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POTAMOLOGIE
POTAMOLOGIE

La potamologie est l’étude pluridisciplinaire des cours d’eau. Ici, c’est seulement la potamobiologie, ou biologie des eaux courantes, branche de l’hydrobiologie, qui sera considérée. D’ailleurs, au sens strict du terme, la potamobiologie est seulement l’étude biologique des rivières et fleuves ; d’autres termes désignent l’étude de la biologie des ruisseaux et de celle des sources (cf. Classification et zonation ), mais nous allons utiliser «potamobiologie» dans le sens général du terme.

Les eaux courantes, ou lotiques, se distinguent des eaux stagnantes par une série de particularités d’importance fondamentale pour les organismes et pour les communautés qui y vivent. Tout d’abord, leur répartition est relativement uniforme à la surface des continents et leur vie est, en temps géologique, considérablement plus longue que celle des lacs pour beaucoup de systèmes hydrographiques. D’autre part, ce sont des systèmes ouverts , fort dépendants des systèmes voisins, très influencés notamment par l’environnement terrestre et peuplés par des communautés qui, à tous les niveaux trophiques, sont tributaires des matériaux allochtones transportés de l’amont vers l’aval par le courant . Celui-ci, par son régime et sa vitesse, est le principal facteur agissant sur les communautés benthiques qui, seules, seront étudiées ici; ce sont celles qui présentent les adaptations les plus intéressantes, les communautés pélagiques composées essentiellement par les poissons en étant moins tributaires. Enfin, la présence de courant permet des échanges continus de matière et entrave le plus souvent toute stratification verticale: il n’y a pas ici de cycle de la matière mais un continuum et la production photo-autotrophe est pratiquement possible partout. De plus, le courant exerce une action eutrophisante: l’eau courante est physiologiquement plus riche en oxygène et en substances nutritives, car le courant renouvelle constamment l’eau au contact des surfaces absorbantes des animaux. On comprend alors que le rejet, soit directement soit indirectement par suite de drainage, de substances dans les cours d’eau, entraîne des déséquilibres dans la composition floristique et faunistique des communautés [cf. POLLUTION].

1. Facteurs abiotiques

Parmi les facteurs abiotiques réglant la vie des organismes et des communautés des cours d’eau, il faut considérer l’écoulement de l’eau (structure, débit, vitesse du courant), le substrat et les substances dissoutes (en particulier l’oxygène). À ces facteurs s’ajoute la température, qui agit directement sur la quantité d’oxygène disponible dans le milieu, donc sur la répartition des organismes.

L’écoulement de l’eau

Le régime des rivières et fleuves dépend des variations saisonnières du débit, et plusieurs types, selon l’origine des apports d’eau (fonte des neiges, pluies d’hiver ou d’été), ont pu être distingués. Les débits, qui se modifient très sensiblement, surtout au niveau des «confluences principales», exercent une influence sur la vie dans les cours d’eau par leurs variations saisonnières le long du réseau, leurs irrégularités, le transport des matériaux, l’action sur le degré de stabilité du fond.

En fonction de sa capacité de travail (déterminée surtout par la vitesse du courant) et de la quantité de matériel remplissant le lit, l’eau des ruisseaux et rivières peut exercer trois sortes d’actions: érosion, transport des matériaux et sédimentation (diagramme de Hjulström); d’énormes différences dans la nature des substrats, et par conséquent dans la composition des communautés, sont constatées dans les cours d’eau (ou leurs portions) selon que ce sont les phénomènes d’érosion ou de dépôts qui dominent. Dans les eaux de surface, le courant n’est qu’exceptionnellement laminaire; il est normalement turbulent et devient parfois tourbillonnaire. Favorisant les échanges de substances dans l’eau, la turbulence est donc un des facteurs physiques essentiels pour les organismes vivant dans les eaux courantes. La différenciation entre milieux astatiques et milieux eustatiques (c’est-à-dire sujets à de brusques et importantes variations, ou au contraire peu sensibles aux crues et assèchements catastrophiques) se place dans ce contexte; de remarquables mécanismes ont été développés par les animaux pour atténuer les conséquences de ces désastres.

L’importance de la pente a été soulignée par Huet dans son étude sur les relations entre la pente et les populations des eaux courantes (fig. 1): les cours d’eau qui ont une longueur et une profondeur de même importance et qui possèdent une pente comparable ont, dans une région biogéographique donnée, des caractères biologiques analogues.

La vitesse du courant dépend du débit et de la structure du lit (profondeur, largeur, substrat) et est évaluée selon la taille des particules déplacées (échelle de Berg): à 10 cm/s (vitesse lente) sont déplacés des objets de 0,2 mm de diamètre (le limon), à 300 cm/s (vitesse très rapide) des objets de 180 mm de diamètre (grosses pierres). Le courant modèle ainsi le substrat et l’allure du fond reflète fidèlement sa rapidité. Les inégalités de la répartition des vitesses au niveau du radier représentent un facteur extrêmement important dont il faut tenir compte pour ne pas avoir une image fausse ou appauvrie de la vie dans les cours d’eau: la «couche limite» (couche de Prandtl) et les «eaux mortes» en constituent un bon exemple. La couche limite est épaisse de un à plusieurs millimètres et offre des écoulements pratiquement laminaires et des vitesses le plus souvent très ralenties; elle se forme à proximité immédiate de tout corps solide immergé et stationnaire. Les eaux mortes sont les zones à courant fortement ralenti qui se trouvent derrière les obstacles. Une importante partie de la vie dans les eaux courantes se déroule dans ces deux régions. Schématiquement, on peut dire que ce sont les vitesses extrêmes qui exercent l’action la plus importante: les plus grandes éliminant les éléments limnophiles tandis que les organismes les mieux adaptés forment des populations immenses (larves de Simuliides et de Blépharocérides dans les rapides et cascades), les courants faibles limitant la présence des rhéophiles (fig. 2). Le courant a une action eutrophisante surtout au niveau des rapides, ce qui rend ces tronçons de rivière plus productifs, à condition que le substrat soit stable. Son influence s’exerce sur le comportement animal (par exemple, la construction de filets pièges par les larves de Hydropsyche ne s’amorce que là où une certaine vitesse a été atteinte), sur la distribution des espèces et des communautés et sur leur métabolisme.

Le substrat

Chaque animal lutte contre le courant soit en se cramponnant au substrat, soit en s’enterrant dans celui-ci: dans les deux cas, il en dépend étroitement.

Selon la taille des particules présentes dans le lit, on distingue diverses catégories de fonds répartis en deux grands types: les fonds érodés ou primaires (substrats rocheux et pierreux liés à une pente forte et à courant souvent rapide) et les fonds déposés ou alluviaux (substrats sableux, limoneux ou argileux, voire vaseux, des rivières de plaine). La structure du substrat dépend de la force du courant qui entraîne les particules, de la pente et du débit; elle détermine l’abondance de la nourriture (distribution de la végétation, des détritus organiques), la quantité d’oxygène présente entre les particules, la reproduction de certains animaux (poissons); elle affecte donc la distribution des espèces, la densité et la richesse des populations benthiques, celles-ci augmentant avec la taille des particules (fig. 3).

Substances dissoutes

On a mis en évidence le fait que dans les ruisseaux «riches» au point de vue de la concentration totale des cations, la faune est plus abondante que dans les ruisseaux «pauvres», et cela indépendamment de la nature géologique du substrat. Particularité générale des eaux vives, l’écoulement permet un renouvellement continu des substances dissoutes. La quantité de calcium est probablement plus variable que celle de n’importe quel autre ion (de 1 mg/l à plus de 100 mg/l). Sa présence favorise le développement de certains groupes comme celui des Mollusques alors que dans d’autres groupes (Hirudinées, planaires, Diptères Psychodides), on distingue des espèces calcifuges ou calcicoles obligatoires. Les eaux incrustantes, extrêmement chargées en bicarbonate de calcium, offrent des caractéristiques propres.

Comme celle du calcium, la concentration en oxygène varie beaucoup. Dans les sources, elle est en principe légèrement déficitaire (particularité des eaux souterraines); mais dans les ruisseaux et les rivières rapides de montagne, où l’agitation de l’eau facilite les échanges avec l’atmosphère, le pourcentage de saturation tend alors à se maintenir au voisinage de 100 p. 100; dans les rivières lentes et les fleuves, la quantité d’oxygène dissous est plus variable: elle peut atteindre 200 p. 100 dans les cas où l’activité photosynthétique est intense, tandis que des sous-saturations apparaissent parfois pendant les nuits chaudes d’été. Les variations de la concentration en oxygène en 24 h ont permis de classer les eaux courantes en eaux de type oligotrophe dont le contenu en oxygène est déterminé surtout par un facteur physique, la température, ce qui entraîne une courbe à minimum diurne et à maximum nocturne, et en eaux de type eutrophe dont le contenu en oxygène est déterminé par l’assimilation des plantes autotrophes, donc à minimum nocturne et maximum diurne. Selon leur consommation en oxygène, les organismes se classent en deux groupes (fig. 4): les conformistes, dont la consommation en oxygène se calque sur la concentration en ce gaz du milieu; les régulateurs, dont la consommation reste à un niveau pratiquement constant car ils sont capables d’autorégulation.

Luminosité

La végétation, amphibie ou aquatique, les couvertures de glace et de neige forment des écrans efficaces à la pénétration de la lumière dans les eaux courantes, ce qui influe sur l’activité de la photosynthèse, donc sur la production primaire.

La température et les interactions entre les différents facteurs

On a beaucoup discuté pour savoir quel était le facteur essentiel, déterminant, pour la vie dans les eaux courantes. Il est actuellement évident que ce sont plutôt les interactions extrêmement complexes de ces facteurs qui représentent l’essentiel, les espèces choisissant leurs habitats en tenant compte de combinaisons de facteurs plutôt que de facteurs isolés. On a vu que la disponibilité physiologique de l’oxygène dépend directement de la température et du mouvement de l’eau (fig. 5); elle diminue en particulier avec l’augmentation de la vitesse du courant. Concentration en oxygène et vitesse du courant influent sur la fréquence des «mouvements de ventilation» que les insectes aquatiques effectuent avec leurs branchies (Éphéméroptères) ou avec tout le corps (Plécoptères, Trichoptères) pour se procurer l’oxygène dont la teneur est sous la dépendance de la température. Les effets néfastes de l’élévation de la température peuvent être compensés par une sursaturation en oxygène ou par des vitesses supérieures du courant. Les relations entre ces trois facteurs prennent des aspects particuliers au niveau de la couche limite et dans les eaux mortes.

Les différents substrats du lit d’un cours d’eau ont un approvisionnement différent en oxygène: à la surface des grosses pierres, les conditions sont les meilleures, elles sont moins bonnes dans les accumulations de feuilles mortes et encore moins dans le gravier, dans le sable et sous les pierres. Certains animaux choisissent leurs substrats précisément en fonction de leurs besoins optimaux en oxygène: la larve d’Ephemera simulans a besoin d’au moins 1,20 cm3 d’oxygène par litre qu’elle trouve dans les eaux assez rapides pour ne pas permettre la sédimentation de plus de 10 p. 100 de sable fin.

Il est évident que tous les facteurs n’ont pas la même importance et que, si l’on tient compte de leurs effets sur les animaux, il est parfois possible de hiérarchiser les paramètres. Cette hiérarchisation, qui a été tentée par Robert W. Pennak (cf. tableau), permettrait une comparaison de l’ensemble des eaux courantes à la surface du globe. On a ainsi montré, compte tenu de la vitesse du courant, de la température, de la concentration des ions, de la taille des éléments du substrat et de la nourriture, que les trois premiers facteurs peuvent situer «les limites de tolérance de l’habitat» et déterminer la «macrodistribution», tandis que les deux derniers sont probablement responsables de la «microdistribution». De minimes variations dans la distribution des Invertébrés des ruisseaux et rivières seraient dues aux interactions entre la vitesse du courant et la structure du fond, car les légères irrégularités dans cette dernière provoquent des fluctuations de la vitesse du courant, qui à leur tour peuvent déterminer des variations dans l’approvisionnement en nourriture, etc.; ainsi, dans une petite rivière d’Angleterre, les mousses ne peuvent s’installer sur la face supérieure des pierres que si le courant atteint 40 à 50 cm/s; la couverture de mousses offre alors nourriture et abri à une riche faune qui autrement ne pourrait s’établir; la larve carnivore de Rhyacophila dorsalis est fréquente dans cet habitat où elle trouve la nourriture nécessaire à son développement.

2. L’écosystème des eaux courantes

Problème des adaptations

On a reconnu depuis assez longtemps l’existence de nombreuses adaptations morphologiques qui caractérisent les animaux vivant dans les eaux lotiques. Ce sont surtout des adaptations à la vie sur les pierres placées dans un courant assez fort: absence des soies natatoires, aplatissement dorso-ventral, agrandissement des surfaces adhésives, emplacement des pattes dans le plan du corps, présence de ventouses et d’autres organes de rétention, ancrage par du mucus ou par des fils sécrétés, élaboration de fourreaux ou d’abris fixes, systèmes d’accrochage des pontes et cocons; d’autres adaptations caractérisent les animaux qui s’enfouissent dans le substrat: allongement du corps, pattes modifiées, appendices placés dans l’axe longitudinal du corps; l’aspect dynamique des animaux faisant face au courant est bien connu.

La plupart de ces adaptations s’expliquent non comme une possibilité offerte aux animaux pour s’opposer frontalement au courant, mais comme un moyen leur permettant d’éviter d’être entraînés par celui-ci; ils peuplent alors les diverses zones relativement calmes tout en profitant des avantages du courant; il y a donc ainsi un aspect comportemental des adaptations. On donne le nom de rhéophiles aux organismes qui habitent un milieu lotique; et, parmi ceux-ci, le nom de torrenticoles à ceux qui vivent plus précisément sur les pierres balayées par un courant rapide; beaucoup d’organismes rhéophiles s’orientent par rapport au courant, le plus souvent face à lui (rhéotropisme positif des poissons, des larves d’Éphéméroptères). Le problème de la résistance des animaux au courant a fait l’objet de théories controversées: celle de Steinmann, dite «théorie de la poussée», considère que la poussée mécanique exercée par le courant sur les animaux fixés est d’autant moindre que l’animal s’élève moins au-dessus du substrat; il reste donc plaqué sur le fond (stéréotactisme). Elle reflète une certaine réalité; il faut cependant distinguer entre la vitesse maximale supportée dans la nature par une espèce, celle, déterminée expérimentalement, pour laquelle l’animal reste apte à remonter le courant et celle où il est balayé par lui. Pour Crenobia alpina par exemple, les trois valeurs correspondantes sont 14 cm/s, 104 cm/s, 143 cm/s. La valeur de ces vitesses a souvent été exagérée et la connaissance des couches limites et des eaux mortes oblige à réviser certains concepts, la vitesse mesurée étant celle qui est réellement supportée au niveau des organismes et non celle du courant lui-même.

Les adaptations sont aussi remarquables chez les végétaux macrophytes. Elles concernent en particulier la souplesse des tiges, du fait de l’absence de tissus de soutien, et la réduction ou l’absence des feuilles [cf. VÉGÉTAL]; la multiplication végétative par bouturage est intense; les formes thalloïdes des algues se retrouvent chez les mousses et certaines phanérogames aquatiques, telles les Podostémonacées des rapides des rivières tropicales.

Relations entre les espèces

Les peuplements des eaux courantes permettent aussi bien de confirmer que d’infirmer le principe de Monard (principe de l’exclusion compétitive): si, dans certains cas, «dans un milieu uniforme... ne tend à subsister qu’une espèce par genre», dans d’autres cas, la coexistence de plusieurs espèces extrêmement voisines est connue. Si, dans des groupes comme les Triclades, les Amphipodes, les Plécoptères, on observe une concurrence entre espèces, voire une exclusion réciproque, il est rare qu’une espèce atteigne vraiment les limites de distribution permises par les facteurs abiotiques, car quelque autre espèce ayant un optimum différent l’en empêche.

La succession des espèces le long d’un réseau lotique représente un phénomène bien caractéristique; par exemple, dans les ruisseaux d’Europe centrale se succèdent d’amont en aval les Triclades Crenobia alpina , Polycelis cornuta , Dugesia gonocephala , Planaria lugubris ; une même succession s’observe dans les espèces du Diptère Wiedemannia dans plusieurs massifs de France et dans la répartition des poissons (truite, ombre, barbeau, brême, flet; cf. fig. 1); ce même phénomène se retrouve aussi bien en Afrique qu’en Amérique; ce remplacement d’espèces est dû aussi bien au phénomène de compétition qu’aux gradients constatés dans les facteurs abiotiques; il ne doit pas être confondu avec la zonation biologique des eaux courantes (cf. Classification et zonation ).

Une partie de la faune d’Invertébrés benthiques se détache régulièrement du substrat et se trouve ainsi en dérive dans la masse de l’eau. L’étude de ce phénomène naturel (non catastrophique) et continu a montré qu’il y a une relation directe entre cette dérive (drift ) d’une part, la densité de la faune, la vitesse et le débit du courant de l’autre; cette dérive présente un rythme diurne et est beaucoup plus importante pendant la nuit; cela est en relation indiscutable avec l’état d’activité de nombreuses espèces pour lesquelles le phototropisme négatif se relâche pendant la nuit, ce qui augmente les possibilités pour elles d’être détachées et entraînées par le courant; la lumière de la Lune exerce une action dépressive sur le maximum nocturne de la dérive (fig. 6). Si l’on ne connaît pas toujours exactement l’ampleur des populations entraînées, il semble acquis que les animaux déplacés se réattachent au substrat après avoir parcouru des distances assez courtes. On ne sait pas encore si la dérive est un phénomène passif contrôlé par des facteurs exogènes ou si elle est déterminée par le comportement des animaux eux-mêmes (facteurs endogènes). À vrai dire, les deux catégories de facteurs agiraient simultanément. La dépopulation en amont provoquée par la dérive est compensée par divers mécanismes (est-ce en partie seulement?): pour certains auteurs, ce sont les adultes des insectes amphibiotiques, pour la plupart des femelles, qui effectuent des migrations massives en amont (théorie du «cycle de colonisation» de Müller), alors que, pour d’autres, ce mécanisme compensateur serait assuré par les migrations rhéotactiques des larves. La signification biologique de la dérive n’est pas encore claire; peut-être l’importance du phénomène a-t-elle été exagérée, mais il est certain qu’il joue un rôle non négligeable dans le repeuplement des zones affectées par les catastrophes (crues, assèchements) et dans la colonisation des niches nouvelles.

Trophologie et flux énergétique

La nourriture est le facteur essentiel qui explique les microdistributions des animaux des eaux courantes, distributions qui sont généralement calquées sur celles des ressources trophiques. On distingue la chaîne des herbivores, qui repose directement sur la production primaire des plantes vivantes, et celle des détritivores, qui s’appuie sur le matériel allochtone mort, plus ou moins décomposé par les micro-organismes décomposeurs [cf. BIOCÉNOSES].

En général, les eaux courantes figurent parmi les milieux à production primaire faible, du fait que de nombreux cours d’eau possèdent une végétation fort pauvre pendant la majeure partie de l’année (courant et carence en lumière représentent une combinaison de facteurs que peu de plantes peuvent supporter); dans la flore photoautotrophe, le rôle des algues est beaucoup plus important que celui des macrophytes.

Les détritus organiques peuvent soit se trouver en dérive dans la masse de l’eau, soit, et ceci est plus fréquent, former des dépôts sur le fond des cours d’eau. Il est à présent unanimement reconnu que les détritus végétaux allochtones (d’origine terrestre et surtout les feuilles mortes des arbres des rivages) jouent un rôle fondamental dans l’économie des eaux courantes. On a pu affirmer qu’une grande partie de la productivité de celles-ci repose sur cette source de matière organique allochtone sans laquelle les eaux courantes seraient des habitats pratiquement déserts, excepté quelques endroits favorisés. Ces détritus végétaux, qui fournissent les protéines et abritent une riche florule de micro-organismes, sont donc à la base de la vie dans les ruisseaux et rivières.

Les animaux consommateurs primaires peuvent être divisés en quatre groupes principaux: les filtreurs, peu mobiles, qui utilisent, grâce à toutes sortes de dispositifs de filtrage, les particules organiques vivantes ou mortes qui sont véhiculées par le courant (Simuliidae , Trichoptères filtreurs); les brouteurs, qui se déplacent sur le substrat en paissant la végétation d’algues ou d’autres plantes aquatiques (Theodoxus , Trichoptères Glossosomatidae ); les mangeurs de sédiment fin (limivores) qui font passer d’énormes quantités de sédiment par leur tube digestif (Oligochètes Tubificidae ); les consommateurs de feuilles mortes, qui sont, en réalité, essentiellement des consommateurs de la flore bactérienne et de mycèles qui se développent sur les feuilles mortes ayant atteint un certain degré de décomposition (larves de nombreux insectes aquatiques).

Les consommateurs secondaires sont les animaux carnivores (planaires, Plécoptères sétipalpes, Trichoptères campodéides, Poissons) qui se nourrissent aux dépens des consommateurs primaires. Une production de poissons d’eau courante de quelques dizaines de kilogrammes par hectare et par an suppose une production d’invertébrés de quelques centaines de kilogrammes par hectare et par an, qui à son tour implique une production primaire chiffrée en tonnes par hectare et par an (ce qui donne une idée de l’importance de l’apport de matériel allochtone!).

On sait peu de chose sur le flux énergétique dans les eaux courantes, du fait des nombreuses difficultés d’observation dues au milieu lui-même. La figure 7 schématise des résultats fort intéressants obtenus par l’étude de la Tamise.

3. Classification et zonation

L’écosystème des eaux courantes présente une extrême diversité d’aspects. Malgré la difficulté de l’entreprise, de nombreux essais de classification ont été proposés, qui, considérant chaque cours d’eau comme une entité, utilisent un critère d’ordre physique ou chimique. Il ne sera pas question ici de ces classifications mais des essais qui tiennent compte des variations enregistrées dans les communautés benthiques; ces variations dépendent essentiellement, d’une part, de la distance par rapport à la source, par suite du changement des conditions abiotiques et de la compétition entre espèces, d’autre part, de la nature du substrat. Selon le facteur considéré, on aboutit soit à un système de zonation biologique longitudinale, soit à une typologie des habitats et de leurs associations.

L’hydrologue américain V. Horton avait, dès 1945, classé les cours d’eau en se fondant sur la ramification des réseaux, mais la zonation biologique longitudinale est due à J. Illies et date de 1950 environ. Cet auteur constate qu’une typologie ne peut pas s’appliquer à des cours d’eau pris comme entités, mais à des tronçons caractérisés par des particularités zoocénotiques et physiographiques; il montre que les modifications enregistrées par la faune le long d’un cours d’eau ne sont pas si graduelles que celles des facteurs physiographiques, mais qu’elles prennent place plutôt brutalement en certains endroits (par exemple, au niveau des confluences d’eaux de même importance) et que, en tenant compte de ces modifications, on arrive à une division biocénotique naturelle (fig. 8): si des tronçons adéquats de cours d’eau sont comparés, même dans des zones géographiques fort éloignées entre elles, on constate non seulement une identité physiographique mais aussi une grande ressemblance dans les peuplements: les mêmes Lebensformtypen sont représentés (ce terme dû à A. Remane pourrait être traduit par «types structuraux-biologiques»), même si les hiatus du point de vue taxinomique augmentent avec la distance; ces tronçons, ou zones, sont de vraies isocénoses, telles que les définit J. Balogh. Une méthode d’analyse biocénotique des eaux courantes a été mise au point, méthode statistique permettant la représentation graphique de la succession et du remplacement des faunes. Les hiatus les plus profonds séparent d’une part les sources du reste des eaux courantes, d’autre part les régions qui, en Europe centrale, sont connues sous les noms de zone à Salmonidés et zone à barbeaux. Trois isocénoses reconnaissables universellement peuvent être ainsi définies: le crénal (sources et émissaires), le rhithral (ruisseaux et petites rivières; cf. fig. 5), le potamal (grandes rivières et fleuves), dont s’occupent respectivement la crénobiologie, la rhithrobiologie, la potamobiologie au sens strict. Comme on ne peut s’étendre ici sur les subdivisions de ces trois isocénoses et sur leurs particularités, on se contentera de dire qu’elles sont caractérisées par l’amplitude des variations thermiques, la vitesse du courant, le débit, la nature et la disposition du substrat, les propriétés écophysiologiques des espèces, etc.

Un autre moyen d’approche des problèmes typologiques des eaux courantes est d’étudier les types de substrats (choriotopes) avec leurs choriocénoses. On distingue: le phytal avec la phytorhéochoriocénose (association de macrophytes), le lithal avec la lithorhéochoriocénose (fonds rocheux, pierres, gravier), l’akal avec l’akorhéochoriocénose (gravier menu, sable grossier), le psammal avec la psammorhéochoriocénose (sable), le psammopélal avec la psammopélorhéochoriocénose (sable mélangé de limon), le pélal avec la pélorhéochoriocénose (limon), l’argillal avec l’argillorhéochoriocénose (argile); les espèces caractéristiques sont les phytorhéobiontes, lithorhéobiontes, etc. Ces habitats et associations forment des mosaïques dans le lit des cours d’eau, mosaïques dont la structure subit des variations caractéristiques dans les différentes zones. Zonation des eaux courantes et étude des substrats et de leurs mosaïques se complètent et concourent à la connaissance des biocénoses lotiques.

Depuis le début des années 1980, l’analyse des correspondances est utilisée en vue d’établir des noyaux d’affinité entre, d’une part, les stations choisies dans l’étude biocénotique le long d’un réseau lotique, et, d’autre part, des espèces récoltées. Cette méthode donne des résultats intéressants, qui sont – dans les grandes lignes tout au moins – corroborés par ceux obtenus par étude de la zonation biologique longitudinale.

4. Orientations récentes

L’attention des chercheurs s’est également portée sur d’autres sujets; nous allons simplement en énumérer quelques-uns. Des recherches ont été réalisées sur des cas extrêmes, souvent fort riches en enseignements: biologie des cours d’eau temporaires ou à régime fort variable, des cours d’eau des montagnes des contrées intertropicales, ou bien de ceux uniquement alimentés par des glaciers.

Les sous-écoulements des cours d’eau (nappes parafluviatiles), dont l’étude a été assez longtemps l’apanage des stygobiologistes à cause de leur remarquable faune stygobie, sont à présent envisagés aussi en tant que composante de l’écosystème cours d’eau; ils s’avèrent jouer un rôle important dans le cycle évolutif de nombreux insectes aquatiques, représenter un véritable réservoir biologique permettant le repeuplement des ruisseaux à faune décimée par suite d’événements catastrophiques (crues brusques, assèchement...), et former un tampon entre l’eau s’écoulant dans le radier et la nappe phréatique – tampon amortissant et retardant, par exemple, l’effet de la pollution sur cette dernière.

De considérables difficultés théoriques et techniques sont responsables du fait que l’étude de la productivité et de la production des eaux courantes en est encore à ses débuts. On mentionne toujours le travail d’Allen (1951) sur la productivité et la production (truites) de la rivière Horokiwi, en Nouvelle-Zélande, comme réalisation exemplaire dans ce domaine. Hynes et Coleman (1968) ont proposé une méthode de calcul de la production du benthal des ruisseaux, qui a suscité des critiques. La méthode ayant donné jusqu’à présent les résultats les plus dignes de foi est celle élaborée à Schlitz par J. Illies et ses collaborateurs, méthode fondée sur la récolte à l’aide de grandes cages en verre placées sur un tronçon de ruisseau à superficie connue, de l’ensemble des insectes amphibiotiques éclosant en un temps donné.

Des études de caractère plus ou moins monographique sur divers réseaux fluviatiles ont été réalisées (Tamise, Danube, Volga, Nil, Congo-Zaïre, Amazone...). Elles ont conduit à une masse considérable de documents, mais aussi au constat d’énormes lacunes. Dans toutes ces études, la question qui se pose à chaque pas – et qui revêt souvent des aspects absolument dramatiques – est celle de l’impact néfaste et parfois irréversible des activités humaines sur les écosystèmes, surtout sur le potamal. Si, par exemple, dans le cas de la Volga, les développements de ces dernières décennies peuvent être considérés comme catastrophiques, que dire du cas du Rhin moyen et inférieur, devenu presque un désert biologique?

potamologie [ pɔtamɔlɔʒi ] n. f.
• 1875; du gr. potamos « fleuve » et -logie
Didact. Science qui étudie les cours d'eau, divisée en deux branches : l'hydrologie fluviale et la dynamique fluviale ( hydraulique).

potamologie nom féminin Synonyme de hydrologie fluviale. ● potamologie (synonymes) nom féminin
Synonymes :
- hydrologie fluviale

potamologie
n. f. Didac. Branche de l'hydrologie qui étudie les cours d'eau.

potamologie [pɔtamɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1875; de potamo-, et -logie.
Didact. Hydrologie fluviale.

Encyclopédie Universelle. 2012.