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MÉLODIE
MÉLODIE

La mélodie est l’élément premier de la musique. Premier en ce qu’il en est la manifestation la plus spontanée et la plus naturelle, conjointement avec le rythme, dont on ne peut se passer et qui lui est en quelque sorte consubstantiel – encore qu’il puisse y avoir rythme sans mélodie, mais non mélodie sans rythme. Car c’est ce dernier qui découpe en valeurs différentes la durée dans laquelle s’écoule cette suite de sons prélevés par la mélodie dans l’échelle qui lui est fournie par la nature. Cette échelle introduit dans la description du phénomène une notion d’espace, qui se combine avec celle de temps représentée par la succession des valeurs rythmiques.

La mélodie est donc une succession de sons ayant entre eux des rapports d’intervalles et de durée. Telle est la définition la plus large et la plus indéterminée qui puisse en être donnée.

Elle ne précise rien en ce qui concerne les sons ainsi mis en cause. Ils sont en nombre indéfini. L’échelle délimitée par l’intervalle d’une octave renferme tous les sons avec lesquels on peut faire de la musique, sons qui se reproduisent d’autre part, d’octave en octave, dans toute l’étendue où l’oreille humaine peut les percevoir. Mais la détermination de ces sons et de leur nombre échappe à toute loi naturelle.

La musique occidentale en sélectionne douze selon une méthode qui se veut scientifique mais qui ne résiste pas à un examen critique. Cette échelle de douze sons a été consacrée par une immense et prestigieuse littérature musicale. Mais elle n’est ni plus ni moins légitime que les soixante-deux « modes » de base décrits par les vieux traités sanscrits et dont les modes dérivés (ou ragas ), utilisés en Inde, se dénombrent par centaines.

Même si l’on demeure dans le cadre de la musique occidentale et si l’on admet, pour la commodité de la démonstration, que son matériau sonore peut être représenté sur la portée par les douze notes de la gamme chromatique, séparées entre elles par des demi-tons égaux (ce qui est inexact puisque cette gamme, dite tempérée, ne date que du XVIIIe s.), il reste à définir quelques notions musicales essentielles pour prendre une vue exacte de ce qu’est le sentiment mélodique dans la conscience d’un auditeur d’aujourd’hui et de ce qu’il put être dans celle des musiciens des siècles nombreux qui l’y ont progressivement amené.

1. Éléments constitutifs

Les rapports d’intervalles

Parmi les auditeurs d’enregistrements ou de concerts de chant grégorien, ou parmi les personnes qui assistent aux offices des monastères, où son interprétation a le plus de chances d’être pleinement appréciée, il y en a sans doute assez peu qui perçoivent ce chant autrement que comme une extension, très noble mais un peu monotone, de la psalmodie avec quoi il alterne. Le sens mélodique en est perdu pour elles, parce qu’elles sont à ce point conditionnées par leur culture classique qu’elles ont perdu le sens «modal». Devant une mélodie modale, ces auditeurs se livrent à une opération mentale inconsciente qui la dépossède de sa personnalité et lui impose des structures harmoniques tonales, à contresens de son entité musicale et plastique. Pour la «voir» telle qu’elle est, ils devraient parvenir à se pénétrer de la place occupée par chaque son à l’intérieur du mode par rapport à sa tonique, place qui lui donne son sens, ses couleurs, son aura.

À l’opposé, dans une musique tonale et modulante, une note n’a pas de signification en soi, cette signification étant modifiée à tout instant par son contexte selon le déroulement de la polyphonie.

Dans la musique moderne, les modes anciens, jadis détrônés par le mode d’ut , ont retrouvé la faveur des compositeurs. Mais, intégrés dans un système harmonique, ils se plient à des lois qui ne leur sont pas propres. Participant à un jeu d’enchaînements d’accords, de tensions, de détentes, de modulations, leurs intervalles caractéristiques perdent une part de leur individualité et de leur vocation, laquelle faisait d’eux les composantes immuables et hiérarchisées d’un pur idiome mélodique.

L’envahissement du langage musical par l’harmonie, tel qu’il a commencé à l’époque classique puis s’est précipité au XIXe siècle, a donc créé une situation où l’art du dessin, c’est-à-dire l’expression linéaire, mélodique, de la musique s’est peu à peu désagrégé.

L’intelligence de la mélodie, succession de sons ayant un sens, une structure, une autonomie, exige de l’auditeur une aptitude à donner valeur signifiante à toute manifestation d’un intervalle existant entre deux sons successifs. Et, déjà, cela fait comprendre pourquoi l’auditeur peu averti peut se montrer rétif à des intervalles et à des enchaînements d’intervalles que son oreille interne, c’est-à-dire sa mémoire – une mémoire que ne corrige aucune imagination –, ne lui permet pas de prévoir plus ou moins confusément. C’est le cas lorsqu’un auditeur uniquement habitué à la musique classique entend une mélodie modale, du plain-chant par exemple. C’est le cas lorsqu’un auditeur sans imagination entend une œuvre dont le compositeur a, lui, une expression mélodique personnelle, donc inaccoutumée; ce qui explique que des critiques de bonne foi aient pu écrire qu’il n’y avait pas de mélodie dans Faust ou dans Carmen .

Les rapports de durée

Mais l’aperception d’une phrase musicale exige de l’auditeur un sens plus subtil encore: celui de son accentuation rythmique véritable, qui ne peut aucunement se mesurer par une simple addition de valeurs égales. La musique classique nous a trop habitués à cette facilité trompeuse qui consiste à compter des temps égaux à l’intérieur d’un découpage fixé d’avance et concrétisé dans la barre de mesure. Ce qui donne son véritable visage à une mélodie, ce sont les accents expressifs qui marquent les points où elle culmine entre une tension et une détente, selon la loi de tout discours, qu’il soit formulé avec des mots ou avec des sons. Ces accents expressifs n’ont rien à voir avec le découpage régulier de la durée qui s’est imposé aux musiciens à partir d’un certain développement de l’écriture polyphonique, afin de permettre la cohésion des diverses parties qu’elle met en œuvre.

Ce découpage n’existait pas dans la musique de la Grèce antique et pas davantage dans le Moyen Âge occidental. Il s’agit donc pour un musicien contemporain de retrouver les accents justes des mélodies de ces époques reculées, ce qui prête à controverses et met un obstacle de plus aux rapports entre ces mélodies et le grand public. Mais il s’agit aussi pour quiconque d’observer ces accents dans les mélodies classiques ou modernes où ils ne sont pas toujours clairement indiqués par l’auteur. Ce n’est pas un des moindres problèmes qui se posent aux interprètes de toute musique, et souvent en raison directe de la pureté de son style (Mozart en est peut-être le meilleur exemple).

2. La mélodie dans la musique occidentale

L’ère du plain-chant et du contrepoint modal

Ainsi, la mélodie est par essence un événement musical à l’état pur; elle ne postule à son origine aucune association avec quelque complément sonore que ce soit. Elle nous apparaît telle dans le plain-chant médiéval, ou dans la musique traditionnelle de pays comme l’Inde, où, toutefois, elle se combine avec une pulsation rythmique confiée à des instruments de percussion et avec un son continu, destiné à maintenir dans le champ de la conscience la tonique du mode (à quoi se réfère chaque son de la mélodie pour revêtir sa pleine signification).

Cette liberté totale du dessin linéaire se trouve plus ou moins gravement perturbée dès que s’installe la pratique de faire entendre simultanément des lignes mélodiques dont chacune garde une relative indépendance, mais ne peut pas ne pas obéir à certains impératifs propres à la vie en société qui lui est imposée.

Dans les premiers temps, cet impératif est essentiellement que les lignes ainsi lancées dans l’espace et la durée se rejoignent périodiquement sur une consonance parfaite (unisson, octave, quinte ou quarte). C’est ce que nous trouvons au XIIIe siècle dans les conduits de Léonin ou de Pérotin. Il est évident que la liberté des mélodies entendues simultanément y est déjà une liberté surveillée. Mais tout l’esprit de cette musique est dans l’individualité jalousement préservée des lignes dessinées qui la composent.

Déjà cependant la musique a deux axes, l’un horizontal, l’autre vertical, d’où va naître un nouvel élément constitutif du discours: l’harmonie. Dans la pré-Renaissance, chez un Josquin Des Prés, on peut considérer que l’affirmation de cet élément est un fait accompli. Mais si les rencontres harmoniques entre les parties ont déjà une plénitude qui satisfait l’oreille moderne, elles n’ont pour lui aucune fonction déterminante, elles n’imposent aucune règle au jeu contrapuntique qui les a provoquées. Rien de plus flexible que la mélodie de Josquin avec son legato soutenu et la succession naturelle de ses sons, conjoints ou faiblement écartés les uns des autres.

Au long du XVIe siècle, il se produit peu à peu un renversement des situations respectives de la mélodie et de la polyphonie selon deux lignes de clivage: d’une part, morcellement de la ligne que les diverses parties se passent et se repassent, se chevauchant, se croisant dans un jeu d’une incomparable maîtrise mais dont le fil conducteur finit parfois par échapper; d’autre part, tendance, toute contraire, à donner à la partie supérieure une valeur mélodique qu’elle tient moitié de sa propre plastique, moitié des agrégations – ou de ce qu’il faut désormais appeler des accords – de soutien.

On en vient ainsi tout naturellement un jour à une véritable mutation qui semble rétablir la mélodie dans toutes ses libertés en la faisant maîtresse absolue du discours, les autres parties étant réduites à un rôle d’accompagnement. Une grande partie de la musique de Monteverdi illustre ce renouveau.

Mais cette sorte de dissociation de la mélodie et de l’harmonie ne sera pas sans conséquences. Les musiciens se rendent compte en effet que, considérée en soi et non plus comme la résultante d’une polyphonie en mouvement, l’harmonie est un langage cohérent, formé d’éléments agissant les uns sur les autres et fortement hiérarchisée. Il sort de cette découverte progressive l’hégémonie du mode d’ut et la disparition des anciens modes. C’est tout un immense domaine qui se ferme à la musique pour des siècles.

La tonalité et l’hégémonie du mode d’ut

Dans l’affaire, la mélodie trouve bien, en principe, le champ libre, mais dans les limites étroites du mode d’ut . Et c’est pourquoi la mélodie classique se montre sous un jour absolument différent. Astreinte à prendre appui sur la tonique et la dominante, autorisée à de brèves digressions dans les tons voisins, sans cesse tentée par l’énoncé pur et simple des trois sons de l’accord parfait, elle trahira, même à travers les courbes adorables que sauront lui donner un Mozart ou un Schubert, la discipline de l’élaboration.

Le patriarche de la musique classique, Jean-Sébastien Bach, enseigne comment s’accommoder de cette discipline. Parfois, et le plus souvent dans ses thèmes moteurs, il se contente de l’énoncé de l’accord parfait en lui donnant tout au long du morceau une pulsation rythmique inexorable. Ailleurs, il tire parti des contraintes mêmes de ses structures harmoniques. Il prend appui sur elles pour donner à sa mélodie un plus vigoureux essor, tout comme l’avion prend appui sur l’air qui le soutient et favorise son envol. Comme ces harmonies sont mouvantes, elles se déplacent avec la mélodie, l’orientent par leurs modulations, la prolongent en lui permettant de se reproduire sur d’autres degrés de l’échelle (selon le procédé de la marche d’harmonie). Ailleurs encore, il profite de la convention même de ses enchaînements d’accords pour faire proliférer au-dessus broderies, volutes et arabesques comme l’architecte baroque masque par des moulures et des surcharges ornementales la simplicité de ses armatures.

Chez Beethoven, outre le très grand nombre de thèmes plus ou moins réduits aux trois sons de l’accord parfait (Symphonie héroïque , et bien d’autres), on trouve une abondance extraordinaire de thèmes purement harmoniques, dont chaque son est supporté par un accord. Et cet accord le nourrit de sa propre chair et, par son rayonnement, crée avec le son voisin un rapport mélodique, qui perdrait beaucoup de son évidence s’il était livré à lui-même (cf. le mouvement lent de la sonate dite Appassionata , par exemple).

Au long de l’époque classique, la mélodie emploie volontiers des sons conjoints ou séparés par de faibles intervalles et, du son le plus grave au plus aigu, couvre une étendue assez souvent limitée. En cela elle garde, même lorsqu’elle est purement instrumentale, la trace de ses origines vocales. C’est là du moins son aspect le plus général, mais ce n’est pas une règle. Bach, Beethoven usent parfois de très larges intervalles, et Mozart en fait, dans le rôle d’Elvire du Don Giovanni , un élément dramatique particulièrement frappant.

Avec l’ère romantique, et déjà chez un musicien qui n’y est pas encore engagé mais qui l’annonce, avec Weber, des mélodies de style assez purement mozartien voisinent avec de grandes envolées lyriques où la ligne se disloque, projette brusquement et presque spasmodiquement la voix vers l’aigu.

Chez Berlioz, le simple rapprochement de la mélodie des premières mesures de la Symphonie fantastique (écrite à treize ans par un enfant imprégné de culture classique) et du thème «idée fixe» (écrit en 1830), qui n’est qu’un aspect nouveau de cette même mélodie, illustre bien la naissance du style romantique. La ligne se brise, la montée lyrique fait éclater le cadre modeste de l’idée initiale. Le chromatisme y est intimement incorporé.

Chez Schumann, de grandes vagues de fond soulèvent la surface de l’œuvre musicale comme un océan sous la tempête. Le choix des intervalles devient de plus en plus imprévisible, ainsi d’ailleurs que celui des enchaînements harmoniques qui les éclairent de couleurs changeantes.

Mais c’est plus encore chez Chopin qu’apparaît l’interaction expressive de la mélodie et de l’harmonie. On la retrouve à travers tout son système modulant. Le jeu tonal suit le jeu mélodique, ou peut-être aussi l’oriente-t-il? On ne saurait le dire tant la démarche est naturelle, en dépit des surprises où elle nous engage.

La mélodie de Chopin recherche l’accentuation de ses valeurs expressives, tantôt dans son association intime avec des couleurs harmoniques particulières, tantôt dans le liant entre des sons assez proches, des lignes brisées étant réservées aux épisodes violents, tantôt dans une discrète insistance sur des formules frappantes qui se répètent, une ou plusieurs fois, avec des variantes diverses, tantôt dans un choix d’intervalles rares qui y introduisent un chromatisme plus souvent ornemental qu’organique.

Le chromatisme wagnérien et ses conséquences

Jusqu’à Wagner, on ne quitte jamais un diatonisme fondamental, et le rapport harmonie-mélodie se signale surtout par un certain asservissement de celle-ci au jeu traditionnel entre tonique et dominante et à des évasions contrôlées dans des tons voisins. Le chromatisme wagnérien, que l’on peut qualifier d’organique, implique que l’aspect purement linéaire de la libre mélodie primitive s’estompe peu à peu à la faveur d’une forme d’écriture de plus en plus complexe, où l’harmonie assume une fonction directrice grandissante. Dans le Wagner de Tristan et Isolde on est pris, comme Pascal, entre deux infinis: d’un côté, cette mélodie sans limite dont parle Nietzsche, pour d’ailleurs en faire reproche à Wagner; de l’autre, ces motifs ramassés, réduits parfois à trois ou quatre notes, mais où sont enfermées de telles charges d’énergie que Wagner lui-même, quand il les prend en main, semble à peine savoir comment contenir le fleuve de musique qui s’en échappe. Mais cette mélodie continue, qui va de transmutation en transmutation d’un motif dans un autre, il lui faut, pour se répandre, tant d’espace que c’est l’orchestre qui doit en prendre la charge, et tant de changements de parcours qu’elle ne peut être réalisée que par une infinité d’enchaînements harmoniques modulants. Dès lors, c’est bien, sous couleur de mélodie continue, l’hégémonie harmonique qui s’installe dans la musique et qui, détruisant ce qui l’a fait naître, compromet l’existence même du système tonal.

Les réactions que provoquera cette esthétique susciteront, dans plusieurs pays d’Europe entraînés par l’exemple des Russes, un nationalisme musical appuyé sur le folklore local. La mélodie de Moussorgski, celles de Smetana, de Grieg... sont une sorte de retour à la nature qui ne récuse pas le langage harmonique moderne, mais repousse son impérialisme.

La réaction de Debussy est d’un autre ordre. Elle est d’abord une réaction à des aspects de l’art de Wagner qui sortent du sujet étudié ici. Une réaction, d’autre part, à un langage harmonique livré à la modulation perpétuelle et où la mélodie ne cesse d’ajouter rallonges sur rallonges, en suivant pas à pas cette harmonie mouvante. L’équivoque tonale a chez lui une tout autre source. Elle procède d’une harmonie où l’accord est considéré en soi pour sa beauté, sa plénitude, pour ainsi dire à l’arrêt, indépendamment des principes dynamiques qui, chez Wagner, le poussent à résoudre ses tensions internes dans d’autres complexes sonores, qui auront aussitôt à résoudre les leurs. La mélodie ne cesse pas, mais elle devient fuyante, se morcèle, se cache, reparaît où on ne l’attend pas. Dans les œuvres de la fin, comme dans la deuxième et la troisième partie de La Mer , ou dans Jeux , on s’approche d’un éparpillement de la manière sonore qui oblige l’auditeur à réviser la conception qu’il se fait de la mélodie selon la tradition qui influence naturellement sa façon d’écouter la musique.

À la même époque, un Stravinski revient au contraire, dans Le Sacre du printemps , à une mélodie très simple et très tonale, de type folklorique, cependant que Ravel, mélodiste-né, se maintient dans la plus pure tradition classique. De sorte que dans cette année 1913, à la veille de la Première Guerre mondiale, alors que tout le monde voit dans Stravinski le grand révolutionnaire du temps, c’est en vérité Debussy qui se situe à l’avant-garde. C’est à lui, du moins, que l’histoire semble avoir donné raison. Car si le chromatisme qui résulte de la modulation perpétuelle wagnérienne a finalement abouti au dodécaphonisme de Schönberg, l’atomisation amorcée par Debussy dans les dernières années de sa vie a trouvé sa postérité dans la musique de Webern, disciple de Schönberg, mais disciple très indépendant.

Or, c’est dans cette voie, suivant une filière qui, à travers Webern, remonte jusqu’à Debussy, que s’est engagée la musique « sérielle » à partir des années 1950.

La discontinuité du discours wébernien

Du point de vue de l’histoire de la mélodie, il faut distinguer nettement les deux tendances de l’école de Vienne: celle de son fondateur Schönberg, celle de son disciple Webern.

Dans un cas comme dans l’autre, les intéressés se défendent énergiquement d’avoir sacrifié la mélodie. Cependant, même si l’auditeur moyen peut éprouver certaines difficultés à l’identifier dans la musique de Schönberg, du moins cette musique offre-t-elle un aspect linéaire, souvent très escarpé mais où l’esprit saisit un lien entre les sons qui s’y déroulent. La difficulté vient de ce que ce lien n’a plus de signification selon la tradition du système tonal, et que le chromatisme issu de l’usage mélodique et harmonique de la série des douze sons oblige son oreille à se plier à des habitudes nouvelles. Dans ce sens, la musique de Béla Bartók lui demande un bien moindre effort, quoique son chromatisme s’approche assez près, parfois, de celui de Schönberg, mais en prenant appui sur des harmonies qui, même très complexes, sous-entendent toujours la réalité tonale.

C’est un phénomène tout nouveau qui intervient avec Webern, celui de la discontinuité du discours musical. Ce discours n’apparaît plus comme une succession de périodes mélodiques, se déduisant les unes des autres. Webern propose plutôt un concert d’événements sonores précieux qui viennent se concrétiser en des points choisis d’une sorte de champ musical immatériel, un champ musical qui nous enveloppe d’un réseau de possibilités expressives dont quelques-unes seulement auront le privilège de frapper notre oreille. La matière sonore est donc éparpillée à l’extrême et comme sous forme de molécules de musique entourées parfois de larges zones de silence. Le sentiment mélodique reste présent, mais d’une présence impalpable; c’est un parfum léger circulant à travers un réseau de sons ténus, qui se déploie dans toutes les directions.

On est ici placé devant une virtualité musicale qui ne délivre de son existence que des signes espacés et choisis. La garantie de l’intégrité de chacun de ces signes, c’est le silence dans lequel ils naissent ou se défont et qui suffit par son active présence à relier les parcelles de ce discontinu musical par une continuité, occulte, étrangère à toute manifestation matérielle.

Il était nécessaire de s’attarder un peu à décrire cet art très neuf et insolite. La présence de l’élément «mélodie» dans cette musique ne peut plus correspondre à la définition (rapports d’intervalles et de durée) et elle ne peut être décelée que par un auditeur apte à pénétrer dans un monde d’abstraction pure. C’était nécessaire parce que, de là, est parti tout le mouvement musical de la jeunesse d’après-guerre. La musique dite «sérielle» n’a été qu’un épisode de cette aventure. Elle a systématisé la discontinuité musicale jusqu’à faire prévaloir une esthétique pointilliste qui a pu faire croire que la musique contemporaine s’était débarrassée de la mélodie comme d’un accessoire inutile. Mais ce ne pouvait être et ce n’a été qu’un épisode.

Il n’est pas possible de préciser le point où en est arrivée la musique, partagée entre musique aléatoire, musique électroacoustique, musique concrète, musique stochastique réalisée avec le concours d’ordinateurs, musique minimaliste, musique spectrale.

La mélodie est entrée dans un processus évolutif mortellement dangereux pour elle du jour où elle a cessé d’être seule, c’est-à-dire en Occident et au Moyen Âge. A-t-elle déjà péri, comme beaucoup le pensent? À cette question on doit sans doute répondre par la négative. Retrouvera-t-elle un jour la liberté qu’elle a connue jadis dans la chanson des troubadours ou les antiennes du plain-chant? C’est peu probable. Retrouvera-t-elle une continuité linéaire revêtant un sens nouveau dans une polyphonie nouvelle? Peut-être est-ce déjà fait. Mais, sur la manière dont évoluera cette sorte de renaissance, on ne peut que répondre par un immense point d’interrogation.

mélodie [ melɔdi ] n. f.
XIIe; bas lat. melodia, du gr. melôdia
1Succession ordonnée de sons dont l'écriture linéaire constitue une forme. Composition musicale, formée d'une suite de phrases ayant ce caractère. 3. air, 2. aria. Motif, rythme d'une mélodie. Fredonner une mélodie. Mélodie monotone. mélopée.
2(1844) Pièce vocale composée sur le texte d'un poème, avec accompagnement. 1. chant; chanson, lied. Mélodies de Fauré, de Debussy sur des vers de Verlaine.
3Caractère, qualité d'une musique où la mélodie est particulièrement sensible (par rapport à l'harmonie, au rythme). Musique sans mélodie, qui manque de mélodie.

mélodie nom féminin (bas latin melodia, du grec melôdia) Ensemble de sons successifs de hauteur variable, ayant entre eux des rapports tels que leur perception globale soit capable de satisfaire à la fois l'intelligence et la sensibilité. Composition monodique, vocale ou instrumentale, avec accompagnement. Suite harmonieuse de mots, de phrases : La mélodie des vers de Lamartine.mélodie (citations) nom féminin (bas latin melodia, du grec melôdia) Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Toute âme est une mélodie, qu'il s'agit de renouer […]. Variations sur un sujet, Crise de vers Maurice Merleau-Ponty Rochefort 1908-Paris 1961 Tout organisme est une mélodie qui se chante elle-même. La Structure du comportement P.U.F.mélodie (synonymes) nom féminin (bas latin melodia, du grec melôdia) Composition monodique, vocale ou instrumentale, avec accompagnement.
Synonymes :
- air
- aria
- ariette
- barcarolle
- cantilène
- cavatine
- chanson
- lied
Suite harmonieuse de mots, de phrases
Synonymes :
- cadence
- harmonie
- incantation

mélodie
n. f.
d1./d Succession de sons qui forment une phrase musicale.
d2./d Composition instrumentale ou vocale dont les phrases sont ordonnées "selon les lois du rythme et de la modulation" (J.-J. Rousseau) pour produire des sons agréables à entendre.
d3./d Fig. Qualité de ce qui charme l'oreille. La mélodie d'un vers.

⇒MÉLODIE, subst. fém.
A.MUSIQUE
1. Suite de sons ordonnés selon les lois du rythme et de la modulation d'où résulte un air agréable à entendre; p.méton. (p.oppos. à harmonie), composition musicale formée de plusieurs phrases ayant ce caractère. Douce, lointaine, pure, simple mélodie; les règles de la mélodie. La mesure est essentielle à la mélodie et ne l'est point à l'harmonie (Ac. 1935). Une belle mélodie nous fait sentir, sans calcul et sans attention, le mouvement et le repos qui sont les éléments du temps (JOUBERT, Pensées, t.2, 1824, p.9). Ses mélodies [de M. Puccini] sont faibles et molles; elles bercent, et ce sont des mélodies indulgentes à la digestion des personnes qui ont bien dîné (P. LALO, Mus., 1899, p.128):
♦ Une belle mélodie (...) peut exister et durer au-dessus des siècles par le son d'un violon solitaire. Tout ce bruit que vous faites, et tout le bruit que font les musiciens, n'est que pour faire naître la mélodie sublime, sans grincements ni sifflements ni battements autour; il faut que les bruits soient vaincus.
ALAIN, Propos, 1922, p.356.
P. métaph. Les oiseaux de l'extase ont leurs nids dans tes yeux. La mélodie du monde inonde tes cheveux (MONTHERL., Encore inst. bonh., 1934, p.679).
2. Composition musicale faite sur le texte d'un poème avec accompagnement (le plus souvent au piano). Synon. chanson, chant, lied, romance. Mélodie de Fauré, de Weber; chanter, fredonner une mélodie. V. alanguissant ex.
B.P. anal. Caractère de ce qui est agréable à entendre. Synon. harmonie. Lamartine a eu besoin encore de toute la mélodie de son vers pour n'être point effacé par le prosateur qui le devance (SAINTE-BEUVE, Chateaubr., t.2, 1860, p.15). Cette fâcheuse tradition [de dire les vers] détruit la continuité, la mélodie infinie qui se remarque si délicieusement dans Racine (VALÉRY, Pièces sur art, 1931, p.46).
PHONÉT. On appelle mélodie de la phrase la courbe sonore résultant de la succession des intonations ou hauteurs des sons (MAR. Lex. 1951, p.142).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718 melodie, dep. 1740 mé-. Étymol. et Hist. 1. a) ) début du XIIe s. «chant» (St Brendan, 1787 ds T.-L.); ) 1re moitié du XIIe s. «succession de sons ordonnés de façon à constituer une forme, une structure perceptible et agréable» (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, p.260); b) 1844 «composition instrumentale (ou vocale) avec accompagnement» (BALZAC, Muse départ., p.178); 2. 1765 «courbe de variations de hauteur dans une phrase, un mot» (Encyclop. t.10: mélodie du discours). Empr. au b. lat. melodia «air musical; harmonie, accord», issu du gr. «chant d'homme, chant d'oiseau, chant avec accompagnement de musique; poésie lyrique», de «qui chante, mélodieux», comp. de (v. mélo-) et de «chanter». Fréq. abs. littér.:896. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 1061, b) 952; XXe s.: a) 1668, b)1391.

mélodie [melɔdi] n. f.
ÉTYM. V. 1112; bas lat. melodia, grec melôdia, de melôdos « qui chante », de melos (→ Mélo-) et ôdo « je chante » (→ Ode).
1 (V. 1120). « Succession de sons tellement ordonnés selon les lois du rythme et de la modulation qu'elle forme un sens agréable à l'oreille (…) » (Rousseau, Dict. de musique).Composition musicale, formée d'une suite de phrases ayant ce caractère ( 3. Air, aria). || Appogiatures, mélismes, notes, ornements, silences d'une mélodie (→ Écouler, cit. 10, et ci-dessous cit. 3). || Motif d'une mélodie (→ Allegro, cit. 2). || Rythme d'une mélodie. || Accents berceurs (→ Archet, cit. 2), passionnés de la mélodie (→ Invincible, cit. 8). || Mélodie gaie et orientale (→ Aubade, cit. 1), énergique et suave (→ Éteindre, cit. 10). || La stridente mélodie des flûtes (→ Exaspérer, cit. 5).La mélodie : la succession linéaire des sons, en musique, indépendamment de la qualité rythmique. || La mélodie et l'harmonie (cit. 16), et le rythme.
1 L'idée du rythme entre nécessairement dans celle de la mélodie; un chant n'est un chant qu'autant qu'il est mesuré (…) On ne doit (…) pas comparer la mélodie avec l'harmonie, abstraction faite de la mesure dans toutes les deux : car elle est essentielle à l'une et non pas à l'autre.
Rousseau, Dict. de musique, Mélodie.
2 (…) Modeste composait, comme on peut composer sans connaître l'harmonie, des cantilènes purement mélodiques. La mélodie est, à la musique, ce que l'image et le sentiment sont à la poésie, une fleur qui peut s'épanouir spontanément. Aussi les peuples ont-ils eu des mélodies nationales avant l'invention de l'harmonie.
Balzac, Modeste Mignon, Pl., t. I, p. 388.
3 Pour la matière, toute mélodie s'affirme sur quelques notes radicales qui lui servent d'ossature. Celles-ci sont reliées par des notes moins importantes pour le sens de la phrase : on les appelle Notes de passage. Autour d'elles peuvent s'enrouler aussi des notes d'ornement et des mélismes, c'est-à-dire des groupes de notes aux dessins souples et liés.
A. Cœuroy, la Musique et ses formes, Mélodie, p. 15.
4 (…) une mélodie cadencée (jouée au piano), qui m'allait droit au cœur par le mouvement de ses phrases et la pureté cristalline de son timbre.
H. Bosco, Antonin, p. 108.
2 (1844, Balzac). Pièce vocale composée sur le texte d'un poème, avec accompagnement. Chant; cantabile, cantilène, chanson, lied. || Mélodie de Fauré, de Debussy sur des vers de Verlaine. || Chanter, fredonner une mélodie (→ Haut, cit. 27; jeu, cit. 70). || Mélodie monotone. Mélopée. || Accompagner une mélodie au piano. || Incantation (cit. 4) d'une mélodie.
5 — Et le comte fait chanter à Rosine une délicieuse mélodie à laquelle les cantatrices qui jouent ce rôle ont grand tort de substituer de grands morceaux fort difficiles et fort ennuyeux. — Les paroles en sont charmantes (…)
Th. Gautier, Souvenirs de théâtre…, « Barbier de Séville ».
6 (…) il choisit une trentaine de ses Lieder (…) Il s'était bien gardé de prendre ses mélodies les plus « mélodieuses »; il prit les plus caractéristiques (…) Ces Lieder étaient écrits sur des vers de vieux poètes silésiens du dix-septième siècle (…)
R. Rolland, Jean-Christophe, La révolte, p. 511.
Par métaphore (→ Immensité, cit. 5). || Célestes mélodies (→ 1. Flûte, cit. 6).
7 (…) mélodie monotone de la houle (…)
Baudelaire, le Spleen de Paris, III.
3 Caractère, qualité d'une musique où la mélodie est particulièrement sensible (par rapport à l'harmonie, au rythme). Mélodique (2.). || Musique sans mélodie (→ Incolore, cit. 1), qui manque de mélodie.
8 Le chant ainsi dépouillé de toute mélodie, et consistant uniquement dans la force et la durée des sons, dut suggérer enfin les moyens de le rendre plus sonore encore, à l'aide des consonances.
Rousseau, Essai sur l'origine des langues, XIX.
(1765). Fig. Caractère, qualité de ce qui est mélodieux. || Mélodie d'un vers, d'un poème.
9 (…) les effets de la poésie tiennent encore plus à la mélodie des paroles qu'aux idées qu'elles expriment.
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, IX.
DÉR. Mélodieux, mélodique, mélodiste, mélodium.

Encyclopédie Universelle. 2012.