APANAGE
Le terme «apanage» (du latin médiéval apanare , donner pour le pain, donner de quoi vivre) et la réalité juridique qu’il définit proviennent du droit privé médiéval. Il désignait à l’origine, dans certaines régions où le droit d’aînesse excluait de la partie essentielle de l’héritage les fils puînés et les filles, les biens donnés à ceux-ci en compensation et, le plus souvent, en échange de la renonciation à la succession paternelle. Cette coutume, liée au droit féodal, a posé des problèmes juridiques et politiques quand elle s’est étendue au droit public – la distinction entre droit privé et droit public n’étant d’ailleurs pas claire dans le droit féodal ancien, surtout dans les pays de droit coutumier.
L’apanage a essentiellement désigné, à partir de la fin du XIIIe siècle, le fief concédé dans certaines conditions particulières aux enfants, et surtout aux fils puînés du roi de France.
On rencontre cependant l’apanage dans certaines principautés seigneuriales qui relèvent de la couronne de France, telles que la Flandre ou – comme le spécifie une charte de 1265 du comte Renaud de Forez – le Beaujolais, et, sous une forme essentiellement symbolique, dans certaines monarchies européennes modernes, voire contemporaines, comme l’Angleterre où l’on appelle apanages de la Couronne le duché de Cornouailles, attribué au prince de Galles, et le duché de Lancastre.
Les apanages ont joué un grand rôle dans l’histoire de France du XIIIe au XVIe siècle, car ils ont paru mettre en danger la puissance de la monarchie et l’unité du royaume. Leur développement est lié à des phénomènes politiques et juridiques fondamentaux qui ont posé des problèmes complexes aux légistes et gouvernants de la France médiévale, et posent encore de délicats problèmes d’interprétation aux juristes et historiens modernes: droit de succession au trône, inaliénabilité du royaume, nature du fief et de la puissance politique, originalité de la famille royale. Ils mettent en cause la politique de la monarchie française et la conception qu’elle avait de sa nature et de sa fonction.
Naissance des apanages (XIe-XIIIe siècle)
Pendant le XIe et le XIIe siècle, le problème de la dotation des enfants puînés du roi ne reçut pas de solution institutionnelle. La succession au trône évoluait de façon empirique: jusqu’à Philippe Auguste (associé au trône par son père Louis VII quelques mois avant sa mort en 1180), les rois faisaient couronner leur successeur. Le droit d’aînesse, qui s’établissait fermement dans la féodalité de la France du Nord, facilita le choix des souverains, qui se porta sur leur fils aîné. Ce choix fut rendu plus aisé par le fait que Hugues Capet n’eut qu’un fils légitime, Robert le Pieux. Celui-ci, après la mort de son fils aîné, Hugues, fit accepter – contre le désir de sa femme Constance qui favorisait leur troisième fils, Robert – le cadet, Henri. Par la suite, le principe de primogéniture, renforcé par l’association au trône, ne rencontra pas de résistance notable. L’exiguïté du domaine royal empêcha sans doute que le principe du partage entre fils, qui était de règle sous les dynasties germaniques des Mérovingiens et des Carolingiens, ne l’emportât sur la pratique de mieux en mieux établie du droit d’aînesse. Des hasards heureux permirent aussi d’assurer le rang des fils puînés; Robert, frère de Henri Ier, reçut le duché de Bourgogne en conclusion d’une révolte contre le roi (1034), et Hugues, frère de Philippe Ier, le comté de Vermandois par mariage. Pour d’autres, l’illégitimité de leur naissance, la punition d’une révolte ou l’entrée dans les ordres permirent de les exclure sans difficultés majeures de la succession.
Louis VI (1108-1137) eut, après son fils aîné, le futur Louis VII, quatre fils: deux entrèrent dans les ordres; l’un devint, par son mariage, seigneur de Courtenay, en Gâtinais, mais au cadet, Robert, Louis VI donna le petit comté d’Évreux, détaché du domaine royal. Cette donation peut être considérée, plus que la cession de la Bourgogne par Henri Ier à son frère Robert, comme le véritable ancêtre des apanages. Louis VII (1137-1180) n’eut qu’un fils, et celui-ci, Philippe II Auguste (1180-1223), n’eut qu’un fils légitime. Il avait marié le fils considéré par l’Église comme illégitime, que lui avait donné Agnès de Méran, Philippe dit Hurepel, à l’héritière du comté de Boulogne, domaine qu’il recueillit aussitôt après Bouvines (1214), son beau-père Renaud comptant parmi les vaincus de cette bataille. Philippe Auguste y joignit des terres du domaine royal: le Cotentin, les comtés de Domfront et de Mortain. Mais c’est sous le règne du fils légitime de Philippe Auguste, Louis VIII (1223-1226), que naquirent les apanages à proprement parler, encore que le mot fût employé pour la première fois en 1316 seulement pour désigner ces dotations à des enfants royaux. Par son testament de 1225, Louis VIII aliéna un tiers environ du domaine royal en faveur de ses fils puînés: le deuxième, Robert, reçut l’Artois; le troisième, Alphonse, le Poitou et l’Auvergne; le quatrième, Charles, l’Anjou et le Maine. Les conquêtes de Philippe Auguste – dont le domaine royal ne conservait que la Normandie – permettaient cette générosité; les progrès de l’autorité et du prestige royaux faisaient apparaître comme nécessaire que tous les fils du roi fussent bien nantis et puissants dans le royaume.
L’âge d’or des apanages (XIIIe-XVIe siècle)
Deux tendances contraires allaient pendant trois siècles jouer pour ou contre le développement des apanages. D’un côté, la plupart des rois étaient désireux de doter leurs fils puînés ou leurs frères, aussi bien pour tenter de désarmer leurs éventuelles révoltes que pour soutenir l’éclat du trône. Celui-ci paraissait de plus en plus lié au prestige de la famille royale tout entière, au groupe de ceux qui s’appelaient eux-mêmes, dès le XIIIe siècle, «fils de roi de France», qu’on nomma, au XIVe siècle, «princes des fleurs de lys» ou, selon les termes de Charles V, «princes de notre sang», et, enfin, «princes du sang». De l’autre, les conseillers du roi – de plus en plus conscients de la transcendance de la Couronne et de l’État – poussaient au renforcement des principes et des pratiques qui restreignaient les pouvoirs des apanagistes. Ils utilisèrent surtout les moyens suivants:
– la limitation de la succession des apanagistes aux hoirs directs, entraînant le retour des apanages à la Couronne, en cas d’extinction de la ligne directe (édictée pour la première fois par Louis VIII en 1224, à l’égard de son demi-frère Philippe Hurepel, et érigée en principe par un arrêt du Parlement de 1284, parlant de «retour au roi», puis par des lettres patentes datées du jour de la mort de Philippe IV le Bel, le 29 novembre 1314, et dues sans doute à son conseiller Enguerrand de Marigny, précisant «retour à la Couronne»);
– l’exclusion des femmes de la succession des apanages (pour la première fois énoncée par ces lettres de 1314, quatorze ans avant la décision des notables d’écarter du trône de France le roi d’Angleterre, descendant de Philippe le Bel par sa mère);
– l’exclusivité pour le roi d’exercer les droits régaliens dans les apanages (régale, garde des églises, frappe et justice des monnaies, crimes de lèse-majesté, droits de grâce, d’anoblissement, de légitimation, d’amortissement, ouverture des foires et marchés, propriétés des richesses du sous-sol et des futaies, etc.);
– la multiplication, aux XIVe et XVe siècles, des «cas royaux» découlant de ces droits et jugés par des baillis installés dans le domaine royal à proximité immédiate des frontières des apanages (ainsi, en 1361, à Saint-Pierre-le-Moûtier, enclave royale dans le comté de Nevers, pour le jugement des cas royaux dans les apanages de Berry et d’Auvergne);
– l’application aux apanages des principes de l’inaliénabilité du domaine royal et de l’indivisibilité du royaume (bien définis en 1366 par un conseil réuni par Charles V pour examiner les problèmes de l’apanage du Berry).
La limitation du pouvoir des apanagistes fut favorisée aussi bien par l’évolution administrative et politique (progrès de la centralisation monarchique et de l’administration) que par l’évolution économique et sociale. Ainsi, les progrès de l’économie monétaire permirent des tentatives pour assurer la subsistance des apanagistes, non en terres, mais en revenus, en «fiefs-rentes» ou «fiefs de bourse». Mais les apanages des fils et frères du roi, quoique souvent évalués en revenus (ce fut le cas sous Saint Louis, pour Alphonse de Poitiers en 1241, et pour Charles d’Anjou en 1247), furent toujours établis sur terres, encore que le second fils de Philippe le Bel, Philippe, n’eût jamais ni le gouvernement ni la gestion de son apanage du Poitou, pour lequel il se contenta de recevoir du Trésor royal les 20 000 livres annuelles que l’apanage était estimé rapporter. Au contraire, le principe et la pratique, inaugurés par Louis VIII en 1225 pour sa fille Elisabeth, d’«apaner en deniers» les princesses royales prévalut rapidement.
Toutefois, jusqu’à l’ordonnance de Moulins (1566), aucun des principes énoncés ci-dessus ne fut appliqué sans exception. D’autre part, si les princes apanagés durent accepter les limitations de souveraineté que l’autorité royale imposait à tous les seigneurs du royaume, aggravées par les règles de succession spéciales aux apanages, ils n’en jouirent pas moins, étant donné leur appartenance à la famille royale, d’une situation privilégiée par rapport aux autres vassaux royaux. S’ils prêtaient hommage au roi, ils refusaient, comme le roi lui-même, de prêter hommage à tout seigneur dont ils pouvaient tenir un fief. Ainsi Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis, refusa de prêter hommage, en 1247, à l’évêque de Poitiers pour le château de Civray, et, dans le traité de Paris de 1259, Saint Louis fit accepter par Henri III d’Angleterre la renonciation à tout hommage de la part de ses frères comme de lui-même, pour leurs apanages ayant fait partie du royaume Plantagenêt ou pour toute autre partie du royaume de France. De même, dans l’exercice de leurs devoirs militaires et financiers de vassaux, les apanagistes jouirent de la part du roi de France d’égards spéciaux. Surtout, les circonstances (minorités, régences, crises de la guerre de Cent Ans) donnèrent la possibilité à certains des princes apanagés de jouer, aux XIVe et XVe siècles, un rôle politique qui favorisa le relâchement de la sujétion de leurs apanages à la Couronne.
En définitive, ce qui permit à la royauté française de surmonter, par-delà l’évolution lente des structures, les dangers d’affaiblissement que lui fit courir la puissance des apanages, ce sont des hasards généalogiques qui contrebalancèrent ces risques en faisant rentrer dans le domaine royal certains apanages, soit par accession au trône de princes apanagés (les deux fils puînés de Philippe le Bel en 1316 et 1322, les Valois avec Philippe VI en 1328, les Valois-Orléans avec Louis XII en 1498, les Valois-Angoulême avec François Ier en 1515), soit par extinction de descendance mâle directe (la Bourgogne une première fois en 1361, puis définitivement en 1477, à la mort de Charles le Téméraire; le Berry en 1416, puis en 1465, quand Charles de France en obtient l’échange de son frère Louis XI, d’abord contre la Normandie, puis contre la Guyenne, que sa mort sans héritier rend au domaine royal en 1472; l’Anjou à la mort du roi René, en 1480; l’Auvergne, qui aurait dû revenir définitivement au domaine royal avec le Berry en 1416, en fut de nouveau détachée, mais la règle de succession des apanages lui fut encore appliquée une première fois en 1503 et enfin en 1527, lorsque la trahison du connétable de Bourbon – en partie provoquée par les prétentions de la Couronne sur la succession de sa femme et en particulier sur l’apanage – en permit le rattachement).
Entre 1226 et 1498, tous les souverains qui eurent des fils puînés constituèrent en leur faveur des apanages. Peu importants sous Saint Louis, Philippe III et Philippe IV le Bel, les apanages représentèrent des fractions considérables du domaine royal et du royaume à partir de Philippe VI qui donna à son second fils, Philippe, l’apanage d’Orléans (1344), et surtout de Jean II le Bon, qui octroya l’Anjou à son second fils, Louis (1360), le Berry au troisième, Jean (1360), la Bourgogne au quatrième, Philippe (1363). Malgré leur réputation de rois «modernes» et centralisateurs, Charles V et Louis XI constituèrent des apanages; le premier en 1374, pour son fils puîné Louis (40 000 francs en «deniers», «pour lui mettre en estat», et 12 000 livres de rentes en terres qui se concrétisèrent par le duché d’Orléans, retourné à la Couronne lors de la mort, sans héritier mâle direct, de Philippe en 1375); et le second pour son frère Charles qui, il est vrai, reçut en 1461 le Berry (ensuite échangé contre la Normandie, puis la Guyenne) en vertu d’une décision antérieure de leur père Charles VII. C’est sous le règne de Charles VI (1380-1422) que la puissance des apanagistes atteignit son comble. Les «princes des fleurs de lys» avaient alors, au titre d’apanages ou en possessions propres: le jeune frère du roi, Louis, le Valois puis le duché d’Orléans (en outre, hors du royaume, le comté d’Asti par mariage et, un moment, le duché du Luxembourg); ses oncles: Louis, le duché d’Anjou et de Touraine, et le comté du Maine (auxquels s’ajoutèrent, par héritage, hors du royaume, le comté de Provence et la couronne royale de Naples); Jean, les duchés de Berry et d’Auvergne et le comté du Poitou; Philippe, le duché de Bourgogne (grossi, par mariage, des comtés de Flandre, d’Artois, de Nevers et, hors du royaume, du comté de Bourgogne, la future Franche-Comté). La minorité, puis la folie du roi et la lutte contre l’Angleterre allaient donner aux princes apanagés une puissance exceptionnelle. Car, concrètement, ce qui compta, ce fut moins l’institution de l’apanage que la puissance des apanagés, dont l’apanage n’était qu’un élément.
Sous Louis XI, les princes apanagés sont encore assez puissants pour que les états généraux de Tours, en 1467, conseillent au roi de leur faire des concessions, mais ils s’engagent, en cas de refus de leur part, à être aux côtés du souverain «pour vivre et mourir avec lui en cette querelle».
Le déclin des apanages (XVIe-XIXe siècle)
Sous la monarchie dite absolue, des apanages continuèrent à être constitués en faveur des fils puînés des souverains, mais avec des pouvoirs sans cesse réduits. Avec des titres décoratifs, les princes apanagés recevaient des seigneuries rapportant de gros revenus, mais en général formées de terres dispersées, sur lesquelles le roi se réservait toutes les prérogatives essentielles de la souveraineté. Ainsi l’édit de mars 1661, constituant l’apanage d’Orléans pour Philippe, frère de Louis XIV, en fixait le statut par des clauses minutieuses et en référence à la «loi du royaume». Au début de la Révolution, la Constituante et la Législative, par des lois de 1790 et 1791, réduisirent les apanages à des rentes ou pensions, selon le principe établi par la monarchie pour les princesses royales. La Convention les supprima avec la monarchie en 1792. Napoléon Ier, par le sénatus-consulte du 30 janvier 1810, à l’occasion de son mariage avec Marie-Louise, les rétabit selon les principes de 1790-1791. Sous la Restauration, des ordonnances de mai 1814 rendirent à la famille d’Orléans son ancien apanage, qui fut réuni à la Couronne le 2 mai 1832, à l’avènement de Louis-Philippe. Sous le règne de celui-ci, les apanages furent remplacés par des dotations attribuées aux fils du roi et constituées par les revenus de domaines considérables.
Les historiens discutent pour savoir si les apanages ont constitué, pour la monarchie française médiévale, un moyen de renforcer la Couronne en évitant les révoltes des fils puînés des monarques et en ménageant – comme le pensait déjà Mignet en 1839, dans son Essai sur la formation territoriale de la France – une transition entre les dominations féodales et l’administration royale dans une partie importante du royaume; ou bien si, au contraire – comme l’estiment la plupart – ils n’ont pas été une survivance féodale qui a mis en péril l’intégrité du domaine royal et du royaume lui-même en minant la puissance de la monarchie.
Il semble qu’il faille distinguer une première période, jusqu’au début du XIVe siècle, où l’institution a pu servir les intérêts de la Couronne, et les deux siècles suivants où, d’instrument de la monarchie, elle s’est changée en menace pour elle. Mais le sens de l’évolution historique jouait contre les apanages. Une juste appréciation ne pourra être portée sur ce phénomène complexe et significatif de l’histoire de la monarchie française que lorsque des études comparatives concrètes auront permis de mieux définir la puissance des apanagistes par rapport à celle des seigneurs détenteurs des autres grands fiefs, et de mieux comparer l’évolution monarchique et nationale en France et dans les royaumes féodaux qui n’ont pas connu l’apanage. Enfin, une étude politique, idéologique et sociologique de la famille royale et du groupe des princes du sang dans l’histoire de la monarchie française éclairerait, dans ses véritables dimensions, le problème des apanages, dont une perspective trop juridique limite l’intérêt.
apanage [ apanaʒ ] n. m.
• 1297 apenaige; de l'a. fr. apaner « nourrir (de pain), doter », lat. médiév. appanare, de panis « pain »
1 ♦ Hist. Portion du domaine royal accordée aux cadets de la Maison de France en compensation de leur exclusion de la couronne.
2 ♦ (1546) Cour. Ce qui est le propre de qqn ou de qqch.; bien exclusif, privilège. ⇒ exclusivité, lot, propre. Avoir l'apanage de qqch. « L'art ne doit plus être l'apanage d'une élite, il est le bien de tous » (R. Rolland). « cette maternité délicate dans le geste, — apanage des femmes » (Colette).
● apanage nom masculin (ancien français apaner, donner du pain, doter, du latin médiéval appanare, de panis, pain) En France, portion du domaine royal que le roi assignait à ses fils puînés ou à ses frères et qui faisait retour au domaine si son détenteur mourait sans héritier direct mâle. ● apanage (difficultés) nom masculin (ancien français apaner, donner du pain, doter, du latin médiéval appanare, de panis, pain) Orthographe Avec un seul p. Genre Masculin : un apanage. Emploi Recommandation Éviter le pléonasme apanage exclusif (apanage = ce qui appartient en propre à qqn). ● apanage (expressions) nom masculin (ancien français apaner, donner du pain, doter, du latin médiéval appanare, de panis, pain) Avoir l'apanage de quelque chose, en avoir l'exclusivité. Être l'apanage de quelqu'un, lui appartenir en propre. ● apanage (synonymes) nom masculin (ancien français apaner, donner du pain, doter, du latin médiéval appanare, de panis, pain) En France, portion du domaine royal que le roi assignait...
Synonymes :
- bien
Avoir l'apanage de quelque chose
Synonymes :
- monopole
- privilège
Être l'apanage de quelqu'un
Synonymes :
- lot
- prérogative
- privilège
- propre
apanage
n. m.
d1./d HIST Portion du domaine royal attribuée par le roi à ses fils puînés et à leur descendance mâle.
d2./d Fig. Ce qui est le propre de qqn ou de qqch. La raison est l'apanage de l'homme. Syn. privilège.
⇒APANAGE, subst. masc.
Fief concédé à un prince du sang, en compensation de ce que l'aîné seul succédait à la couronne. Donner, obtenir un territoire en apanage, à titre d'apanage :
• 1. Ils [ses conseillers] lui représentèrent [au landgrave Henri] que, conformément à l'antique loi du pays de Thuringe, la principauté tout entière devait rester indivisible entre les mains de l'aîné des princes de la famille souveraine, qui seul devait se marier; que si les puînés voulaient prendre femme, ils pouvaient tout au plus obtenir en apanage quelques domaines, et descendaient du rang de comte, en restant toujours vassaux de leur aîné...
MONTALEMBERT, Hist. de ste Élisabeth de Hongrie, 1836, p. 149.
• 2. La monarchie, depuis Louis VIII, appliquait un système qui avait ses avantages et ses inconvénients. Quand des provinces étaient nouvellement réunies, elles étaient données en apanage à des princes capétiens afin de dédommager les fils puînés et d'éviter les jalousies et les drames de famille où s'était abîmée la dynastie des Plantagenets. On pensait que cette mesure transitoire aurait en outre l'avantage de ménager le particularisme des populations, de les accoutumer à l'administration royale, tout en formant autour du royaume proprement dit des principautés confédérées, destinées tôt ou tard à faire retour à la couronne à défaut d'héritiers mâles.
BAINVILLE, Histoire de France, t. 1, 1924, p. 75.
— P. compar., littér. :
• 3. ... Liée à nos destins par droit de voisinage,
La lune nous échut à titre d'apanage
Et l'éternel contrat qui l'enchaîne à nos lois,
D'un vassal, envers nous, lui prescrit les emplois :
Par elle nous goûtons les douceurs de l'empire.
BAOUR-LORMIAN, Veillées, 1827, p. 297.
— Au fig. Ce qui appartient en propre à quelqu'un ou à quelque chose, ce qui en est le privilège. Être l'apanage de; avoir l'apanage de. Être seul à jouir de :
• 4. ... il [l'homme] s'aperçut enfin qu'une peau douce et fine, tendue sur une chair ferme et élastique, apanage exclusif de la fraîcheur, suite ordinaire de la jeunesse, lui procurait un toucher plus agréable, en le faisant reposer plus doucement...
DE LACLOS, De l'Éducation des femmes, 1803, p. 462.
• 5. ... la poésie, de vie, de jeunesse et d'éclat, telle que celle d'Homère ou du Tasse, est bien au-dessus de cette poésie de mélancolie ou de douleur qui est l'apanage des siècles de décrépitude et de corruption. Dans l'une, c'est la vie qui fait éruption au dehors; dans l'autre, c'est la vieillesse, et l'approche de la mort.
DE CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1833, p. 160.
• 6. La charge de gouverner incombe au gouvernement. Il en doit et il en rendra compte à la souveraineté nationale, dès que celle-ci aura pu s'exprimer en élisant ses représentants par le suffrage universel. Le devoir d'administrer est l'apanage des administrateurs que le gouvernement a nommés. Le droit de commander quelque force armée que ce soit appartient uniquement aux chefs désignés par les ministres responsables. Le pouvoir de rendre la justice revient exclusivement aux magistrats et aux juges commis pour le faire par l'État.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1959, p. 405.
• 7. L'urbanisme n'est pas l'apanage d'une profession, c'est un savoir-faire commun à des spécialités de toutes sortes de disciplines, appliqué dans une synthèse à l'intention de l'homme...
G. BELORGEY, Le Gouvernement et l'admin. de la France, 1967, p. 353.
Rem. L'expr. en apparence pléonastique de l'ex. 4 (apanage exclusif) est une manière de superl. intensif relativement fréquent (cf. HANSE 1949, THOMAS 1956, COLIN 1971).
PRONONC. :[].
ÉTYMOL. ET HIST. — 1. 1297 Dôle, dr. « dotation faite par un père à ses enfants cadets à condition qu'ils renoncent à la succession » (Arch. Doubs, Chambre des Comptes de Dole, C ds GDF. : Sus le partage et sus l'apenaige qui estoit a faire entre les desus diz de toutes les choses qui leur estoient venues et descendues de la succession de ...); 1315 dr. « donation surtout territoriale faite aux fils puînés de France pour leur entretien, la couronne se réservant la propriété suprême des pays concédés et le droit de réversion en cas d'extinction de la postérité masculine » [d'apr. M. MARION, Dict. des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe s., Paris, Picard, 1923 s.v.] (Diplôme de Louis X pour Charles, comte de la Marche ds DU CANGE, t. I, p. 307b c : ... des héritages et possessions qui li sont et seront assignées et délivrées, tant pour cause de apanage et provision pour cause du Royaume de France, comme par la succession de notre très-chère Dame et mère); 2. fig. 1546 apennage (RABELAIS, Tiers livre, XXXII ds GDF. Compl. : Coquage est naturellement des apennages de mariage).
Dér. de apaner, terme jur., attesté dep. 1265 [lat. médiév. appanare, composé de ad et de panis « pain »] au sens de « pourvoir un fils cadet, une fille, d'une dotation » (Charte de Renaud, comte de Forez, Bibl. nat. ds DU CANGE t. 1, p. 306b); 1314 appaner (Arch. nat., P 1372 et JJ 50, pièce 138 ds GDF.); terme originaire des pays limitrophes des domaines d'oïl et d'oc (cf. a. prov. apanar « nourrir » XIIe s., Bertrand de Born ds RAYN, t. IV, p. 406a; prov. apana « pourvoir de pain, nourrir, doter une jeune fille », MISTRAL), attesté selon DU CANGE, t. 1, p. 306b, dans les coutumes de Nivernais, Bourbonnais, Berry et Marche, cf. bourbonnais apaner « donner du pain, donner à chacun sa nourriture » (F. BRUNET, Dict. du parler bourbonnais, Paris, Klincksieck, 1964). Apanage est d'apr. LAURIÈRE, Gloss. du droit fr., 1882, p. 26b, attesté dans les mêmes coutumes; la pratique de l'apanage, exercée par les rois de France, abolie en 1792, fut rétablie par Napoléon et Louis XVIII; le dernier apanage, celui du duc d'Orléans, revint à la Couronne en 1832.
STAT. — Fréq. abs. littér. :155.
BBG. — BLANCHE 1857. — BOUILLET 1859. — BRÜCH (J.). Bemerkungen zum französischen etymologischen Wörterbuch E. Gamillschegs. Z. fr. Spr. Lit. 1927, t. 49, p. 292. — DUPIN-LAB. 1846. — FÉN. 1970. — LELOIR 1961. — LEP. 1948. — LE ROUX 1752. — PISSOT 1803. — Pol. 1868.
apanage [apanaʒ] n. m.
ÉTYM. 1315; apenaige, 1297; de l'anc. franç. apaner « doter », lat. médiéval appanare, de ad, et panis « pain ».
❖
1 Hist. Portion du domaine royal accordée à un prince du sang (spécialt, à un cadet de la Maison de France) en compensation de son exclusion de la couronne. || Donner, obtenir un territoire en apanage, à titre d'apanage.
1 La pratique des apanages, indispensable pour assurer une situation convenable aux princes du sang, vint retarder et compliquer l'accroissement régulier du domaine de la couronne (…) À partir du XIVe siècle, on insère normalement dans la constitution d'apanage une clause de réversibilité à la couronne faute d'héritier mâle.
Olivier-Martin, Précis d'hist. du droit franç., 2e éd., p. 231-232.
1.1 Dès lors Yaour fut désigné par son père pour monter un jour sur le trône du Drelchkaff. Comparé à l'empire voisin, l'apanage semblait certes bien modeste; Souann espérait néanmoins calmer par ce dédommagement la jalousie du fils déshérité.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 240-241.
♦ Par analogie :
2 L'île fut lors donnée en apanage
À Lucifer; c'est sa maison des champs.
La Fontaine, Contes, « Le diable de Papefiguière ».
2 (1546, apennage, Rabelais). Fig. Ce qui est le propre de qqn ou de qqch.; bien exclusif, privilège. ⇒ Exclusivité, lot, propre. || Être l'apanage de qqn, avoir l'apanage de qqch. || Les infirmités sont l'apanage de la vieillesse.
3 (…) Votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient partout l'infaillible apanage.
Molière, l'École des femmes, 12.
4 C'est l'apanage de la créature d'être sujette au changement.
5 Le fanatisme et les contradictions sont l'apanage de la nature humaine.
Voltaire, Essai sur les mœurs, Inde.
5.1 La flatterie n'émane jamais des grandes âmes, elle est l'apanage des petits esprits (…)
Balzac, Eugénie Grandet, éd. 1838, p. 340.
5.2 (…) je suis heureuse de voir la femme avancer peu à peu dans la voie des revendications (…) Pourquoi l'homme conserverait-il toujours pour lui l'apanage des emplois politiques et administratifs ?
A. Robida, le Vingtième Siècle, p. 152 (1883).
6 Le style est une qualité naturelle comme le son de la voix, il n'est nullement l'apanage des écrivains professionnels.
Claudel, Positions et Propositions, p. 77.
7 L'art ne doit plus être l'apanage d'une élite, il est le bien de tous.
R. Rolland, Voyage musical au pays du passé, p. 96.
8 (…) cette humeur protectrice, cette adresse à soigner, cette maternité délicate dans le geste, — apanage des femmes qui ont sincèrement et passionnément aimé les femmes (…)
Colette, la Vagabonde, p. 203.
❖
DÉR. 1. Apanager, 2. apanager, apanagiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.