RAGE
Connue depuis l’antiquité, la rage est toujours d’actualité en raison de son extension mondiale et de sa progression régulière en Europe, la France étant pour sa part contaminée depuis 1968. Elle touche tous les continents à l’exception de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et des îles du Pacifique. En Europe, les îles Britanniques, les pays scandinaves, l’Espagne et le Portugal sont libres de rage. Maladie infectieuse commune à l’homme et à toutes les espèces animales à sang chaud, principalement les mammifères, elle est due à un virus spécifique transmis généralement par la morsure d’animaux présentant ou non les symptômes de l’infection rabique et excréteurs du virus dans leur salive. La transmission par voie aérienne n’a été démontrée que dans des cavernes infestées de chauves-souris enragées. La vaccination orale de la faune sauvage pratiquée systématiquement a permis une régression spectaculaire.
Le virus rabique
Le virus rabique est un Rhabdovirus, du genre Lyssavirus où l’on classe des virus dits «apparentés à la rage» tels que les virus Lagos bat, Mokola et Duvenhage dont le rôle pathogène et l’importance épidémiologique ont été récemment mis en évidence dans plusieurs pays d’Afrique. La particule virale a la forme d’une balle de revolver, d’une longueur moyenne de 180 nm et d’un diamètre de 70 à 80 nm. (cf. photo).
Le génome viral est un acide ribonucléique (ARN) simple brin, «négatif», non segmenté, associé à 5 protéines dont essentiellement la protéine N (associée à l’ARN dans la nucléocapside) et la protéine G, glycosylée, (constitutive des spicules implantés dans la membrane). L’utilisation d’anticorps monoclonaux a permis de caractériser les déterminants antigéniques des protéines N et G et de préciser les déterminants de G qui sont responsables du pouvoir pathogène et du pouvoir immunisant.
Le virus rabique est inactivé par la chaleur (+ 60 0C), la dessiccation, les rayons ultra-violets, les solutions savonneuses, les ammoniums quaternaires, l’éther, l’alcool, l’eau de Javel, le phénol, le formol et les acides. Il résiste à tous les antibiotiques actuellement connus.
Inoculable aux animaux de laboratoire (en particulier lapins et souris) qui permettent l’isolement des souches sauvages dites «virus des rues», il acquiert après de multiples passages en série une certaine fixité de ses caractères. Les souches ainsi obtenues, appelées souches de «virus fixe», sont utilisées pour la préparation des vaccins (la principale étant la souche Louis Pasteur, isolée par ce dernier en 1882 du cerveau d’une vache morte de rage).
Chez l’animal, le virus introduit dans l’organisme par la morsure d’un animal enragé se multiplie d’abord localement puis chemine par voie nerveuse (il n’y a pas de virémie) jusqu’au système nerveux central d’où il diffuse, par voie nerveuse, vers les organes périphériques, notamment l’œil et les glandes salivaires. L’infection de ces dernières entraîne celle de la salive; l’animal devient alors un excréteur de virus et sa morsure peut être contaminante. Les mammifères terrestres, en particulier les carnivores et herbivores domestiques, n’excrètent le virus que pendant les derniers jours précédant leur mort (quelques jours avant l’apparition des signes de rage et pendant la phase clinique inéluctablement mortelle). Par contre, certains animaux sauvages, dont les chauves-souris, peuvent excréter le virus dans leur salive pendant de longues périodes avant la phase clinique terminale, ce qui en fait des agents de contamination redoutable.
Étude clinique
L’homme et tous les mammifères sont réceptifs.
La contamination est réalisée presque exclusivement par la morsure d’un animal infecté et excréteur de virus. Le virus ne traverse pas la peau intacte; en revanche le léchage et la souillure par la salive virulente, d’une simple excoriation ou des muqueuses, peuvent provoquer la contamination.
L’incubation, totalement silencieuse, dure de quelques semaines à quelques mois, et varie en fonction de la souche de virus, (espèce et origine géographique de l’animal mordeur) et surtout de la gravité (nombre, profondeur) et de la localisation des morsures: les morsures à la tête donnent les incubations les plus courtes.
La rage déclarée chez l’homme débute par des douleurs et du prurit au niveau de la cicatrice de la morsure. Bientôt le malade présente des modifications du caractère et de l’affectivité. Brutalement éclatent des crises d’agitation avec contractures et spasmes provoqués par les plus légères excitations sensorielles. Ces spasmes bloquent notamment l’oropharynx, d’où l’impossibilité de déglutir, en particulier les liquides. Inquiet, redoutant la répétition de ces crises, le malade refuse de boire (hydrophobie). Plus rares sont les formes démentielles. De diagnostic particulièrement difficile sont les formes paralytiques (paralysie ascendante, myélite, encéphalite). Dans tous les cas, la rage déclarée chez l’homme est toujours mortelle en dépit de toutes les tentatives de traitement.
La rage chez les animaux
Chez le chien, la maladie débute par un changement de comportement ou par une fugue. Puis rapidement éclatent des crises furieuses au cours desquelles l’animal mord tout ce qui passe à sa portée. Des paralysies apparaissent de la mâchoire, de la langue, de l’oropharynx (mais il n’y a jamais d’hydrophobie). L’affection peut revêtir d’emblée une forme purement paralytique. Dans tous les cas la mort survient en quelques jours.
Chez le chat, les manifestations furieuses sont impressionnantes et les morsures toujours graves.
Les herbivores domestiques, en particulier les bovins, font une rage paralytique.
Le renard, vecteur sauvage principal de la maladie en Europe et en France, perd sa réserve habituelle: il s’introduit sans crainte dans les fermes et les villages et attaque les animaux domestiques et l’homme.
Diagnostic au laboratoire
Tout cas suspect de rage (surtout s’il y a risque de contamination humaine) doit être confirmé par l’examen du cerveau de l’animal en cause.
L’autopsie et le prélèvement, dangereux, ne doivent être pratiqués que par un personnel entraîné et vacciné. L’expédition au laboratoire spécialisé doit être faite en respectant des règles précises d’emballage évitant tout risque de contamination en cours de transport.
La détection de l’antigène dans le cerveau par immunofluorescence directe permet un diagnostic rapide (en quelques heures) ce qui est d’un intérêt capital pour la décision à prendre vis-à-vis des sujets mordus. Elle peut être complétée par l’isolement des virus par inoculation d’animaux de laboratoire (souriceaux nouveau-nés) ou de cultures cellulaires (cellules de neuroblastome de souris).
L’histopathologie ne donne de réponse qu’après quelques jours, par mise en évidence dans les cellules nerveuses des inclusions intracytoplasmiques spécifiques, ou corps de Negri, mais elle est la seule applicable aux prélèvements qui ont été fixés en formol. Elle peut être complétée dans certains cas particuliers, par la microscopie électronique.
Épidémiologie
Historiquement, la rage fut d’abord une maladie des animaux sauvages, surtout du loup et des carnassiers voisins. Dès que les hommes se groupèrent en collectivités urbaines entraînant avec eux leurs animaux commensaux, elle devint aussi citadine, et ceci dès la plus haute Antiquité. Ces deux types épidémiologiques de rage existent encore actuellement.
La rage citadine dite rage des rues est transmise à l’homme essentiellement par les chiens et les chats, dont la densité de population règle l’importance et l’évolution de l’enzootie et l’apparition éventuelle de poussées épizootiques.
Les conditions sociales et économiques, les mœurs et les coutumes, les religions propres à chaque pays influent sur le comportement des populations humaines vis-à-vis de ces animaux commensaux et par conséquent sur le développement, le maintien ou le déclin de l’enzootie canine, où la biologie du vecteur canin intervient aussi (on constate une recrudescence passagère après la période du rut).
L’application stricte et suivie des mesures de police sanitaire vétérinaire peut aboutir au contrôle voire à l’éradicaton de cette rage des rues.
Les herbivores domestiques, qu’ils soient contaminés par un chien enragé ou par un animal sauvage (cf. infra ), ne sont pas à l’origine de la transmission à d’autres animaux et ne contaminent que rarement l’homme.
La rage sauvage se présente sous des aspects très différents. Chaque région géographique a son vecteur préférentiel: loup au Moyen-Orient, chacal en Afrique, mangouste en Afrique du Sud, renard, mouffette et raton laveur en Amérique du Nord. En Europe, la rage sauvage est transmise essentiellement par le renard. Partie des frontières de l’Europe de l’Est en 1939-1940, elle a atteint de proche en proche tous les pays européens, (dont la France en 1968) à l’exception actuellement des pays scandinaves, des îles Britanniques et de la péninsule Ibérique.
Cette rage du renard présente deux poussées annuelles: au printemps, après la période du rut et à l’automne, après le départ des renardeaux des terriers. Le renard enragé contamine (outre ses congénères) les bovins et autres herbivores domestiques ou sauvages (chevreuils), les chats et les chiens mais aussi d’autres carnivores sauvages (blaireaux, fouines, etc.).
La rage des chauves-souris sévit essentiellement sur le continent américain. Les chauves-souris insectivores ou frugivores, infectées de rage, peuvent attaquer l’homme et le contaminer. Les chauves-souris hématophages ou vampires, qui n’existent que dans la zone intertropicale (du nord du Mexique au nord de l’Argentine), sont responsables de la transmission de la rage aux bovins sur lesquels ils prélèvent le sang qui leur est indispensable pour leur alimentation. Les pertes économiques qu’entraîne cette rage paralytique bovine sont considérables.
Prophylaxie et prévention
La prophylaxie est fondée sur trois facteurs qui seront adaptés à chaque région:
– Le contrôle des espèces sauvages réservoirs et vectrices de la rage est assuré par la destruction d’un nombre d’individus suffisant pour ramener la densité de leur population au seuil ne permettant plus la transmission. Dans certains pays, on a expérimenté avec succès la vaccination des renards au moyen d’appâts contenant un vaccin vivant atténué.
– La lutte contre les vecteurs que sont les animaux domestiques, chiens et chats notamment, réside dans l’application des mesures des polices sanitaires: obligation de la tenue en laisse, du port de la muselière, capture des chiens errants, abattage des chiens ayant été contaminés par un chien enragé.
– La prophylaxie médicale est réalisée chez les espèces domestiques par la vaccination: pour les chiens et les chats, deux injections de vaccin à trois semaines d’intervalle lors de la primo-vaccination suivie de rappels annuels; ce vaccin peut être associé à d’autres vaccins canins (maladie de Carré, hépatite, leptospirose); pour les bovins, une seule injection annuelle d’un vaccin avec adjuvant ou associé au vaccin contre la fièvre aphteuse notamment.
L’information du public doit recommander:
– d’éviter dans les zones infectées tout contact avec des animaux domestiques de comportement suspect ou avec tout animal sauvage;
– de ne pas importer dans une zone indemne un animal en provenance d’une zone ou d’un pays infectés;
– de ne pas emmener dans une zone ou un pays infectés un animal familier (chien ou chat) sans l’avoir préalablement vacciné;
– de signaler immédiatement toute morsure, griffure ou léchage;
– de prendre à cette occasion toutes les mesures nécessaires:
1. L’animal suspect d’avoir provoqué une contamination humaine devra dans toute la mesure du possible être retrouvé. S’il est vivant, il sera soumis à une surveillance vétérinaire avec un premier examen dès que possible, un second sept jours après la morsure et un troisième au quinzième jour. Si l’animal reste vivant et bien portant au cours de cette période, le risque de contamination est écarté. Si l’animal meurt ou s’il est abattu au cours de cette période de 15 jours, sa tête ou son cadavre entier doivent être adressés d’urgence au laboratoire spécialisé.
2. Les blessures (morsures, griffures) seront le plus rapidement possible nettoyées à l’eau savonneuse et désinfectées avec un produit doué d’action rabicide (ammoniums quaternaires en particulier). Les sutures, si elles sont nécessaires, seront différées de quarante-huit heures. La prophylaxie antitétanique sera appliquée.
3. Le «traitement antirabique spécifique», avec un vaccin préparé sur cultures cellulaires, sera commencé sans délai et comportera 6 injections pratiquées aux jours 0, 3, 7, 14, et 90. Ces nouveaux vaccins ne donnent pratiquement aucune réaction ni locale ni générale. En cas de morsure grave, on administre, en même temps que la première injection de vaccin, et en une seule fois, des immunoglobulines antirabiques d’origine humaine à la dose de 20 unités internationales par kg de poids corporel.
4. Les personnes exerçant, dans les zones infectées, une profession les exposant à des risques permanents ou répétés de contamination doivent recevoir une vaccination préventive qui comportera deux ou trois injections de vaccin espacées sur quatre semaines, suivies d’un premier rappel après un an, puis des rappels ultérieurs tous les trois ans.
rage [ raʒ ] n. f.
• 1080; lat. pop. °rabia, class. rabies
I ♦
1 ♦ État, mouvement de colère, de dépit extrêmement violent, qui rend agressif. ⇒ fureur. Il était ivre, fou de rage. Cela me met en rage. Entrer dans une rage folle. « les poings fermés, les dents serrées de rage » (Loti). Être en rage contre qqn, qqch. La rage au ventre.
2 ♦ (XIIIe) Envie violente, besoin passionné. ⇒ fureur, manie . « Avec cette rage d'aventures, cette folie de voyages » (A. Daudet). La rage de vivre. Loc. Ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage : c'est une passion furieuse.
3 ♦ (XIIIe « vive douleur ») Rage de dents : mal de dents extrêmement douloureux.
4 ♦ (XVe sujet personne) FAIRE RAGE : se déchaîner, atteindre la plus grande violence. Tempête, incendie qui fait rage. « Le tir faisait rage, les lignes de défense crachaient sans arrêt leur mitraille » (Martin du Gard).
II ♦ (v. 1160) Maladie infectieuse et contagieuse mortelle due à un virus inoculé par la morsure d'animaux atteints, qui provoque un violent état d'agitation ou des paralysies. Renard qui a la rage. ⇒ enragé. Vaccin contre la rage. ⇒ antirabique. — PROV. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage.
● rage nom féminin (latin populaire rabia, du latin classique rabies) Ensemble des manifestations pathologiques apparaissant chez l'homme et l'animal après contamination par le virus rabique, du groupe des rhabdovirus. État d'irritation, de colère, de fureur qui peut porter à des actes excessifs : Être fou de rage. Besoin ou désir irrépressible de quelque chose : La rage de vivre. ● rage (citations) nom féminin (latin populaire rabia, du latin classique rabies) Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! Le Cid, I, 4, Don Diègue ● rage (expressions) nom féminin (latin populaire rabia, du latin classique rabies) Être en rage contre, être en colère contre quelque chose, pester contre quelqu'un. Faire rage, se manifester avec une violence extrême : Épidémie qui fait rage. Rage de dents, mal de dents qui cause de très vives douleurs. ● rage (synonymes) nom féminin (latin populaire rabia, du latin classique rabies) État d'irritation, de colère, de fureur qui peut porter à...
Synonymes :
- fureur
Besoin ou désir irrépressible de quelque chose
Synonymes :
- fièvre
rage
n. f.
rI./r Maladie virale épidémique qui affecte certains mammifères (chien, chat, renard, etc.), lesquels la transmettent à l'homme (par morsure, en général).
rII./r
d1./d Colère, dépit portés au plus haut degré. être en rage contre qqn. Syn. fureur.
d2./d Passion portée à l'excès. La rage d'écrire. Syn. fureur, manie.
|| Volonté farouche et passionnée. La rage de vaincre, de survivre.
d3./d Loc. Faire rage: se manifester avec une grande intensité; être à son paroxysme. L'incendie faisait rage.
d4./d Rage de dents: très violent mal de dents.
⇒RAGE, subst. fém.
I. A. — Maladie infectieuse mortelle, causée par un virus neurotrope qui peut être inoculé à l'homme par la morsure de certains animaux infestés (notamment le chien et le renard), caractérisée par une méningo-encéphalite diffuse et se manifestant par un état d'agitation et d'angoisse allant jusqu'au délire furieux et à la paralysie. Synon. vx hydrophobie. Prendre la rage; vaccin contre la rage. Aussi longtemps que la rage a été jugée incurable, on cherchait à éloigner de l'esprit des malades le nom même de cette maladie (PASTEUR ds Travaux, 1886, p. 404). La rage existe chez certains animaux: chien, loup, chat, etc. que ceux-ci, malades, viennent à mordre l'homme, et celui-ci à son tour est atteint (QUILLET Méd. 1965, p. 187):
• 1. ... tout à coup une crise subite, extraordinaire, foudroyante, me saisit. Je poussai un cri effroyable (...). C'était la rage, l'horrible rage. J'étais perdue! Henry me releva, effaré, voulut savoir. Mais je me tus. J'étais résignée maintenant. J'attendais la mort. Je savais qu'après quelques heures de répit, une autre crise me saisirait, puis une autre, puis une autre, jusqu'à la dernière qui serait mortelle.
MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Enragée? 1883, p. 886.
♦ MÉD., MÉD. VÉTÉR. Rage furieuse; rage mue, muette; rage paralytique. C'est à l'obligeance de M. Bourrel, vétérinaire à Paris (...) que nous avons dû les deux premiers chiens à rage furieuse et à rage mue employés au début de nos expériences (décembre 1880) (PASTEUR, ds Travaux, 1882, p. 381).
— Proverbe. Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. V. chien1 II B 4 b. [Var.] Le maître trouve la rage à son chien quand il veut le tuer (BALZAC, Annette, t. 1, 1824, p. 183).
♦ [P. allus. à la loc. fam. vieillie dire rage, la rage, des rages de qqn] Dire tout le mal imaginable de quelqu'un. (Ds Ac., LITTRÉ). Suivaient sur Valentin des horreurs et des rages que Mariette écoutait avec une grande mine apitoyée (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 132).
— Au fig. (infra II C 2 b).
B. — Rage de dents. Mal de dents provoquant de vives douleurs. Vers le soir Marc pique une rage de dents. Le voici couvert de sueur et se tordant de douleur (GIDE, Retour Tchad, 1928, p. 995). Sa tête défigurée par l'enflure lorsqu'il souffre de ses terribles rages de dents (BERNANOS, Mouchette, 1937, p. 1270).
♦ Arg., vx. ,,Grande faim`` (DELVAU 1883, FRANCE 1907).
II. A. — 1. État affectif pouvant se manifester par une grande violence verbale ou physique, ou par un silence hargneux fait de colère, de ressentiment ou de haine, qui est généralement causé par un sentiment d'impuissance devant une situation frustrante. Synon. partiel colère, fureur, furie. Accès, crise, moment de rage; mouvement, transport de rage. La rage s'empare de tous les cœurs, les yeux roulent du sang, la main frémit sur l'épée (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 287). Sa rage redoubla. — Oh! Je me vengerai, s'écria-t-il en frappant la table du poing, je me vengerai! (THEURIET, Mariage Gérard, 1875, p. 107). V. houle D 1 ex. de Roy:
• 2. Ma fureur s'exaspérait encore à me dire que cet amour, né de la veille, m'avait été arraché juste au moment où j'allais pouvoir le développer dans sa plénitude, à l'heure précise de l'action décisive. Il doit y avoir de cette rage-là chez le joueur qui, forcé de quitter la table, apprend la sortie du numéro sur lequel il voulait ponter et qui lui aurait ramené trente-six fois sa mise.
BOURGET, Disciple, 1889, p. 179.
♦ [Constr. avec un compl. introd. par contre désignant l'objet et/ou la cause de ce sentiment] Je crains que la rage des Français contre l'Angleterre ne leur donne l'idée de saisir les paquebots qui vont de Douvres à Ostende (STAËL, Lettres L. de Narbonne, 1793, p. 152). En même temps une colère le prenait, une rage contre leur impuissance (GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 60).
♦ [Constr. avec un compl. introd. par de désignant la cause de ce sentiment] Si Versailles ne se dépêche pas, nous verrons la rage de la défaite se tourner en massacres, fusillades et autres gentillesses de ces doux amis de l'humanité (GONCOURT, Journal, 1871, p. 758). Une seconde fureur, plus violente que la première, m'emporte soudain: c'est la rage d'avoir été agi (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 115).
♦ [Constr. avec une complét.] Rare. Une sourde rage qu'elle pût être gagnée si facilement étouffait en lui la compassion. « Peut-être ne s'arrêtera-t-elle pas... » se dit-il (ROY, Bonheur occas., 1945, p. 46).
— P. anal. [Chez l'animal] La rage du tigre, que rien ne fléchit, ni les bons ni les mauvais traitemens, et qui, gorgé de sang et de chairs, n'en est que plus ardent à déchirer tout ce qui lui présente l'image de la vie (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 321). Le loup se débattait avec des élancements de rage et de douleur (HUGO, Han d'Isl., 1823, p. 294).
— Au plur.
♦ [Plur. d'amplification] Rare. Je me sentais des rages à me jeter par la fenêtre (MAUPASS., Une Vie, 1883, p. 171).
♦ Moments, causes de rage. Il réfléchit qu'on se moquerait de lui s'il mettait à nu ses rages et ses blessures (CHAMPFL., Avent. Mlle Mariette, 1853, p. 238). Toutes sortes de pensées, de souvenirs, de projets, d'amours secrètes, et de rages étouffées, qu'on remâche sempiternellement (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 40).
— Locutions
a) [Combiné avec une prép.]
♦ Vieilli. À la rage. Synon. à la folie. C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas. Mais je l'aime à la rage (MUSSET, Namouna, 1832, p. 418). Cette passion éclatait avec une violence aveugle; il aimait à la rage (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p. 50).
♦ [Combiné avec avec] Œdipe, les bras au corps, comme paralysé, tente avec rage de se rendre libre (COCTEAU, Machine infern., 1934, II, p. 81). C'est pourquoi il la frappait avec tant de rage: il avait honte d'elle, et peur d'elle (MONTHERL., Demain, 1949, II, 1, p. 720). V. adonner (s') ex. 8.
♦ [Combiné avec dans] Je les traitai toutes les deux sans ménagements, et dans ma rage, j'allai jusqu'à menacer mon rival (RESTIF DE LA BRET., M. Nicolas, 1796, p. 184). Ce pathétique réveillait en sursaut, dans l'épouvante ou dans la rage, quelques-uns de mes meilleurs amis (SARTRE, Mots, 1964, p. 162).
♦ De rage. [Combiné avec un verbe ou un adj. décrivant un état ou un comportement] De rage, il quitte le parti, et se fait libéral (COURIER, Pamphlets pol., Livret de Paul-Louis, Vigneron, 1823, p. 169). Ceux-là mêmes qu'elle avait, les yeux étincelants de rage, souhaité déshonorer, tuer, faire condamner (...) elle ne leur voulait plus aucun mal (PROUST, Fugit., 1922, p. 604). V. hurler I B 1 ex. de Huysmans.
De rage de + inf. J'ai failli tuer trois facteurs, de rage de n'avoir rien de toi. J'attends, chaque matin (MALLARMÉ, Corresp., 1862, p. 43).
♦ En rage. J'ai les nerfs agacés comme des fils de laiton. Je suis en rage sans savoir de quoi (FLAUB., Corresp., 1852, p. 383). Il bégaye si fort en rage qu'il explose de postillons (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 386).
b) [Combiné avec un verbe]
♦ [Avec avoir] Avoir une rage (+ adj.), (expr. quantifiante) + rage. Gérard eut une rage sourde, et se dit que, si sa maîtresse faisait un pas de plus vers la voiture, il se jetterait par la croisée avec l'espoir de se tuer et d'écraser en même temps son rival et Mariette (CHAMPFL., Avent. Mlle Mariette, 1853, p. 47).
Avoir la rage au cœur, dans le cœur, dans l'âme, aux dents. Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au cœur Et sur un col flexible une tête indomptée; C'est que je suis issu de la race d'Antée (NERVAL, Chimères, 1854, p. 699).
♦ [Avec donner] Donner la rage. Tourbillon des pensées sans issue et sans terme, à donner la rage ou à rendre idiot (AMIEL, Journal, 1866, p. 296). L'immense bêtise moderne me donne la rage (FLAUB., Corresp., 1872, p. 36).
♦ Faire rage
Vx. Accomplir des méfaits ou des exploits. Il se promettait de faire rage contre les marauds qui attaqueraient Sigognac, cela n'étant pas dans son caractère de laisser ses amis en péril (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 214). Tu l'opprimes [le genre humain], César; Saint-Père, tu le pilles. Vos lansquenets font rage, et violent les filles (HUGO, Légende, t. 3, 1877, p. 401).
Vieilli. Faire de violents efforts, beaucoup de désordre et de bruit. Cette cuisine effrayante, est jour et nuit pleine de vacarme (...). On a beau faire rage autour de lui, les hommes jurent, les femmes querellent, les enfants crient (HUGO, Rhin, 1842, p. 30). Il courut à pied jusque chez son pensionnaire (...) frappa sans l'éveiller, fit rage, et, en désespoir de cause, jeta la porte en dedans (ABOUT, Nez notaire, 1862, p. 195).
♦ (Se) mettre en rage. Il se mit en rage contre la sottise de la domestique, qui était sortie en son absence et qui n'avait même pas été capable de donner des instructions pour qu'on fît attendre Christophe (ROLLAND, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 565). Remettant ma copie in-extenso à Guillaume Apollinaire qui se bornait à y pratiquer des coupes sombres (ce qui avait le don de me mettre en rage!) (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 381).
♦ [Avec prendre] Prendre de la rage, une rage (+ adj.). Il surveilla Maria, elle s'en aperçut et en prit de la rage. Ils en vinrent aux coups (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 20).
(Être) pris de rage. Je me trouvai dans un état comparable à celui d'un homme pris de rage contre une femme aimée de lui et qui, soudain, voit un hasard le priver de toute issue: mettons l'arrivée d'un visiteur (G. BATAILLE, Exp. int., 1943, p. 194).
Se prendre de rage. Quand il pensait (...) que tout était fini, qu'on l'emportait dans la terre, il se prenait d'une rage farouche, noire, désespérée (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 194). Il se prit de rage lui aussi contre tant de malencontre. Il se retourna tout d'une pièce pour que sa mère ne vît pas ses premières larmes et il se jeta dans la porte ouverte (DRIEU LA ROCH., Rêv. bourg., 1937, p. 109).
SYNT. Éprouver de la rage, une rage (+ syntagme déterm.); sentir de la rage; la rage dévore, étouffe, emporte, saisit qqn; la rage s'empare de qqn, monte en qqn (au cœur, à la gorge de qqn); qqn assouvit, passe sa rage sur qqc., s'emporte, s'exalte jusqu'à la rage; rage aveugle, blanche, contenue, folle, froide, furieuse, impuissante, intérieure, muette, rentrée, sombre, sourde; male rage; rage homicide, meurtrière; crever, crier, écumer, étouffer, frémir, grincer des dents, hurler, pleurer, serrer les poings, suffoquer, trépigner de rage; être blanc, blême, écarlate, fou, ivre, pâle, plein, vert de rage; cri, hurlement, larme de rage; colère, délire, désespoir, douleur, fiel, fureur, haine, jalousie, rancune, violence et rage.
2. P. méton. Accès de rage. Les rages d'un enfant. Soudain une rage me prenait, et m'emparant des pincettes, je fondais sur le monstre, le lardant de coups au flanc et au ventre (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p. 116). Une rage terrible le secoua: il tremblait (GREEN, Moïra, 1950, p. 32):
• 3. Et, tout d'un coup, comme ils passaient près d'un talus gazonné, dans un chemin désert, et qu'elle l'y entraînait, s'allongeant, le besoin monstrueux le reprit, il fut emporté par une rage, il chercha parmi l'herbe une arme, une pierre, pour lui en écraser la tête. D'une secousse, il s'était relevé, et il fuyait déjà, éperdu...
ZOLA, Bête hum., 1890, p. 281.
♦ [Combiné avec différents verbes] Avoir, prendre une rage, des rages; piquer une rage; jeter qqn dans les rages (+ adj.). Le mutisme obstiné de Désirée (...) son indifférence toujours croissante à soigner les plats, jetèrent Vatard dans des rages sourdes qui compromirent ses digestions (HUYSMANS, Sœurs Vatard, 1879, p. 198). Le peintre prit une rage. — Je ne sais pas, criait-il, ce que vous appelez l'intelligence (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 221).
B. — 1. [Constr. avec un compl. désignant un sentiment ou une expression] Caractère très violent, très intense de quelque chose. De par la rage de sa passion partout (FAURE, Hist. art, 1921, p. 135). De par la rage de sa passion Jacques eût eu acquis des boutons sur la face s'il n'eût eu Martine pour s'exercer tout en pensant à Dominique (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 172).
2. [Constr. avec un compl. ou un adj. désignant un sentiment ou une sensation] Accès, bouffée très violent(e), très intense de quelque chose.
♦ [Constr. avec un compl. prép.] Rage d'ambition, de dégoût, de désespoir, d'ennui, de fureur, de jalousie. L'envie de tuer me court dans les moelles. Cela est comparable aux rages d'amour qui vous torturent à vingt ans (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Fou, 1885, p. 1016). Une rage de faim les soulevait, comme si, brusquement, ils ne pouvaient attendre davantage, sans expirer sur cette route (ZOLA, Germinal, 1885, p. 1450).
♦ [Constr. avec un adj.] Rage amoureuse, rancunière, vengeresse. Ils vécurent (...) dévorés de soucis, de rage ambitieuse, ou se coupèrent le cou, las de mentir, de tromper (COURIER, Pamphlets pol., Réponses aux anon., 1, 1822, p. 149):
• 4. Il l'aimait plus ardemment que jamais. Dans sa jalouse rage, la soupçonnant, non sans vraisemblance, d'envoyer et de recevoir des lettres, il jura de les intercepter, rétablit le cabinet noir, jeta le trouble dans les correspondances privées...
A. FRANCE, Île ping., 1908, p. 380.
C. — 1. a) Ardeur forcenée à faire quelque chose. Mettre de la rage à faire quelque chose. Elle était retombée dans son mutisme, sa froide indifférence et sa rage au travail (...) où elle endormait les pensées obscures de sa trouble nature (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1358). La sottise des subordonnés fit le reste, et leur rage à montrer du zèle (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 186).
♦ [Combiné avec avec] Rare. L'adroite Morisque et quatre ouvrières, levées avant le jour avaient cousu avec rage (SAND, Beaux MM. Bois-Doré, t. 1, 1857, p. 286).
♦ [Constr. avec un compl. à l'inf. introd. par de] Rage d'aimer, d'écrire, de vivre.
b) [Avec une valeur dépréc.] Passion (individuelle ou collective) immodérée pour quelque chose, manie (individuelle ou collective) de faire quelque chose. Synon. folie, fureur, manie. J'ai voulu, oui, voulu absolument tenter de renverser cette marche uniforme; la nouveauté est ma rage (MUSSET, Nuit vénit., 1834, 2, p. 36). Bonjour, ma chère Madame Vigneron, allons, embrassez-moi. C'est plus qu'une mode ici, c'est une rage, on s'embrasse toutes les cinq minutes (BECQUE, Corbeaux, 1882, I, 4, p. 71). V. érotomanie ex. de Courier.
♦ [Constr. avec un compl. nom. introd. par de; plus rarement pour] J'avais heureusement alors la rage du grec; je traduisais L'Odyssée et la Cyropédie jusqu'à deux heures (CHATEAUBR., Mém., t. 1, 1848, p. 162). Mon frère est pris d'une rage pour la chasse et je reste, comme Job sur son fumier, à gratter ma vermine (FLAUB., Corresp., 1860, p. 405).
♦ [Constr. avec un compl. à l'inf. introd. par de] Quand un jeune homme est amoureux (...) il devient indécent (...) et a la rage de se promener tout nu (BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 208). Ce sont des excentriques. Ils ont la rage de se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas (BARRÈS, Cahiers, t. 13, 1921, p. 106). V. corporiser ex. de Barbey d'Aurevilly.
♦ [Constr. avec un adj.] Maxime va recommencer ses rages photographiques (FLAUB., Corresp., 1850, p. 167).
— Faire rage. Être l'objet d'un engouement collectif. Synon. faire fureur. Mes portraits faisaient rage: ne voilà-t-il pas le commandant qui a envie d'avoir le sien! Je fais son portrait, je fais le portrait de sa femme, d'après un daguerréotype (GONCOURT, Journal, 1872, p. 868). « L'antique » faisait rage dans les arts et donc dans la mode (BRILLANT, Probl. danse, 1953, p. 184). V. fureur B 3 b ex. de Maurras.
— C'est plus de l'amour, c'est de la rage (expr. fam.). Voir GIONO, Baumugnes, 1929, p. 194.
2. P. méton.
a) Moment où l'on s'adonne avec passion à quelque chose. Ragu, qui s'était attardé dans une rage de travail, demeurait seul (ZOLA, Travail, t. 2, 1901, p. 31). Migraines, rages de travail, paresses, goût de vivre, et Marinette est toujours au centre (RENARD, Journal, 1906, p. 1063).
b) Synon. de épidémie (v. ce mot B). Cette rage de mouchardise fit d'incroyables progrès (VIDOCQ, Mém., t. 3, 1828-29, p. 227). Je vous annonce une rage de suicides contre laquelle vous ne pourrez rien (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1525).
D. — P. anal., littér.
1. Déchaînement brutal et violence soutenue (d'un phénomène physique, d'un fléau). Redoubler de rage. Je (...) m'en irai droit à Paris si je ne m'arrête en Suisse, comme je fis l'an passé pour fuir la rage de la canicule (COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1810, p. 823). Il s'y mêle [au bruit des camions] le tambourinement de la pluie fouettante et la rage du vent contre les pauvres arbres de la route (LOTI, Vertige mond., 1917, p. 215):
• 5. Que toutes les rages de la tempête
Se déchaînent sans vous vaincre la tête;
Et que la vie, avec ses ouragans déments,
Vous reste chère, immensément,
Ainsi qu'une admirable et tragique conquête.
VERHAEREN, Mult. splendeur, 1906, p. 143.
♦ [Combiné avec avec, sans] La foudre éclate avec moins de rage sur les sommets de l'Apennin (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 289). La pluie s'écroula en blocs de plus en plus pesants pendant une quarantaine d'heures; sans rage; avec une sorte de paix tranquille (GIONO, Hussard, 1951, p. 220).
— Faire rage. Se déchaîner brutalement et avec une violence soutenue. La fusillade, l'incendie, la mer, le soleil, la tempête, le vent fait rage. L'ouragan fit rage, ils furent battus par un effroyable déluge (ZOLA, Débâcle, 1892, p. 122). La bataille (...) faisait rage en Tunisie (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 93).
♦ [Le suj. désigne la source d'un bruit] Nous étions attablés au Dupont-Latin, sur le Boul'Mich', au milieu d'une foule d'étudiants criards (...). Le pick-up faisait rage (ABELLIO, Pacifiques, 1946, p. 383).
2. Une rage de (suivi d'un subst. au plur.). Synon. déchaînement. En ce moment la bastonnade, multipliée par cent mains, fit du zèle, les coups de plat de sabre s'en mêlèrent, ce fut comme une rage de fouets et de bâtons; les galériens se courbèrent (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 109). Le village, les bêtes, toute cette marée de vie qui débordait, engloutit un instant l'église sous une rage de corps faisant ployer les poutres (ZOLA, Faute Abbé Mouret, 1875, p. 1488).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. a) 1100 « violent transport de colère » (Roland, éd. J. Bédier, 747); 1130-40 plains de rage (WACE, Vie de Sainte Marguerite, 235 ds T.-L.); b) 1er quart XIIIe s. p. métaph. en parlant du vent (RECLUS DE MOLLIENS, Charité, 59, 9, ibid.); 1671 faire rage id. (LA FONTAINE, Imitation d'Anacréon ds LITTRÉ); 2. ca 1160 « passion violente pour quelque chose » (Enéas, 813 ds T.-L.); 3. 1er quart XIIIe s. « douleur violente » (RECLUS DE MOLLIENS, Miserere, 61, 12, ibid.: De si grant famine le rage); fin XIVe s. en parlant d'un mal de dents (JEHAN FROISSART, Chroniques, éd. G. Raynaud, t. 9, p. 281); 1549 rage de dens (EST.). II. 1288 avoir rabe « être enragé » (JACQUEMART GIELEE, Renart le Nouvel, éd. H. Roussel, 3289); 1360-70 rage (Baudouin de Sebourc, XI, 746, éd. Brocca). Du lat. pop. rabia, altér. du lat. class. rabies « rage (maladie) »; fig. « transport furieux, fureur ». Fréq. abs. littér.:2 863. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 3 308, b) 5 191; XXe s.: a) 5 251, b) 3 411.
1. rage [ʀaʒ] n. f.
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland; du lat. pop. rabia, lat. class. rabies.
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1 Mouvement ou sentiment de mauvaise humeur, de colère, de dépit, de haine, etc., très violent et qui peut même aller jusqu'à la fureur (⇒ Colère, furie, passion). || Rage folle (→ Impie, cit. 6), impuissante (cit. 18), aveugle (→ Pour, cit. 1). || Un ton, un regard plein de rage. ⇒ Rageur. || Hurlement, cri de rage (→ Malédiction, cit. 9). || Bouillonnements, excès de fureur et de rage. ⇒ Transport (→ Note, cit. 23; perdre, cit. 64). || Déchaîner, provoquer la rage de qqn (→ Braver, cit. 10). || Il a la rage au cœur, dans le cœur. ⇒ Enragé, exaspéré. || Assouvir (cit. 3), satisfaire sa rage. || Sa rage s'est apaisée. — Avec rage. ⇒ aussi Rageusement (→ Abattre, cit. 5 et 6; intempestif, cit. 2). — Dans sa rage (→ Fournir, cit. 11). || Dans sa rage de…, suivi d'un infinitif (→ Furieux, cit. 2). — Allus. littér. || « Ô rage, ô désespoir (cit. 11), ô vieillesse ennemie ! » (Corneille). || « Patience et longueur de temps / Font plus que force (cit. 1) ni que rage » (La Fontaine).
1 Ceux qui n'ont pas été tués peuvent donc enfin sortir. Mais la rage n'est pas épuisée. On leur arrache leurs habits, l'uniforme national, on leur arrache la cocarde, on la foule aux pieds.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., III, VIII.
♦ Poét. et vx (langue class.). || « Déployez toutes vos rages, Princes, vents, peuples, frimas » (Boileau, Odes, I). || « Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages » (Corneille, Polyeucte, I, 3).
♦ Par métaphore. (En parlant d'une chose, des éléments déchaînés, etc.). || La rage du vent, de l'océan, des flots. → ci-dessous : faire rage.
2 (…) dans la furibonderie de la musique, dans la rage du finale, dans le mugissement du porte-voix (…)
Ed. de Goncourt, les Frères Zemganno, VI.
♦ ☑ De rage : sous l'effet de la rage, de la fureur. || Écumer (cit. 6), étouffer, frémir, crier (→ Entasser, cit. 6), pleurer de rage (→ Galopin, cit. 2). || Écumant, pâle (cit. 6), ivre de rage (→ Panique, cit. 1). || Être fou de rage.
3 (…) je le trouvai assis sur mon lit, les poings fermés, les dents serrées de rage.
Loti, Mon frère Yves, XXXII.
♦ ☑ Vieilli. À la rage : avec excès, à la folie. || Aimer quelqu'un, quelque chose à la rage (→ 1. Parler, cit. 81). — Jusqu'à la rage (→ Irriter cit. 8; jalousie, cit. 23). — Cf. aussi le sens 3 ci-dessous.
♦ ☑ En rage. || Être en rage : rager. || Mettre qqn en rage. ⇒ Enrager. || Son indolence me met en rage. ⇒ Colère (en).
2 ☑ Faire rage a Vx. (Personnes). Agir avec énergie, se démener; faire des prouesses, en bien ou en mal (→ Ferrailler, cit. 1, et cf. La Fontaine, Fables, IX, 19). || Les assiégeants faisaient rage (→ Décharger, cit. 4). || Faire rage pour (contre) quelqu'un (Cf. Molière, l'Avare, II, 1). — ☑ Vx. Faire des rages, des prouesses (Cf. Molière, Amphitryon, II, 1).
b Mod. (Le sujet désignant un phénomène naturel violent, un agent de destruction, des actes hostiles, etc.). Se déchaîner, atteindre un très haut degré de violence. || La tempête continuait à faire rage sans accalmie (→ Mouton, cit. 20). || Incendie qui fait rage (→ aussi Éteindre, cit. 1). || À l'est, au nord, le tir faisait rage (→ Mitraille, cit. 2).
4 Puis tout se tut. Le vent faisait rage au dehors;
Et la mer, soulevant ses lames furibondes,
Ébranlait l'escalier crevassé de ses bords.
Leconte de Lisle, Poèmes barbares, « Jugement de Komor ».
5 Au loin, dans le détroit, la tempête faisait rage; la flamme du bivac se courbait sous la rafale (…)
Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, « Agonie de la Sémillante ».
3 (XIIIe). || Rage de… : passion violente, goût excessif pour. ⇒ Fièvre (supra cit. 10), fureur (supra cit. 11), manie (2.). || Cette rage d'aventures, ce besoin d'émotions fortes, cette folie de voyages (→ Diantre, cit. 2). || La rage de…, suivi d'un infinitif (→ Conclure, cit. 13; personnage, cit. 1). || La rage de vivre, d'aimer.
6 Je ne suis en peine que de savoir comment la rage d'écrire a pu te prendre; cela me paraît digne de ma curiosité.
A. R. Lesage, Gil Blas, VII, XIII.
♦ (Sans compl. en de). ☑ Loc. cour. Ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage : c'est une véritable passion, violente, dévastratrice (souvent employé ironiquement). — Par une paraphrase plaisante de cette loc. :
6.1 C'est plus de la connerie; c'est de la rage.
R. Queneau, le Dimanche de la vie, p. 253.
4 Vx. Douleur violente, extrêmement vive. — Rage de dents : mal de dents qui provoque de très vives douleurs (se dit spécialt de la pulpite aiguë). → Piquer, cit. 23.
7 Il se rappela tout à coup que, huit jours plus tôt, il avait prêté à son frère une fiole de laudanum pour calmer une rage de dents.
Maupassant, Pierre et Jean, V.
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DÉR. Rager.
COMP. Dérager, enrager.
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2. rage [ʀaʒ] n. f.
ÉTYM. Déb. XIVe; rabe, 1288; emploi spécialisé de 1. rage.
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♦ Maladie infectieuse (méningo-encéphalite diffuse) due à un virus filtrant neurotrope (virus rabique), qui peut présenter différentes formes cliniques : forme agitée ou furieuse (anxiété, hyperesthésie douloureuse, spasmes du larynx et du pharynx avec hydrophobie, aérophobie, peur des miroirs, écoulement de salive hors de la bouche, agressivité, hallucinations, délire, tremblements, syncopes), formes paralytiques, stuporeuses, celles-ci succédant parfois à celle-là. || Rage muette (syn. : rage mue) : rage prenant d'emblée la forme paralytique. || La rage évolue généralement vers la mort. || Relatif à la rage. ⇒ Rabique. || La rage est commune à certains animaux (chien, chat, loup, etc. ⇒ Épizootie) et à l'homme; elle se transmet généralement par morsure. || Qui est atteint de la rage. ⇒ Enragé, hydrophobe. || Animal malade de la rage, qui bave, écume… || Remède, vaccin contre la rage. ⇒ Antirabique. || La passerage était considérée jadis comme un remède contre la rage. || Les travaux de Pasteur sur la rage.
♦ ☑ Prov. Qui veut noyer son chien (cit. 42) l'accuse de la rage.
➪ tableau Principales maladies et affections.
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COMP. Passerage.
Encyclopédie Universelle. 2012.