SATIRE
Il ne s’agira dans cet article que de la satire littéraire. Or, même littéraire, la satire est une des formes les plus difficiles à cerner. Où la tragédie et la comédie, voire le roman, offrent l’appui, même incertain, d’une formule consacrée, et semblent occuper un domaine délimité, la satire menace de s’insinuer partout, au théâtre, dans la prose et dans l’épopée, comme à travers les strophes lyriques les plus diverses. Cet «esprit satirique» aussi vague qu’insistant, outre qu’il suscite l’émotion moqueuse du destinataire, traduit, chez l’auteur, une révolte, disons mieux: le refus d’être complice.
En prose ou en poésie, le ton satirique n’est jamais uniformément sérieux. Mais le dosage du rire peut être étonnamment varié. Le rire peut n’être qu’une affaire de style; il peut aussi surgir d’un sujet en lui-même risible. D’où le comique grossier ou ininterrompu des farces, des mystifications, des «éloges» paradoxaux, des pastiches de chefs-d’œuvre, des poèmes travestis ou burlesques. À l’inverse, on aura ces pointes de sarcasme que, parmi leurs imprécations austères, dardent souverainement tous les grands justiciers, des prophètes de la Bible à leurs imitateurs, d’Aubigné, Milton et même Victor Hugo. Entre les deux, le poème héroï-comique, que nous négligerons, et la satire littéraire: «un long poème monométrique, publié non pas isolément mais dans un recueil contenant exclusivement des poèmes du même genre» (Lecocq). Cette satire s’affirme par le choix d’une forme et d’une tradition; de son auteur, elle requiert surtout une attitude bien particulière devant la chose poétique.
Indignation et correction
Depuis Juvénal, les poètes satiriques sont les zélateurs d’une Muse qui n’existait pas avant eux: l’Indignation (Hugo, Introduction des Châtiments ). La satire littéraire se nourrit donc de l’humeur de l’écrivain. Malheureusement, l’humeur n’a jamais été un principe de continuité, et comme il faut bien qu’entre les sautes de cette humeur le poème que compose le satirique puisse se soutenir, une théorie s’est dégagée, propre à justifier le genre par des motifs autres que les caprices d’une originalité personnelle. Reprise de la poétique d’Horace s’est donc affirmée l’utilité de la satire qui, dénonçant les méchants, corrigeant les abus, rendait à la société policée les mêmes services moraux qu’en général toute haute littérature.
S’il s’agit d’instruire, il faut donc toucher. L’objectif se double d’une méthode: on cherchera l’amusement, on fera rire. Tous les procédés du comique: mouvement dialogué, monologue grotesque, portrait caricatural, anecdotes intercalées, jeux de mots et quiproquos sont déjà mis en œuvre par Horace, Juvénal et Perse. Ni le Moyen Âge ni la Renaissance n’en ont perdu l’usage, et c’est du fabliau, de la farce et du conte, c’est de la fantaisie rabelaisienne et du «coq-à-l’âne» marotique que les hommes de la Pléiade, malgré leurs innovations, tiennent beaucoup de leurs façons de faire. Comme avant lui l’Arétin, Du Bellay laisse paraître une gourmandise du récit qui fustige les vices de la bonne sorte. À cela s’ajoutent, chez Vauquelin de La Fresnaye (1604), chez Régnier (1609), critiqué sur ce point par les disciples de Malherbe, une saveur de langage, une recherche du terme archaïque et naïf, de l’expression proverbiale et populaire, qui rapprochent de la vie commune les leçons du moraliste.
Ces premiers satiriques modernes ne donnent pourtant pas l’impression d’être avant tout des professeurs de vertu. La Muse qui les entraîne les fait trembler d’une impatience et d’une excitation dont les manifestations sont loin d’être toutes également édifiantes. D’abord, le satirique aime mordre et poindre: Joseph Hall (Virgidemiae , 1597) comparait la satire au porc-épic. Militants comme les Français du XVIe siècle, les Anglais Marvell (1621-1678) et J. Oldham (Satires sur les Jésuites , 1681) crient leur haine de l’étranger impur. Également effréné le sadisme de certaines descriptions: l’étalage de spectacles repoussants, d’infirmités et de supplices, ces traits «baroques» se multiplient dans les poèmes dits «satyriques» de l’époque d’Henri IV et de Louis XIII. L’obscénité de ces pièces est restée célèbre: elle glorifie dans l’infraction sexuelle la même force primitive de l’instinct que dans l’indignation. Plus apaisées, les Folastries et Gaillardises de Ronsard et de ses émules reprenaient la tradition gauloise.
Entre le XVIe siècle et les suivants se marque une sensible différence de verve. L’«augustéen» Pope et son prédécesseur élisabéthain John Donne (1573-1631) permettent de la mesurer. Reprenant mot pour mot des passages de son devancier, le spirituel Anglais (Epilogue to the Satires , 1738) les dilue, les décore, en évacue la hargne, et parvient même à se faire soupçonner de complaisance pour les hommes de cour, là où Donne dénonçait avec âpreté les courtisans.
En France, le fiel se conservera toujours (encore chez Nicolas Gilbert, 1750-1780). Mais le verbe s’est fait plus coulant, la langue plus pure, et surtout la matière s’est renouvelée: sous Boileau et après lui, la satire, sans renoncer à l’actualité, aborde volontiers les problèmes de théorie littéraire et les lieux communs de la morale.
Satire et naturel
Il suffit de peu de chose pour que les voies du comique (monologue, dialogue, autres procédés repris des Anciens et des Italiens) deviennent les voies du naturel. Comme les autres genres, la satire classique se propose d’«imiter les actions humaines». Comme les autres genres, mais avec plus de simplicité: chez l’Arioste et chez Régnier, chez Furetière et chez Boileau, le vraisemblable se trouve saisi au niveau de la réalité quotidienne, et l’œuvre a un parfum d’authenticité vécue. Si paradoxal que cela paraisse, la modération n’a jamais fait trop mauvais ménage avec la satire. Déjà les «satyriques» du baroque français avaient, en peu d’années, bien tempéré leurs insanités pour en venir à la description, à peine rehaussée de quelque bouffonnerie, du cadre tout réaliste de l’existence courante. À l’idéal moral d’une certaine conformité correspondit l’âge d’or de la satire littéraire: entre 1660 et 1730, en France et en Angleterre.
L’«honnête homme», féru de conversation élégante, avait appris de Montaigne à cultiver le détachement d’un apparent nonchaloir, tout en suivant fort bien la pointe de son sujet. D’où la souplesse, la «bizarrerie» que Régnier emprunte des Essais . C’était la tradition horatienne: d’une part, la satura , c’est-à-dire le «mélange», portait sur une variété de détails illustrant un thème traité sur le mode de l’entretien à bâtons rompus; d’autre part, la satire était proche parente de l’épître. Horace appelait ces compositions des sermones , des conversations, ou plutôt l’écho privilégié d’un des interlocuteurs, l’extrait choisi d’une conversation aimable. Le XVIIe siècle, qui assistait, d’autre part, à l’épanouissement d’une littérature épistolaire en prose, n’était pas mal placé pour apprécier ces intentions. Déjà l’Arioste, prenant le ton de la confidence, avait développé dans ses Satires une méditation morale sur sa vie, ses goûts et sa personne. Mais, une fois la Renaissance passée, ces épanchements d’épicuriens suffiraient-ils à nourrir la satire? Ils avaient pu se faire l’écho d’une sagesse qui captait au profit des Modernes l’optimisme des Anciens. Les temps nouveaux, moins pleins d’illusions, et, devant le moi , plus retenus, ne connaissaient guère qu’un épicurisme de salon, promis à la poésie pastorale.
Privée des facilités de l’anticonformisme, la satire littéraire ne s’éteignit pas. La «libre pensée» ne lui était pas essentielle; elle se contenta du «sel attique». C’est, en effet, l’époque où les critiques reprirent la lecture des maîtres latins du genre (Isaac Casaubon, 1605). Heinsius et Rigault notèrent, chez les Latins, l’art de la saillie: la faculté d’étonner, l’agréable raillerie l’emportaient en mérite sur les sujets traités, et même sur l’intention morale. Boileau a voulu obtenir ces effets, d’abord en faisant défiler dans ses vers ces tableautins dont les critiques qui le font «bourgeois» admirent le réalisme, ensuite en multipliant les allusions moqueuses dont une proportion notable s’attache à ses propres ridicules. Mais le propos du satirique ne saurait s’abstraire de la considération d’un public, et il jugeait plus important de «réjouir les honnêtes gens» que de mettre en œuvre telle ou telle technique. Dryden et Pope, de leur côté, savaient entourer leurs ennemis, qu’ils empêchaient par là de réagir, des bandelettes d’une admiration feinte. Impitoyables, ils raffinaient sur des politesses dont les destinataires se relevaient d’autant moins qu’elles reflétaient la tradition du genre.
En France et en Angleterre, les innombrables imitateurs de ces grands satiriques répéteront leurs formules jusqu’à ce qu’intervienne, avec la Révolution française et avec le romantisme, une mutation qui ne sera pas étudiée ici. Les Iambes d’André Chénier et ceux d’Auguste Barbier, les vers vengeurs de Byron métamorphosent le genre en l’accomplissant. Pour d’excellentes raisons, mais qui sont leurs, ils ont perdu le culte de «ce naturel qui doit former la trame de la satire et rester apparent sur de longs espaces, afin que les éclatantes broderies de la fantaisie, les accents vigoureux de l’Indignation y semblent jetés çà et là comme par une humeur soudaine, et que le disparate s’y fasse mieux apercevoir» (F. Fleuret).
Satire et classicisme
La récrimination et le malaise n’en demeurent pas moins les éléments constitutifs d’une création satirique. Une question se pose donc: pourquoi la satire n’est-elle nulle part plus vivace qu’en période d’euphorie littéraire? On ne s’attendrait guère à voir se plaindre plus que tous autres les écrivains du «siècle de Louis XIV» ou de l’«Augustan age» anglais, qui semblent mieux défendus, plus honorés, plus sûrs de leurs assises intellectuelles que leurs confrères des temps passés ou futurs. C’est justement que la satire est un phénomène littéraire, et qu’elle fleurit lorsqu’il existe des hommes de lettres, au sens social, et des classiques, au sens qu’il convient de définir maintenant.
La satire n’est pas classique par ses règles: elle n’en a jamais eu d’expresses. La satire n’est pas classique par la beauté de son sujet: comme la comédie, elle doit, au contraire, se fixer pour but la représentation de circonstances, d’objets médiocres (c’est-à-dire moyens) et vils. Mais la satire est classique parce qu’elle prend conscience de cette médiocrité même, et qu’elle la situe à l’intérieur de la hiérarchie des styles: elle sait faire jouer les divers registres du discours à la fois pour embellir et pour persuader. Et la satire est également classique parce que le satirique prend conscience des modalités de sa propre intervention dans le tissu de l’œuvre qu’il élabore: il est alors l’orateur, celui qui, par la parole, s’identifie à un texte dont il sait pertinemment qu’il ne se confond pas avec lui-même. Il faut donc comprendre la place qu’occupe la satire dans l’histoire de notre culture en invoquant la rhétorique.
Lorsqu’un lecteur d’aujourd’hui se penche sur le monde tel que le lui offre la vision d’un satirique, il éprouve généralement un sentiment d’étrangeté. Cette stylisation, qui est toujours voyante, cette négligence, qui a si souvent quelque chose d’apprêté, cet enjouement, qui est fait pour étonner, signalent la présence du rhéteur. Mais c’est un rhéteur honnête, qui ne cherche nullement à dissimuler sa présence: un poème, pour être satire, ne saurait être écrit à la première personne. Le je qui s’y trouve parler est un personnage intermédiaire entre l’auteur et la fonction qu’il assume, celle du «Satirique» en soi. C’est pourquoi toute cette littérature est naturellement le greffon d’une tradition consacrée, c’est pourquoi aussi elle rappelle avec plus d’insistance Juvénal, qui jouait déjà ce rôle, qu’Horace, rhétoricien moins conscient. C’est pourquoi, enfin, les colères du Boileau dont nous lisons les vers sont à la fois touchantes, parce que Boileau est sincère, et plaisantes, parce que son double, le Satirique, peut se targuer des outrances que le simple Boileau n’a pas calculées: la forme dialoguée de la Satire IX permet de saisir sur le vif ce qu’a de stimulant ce continuel échange de personnalités.
Le Satirique est donc un être de raison. Le chatoiement des styles que pratique la satire, en jetant sur le texte de multiples éclairages, permet de saisir au passage différents profils du poète: l’accusateur public, l’observateur cynique, le porte-parole du gros bons sens, le moraliste de bon ton. Aucun de ces visages n’est «sincère» lorsqu’il est pris à part. Mais tous peuvent le devenir en se combinant dans l’esprit du lecteur. Car le lecteur classique sait que, quand un auteur dit: je , il ne veut pas dire: moi . Ce je est celui d’un acteur en cours de représentation. Et cet acteur n’est pas seulement l’orateur tout court, que nous venons d’introduire au nom de la rhétorique. Il est l’«orateur idéal». Ainsi Boileau donne la parole à Quelqu’un, à un Je , à qui il veut ressembler, et, dans ses apologies du genre, il se défend beaucoup moins lui-même qu’il ne défend ce Je -là. Cet arrière-plan rhétorique rend compte de plusieurs faits d’ensemble. D’une part, la polyphonie du discours satirique ne relève pas seulement de l’agrément mondain: elle reproduit la variété des rôles de l’orateur en action. D’autre part, la popularité du genre pendant une période donnée s’explique par son haut degré de pertinence: il était le seul, avec la comédie, à permettre de peindre en parallèle ou de faire dialoguer le créateur avec sa création, le théoricien avec l’artiste; dans le paysage littéraire du milieu du XXe siècle, ce serait un peu la fonction qu’a remplie le «nouveau roman». Enfin, formé par la rhétorique, le public du temps n’aurait jamais songé, comme le fera le public philistin, à mettre au compte de la bassesse d’un esprit la bassesse d’un sujet traité. Le principe de «convenance» montrait, au contraire, qu’il était grand de traduire en style approprié une réalité sans grandeur: nul risque de discrédit pour un homme de mérite quand il s’appliquait à reproduire turpitudes et ridicules.
Lorsqu’on explique la satire par la seule Muse Indignation, on comprend mal qu’elle ait à ce point disparu: nos siècles plus modernes lui fourniraient à la fois une ample matière et un cortège tout prêt de talents propres à s’y consacrer. Mais lorsqu’on mesure à quel point ses fondements reposaient sur une connaissance profonde, que nous n’avons généralement plus, des mécanismes de la parole (logos ), on doit au moins admettre que, sous sa forme classique, elle constituait un fait de civilisation.
satire [ satir ] n. f.
1 ♦ Hist. littér. Ouvrage libre de la littérature latine où les genres, les formes, les mètres étaient mêlés, et qui censurait les mœurs publiques.
♢ Poème (en vers) où l'auteur attaque les vices, les ridicules de ses contemporains. Satires de Juvénal, de Boileau. — La satire : ce genre littéraire.
2 ♦ Mod. Écrit, discours qui s'attaque à qqch., à qqn, en s'en moquant. Une satire violente, amusante, pleine d'humour. Satire contre qqn. ⇒ épigramme, pamphlet. — Critique moqueuse. Faire la satire d'un milieu. « la satire amusée des événements de l'année » (Léautaud).
⊗ CONTR. Apologie, éloge.
⊗ HOM. Satyre.
● satire nom féminin (latin satira, variante de satura, farce) Pièce de vers où l'auteur attaque les vices et les ridicules de son temps. Pamphlet ordinairement mêlé de prose et de vers, dans lequel on s'attaque aux mœurs publiques. Écrit, propos, œuvre par lesquels on raille ou on critique vivement quelqu'un ou quelque chose : Ce film est une satire des mœurs politiques. ● satire (citations) nom féminin (latin satira, variante de satura, farce) Gabriel Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues Bordeaux 1628-Istanbul 1685 Soyez moins satirique, ou soyez plus satyre. Valentins Commentaire Vers extrait d'une épigramme adressée par une femme à son amant. ● satire (difficultés) nom féminin (latin satira, variante de satura, farce) Orthographe et sens Ne pas confondre ces deux noms. 1. Satire n.f. (avec un i) = écrit ou dessin qui tourne qqn ou qqch en ridicule. « Le Malade imaginaire » est une satire des médecins. L'adjectif correspondant est satirique : une comédie satirique. Remarque Une satyre (avec un y) est un terme spécialisé d'histoire de la littérature grecque signifiant « pièce mettant en scène des satyres ». C'est un mot rare. 2. Satyre n.m. (avec un y) = demi-dieu à jambes de bouc, dans la mythologie grecque ; de nos jours, pervers sexuel (exhibitionniste, notamment). « Le satyre, un boulanger au visage naïf, avait forcé une fillette de douze ans »(M. Aymé). Remarque L'adjectif correspondant, satyrique, n'est employé que pour qualifier les poèmes et les drames mythologiques qui font apparaître des chœurs de satyres (voir ci-dessus Remarque ). On ne peut donc pas dire une conduite satyrique pour une conduite de satyre. ● satire (homonymes) nom féminin (latin satira, variante de satura, farce) satyre nom masculin ● satire (synonymes) nom féminin (latin satira, variante de satura, farce) Écrit, propos, œuvre par lesquels on raille ou on critique...
Synonymes :
- critique
- diatribe
- pamphlet
satire
n. f.
d1./d LITTER Ouvrage généralement en vers, dans lequel l'auteur moque les ridicules de ses contemporains ou censure leurs vices. Satires d'Horace.
d2./d Mod. Pamphlet, écrit ou discours piquant qui raille qqn, qqch.
|| Critique railleuse.
⇒SATIRE, subst. fém.
A. — HIST. LITTÉR. Écrit dans lequel l'auteur fait ouvertement la critique d'une époque, d'une politique, d'une morale ou attaque certains personnages en s'en moquant. À cet essai j'ai joint une étude historique, un drame sérieux (...); puis deux satires politiques et morales, déjà publiées en 1837 et 1845 (BARBIER, Satires, 1865, préf., p. 2). Une satire littéraire qui serait charmante, faite par cet ironique esprit (GONCOURT, Journal, 1889, p. 1047).
SYNT. (s'appliquant aussi au sens B 1). Satire amère, amusante, caustique, directe, excellente, facile, fine, gaie, gaillarde, méchante, mordante, personnelle, piquante, raisonnée, sanglante, sociale, souriante, violente, virulente (synon. libelle, pamphlet); âpre, bonne, excellente, fameuse, grande, vive satire; composer, faire une satire.
1. LITT. LAT. Œuvre en prose et en vers (mètres mêlés ou uniformes) attaquant et tournant en ridicule les mœurs de l'époque. Les satires d'Horace, de Lucilius; la satire latine. Visage gracieux comme une élégie de Tibulle, riant comme une ode d'Horace, moqueur comme une satire de Pétrone (DUMAS père, Caligula, 1837, préf., p. 2). Oui, monsieur, j'ai souvent déjeuné d'une page de Tacite et soupé d'une satire de Juvénal (FRANCE, Servien, 1882, p. 13).
2. LITT. FR.
a) [Au XVIe s.] Écrit mêlant vers et prose et s'attaquant aux mœurs publiques. La Satire Ménippée. Pièce de vers dirigée contre la Ligue et en faveur d'Henri IV. La Satire Ménippée renferme un grand nombre de couplets, auxquels nous devons la connaissance d'une foule d'anecdotes sur la Ligue, que l'on chercherait vainement ailleurs (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 259).
b) [À partir du XVIIe s.] Œuvre en vers dans laquelle le poète tourne en dérision les défauts et les vices d'une personne (souvent en la nommant), d'une société, d'une institution. Les satires de Chénier, de Despréaux, de Régnier, de Voltaire. Boileau, j'ose le conjecturer d'après sa deuxième Satire, (...) Boileau, sur le style en vers de Molière, était bien autrement et plus pleinement admirateur que ne durent l'être Racine, La Bruyère et Fénelon (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 234).
3. La satire. Le genre satirique. L'épopée, l'ode, l'élégie, la satire, le drame lui-même, ont été aussi familiers aux poètes de cette période, qu'à ceux des siècles d'Auguste et de Louis XIV (MONTALEMBERT, Ste Élisabeth, 1836, p. LXXIII):
• ... le propre de la satire est d'attacher les travers, les vices et la sottise à un personnage véritable, ce qui nous réduit au plaisir mélangé de rire des puissants, et en tout cas de rire des autres. Or on peut bien se moquer d'un bouffon qui ne sait pas faire rire...
ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 168.
B. — P. ext. Toute œuvre écrite, chantée, peinte, tout propos comportant une raillerie, une critique virulente. Ouvrage de satire; avoir l'esprit de satire. La Baigneuse [de Courbet] est une satire de la bourgeoisie: « Oui, la voilà bien cette bourgeoisie charnue et cossue, déformée par la graisse et le luxe (...) » (ZOLA, Mes haines, 1866, p. 32). Chacun était frappé de ses fortes qualités d'observation, de ses dons puissants de satire, de son implacable et juste ironie qui pénétrait si avant dans le ridicule humain (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 191).
♦ Faire la satire de (qqn, qqc.). L'attaquer en la tournant en dérision. Faire la satire des femmes, des grands, des hommes, du monde politique, des vices; faire une satire contre, sur (qqn, qqc.). Les écrivains qui dans leurs romans ont peint les vices de ce temps-là, croyaient peut-être en faire la satire; et je n'ai pas envie de leur disputer cette louable intention (MARMONTEL, Essai sur rom., 1799, p. 314). Une femme de grande culture voulait résister à ces conversations sur les cuisinières et les femmes de chambre; dès qu'elle voyait paraître ces propos, elle en faisait une satire mordante et brillante, citant mille anecdotes (ALAIN, Propos, 1923, p. 461).
♦ Trait de satire. Parole mordante et railleuse. Cette lèvre flétrie (...) d'où coulait une voix éraillée, nasillarde, qui par instants, grimpait au fausset pour lancer un trait de satire, un mot à l'emporte-pièce (MARTIN DU G., Thib., Consult., 1928, p. 1065).
— Loc. fig. Ma/sa conduite est la satire de la sienne/de la vôtre. Ma/sa conduite sans faille dénonce d'autant mieux le caractère répréhensible de la sienne/de la vôtre. Je vis que cette manière d'agir mettait en fureur le saint homme, qu'ayant partagé mes opinions, ma conduite lui semblait une satire de la sienne (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 93).
Prononc. et Orth.:[]. Homon. satyre. Ac. 1694: satyre; 1718, 1740: -ty-: ,,quelques-uns écrivent satire``; dep. 1762: satire. Étymol. et Hist. A. Ca 1285 satres (Gloss. de Douai ds ROQUES t. 1, I, 2243: satira: satres). B. 1. 1355 litt. lat. « danse parodique avec accompagnement de flûte, reproduisant sur le mode risible les chorégraphies guerrières des ,,ludions`` étrusques, également assortie de couplets plaisants ou satiriques (BERSUIRE, Tit. Liv., ms. Ste Gen., f ° 113a [Ab Urbe condita, VII, 2] ds GDF. Compl.); 2. a) 1486 id. « poème de rythme narratif [le plus souvent en hexamètres] de développement souvent dramatique, unissant la raillerie mordante à la leçon de morale » ici, en parlant d'une satire de Perse (RAOUL DE PRESLES, Cité de Dieu, sign. E 5c, ibid.); 1549 en gén. satyre « pièce de vers reprenant aigrement les vices`` (EST.); b) 1663 désigne le genre littér. (BOILEAU, Satires, VII, 1 ds Œuvres, éd. Fr. Escal, p. 38: quittons la satire); 3. 1593 « essai, ouvrage de forme libre, critique et mordant, fait dans le goût des ,,Satires Ménippées`` de Varron [Menippearum fragmenta ds les Satirae de Pétrone] » (Satyre Ménippée); 4. ca 1690 fig. faire la satire de (qqc.) (BOILEAU, Vers pour mettre au bas du portrait de mon père ds Œuvres, p. 261: Sa conduite dans le Palais [...] Mieux que leur plume si vantée Fit la Satire des Rolêts). Empr. (A étant une forme demi-sav.) au lat. satura, var. satira (d'orig. incertaine, ERN.-MEILLET), terme pop. appliqué à toutes sortes de « mélanges » [plat garni de diverses sortes de fruits et de légumes; ragoût], spéc. « pot-pourri scénique [B 1]; réunion de pièces didactiques variées de sujets et de mètres [Ennius]; [dep. LUCILIUS, 103 av. J.-C.; B 2 a] poème critiquant les vices »; cf. BAYET 1965, pp. 97-98. La satura dramatique [B 1] connue par Tite Live, supra, et Valère Maxime, II, IV, 4, issue de la fescinnina jocatio, a été renouvelée par l'imitation, la parodie des ,,ludions`` étrusques et confiée dès lors à des professionnels, v. P. BOYANCÉ ds R. Ét. anc. t. 34, pp. 11-25 et J.-P. CÈBE ds R. belge Philol. Hist. t. 39, pp. 26-34. Dès l'époque lat., satira subit l'infl. graph. de satyra (satyre), également perceptible en fr. dans le mot de base et ses dér. Fréq. abs. littér.:372. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 971, b) 706; XXe s.: a) 162, b) 276.
DÉR. 1. Satiriser, verbe trans., peu us. Faire la satire (écrite, orale) d'une personne, d'une société, d'une institution. Synon. critiquer, railler. Les sentiments qui font les ressorts de l'intrigue [du Misanthrope], les ridicules que Molière satirise, comporteraient une peinture plus nuancée, plus délicate, et supportent assez mal ce grossissement de cette « érosion des contours » que j'admire tant dans Le Bourgeois, Le Malade, ou L'Avare (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 712). Empl. abs. Faire, écrire une satire; exercer son esprit de satire. J'essayai Juvénal, Et, le poignet armé d'une plume sévère, Aux noirs excès du temps je déclarai la guerre. Aujourd'hui, moins rigide et peut-être moins bon, Je satirise encor, mais sur un autre ton (BARBIER, Satires, 1865, p. 7). — [], (il) satirise [-i:z]. Ac. 1694-1740: satyriser; dep. 1762: -ti-. — 1re attest. 1544 satyriser (SCÈVE, Délie, 104 ds HUG.); de satire, suff. -iser. 2. Satiriste, subst. Auteur de satires ou d'écrits satiriques. Synon. satirique. Je passe d'abord à la bibliothèque où je consulte les satiristes, pour me mettre en train (VALLÈS, J. Vingtras, Bachel., 1881, p. 328). — []. — 1re attest. 1683 satyristes (Fr. SPANHEIM, Les Césars de l'empereur Julien, trad. du gr., Paris, D. Thierry, p. 31, rem. en note); de satire, suff. -iste.
BBG. — ELLIOTT (R. C.). The definition of satire: a note on method. In: Actes du IIIe Congrès de l'Assoc. Internat. de Litt. comp. Utrecht, 1962, p. 348.
satire [satiʀ] n. f.
ÉTYM. 1355; satre, v. 1290; lat. satira, proprt « macédoine, mélange », parfois satyra, par confusion avec satyrus; var. satyre jusqu'au XVIIe.
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1 Hist. littér. Ouvrage libre de la littérature latine où les genres, les formes, les mètres étaient mêlés, et qui censurait les mœurs publiques. || La satire était héritée des Grecs et surtout de Ménippe. || Les satires ménippées de Varon (à la manière de Ménippe). — La Satire Ménippée, œuvre politique collective française parue en 1594, de forme très libre, qui condamne l'anarchie grandissante et prône le ralliement à Henri IV.
2 (1375). Poème en vers où l'auteur attaque les vices, les ridicules de ses contemporains. || Satires de Juvénal, d'Horace, de Mathurin Régnier, de Boileau. || Composer, faire une satire (→ Déchirer, cit. 28; diable, cit. 36). Ce genre littéraire. || Quittons la satire… (→ Médire, cit. 3).
3 Cour. Écrit, discours qui s'attaque à qqch., à qqn en s'en moquant. — Par ext. Critique moqueuse. ⇒ Dérision, moquerie, raillerie. || Satire violente, virulente; amusante, pleine d'humour (→ aussi Chose, cit. 6). || Les railleries, les satires des cyniques. ⇒ Plaisanterie. || Les satires de la comédie (→ Général, cit. 1). || Faire la satire du milieu. ⇒ Caricature, critique. || Une satire contre qqn. ⇒ Catilinaire, épigramme, libelle, pamphlet, philippique. — Vx. || « Sa conduite est la satire de la vôtre » (Académie, 9e éd.). — Cette forme de critique, en tant qu'elle constitue un ton, un style, un genre littéraire. || Pratiquer la satire. || Dards, piqûres de la satire (→ Article, cit. 13). || Traits de satire (→ Désigner, cit. 5; érailler, cit. 6; gré, cit. 19). || L'art de la satire.
1 En général la satire a peu de cours dans les grandes villes, où ce qui n'est que mal est si simple, que ce n'est pas la peine d'en parler.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, II, XVII.
2 Le caractère habituel de la satire de Le Sage est d'être enjouée, légère, et piquante sans amertume; mais, toutes les fois qu'il s'agit des traitants, des Turcarets, il aiguise le trait et l'enfonce sans pitié, comme s'il avait à exercer quelques représailles. Je fais la même remarque en ce qui touche les comédiens, dont il avait eu souvent à se plaindre. Ce sont les deux seules classes auxquelles la satirique aimable se prenne avec tant de vivacité et s'acharne presque, lui dont la raillerie, en général, se tempère de bonne humeur et de bonhomie.
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 5 août 1850.
3 De la musique légère, faite d'airs connus, des couplets malicieux sur des gens notoires, le doigt mis sur les ridicules à la mode, la satire amusée des événements de l'année, de l'esprit, de l'entrain, beaucoup de gaieté dans beaucoup de méchanceté (…)
Paul Léautaud, le Théâtre de M. Boissard, XVII.
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CONTR. Apologie, éloge.
DÉR. Satirique, satiriser, satiriste.
HOM. Satyre.
Encyclopédie Universelle. 2012.