Akademik

LOISIR
LOISIR

Si l’on connaît le développement croissant des activités de loisir, on en ignore les dimensions et les implications dans la vie des sociétés modernes. Le loisir est un produit de l’évolution des sociétés technologiques, mais son analyse est difficile car son étendue exacte et son influence réelle restent en partie cachées. Quand elles sont dévoilées, elles se heurtent à des résistances, à des censures, conscientes ou inconscientes, qui tiennent aux valeurs du travail, de la morale, ou de la religion de l’époque antérieure.

Pourtant, le loisir est un élément aussi fondamental dans la transformation des sociétés industrielles en sociétés post-industrielles que le fut le travail dans la transformation des sociétés traditionnelles en sociétés industrielles. On nomme ici sociétés postindustrielles des sociétés dans lesquelles la majorité relative, ou même absolue, de la population active travaille dans les services, le niveau de vie par tête étant très élevé; sociétés industrielles des sociétés dans lesquelles la majorité relative de la population active travaille dans le secteur industriel, le niveau de revenu par tête étant un peu moins élevé, et sociétés préindustrielles des sociétés dans lesquelles la majorité relative, et souvent absolue, de la population active travaille dans le secteur agraire, le niveau de revenu par tête étant très bas.

La conquête du loisir est une étape nouvelle dans l’histoire des conquêtes de la personne: à la fin du Moyen Âge européen, celle-ci a d’abord revendiqué le droit de choisir son Dieu. Et cette revendication amènera à rejeter le principe cujus regio, ejus religio , par lequel la société prétendait imposer à tous un seul dieu. Deux siècles plus tard, le mouvement de libération de la personne aboutissait au refus de l’arbitraire du pouvoir politique: l’habeas corpus était né. Au XIXe siècle, ce même mouvement conquérait le droit à la liberté du travail: le droit patronal n’était plus discrétionnaire. Il commençait à être limité. Aujourd’hui est mis en cause par l’aspiration au loisir la légitimité même de certains pouvoirs de la famille sur l’individu. La famille n’est plus la cellule de base de la société, régissant de façon absolue l’individu: hommes, femmes, enfants revendiquent un laps de temps où chacun peut à sa guise satisfaire les besoins de sa propre personnalité prise comme fin dernière et non réduite à un moyen d’engagement social ou d’activité utilitaire imposé par l’institution. Marx avait justement prévu qu’un jour le temps libéré par le progrès des forces productives et la pression sociale permettrait le développement humain. Il n’avait pas prévu à quel point le loisir deviendrait en fait, dans les sociétés postindustrielles, le lieu de nouvelles valeurs qui remettent en cause le rapport entre les droits et devoirs réciproques de la société et de l’individu et tendent à transformer le travail, la famille, la politique, la religion, tout en étant toujours conditionnées par eux. Aujourd’hui, à l’aube de l’âge postindustriel, cette mutation a la même importance que celle qui, à la Renaissance, a précédé l’âge industriel. La crise des années quatre-vingt, en réduisant la durée du travail, ne fera qu’accentuer cette mutation.

1. Un concept des sociétés technologiques

Certains auteurs, comme S. De Grazia, considèrent que le loisir a existé à toutes les périodes, dans toutes les civilisations. Ce n’est pas notre point de vue. Certes, le temps hors travail est évidemment aussi ancien que le travail lui-même, mais le loisir a des traits spécifiques qui sont caractéristiques de la civilisation née de la révolution industrielle.

Les sociétés archaïques et traditionnelles

Dans les sociétés de la période archaïque, le travail, le repos et le jeu sont intégrés dans les rites par lesquels l’homme participe au monde des ancêtres. Ces deux activités, quoique différentes par leurs fins pratiques, ont des significations de même nature dans la vie essentielle de la communauté: la fête englobe le travail et le jeu. De plus, ces derniers sont souvent mêlés. Leur opposition est mineure ou inexistante. De même, il serait abusif de voir dans la catégorie des chamans ou des sorciers dispensés du travail ordinaire la préfiguration d’une «classe de loisir» au sens où l’entend T. Veblen; chamans et sorciers assument des fonctions magiques ou religieuses qui sont essentielles à la communauté. Le loisir est un concept inadapté à la période archaïque.

Dans les sociétés agraires de la période historique, le loisir n’existe pas davantage. Le travail s’inscrit dans les cycles naturels des saisons et des jours. Il obéit à un rythme naturel, il est coupé de pauses, de chants, de jeux, de cérémonies. Dans certaines contrées, il commence avec le lever et finit avec le coucher du soleil. Après le travail, c’est le repos, mais la coupure n’est pas nette. Dans les climats tempérés, au cours des longs mois d’hiver, le travail intense disparaît pour faire place à une semi-activité pendant laquelle la lutte pour la vie peut être difficile. Cette inactivité est subie; elle est fréquemment associée à un cortège de malheurs. Elle subsiste dans les sociétés préindustrielles d’aujourd’hui, sous la forme du sous-emploi. Elle ne présente évidemment pas les propriétés du loisir moderne, qui suppose un temps libéré par le progrès des forces productives et la pression sociale.

Ces cycles naturels sont marqués par une succession de dimanches et de fêtes. Le dimanche appartient au culte. Les fêtes sont souvent l’occasion d’une grande dépense de nourriture et d’énergie; elles constituent l’envers ou la négation de la vie quotidienne. Les réjouissances sont indissociables des cérémonies. Quoique les civilisations traditionnelles d’Europe aient connu plus de cent cinquante jours sans travail par an, il ne nous paraît pas possible d’appliquer le concept de loisir pour les analyser. Prenons l’exemple de la France: dans son Projet d’une dîme royale (1707), Vauban nomme «jours chômés» ces jours sans travail. Parmi eux, il distingue les jours «fériés»; ces jours sont en général imposés par l’Église pour favoriser l’exercice des devoirs spirituels, souvent contre la volonté des paysans et des artisans. Au début du XVIIIe siècle en France, ces jours fériés étaient au nombre de quatre-vingt-quatre. À ceux-là s’ajoutent les jours de travail impossible en raison de «la maladie, la gelée, les affaires», soit environ quatre-vingts. Donc, en cette fin du XVIIe siècle, en France, les paysans et artisans (95 p. 100 des travailleurs) comptaient, selon Vauban, cent soixante-quatre jours sans travail par an.

Certains font remonter le loisir au mode de vie de certaines classes aristocratiques de la civilisation traditionnelle (De Grazia). Pourtant, il ne semble pas non plus que l’oisiveté puisse être appelée loisir. Les privilégiés de la fortune, philosophes de la Grèce antique ou gentilshommes du XVIe siècle, faisaient payer leur oisiveté par le travail des esclaves, des manants ou des valets. Cette oisiveté ne se définit pas par rapport au travail. Elle n’en est ni un complément ni une compensation, mais un substitut. Certes, l’oisiveté aristocratique a fortement contribué au raffinement de la culture. Elle a fourni des modèles (la chasse, par exemple) qui ont inspiré plus tard les loisirs des travailleurs. En Grèce, les philosophes associaient ce modèle à la sagesse. Le développement de l’homme complet – corps et esprit – était l’idéal de cette vie sans travail. Le rejet du travail servile était justifié par Aristote au nom des valeurs nobles. Le mot scholè voulait dire à la fois oisiveté et école. Les gentilshommes des cours européennes postérieures au Moyen Âge ont inventé ou exalté l’idéal de l’humaniste et de l’honnête homme. L’oisiveté des nobles se voulait liée aux plus hautes valeurs de civilisation, même lorsque, dans la réalité, elle était marquée par la médiocrité ou la bassesse. Il apparaît donc que le concept de loisir ne convient pas pour désigner les activités des castes oisives. Le loisir, au sens moderne, suppose d’abord le travail.

L’avènement du loisir

Il a fallu que deux conditions préalables soient réalisées dans la vie sociale pour que le loisir devienne possible dans la vie de la masse des travailleurs:

– Les activités de la société ne sont plus réglées dans leur totalité par des obligations rituelles imposées par la communauté. Au moins une partie d’entre elles, notamment le travail et le loisir, échappe aux rites collectifs et relève du libre choix des individus, bien que les déterminismes sociaux s’exercent évidemment sur celui-ci.

– Le travail professionnel s’est détaché des autres activités. Il a une limite arbitraire, non naturelle. De plus, il a une organisation spécifique, si bien que le temps libre est assez nettement séparé ou séparable de lui.

Ces deux conditions préalables de la vie sociale ne se trouvent que dans les civilisations industrielles et postindustrielles. Quand le loisir pénètre dans la vie rurale des sociétés modernes, c’est que le travail rural tend à s’organiser sur le mode du travail industriel et que la vie rurale est pénétrée par les modèles de la vie urbaine qui y correspondent. Des remarques de même ordre valent pour les sociétés agraires du Tiers Monde qui ont le projet de se transformer en sociétés préindustrielles.

De nombreuses enquêtes menées depuis l’après-guerre ont permis de préciser l’étendue et les limites du concept de loisir et de préciser les caractères spécifiques de cette réalité dans les sociétés modernes. Il faut d’abord distinguer le loisir et le temps libre. Ce dernier est le temps libéré non seulement du travail professionnel, mais encore de tout travail supplémentaire et du temps de transport nécessaire pour se rendre au lieu de travail. Le temps libre inclut le loisir. Il inclut aussi toutes les autres activités extra-professionnelles: les nécessités et obligations personnelles (nourriture, entretien, sommeil); les obligations et engagements familiaux, sociaux et spirituels. Le loisir présente quatre propriétés fondamentales: deux négatives, qui se définissent par rapport aux obligations institutionnelles imposées par la société, et deux positives, qui se définissent par rapport aux besoins de la personnalité elle-même. Une enquête sur la manière de se représenter le loisir dans une population de 819 ouvriers et employés urbains (France, 1953) a révélé que ces quatre propriétés étaient liées les unes aux autres dans la presque totalité des réponses.

Caractère libératoire

Le loisir résulte d’un libre choix. Il est évidemment soumis, comme tous les faits sociaux, aux déterminismes de la société. De même, il dépend des relations sociales, donc des obligations qui naissent des groupements et organismes nécessaires à son exercice (discipline d’une équipe de sport, règlement d’un ciné-club). Mais il implique la libération des obligations institutionnelles imposées par les organismes de base de la société. Par rapport à ces dernières, les obligations qui viennent des organismes de loisir, même quand elles sont sévères, ont un caractère secondaire. Le loisir implique dialectiquement ces obligations fondamentales. Il s’oppose à elles tout en les supposant. Il postule qu’elles finissent pour qu’il commence, et se définit par rapport à elles. Ainsi, d’abord libération du travail professionnel qu’impose l’entreprise, le loisir est aussi libération du travail scolaire qu’impose l’école. Il est libération des autres obligations fondamentales qu’exigent les divers organismes de base de la société: institution familiale, institutions civiques, spirituelles. Ces obligations d’origine institutionnelle sont dites primaires, par opposition à celles qui proviennent des organismes de loisir (équipe de sport, horaires de télévision, etc.) et qui sont dites secondaires. Lorsque l’activité de loisir se transforme en obligation professionnelle (le sportif amateur qui devient professionnel), en obligation scolaire (la séance de cinéma qui devient rituelle), en obligation familiale (promenade imposée), en obligation politique ou religieuse (kermesse de propagande), elle change de nature du point de vue sociologique, même lorsque son contenu technique n’a pas changé, même lorsque l’activité procure à l’individu des satisfactions semblables.

Caractère désintéressé

Sur le plan de la finalité le caractère désintéressé du loisir est le corollaire de son caractère libératoire. Il n’est fondamentalement soumis à aucune fin lucrative comme le travail professionnel, à aucune fin utilitaire comme les obligations domestiques, à aucune fin idéologique comme les devoirs politiques ou spirituels. Dans le loisir, le jeu, l’activité physique, artistique, intellectuelle ou sociale ne sont au service d’aucune fin matérielle ou spirituelle imposée par la société, même lorsque les déterminismes matériels et sociaux pèsent sur eux.

Il s’ensuit que, sans se convertir en obligation, si le loisir obéit partiellement à une fin lucrative, utilitaire ou engagée, il est partiel; c’est un «semi-loisir». Tout se passe comme si le cercle des obligations et engagements primaires interférait avec celui du loisir pour produire, à l’intersection, le semi-loisir. Il en est ainsi lorsque le sportif est payé pour une partie de ses activités; lorsque le pêcheur à la ligne vend quelques poissons, ou que le jardinier amoureux des fleurs cultive quelques légumes pour se nourrir; lorsque le passionné de bricolage fait des réparations à la maison; lorsque quelqu’un va à la fête civique pour l’amusement plutôt que pour la cérémonie ou quand un employé lit une œuvre littéraire pour pouvoir montrer à son chef de service qu’il l’a lue...

Caractère hédonistique

D’abord défini négativement par rapport aux obligations et aux finalités imposées par les organismes de base de la société, le loisir se définit positivement par rapport aux besoins de la personnalité, même quand celle-ci les réalise dans un groupe de son choix. Dans la presque totalité des enquêtes empiriques, le loisir est marqué par la recherche d’un état de satisfaction de l’individu, pris comme une fin en soi. Cette recherche est de nature hédonistique. Certes le bonheur ne se réduit pas au loisir, il peut accompagner l’exercice des obligations sociales de base. Mais la recherche du bien-vivre, du plaisir, de la joie est un des traits fondamentaux du loisir de la société moderne. Marthe Wolfenstein a parlé à son sujet d’une «éthique du divertissement» (fun morality ). Lorsque cet état de satisfaction cesse ou se détériore, l’individu a tendance à ne plus poursuivre l’activité de loisir, à laquelle nul n’est enchaîné par un besoin matériel ou un impératif moral ou juridique de la société comme dans l’activité scolaire, professionnelle, civique ou religieuse. Quoiqu’une pression sociale ou une habitude puissent contrarier la décision de cesser une activité de loisir, cette activité appartient à l’individu plus que dans n’importe quel autre domaine. Dans le loisir, la recherche d’un état de satisfaction est bien la condition première de toute tension, de toute attention, de toute concentration. Elle peut être aussi un effort volontaire, une joie différée. Dans le jeu contre les éléments, contre un homme ou contre soi-même, la recherche de la performance ou de la sagesse peut entraîner un effort plus intense que le travail professionnel, et égal à une ascèse religieuse. Une cordée de montagne, une équipe sportive peuvent exiger une discipline sévère, mais celle-ci est librement choisie dans l’attente d’une joie désintéressée. Le caractère hédonistique est si fondamental dans le loisir que, lorsqu’il ne procure pas la joie, la jouissance attendue, son caractère est trahi: «Ce n’est pas intéressant», «ce n’était pas drôle». Le loisir est alors un loisir appauvri.

Caractère personnel

Toutes les fonctions manifestes du loisir exprimées par les intéressés eux-mêmes répondent aux besoins de l’individu, face aux obligations primaires imposées par la société. Le loisir est directement lié à la détérioration possible de l’individu (par exemple l’alcoolisme) ou à la libre défense de son intégrité contre les agressions d’une société industrielle et urbaine de plus en plus éloignée des conditions de vie naturelles, de plus en plus chronométrée, de plus en plus organisée. Il est lié à la réalisation, encouragée ou contrariée, des virtualités désintéressées de l’homme total, conçue comme une fin en soi, en relation ou en contradiction avec les besoins de la société. D’une part, il offre à l’homme les possibilités de se libérer des fatigues physiques ou nerveuses qui contrarient les rythmes biologiques de la personne: il est pouvoir de récupération, ou de désœuvrement. D’autre part, il offre la possibilité de se libérer de l’ennui quotidien qui naît des tâches parcellaires et répétitives, en ouvrant l’univers réel ou imaginaire du divertissement, permis ou défendu par la société. Enfin, il permet à chacun de sortir des routines et des stéréotypes dus au fonctionnement des organismes de base, en donnant accès à un libre dépassement de soi-même et à une libération du pouvoir créateur en contradiction ou en harmonie avec les valeurs dominantes de la société.

Le loisir le plus complet est celui qui peut satisfaire ces trois besoins de l’individu, ces trois fonctions fondamentales irréductibles les unes aux autres. Tout loisir qui n’offre pas ces trois genres de choix est incomplet du point de vue des besoins de la personnalité dans une société moderne. Ces fonctions psychosociologiques peuvent s’exercer dans les différentes périodes du loisir, définies par le rythme du travail lui-même. Au début de la société industrielle, il n’était pas rare que la durée de la journée de travail atteigne dix heures. Aujourd’hui, dans les économies les plus avancées, elle est tombée à huit heures, parfois sept, voire six, malgré un nombre persistant d’heures supplémentaires pour une minorité accablée de responsabilités dirigeantes ou privée d’un niveau de revenu suffisant: on peut alors parler d’un «loisir de fin de journée», surtout quand est instituée ce qu’on appelle la « journée continue».

Le même phénomène s’est produit également à l’échelle de la semaine. Au XIXe siècle, certaines entreprises imposaient le travail du dimanche. Peu à peu, cette obligation a été supprimée, puis vint la «semaine anglaise» qui libérait le samedi après-midi. Au cours des années soixante, un nombre croissant d’entreprises a supprimé l’obligation de travailler le samedi, à la suite de pressions syndicales de plus en plus fortes, malgré le désir de nombreux travailleurs (souvent la majorité) d’augmenter leurs revenus en travaillant le samedi matin. Déjà, dans certaines enteprises, à New York, à Paris ou à Montevideo, l’extension du week-end au vendredi après-midi est réalisée pour la majorité des cadres. C’est le «loisir de fin de semaine».

Mais, jusqu’à ce jour, ce sont surtout les congés payés annuels qui ont permis aux activités de loisir leur expansion la plus spectaculaire: avant 1936, moins de 10 p. 100 des travailleurs pouvaient bénéficier des voyages de vacances. Les congés payés légaux furent d’abord de douze jours. Depuis 1982, leur durée légale et réelle pour la majorité des Français est de cinq semaines. Kahn et Wiener ont cru pouvoir prévoir qu’à la fin du siècle, aux États-Unis, ils pourraient être de treize semaines... En 1989, en moyenne, environ 60 p. 100 des travailleurs français partent en vacances et environ 28 p. 100 prennent déjà des vacances d’été et des vacances d’hiver (I.N.S.E.E., 1990). C’est le «loisir de fin d’année de travail». Si l’on additionne les jours libérés à la fin de chaque semaine et à la fin de l’année de travail, on arrive à totaliser aujourd’hui environ cent cinquante jours sans travail professionnel par an pour la moyenne des travailleurs.

Enfin, ajoutons que la tendance au raccourcissement de la vie de travail a longtemps été considérée comme un terrain de conquête sociale: en France, depuis 1982, l’âge légal de la retraite est de soixante ans pour la majorité des travailleurs. Mais le non-renouvellement de la popultion active combiné à un chômage endémique ont plutôt fait du financement des retraites la question majeure des années quatre-vingt-dix. La question de l’aide aux vieillards économiquement faibles est liée à celle de l’aménagement du troisième âge où le loisir prend une importance croissante: c’est le «loisir de la fin de la vie».

Ainsi, l’accroissement du temps de loisir est d’abord le signe d’un nouveau progrès des ressources matérielles et humaines qui permet de mieux satisfaire les besoins fondamentaux de la société (économie, famille, collectivité) en exigeant moins de temps pour le travail, les obligations et les devoirs imposés à l’individu. Chaque société, à tout moment du développement de ses forces économiques et sociales, devrait donc s’interroger sur ces besoins fondamentaux de la collectivité, sur les obligations qu’il faut imposer, en conséquence, aux individus et sur les loisirs qu’il est possible de leur octroyer. Une telle réflexion conditionne les choix relatifs à la production et à l’affectation du temps libre, et également l’attitude de chaque société à l’égard du loisir. Trop souvent, les choix des sociétés sont inconscients et leurs conséquences aléatoires, quelles que soient les «bonnes intentions» de l’État ou d’autres organismes sociaux.

Possibilités et impératifs de la société

L’étendue du loisir possible, par rapport au temps des obligations sociales ou au temps de travail, varie ou devrait varier avec l’évolution des forces productives de chaque société. Malgré le prestige incontestable des modèles de loisir issus des sociétés les plus riches, les besoins économiques, biologiques ou sociaux de chaque société n’aboutissent pas ou ne devraient pas aboutir aux mêmes équilibres dans la répartition des activités extraprofessionnelles. Selon les traditions nationales ou les genres de société, ces besoins sont plus ou moins impératifs, donc absorbent ou devraient absorber plus ou moins d’heures d’activité de la population. L’étendue et le contenu du loisir varieront, selon que ces besoins seront nés d’une société préindustrielle ou postindustrielle, de type capitaliste ou socialiste, d’une société qui valorise, à une période donnée, plutôt les droits de la collectivité ou plutôt ceux de l’individu.

Toutefois, il ne faut pas se dissimuler une difficulté. La plupart des collectivités ont tendance à minimiser le droit au loisir, le droit de disposer librement du temps de loisir. Ces raisons peuvent être d’origines diverses: la survivance des droits absolus de la communauté traditionnelle, une conception puritaine ou moraliste des devoirs sociaux correspondant aux conceptions propres des familles (inner directed, D. Riesman) des milieux urbains européens ou américains du siècle dernier; une conception totalitaire de la participation sociale dans certaines collectivités religieuses ou politiques; une conception utilitariste de l’emploi du temps libre dans les sociétés les plus démunies de richesse et de cadres, pour qui le plein-emploi des forces économiques et sociales de la population est toujours insuffisant par rapport aux besoins.

Le monde moderne est déconcerté devant cette nouvelle aspiration de l’individualité à l’égard de l’appropriation du temps social. Or dans les sociétés les plus évoluées, où des enquêtes empiriques ont pu être faites sur des échantillons choisis au hasard, l’individu le revendique de plus en plus, à tous les âges de la vie, dans toutes les classes et catégories sociales.

2. Évolution du loisir dans le temps libre des sociétés industrielles

Le temps libéré du travail professionnel n’est cependant pas occupé seulement par le loisir. On soutient même que le temps disponible est devenu de plus en plus rare (S.B. Linder, 1970), voire que, pour les uns ou les autres, le temps de travail a augmenté. Qu’en est-il?

Tout dépend du point de vue de l’observation. Beaucoup de sociologues limitent leurs analyses à l’évolution du temps libre depuis vingt ou trente ans, dans les sociétés industrielles comme la France. Ils remarquèrent que de nombreux ouvriers urbains n’ont pas plus de temps libre qu’avant, et qu’une minorité (de 25 à 35 p. 100) en aurait plutôt moins (J. Galbraith, 1968; P. Naville, 1967). Cela correspond à une partie de la réalité. Certes en France même, de 1950 à 1963, la masse de temps de travail pour l’ouvrier de l’industrie est passée de 2 300 à 2 250 heures par an (Gallais Hamono). Mais, depuis 1973, le mouvement historique de la réduction du temps de travail s’est à nouveau accéléré. La semaine de 39 heures est dominante et la revendication pour les 35 heures, générale dans les syndicats de toute tendance, réapparaît régulièrement dans les débats politiques. La durée annuelle du travail est de 1 600 heures environ. Au milieu du XIXe siècle, pour la moyenne des travailleurs manuels des villes, elle était d’environ 4 000 heures! avec des journées de 15 heures, des fins de semaine réduites au dimanche, sans vacances, sans retraite. Maintenant, les heures libres pour la population adulte sont devenues plus nombreuses que les heures de travail professionnel de la population active, et même que les heures du travail domestique (I.N.S.E.E., budget temps 1978). Il serait excessif de parler d’une inversion historique (A. Marcuse), mais, dans une situation difficile d’accroissement du chômage, un nouvel équilibre entre temps de travail et temps libre se prépare. Il est en train de changer nos mœurs (Lalive d’Épinay, 1982).

La réduction du temps de travail ne s’accompagne pas automatiquement d’une croissance du temps de loisir. En effet, si tout temps de loisir est un temps libre, l’inverse n’est pas vrai. Il en est de même pour les valeurs: les valeurs de loisir ne se confondent pas avec l’ensemble de celles qui peuvent être associées aux différentes activités du temps libre: obligations familiales, politiques, spirituelles.

Activités familiales

D’après N. Anderson, le temps libéré par le travail a surtout été consacré aux activités familiales. Selon toutes les enquêtes sur la famille, c’est apparemment exact, mais les activités familiales d’aujourd’hui ont-elles la même unité que celles d’hier? On peut craindre qu’une idéologie familiale née de la situation antérieure cache la réalité du groupe familial dans ses nouveaux rapports avec les collectivités et les individus. La famille est devenue plus ouverte aux influences externes (outer directed, D. Riesman) et aux aspirations des individus à une vie plus personnelle en relation avec des groupes affinitaires (peer groups ). Or c’est précisément dans le temps de loisir, en relation avec les moyens de communication de masse, les associations volontaires, les relations ou groupements spontanés, que cette double ouverture vers la société et vers l’individu s’affirme avec le plus de force. Il est donc nécessaire de distinguer désormais, dans la famille des sociétés les plus évoluées, les obligations familiales (travail domestique, responsabilités d’éducation, etc.) des loisirs ou des semi-loisirs, à la maison ou hors de la maison, centrés d’abord sur la satisfaction de l’individu. Certes, on doit prêter une attention spéciale aux femmes qui exercent une profession et dont la proportion, qui est en 1990 d’environ 38 p. 100 en France, peut s’élever à 85 p. 100 (U.R.S.S., Tchécoslovaquie). Pour ces femmes, beaucoup plus que pour les hommes, le temps libéré du travail professionnel a été occupé par le travail domestique et les obligations familiales. À Jackson (Michigan, États-Unis), dans un foyer avec enfants et déduction faite du temps consacré aux tâches domestiques et familiales, le temps libre est de 32,6 heures pour l’homme et seulement de 29,2 heures pour la femme qui travaille à l’extérieur. Même dans les foyers sans enfants, l’inégalité des charges du temps libre subsiste entre les sexes: 35,6 heures de loisir pour l’homme et 33,9 pour la femme. Sur ce plan, la variation des systèmes économiques et politiques dans l’aménagement des sociétés industrielles change peu cette inégalité, probablement d’origine culturelle. Ainsi une étude de budget temps (A. Szalai, 1966) parmi les travailleurs manuels urbains montre que l’homme dispose chaque jour d’environ 3,39 heures de temps libre de travail professionnel ou familial contre 2,42 heures pour la femme qui travaille. Il est probable que l’insuffisance de l’équipement ménager et de transport explique une partie de cette disparité (B. Grusin, 1968). Mais on peut également avancer l’hypothèse que la résistance de traditions culturelles séculaires aux changements économico-politiques reste forte.

Malgré ces disparités réelles, il demeure qu’à long terme une tendance à la réduction du travail domestique et familial pour la femme qui travaille à l’extérieur est incontestable. La plupart des observateurs américains qui ont étudié les effets de la mécanisation progressive des appareils ménagers et de la rationalisation du travail de la maison et de sa socialisation partielle (D. Riesman) s’accordent sur ce point: le gain de temps peut être du simple au double (J.-F. Fourastié, 1962).

Dans un contexte économique et politique tout différent, on sait, grâce à deux enquêtes de budget temps effectuées par S. G. Stroumiline en 1924 et en 1959 auprès des ouvriers urbains, que la tendance était la même dans la société soviétique. En 1924, chaque jour, les travaux domestico-familiaux prenaient à l’homme environ 1,72 heure et à la femme 4,80 heures; en 1959, l’homme y consacrait 1,70 heure et la femme 2,91 heures.

En même temps, on observe dans le groupe familial un accroissement des activités de loisir ou de semi-loisir: télévision, cinéma, jeux, voyages de vacances. Même dans les sociétés industrielles où les valeurs d’instruction défendues par l’État n’étaient pas contrariées par celles d’amusement prônées par la publicité commerciale, la tendance, quoique moins accentuée, était la même. En U.R.S.S., par exemple, de 1929 à 1959, le temps moyen passé chaque année aux activités de spectacle et de sport par les ouvriers a triplé. Cette tendance semble s’être progressivement accentuée avec l’élévation du niveau de vie, du niveau d’instruction, du temps libre, etc. (B. Grusin, 1968), malgré le travail supplémentaire qui pèse, dans toutes les sociétés industrielles, sur les minorités d’ouvriers pauvres ou de cadres surmenés.

Cette évolution ne signifie pas nécessairement que le sentiment familial ait diminué. On n’en sait rien, et sur ce point la sociologie familiale est divisée. Ce qui est sûr, c’est que la famille subit une crise très forte, notamment dans les nouvelles générations, et que, dans le même temps, les valeurs centrées sur le loisir sont en hausse, et que les activités correspondantes sont en expansion.

Activités spirituelles et religieuses

Est-ce que le temps libéré des obligations professionnelles et familiales a permis une expansion des activités, puis des valeurs spirituelles ou religieuses? C’est un fait connu que la pratique de ces activités a décliné, dans toutes les sociétés industrielles d’Europe ou d’Amérique, depuis la fin de la société traditionnelle. Pour la majorité, le jour du Seigneur est devenu le jour du loisir et s’est peu à peu dédoublé pour devenir le week-end. Certes, les pourcentages de la pratique religieuse régulière varient, selon les sociétés industrielles avancées, de 10 à 40 p. 100 environ, mais la sociologie religieuse a identifié la majeure partie de cette pratique minoritaire comme une pratique de conformisme social où la prière accompagne rituellement les activités de week-end: promenade, pêche et chasse. Seuls quelques-uns de ces pratiquants vivent un renouveau de la religion dominante ou la discipline de nouvelles sectes ascétiques. Certains se sont lancés dans la recherche d’une religiosité souvent étroitement mêlée aux joies de l’amour et de la musique, qui relève autant des modèles du loisir que de ceux de la religion (hippies, adeptes du Nouvel Âge...).

Activités politiques

On peut se demander ensuite si le temps libéré du travail n’a pas été affecté plus qu’auparavant aux activités politiques. On sait que F. Engels attendait de la réduction du temps de travail professionnel une plus large et plus intense participation des travailleurs à la vie politique. Quel est le résultat de cette évolution? Malgré un doublement du temps libéré depuis un siècle, l’abstention politique est restée à peu près identique, entre 25 et 40 p. 100 (A. Lancelot, 1965); en revanche, la non-adhésion aux syndicats s’est accrue, passant de 80 à 90 p. 100 environ entre 1960 et 1990. Le temps de participation aux activités socio-politiques représente une très faible part du temps libre (0,5 heure par jour en moyenne pour 3 heures d’activités de loisir, S. Szalai, 1966). Cette participation ne concerne, selon sa définition, que de 2 à 15 p. 100 de la population française.

On manque d’études diachroniques pour savoir si la réduction du temps consacré au travail socio-politique est générale. Mais dans la société industrielle du type socialiste, où la pression pour le développement des activités était bien plus forte que dans les sociétés correspondantes de type capitaliste et où l’on a pu mesurer cette régression, la participation annuelle aux activités sociales (incluant activités syndicales et politiques) avait également diminué. Pour l’ouvrier urbain soviétique, elle était de 109 heures en 1924 et est tombée à 17 heures en 1959 (S. G. Stroumiline, 1961).

Les événements historiques ultérieurs mettront en évidence le déclin des valeurs politiques de cette société, longtemps occulté par l’artifice des adhésions obligatoires. Parallèlement, dans les sociétés industrielles avancées de type capitaliste, on pouvait constater une crise des formations politiques traditionnelles, la croissance d’un conformisme politique passif associé à des révoltes violentes de minorités à l’influence limitée. Mais, en ce qui concerne les sociétés industrielles avancées de type socialiste, on s’interrogeait sur l’extension réelle des valeurs politiques dans la population, surtout dans la jeunesse, en lisant les observations d’une équipe de philosophes et sociologues tchèques (R. Richta, 1967) sur l’évolution de ces valeurs à Prague: «Si l’on ne développe pas à temps des formes nouvelles de participation, on observe l’apparition d’un certain vide politique, même dans les conditions d’une société socialiste.» Face à ce déclin des formations politiques anciennes, on observe une croissance d’associations, de mouvements, de groupements plus ou moins organisés, pour les voyages, la musique, la discussion ou la revendication sociale et culturelle, où, là encore, de nouveaux modèles de vie politique sont étroitement mêlés à des modèles de vie de loisir social, récréatif ou éducatif.

Loisir et éducation

On pourrait enfin penser que le plus grand bénéficiaire du temps libéré n’est pas le loisir, mais l’éducation. En un sens, cette proposition est vraie. Une masse de plus en plus considérable de jeunes qui, il y a un siècle, seraient entrés dans la production dès l’adolescence remplissent aujourd’hui les écoles secondaires et les universités. Aux États-Unis, la quasi-totalité des jeunes reçoivent un enseignement secondaire et environ la moitié de la jeunesse entre à l’Université; en France, l’école est obligatoire jusqu’à seize ans. Cependant, ces activités sont imposées par la société ou la famille aux enfants, dont la majorité est de plus en plus soit résignée soit, au contraire, récalcitrante (mouvements étudiants, lycéens). L’évaluation des résultats du système scolaire et universitaire fait de plus en plus apparaître deux modèles: l’un, où la corrélation est forte entre la réussite scolaire et la réussite professionnelle, sociale, culturelle, et l’autre (qui concerne souvent la majorité), où cette corrélation n’existe pas (G. A. Steiner, 1963).

Seule une minorité d’anciens élèves des lycées ou des facultés a, à l’âge adulte, un comportement actif à l’égard des «œuvres» anciennes ou modernes (J. Dumazedier, Annecy, 1968).

Face à cette crise de l’éducation (apparemment florissante), le besoin d’éducation des adultes, plus lié aux aspirations réelles de la population, se développe: environ 60 p. 100 d’Américains ont suivi, à un moment ou à un autre de leur vie adulte, des études systématiques, et, en 1965, 25 millions d’entre eux suivaient de telles études volontaires, dont plus de la moitié avec l’aide d’une école, soit quatre fois plus qu’en 1945.

Ces faits tendent à montrer que le système actuel d’éducation imposée est de plus en plus en contradiction avec la culture du temps de loisir de l’enfance et qu’un système d’éducation pour les adultes, éducation volontairement recherchée par l’individu surtout dans son temps de loisir, est de plus en plus demandé. En France, on compte environ 2 millions d’adultes chaque année (chiffre de 1982) en situation de formation volontaire, dont les trois quarts avec l’aide des entreprises (loi de 1971). Là encore, un nouveau système d’éducation permanente, enfant-adolescent-adulte, fondé sur une révision de l’obligation et du volontariat, sur une révision du temps de travail professionnel ou scolaire et du temps de loisir dans le cycle de vie, semble nécessaire pour sortir le système scolaire de sa crise actuelle.

3. Loisir et mutations culturelles des sociétés postindustrielles

Le loisir apparaît, non seulement du point de vue du temps et des activités, mais du point de vue des valeurs, comme une réalité d’importance croissante dans les sociétés industrielles. Mais à l’aube de la société postindustrielle, dominée par une économie de services, où la majorité des travailleurs n’est plus dans le secteur primaire ou secondaire mais dans le secteur tertiaire, tout se passe comme si le loisir devenait le cadre privilégié d’une mutation culturelle dont les implications tendent à pénétrer le mode de vie tout entier.

La création d’un art de vivre

Il ne suffit pas de soutenir que le loisir permet des activités d’expression de soi où l’individu est une fin (expressive activities ) par opposition aux activités instrumentales où l’individu est un moyen (instrumental activities ). Dans la nouvelle société marquée par la révolution scientifico-technique, le loisir devient le lieu privilégié de la seconde révolution culturelle, qui est de nature esthético-éthique. À un monde orienté vers la fabrication rationnelle des choses et la gestion rationnelle des relations ou des organisations répond un autre monde tourné vers la libre réalisation des êtres pour eux-mêmes et vers des relations affectives avec les êtres dont le modèle majeur est la relation amoureuse. Dans la nouvelle génération, les tendances les plus vivantes (novatrices) utilisent le loisir pour contester le primat de la transformation utilitaire de la nature et pour réhabiliter la contemplation désintéressée. Il ne s’agit plus seulement de réaliser l’homme en transformant la nature extérieure, il s’agit de préserver la nature et de vivre en symbiose avec elle. Il ne s’agit pas de discipliner, de réprimer sans utilité sa nature intérieure, mais de lui permettre de se réaliser avec le minimum de contrainte pour le maximum de satisfaction individuelle ou collective. Le loisir est une révolte contre la culture répressive. Paul Lafargue, très en avance sur son temps (Durkheim écrivait alors l’ouvrage sur la solidarité du travail), parlait déjà du «droit à la paresse» en 1883. Mais dans la nouvelle société ce n’est plus par rapport aux vertus du travail que le loisir est vécu. On a écrit aussi que c’est «la vacance des valeurs qui fait la valeur des vacances» (E. Morin); c’est, là encore, définir négativement le phénomène du loisir par rapport aux valeurs qui lui sont étrangères et s’interdire de voir la naissance de nouvelles valeurs humaines qu’il porte en lui. C’est en affirmant positivement le droit à l’épanouissement des tendances les plus profondes de l’être, qui sont réprimées dans l’exercice des obligations institutionnelles, que le loisir retrouve la valeur du jeu dont la pratique cessait à l’âge du travail, valeur perdue avec l’enfance. L’enfance, la jeunesse, source permanente de l’art des poètes, tend à devenir celle d’un art de vivre pour tous. C’est la promotion, dans l’humanité, d’un homo ludens , à côté de l’homo faber ou de l’homo sapiens . Dans la relation avec les autres, c’est le refus de séquestrer les forces affectives dans un amour institutionnalisé par la règle matrimoniale. C’est la recherche d’une éthique de l’enchantement individuel ou collectif, où la musique, la danse, le rêve retrouvent la place majeure qu’ils occupaient dans les sociétés archaïques. H. M. McLuhan parle du néo-tribalisme des nouvelles générations. J.-L. Moreno avait déjà parlé de relations ou groupes affinitaires spontanés (psycho-groupes), par opposition aux relations et groupes institutionnalisés (socio-groupes). Cette mutation s’opère dans différentes catégories d’activités; elles constituent ensemble un nouveau système culturel dont le prestige influence tous les secteurs de l’activité humaine. Il se transformera probablement, à l’avenir, dans un sens et sous des formes qu’il est difficile de prévoir mais qui risquent d’être fort éloignées des modèles prévus voici un siècle ou deux par Smith et par Marx, par la Convention ou le Code civil.

L’attrait du milieu «naturel»

Les activités de loisir sont d’abord orientées, pour la majorité des citadins, par l’attraction du milieu rural: la plaine, la montagne, la mer, le soleil. Au début du siècle dernier, quand la bourgeoisie anglaise commença à prendre des vacances sur la côte méditerranéenne, elle le faisait en hiver, quand le soleil était le plus faible. Aujourd’hui, en Europe, la ruée des vacances de masse se fait en août, quand le soleil est le plus chaud. En moins de vingt ans, l’héliotropisme de la culture actuelle a transformé la Côte d’Azur, la Floride, la Californie, les bords de la mer Noire ou les Caraïbes en une gigantesque agglomération humaine de loisir, puis de travail. Dans la société antérieure, l’activité était un devoir et l’oisiveté considérée comme la mère des vices. Dans la société post-industrielle, ne rien faire, le «farniente», particulièrement sur la plage, à la mer, sous un soleil rôtisseur, devient une des formes intenses de l’art de vivre. Le soleil devient objet d’adoration, pour le plaisir d’être, comme il était, pour certaines tribus primitives, objet d’adoration et de culte. On ne peut s’empêcher de rapprocher ces valeurs nouvelles des relations Homme-Nature d’une des contestations les plus radicales des valeurs utilitaires, conventionnelles, éphémères imprégnant la vie quotidienne de la bourgeoisie dans la société industrielle, celle de Rimbaud: «L’éternité c’est la mer allée avec le soleil.» Dans la mesure où l’art témoigne des temps nouveaux, il serait intéressant de mesurer la croissance du nombre de films du nouveau cinéma qui associent leurs récits d’aventure et d’amour aux charmes de la mer et du soleil.

La première de ces activités Homme-Nature est la promenade, dont toutes les enquêtes sur le loisir révèlent l’importance première. Dans les valeurs de la société industrielle naissante, la promenade était synonyme de paresse, de rejet du travail: «Pendant que je travaille, toi tu te promènes!» «Au lieu de travailler à l’école, tu vas te promener!» Ces phrases sont des condamnations. Peu à peu, la promenade a acquis droit de cité, elle a paru compatible avec l’exercice des obligations de base. Elle a occupé une part croissante de la vie avec l’augmentation du temps de loisir. Elle a conduit les hommes de plus en plus loin avec le développement de l’automobile, de l’avion. Elle est devenue voyage: les populations séculairement les plus sédentaires adoptent périodiquement un nomadisme de plaisance.

Là encore de nouvelles tendances se font jour à l’âge postindustriel. D’une part, la promenade elle-même tend, pour la majorité, à être associée à des plaisirs de plus en plus nombreux, variés, raffinés, orientés vers la satisfaction maximale de tous les sens: marche, exercices, théâtre, musique, danse, colliers de fleurs, jeux, etc; elle est, d’autre part, pour une minorité croissante, orientée vers la recherche de passions et d’émotions internes, solitaires ou partagées, associées aux grands espaces désertiques, aux plus hauts sommets des montagnes, aux criques marines les plus isolées. Là, toutes les conventions de vêtements ou de relations tendent à être transgressées pour pouvoir libérer dans un temps et un espace limités de jeux la plus authentique expression de l’être.

Le sport

L’exercice du corps peut aller jusqu’à la pratique intensive des sports. Dans les sociétés traditionnelles, les exercices physiques orientés vers la haute performance ou la lutte pour la suprématie étaient utilitaires ou sacrés, préparaient à la guerre ou célébraient les dieux. Au cours du XIXe siècle, la société anglaise, première société industrielle, a inventé le sport moderne. Pierre de Coubertin s’est fait l’écho de cette invention ludique, il lança l’idée des jeux Olympiques. On connaît l’essor extraordinaire des sports, des jeux sportifs et de la culture du corps. Même sous sa forme mercantile, la pratique sportive restait une éducation orientée vers l’épanouissement désintéressé du corps humain et des vertus correspondantes. Mais elle était éducation aristocratique, fondée sur la sélection et l’entraînement, le sport de masse demeurant un idéal qui n’a jamais été réalisé, sauf dans le cadre imposé de l’éducation scolaire et universitaire et pour quelques sociétés industrielles, notamment de type socialiste.

À l’âge postindustriel, l’activité sportive tend à être davantage un art de vivre à la portée de tous. Le «plaisir d’être» que procure cette activité désintéressée devient prépondérant. Le spectacle sportif n’est plus considéré comme une forme dégradée: il a sa place dans la vie sportive, comme le spectacle a sa place dans la vie du théâtre, de la danse ou du cinéma. L’activité sportive tend à se réaliser dans des jeux physiques de plus en plus nombreux, pratiqués à tous les âges, selon des règles et règlements multiples; selon la fantaisie des individus, des groupes, des communautés, en relation avec les différentes périodes du loisir – de fin de journée, de semaine ou d’année –, avec une prépondérance croissante des jeux sportifs de pleine nature. Dans les années soixante-dix, des exercices physiques nouveaux se sont développés dans le temps libre à côté et contre le sport: ils visent le bien-être plus que la performance, ils sont plus individualisés, plus psychologiques (aérobic, jogging, bioénergie, etc.). Ils se sont ajoutés aux exercices sportifs également en croissance (environ le quart des Français se livrent aux uns et aux autres en 1981). Une minorité particulièrement douée se livre, avec l’aide de la science, à des entraînements de plus en plus ascétiques, orientés vers des performances toujours plus fortes (en 1983, on compte environ 10 000 athlètes de haut niveau lato sensu ).

Un nouvel artisanat

On vient d’évoquer les promenades et les jeux physiques, mais dans les sociétés traditionnelles l’activité physique a d’abord été utilitaire. Que sont devenues ces activités dans les sociétés industrielles, puis postindustrielles? Pour vivre, l’homme s’est d’abord livré à des activités de cueillette, de pêche et de chasse, puis à l’élevage et à l’agriculture. Enfin l’homo faber a peu à peu découvert les techniques et appris à travailler le bois, la pierre, les métaux; on parle de l’âge de la pierre taillée, de l’âge du bronze, etc. À l’âge industriel, agriculture, élevage, artisanat tendent à devenir industriels et l’économie s’oriente vers «la fin des paysans» et des artisans, au sens traditionnel du terme. De plus en plus, ces activités de type traditionnel passent du secteur de la production au secteur du loisir. Dans la société industrielle, elles sont encore plutôt du semi-loisir, ou semi-travail; elles aident à améliorer les ressources du travail professionnel: pêche, chasse, jardinage, petit élevage, bricolage ont encore une fonction semi-utilitaire qui l’emporte sur la fonction semi-ludique.

Dans la période postindustrielle, ces activités prennent une autre signification, moins économique, plus psychoculturelle. La pêche et la chasse (y compris le safari) deviennent l’expression d’un plaisir à être confronté avec une vie sauvage qui tend à disparaître de la civilisation: en même temps se développe le besoin de la protéger pour pouvoir se mesurer à elle. Les tentatives pour sauver des espèces sauvages en voie de destruction deviennent de plus en plus fréquentes à travers le monde. D’autre part, l’élevage d’animaux (chats, chiens, poneys, chevaux, singes, etc.) prend des proportions croissantes dans les habitations particulières, les résidences secondaires ou les lieux de vacances, nécessitant des concours, des cours, des clubs: le dialogue avec l’homme est complété, compensé, voire remplacé, par le dialogue avec la bête. Non seulement les sociétés protectrices des animaux acquièrent un pouvoir grandissant, mais tout un mouvement social s’organise pour aboutir à une «déclaration universelle des droits de l’animal».

Enfin, le do it yourself , ce bricolage de l’ère postindustrielle, se développe avec l’ampleur d’un artisanat de plaisance. L’homme semble y trouver la joie du contact avec le matériau, perdue dans la société industrielle, la joie de la création totale, détruite par la spécialisation et la division du travail, la joie de retrouver un peu de «la pensée sauvage» en fabriquant lui-même des objets, par les ressources de sa propre personnalité, sans le secours de toutes les techniques qu’impose la science. C’est dans les années soixante-dix que sont apparus les premiers «salons du bricolage», sortes de concours Lépine du loisir manuel.

L’expansion artistique

Pour une minorité d’artisans du dimanche, l’acte de fabrication est plus qu’un simple jeu, prolongeant ce qu’Henri Wallon nomme, pour les enfants, «jeux de fabrication». Aux confins de l’artisanat et de l’art, on voit poindre des formes nouvelles d’expression; les constructions fantastiques du facteur Cheval et les montages du pop art pourraient bien n’être que les formes pionnières d’un nouvel art populaire, faisant d’un travail défunt un loisir vivant.

L’art étant le moyen privilégié de cette expression, l’activité artistique est peut-être la forme la plus attractive du loisir. C’est celle qui peut le plus satisfaire les besoins des sens, de la sensibilité et de l’imagination, besoins les plus élémentaires de l’être. Il n’est pas étonnant que l’influence des idoles du cinéma, de la télévision ou de la chanson soit si forte sur les contenus culturels du loisir du plus grand nombre. Dans toutes les sociétés, archaïques ou traditionnelles, l’art est intégré à la magie ou à la religion de la communauté. Il est mêlé à un art de vivre collectif par la parole, le chant, la danse. Il s’adresse à tous les sens de l’homme: la vue, l’ouïe, le toucher, etc. Dans les sociétés modernes, l’art s’est détaché de la foi commune; il est devenu l’œuvre d’un artiste communiquant avec le public; les œuvres se sont diversifiées, chacune se vouant à satisfaire de façon de plus en plus raffinée un seul sens à la fois. La société industrielle privilégiait l’art qui s’adresse à la fois à la vue et à l’esprit, l’art de la parole écrite, l’art littéraire.

La société postindustrielle est de plus en plus orientée vers un art de l’environnement et un art du rêve intérieur. D’un côté, l’introduction quotidienne, dans la vie de chacun, des images de la télévision, de la publicité murale, des sons de la radio, des mots du journal, des pierres de la ville façonnent la manière d’être; de l’autre, une tendance à stimuler le rêve intérieur, la vie des sens et l’imagination, par une musique qui «chauffe», par la stimulation du yoga ou de certaines drogues, se répand particulièrement dans la jeunesse. Face à ces loisirs, en un sens plutôt passifs, on observe une recherche croissante de créativité individuelle ou collective: le nombre des artistes amateurs est en croissance et contraste avec la crise, sous l’effet du développement de la communication électronique, des troupes de théâtre et artistes professionnels. Quant à la prolifération des poètes, elle correspond à une régression des formes traditionnelles de la poésie: «Jamais il n’y eut tant de poètes en mal d’édition, écrit Georges Mounin, et si peu de public pour les lire.» On pourrait en dire autant des innombrables romanciers pour qui l’occupation préférée de leur loisir est de se raconter, la plume à la main, même s’ils n’ont aucun message littéraire à lancer et s’il n’y a pas cinq cents personnes pour acheter leurs livres. Parmi les romans, la majorité relève de cette catégorie du loisir créatif et non du mouvement de création littéraire, que ce soit au niveau des élites ou à celui de l’industrie culturelle de masse.

Le loisir intellectuel

On comprend l’essor du loisir artistique, compte tenu de l’enracinement de la créativité artistique dans la sensibilité et l’imagination, mais qu’en est-il du loisir intellectuel, celui qui n’est pas orienté vers l’expression de soi-même, mais vers la découverte du monde par la connaissance ? Dans les sociétés primitives ou traditionnelles, l’apprentissage de la connaissance se faisait au cours des rites, des fêtes qui mobilisaient l’affectivité par des mythes ou des légendes avant de mobiliser l’intellect. Ce lien a été coupé à partir de la découverte de l’imprimerie et des progrès autonomes de la raison. Il en est résulté de plus en plus deux systèmes d’apprentissage intellectuel: celui qui est imposé par le système scolaire et universitaire et celui qui est offert par les systèmes de communication extrascolaires, en particulier par le groupe familial, le groupe des amis et les moyens de communication de masse dont le contenu a envahi le loisir de la population.

Dans la société postindustrielle, la crise de l’éducation impose une révision de cet écart. L’éducation permanente, qu’elle concerne l’enfant ou l’adulte, met en relief les intérêts à la fois intellectuels et affectifs du développement volontaire de la connaissance comme modèle de loisir. La remarque de G. Bachelard contre ceux qui dissocient science et culture et éliminent la première de la seconde prend là toute sa signification: la culture scientifique de l’amateur de découverte est affective avant d’être intellectuelle et c’est la seule culture scientifique qui puisse donner à la science, dans la vie réelle des individus, la place qu’elle occupe en fait dans la dynamique des nouvelles sociétés. Le modèle de la démarche scientifique vécue n’est pas la logique des axiomes ou des théorèmes, mais le désir de se libérer d’une ignorance inquiète, de résoudre une énigme, comme dans la lecture d’un roman policier. Les systèmes d’apprentissage d’éducation permanente peuvent aller vers une révision des rapports entre le mode d’apprentissage intellectuel du travail scolaire et le mode d’apprentissage de loisir intellectuel, avec, pour conséquence, un abaissement du niveau intellectuel défini dans l’abstrait, mais une élévation de niveau de la curiosité intellectuelle librement vécue dans l’emploi du temps de loisir puis dans la vie tout entière. Ainsi, une minorité se passionne déjà pour la libre recherche scientifico-technique, comme aventure de loisir, avec l’aide de clubs et d’associations de plus en plus développés remplaçant les anciennes sociétés savantes.

Les groupes de détente

On se livre à toutes ces activités, qui expriment des besoins du corps et de l’esprit, de l’imagination ou de la raison, en compagnie d’autres individus, dans des groupes. Quel est le trait distinctif de ces groupes de loisirs? Ils constituent la majorité de ce que Riesman a nommé les peer groups , qui se sont tellement développés par rapport aux organismes familiaux, scolaires, professionnels ou politiques. Les liens affinitaires y sont plus forts que les liens statutaires ou fonctionnels créés par la communauté de sang ou de métier, quoique le conditionnement de classe sociale s’exerce sur eux, comme sur tous les groupes. De ce point de vue, ces groupes sont, certes, très différents du groupe tribal de la société archaïque, qui était avant tout fondé sur des systèmes de parenté. On voit naître des communautés plus ou moins marginales ou révoltées contre les institutions conventionnelles de la famille, du travail, de la politique; elles sont fondées sur les liens d’affectivité et d’émotion que procurent l’amour, la musique ou les drogues; l’intérêt qu’elles accordent au loisir évoque par beaucoup de côtés les valeurs dominantes des mœurs tribales des sociétés archaïques.

De façon existentielle (en écartant provisoirement toutes les représentations idéologiques qu’elles donnent d’elles-mêmes ou celles qui leur sont attachées en partant du point de vue généralement emprunté à la société industrielle), ces sociétés sont d’abord orientées vers le loisir: leur création serait impensable là où le temps de travail est tel qu’il y a peu de temps pour l’instruction ou le loisir. Les sociétés marginales se situent toutes dans un temps qui n’est ni le temps de travail professionnel, ni celui des obligations familiales, civiques ou spirituelles, ni même celui de travail scolaire; en général, c’est même pour échapper au travail professionnel tel qu’il est, au travail scolaire tel qu’il est, à la vie familiale et à la vie politique telles qu’elles sont, que certains jeunes, de plus en plus nombreux, constituent cette société marginale qui a d’abord tous les caractères d’une société de loisir centrée sur la satisfaction non seulement de l’individu mais de ses rêves intérieurs et sur la recherche de liens d’amitié ou d’amour conçus comme modèles universels de relations et d’organisation sociales. De tout temps, de tels désirs ont produit des utopies, quelquefois partiellement concrétisées, mais de manière plus ou moins éphémère et sans laisser de traces dans un mouvement de contestation des normes du travail, de la politique, de la famille, de la religion: on pourrait trouver quelques caractères de cette négation dans les utopies de la République de Platon, dans celles de l’abbaye de Thélème de Rabelais et dans celles du phalanstère de Fourier. Le fait nouveau de l’âge postindustriel est que la société de loisir suscite des modèles qui remettent profondément en cause les valeurs et les normes de la collectivité et de la personne de la société antérieure. Dans ces nouvelles utopies vécues des modèles de loisir, le travail qui est recherché est moins éloigné du loisir et de la fête: travail à la terre ou travaux des musiciens ambulants. La famille prend des formes ouvertes, plus souples, plus propices aux aspirations libertaires des individus. La religiosité s’allie davantage à l’hédonisme. La politique s’incorpore dans une aspiration à la paix et à l’amour (Peace and Love ). Ces modèles sont en relation avec la contestation de plus en plus radicale de la répression, des normes de la production et de la société de consommation; elles exercent une influence, voire une fascination, dans toutes les couches de la société de l’opulence et du conformisme, surtout parmi les couches instruites dont l’importance est un fait nouveau dans l’histoire de l’humanité. La critique de la vie quotidienne qui en résulte risque autant d’inspirer la révolution que la critique la plus profonde des structures de la société; ce sera alors une révolution de la personne. L’actualité souvent méconnue de Rimbaud ou de Freud, au moins autant que celle de Marx, marque ce mouvement: la conséquence la plus bouleversante de la production historique d’une civilisation du loisir sera peut-être l’introduction d’une révision radicale de tous les modèles qui ont réglé les relations entre les sociétés et les individus depuis l’âge traditionnel jusqu’à l’âge industriel.

loisir [ lwazir ] n. m.
• déb. XIIe; a leisir 1080; de l'a. v. loisir « être permis »; lat. licere
1Vx État dans lequel il est loisible, permis à qqn de faire ou de ne pas faire qqch. liberté, permission, possibilité. Donner, laisser à qqn (le) loisir de faire qqch. permettre.
Possibilité de disposer de son temps. « vivre sans gêne, dans un loisir éternel » (Rousseau).
2Mod. Loc. adv. À LOISIR; TOUT À LOISIR : en prenant tout son temps, à son aise. « Rien d'excellent ne se fait qu'à loisir » (A. Gide). Autant qu'on le désire, avec plaisir et à satiété. En vacances, je lis à loisir. « Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! » (Baudelaire).
3Temps dont on dispose pour faire commodément qqch. Mes occupations ne me laissent pas le loisir de vous écrire. Je n'en ai guère le loisir. Vous aurez tout le loisir d'y réfléchir après mon départ.
4(1530) Rare Temps dont on peut librement disposer en dehors de ses occupations habituelles et des contraintes qu'elles imposent. liberté. Spécialt Temps de la vie qui n'est affecté ni au travail, ni au repos, ni au sommeil. Ne savoir que faire de son loisir. Avoir besoin d'un long loisir, d'un peu de loisir. délassement, repos.
Cour. Heures, moments de loisir. Au plur. LES LOISIRS. Avoir des loisirs, beaucoup de loisirs. temps (du temps libre, du temps à soi). « l'octroi des loisirs aux classes ouvrières » (Giraudoux). « Il faut de grands loisirs pour arriver au libre jeu des idées » (Duhamel). Métier qui laisse des loisirs. Comment occupez-vous vos loisirs ? La société, la civilisation des loisirs. Les loisirs des vacances, de la retraite.
5(1740) Au plur. Occupations, distractions, pendant le temps de liberté. Loisirs coûteux. Ce sont ses loisirs préférés. hobby.

loisir nom masculin (ancien français loisir, être permis, du latin licere) Temps libre : Heures de loisir.loisir (citations) nom masculin (ancien français loisir, être permis, du latin licere) Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Toute débauche parfaite a besoin d'un parfait loisir. Les Paradis artificiels René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je crains plus la réputation que je ne la désire, estimant qu'elle diminue toujours en quelque façon la liberté et le loisir de ceux qui l'acquièrent. Correspondance, à Mersenne, 15 avril 1630 René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je me tiendrai toujours plus obligé à ceux par la faveur desquels je jouirai sans empêchement de mon loisir, que je ne ferais à ceux qui m'offriraient les plus honorables emplois de la terre. Discours de la méthode André Gide Paris 1869-Paris 1951 Rien d'excellent ne se fait qu'à loisir. Journal Gallimardloisir (expressions) nom masculin (ancien français loisir, être permis, du latin licere) À loisir, tout à loisir, à son aise, sans hâte, en prenant son temps : Étudiez ce dossier à loisir. Avoir (tout) le loisir de, disposer du temps qui permet de faire telle chose : Vous avez eu tout le loisir de réfléchir pendant ces trois jours.loisir (synonymes) nom masculin (ancien français loisir, être permis, du latin licere) Temps libre
Synonymes :
- détente
- farniente
Contraires :
- travail
Avoir (tout) le loisir de
Synonymes :
- latitude
- licence

loisir
n. m.
d1./d Temps pendant lequel on n'est astreint à aucune tâche. Des moments de loisir.
d2./d (Plur.) Activités diverses (sportives, culturelles, etc.) auxquelles on se livre pendant les moments de liberté. Les loisirs de plein air.
d3./d Temps nécessaire pour faire commodément qqch. Je n'ai pas eu le loisir d'y réfléchir.
|| Loc. adv. à loisir, tout à loisir: à son aise, sans hâte.

LOISIR, subst. masc.
A. — Vieilli, au sing. Possibilité, liberté laissée à quelqu'un de faire ou de ne pas faire quelque chose. Nous avons de cette bienveillance du château des preuves que je vous détaillerai si vous le souhaitez et m'en accordez le loisir (STENDHAL, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 298). Il me semble qu'il y aurait, si l'on avait loisir, un intérêt tout neuf et un jour imprévu à l'examiner (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 411). Et puis cette belle expérience que je viens de créer, je pourrai à mon loisir la répéter (BARRÈS, Homme libre, 1889, p. 229).
1. En partic. Possibilité d'employer son temps à son gré. Mais le temps de la curiosité, qui suppose du loisir, de l'aisance et quelque instruction, n'est pas encore arrivé (CRÈVECŒUR, Voyage, t. 3, 1801, p. 277). Cette condition, c'est le loisir indispensable à l'acquisition des lumières, à la rectitude du jugement (CONSTANT, Princ. pol., 1815, p. 54). Je ne me sens jamais plus embarrassé que devant un loisir absolu. Pourquoi? Parce que j'ai peur de toute entreprise sérieuse, et que le loisir met la conscience en demeure de faire œuvre (AMIEL, Journal, 1866, p. 373).
2. Loc. verb.
a) Avoir du loisir. Avoir la possibilité, le temps de faire ce que l'on veut. Mais parmi les nations civilisées la femme a du loisir, et le sauvage est si près de ses affaires, qu'il est obligé de traiter sa femelle comme une bête de somme (STENDHAL, Amour, 1822, p. 9). Jérôme et Jean Tharaud ont également gardé l'esprit d'un temps intelligent, artiste et raffiné où l'on avait du loisir (Arts et litt., 1936, p. 38-7).
b) Être de loisir (vieilli). Être dans la position de faire ce que l'on veut, être maître de son temps. Il faudrait être à Paris, et y être de loisir, deux choses à moi difficiles (COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1807, p. 757). Ce que je retrouve, et très bien, pour peu que je sois de loisir, c'est le goût de mes colères juvéniles, de mes peurs, de mes déboires (DUHAMEL, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 143).
Gén. péj. Subst. (hum.) + de loisir. Oisif. L'homme de travail, ouvrier, fabricant, regarde généralement le marchand comme un homme de loisir (MICHELET, Peuple, 1846, p. 124).
3. Littér. Libre disposition de quelqu'un ou quelque chose, pouvoir exercé sur quelqu'un ou quelque chose. Le comte avait croisé les bras, paraissant bien sûr d'avoir le loisir de ce qu'il voulait, riant d'un mauvais rire qui secouait son corps énervé et sans autre force que celle de la fièvre qui escarbouclait ses yeux agrandis (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 93). Il a fallu qu'il sache ce sacré putin de secret pour la commander, la tenir à son loisir, l'enrager quand il veut (GIONO, Colline, 1929, p. 172).
4. P. méton.
a) Espace propice au loisir, à la flânerie, à la divagation (d'animaux). Et les chèvres rentrèrent à Zermatt, s'égaillant comme dans le loisir d'un chemin creux, aussi tranquillement que si les chalets noirs et vétustes n'avaient jamais vu passer sous eux que leurs troupeaux (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 252).
b) [En parlant d'un attribut de la pers.] Mais cette répartition (...) enlèverait à la pensée le loisir qui doit la rendre forte et profonde, à l'industrie la persévérance qui la porte à la perfection (CONSTANT, Princ. pol., 1815, p. 114).
5. En partic. À loisir. À satiété, autant qu'on le désire. Quand il eut considéré tout cela dans son ensemble, puis un à un chaque détail, il recommença encore une fois (...) comme une galerie de tableaux que l'on reprend par le bout, s'arrêtant à chaque fait, à chaque forme, (...) et s'en repaissant à loisir, jusqu'à ce que la satiété lui fit réclamer une autre amertume à goûter (FLAUB., 1re Éduc. sent., 1845, p. 138). Si l'autre tarde encore, je la verrai au moins monter du désert et envahir le ciel, froide vigne d'or qui pendra du Zénith obscur et où je pourrai boire à loisir, humecter ce trou noir et desséché que nul muscle de chair vivant et souple ne rafraîchit plus (CAMUS, Exil et Roy., 1957, p. 1586).
6. Vieilli, péj. Femme de loisir. Courtisane. Le vulgaire appelle cela des femmes de loisir; il les calomnie : aucune des servitudes volontaires dont parle La Boétie n'est comparable à cette servitude (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 195). Sa coiffe blanche allait fort bien à son visage rondelet, et son jupon court à sa jolie jambe; mais la robe longue et drapée des femmes de loisir lui enlevait tous ses avantages (SAND, Jeanne, 1844, p. 207).
B. — Temps dont on a la libre disposition pour faire quelque chose.
1. Loisir de + subst. désignant un état, un événement, un procès. Espace de temps libre dû à l'inaction. Les longs loisirs de l'émigration, la vie immobile et studieuse à laquelle l'infirmité de ses jambes le condamnait, avaient accru en lui ce goût des entretiens (LAMART., Nouv. Confid., 1851, p. 302). M. Grandfief, bonhomme méticuleux et pacifique, (...) trompait les loisirs de l'attente en allant sur la pointe des pieds modérer le jeu des lampes et affermir les bougies dans leurs bobèches (THEURIET, Mariage Gérard, 1875, p. 73). Je me consacrai naturellement à la partie militaire de la coopération que nous allions demander aux Américains et cela suffisait amplement à occuper les loisirs forcés de notre traversée (JOFFRE, Mém., t. 2, 1931, p. 449).
2. Avoir le loisir de + inf. Avoir le temps, la possibilité matérielle ou intellectuelle de faire quelque chose. Convenez donc, M. L'Hermite, qu'il n'y a point d'être plus heureux qu'un bourgeois de Paris qui a dix mille livres de rente, et qui a le loisir de tout voir (JOUY, Hermite, t. 1, 1811, p. 62). Jos-Mari de son côté eut tout le loisir de se morfondre, à la forge ou dans l'échoppe d'Andreas, en réflexions dont il n'était pas coutumier (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 96). Toujours, le microbiologiste a le loisir de vérifier l'identité du matériel vivant sur lequel il travaille, par un moyen conférant au témoignage de ses sens une valeur décisive (P. MORAND, Confins vie, 1955, p. 12) :
1. ... nous étions assis à une petite table éclairée par une bougie renfermée dans un globe de verre. J'eus alors tout le loisir d'examiner ma gitana pendant que quelques honnêtes gens s'ébahissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie.
MÉRIMÉE, Carmen, 1847, p. 21.
3. Loc. adv. Avec loisir (vx), à loisir, tout à loisir. En prenant son temps, en ayant le temps. Il s'enferma tout un jour pour mesurer à loisir la profondeur de l'abîme où venaient s'engloutir ses espérances (SANDEAU, Sacs, 1851, p. 46). Ne pas me presser, m'appliquer à écrire; achever ce volume dans la sérénité, avec loisir; donnant à mon pauvre esprit le temps de s'élever, de s'éclairer, de s'échauffer (DUPANLOUP, Journal, 1856, p. 188). Du vivant de sa femme, un repas sur deux, en semaine, et les deux repas du dimanche étaient pris à loisir dans la salle à manger (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. 275).
4. En partic., gén. au plur. Espace de temps habituellement libre que laissent les occupations et les contraintes de la vie courante (travail, sommeil, nutrition principalement). Synon. récréation, repos, vacances. Instant, jour, moment de loisir; loisir dominical, hebdomadaire; avoir des loisirs; employer, meubler, occuper ses loisirs; ministère, sous-secrétariat des loisirs et des sports. Alors, afin d'occuper ses tristes loisirs, il lui était venu une idée, celle de dresser un inventaire total de sa maison et d'y étudier certains perfectionnements, depuis longtemps rêvés (ZOLA, Débâcle, 1892, p. 544). Il pêchait au large, raccommodait ses filets, calfatait sa barque et, à ses heures de loisirs, construisait dans une carafe une goélette parfaitement gréée (FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 95). Le gouvernement, favorable au monde du travail, vote les lois sociales les plus avancées de son histoire : le temps de loisir devient une réalité (CACÉRÈS, Hist. éduc. pop., 1964, p. 108) :
2. Pour qu'il soit plus facile de doter les logis des services communs destinés à réaliser dans l'aisance le ravitaillement, l'éducation, l'assistance médicale ou l'utilisation des loisirs, il sera nécessaire de les grouper en « unités d'habitation » de grandeur efficace.
LE CORBUSIER, Charte Ath., 1957, p. 109.
Organisation, politique des loisirs. Ensemble des options d'un système (étatique, associatif p. ex.) qui orientent ou planifient, dans un but déterminé, le temps ou les activités de loisir d'une collectivité. Le sens d'une organisation des loisirs ne doit pas être d'offrir le plus possible de distractions aux gens, mais donner une signification à l'éducation et à la culture de la communauté (BECQUET, Organ. loisirs travaill., 1939, p. 75). La politique des loisirs est encore dans l'enfance. Elle constituera l'une des rubriques prioritaires de la politique tout court (G. HENEIN ds Pol. 1969).
Civilisation des loisirs. État d'une civilisation dans lequel la place laissée aux loisirs serait de plus en plus importante et bouleverserait complètement les habitudes et l'organisation de la vie publique et privée :
3. Pour incomplet que soit l'exposé sur cet univers se rattachant à la civilisation des loisirs, il n'en relève pas moins les formes multiples, la complexité, l'intention de prise en charge de besoins biologiques de détente et d'expansion.
Gds ensembles habit., 1963, p. 18.
P. méton. Activité, distraction à laquelle on se consacre pendant les loisirs. Loisir de plein air, culturel, sportif; loisir coûteux; activité de loisir; loisir individuel, collectif. Sur la table, une tête de mort insultée par un brûle-gueule; des livres achetés pour les loisirs des vacances (MAURIAC, Baiser Lépreux, 1922, p. 150). Il restait à mettre en place des infrastructures qui permissent aux jeunes en particulier, par l'organisation d'un vaste réseau de lieux de rencontre, de profiter culturellement des loisirs de voyage (CACÉRÈS, Hist. éduc. pop., 1964, p. 98). Aujourd'hui, les loisirs des industriels et des cadres supérieurs d'Annecy ne présentent que très rarement ce caractère [du loisir de la classe oisive]; ils ne se distinguent presque jamais de façon radicale de ceux de la majorité (DUMAZEDIER, RIPERT, Loisir et cult., 1966, p. 303).
Base, zone de loisir. Lieu, infrastructure aménagés pour pratiquer un loisir, un ensemble de loisirs culturels, sportifs, d'agrément. La « base de loisirs » de Saint-Quentin-en-Yveline, dans la région parisienne, a servi de « prototype » pour mieux cerner le contenu à donner à l'aménagement d'espaces de détente familiaux (P. AUGÉ ds Autrement, n° 10, sept. 1977, p. 206). À l'est, vers le cœur du quartier des affaires, la zone de loisirs avec sa patinoire artificielle, ses neuf cinémas, ses quatorze restaurants (Le Monde, 3 mars 1981, p. 17, col. 5).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « possibilité (de faire quelque chose) » (Roland, éd. J. Bédier, 459); ca 1140 leisir de + inf. (GEOFFROI GAIMAR, Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 6073); 2. id. a leisir « en prenant le temps nécessaire, sans contrainte » (ID., ibid., 141); ca 1165 « temps nécessaire pour faire quelque chose » (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, 2025 ds T.-L.); 3. fin XIVe s. « temps libre permettant de faire ce que l'on veut » (FROISSART, Chron., éd. Ch. Diller, I, XXII, p. 116, 36); Ac. 1740 signale l'emploi du plur. dans la langue poét. : d'heureux loisirs. Substantivation du verbe a.fr. loisir, impers. « être permis » (2e moitié Xe s. lez ind. prés. sing. 3 St Léger, éd. J. Linskill, 93), du verbe impers. lat. licere « être permis ». Fréq. abs. littér. : 1 779. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 2 999, b) 1 976; XXe s. : a) 1 696, b) 2 926.

loisir [lwaziʀ] n. m.
ÉTYM. Déb. XIIe; a leisir, 1080; de l'anc. v. loisir « être permis » du lat. licere. → Licence.
1 (V. 1130). Vx. État, situation d'une personne qui peut, qui est libre de faire ou de ne pas faire qqch. (en compl. de quelques verbes). Liberté, permission, possibilité. || Donner, laisser (cit. 11) à qqn le loisir, et (vieilli) donner, laisser loisir de faire qqch. Permettre. || Avoir (le) loisir, avoir tout loisir de protester (→ Exaction, cit. 2), de dormir (→ Languir, cit. 9).
1 Nous ne gagnerions, à nous marier, que le loisir de nous quereller à notre aise (…)
Marivaux, le Legs, XVII.
(V. 1360). Spécialt. Possibilité de disposer de son temps en toute liberté; état de disponibilité absolue. || Un travail qui demande le loisir et la tranquillité (→ Gagner, cit. 49). || « L'ennuyeux loisir d'un mortel sans étude » (Boileau). Oisiveté. — ☑ (Déb. XVIIe). Vieilli. Être de loisir : avoir la libre disposition de son temps, et, péj., avoir du temps à perdre.(1550). || Homme de loisir. Oisif.
2 (…) s'il y avait au monde quelqu'un qu'on sût assurément être capable de trouver les plus grandes choses (…) je ne vois pas qu'ils (les autres hommes) pussent autre chose pour lui, sinon (…) empêcher que son loisir ne lui fût ôté par l'importunité de personne.
Descartes, Discours de la méthode, VI.
3 (…) il ne me restait, pour dernière espérance, que celle de vivre sans gêne, dans un loisir éternel (…) J'aime à m'occuper à faire des riens, à commencer cent choses et n'en achever aucune, à aller et venir comme la tête me chante, à changer à chaque instant de projet, à suivre une mouche dans toutes ses allures (…) à muser enfin toute la journée sans ordre et sans suite, et à ne suivre en toute chose que le caprice du moment.
Rousseau, les Confessions, XII.
4 Le sentiment de la liberté politique, cette aspiration des hommes de loisir, ne descend pas si bas dans le peuple.
Lamartine, Graziella, II, XI.
5 Ce que je retrouve, et très bien, pour peu que je sois de loisir c'est le goût de mes colères juvéniles, de mes peurs, de mes déboires.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, II, XI.
2 Loc. adv. (XIIe). À loisir, tout à loisir, et, vx, avec loisir (→ Après, cit. 66) : en prenant tout son temps, à son aise. || Peser à loisir le pour et le contre (1. Contre, cit. 31). || Méditer à loisir (→ Intime, cit. 8). || Contempler à loisir un charmant visage (→ Gagner, cit. 25). || Butin (cit. 3) inventorié à loisir.
6 Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse (…)
Boileau, l'Art poétique, I.
7 À Arles j'ai vu des fillettes exquises et, le dimanche, j'ai été à la messe pour les examiner plus à loisir.
Flaubert, Correspondance, 92, fin avril 1845.
8 C'est quand on se dit : « plus un jour à perdre ! » qu'on emploie plus stupidement son temps. Rien d'excellent ne se fait qu'à loisir.
Gide, Journal, 19 janv. 1946.
Autant qu'on le désire, à satiété, tout son content. Volonté (à). || S'enivrer à loisir de l'odeur du foin (1. Foin, cit. 4). || Caresser à loisir un beau chat (→ Élastique, cit. 1).
9 Que malgré la pitié dont je me sens saisir,
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir ?
Non, Seigneur (…)
Racine, Andromaque, I, 2.
10 Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LIII.
3 (V. 1138). Temps dont on dispose pour faire commodément qqch. || Avoir loisir (vx), avoir le loisir de faire qqch. (→ Échapper, cit. 35; emporter, cit. 28). || Il a eu le loisir de mettre au point son projet. || Femme qui a le loisir d'instruire (cit. 8) son enfant. || Il se serait étendu (cit. 17) davantage, s'il avait eu plus de loisir. || Mes occupations ne me laissent pas le loisir de vous écrire (→ aussi Fin, cit. 22).
11 (…) je n'ai pas eu le loisir de la faire plus courte.
Pascal, les Provinciales, XVI, Post-Scriptum (→ Lettre, cit. 20).
12 Il me paraît qu'à la cour on n'a pas le loisir de s'aimer (…)
Mme de Sévigné, 797, 5 avr. 1680.
13 Avez-vous le loisir d'attendre un peu ? Je répliquai : Tout le loisir qu'il vous plaira.
É. Estaunié, l'Appel de la route, p. 332.
4 (1530). Temps dont on peut librement disposer en dehors de ses occupations habituelles et des contraintes qu'elles imposent. Liberté.Rare. || Ne savoir que faire de son loisir (→ Alors, cit. 3). || Travail et loisir (→ Condition, cit. 24). || Avoir besoin d'un long loisir, d'un peu de loisir. Délassement, repos (→ aussi Gronder, cit. 12).Cour. || … de loisir. || Heures (cit. 9), instants (→ Clair, cit. 26), moments de loisir.(1740, Académie : d'heureux loisirs). || Au plur. les loisirs : le temps libre. || Avoir des loisirs (→ Infélicité, cit. 2), beaucoup de loisirs. Temps (du temps libre, du temps à soi). || Métier qui laisse des loisirs. || Charmer, occuper ses loisirs. || Jouir, profiter de ses loisirs. || S'instruire (cit. 25 et 26) pendant ses loisirs. || D'agréables loisirs (→ Engendrer, cit. 5). || Prendre des loisirs. || Partager ses loisirs entre ses amis et ses enfants. || Il vous consacre tous ses loisirs.
14 (…) quel moyen de pouvoir tenir contre des gens (les causeurs) qui ne savent pas discerner ni votre loisir ni le temps de vos affaires ?
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, De l'impertinent…
15 Réduits (les écrivains) à leurs propres ressources, ils sont contraints à un travail incessant et manquent presque tous de loisir, le loisir, cette dixième muse, et la plus inspiratrice !
Th. Gautier, les Grotesques, X, p. 379.
16 (…) ce vieillard qui partageait le loisir de sa vie, où il y avait si peu de loisir, entre le jardinage le jour et la contemplation la nuit ?
Hugo, les Misérables, I, I, XIII.
17 (…) une époque où l'esclavage vient pour la première fois d'être définitivement banni par l'octroi des loisirs aux classes ouvrières, où le repos, les délassements prennent cent vingt-huit heures contre quarante au travail (…)
Giraudoux, De pleins pouvoirs à sans pouvoirs, III, p. 58.
18 Il faut de grands loisirs pour arriver au libre jeu des idées.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, IV, VII.
Spécialt (dans le contexte social). Temps de la vie des individus qui, dans l'organisation sociale n'est affecté ni au travail (ni aux déplacements liés au travail), ni au repos, au sommeil.
19 L'évolution du monde moderne, et tout spécialement l'aggravation du joug économique sur la personne, a entraîné une dégradation du travail qui devient détestable. Ainsi s'est accentuée l'opposition entre le travail et le loisir, la vie ne trouvant plus sa joie que dans le second, et contre le premier.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, p. 168.
Au plur. || Organisation, politique de loisirs. || Une société de loisirs.
20 Société de loisirs ? La grande mutation, (c'est) le passage du travail au loisir (…) Certes, il est exact que les « loisirs » prennent une importance de plus en plus grande (…) la société dite industrielle. (…) les fatigues de la « vie moderne » rendent indispensables le divertissement, la distraction, la détente.
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 103.
5 (1740). Au plur. Occupations, distractions auxquelles on s'adonne de plein gré, pendant les heures, les jours de liberté dont on dispose. || Loisirs coûteux. || Loisirs à la portée de toutes les bourses. || Sous-secrétariat d'État aux Loisirs et aux Sports.(1936). Anciennt. || Loisirs dirigés : activités récréatives (travaux manuels, répétitions théâtrales…) organisées pour les élèves des établissements scolaires.

Encyclopédie Universelle. 2012.