tigre et de l’Euphrate, les fleuves jumeaux de la Mésopotamie. C’est par le golfe Persique et la mer Rouge, bien mieux que par les routes de l’Iran barrées de montagnes et de zones désertiques, que communiquent les deux mondes, méditerranéen et indien. Golfe de Suez et bouches du Sha al-‘Arab sont ainsi des points stratégiques essentiels où confluent les courants continus d’une civilisation et d’une communauté indo-européennes ayant le monde arabe pour trait d’union. Le destin irakien doit être apprécié à sa juste valeur par référence à cette géométrie politique. Un survol attentif des siècles confirme que les rapports fondamentaux qui ont régi la politique des pharaons et des Babyloniens, tant entre eux qu’à l’égard des autres nations, demeurent ceux que connaît la diplomatie contemporaine. Le Caire et Bagdad reflètent et perpétuent le destin de Memphis et de Babylone.
Mais, alors que l’Égypte, à l’écart des trajectoires hostiles, n’était menacée somme toute qu’à l’embouchure du Nil et aux portes du Sinaï, l’Irak s’est trouvé immédiatement visé sur toute l’étendue de son territoire, étant donné sa position idéale entre la Méditerranée et le golfe Persique, le niveau très accessible de ses plaines à moins de 200 m d’altitude, l’utilité et l’attrait de ses fleuves en pleine zone de la soif. Les pouvoirs politiques indigènes y furent donc assiégés par l’étranger dès les premiers âges. Tant que les courants de transaction allaient d’est en ouest, le pays était balayé par des invasions asiatiques; quand ces courants s’inversaient, l’Europe y pénétrait d’ouest en est au fil des fleuves. Bien que ce double courant ait déposé en ces lieux des éléments hétérogènes qui donnent au pays son caractère complexe et inquiet, il est remarquable que soit demeurée, accrochée au vieux socle sumérien, une tradition qui se retrouve à peu près intacte dans les masses rurales qui constituent le pays profond.
Le pays profond appartient culturellement à l’univers sémitique araméen limité au nord par les montagnes d’Arménie, au sud par le détroit de Bab al-Mandeb. Berceau du monothéisme, de la méditation sumérienne, qui fut à la source des deux Testaments et de l’islam, l’Irak est un condensé sociologique et spirituel de haute valeur symbolisé par l’alpha du Déluge et l’oméga de la Révélation. Là furent conçues les spéculations algébrico-astronomiques de la pensée; là fut codifiée à partir d’Hammourabi la loi des cités; là furent définies les saisons, délimités dans le zodiaque les espaces du ciel, fondés l’agriculture, la monarchie, les rites commerciaux, découvertes les équations sur lesquelles allaient s’édifier, à partir de la voûte, l’architecture monumentale de l’Égypte et de la Grèce. Dès le IIIe millénaire avant notre ère, Our, capitale d’Abraham, entourée d’un essaim de communes agricoles, avait atteint la gloire. La splendide Babylone en hérita.
Tel était le pays qui eut à subir d’abord les invasions asiatiques. Cyrus le Perse l’occupa en 539 avant J.-C.; malgré le court intermède occidental des Séleucides, successeurs d’Alexandre le Grand, suivis eux-mêmes des Romains, la prépondérance asiatique se maintint durant près de mille ans avec les dynasties arsacides et sassanides dont la capitale Ctésiphon a pris la relève de Babylone. Les Arabes s’y installèrent en l’an 634 de notre ère, non point en conquérants, mais en parents sémitiques, et les califes ‘abb sides y déployèrent trois siècles au moins de brillante civilisation; puis, en 1258, les Mongols incendièrent Bagdad; en 1534, les Ottomans s’y installèrent et y demeurèrent jusqu’en 1920, date à laquelle l’Irak libéré des Turcs est passé sous l’allégeance britannique. Il lui faudra quelque quarante ans de négociations, de crises et de conflits pour progresser de l’indépendance nominale à une liberté politique réelle dont la révolution du 14 juillet 1958 fut le signal, sinon encore l’accomplissement.
Il est vrai que la découverte relativement récente d’importants gisements, de pétrole et de soufre notamment, ont attiré sur l’Irak l’attention des nations industrielles qui ont eu parfois tendance à réduire le pays à l’expression d’un pur et simple «espace économique», alors qu’il se veut une «société politique» qui tente de se dégager un avenir conforme à un destin dont l’antiquité n’a pas effacé la nostalgie. En cela, l’Irak ne fait que vivre un drame propre à l’évolution contrastée des temps modernes. On y parle beaucoup de «révolution», terme qui désigne sans doute, ici comme ailleurs, le désir d’un peuple de ne pas s’oublier, de remonter au contraire aux sources originelles dont il est issu. La conscience de ce qu’il fut amène l’Irak à s’engager dans une véritable reconquête de soi dont les phases, pour confuses qu’elles paraissent, ne doivent pas faire perdre de vue la lumière directrice.
1. Le cadre naturel
La terre et l’eau
D’une superficie de 438 446 kilomètres carrés, l’Irak (en arabe ‘Ir q) est essentiellement constitué d’un large couloir alluvionnaire de strates pléistocènes encaissé entre les massifs montagneux irano-anatoliens (au nord et à l’est) culminant au mont Rost-Hazaret (3 607 m) dans le liw ’ d’Erbil et au Pira Magrun (2 620 m) et un plateau désertique de 200 à 1 000 mètres s’élevant en pente douce de la rive occidentale, de l’Euphrate à la Syrie. La partie fertile de ce couloir, ne dépassant nulle part 100 à 150 kilomètres de largeur, gagne régulièrement sur la mer par les dépôts du Tigre et de l’Euphrate dont les embouchures se perdent dans une zone amphibie et lagunaire particulièrement défavorable à des installations portuaires. Depuis le IIIe millénaire avant notre ère, le rivage aurait avancé de quelque 200 km.
Les deux fleuves maintiennent imprégnée d’une eau souterraine (ou affleurant en marais et en lacs) toute cette plaine constituée d’alluvions quaternaires, de limons calcaires et argileux atteignant 100 m de profondeur à Bagdad et 400 m à Basrah (ou Bassora, arabe al-Ba ルra). L’Euphrate, long de 2 330 km dont 1 200 en Irak, prend sa source en Turquie; il a un débit moyen de 837 m3/s qui passe à 5 200 m3/s en période de crue. Le Tigre, long de 1 718 km dont 1 419 en Irak, naît également en Turquie; il est grossi de cinq affluents, tous en territoire irakien, le Kh b r, le grand Z b (392 km), le petit Z b (400 km), le ‘A ワaim et la Diy l (386 km); d’un débit moyen de 1 400 m3/s, il atteint jusqu’à 13 000 m3. Lorsque les crues des deux fleuves se combinent, les inondations sont désastreuses; celles de 1954 ont failli emporter Bagdad; déjà les chroniques babyloniennes et sassanides faisaient état de déluges accompagnés d’inondations, qui ont été suivis de l’émigration des populations rurales. Les eaux du Tigre et de l’Euphrate, réunies exactement à Garmat ‘Al 稜, non loin de Kurna, forment une large voie d’eau, le Chatt al-Arab (Sha al-‘Arab), longue de 180 km, aboutissant à Fao; sur son cours le port de Basrah, la «Venise de l’Orient», à quelque 150 km à l’intérieur des terres, accueille les navires de haute mer, tandis que les fortes marées du golfe, en refoulant l’eau douce des deux fleuves à la façon d’une pompe naturelle, fertilisent la plus grande palmeraie du monde (trois quarts des plantations mondiales).
À ces réserves d’eau douce il faut ajouter le lac ネabb niyya, d’une capacité de trois milliards de mètres cubes, le réservoir du barrage de Dokan (6 milliards de mètres cubes), le réservoir de Derbendi-Kh n (3,5 milliards), la dépression de Tharth r (58 milliards), la dépression de Dibis (10 milliards). Un système d’une douzaine de barrages et régulateurs – dont le premier, celui de Hindiya, a été construit en 1913 – protège le pays des inondations et assure théoriquement les moyens d’irriguer environ 5 millions d’hectares supplémentaires.
Mais le sol irakien souffre d’un double défaut: la forte densité de calcaire (12 à 14 p. 100 contre 2 à 4 p. 100 en Égypte) qui le rend compact; la proportion des sels minéraux (0,9 à 7,3 p. 100) qui l’empoisonnent. Dissous dans la nappe phréatique, les sels montent par capillarité et se déposent en croûtes salines qui interdisent toute culture. Les Babyloniens connaissaient déjà cette calamité qui avait entraîné un nomadisme agraire. La science moderne n’a pas encore trouvé à de tels maux des remèdes sérieux, si bien que la terre irakienne reste en péril.
La pluviosité est réduite et fort irrégulière: 336 mm à Bagdad en 1957; 78,4 mm en 1960; 129 mm en 1966. À Mossoul, les mêmes années, les quantités étaient respectivement de 459, 315 et 294 mm. Les saisons se réduisent pratiquement à deux; l’été (al- ルa face="EU Updot" 冷f 稜 ) de mai à novembre et l’hiver (al-shitu 稜 ) de la mi-novembre à la mi-avril; c’est en hiver seulement que la pluie tombe, sous forme d’orages brusques crevant en cataractes capables de rendre impraticables les rues des villes.
Les vents et les températures
La Mésopotamie constitue de manière permanente une zone de basse pression entre les massifs turco-iraniens du Zagros et les déserts syro-jordaniens. La turbulence y est quasi permanente; il est peu de journées vraiment calmes. Vents et poussières perturbent en toutes saisons la navigation fluviale ou aérienne. Les températures sont de type continental: élevées l’été, basses l’hiver. Les températures d’août sont de l’ordre de 40 à 50 degrés à l’ombre (le maximum 55 0C aurait été relevé à Chaïba, près de Basrah, au mois d’août, mais à S marr la température n’est guère plus agréable); il est vrai que le faible degré hygrométrique (moins de 50 p. 100 à Bagdad, entre 55 et 62 p. 100 à Basrah) rend la chaleur supportable. L’hiver est sévère; à Mossoul le zéro est atteint fréquemment; dans la montagne, le thermomètre descend jusqu’à 漣 17. Quelle que soit l’époque, dans le désert, les écarts de température entre le jour et la nuit surprennent. L’étroit espace laissé au printemps entre les deux saisons de l’été et de l’hiver lui donne une beauté impétueuse, inconnue en Occident.
La flore et la faune
Les forêts, réduites à une superficie de 17 776 km2, sont confinées aux zones montagneuses de Mossoul, Erbil, Sulaym niyya et Kirk k. Chênes, peupliers et pins en sont les principales essences ainsi que les mélèzes et les hêtres, avec çà et là des noyers, des pommiers et des cerisiers sauvages. Le tamaris prospère en plaine avec le sycomore. Mais l’ensemble du pays offre un aspect steppique.
Les animaux abondent. Si les fauves ont disparu, lynx, hyènes, chats sauvages, loups et chacals peuplent tant la plaine que la montagne. ‘Am diya, dans la province kurde, est encore un marché de fourrures et abrite quelques familles de trappeurs. La gazelle, la gerboise et le lézard des sables se rencontrent en abondance. Les parcours de chasse sont particulièrement giboyeux en sangliers, lièvres et francolins. Mais l’Irak est surtout riche en oiseaux; patrie de la tourterelle chère à Ishtar, l’Aphrodite babylonienne, l’Irak est envahi par les colombes, les martins-pêcheurs, les échassiers, les canards, les huppes, les coqs des sables, les sarcelles, les rapaces, tels le milan, le busard, l’épervier et, le plus beau de tous, le grand aigle blanc chasseur et nettoyeur des déserts.
2. Une mosaïque de peuples et de religions
La population
Suivant le recensement officiel de 1987, la population de l’Irak est chiffrée à 16 335 200 habitants, soit une densité moyenne de 37,6 habitants au kilomètre carré. Les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes, dans une proportion de 107 pour 100. C’est le gouvernorat de Bagdad qui est le plus peuplé. L’accroissement de la société urbaine (70 p. 100), au détriment de la société rurale est d’ailleurs continu, les autres grandes métropoles irakiennes étant, au sud, Bassorah (915 000 hab.), au nord, Mossoul (900 000 hab.), Ninive (750 000 hab.) et Kirkouk (500 000 hab.). Par rapport au recensement de 1957, on constate un taux moyen annuel d’accroissement de 37 p. 1 000. En 1977, il a été de 5,8 p. 100. Par groupe d’âge, les moins de 20 ans représentent 58,7 p. 100 de la population, et les plus de 60 ans 5,1 p. 100. Suivant une estimation datant de 1976, la population active s’élève à 26 p. 100 de la population et est répartie de la manière suivante: 53 p. 100 dans l’agriculture, 7,8 p. 100 dans l’industrie, 21,5 p. 100 dans les services, 12,1 p. 100 dans la distribution, 4 p. 100 dans la construction et le bâtiment, 1,6 p. 100 dans les mines, le gaz, l’eau. La division sociale traditionnelle entre nomades et sédentaires s’est presque totalement estompée à la suite de la disparition numérique des premiers – lesquels ne représentent plus, avec les bédouins, que 0,8 p. 100 –, et de la politique de sédentarisation activement menée par les autorités. Cependant, il existe encore quelques tribus de «grands nomades» qui ignorent toujours les frontières. La zone neutre administrée conjointement par l’Irak et l’Arabie Saoudite a pour but de faciliter leurs migrations saisonnières.
Les Arabes et les Kurdes
Les conquêtes, les migrations, les conversions et les schismes ont fait de l’Irak une extraordinaire mosaïque de peuples, de langues et de religions. Ces particularismes, qui s’interpénètrent, compliquent une situation peu ordinaire pour un esprit occidental, mais assez courante dans le monde arabe. L’importance de ces facteurs a été volontairement réduite par tous les pouvoirs qui se sont succédé en Irak, au nom d’une unité nationale qu’il a fallu bien souvent imposer par la force.
La population irakienne est composée d’une majorité de Sémites (80 p. 100) de race blanche et de type méditerranéen, encore pure dans quelques tribus nomades du Sud-Ouest. Dans la Mésopotamie, autour du Tigre et de l’Euphrate, les populations, fortement mêlées d’Arménoïdes, ne sont plus homogènes. Dans le Nord montagneux, mieux protégé, les éléments arménoïdes turcs et indo-européens – les Kurdes – prédominent en ayant sauvegardé leur caractère propre. La langue pratiquée par la très grande majorité est l’arabe, mais diverses minorités, dont la kurde, conservent l’usage de leur propre langue. La Constitution reconnaît d’ailleurs ces particularismes: le kurde est la deuxième langue officielle, tandis que le turcoman et le syriaque sont enseignés et utilisés dans les publications à l’usage de ces groupes.
La majorité des Irakiens sont des Arabes (plus de 70 p. 100). Originaires des déserts d’Arabie et de Syrie, ils sont apparus en Mésopotamie dès le IIIe millénaire. Leur sédentarisation n’a pas totalement effacé leur sentiment d’appartenir à une tribu ou à un clan. Il arrive que quelques grandes familles se reconnaissent autour d’un nom qui est parfois aussi celui de leur village: ainsi Takriti, au nord de Bagdad, dont est issu le président Saddam Hussein al-Takriti. Mais cette pratique tend à disparaître. Quant aux tribus bédouines, comme les Rouala, les Chammar, les Montéfik, les Zafir, les Béni Khaled, les Zoubeid, elles sont devenues très marginalisées. Les Arabes se répartissent, sur le plan religieux, en deux groupes musulmans, l’un sh 稜‘ite, le plus important numériquement, l’autre sunnite, plus faible mais plus influent, auxquels s’ajoutent des éléments araméens arabisés (3 p. 100) qui comprennent nombre de chrétiens arabes.
Le deuxième groupe ethnique d’importance est constitué par les Kurdes. Leur nombre est estimé à 28 p. 100 de la population totale. Ce sont des Indo-Européens, sans doute issus de la branche médo-scythe des anciens Aryens. Ils parlent une langue proche du vieux-perse, dont deux dialectes sont utilisés en Irak: à 60 p. 100 le kurmandji (dit parfois à tort zaza), transcrit en caractères latins depuis 1930 environ, dans les régions de Mossoul et Rawandouz, et le sorani (ou mukriani), transcrit en caractères arabes, parlé (à 30 p. 100) dans la région de Souleimanieyh. Après avoir courageusement défendu leurs particularismes, au prix de terribles affrontements avec les pouvoirs centraux successifs, les Kurdes irakiens ont finalement obtenu de Bagdad la reconnaissance de leur identité et la définition d’un statut particulier, lequel s’est traduit par l’établissement d’une région autonome couvrant en partie leur territoire (loi du 11 mars 1974). Ils pratiquent, en majorité, l’islam sunnite, quelques-uns étant sh 稜‘ites, chrétiens ou encore yézidis.
Les minorités
Outre ces deux grandes ethnies, il subsiste plusieurs minorités. La minorité assyrienne, originaire de la plaine mésopotamienne, où le christianisme l’a touchée au IIIe siècle, réprimée par les Ottomans, abandonnée par les Alliés après la Première Guerre mondiale, soumise ensuite aux vexations et aux répressions sanglantes du pouvoir central (ainsi en 1933), malheureuse donc dans son histoire, est, de surcroît, divisée en une communauté nestorienne schismatique par rapport à Rome et une communauté chaldéenne uniate; elle est établie principalement dans la région de Mossoul (moins de 200 000 âmes). Les Turkmènes d’origine asiatique et de race ouralo-altaïque sont arrivés en Irak au XIe siècle. Cultivateurs, fonctionnaires ou commerçants, parlant un dialecte turc mais surtout l’arabe, ils peuplent les régions vallonnées au sud-est de Mossoul et de Kirkouk. Appelés aussi Turcomans, ils sont une centaine de mille et adeptes de l’islam. Les Arméniens, d’origine caucasienne, ont trouvé refuge en Irak à la fin du XIXe siècle et lors de la guerre de 1914-1918. Ce sont surtout des citadins, très attachés à leur langue et à leur religion. Leur petit nombre (10 000 à 15 000) réduit leur importance. Les Tcherkesses sont des Caucasiens émigrés de Russie vers 1864. Quelques centaines d’entre eux sont regroupés dans la région du fleuve, le Petit Zab. Musulmans, ils parlent le circassien. Enfin les Juifs, qui formaient jadis une communauté active et prospère de 200 000 personnes, doivent aux aléas du conflit israélo-arabe d’avoir dû émigrer à partir de 1950. Seule subsiste aujourd’hui une très petite communauté de quelques dizaines d’âmes qui tente de perpétuer courageusement sur les bords du Tigre l’antique symbiose judéo-islamique de la tradition arabe. À toutes ces minorités, dispersées mais bien vivantes, le gouvernement assure protection et garanties bien qu’elles ne soient plus menacées comme elles l’ont été trop souvent dans le passé.
Les sh size=5稜‘ites et les sunnites
La Constitution irakienne (juill. 1970), tout en proclamant que l’islam est la religion d’État, garantit la liberté du culte et interdit toute discrimination religieuse. Les musulmans, majoritaires donc, se répartissent en deux groupes, les sh 稜‘ites, qui représenteraient 51 p. 100 de la population, et les sunnites qui sont environ 45 p. 100 (cf. tableau).
Les sh 稜‘ites, dans leur immense majorité arabes (on compte cependant quelques Kurdes et Turkmènes), sont localisés entre Bagdad et Bassora, dans la partie sud de l’Irak. Ils constituent une branche (plutôt qu’une secte) de l’islam qui repose sur leur attachement à l’im mat d’Ali, gendre du Prophète, et de ses descendants. Le sh 稜‘isme possède en Irak ses principaux lieux saints: Koufa, Samarra (lieu où «s’occulta» leur douzième im m, «l’im m caché» dont ils attendent le retour), Nedjef et surtout Kerbala où eut lieu le martyre de Hussein. Le particularisme de cette communauté au sein de l’islam, longtemps défavorisée et parfois même exclue des responsabilités politiques, et son homogénéité ont toujours suscité des inquiétudes au sein du pouvoir. Ses revendications prirent d’ailleurs, jadis, l’allure de véritables révoltes (1920). Depuis son arrivée au pouvoir en 1968, le parti Baas s’est employé, non sans mal parfois (incidents à Kerbala en février 1977 et élimination de l’ayatollah Bagher Sadr en juin 1979), à apaiser les tensions persistantes en assurant aux sh 稜‘ites une place correspondant à leur importance numérique.
Les sunnites sont en majorité non arabes puisque les Kurdes, sunnites, constitueraient 28 p. 100 de la population. Ils sont issus de la légitimité traditionnelle, celle de l’Omeyyade Moawia qui, devenu gouverneur de la Syrie, se fit proclamer calife par les siens après avoir vaincu Ali. Les Arabes sunnites habitent en Irak les villes, le Centre et l’Ouest. Moins attachés que les sh 稜‘ites à la pratique de leur religion, et très minoritaires donc, ces Arabes sunnites n’en exercent pas moins une prépondérance politique et sociale remarquée, encore que le régime baassiste et le président Saddam Hussein – qui est sunnite – refusent qu’une différence puisse être faite entre les deux branches de l’islam. En effet, si la doctrine du Baas reconnaît la place éminente de l’islam dans le monde arabe, et notamment en Irak, du moins fait-il du nationalisme la seule force motrice de la nation, alors que dans le passé (et de nouveau dans l’Iran de l’ayatollah Khomeyni) ce rôle était dévolu à la religion.
Les chrétiens
Les chrétiens d’Orient ont eu une histoire riche et mouvementée qui fait que leur sort n’a pas été toujours enviable. Ils représentent aujourd’hui moins de 3 p. 100 de la population. Le groupe le plus important se trouve chez les Assyriens, répartis entre les nestoriens, membres de l’Église assyrienne apostolique, eux-mêmes divisés suivant qu’ils reconnaissent ou non l’autorité du patriarche Mar Schimoun, et les chaldéens, revenus, au XVe siècle, à l’union avec Rome et très liés aux quelques dominicains encore établis à Mossoul. Les autres communautés chrétiennes sont représentées par les Syriens orthodoxes (ou jacobites), monophysites, les Syriens catholiques retournés vers Rome, les Arméniens, pour la plupart séparés de Rome, les Grecs orthodoxes et les Grecs catholiques, de souche arabe, les sabéens (ou mandaïtes) implantés dans le Sud et quelques protestants (presbytériens, adventistes et anglicans). Les chrétiens habitent surtout le Nord, autour de Mossoul qui reste un haut lieu du christianisme d’Orient, Bagdad et Bassora, sur le Golfe. Toutes ces communautés sont très attachées à la pratique de leurs différents cultes mais doivent, pour cela, consentir beaucoup de sacrifices, même si l’État leur fournit une aide financière substantielle pour l’entretien de leurs églises et de leurs séminaires et veille effectivement à ce qu’aucune discrimination ne soit exercée à leur égard. Un chrétien, Tarek Aziz, n’est-il pas l’un des vice-Premiers ministres du gouvernement, exerçant par ailleurs une réelle autorité au sein du Baas? Cela n’empêche pas quelques-uns d’entre eux de vouloir chercher, en émigrant à l’étranger, de meilleures assurances.
Avec celle des Juifs, déjà évoquée, il faut signaler encore l’existence de quelques milliers de yézidis, Kurdes du djebel Sindjar et du Cheikhan, connus sous le vocable d’Adorateurs du diable (ils croient à sa réhabilitation) et de béhaïs, issus d’une sécession récente dans l’islam sh 稜‘ite d’Iran et tenus pour des agents de «désislamisation». Cette mosaïque de peuples et de religions impose beaucoup de vigilance aux autorités, qui refusent toutefois d’accorder une importance excessive à ces caractères multi-ethniques et multiconfessionnels de l’Irak. Bien qu’ils ne soient pas (ou plus) des facteurs de tension interne, comme au Liban par exemple, cette diversité ne doit pas être ignorée.
3. La monarchie soutenue par l’Europe
L’Europe évince les Turcs
La chute de l’empire turc et son éviction de l’Orient arabe après la Première Guerre mondiale ne fait que conclure une évolution inaugurée à partir du XVIIIe siècle par l’essor industriel qui avait naturellement amené l’Europe à imposer ses droits sur les routes stratégiques et économiques conduisant à l’Asie, c’est-à-dire d’abord sur l’Égypte et les approches du golfe Persique. Guidée par les intérêts de la Compagnie des Indes, la Grande-Bretagne, qui avait installé dès 1764 un consul à Basrah, avait fait accréditer en 1798 son premier résident permanent à Bagdad. Coïncidence notable, à Paris, la même année, le Directoire organisait l’expédition d’Égypte. Avant même que ne s’ouvrît la Première Guerre mondiale, la diplomatie britannique avait pratiquement acquis le golfe Persique, établi son influence sur l’ensemble de l’Irak, de Mossoul à Basrah, délimité les gisements pétroliers de la Mésopotamie septentrionale dès l’année 1913. Le pétrole, en effet, allait devenir l’aliment essentiel d’un Occident industriel jusqu’alors utilisateur de la houille. Dès 1900, année de l’apparition des voitures automobiles et de l’avion, s’était dessiné pour l’Irak un nouveau destin. La fondation, en 1911, de la Turkish Petroleum Company n’était que le prélude au plan soumis à Londres en février 1913 par le résident britannique à Bagdad et déterminant déjà dans ses grandes lignes les frontières et les structures politiques de l’Irak moderne.
Le 11 mars 1917, le général anglais sir Stanley Maud s’empara de Bagdad et, le 10 octobre 1918, son collègue le général Marshall pénétra à Mossoul. En avril 1920, le protocole de San Remo plaça la Palestine et la Mésopotamie sous le mandat de la Grande-Bretagne. Ce mandat dura dix ans, jusqu’au 30 juin 1930. Cette période fut mise à profit par Londres pour tenter d’établir en Irak un pouvoir fort et indépendant des fluctuations populaires, de tracer des frontières précises et de négocier des accords pétroliers stables.
Mais le mandat britannique eut à faire face à l’insurrection de 1920 qui débuta le 3 mai pour ne s’achever qu’au mois d’avril 1921, et qui mobilisa l’ensemble du pays, de Kirk k à Basrah, sous la conduite de chefs populaires. Cette grave crise fit 10 000 morts environ et exacerba des ressentiments déjà anciens. C’est seulement en 1925 que les campagnes furent à peu près pacifiées.
Accords difficiles
Les projets britanniques furent exécutés au milieu des troubles. Le 13 août 1921 était intronisé comme roi d’Irak Fayçal Ibn Hussein (Fay ル l ibn ネusayn), prince de Hedjaz (Arabie Saoudite), fils du chérif de La Mecque. À ses côtés, il avait comme conseiller un homme qui allait lier son sort au régime monarchique et à la collaboration anglo-irakienne, Nouri Saïd (N r 稜 al-Sa‘ 稜d), compagnon de lutte de Lawrence. Le 10 octobre 1922, un premier traité anglo-irakien faisait du haut-commissaire britannique le gardien de la souveraineté irakienne. Le 21 mars 1925 fut promulgué un statut organique (rédigé par les experts de Foreign Office) qui devait servir de constitution à l’Irak jusqu’à la chute de la monarchie. Parlementaire et héréditaire, cette monarchie était assistée d’un Sénat désigné par les autorités et d’une Chambre, qui était élue par la population mâle au scrutin à deux degrés.
Les négociations frontalières furent menées de pair avec celles qui intéressaient l’indépendance nationale, les unes comme les autres étant tributaires des négociations pétrolières qui apparurent alors comme déterminantes. C’est seulement après l’acceptation par l’Irak d’un accord pétrolier avec la Turkish Oil Company, le 14 mars 1925, que la Grande-Bretagne imposa aux Turcs l’accord du 5 juin 1926 qui attribuait définitivement à Bagdad le district de Mossoul, intégrant ainsi les Kurdes au nouvel État. De même l’accord anglo-irakien du 30 juin 1930, mettant fin au mandat et remplaçant le haut-commissaire britannique par un ambassadeur, eut pour compensation le protocole du 10 octobre 1930 sur l’exploitation et le transport du pétrole irakien vers la Méditerranée. L’admission de l’Irak à la Société des nations, le 3 octobre 1932, couronna ces démarches. Les dernières et délicates négociations qui comportaient la cession du sous-sol irakien aux compagnies occidentales furent menées du côté irakien par N r 稜 al-Sa‘ 稜d, désigné pour la première fois comme Premier ministre le 23 mars 1930. L’Irak payait ainsi son indépendance d’une certaine diminution de souveraineté dont la reconquête fut dès lors inscrite au programme de ses partis politiques.
Le monopole pétrolier
La Turkish Petroleum Co. (T.P.C.) fut dissoute et remplacée le 8 juin 1929 par l’Iraq Petroleum Co. (I.P.C.); le jaillissement très riche de B b Gurg r, le 15 octobre 1927, avait donné la certitude que la structure pétrolière de Kirk k était des plus considérables. La France, alertée, avait dès 1924 créé la Compagnie française des pétroles qui, par la signature du Group Agreement du 31 juillet 1928, venait participer à l’exploitation des pétroles d’Irak comme actionnaire de l’I.P.C., à l’intérieur de laquelle les intérêts internationaux furent ainsi répartis: Anglo-Persian, 23,75 p. 100; Royal Dutch Shell, 23,75 p. 100; groupe américain Nedec, 23,75 p. 100; C.F.P., 23,75 p. 100; Gulbenkian, 5 p. 100.
Héritière du petit périmètre de recherches de la T.P.C. qui était, à l’origine, de 497 km2, l’I.P.C., au cours de négociations menées de 1929 à 1938, parvint à se faire concéder une surface de 418 000 km2, soit la quasi-totalité du territoire irakien (446 713 km2), et cela jusqu’à l’an 2000. Les redevances à verser au trésor irakien furent calculées à partir d’un forfait maximal annuel de 400 000 livres-or. Un double pipe-line fut construit, en direction de la Méditerranée, pour transporter environ 4 millions de tonnes par an, ce qui était une estimation des plus modestes. Le premier pétrole irakien fut donc embarqué au terminal de Tripoli le 14 juillet 1934, à Haifa, en Palestine, le 14 octobre.
Sous couvert du monopole ainsi acquis, l’I.P.C. devenait pratiquement l’unique partenaire international de l’Irak.
La monarchie h size=5chémite
Seul pouvoir réel, la monarchie détentrice de l’exécutif était en fait maîtresse également du législatif. Elle détenait aussi le pouvoir judiciaire, puisque les libertés constitutionnelles étaient suspendues presque en permanence par la loi martiale (seize fois décrétée). L’Irak ne semble pas avoir connu, durant trente-sept années de monarchie, d’autre statut que l’état d’exception. À Fay ルal Ier, qui mourut le 8 septembre 1933, succéda son fils Gh z 稜, mort accidentellement le 4 avril 1939; le prince ‘Abd All h, cousin du roi défunt, assura ensuite la régence jusqu’au 22 mai 1953, date du couronnement du troisième et dernier roi, Fay ルal II, qui sera exécuté le jour de la révolution du 14 juillet 1958.
La loi administrative, votée en 1927, divisa le pays en quatorze liw ’s , administrés chacun par un muta ルルarif représentant le ministère de l’Intérieur; chaque liw ’ étant partagé en ャ ‘idas avec un ャ ’ima ャ m et chaque k ‘ida en n ム 稜yas ou communes avec un mud 稜r . Le pouvoir judiciaire, fort complexe, comportait, outre une cour civile et criminelle, un tribunal tribal et une cour spéciale de droit religieux ayant à connaître des contentieux propres au statut personnel qui régissait les trois communautés musulmane, israélite et chrétienne.
L’armée et la police, créées par le même décret du 6 janvier 1921, étaient étroitement liées aux forces britanniques par les accords de 1930; les effectifs dépendaient davantage de l’engagement volontaire que d’un service militaire obligatoire, resté très théorique. L’une et l’autre étaient conçues pour la défense de l’ordre intérieur, et non en vue d’opérations sur des théâtres extérieurs.
La ligne générale de la politique h chémite alliée à la diplomatie du Foreign Office paraît avoir consisté à soustraire l’Irak à l’attraction arabe pour l’attacher à la Turquie et à l’Iran et, par-delà, à une politique exclusivement européenne; les partis de l’opposition, en revanche, qui recherchaient selon l’occasion et leur idéologie l’alliance de l’Allemagne du IIIe Reich ou de l’Europe socialiste, s’entendaient tous pour rejoindre le camp arabe avant même que ce dernier ne fût représenté par Gamal Abdel Nasser. De ces deux conceptions, la dernière, en l’emportant, devait renverser la monarchie. La Seconde Guerre mondiale partage en deux chapitres à peu près égaux cette histoire mouvementée.
L’avant-guerre et la guerre: la conjuration du Carré d’or
Économiquement, l’avant-guerre est marquée par l’institution de la grande propriété terrienne et d’une classe de seigneurs féodaux; politiquement, par l’organisation des partis politiques: conservateurs et Isti ャl l entre 1930 et 1935, Ah l 稜 socialisant en 1932, Parti communiste en 1934. Le premier coup d’État du 19 octobre 1936 porte au pouvoir l’équipe kémaliste de ネikmet Sulaym n qui signe avec la Turquie et l’Iran, le 8 juillet 1937 à Sa‘ d b d, le premier pacte militaire, jugé «probritannique» et hostile à l’arabisme. L’opposition contre Londres s’organise autour de quatre colonels pour constituer ce qu’on a appelé la conjuration du Carré d’or. Après le coup d’État du 24 décembre 1938, Rash 稜d ‘Al 稜, soutenu par le Carré d’or, entre en guerre contre les Britanniques le 1er avril 1941 et fait appel aux forces allemandes du Levant. Il est battu. Les colonels en fuite seront rattrapés et exécutés l’un après l’autre, le dernier à Bagdad le 16 octobre 1945.
L’après-guerre: plan de développement et pacte de Bagdad
L’après-guerre est une période particulièrement troublée; économiquement, elle est caractérisée par la mise sur pied d’un plan ambitieux de développement industriel; politiquement, par une résistance intérieure violente à la diplomatie anglo-saxonne, la tension américo-soviétique devant porter les conflits intérieurs irakiens à leur paroxysme et la création, le 15 mai 1948, de l’État d’Israël mobilisant tous les mécontentements. Mis en route le 24 mars 1952, un plan dirigé par l’Office du développement se proposa de donner au pays des structures modernes, grâce aux revenus pétroliers qui passaient de 13 millions à 32 millions de dinars, et à l’aide de banques occidentales. Conçu à des fins tant économiques que stratégiques, il fut assorti du pacte de Bagdad, de son vrai nom Middle East Defence Organization (M.E.D.O.), qui, signé le 23 février 1955 par la Grande-Bretagne, l’Irak, la Turquie, l’Iran et le Pakistan, eut la caution des États-Unis mais souleva l’opposition du Caire et de Moscou qui rompit les relations diplomatiques. L’adhésion de la Turquie au pacte de l’Atlantique Nord laissait voir en effet trop clairement les buts réels du pacte de Bagdad, tout autant que la signature, à Manille en 1954, du pacte de l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (O.T.A.S.E.). Émeutes, manifestations et répression en furent les conséquences. La chute de la monarchie égyptienne, en 1952, avait encouragé l’opposition irakienne exaspérée par la dégradation économique qui accompagna les premières années de la mise en œuvre du plan de développement. Survenant dans un tel climat, la guerre de Suez devait achever de détruire la confiance et rassembler les conditions requises pour une révolution.
4. L’instauration de la République (1958-1968)
La révolution du 14 juillet 1958
Sous la couronne h chémite, la situation intérieure de l’Irak a considérablement évolué, entraînant une modification sensible du rapport des forces politiques: le pouvoir n’appartient pas au roi – Fayçal II a atteint sa majorité le 2 mai 1953 – mais toujours au régent Abdulillah et surtout à Nouri Pacha Saïd. Le Parlement, docile, est neutralisé, les gouvernements se succèdent les uns aux autres (58 cabinets entre le 23 août 1921 et le 14 juillet 1958!) et une haute bourgeoisie sunnite domine les affaires. L’armée, qu’inspire un vif sentiment nationaliste, est mise à contribution, souvent contre son gré, pour maintenir l’ordre et se prépare lentement, dans l’ombre, à intervenir, comme elle l’a déjà fait. Enfin le peuple, qui suit avec beaucoup d’attention ce qui se passe dans les autres pays arabes, notamment en Égypte dont la révolution nassérienne de juillet 1952 sert de référence à de nombreux discours révolutionnaires, se reconnaît d’autant moins dans ses dirigeants que cette monarchie h chémite lui semble doublement illégitime: elle est venue de l’extérieur et elle a été imposée par les Britanniques.
Depuis le début des années cinquante, une opposition s’est donc cristallisée autour de deux revendications: le refus des méthodes brutales de l’équipe Abdulillah-Nouri Saïd, et le rejet nationaliste de la collaboration de l’Irak avec les puissances occidentales. Ce dernier thème, alimenté par la défaite des armées arabes en Palestine en 1948-1949, est devenu plus important encore à la suite de la participation de Bagdad au pacte de 1955 qui porte son nom. On voit en effet dans cette construction une volonté américaine de contrecarrer l’influence croissante en Orient d’une Égypte nassérienne qui s’ouvre à l’Union soviétique, et donc de faire obstacle à l’expression de ce renouveau du nationalisme arabe incarné désormais par Gamal Abdel Nasser.
C’est naturellement au sein de l’armée que le mouvement est le plus actif, car celle-ci représente la seule force organisée du pays capable de recueillir l’approbation des masses populaires. Depuis 1952 déjà, quelques officiers songent au coup d’État (échec d’un complot en 1955). En janvier 1956, un groupe secret se forme et prend le nom d’«officiers libres», à l’instar des auteurs du coup d’État égyptien. Un comité supérieur d’une quinzaine d’officiers est constitué avec, à sa tête, le brigadier Abdel Karim Kassem. Entre 1956 et 1958, alors que les rangs de l’organisation clandestine se confortent, quatre tentatives de prise de pouvoir sont préparées. Des raisons d’ordre pratique et surtout des divergences d’ordre politique (l’Irak «nouveau» devra-t-il rejoindre la République arabe unie – R.A.U. – constituée le 1er février 1958 par l’Égypte et la Syrie?), entraînent l’ajournement des projets. Mais la décision d’associer l’Irak et la Jordanie, le 14 février 1958, dans une même confédération – l’Union arabe – précipite les événements.
L’opportunité du déclenchement de la révolution se présente lorsque Nouri Saïd, suivant les accords fédératifs, ordonne l’envoi d’unités militaires au secours du trône menacé du roi Hussein de Jordanie. La 20e brigade, commandée par le brigadier Haqqi, secondé par le colonel Abdel Salam Aref, un «officier libre», fait mouvement et opère sa jonction, le 13 juillet dans la nuit, avec la 19e, commandée par le brigadier Kassem. Mais au lieu de prendre le chemin d’Amman, les troupes investissent Bagdad où la population, prévenue, se trouve dans la rue. Le roi Fayçal II et son oncle Abdulillah, surpris dans le palais Ribah, sont abattus. Nouri Pacha Saïd, reconnu, le 16, dans la rue, malgré son déguisement, se suicide. C’est ainsi que, le 14 juillet 1958 au soir, la République irakienne est née.
Le régime du général Kassem (1958-1963)
Suivant la proclamation no 1 des putschistes, un Conseil de souveraineté composé de trois membres est installé, mais il n’aura que des fonctions purement honorifiques. Abdel Karim Kassem cumule les postes de commandant en chef des armées, Premier ministre et ministre de la Défense. Abdel Salam Aref, qui a été le principal exécutant du coup d’État, n’est que vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et commandant en chef adjoint. Le premier gouvernement compte dix militaires parmi ses quatorze ministres, contrairement aux projets initiaux des «officiers libres» qui entendaient donner l’exclusivité du pouvoir à des civils. Une constitution provisoire est promulguée et restera en vigueur jusqu’en 1963. Le Parlement est renvoyé et les prisonniers politiques sont libérés. Pendant les cinq années qui suivent, le général Kassem renforce son pouvoir en plaçant ses fidèles aux principaux postes de responsabilité et impose progressivement une dictature personnelle.
En prenant le contre-pied de la politique précédente – le pacte de Bagdad est dénoncé le 24 mars 1959, l’égalité est offerte au peuple kurde au sein de la nation irakienne –, le zaïm (président) acquiert une réelle popularité. Cependant, les difficultés ne tardent pas à s’amonceler: la gauche et l’extrême gauche organisent des manifestations de plus en plus audacieuses, des conflits éclatent au sein du gouvernement et notamment entre le général Kassem et le colonel Aref auquel sont reprochés ses liens avec le président Nasser, son appartenance au parti Baas et son souhait de voir l’Irak rejoindre sans tarder la R.A.U. Aref est démis de toutes ses fonctions en septembre 1958. Le colonel Ahmed Hassan al-Bakr, également baassiste, organise bien un complot en sa faveur, mais celui-ci est découvert et conduit ses auteurs en prison ou en exil. Finalement, le colonel Aref, revenu d’Allemagne à l’improviste en décembre 1958, est arrêté et cette fois condamné à mort (la sentence ne sera pas exécutée). De son côté, Rachid Ali Gaylani, rentré également en Irak, tente lui aussi d’utiliser le mécontentement des fidèles d’Abdel Salam Aref, mais son complot (9 déc.) est déjoué. Condamné à mort, il est amnistié, curieusement, quatre ans plus tard.
Ces péripéties, dont les cheminements compliqués laissent supposer une part de provocation, et un remaniement ministériel (7 févr. 1959), qui consacre la mise à l’écart du Baas et de l’Istiklal, compliquent la tâche du général Kassem. C’est dans ce climat politique passablement dégradé qu’a lieu la rébellion de Mossoul. Cette grande métropole est le siège du commandant de la région militaire du Nord, dont le titulaire est le colonel Abdel Wahab Chaouaf, lequel a été écarté par le zaïm. Autour de lui, des «officiers libres» appartenant au courant nationaliste, anticommuniste et pro-nassérien, sont particulièrement actifs. Non loin, à Kirkouk, l’état d’esprit dans la garnison est le même. Une réunion des Partisans de la paix, d’obédience communiste, autorisée à Mossoul contre le gré de ces officiers, sert de prétexte à une déclaration de rébellion (8 mars 1959). La réaction de Bagdad est rapide et brutale: Mossoul est bombardée tandis que les milices kurdes et communistes se heurtent avec succès aux rebelles. Aussitôt les communistes, forts de cette victoire et appuyés par les Kurdes et quelques sh 稜‘ites qui ont trouvé en eux des alliés, exigent de plus grandes responsabilités au sein du pouvoir. Ils appuient même ces revendications par des émeutes (ainsi, le 14 juillet 1959 à Kirkouk, les communistes kurdes s’en prennent aux Turkmènes).
Arrestations, procès et condamnations se succèdent sans que les troubles et les violences cessent pour autant. Le 7 octobre 1959, le général Kassem est blessé dans un attentat baassiste dans lequel est impliqué un certain Saddam Hussein al-Takriti. Dès lors, le zaïm est obligé de rechercher un difficile équilibre entre les uns et les autres. La loi du 1er janvier 1960 autorise la réapparition légale des partis, dont certains se sont déjà rassemblés au sein d’un Front national unifié (nov. 1959). Le Baas, anathématisé par le Front et poursuivi par les foudres du tribunal du peuple du sanguinaire colonel Fadil Abbas al-Mahdaoui, procède, dans la clandestinité, à la mise en place de ses infrastructures. En novembre 1960, les ministres communistes quittent le gouvernement et, au printemps de 1961, des grèves éclatent. Depuis avril 1961, une révolte kurde, conduite par Mollah Moustapha Barzani, se développe dans le Nord, devant laquelle l’armée, impuissante, doit céder du terrain. Les jours du régime Kassem sont désormais comptés.
Le régime des frères Aref (1963-1968)
Au début de 1963, le Baas est parvenu à étendre son réseau aussi bien chez les civils que chez les militaires. C’est parmi ces derniers que Hassan al-Bakr, prenant de court la répression qu’annonce l’arrestation de certains baassistes civils, décide de passer à l’action le 8 février 1963. Aidé par l’aviation et les blindés, il obtient après 36 heures de combats violents la reddition du général Kassem. Jugé, celui-ci est condamné à mort et exécuté sur-le-champ. Un Conseil de commandement de la révolution (C.C.R.) est formé. Le colonel Abdel Salam Aref est nommé président provisoire de la République, le brigadier Bakr prenant la tête d’un gouvernement mi-militaire et mi-civil. Une milice, la garde nationale, est créée, sous la direction du colonel Nasrat, et entreprend la chasse aux communistes. L’administration et l’armée sont épurées.
Mais, alors que la branche syrienne du Baas prend, le 8 mars 1963, le pouvoir à Damas en Syrie, les tensions se manifestent déjà à Bagdad entre nassériens et baassistes, ces derniers étant eux-mêmes divisés en deux courants. Malgré les recherches de compromis tentées par Michel Aflak, un Syrien, l’un des fondateurs et le théoricien principal du Baas, et par Hassan al-Bakr, au terme de conflits internes rendus encore plus compliqués par l’apparition de divergences sur la nature des liens à établir entre Bagdad et Damas, le colonel Aref décide, le 18 novembre 1963, de faire arrêter ou expulser certains dirigeants baassistes dont Michel Aflak. Cette crise provoque la rupture entre l’Irak et la Syrie. Après s’être fait élever à la dignité de maréchal, Abdel Salam Aref consolide son pouvoir en s’appuyant sur les nassériens. Les partis sont dissous. Le brigadier Bakr, vice-président de la République, décide de se retirer de la vie politique pour rester fidèle à Michel Aflak. Une nouvelle dictature personnelle ne tarde pas à s’instaurer.
Ayant de la sorte éliminé le Baas de la scène politique, le maréchal Aref engage avec les Kurdes des pourparlers qui aboutissent à un accord de cessez-le-feu, le 10 février 1964, lequel est malheureusement rompu quelques mois plus tard. En juillet 1964, continuant à vouloir prendre modèle sur l’Égypte, il préside à la création d’une Union socialiste arabe, censée rassembler toutes les formations politiques, et décide d’importantes nationalisations (banques, industries). Tout cela n’empêche pas les nassériens de reprocher au gouvernement de Tahar Yahya le retard mis à réaliser une union effective avec l’Égypte: le 10 juillet 1965, les ministres nassériens démissionnent. Un nouveau gouvernement est formé autour du brigadier Aref Abdel Razzak. Un complot nassérien unioniste, destiné à porter au pouvoir celui-ci à la place du maréchal Aref, est déjoué à temps (16 sept. 1965) par le propre frère du maréchal, Abdel Rahman Aref. Le docteur Abdel Rahman Bazzaz est chargé de présider un autre gouvernement (21 sept.) pour préparer le retour des civils au pouvoir. Tandis que, dans le Nord, la révolte kurde fait front à une offensive des forces armées, le maréchal Aref trouve la mort dans un accident d’hélicoptère (13 avr. 1966).
Le frère du maréchal, Abdel Rahman Aref, est porté à la présidence pour une période de un an. Une de ses premières initiatives est de signer avec Moustapha Barzani l’accord du 29 juin 1966, qui prévoit la reconnaissance dans la Constitution des droits nationaux des Kurdes: le répit de ce côté durera, tant bien que mal, jusqu’en 1969. La menace vient d’ailleurs, des nassériens: Aref Abdel Razzak et ses amis, rentrés clandestinement dans le pays, préparent en effet à partir de Mossoul un autre coup d’État. Après s’être assurés du contrôle de la ville, les conjurés, aidés d’officiers de la garnison, lancent une attaque aérienne sur la capitale et dépêchent des contingents vers celle-ci. Mais la tentative se heurte aux troupes loyalistes et les comploteurs sont arrêtés. Le général Aref, tirant prétexte de ce coup de force, refuse de laisser, comme prévu, le gouvernement aux civils: le docteur Bazzaz démissionne (6 août), bientôt suivi par son successeur, le brigadier Naji Taleb. Le général Aref cumule alors les fonctions de président de la République et de Premier ministre. La guerre de juin 1967 et la persistance de mauvaises relations avec la Syrie alourdissent le climat politique, malgré quelques concessions faites aux nationalistes avec une attitude plus vigoureuse à l’égard des États-Unis et la désignation d’un Premier ministre, le brigadier Tahar Yahya. Dans l’ombre, le Baas prépare son retour au pouvoir. Cette fois-ci, après l’avoir pris il ne s’en laissera pas démettre.
5. Le Baas au pouvoir (1968-1979)
La révolution des 17 et 30 juillet 1968
Depuis le 16 avril 1968, date à laquelle quelques officiers baassistes font circuler une pétition réclamant l’élection d’une Assemblée nationale, la conjuration s’étend. Cette fois, elle est d’inspiration uniquement baassiste, les alliés du Baas ayant fait défaut au dernier moment. Le 17 juillet, au petit matin, les troupes des commandants Abdel Razzak Nayef et Ibrahim Abdel Rahman Daoud se joignent à celles du brigadier Bakr pour encercler le palais présidentiel. Le général Aref se rend presque aussitôt: le sang n’a pas coulé. Un Conseil de commandement de la révolution (C.C.R.) est formé, qui élit Hassan al-Bakr à la présidence de la République et donne le gouvernement au commandant Nayef, le commandant Daoud se voyant réserver le portefeuille de la Défense. Cependant, au bout de quelques jours un conflit oppose ces deux officiers à leurs compagnons. Le 30 juillet, pour prévenir toute tentative de leur part, la division du général Hamadi al-Takriti prend le contrôle de Bagdad, le gouvernement est dissous, Nayef et Daoud sont mis d’office à la retraite. Le 31, le général Bakr préside le nouveau cabinet, Hardan al-Takriti devenant vice-Premier ministre et ministre de la Défense, poste qu’il gardera jusqu’en avril 1970, avant d’être, à son tour, définitivement écarté (15 oct. 1970). Cette seconde révolution du 30 juillet 1968 consacre le succès du mouvement révolutionnaire engagé le 17 juillet et la prééminence du parti Baas: Saddam Hussein al-Takriti, qui s’est consacré dans le secret à la réussite du coup d’État, rejoint le président Bakr.
Le Baas a trouvé son origine en Syrie lorsque, en 1932, est fondée la Ligue d’action nationaliste par les représentants d’une petite bourgeoisie de commerçants, d’enseignants et de fonctionnaires marqués par l’action d’anciennes sociétés secrètes comme al-Fatat, al-Qahtaniya et al-Ahd. Certains, même, ont appartenu à l’Istiklal, parti nationaliste panarabe qui a fait son apparition en Syrie, en Jordanie et en Irak entre 1920 et 1932. La Ligue éclate en 1939 et Zaki al-Arsouzi, un Alaouite d’Alexandrette, crée un Parti nationaliste arabe qui devient, à l’initiative du Damascène Michel Aflak et de Salah Bitar, un autre Syrien, d’abord al-Ihya al-Arabi (la Réanimation arabe), avant de prendre le nom de al-Baas al-Arabi (la Résurgence arabe). En avril 1947, lors de la réunion du premier congrès du parti, les statuts et le programme en sont définis. La doctrine du Baas est résumée dans sa devise: «Unité-Socialisme-Liberté» et sa profession de foi: «Une seule nation arabe à la mission éternelle.» Tous ses principes sont contenus dans une constitution, à laquelle il est fait constamment référence, dont l’une des idées fondamentales est celle-ci: «Les Arabes forment une seule nation; la patrie forme une unité politique et économique indivisible; la nation arabe forme une unité culturelle; enfin la patrie arabe appartient aux Arabes.» Cette constitution ne fait pas référence directement à l’islam, considéré pourtant par le chrétien Michel Aflak comme la «religion nationale des Arabes», accentuant ainsi son caractère laïcisant et montrant son souci de créer un arabisme unitaire qui refuse aux diverses communautés un quelconque pouvoir politique ou administratif. Le Baas se présente davantage comme un parti d’encadrement des masses que comme un parti de masse. Il dispose d’une direction nationale, ou commandement national, élue par un congrès national interarabe et qui a vocation sur l’ensemble de la nation arabe. Mais chaque pays dans lequel le Baas est implanté possède une direction distincte, régionale, également élue, qui exerce un pouvoir collégial. Michel Aflak, revenu à Bagdad après l’élimination en Syrie du général Amine al-Hafez, est le secrétaire général du commandement national. À partir de juillet 1968, la vie politique de l’Irak va connaître une relative stabilité dans la permanence, à la tête du pays, du tandem Hassan al-Bakr - Saddam Hussein.
La paix intérieure pour le développement économique
La proclamation de l’autonomie kurde dans le cadre de la République irakienne, le 11 mars 1970, répond en partie aux revendications des Kurdes. Mais des contestations concernant la délimitation géographique de la région autonome (Kirkouk) et la politique d’arabisation menée par le pouvoir central entravent l’application des accords. Les Kurdes eux-mêmes sont partagés. Tandis que Mollah Moustapha Barzani continue de rassembler autour de lui des milliers de peshmerga (soldats de l’armée kurde), d’autres chefs kurdes, dont son fils Obeidallah, se désolidarisant de son action, rallient Bagdad. Chacun s’organise administrativement et militairement dans les zones qu’il contrôle.
Conformément aux accords de 1970, le président Hassan al-Bakr proclame (unilatéralement) la loi du 11 mars 1974 établissant une région autonome du Kurdistan, divisée en trois provinces avec pour siège Erbil et dotée de deux Conseils, législatif et exécutif. Barzani, soutenu matériellement par l’Iran, reprend aussitôt la lutte armée. Faute d’obtenir sur le terrain une victoire par les armes, Bagdad parvient à briser définitivement l’irrédentisme kurde en signant, le 6 mars 1975, un accord avec Téhéran. Privés de l’aide iranienne, les Kurdes, désarmés, désorganisés, meurtris par des années de guerre, mais aussi divisés, n’ont d’autre choix que celui d’accepter l’autonomie telle qu’elle leur a été octroyée. Unique dans son genre dans le monde arabe, cette solution, refusée encore par quelques nationalistes kurdes irréductibles qui animent une guérilla sporadique et limitée, est jugée par beaucoup imparfaite. Elle a cependant permis avec le retour du calme dans le Nord un certain apaisement des esprits, sinon des cœurs, sans lequel toute tentative d’essor économique eût été vaine en Irak.
Avec des réserves pétrolières estimées à 4,7 milliards de tonnes pour une production annuelle de 115 millions de tonnes (1978) lui assurant un revenu de 20 milliards de dollars (1979), l’Irak possède des ressources financières nécessaires à son développement. Le rythme de la production (200 millions de tonnes après 1980) ne peut plus être réduit par les menaces que la guerre du Kurdistan faisait peser sur les gisements de Kirkouk. Fermes partisans de la maximisation des prix du pétrole, les responsables de l’économie irakienne ont planifié de manière rigoureuse la répartition des revenus dans tous les secteurs.
L’agriculture, peu favorisée jusque-là malgré les réformes agraires, fut la première à bénéficier de ce pactole. Les travaux d’irrigation (régularisation du cours de l’Euphrate), la mécanisation, l’utilisation des engrais et la multiplication des coopératives assurent à cette branche, qui occupe encore la moitié de la population active, un essor remarquable. Ce sont cependant les industries créées autour du pétrole, du gaz et de leurs dérivés qui dominent et domineront pour de longues années encore une économie de type socialiste dans laquelle les secteurs privé et mixte ont leur place.
Avec un P.I.B. (produit intérieur brut) permettant d’atteindre une croissance annuelle de 16,8 p. 100, l’Irak est sorti de son sous-développement des années soixante. La nationalisation des compagnies pétrolières, obtenue entre 1972 et 1975, et la signature de nouveaux accords d’exploitation lui ont donné une indépendance financière totale. Sa volonté de se doter d’une capacité nucléaire, même si elle peut être dictée par des considérations d’ordre politique ou militaire, prouve que les dirigeants irakiens songent déjà à l’«après-pétrole».
La prééminence du parti Baas
Le parti Baas, dès son arrivée au pouvoir, doit imposer sa suprématie aux autres forces progressistes, issues de la révolution de 1968, et cela au prix d’une remise en ordre à l’intérieur du Baas lui-même, où le «courant militaire», prédominant, cède peu à peu le pas à la «ligne civile». La présence à la tête de l’État du général Hassan al-Bakr et le rôle très important joué à ses côtés par Saddam Hussein font que cette évolution dans les habitudes du Baas s’est passée sans troubles majeurs. Seul le complot du chef de la Sûreté, Nazim Kazzar, en juillet 1973, soutenu par les «civils», faillit mettre l’équipe Bakr-Saddam Hussein en difficulté.
Après avoir souscrit à la charte d’action nationale proposée par Hassan al-Bakr en novembre 1971, le Parti communiste irakien (P.C.I.) et le Parti démocratique kurde (P.D.K., rallié) signent, en 1973, un pacte national qui annonce la constitution, autour du Baas, du Front national progressiste. Mais si des ministres communistes (deux) et kurdes font partie du gouvernement, le Conseil de commandement de la révolution (C.C.R.), qui détient tous les leviers de commande de l’État, est exclusivement réservé aux baassistes. Cette prééminence imposée par le Baas est dénoncée par le P.C.I., à partir de 1977, à un point tel que les militants de ce parti, par ailleurs interdit dans l’armée, sont l’objet d’une sévère répression. L’exécution, en mai 1978, de plusieurs d’entre eux et l’éviction du gouvernement, un an plus tard, des ministres communistes ont (après l’exemple afghan d’avril 1978) valeur d’avertissement. La fermeté de la riposte du Baas est à la mesure de sa puissance et de sa détermination à ne rien céder de ses actuelles prérogatives.
La force du Baas tient d’abord à la solidité de son appareil, formé de militants soigneusement sélectionnés, idéologiquement convaincus mais motivés aussi par le fait que leur appartenance au seul parti détenteur du pouvoir peut leur assurer une situation enviable. Saddam Hussein, rompu dès sa jeunesse aux méthodes de l’action clandestine, est le principal artisan de cette forteresse baassiste dont l’armée populaire, milice qui double les forces armées régulières, est le gardien vigilant. Il s’est affirmé au fil des ans comme le véritable homme fort du régime avant d’être porté à la présidence de la République et du C.C.R., après la démission, le 16 juillet 1979, d’Hassan al-Bakr.
Tout en consolidant, à l’intérieur, son autorité, le vice-président du C.C.R., fidèle en cela à la vocation panarabe et unitaire du Baas, s’emploie à faire sortir l’Irak de l’isolement que lui avait valu, entre 1958 et 1968, une vie politique agitée. Le règlement du contentieux frontalier irako-iranien concernant le Chatt al-Arab, à la faveur de l’accord de mars 1975, est mis à profit par Bagdad pour opérer un retour dans le Golfe. Une solution est trouvée en 1978 dans le différend qui l’oppose à Koweït concernant la souveraineté des îles de Boubiane et Warba, à l’origine, en 1973 et en 1977, de graves incidents. De même, des relations plus sereines s’établissent avec l’Arabie Saoudite lorsque les deux gouvernements décident de coopérer à la préservation de la sécurité de cette région particulièrement sensible. Mais c’est avec la Syrie que le retournement est le plus spectaculaire. Après dix années de tensions parfois extrêmes, les deux capitales baassistes souscrivent, en octobre 1978, à une charte d’action commune qui reconstitue le fameux «Croissant fertile». Ces retrouvailles au sein du premier parti socialiste arabe, dont la vocation est de réaliser la patrie arabe par-dessus les frontières étatiques, auraient été, sur le plan régional, un événement d’une portée considérable, si l’implication de Damas dans une «tentative de coup d’État» à Bagdad (juill. 1979) n’avait mis le processus en sommeil.
Réalisme et fermeté
Lorsque le Baas prend le pouvoir, il trouve dans l’Union soviétique un allié sur lequel il s’appuie pour hâter l’entrée du P.C.I. au sein du Front progressiste. En avril 1972, un traité d’amitié et de coopération consacre l’établissement de liens privilégiés politiques, économiques et militaires. Mais une appréciation différente du conflit israélo-arabe et la dégradation manifeste des relations entre le Baas et le P.C.I. modifient sinon la nature du moins la qualité de l’entente entre les deux États.
L’ouverture économique mais aussi politique pratiquée par Bagdad, au nom du réalisme, en direction des pays occidentaux et une recherche dans la diversification des fournisseurs en matériels militaires, sans détourner l’Irak du camp socialiste, accentuent cette mutation. Les principaux fournisseurs de l’Irak sont le Japon, l’Allemagne fédérale, la Grande-Bretagne et la France bien avant l’U.R.S.S. Les États-Unis eux-mêmes, malgré l’absence de relations diplomatiques, augmentent leurs échanges. Grâce à l’héritage politique du général de Gaulle, la France bénéficie d’une situation relativement privilégiée. L’Irak, qui est son deuxième fournisseur en pétrole (20 millions de tonnes en 1978), est acheteur d’usines «clefs en main», de matériels militaires (avions Mirage) et de technologie nucléaire (réacteurs).
Cette politique répond naturellement à des impératifs de développement économique. Elle résulte aussi de l’appartenance de l’Irak au mouvement des pays non alignés. Le réalisme, cher à Saddam Hussein, ne doit pas faire oublier sa fermeté dans d’autres domaines. Ainsi l’intransigeance des dirigeants baassistes quant à la solution du conflit entre Arabes et Israéliens fait de Bagdad la capitale de ce «front du refus» hostile à toute solution négociée. En ignorant l’existence d’Israël en tant qu’État, en participant activement à l’effort de guerre arabe, notamment en 1973, et en dénonçant les résolutions 242 et 238 du Conseil de sécurité comme les accords de désengagement égypto-israélien et syro-israélien de 1974, l’Irak veut rassembler les courants les plus extrémistes, «maximalistes», du monde arabe. Ceux des Palestiniens qui jugent l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.) trop modérée font de l’Irak le principal porte-parole de leurs revendications.
L’initiative du président Sadate en novembre 1977, suivie par la signature des accords-cadres de Camp David en septembre 1978 et celle du traité de paix égypto-israélien de mars 1979, met en vedette la position irakienne. Bagdad est le siège des deux conférences arabes (nov. 1978 et mars 1979) qui décident les sanctions contre l’Égypte. Cependant, pour obtenir que l’accord puisse se faire dans leur capitale sur une attitude commune des pays arabes, les dirigeants irakiens ont dû consentir à modérer une position jusque-là intransigeante. Leur refus d’un règlement négocié serait moins déterminé dans la mesure où celui-ci associerait tous les Arabes, Palestiniens y compris, dans la recherche d’une paix globale.
En 1979, après une dizaine d’années de pouvoir du Baas, le bilan apparaît à beaucoup satisfaisant. Mais cette évolution n’a pu se faire qu’au prix de sacrifices et de contraintes acceptés par la majorité de la population. Beaucoup de problèmes, certains douloureux comme celui du Kurdistan, ont trouvé une solution. D’autres ont été effacés sans être véritablement réglés. Si le parti Baas a réussi à mettre le pays à l’abri de tensions extrêmes, celles-ci risquent pourtant de resurgir un jour ou l’autre.
À cet égard, l’exemple de la révolution iranienne, aux frontières d’un Irak où la majorité de la population est composée de sh 稜‘ites également frondeurs (émeutes de Nedjef et Kerbala en février 1977), est de nature à influencer le comportement de dirigeants recrutés presque exclusivement chez les musulmans sunnites. Le fait que les Kurdes, également sunnites, n’aient pas tous passé sous silence des revendications, par ailleurs appuyées par les communistes, réduit d’autant les assises du pouvoir en place. La sanglante élimination en août 1979 (21 exécutions) d’une opposition potentielle au sein même de la direction du Baas renforce l’emprise de Saddam Hussein. Son extrême vigilance à ne pas se laisser déborder par un courant politique et religieux concurrent lui procure, dans l’immédiat, une incontestable autorité.
6. Saddam Hussein s’impose (1979-1988)
Saddam Hussein, président de l’Irak
Né en avril 1937 à Takriti, au nord de Bagdad, Saddam Hussein est issu d’une famille de paysans modestes. Élevé par son oncle maternel, un officier qui sera chassé de l’armée après le soulèvement antibritannique de 1941, il milite dès 1955, comme lycéen, au sein du Baas et participe déjà au coup d’État avorté de 1956. Après avoir fait ainsi ses preuves, il devient membre actif du parti en 1957. En 1959, il est sélectionné avec une dizaine d’autres étudiants pour participer au projet d’assassinat du général Kassem. Blessé au cours de la tentative, condamné à mort par contumace, Saddam Hussein trouve refuge à Damas, où il passe un an et fait connaissance du théoricien du Baas, Michel Aflak. Puis, il va au Caire terminer ses études secondaires (1961) tout en y étant le responsable des étudiants baassistes. Il ne regagne l’Irak qu’en février 1963 lorsque son parti prend part à la prise du pouvoir d’Abdel Salam Aref. L’éviction rapide des baassistes l’oblige à replonger dans la clandestinité. Il devient membre et secrétaire du commandement régional du Baas aux côtés d’Hassan al-Bakr. En août 1964, cerné par la police, il est arrêté et condamné à deux ans de prison.
À sa sortie de cellule, en 1966, Saddam Hussein est élu secrétaire général adjoint du parti et prépare dès lors le coup d’État de juillet 1968. Celui-ci réussi, il reçoit notamment la charge d’organiser les milices (les «brassards verts») chargées de pourchasser les opposants au nouveau régime, communistes et nassériens. En 1969, il est nommé vice-président du C.C.R., devenant ainsi le «numéro deux» du régime, après Hassan al-Bakr. Il passe pour être l’«homme fort» du système jusqu’au moment où, le 16 juillet 1979, à la suite de la démission du vieux maréchal pour raison de santé, Saddam Hussein regroupe entre ses mains tous les postes clefs du pouvoir en Irak. Il est élu président de la République, secrétaire général adjoint du commandement national du Baas, secrétaire général du commandement régional, et président du C.C.R. Cette prise en main du pays s’accompagne, le 28 juillet 1979, d’une purge sanglante de son entourage (21 exécutions) à la suite d’un «vil complot, fomenté par une bande de traîtres au parti Baas et à la révolution irakienne». Au nombre des comploteurs figurent Adnan Hussein, devenu vice-Premier ministre et son chef de cabinet à la présidence, et Abdel Khalek Samarrai qui avait été l’un des dirigeants historiques du parti. Cette élimination d’une opposition potentielle provoque la rupture avec la Syrie, accusée d’être l’instigatrice du complot. Mais peut-être annonçait-elle déjà la guerre avec l’Iran, qui commencera quelques mois plus tard, en septembre 1980?
Sous la présidence de Saddam Hussein, l’Irak est toujours baassiste, mais le tempérament du nouveau président, volontariste et pragmatique, et son besoin d’affirmer sa puissance à l’intérieur et celle de son pays à l’extérieur donnent rapidement à son pouvoir une forme très personnalisée dont, d’ailleurs, s’accommode parfaitement la très grande majorité de son peuple. Âgé seulement de quarante-deux ans en 1979, l’«homme fort» de l’Irak depuis une décennie déjà, libéré désormais depuis juillet de la supériorité protocolaire d’Hassan al-Bakr (décédé en oct. 1982), et devenu «el-Raïs el-monadel» (le Président combattant), Saddam Hussein va s’employer à bien montrer à tous qu’il est le seul maître de l’ancienne Mésopotamie.
Les grandes ambitions
À la différence du Baas syrien, le Baas irakien n’a pas connu (ou n’a que peu connu) les âpres luttes intestines entre clans rivaux. C’est ainsi que, bon gré mal gré, les «militaires» ont dû céder le pas aux «civils», au prix de mises à l’écart et de purges préventives. Après avoir successivement liquidé, entre mai 1978 et juillet 1979, le Parti communiste (P.C.I.), dont les militants qui ont pu échapper aux arrestations se sont réfugiés dans la clandestinité, et, en août 1979, les baassistes pro-syriens, ou supposés tels, le président Saddam Hussein peut songer à l’ouverture. Le 16 mars 1980, le C.C.R. promulgue deux lois, l’une instituant une Assemblée nationale pour l’ensemble de l’Irak, l’autre une Assemblée législative pour la région autonome du Kurdistan. La première assemblée a (en principe) quelques compétences: elle propose et vote les lois, ratifie les traités et accords internationaux, discute de la politique intérieure et étrangère et peut adresser des questions à un ministre et même proposer sa révocation au C.C.R. Le 20 juin 1980, la première Assemblée nationale depuis le renversement de la monarchie (14 juill. 1958) est élue au suffrage universel direct et à bulletins secrets. Elle compte 250 députés, dont 18 femmes, choisis pour quatre ans parmi 840 candidats. 175 députés sont membres du Baas et l’un d’entre eux, Naïm Haddad, est élu à la présidence. Le 19 septembre, c’est au tour de la région autonome d’élire, pour trois ans, 50 députés, dont le plus grand nombre sont responsables d’organisations de masse liées au Baas. Bagdad veut ainsi imposer une leçon: celle de l’accession d’une puissance régionale, pétrolière de surcroît, à la vie parlementaire. Le fait que l’exécutif irakien ait finalement réussi à mener à bien, et sans incidents, cette entreprise surprend et rassure à la fois: si le Baas a pris ce «risque démocratique», c’est qu’il se sent assez fort. Il domine toujours, et plus encore, les autres partis autorisés, le Parti démocratique du Kurdistan (P.D.K.) et le Parti révolutionnaire kurde (P.R.K.), ce d’autant plus que le P.C.I. a été écarté de la scène politique.
Pourtant, les opposants kurdes, sh 稜‘ites et communistes qui continuent à refuser de composer avec le régime, ne restent pas inactifs. Le 12 novembre 1980, huit organisations politiques de cette opposition à Saddam Hussein signent, à Damas, la capitale rivale qui organise cette «résistance», une Charte du front patriotique national démocratique en Irak. On y retrouve le Parti socialiste, le Parti socialiste unifié du Kurdistan (P.S.U.K.) du Dr Mahmoud Osman, le Mouvement socialiste arabe, l’Armée populaire de libération irakienne (fraction issue d’une scission du P.C.I. après 1964), les Indépendants démocrates, rejoints par les Turcomans, l’Union patriotique du Kurdistan (U.P.K.) de Jalal Talabani, le P.C.I. et les dissidents du Baas soutenus par la Syrie. D’un autre côté, le mouvement sh 稜‘ite al-Dawa al-Islamiya (l’Appel de l’islam), fondé en 1969 à Nedjef par l’ayatollah Mohsen al-Hakim, peu de temps avant sa mort (1970), est devenu, avec l’exécution de son principal idéologue, l’ayatollah Mohammed Bagher Sadr (juin 1979), une autre force politico-religieuse avec laquelle il faut compter. Persuadée que l’heure de la succession de Saddam Hussein est proche – notamment à cause des revers irakiens en Iran –, cette opposition souffre de sa diversité et de son absence d’accord sur la nature du régime – laïque ou islamique –, qui devrait être établi. Cette alliance, qui tient beaucoup à la conjoncture, peut avoir quelques répercussions pour l’avenir du régime, car elle recrute ses adhérents dans les minorités – les Kurdes, les chrétiens – et dans la population sh 稜‘ite du Sud, le P.C.I. étant encore, quant à lui, bien implanté dans les organisations syndicales et professionnelles, même s’il est sorti affaibli de sa longue «collaboration» avec le Baas.
Cette effervescence politique souterraine que le régime discerne bien, même s’il en minimise la portée, et qu’il domine en partie, plus dans le Sud que dans le Nord d’ailleurs, n’empêche pas Saddam Hussein de porter ses ambitions plus loin, à l’extérieur. Le rapprochement opéré de façon éphémère avec la Syrie devait orienter davantage la politique irakienne vers l’Ouest en l’engageant nécessairement plus directement dans le conflit israélo-arabe. Elle aurait posé, en cas de succès, le problème du pouvoir, à la fois en Syrie et en Irak, si les deux fractions réconciliées du Baas s’étaient ressoudées et si une direction unique avait dû être instaurée. En juillet 1979, Saddam Hussein, alerté par le succès de la révolution prêchée par l’ayatollah Khomeyni et ne pouvant opérer sur deux fronts, abandonne donc celui de l’Ouest pour accorder toute son attention au Sud, c’est-à-dire vers le Golfe, y rassemblant la totalité de ses moyens. Il peut craindre en effet que les discours khomeynistes n’enflamment ses sh 稜‘ites du Sud. L’Irak se sent donc tenu de prendre la responsabilité de la sécurité de la région. C’est l’occasion aussi pour Bagdad d’accéder à une position internationale majeure. À cet égard, une charte nationale, proposée par Saddam Hussein dès le 8 février 1980, ne demande-t-elle pas que «tous les pays arabes se coalisent contre toute agression portée par une partie étrangère», qui viserait en premier lieu le Golfe?
La guerre contre l’Iran (1980-1989)
L’ancien conflit qui opposait l’Irak à l’Iran à propos du Chatt al-Arab avait été réglé par l’accord d’Alger (6 mars 1975), dans la mesure où la frontière fluviale avait été établie selon la ligne de thalweg au lieu de suivre la rive orientale comme c’était le cas jusque-là, et où les frontières terrestres avaient été délimitées sur la base d’accords antérieurs à la présence britannique, tenue par l’Iran pour responsable des dispositions contestées. Après la chute du sh h (févr. 1979), l’Iran se trouve militairement affaibli par la dislocation de son armée régulière et par l’embargo américain sur les livraisons d’armes puis des pièces de rechange (affaire des otages américains). L’Irak est alors à l’apogée de sa puissance politique et militaire. La méfiance de Bagdad à l’égard de la révolution iranienne, renforcée par le soutien de plus en plus ouvert accordé par Téhéran aux groupes sh 稜‘ites (dont al-Dawa) opposés au gouvernement baassiste, rejoint, sur le plan régional, l’hostilité des pays arabes producteurs de pétrole du Golfe à la révolution islamique, qu’ils perçoivent comme un facteur de déstabilisation économique, politique et sociale.
La situation entre l’Irak et l’Iran, tendue dès juin 1979, se dégrade considérablement à partir de mars 1980: retrait des ambassadeurs (mars), attentat contre le vice-Premier ministre Tarek Aziz (1er avr.), arrestation de l’ayatollah Bagher Sadr, responsable d’al-Dawa (9 avr.), expulsion de 20 000 Irakiens sh 稜‘ites d’origine iranienne (11 avr.). Le 17 septembre, le président Saddam Hussein dénonce l’accord d’Alger de 1975. Le 22 septembre, le C.C.R., «prenant acte de la transformation graduelle des combats en une guerre ouverte», décide de «porter des coups décisifs» aux forces iraniennes qui, depuis le mois de juillet, se livrent aux frontières à un harcèlement continu. L’armée irakienne prend pied en Iran. Les visées initiales exprimées officiellement par l’Irak sont triples:
– la restauration de droits légitimes irakiens sur des territoires et des eaux (celles du Chatt al-Arab) toujours disputés malgré l’accord d’Alger;
– le respect par les parties des principes de souveraineté et de bon voisinage, la non-ingérence dans les affaires intérieures et l’abandon d’ambitions expansionnistes dans les relations entre l’Iran et l’Irak, d’une part, et les autres pays arabes, d’autre part;
– la restauration des droits nationaux arabes usurpés par l’Iran, cette dernière revendication ayant trait plus spécialement au sort du Khouzistan (l’Arabistan) et à celui des trois îles arabes, Abou Moussa, Petite et Grande Tomb, dans le détroit d’Hormuz, occupées par l’Iran depuis 1971.
Mais derrière ces desseins avoués se dessinent d’autres motivations, plus politiques: le renversement de la République islamique d’Iran, l’émergence de l’Irak en tant que première puissance du Golfe, et l’affermissement de l’autorité personnelle, régionale et internationale, de Saddam Hussein.
Actions militaires
Dès le début des hostilités, l’Irak se fixe des objectifs militaires précis. Il s’agit, grâce à la prise de quelques gages territoriaux, notamment dans le Sud où se trouvent les principales infrastructures pétrolières et une population d’origine arabe, d’exercer sur l’Iran une pression suffisamment forte pour l’amener à composer en position défavorable. Très vite, cette conception d’une guerre offensive limitée et rapide, qui aurait été appuyée, au-delà du théâtre des opérations militaires, par l’action à Téhéran d’opposants iraniens, pour déboucher sur une négociation aussitôt offerte par Bagdad, se heurte à la résistance puis aux contre-offensives réussies des forces iraniennes. Cet échec initial conduit le président Saddam Hussein à l’escalade que lui impose la détermination jusqu’au-boutiste de son adversaire. Pourtant dans cette spirale de la montée aux extrêmes, l’Irak, bien que pris au piège de sa propre stratégie et malgré plusieurs revers conséquents, réussit à dominer le cours de la bataille. De septembre 1980 à mars 1982, son armée occupe quelques portions du territoire iranien mais ne réussit aucune percée décisive. Puis l’Iran, s’étant ressaisi, reprend l’initiative. Le 10 juin, Bagdad, après avoir retiré ses forces à la frontière, décrète unilatéralement un cessez-le-feu ignoré de Téhéran. À leur tour, les forces iraniennes, multipliant leurs offensives, pénètrent en Irak. Celui-ci met alors l’accent sur la «guerre économique», en imposant un blocus de l’île de Kharg, où se trouve le principal terminal pétrolier iranien, dès août 1982. Le front terrestre se stabilise pendant plusieurs mois, les défenses irakiennes s’étant consolidées et les actions iraniennes, là où elles les submergent, ne pouvant se prolonger durablement sur le territoire adverse. En avril 1984, les Irakiens engagent la «guerre des villes». Diverses missions de conciliation échouent et les efforts des Nations unies restent inopérants. En 1986, l’escalade dans la «guerre économique» s’intensifie tandis que quelques offensives iraniennes enregistrent des succès locaux (prise de Fao en février). Au début de 1987, la pression iranienne se fait plus forte autour de Bassorah, menaçant de nouveau le Koweït. L’Émirat obtient la protection de la marine américaine pour ses pétroliers. C’est l’internationalisation de la guerre, recherchée par l’Irak car elle ouvre un second front, dans le Golfe même, où vont se faire face et parfois s’opposer violemment Iraniens et Américains. Le 20 juillet 1987, le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution 598 réclamant un cessez-le-feu et proposant un processus de paix. L’Irak l’accepte mais l’Iran la refuse. La tension s’accroît dangereusement dans le Golfe. En février 1988, la guerre des villes, avec l’emploi massif de missiles sol-sol, connaît une nouvelle escalade meurtrière. À partir d’avril, les forces iraniennes soumises à une double poussée, irakienne et américaine, subissent des revers majeurs (retrait, dans le Sud, de Fao et des îles Majnoun dans les marais du Chatt al-Arab, et, dans le Nord, du Kurdistan). Le 18 juillet, Téhéran consent finalement à accepter officiellement la résolution 598 (1987) et, ce faisant, un cessez-le-feu qui prend effet le 20 août.
Actions diplomatiques
Cette stratégie de l’Irak, consistant à ne pas se laisser enfermer dans une guerre terrestre qu’il sait ne pouvoir gagner et à parier sur une internationalisation du conflit, première étape d’une paix négociée, se double, durant le même temps, d’une action diplomatique également contrastée. Se départissant d’une attitude jusque-là constante de suspicion contre les États arabes modérés et d’hostilité plus ou moins déclarée vis-à-vis des Occidentaux, les dirigeants irakiens s’emploient à constituer un solide réseau d’appuis extérieurs. Ils obtiennent une aide financière substantielle, quoique savamment dosée (estimée à plus de 40 milliards de dollars pour les cinq premières années de la guerre), et un soutien politique discret des monarchies du Golfe – Arabie Saoudite en tête – à la mesure de l’inquiétude qu’elles éprouvent de voir l’Iran l’emporter. Les liens unissant l’Irak à la Jordanie, qui lui offre son débouché stratégique dans le golfe d’Akaba, se haussent à un niveau tel que le roi Hussein ne manque jamais d’accourir auprès du président irakien lorsque les circonstances sont graves ou quand il s’agit de favoriser une hypothétique réconciliation avec le général Hafez al-Assad. Surtout, l’Irak, qui avait violemment dénoncé, en leur temps, les accords de Camp David et le traité de paix égypto-israélien et accueilli, à Bagdad, le sommet de la Ligue arabe excluant l’Égypte de ses rangs, rétablit des relations étroites avec elle (visite d’Hosni Moubarak, en mars 1985). Ainsi se constitue dans la région, à la faveur de la guerre, un axe Bagdad-Amman-Le Caire, bientôt rejoint par l’O.L.P., faisant contrepoids à la coalition d’intérêts Téhéran-Damas-Tripoli. Damas, en effet, est la seule capitale arabe de la région à prendre ses distances d’avec Bagdad. Dénonçant l’initiative irakienne d’avoir porté la guerre en Iran, rompant leurs relations diplomatiques et fermant leurs frontières avec leurs voisins de l’Est (avr. 1982), les Syriens ne se départiront pas de leur attitude hostile, malgré les efforts renouvelés du roi Hussein pour réconcilier les «frères ennemis» (rencontre secrète Hafez al-Assad-Saddam Hussein en Jordanie, le 27 avril 1987, sommet arabe d’Amman, 8-11 nov. 1987).
Tributaire de l’Union soviétique pour son armement, l’Irak éprouve d’abord quelques difficultés à tirer profit du traité d’amitié et de coopération qui la lie à elle depuis 1972 et qui sera renouvelé pour quinze ans en avril 1987. Les livraisons de matériels sont ralenties – suspendues? – de septembre 1980 à juin 1982, c’est-à-dire durant la période où les forces irakiennes font figure d’agresseurs. Elles reprennent considérablement à partir de cette date mais les relations entre les deux pays (visite du président Saddam Hussein à Moscou, 15-17 déc. 1985, la première depuis sept ans) souffrent de ce que l’Union soviétique, pour ne pas avoir à renoncer à sa politique d’équilibre dans le Golfe et à subir des effets indirects en Afghanistan, maintient un minimum d’échanges avec l’Iran. En revanche, la neutralité déclarée des États-Unis dans le conflit va profiter à l’Irak. À partir de 1984, Washington commence à s’inquiéter de l’intensification de la guerre dans le Golfe et des menaces qui pèsent sur son trafic maritime. Les relations diplomatiques, rompues depuis 1967, sont rétablies (26 novembre 1984). Nonobstant l’affaire de l’Irangate (1986) et l’incident de la frégate Stark (17 mai 1987), les décisions et les intérêts irakiens correspondent de plus en plus à ceux des États-Unis. Cette convergence est habilement exploitée du côté irakien, durant les six derniers mois de la guerre, pour forcer l’Iran dans ses ultimes retranchements. Au sein de la Communauté européenne, dont les membres affichent leur neutralité, la France occupe une place particulière. Sa coopération avec l’Irak remonte aux années 1970. La guerre non seulement ne la remet pas en question mais, au contraire, l’accentue (poursuite de la livraison d’avions Mirage F-1, prêt temporaire d’avions Super-Étendard en octobre 1983, fourniture de nouvelles armes). Ce choix vaut à la France l’hostilité déclarée de l’Iran – avec lequel elle suspend ses relations de juillet 1987 à juin 1988 – et l’attaque, sous diverses formes (actions terroristes, prises d’otages), de ses intérêts et ressortissants, au Liban d’abord. Cet engagement plus ou moins prononcé des acteurs extérieurs aura finalement joué un rôle décisif en faveur de l’Irak.
Le réveil des oppositions
La nature même du régime baassiste exige que les oppositions internes, qui mettent en question sa prééminence, soient bridées et, lorsqu’elles se manifestent de manière extrême, soient radicalement éliminées. L’état de guerre impose encore davantage de vigilance. Les craintes du pouvoir ne sont pas sans fondement. Elles viennent de la survivance d’une contestation sh 稜‘ite limitée à quelques cercles politico-religieux très localisés (Nedjef, Kerbala), que l’Iran s’emploie à revigorer, de l’irrédentisme de certaines organisations kurdes encouragé, lui aussi, par Téhéran et d’ambitions partisanes au sein même du Baas, que la Syrie ne manque pas d’exploiter.
Les sh size=4稜‘ites
Contre toute attente – notamment de la part de la République islamique iranienne –, la communauté sh 稜‘ite irakienne reste sourde aux appels qui lui sont lancés de se dresser contre le régime du président Saddam Hussein. L’exécution de l’ayatollah Mohammed Bagher Sadr (avr. 1980), en réponse à un attentat manqué contre le vice-Premier ministre Tarek Aziz, décapite la direction de l’organisation al-Dawa al-Islamiya, considérée comme la plus virulente. Son objectif est l’instauration d’un gouvernement islamique. Repliée en Iran, elle prête allégeance à l’ayatollah Khomeyni, au printemps de 1982, à l’occasion de son congrès. Le 17 novembre 1982, l’hodjatoleslam Seyed Mohammed Bagher Hakim, fils du grand ayatollah Mohsen Hakim (mort en 1970) et chef de file du clergé sh 稜‘ite irakien, hostile au régime de Bagdad et réfugié à Téhéran, y annonce la formation d’un Conseil supérieur de la révolution irakienne, qui se fixe comme objectif le renversement du Baas en Irak et la constitution d’une République islamique à l’exemple de celle de l’Iran. Un ultimatum du président Saddam Hussein est adressé au chef de cette opposition islamique. Peu de temps avant (1er août 1982), un attentat à l’explosif à Bagdad, revendiqué par les moudjahidins d’Irak, se situant dans cette mouvance Hakim, avait provoqué de nombreux morts. D’autres attentats meurtriers se produisent dans la capitale irakienne (déc. 1982, avr. 1983), dont l’origine ne fait aucun doute. En mai 1983, les autorités ripostent en procédant à des arrestations massives au sein de la famille Hakim demeurant encore à Nedjef. Dix de ses membres – dont l’un passe pour diriger l’opposition sh 稜‘ite en Irak – sont exécutés par pendaison à Bagdad (6 mars 1985). Cette répression ne met pourtant pas un terme aux attentats en Irak ou contre des intérêts irakiens à l’étranger – particulièrement durant l’année 1984 –, actions que se partagent les moudjahidins, Amal islamique irakien (fondé à Kerbala, en 1975, par des proches de l’ayatollah Mohammed Bagher Sadr) et l’Organisation d’action islamique. Le 26 décembre 1986, le Jihad islamique pro-iranien revendique la réalisation, en liaison avec al-Dawa, de l’attentat commis contre un Boeing irakien à Beyrouth (62 morts) et réclame la libération de militants dont certains, irakiens, sont détenus au Koweït pour des actes terroristes commis en décembre 1983. À la fin de 1986, à Téhéran, à l’invitation de la République islamique qui souhaite les fédérer, les opposants irakiens de toutes origines – sh 稜‘tes, kurdes, chrétiens, nationalistes, baassistes – ne parviennent pas à s’entendre sur la formation de ce front commun, marquant les limites de leur entreprise. La cessation des hostilités entre l’Irak et l’Iran pose, à partir d’août 1988, la question de leur survie politique.
Les Kurdes
L’opposition d’une partie des Kurdes d’Irak repose, quant à elle, sur des bases plus solides. L’accord irako-iranien du 6 mars 1975 n’a désarmé les fidèles de Mollah Moustapha Barzani repliés en Iran que pour un temps. À la mort du vieux chef kurde (le 2 mars 1979 aux États-Unis), ses deux fils, Massoud et Idriss (qui trouvera la mort en janvier 1987), prennent sa relève à la tête du P.D.K.-Irak (dissident). Dès le début de la révolution iranienne, ils se rapprochent de la République islamique. La guerre, ensuite, fait renaître les alliances croisées: les Kurdes d’Iran – principalement le P.D.K.-Iran d’Abderrahman Ghassemlou – sont aidés par Bagdad alors que ceux de l’Irak sont utilisés par Téhéran pour tenir un front secondaire dans le Kurdistan. Mais, tandis que les «barzanistes» du P.D.K.-Irak, animés d’une haine irréductible à l’égard du pouvoir central de Bagdad, s’engagent militairement aux côtés des forces iraniennes, les «talabanistes» de l’Union patriotique du Kurdistan (U.P.K.), une organisation née de la défaite de 1975, pratiquent un jeu plus équivoque. Leur chef, Jalal Talabani, allié lui aussi de la République islamique rompt avec elle et entreprend, en 1983, une négociation avec Bagdad. Un cessez-le-feu est conclu mais, après quelques mois de discussions, aucun accord sur l’amélioration du régime d’autonomie du Kurdistan n’est obtenu du président Saddam Hussein. Cet échec, consommé en janvier 1985, conduit Jalal Talabani à rejoindre le P.D.K.-Irak, longtemps son rival, et à conclure avec lui, en novembre 1986 à Téhéran, un accord politico-militaire. À partir de mai 1987, devant la montée des périls dans le Kurdistan, l’armée irakienne entreprend de vastes opérations de ratissage. Elle y rencontre des résistances farouches (bataille de Halabja, en mars 1988, avec emploi d’armes chimiques). L’U.P.K. se conforte en signant, en mai 1988 à Damas sous l’égide du général Hafez al-Assad, un accord avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui mène sa propre guérilla dans l’est de la Turquie. Le cessez-le-feu d’août 1988 est aussitôt mis à profit par Bagdad pour mener de nouvelles opérations militaires au Kurdistan. L’armée irakienne est accusée de recourir, une fois de plus, au gaz, ce dont elle se défend. Des milliers de Kurdes cherchent refuge en Turquie et en Iran. Une amnistie en leur faveur – à l’exception de Jalal Talabani – est décrétée par Bagdad, le 6 septembre 1988 mais a peu d’effet. Une nouvelle fois, les Kurdes se trouvent être les perdants de la guerre. Ceux d’entre eux qui, dans leur région autonome, se sont soumis à la loi du 11 mars 1974 ont aussi à supporter les effets de cette situation dramatique: zones frontalières interdites, déplacements de populations et contrôles rigoureux.
Au sein du Baas
À travers la guerre, donc, les ressorts de cette contestation interne se trouvent renforcés de l’extérieur. D’une certaine façon, le pouvoir du parti Baas est remis en cause et, avec lui, cette minorité sunnite qui entoure le président Saddam Hussein et passe pour tenir les commandes de l’État. Afin de dépasser ces clivages communautaires, que refuse l’idéologie baassiste, et renforcer le sentiment nationaliste arabe, le pouvoir articule son discours de guerre autour de deux thèmes: l’opposition aux menées khomeynistes qui veulent saper les bases de l’ordre interne irakien et la défense, en lieu et place des Arabes, du flanc oriental de la «nation arabe». D’où cette référence à la «nouvelle Q dissiyya», du nom de la bataille qui, en 637, a vu la défaite des Perses face aux armées musulmanes. Ce renvoi à l’histoire ancienne vise à renforcer l’autorité personnelle du chef de l’État irakien et à le placer dans une situation de héros qui le rende intouchable. Cela explique le culte de la personnalité dont il est l’objet et l’extrême rigueur avec laquelle le pays se trouve gouverné. Le 27 juin 1982 – c’est-à-dire au moment même où l’armée irakienne se replie à hauteur de la frontière internationale –, le IXe congrès du commandement régional (irakien) du Baas procède à la réélection de Saddam Hussein au poste de secrétaire général. Les instances dirigeantes en sont remaniées, passant de treize à neuf membres. Un vaste mouvement ministériel est en même temps opéré. Le gouvernement n’est plus à l’abri des purges: exécution d’un ministre prévaricateur, celui de la Santé, en novembre 1982; mutations ou limogeages à intervalles réguliers. Il arrive même à l’Assemblée – renouvelée en octobre 1984 – de censurer des ministres. Des proches du chef de l’État peuvent également subir son courroux: mise à pied, en 1983, de son demi-frère, Barzan al-Takriti, chef du Renseignement; arrestation, en novembre 1988, de son fils Oudaï, impliqué dans l’assassinat d’un garde du corps de son père. De temps à autre, des rumeurs invérifiables concernant des tentatives de coup d’État, suivies d’arrestations et d’exécutions, notamment de militaires, circulent (décembre 1988 et janvier 1989, notamment). La mort, le 5 mai 1989, dans un accident d’hélicoptère, du général Adnan Kairallah, l’un des neuf membres du C.C.R. et ministre de la Défense, par ailleurs cousin et beau-frère de Saddam Hussein, donne matière à spéculations sur la loyauté de certains cadres de l’armée, dont quelques généraux qui ont péri dans des accidents similaires ou ont quitté discrètement leur commandement. Lorsque la situation devient préoccupante sur le front et risque d’avoir des effets à l’intérieur, le président Saddam Hussein ne tarde jamais à reprendre les choses en main. Ainsi, le 10 juillet 1986, une séance extraordinaire du commandement régional du Baas est-elle convoquée pour approuver ses choix et conforter son autorité sur le parti par l’entrée, au sein de sa direction, de fidèles éprouvés.
7. Tempêtes sur l’Irak (1989-1993)
Prémices
L’acceptation d’un cessez-le-feu par l’Iran, le 18 juillet 1988, consacre, du point de vue de l’Irak, sa victoire, c’est-à-dire le bien-fondé des options de son président même si, sur le terrain, la situation n’est guère différente de celle qui prévalait en 1980. Le conflit régional le plus meurtrier de l’histoire moderne depuis la Seconde Guerre mondiale aurait fait un million deux cent mille morts, les pertes irakiennes étant cependant trois fois moins élevées que les pertes iraniennes. Après huit années de guerre, l’Irak est exsangue: le coût de sa reconstruction est estimé à 60 milliards de dollars, tandis que la dette extérieure se situe autour de 70 milliards, venant pour moitié des monarchies du Golfe. Le président Saddam Hussein, se voulant apaisant, ne renonce pas, pour autant, à ses ambitions. À l’intérieur, après avoir fait approuver par le C.C.R. l’idée de multipartisme en janvier 1989, il organise des élections législatives (1er avr.) pour la désignation des deux cent cinquante membres du Conseil national (Parlement): le Baas y obtient cent sièges, le reste allant aux indépendants et aux associations socioprofessionnelles. À l’extérieur, mesurant les craintes ressenties notamment dans les pays du Golfe, il multiplie les déclarations rassurantes sur sa volonté de ne pas intervenir dans les affaires des autres pays arabes, précisant qu’il n’a aucune revendication sur ses voisins. Mais c’est bien à Bagdad que se crée, le 16 février 1989, un Conseil de coopération arabe réunissant, autour de l’Irak, l’Égypte, la Jordanie et le Yémen du Nord. Le régime irakien entend, de la sorte, asseoir sa puissance par un développement tous azimuts des potentialités du pays.
Peu à peu, l’inquiétude, dans la région et même au-delà, perce, alimentée par les rumeurs mais aussi par les faits: le 5 avril 1989, Saddam Hussein adresse une mise en garde à Israël contre toute agression qui prendrait pour cible des installations irakiennes; le 15 septembre, un journaliste britannique, Farzad Bazoft, est arrêté, accusé d’espionnage et sera exécuté le 15 mars 1990; le 7 décembre 1989, on annonce le lancement réussi d’une fusée à trois étages; les Israéliens assurent que les Irakiens pourraient fabriquer une bombe atomique dans les deux ans; en avril 1990, on saisit à Londres des «kryton» (détonateurs atomiques) tandis que l’affaire du «canon géant», dont les éléments constitutifs sont interceptés, défraye la chronique. Cette montée en puissance, affichée sur fond de prolifération balistique, nucléaire et chimique, entraîne une vive tension avec les États-Unis et la Grande-Bretagne: l’armée irakienne apparaît comme la plus puissante et la mieux expérimentée de la région, prête à s’engager, à court terme, cette fois sur le front occidental, contre Israël. Le 2 avril, en effet, le président irakien réitère ses avertissements: reconnaissant que son pays est en possession d’armes chimiques binaires, il menace de les utiliser contre l’État juif dans le cas où celui-ci lancerait une offensive. Mais c’est lors du sommet extraordinaire de la Ligue arabe, à Bagdad, du 28 au 30 mai 1990, que Saddam Hussein dévoile ses intentions. Désignant Israël et rejetant sur les États-Unis la responsabilité première de sa «politique agressive et expansionniste», il fustige aussi les monarchies du Golfe pour leur «attitude complaisante», jugeant que la guerre est, désormais, inévitable.
Bouclier et Tempête du désert
En fait, l’objectif de Saddam Hussein est moins Israël que l’instauration de l’hégémonie irakienne: la restauration de la grandeur abbasside est devenue le leitmotiv de ses discours officiels sur le Golfe et dans le monde arabe. Une première cible est désignée: le Koweït. À l’occasion de la célébration, les 17 et 18 juillet 1990, du vingt-deuxième anniversaire de l’arrivée du Baas au pouvoir, il est reproché aux pays du Golfe d’être les instruments d’un complot impérialo-sioniste et d’avoir «planté un couteau empoisonné dans le dos de l’Irak». Le gouvernement koweïtien tente de s’expliquer et recherche des médiations. Le 19 juillet, il demande à la Ligue arabe la constitution d’une commission arabe pour trancher définitivement de la délimitation de ses frontières avec l’Irak. Les États-Unis font connaître leur soutien. Le 21 juillet, l’Irak reproche au Koweït d’avoir préparé le terrain à une intervention étrangère. Les médiations s’essoufflent, tandis qu’on observe le déploiement de nombreuses unités militaires irakiennes à la frontière. Le 25 juillet, Saddam Hussein, convoquant l’ambassadeur des États-Unis, April Glaspie, l’avertit, à mots couverts, que l’Irak pourrait réagir militairement en cas d’échec de ses discussions avec le Koweït, à Djedda. Le 1er août, celles-ci échouent, ainsi que les ultimes tentatives du roi Hussein de Jordanie et de Yasser Arafat. Dans la nuit du 1er au 2 août, par une attaque surprise, les troupes irakiennes occupent, en cinq heures, le petit émirat.
Ce faisant, les motivations irakiennes peuvent être d’abord d’ordre financier: n’arrivant pas, avec ses 12 à 13 milliards de dollars de recettes pétrolières propres, à satisfaire les besoins induits par la reconstruction et n’ayant obtenu satisfaction à la conférence ministérielle de l’O.P.E.P. à Genève, les 26 et 27 juillet 1990, l’Irak s’approprie la ressource koweïtienne. Mais l’histoire peut aussi se répéter. L’Irak a longtemps revendiqué le rattachement pur et simple de l’émirat, rappelant que celui-ci avait été une partie intégrante du wilayet ottoman de Bassorah. En juin 1961, une semaine après l’indépendance du Koweït, le général Kassem avait tenté, une première fois, de s’en emparer par la force. L’indépendance de l’émirat est reconnue, en 1963, par le maréchal Aref mais, de 1963 à 1973, date à laquelle de nouveaux incidents éclatent, aucune négociation pour le tracé des frontières n’aboutit. Le contentieux, qui porte principalement sur les îles koweïtiennes de Boubiane et de Warba et, par voie de conséquence, sur la délimitation des eaux territoriales et des zones de prospection pétrolière sur le plateau continental du Golfe, fut mis en sourdine durant le conflit irako-iranien (1980-1988). Les négociations entamées entre Irakiens et Koweïtiens, à partir du mois de janvier 1990, n’aboutirent pas, malgré l’entremise secrète du roi Hussein de Jordanie.
À partir du 2 août, les événements se succèdent rapidement: la résolution 660 du Conseil de sécurité de l’O.N.U. exige le retrait immédiat et inconditionnel de l’Irak (2 août); la Ligue arabe condamne l’agression irakienne (3 août); la résolution 661 décrète un boycottage général, commercial, financier et militaire, de l’Irak (6 août); les États-Unis déclenchent l’opération Bouclier du désert, afin de prévenir une invasion de l’Arabie Saoudite (7 août); l’Irak annexe le Koweït (8 août); après avoir déclaré le djihad , Saddam Hussein préconise une «solution globale» pour tous les problèmes d’occupation de la région, établissant ainsi un lien entre le règlement de la crise du Golfe et celui du problème palestinien (12 août); puis il annonce que l’Irak va évacuer les territoires iraniens qu’il occupe encore pour mettre un point final au premier conflit du Golfe (15 août); Bagdad bloque au Koweït (16 août), puis en Irak même, des milliers de ressortissants étrangers qui serviront, quelques semaines durant, de «boucliers humains», avant d’être progressivement libérés (6 déc.)... Au Conseil de sécurité, les résolutions se succèdent, sans pour autant faire fléchir le président irakien. L’embargo, assorti d’un blocus naval, bien qu’efficace – l’Irak est privé du produit de la vente, désormais bloquée, de son pétrole –, ne semble pas l’affaiblir. En octobre, les États-Unis, avec le soutien des Nations unies, ont réussi à rassembler une vaste coalition armée occidentale et arabe et jugent que, pour obtenir l’évacuation du Koweït, il n’y a pas d’autre recours que la force armée. Le 29 novembre, le Conseil de sécurité adopte la résolution 678 autorisant les Alliés à «user de tous les moyens nécessaires», après le 15 janvier, pour contraindre l’Irak à se retirer du Koweït.
À partir du mois d’octobre, l’opération Tempête du désert est mise au point et prévue en deux phases: une phase aérienne, dont on espère que l’ampleur contraindra Saddam Hussein à l’abandon, puis une phase aéro-terrestre si ce ne devait pas être le cas. Dans le même temps, on offre à celui-ci une porte de sortie honorable: entre le 15 décembre 1990 et le 15 janvier 1991, le secrétaire d’État américain, James Baker, est autorisé à rencontrer son homologue irakien, Tarek Aziz. Ces entretiens, d’autres plus discrets, entamés du côté français notamment, des actions partout dans le monde en faveur de la paix restent sans effet. Le 17 janvier, dans la nuit, l’opération Tempête du désert est déclenchée: l’offensive, comme prévu, est aérienne. Elle durera jusqu’au 24 février. Aux bombardements aériens massifs, les Irakiens répliquent par des tirs de missiles S.C.U.D., y compris sur Israël, pour tenter de l’impliquer – mais sans succès – dans le conflit. D’ultimes initiatives diplomatiques sont lancées, du côté iranien (2 févr. 1991) et, surtout, par les Soviétiques (missions d’Evgueni Primakov, à Bagdad, le 12 févr., et de Tarek Aziz, à Moscou, le 20 févr.). Le 22 février, George Bush, rejetant le plan de paix proposé par ces derniers, lance un ultimatum à Saddam Hussein. En l’absence de réaction des Irakiens, le 24 février, les forces alliées lancent leur opération terrestre contre l’armée irakienne du Koweït. En moins de quatre jours, l’émirat est libéré. Le 28, Tarek Aziz, au nom de l’Irak, accepte sans conditions les douze résolutions du Conseil de sécurité. Un cessez-le-feu entre en vigueur.
L’Irak sous haute surveillance
Cette deuxième guerre du Golfe fera date dans l’histoire: face à 580 000 Irakiens, un corps expéditionnaire de 750 000 hommes, dont 510 000 soldats américains; une coalition alliée de trente-deux pays; quarante-deux jours de combats aériens, avec 106 000 sorties; 100 heures de combats terrestres; 70 p. 100 de l’artillerie et des blindés irakiens détruits; entre 50 000 et 150 000 morts irakiens, pour 235 alliés; une bataille de missiles sol-sol S.C.U.D. et sol-air Patriot sans précédent; une guerre suivie en direct par des millions de téléspectateurs... Mais on retiendra, aussi, de mutuelles erreurs d’appréciation: Saddam Hussein croyant que le fait accompli de l’annexion du Koweït ne serait pas sanctionné; George Bush n’obtenant pas, in fine , l’élimination de son adversaire avec l’instauration, en Irak, d’un nouveau régime.
Le cessez-le-feu du 3 mars 1991, résultant de la résolution 686, ne met pas un terme aux ennuis de l’Irak. Non seulement il doit se plier aux exigences des vainqueurs, mais, plus encore, il doit faire face à des dissidences, kurde dans le Nord, sh 稜‘ite dans le Sud, encouragées d’une certaine manière par les Occidentaux. Ainsi, une résolution autorise l’Agence internationale de l’énergie atomique à procéder à la destruction des armes chimiques, biologiques et balistiques. Une autre (715, du 11 oct.) permet le contrôle permanent des installations civiles et militaires susceptibles de fabriquer des armes de destruction massive. Les missions de contrôle se succèdent sur le territoire irakien, non sans provoquer, de temps à autre, des réactions hostiles. Au Kurdistan, une force internationale doit être dépêchée dès le mois d’avril 1991 (opération Provide Comfort), afin de soustraire les populations kurdes, dont certaines ont trouvé refuge en Turquie, aux représailles de Bagdad. Une zone d’exclusion aérienne est signifiée à l’Irak, au nord du 36e parallèle. Les Kurdes du Front du Kurdistan s’organisent, installant une administration de facto sous couvert de la résolution 688 (droit d’ingérence humanitaire), et faisant front avec un succès inégal, entre juillet et novembre 1991, aux tentatives militaires terrestres irakiennes de reprendre pied dans la région (Erbil, Souleimaniyeh, Kirkouk). Nonobstant ces affrontements, le P.D.K. de Massoud Barzani et l’U.P.K. de Jalal Talabani entament des négociations avec les autorités irakiennes. Elles échouent sur la question éternelle de Kirkouk et de son pétrole et sur le multipartisme, que l’on n’est plus prêt, à Bagdad, de mettre en œuvre. Les élections pour l’Assemblée de la région autonome, tenues le 19 mai 1992, confortent la prééminence de ces partis kurdes sur les autres, sans pour autant effacer la précarité de la situation des Kurdes. Dans le Sud, la situation n’est pas meilleure. Après le soulèvement des populations sh 稜‘ites (févr.-mars 1991), la répression par le pouvoir central provoque la destruction partielle de Kerbala, Nedjef et Bassorah, la mort de plusieurs dizaines de milliers d’habitants et l’exode d’autres dizaines de milliers dans la région des marais ou en Iran.
Contre toute attente, le pouvoir personnel de Saddam Hussein, qui aurait échappé à plusieurs tentatives de coup d’État, sort relativement renforcé de toutes ces épreuves. Malgré la pénurie qui résulte de l’embargo, la population, mobilisée pour la reconstruction du pays, n’exprime aucune volonté de soulèvement généralisé. Les oppositions, kurde, sh 稜‘ite et démocratique, après avoir tenté de s’organiser autour d’un projet commun (réunions de Vienne, le 20 juin 1992, puis d’Erbil, les 23-25 sept. 1992), restent trop divisées. Au gouvernement de Saadoun Hammadi, considéré comme modéré et ouvert aux réformes, succède, en septembre 1991, celui de Hamza al-Zubaydi. Le Xe congrès régional du Baas (10-13 sept. 1991) est sans relief mais, à cette occasion, le C.C.R. est renouvelé (sept nouveaux membres sur dix-sept), rassemblant les fidèles de Saddam Hussein.
Au début de 1993, la tension monte de nouveau sur la frontière entre le Koweït et l’Irak. Les commissions des Nations unies, opérant dans le cadre de la résolution 667, y ont décidé un nouveau tracé que Bagdad n’a pas officiellement accepté. Tout en procédant à quelques incursions au Koweït, pour y récupérer des armes en dépôt sous contrôle onusien, l’Irak déploie des missiles sol-air au sud du 32e parallèle, dans la zone d’exclusion aérienne. Ces violations des résolutions des Nations unies, à la veille de la prise de fonctions du président américain Bill Clinton, provoquent une première série de raids aériens alliés dans le Sud, sur ces sites (13 janv. 1993), puis un tir américain de missiles de croisière sur Bagdad (17 janv.). Constatant que la détermination alliée est intacte, Saddam Hussein assure vouloir chercher, désormais, l’apaisement: nouvelle manœuvre ou résignation? Il sait déjà que l’Iran, plus que l’Irak, est de nouveau perçu comme la menace essentielle pour la région.
Irak ou Iraq
(république démocratique et populaire d') état du Moyen-Orient, entre la Syrie, la Turquie, l'Iran et l'Arabie Saoudite; 435 000 km2; env. 17 millions d'hab.; croissance démographique: 3,7 % par an; cap. Bagdad. Nature de l'état: rép. présidentielle. Langue off.: arabe. Monnaie: dinar irakien. Pop.: Arabes (70 % env.), Kurdes (20 % env.), Turkmènes, Assyriens, Iraniens, égyptiens. Relig.: islam (90 %; chiite, pour plus de la moitié, et sunnite, surtout dans les villes); nombreuses églises orientales, notam. rites assyrien et chaldéen (10 %). Géogr. phys. et hum. - La plaine de Mésopotamie, ouverte au S. sur le golfe Persique, est encadrée à l'E. et au N. par les massifs du Zagros et du Taurus, et à l'O. par le plateau syrien. C'est le lit alluvial de l'Euphrate et du Tigre (aux crues parfois désastreuses), qui confluent au S. de Bagdad, pour former le Chatt al-Arab et ses immenses marécages. Le climat, torride en été, froid en hiver, produit une végétation steppique; les forêts n'apparaissent que sur les montagnes du N. La population, citadine à 75 %, se concentre dans le couloir mésopotamien et au N., où vit la minorité kurde. écon. - L'Irak est l'un des pays du Moyen-Orient les mieux pourvus en ressources naturelles: terres arables, ressources en eau, 10 % des réserves mondiales de pétrole. Jusqu'à la fin des années 1970, le développement écon., favorisé par la rente pétrolière, l'aide de l'U.R.S.S. et l'ouverture sur l'Occident, ont fait apparaître l'Irak comme un modèle de croissance dans le monde arabe. Mais les cultures des vallées orientales, blé, orge, coton, tabac, oléagineux, dattes (1er producteur mondial), et les ovins des régions sèches de l'Ouest n'assuraient pas l'autosuffisance: le pays devait importer pour plus de 2 milliards de dollars de produits alimentaires par an dans les années 1980. Le régime a développé les transports, les services publics, l'équipement énergétique, l'industrialisation et l'armement. La guerre contre l'Iran (1980-1988) a coûté 150 milliards de dollars; la reconstruction (dans le S., surtout), 60 milliards. Dès 1985, l'Irak a retrouvé ses capacités de production pétrolière de 1980 mais le cours du brut avait baissé et l'endettement atteignait 80 milliards de dollars en 1990. Financièrement exsangue, touché par un blocus écon. sévère, il a envahi le Koweït le 2 août 1990. Pendant la guerre du Golfe (janv.-mars 1991), les bombardements ont détruit le potentiel énergétique et industriel du pays ainsi que ponts, routes, aéroports, adductions d'eau; l'embargo de l'ONU a ensuite créé une situation dramatique (pénurie alimentaire et de médicaments) malgré sa levée partielle en 1996. Hist. - Berceau des plus anc. civilisations du Moyen-Orient, la Mésopotamie prit le nom d'Irak lors de la conquête arabe (637). Le règne des Abbassides, fondateurs de Bagdad, marqua l'âge d'or de la civilisation arabo-islamique (VIIIe-X<sup>e</sup> s.) que suivit un long déclin; à la fin du XIVe s., Tamerlan porta le coup de grâce au pays. En 1534, l'Irak devint une prov. de l'Empire ottoman, que lui disputèrent les Perses séfévides au XVIIe s. puis, dès le XIXe s., les puissances occidentales; à partir de 1903, les Allemands construisirent le chemin de fer de Bagdad. La guerre de 1914-1918 mit fin à l'Empire ottoman, allié de l'Allemagne. L'Irak, placé sous mandat brit. (1920), devint une monarchie constitutionnelle (1921) et accéda à l'indépendance (1932). Sous Faysal Ier (1921-1933), le premier roi hachémite, et sous Ghazi Ier (1933-1939), les Kurdes se soulevèrent plus. fois; la G.-B. s'empara du pétrole mais restaura le réseau d'irrigation abandonné depuis cinq siècles. Sous la régence d'Abd al-Ilah, oncle de Faysal II (1939-1958), le coup d'état de Rachid Ali, favorable à l'Axe, fut écrasé par les Britanniques. à partir de 1945, l'Irak s'engagea dans une politique pro-occidentale: Noury Saïd signa le pacte de Bagdad (1955) et s'allia à la Jordanie (Fédération arabe, 1958), face à l'union de l'égypte et de la Syrie. Cette politique suscita la révolution du 14 juil. 1958, menée par les militaires; le roi et son entourage furent assassinés; le général Kassem proclama la république. Il chercha l'alliance sov. et, très vite, réprima les partisans de Nasser, les autonomistes kurdes (menés par Bârzânî), puis les communistes. Kassem fut renversé et exécuté par le Baas (fév. 1963), qui porta au pouvoir le colonel Abd as-Salam Arif, partisan de Nasser. Arif puis (1966) son frère Abd al-Rahman se rapprochèrent de l'égypte et de la Syrie, créèrent un parti unique, l'Union socialiste arabe, et amnistièrent les Kurdes condamnés (1966). Un nouveau coup d'état du Baas (juil. 1968) porta au pouvoir le général Hassan al-Bakr, qui fit des réformes économiques, intensifia les relations avec l'U.R.S.S. (traité d'amitié de 1972) et accorda aux Kurdes (1972) une autonomie jugée insuffisante. Ceux-ci continuèrent la guérilla jusqu' en 1975; à cette date, ils perdirent l'aide du chah d'Iran, qui bénéficiait d'un nouveau partage du Chatt al-Arab. En 1979, Saddam Hussein remplaça al-Bakr. Craignant l'influence de la révolution iranienne sur les chiites irakiens, il attaqua l'Iran (sept. 1980) avec un armement fourni par l'Occident (Europe surtout) et par l'U.R.S.S. En juil. 1988, les deux pays signèrent un cessez-le-feu sous l'égide de l'ONU: la guerre avait fait un million de morts et 2 millions de blessés. Le régime baasiste, renforcé par cette quasi-victoire, massacra et déporta les Kurdes (dont une grande partie se réfugia en Turquie). En août 1990, convoitant ses richesses, l'Irak envahi le Koweït, ignorant les mises en garde internationales jusqu'à l'expiration du dernier ultimatum, le 15 janv. 1991. La deuxième guerre du Golfe ravagea l'Irak jusqu'au 3 mars. S. Hussein garda un potentiel suffisant pour mater une rébellion chiite au Sud et une rébellion des Kurdes au Nord. Il dut ouvrir son pays aux experts de l'ONU chargés de contrôler le désarmement (notam. nucléaire). L'embargo décidé par l'ONU dès 1990 a gravement affecté la pop. civile irakienne, sans déstabiliser S. Hussein. Les Kurdes ont profité de l'affaiblissement du contrôle de Bagdad pour organiser des élections régionales en mai 1992. à partir de 1993, de nombr. états ont demandé que l'embargo soit levé, pour des raisons humanitaires, et l'Irak a renoncé officiellement à ses prétentions sur le Koweït (nov. 1994), mais le veto des È.-U. est demeuré inflexible. En oct. 1995, S. Hussein a été réélu par 99,95 % des voix. En mai 1996, l'embargo de l'ONU a été partiellement levé, mais les souffrances du peuple irakien n'ont pas cessé. En 1997-1998, les désaccords avec l'ONU ont une nouvelle fois porté sur le contrôle, par l'ONU, de l'armement chimique de l'Irak. Les È.-U. étaient désireux d'intervenir militairement, mais la France, la Chine et la Russie ont préconisé la voie diplomatique. La visite à Bagdad du secrétaire général de l'ONU, K. Annan, a abouti à un accord en mars 1998.
Encyclopédie Universelle. 2012.