SYSTÉMATIQUE
Science des classifications biologiques, la systématique occupe une position centrale dans l’étude scientifique des organismes. Le zoologiste E. Mayr (1969) la définit ainsi: «La systématique est l’étude de la diversité des êtres vivants et l’élucidation des causes de cette diversité, c’est-à-dire des processus qui y ont conduit». L’ichthyologiste G. Nelson (1970) l’appelle tout simplement «biologie comparative», insistant ainsi sur l’ampleur du champ de la discipline qui s’étend de la description à l’analyse des relations entre les groupes jusqu’à l’expression des résultats sous une forme codifiée: la classification formelle. La systématique couvre donc tout le domaine de la classification biologique, nous allons en découvrir les particularités par rapport aux classifications ayant cours dans d’autres sciences ou même dans la vie courante.
1. Buts et objets de la systématique
Des classifications populaires existent vraisemblablement depuis l’origine de la communication humaine: pour l’être humain, classer est une activité normale et nécessaire pour appréhender le réel, y mettre de l’ordre, organiser son savoir, donc sa survie dans un environnement parfois hostile.
Classer permet tout à la fois, en groupant les objets naturels, les objets artificiels ou les concepts en ensembles plus ou moins inclusifs, d’établir ainsi des critères de reconnaissance en fonction de données ou de caractères constants ou transitoires, communs ou uniques. L’attribution d’un nom à chacun des groupes reconnus complète le processus. Une classification quelle qu’elle soit est, en définitive, un moyen pratique de stocker et de transmettre une information sélectionnée et codifiée, directement utilisable pour peu que la symbolique employée soit commune à celui qui transmet l’information et à celui qui la reçoit.
Pour aborder les problèmes de l’origine de la diversité de la vie, c’est-à-dire le domaine de la systématique, le systématicien procède de la même manière. Après identification des objets naturels – animaux ou végétaux –, il recherche des groupements, des généralisations qui répondent à des besoins variés. Pour cela, il fera appel aux caractères des organismes. Les caractères retenus peuvent être liés à l’utilisation de l’objet: les plantes vivrières, le bétail, par exemple; au mode de vie des êtres vivants, c’est-à-dire à des caractères extrinsèques tels que des données écologiques ou géographiques, qui donneront lieu à des faunes, des flores ou à des analyses de phytosociologie. Enfin, et c’est ce qui se passe le plus souvent, en fonction des caractéristiques intrinsèques des êtres étudiés (anatomie, morphologie, génétique): les vertébrés, les plantes à fleur, etc., dans le but ultime de mettre en évidence les phénomènes de toute nature qui ont présidé à la différenciation de ces formes.
Une fois définis et nommés, ces groupements deviennent des éléments d’une classification zoologique ou botanique du type de celles qu’ont produites tous les systématiciens aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de la discipline. La classification sera alors une synthèse qui fournira le cadre indispensable à d’autres investigations.
Depuis l’Antiquité, en suivant des méthodes différentes, la systématique se fonde sur des ensembles de caractères ou sur des processus différents. Au XVIIIe siècle et jusqu’à une époque peu éloignée, on recourait à des «systèmes» pour classer. Ces systèmes s’apparentent à ce que l’on nomme aujourd’hui des «clés de détermination». Ils consistent à classer en fonction d’un petit nombre de critères judicieusement choisis pour permettre un arrangement des groupes. L’exemple le plus célèbre en est sans doute le «système sexuel» des plantes préconisé par Linné. Il se fondait exclusivement sur un nombre limité de caractères sélectionnés (ceux liés à la reproduction: les étamines et le pistil) pour construire la classification des plantes (1753). Le naturaliste suédois est surtout connu pour son Systema naturae , dont la dixième édition, publiée en 1758, est l’un des jalons majeurs de la discipline. Pour la première fois, il codifiait sous une forme condensée la description des plantes et des animaux et introduisait la nomenclature binominale: les espèces y sont désignées par un nom double, en latin, véritable nom propre à chaque espèce. Il inaugurait ainsi les principes de la nomenclature actuelle, réglementant l’expression applicable aux organismes dès lors qu’ils deviennent objets de science. La classification devenait une méthode pratique pour codifier l’«ordre naturel» et identifier les formes nouvelles (cf. tableau).
Même si Linné reste le grand nom que l’on retient dans l’histoire de la systématique, il était l’héritier d’une longue série d’érudits qui, depuis l’antiquité (Aristote notamment), cherchaient, par l’inventaire de la diversité et par l’analyse des traits exhibés par les plantes et les animaux, à établir les relations de toutes sortes qui pourraient exister entre ces derniers. Le but ultime était, bien entendu, de mettre en évidence, au sein de la diversité, un ordre sous-jacent, qu’il traduise un supposé dessein d’origine divine ou des relations d’une autre nature, ce qui fut le cas lorsque l’évolution s’imposa comme cause principale de cet ordre.
2. Systématique ou taxonomie ?
La systématique est souvent nommée taxonomie (terme préféré pour des raisons de priorité à taxinomie – du grec taxis , rangement et nomos , loi – étymologiquement correct). Le terme original de taxonomie – dans cette orthographe – a été créé par A. P. de Candolle: dans sa Théorie élémentaire de la botanique (1813), il définit cette discipline comme «la théorie des classifications», c’est-à-dire «la recherche des lois régulières et de leur explication rationnelle» concernant la classification des végétaux.
Selon les auteurs, les termes de systématique et de taxonomie peuvent avoir cependant des acceptions différentes.
Simpson (1945) y voit un strict synonyme de la systématique lorsqu’il écrit par exemple: «La taxonomie est en même temps la partie la plus élémentaire et la plus globale de la zoologie, la plus élémentaire car on ne peut discuter ou traiter scientifiquement des animaux avant qu’une taxonomie n’ait, à un certain degré, été élaborée, et la plus globale car la taxonomie, dans ses apparences et ses branches variées, peut réunir, utiliser, résumer et mettre en pratique tout ce que l’on sait sur les animaux, qu’il s’agisse de morphologie, de physiologie, de psychologie ou d’écologie.»
Pour d’autres, le terme de taxonomie doit être réservé à la théorie de la classification biologique, de la formation des groupes ou taxa (singulier: taxon), alors que le terme de systématique devrait être restreint au résultat de son application.
Aujourd’hui, cette distinction, même justifiée, logiquement, est peu suivie, et on confond volontiers les deux domaines, comme le fait le zoologiste Mayr, sous le terme «systématique», plus fréquemment utilisé.
Le terme «taxinomie» apparaît même hors des sciences biologiques, par exemple dans l’ouvrage de J. P. Benzecri (1973) traitant de l’analyse mathématique des données. Il est appliqué à la science étudiant les méthodes mathématiques de formation de groupes ou de délimitation de classes logiques. Tout en s’approchant de ce que font les biologistes pour classer les êtres vivants, le terme «taxinomie» dans cette acception couvre alors tout ce qui traite de la construction de «systèmes» de groupements d’objets appartenant à quelque domaine que ce soit et n’est pas restreint aux organismes vivants.
L’équivoque introduite par cette façon de concevoir la taxinomie parle alors en faveur d’un choix préférentiel du terme «systématique» pour ce qui traite du vivant.
3. Particularités des objets naturels
Toute approche de la nature et des buts de la systématique présuppose que les objets sur lesquels porte cette science soient précisés.
Parmi les objets naturels, il faut établir une distinction nette entre les corps chimiques, ou minéraux, et les êtres vivants, tous susceptibles d’être inclus dans une «systématique».
Il existe des classifications des corps chimiques et des minéraux. Elles sont construites en faisant appel aux caractères de ces objets. Ceux-ci entrent dans la même catégorie que les phénomènes physiques ou les concepts mathématiques: leur groupement en classes logiques est possible; à partir de leurs propriétés, on aboutit à une classification unique. Mais les groupes inclus dans de telles classifications n’ont pas de dimension historique. La seule justification pour inclure un nouvel objet au sein d’un quelconque de ces groupes est qu’il possède les caractères qui définissent celui-ci. Par exemple, tous les minéraux classés parmi les quartz ont des propriétés cristallographiques et chimiques identiques et constantes, et ces seules propriétés suffisent pour qu’on puisse y inclure des minéraux encore indéterminés mais possédant les traits, donc les propriétés, des quartz.
La classification périodique des éléments chimiques de Mendeleiev est un autre exemple de ces classifications composées de «classes» logiques. Le poids atomique, le nombre d’électrons périphériques et la composition du noyau suffisent à définir tous les composants de cette classification. Ces classes – groupes composés à partir des caractères des «espèces» chimiques – sont indépendantes de l’ontogenèse de leurs éléments. Peu importe la manière dont s’est formé un atome ou une molécule d’oxygène, d’hydrogène ou de carbone par exemple, leur composition seule est nécessaire et suffisante pour qu’un élément inconnu soit mis à sa place supposée dans la classification.
Même si elles peuvent être distinguées les unes des autres à partir de caractéristiques différentes, les espèces biologiques, unités de base des classifications, sont foncièrement d’une tout autre nature: en logique, elles ne correspondent pas à des classes mais, étant le produit d’un processus historique, à des individus. Les caractères qu’elles partagent traduisent donc, même imparfaitement, un processus généalogique, une ontogénie des espèces au cours du temps. Il est alors impossible d’obtenir une classification unique et absolue sans une confrontation très élaborée de tous les ensembles de leurs caractères qui, parfois, peuvent paraître contradictoires. Cette difficulté à appréhender la réalité des groupements biologiques s’est reflétée dès l’origine de la systématique par des points de vue divergents entre tenants de différents «systèmes de classification», pratiqués aux XVIIe et XVIIIe siècles et dont le système linnéen que nous avons évoqué plus haut est un exemple parmi de nombreux autres. En réalité, tous les auteurs qui ont proposé leur mode de classement le faisaient pour des raisons variées. Pour nombre d’entre eux qui utilisaient ce qu’on nommait alors des «méthodes», le but était la recherche d’un système unique, universel, devant permettre de réunir sous une forme particulièrement concise un moyen d’identification en même temps qu’une synthèse de l’«ordre de la nature». Cela pouvait conduire ultérieurement à découvrir (ou à élaborer) des lois naturelles s’appliquant aux organismes comme les lois physiques permettent d’expliquer des phénomènes naturels.
4. Les écoles de systématique aujourd’hui
De nos jours, même si cela peut sembler paradoxal, les classifications ne reflètent pas d’emblée l’histoire des animaux et des plantes. Cependant, les tendances actuelles montrent que la hiérarchie linnéenne traditionnelle, construite à partir de la distribution des caractères dans les espèces ou groupes d’espèces, cherche désormais à refléter l’évolution, la «descendance avec modification» comme le préconisait Darwin (1859).
Trois écoles concurrentes jouent actuellement un rôle important en systématique: la phénétique, la cladistique (ou systématique phylogénétique) et la systématique «éclectique» ou évolutive. Chacune se distingue par les réponses qu’elles apportent à deux interrogations fondamentales:
– La classification d’un groupe permet-elle de refléter correctement l’histoire de ce groupe? En d’autres termes: les similitudes observées dans les caractères sont-elles interprétables en termes de «modifications au cours de la descendance»?
– Si l’on admet que la classification doit refléter l’histoire des organismes, dans quelle mesure et de quelle manière le peut-elle? La classification doit-elle être ou non le reflet exact de la généalogie ou doit-elle faire appel à des critères additionnels?
La phénétique
Pour l’école phénétique, le systématicien ne dispose dans son enquête que des caractères du phénotype. Ces caractères sont potentiellement en nombre illimité et peuvent effectivement refléter l’histoire des êtres qui les possèdent. Cependant, cette école considère qu’il est hors du domaine d’investigation du chercheur de décider dans quelle mesure ces caractères sont le reflet de la généalogie.
Pour les tenants de cette approche – très empirique dans la mesure où elle s’attache strictement au concret –, le souci d’«objectivité» réclame l’analyse exclusive des degrés de similitude à partir desquels on peut réaliser des groupements successifs et construire une hiérarchie.
Il se peut que le résultat obtenu soit identique ou similaire aux classifications obtenues par d’autres méthodes se référant explicitement à la généalogie des organismes; cela ne signifie nullement que la méthode phénétique soit à même de traduire la phylogénie: elle n’est pas conçue pour cela. C’est seulement si l’on considère que la similitude reflète précisément la phylogénie que l’on peut aboutir à une telle conclusion. Or, pour la majorité des systématiciens d’aujourd’hui, il est clair que la ressemblance globale ne reflète qu’imparfaitement l’histoire généalogique des êtres.
Même si la méthodologie mise en œuvre de nos jours est plus élaborée, les principes de l’analyse phénétique remontent au XVIIIe siècle. Ils ont été énoncés par le botaniste Michel Adanson pour qui les créateurs de «systèmes», en particulier Linné, étaient dans l’erreur. Donner à une catégorie d’organes un rôle particulier équivalait pour Adanson à fausser l’analyse et à construire une classification ne répondant pas au souci d’objectivité souhaitable. Il recommandait au contraire de réunir un maximum de caractères rendant compte des similitudes et de les traiter en donnant à chacun un poids équivalent dans l’analyse, l’idéal étant d’utiliser tous les caractères pour aboutir à ce qu’il appelait la «classification naturelle».
Ces principes ont été repris et développés par Sokal et Sneath (1963) pour proposer une stratégie de classification néo-adansonienne, dans laquelle les clusters (en fait des «classes» logiques) sont construits en fonction du degré croissant ou décroissant de ressemblance.
Le résultat se traduit sous la forme d’un graphe branchu – un dendrogramme – qui, compte tenu des principes appliqués, est appelé «phénogramme». Ce graphe arborescent montre une série de branchements successifs qui traduisent une hiérarchie des groupes en fonction de leur degré décroissant de ressemblance mais il ne reflète pas une séquence généalogique, ce qui se traduit logiquement par l’absence de «racine».
L’utilisation de méthodes statistiques de traitement de l’information permet de traduire l’écart entre les groupes en termes de distances; cependant, le résultat final est rarement traduit sous la forme d’une classification formelle utilisant les catégories de la hiérarchie linnéenne au-delà des espèces ou des taxa initialement utilisés pour l’analyse. Le graphe est, en lui-même, censé représenter la classification.
Bien que cette méthode ne prétende pas traduire une phylogénie, mais se veuille explicitement un moyen pratique d’organiser les taxa en fonction de leur degré de ressemblance réciproque, certains auteurs prétendent voir en elle un moyen efficace de construire des classifications reflétant la généalogie. Un tel programme pourrait se concevoir si le degré de ressemblance était une fonction linéaire du temps: alors, la divergence morphologique à elle seule suffirait pour rendre compte de la proximité ou de l’éloignement généalogique entre les organismes. Cependant, l’expérience a montré, outre le fait qu’il soit difficile de définir de manière univoque ce degré de similitude ou de différence, que les caractères ne reflètent pas tous également l’histoire des êtres.
Ainsi, dans une classification purement phénétique, les vers et les serpents pourraient fort bien être classés dans un même ensemble avec les anguilles du fait de leur corps allongé et de l’absence de pattes marcheuses. Compte tenu de ce que nous savons par ailleurs des caractères des Vertébrés et de leur développement embryonnaire, une telle vision nous paraît évidemment erronée. Mais est-il possible de rectifier les erreurs lorsqu’il s’agit de classer des êtres appartenant à des groupes rares ou difficiles à analyser, comme les parasites, les bactéries ou les levures? Il ne fait aucun doute que la méthode phénétique n’est alors qu’un pis-aller.
Cet exemple illustre une des principales faiblesses de la méthode: l’absence de certains caractères (en l’occurrence, ici, les pattes) – qui peut être expliquée de façons variées – est prise en compte dans l’analyse au même titre que la présence de certains autres. Autrement dit, les évidences positives et négatives ont un même poids, ce qui représente une option mais ne reflète pas l’importance logique qu’implique le déséquilibre entre ces deux types d’évidences.
L’approche phénétique est cependant d’un intérêt évident pour construire des classifications artificielles ou pour classer des organismes dont la morphologie ou les traits sont difficilement analysables en termes de phylogénie. Il n’est pas sans importance de savoir que, dans ce contexte, les méthodes et techniques de la taxonomie numérique phénétique ont été au départ appliquées aux levures et aux bactéries, deux catégories d’organismes dont l’histoire phylogénétique reste, pour l’heure, en grande partie imprécise voire énigmatique.
Les classifications «historiques»: classifications cladistiques et évolutives
La méthode phénétique, malgré ses faiblesses, a eu le mérite de faire ressortir, s’il était nécessaire, l’obligation de se fonder sur des caractères réels pour classer les organismes. Mais, dans l’optique de classifications se voulant des reflets de l’histoire évolutive – qui, comme le souhaitait Darwin, devraient traduire la généalogie du monde vivant –, ces caractères ne sont que des moyens indirects et imparfaits. La généalogie est en effet un phénomène dynamique qui ne peut être abordé directement.
La «descendance avec modification» comprend deux termes: le premier (la descendance) représente le but que souhaite atteindre le systématicien évolutionniste, et c’est le second (les modifications dans les caractères) qui va le guider.
On estime aujourd’hui que les traits structuraux se modifient principalement au cours de la recombinaison génétique qui a lieu lors de la formation des descendants. À chaque fois, il s’agit d’un phénomène unique, potentiellement irréproductible. Les traits de toute nature qui apparaîtront seront alors transmis, inchangés ou modifiés, à la descendance. Les caractères nouveaux constituent la matière à partir de laquelle le systématicien cherchera à retracer la séquence d’apparition des groupes en analysant leur répartition au sein de ces derniers.
Cette méthode – cladistique par essence puisqu’elle permet la recherche des clades, des lignées – sera celle qui permettra de reconstituer la généalogie.
On considère souvent que la généalogie et la phylogénie ne font qu’un. Il est préférable de réserver le terme «phylogénie» à l’«histoire des groupes», au sens large en y incluant non seulement la séquence généalogique, mais aussi le scénario de différenciation des taxa.
Une fois la généalogie retrouvée au moyen de la méthode mise au point par Hennig, par la recherche des groupes-frères au moyen des caractères dérivés partagés, il existe alors deux manières d’en tirer une classification. Ces deux façons s’opposent et sont au cœur de la controverse entre cladistes et éclectistes ou évolutionnistes.
Cette controverse peut se résumer en une question simple. Dans la classification formelle, doit-on, au moyen de la hiérarchie et des catégories linnéennes, ne traduire que la séquence généalogique ou peut-on traduire, dans une même convention d’écriture, à la fois la généalogie et, en plus, la divergence morphologique?
La réponse à cette question établit la frontière entre les deux écoles.
La classification cladistique
Les cladistes pensent que la classification formelle – ce système de mots définissant les groupes ou les ensembles emboîtés – doit être une traduction littérale du graphe généalogique. Ce qui importe dans la généalogie, c’est de réunir ensemble tous les descendants d’un même ancêtre. Alors, seuls les groupes qui répondent à ce critère mériteront d’être nommés et retenus dans la classification. Ces groupes, dits «monophylétiques», peuvent occuper n’importe quel rang dans la hiérarchie. Il s’ensuit que le diagramme généalogique – le «cladogramme» – ou la classification cladistique sont strictement équivalents.
Sans entrer dans le détail, un exemple simple permet de mieux saisir l’originalité de ce type de classification. Prenons celui des Vertébrés. Dans la classification traditionnelle, on y distingue les six «classes» suivantes: Agnatha (lamproies et myxines), Pisces , Amphibia , Reptilia , Aves , Mammalia . Dans plus d’un manuel traitant des relations entre les membres de cet ensemble, on peut lire des phrases du type: «Les Reptiles ont donné naissance aux Mammifères et aux Oiseaux.» Quel sera alors le statut du groupe des Reptiles dans un contexte cladistique?
Puisque la seule obligation est de nommer les groupes monophylétiques et eux seuls, de grouper sous un même nom, dans une même entité, un ancêtre et tous ses descendants, nous sommes alors obligés d’admettre que les Mammifères, les Oiseaux et les Reptiles doivent tous être inclus dans un ensemble unique, mais que les Reptiles n’ont pas de raison d’être maintenus comme une entité si les formes qui y sont traditionnellement incluses ont des relations généalogiques plus étroites avec d’autres groupes comme les Mammifères et les Oiseaux. Dans une classification cladistique, un groupe des Amniotes est légitime au même titre que les Mammifères ou les Oiseaux, alors que le groupe Reptiles sera rejeté. Un caractère parmi d’autres est une exclusivité des Amniotes et justifie pleinement ce groupement: tous se distinguent de l’ensemble des autres Vertébrés par la présence d’un amnios qui protège le fœtus.
Les Mammifères et les Oiseaux ont chacun des traits originaux qui permettent d’inférer une profonde unité de chacun, donc leur monophylie. Mais s’ils ont des ancêtres parmi les Reptiles, il s’ensuit logiquement que certains d’entre eux – ceux qui leur sont étroitement apparentés – ne peuvent appartenir à deux groupes à la fois et demeurer au sein des Reptiles. C’est là que la classification cladistique montre son originalité: puisque les Reptiles ne groupent pas tous les descendants d’un même ancêtre – les Mammifères et les Oiseaux formant des groupes autonomes –, ils constituent un groupe-souche dit «paraphylétique» mais ne forment pas un ensemble monophylétique strict qui puisse être retenu dans la classification.
En raisonnant de la sorte, on découvre alors que nombre de groupes de la classification traditionnelle héritée de Linné et de ses successeurs ne sont pas des entités historiques «naturelles», monophylétiques. C’est par exemple le cas des Agnathes, des Poissons, des Amphibiens, et des Reptiles parmi les Vertébrés, mais aussi celui des Apterygotes parmi les Insectes et de nombreuses autres formes d’Invertébrés, des Cryptogames, des Gymnospermes parmi les Plantes. Tous ces ensembles, malgré leur utilité pratique traditionnelle, ne répondent pas au critère de monophylie nécessaire pour qu’ils puissent être nommés et retenus dans une classification cladistique.
Cette façon de traiter le problème peut paraître d’un formalisme inutile. En fait, la monophylie implique une communauté d’origine étroite entre tous les membres du groupe, c’est-à-dire une histoire commune autonome. Le groupe monophylétique est une entité historique, alors, il a des limites naturelles et peut être véritablement défini par les taxa qui le composent. Toute inférence à propos de ses membres permet de faire des généralisations justifiées puisqu’elles sont liées à une proximité d’origine.
Dans le cadre de l’utilisation pratique des classifications, il s’agit d’une amélioration notable. Songeons, par exemple, à l’expérimentation animale en thérapeutique humaine: l’utilisation d’Anthropoïdes fournit le plus souvent une information plus crédible que celle obtenue à partir de cobayes ou de rats de laboratoire du simple fait de la plus grande proximité généalogique entre ces primates et l’homme. Cet exemple est trivial, mais il le devient moins lorsqu’il s’agit de tester des séries de parasites ayant des hôtes restreints: une classification cladistique des animaux hôtes devient alors de la plus grande importance pour mieux concentrer les efforts et éviter des erreurs coûteuses.
La systématique éclectique ou évolutionniste
Cette école de systématique qui a influencé toute la discipline depuis la Seconde Guerre mondiale prend sa source bien avant le cladisme. Elle se réfère expressément à la pensée taxonomique de Darwin qui, dans l’Origine des espèces (1859), s’est montré particulièrement explicite à ce sujet en écrivant: «La généalogie en elle-même ne fournit pas la classification» et «Je crois que l’arrangement des groupes [...] en une subordination et une relation correcte des uns avec les autres doit être strictement généalogique pour être naturel; mais le degré de différence dans les branches ou groupes multiples, même s’ils sont alliés à un même degré à leur progéniteur commun, peut différer grandement, en fonction des différents degrés dans la modification qu’ils ont subie; et cela s’exprime par les formes que l’on range dans différents genres, familles, sections ou ordres.»
Ainsi, tout en estimant indispensable de fonder la classification sur la généalogie, Darwin et, à sa suite, les taxonomistes éclectiques comme Mayr et Simpson – les chefs de file de cette école – estiment que la classification doit aussi rendre compte du degré de divergence. Cette idée se manifeste par une conception différente de la monophylie des groupes. Pour Mayr, est monophylétique un «groupe qui réunit les descendants d’un même ancêtre» mais pas obligatoirement tous ceux-là.
Pour reprendre notre exemple initial, dans une classification de type «évolutionniste», des groupes comme les Poissons, les Agnathes ou les Reptiles, puisqu’ils réunissent les descendants d’un même ancêtre, sont reconnus comme valides et sont nommés.
Nous sommes alors confrontés à un dilemme, car, au nom de l’évolution, il est possible de justifier un très grand nombre de groupes traditionnels qui ne constituent ni ne représentent vraiment des groupes naturels, mais sont strictement typologiques. En effet, à y bien réfléchir, compte tenu de l’unité de la descendance, l’ensemble du monde vivant ne constitue théoriquement qu’un arbre phylétique unique au sein duquel tous les êtres partagent une quantité d’ancêtres communs.
L’école évolutionniste se défend néanmoins de justifier tous les groupements car, si elle admet les groupes-souches (ou paraphylétiques), elle rejette les ensembles polyphylétiques, c’est-à-dire les assemblages de taxa ayant des ancêtres éloignés phylogénétiquement. Il n’est pas possible, dans une classification de ce type, de nommer des groupes composés, par exemple, d’animaux ou de plantes ayant acquis des caractères distinctifs similaires par convergence, c’est-à-dire indépendamment dans des lignées séparées depuis longtemps.
Les systématiciens évolutionnistes justifient leur approche de la taxonomie par l’idée qu’il est important de créer des catégories ou des noms particuliers pour des groupes ayant réussi une adaptation remarquable se traduisant par l’occupation d’une niche écologique nouvelle. En insistant sur la divergence par rapport à une adaptation initiale des ancêtres, ces auteurs estiment rendre mieux compte de l’information fournie par les organismes et, ainsi, aboutir à une classification ayant un contenu informatif supérieur à une classification strictement généalogique. Celle-ci n’est alors pas strictement interchangeable avec le graphe phylétique.
La classification dans ce type d’approche devient un «art» selon le mot de Simpson, dans lequel la délimitation des groupes et des catégories peut varier d’un auteur à l’autre sans que la trame généalogique ait en elle-même changé. Le systématicien introduit alors un «bruit de fond» qui peut nuire à la précision du message généalogique et qui, s’il peut se justifier en termes d’adaptation, n’en est pas moins une source de malentendus entre auteurs. La stabilité de la classification en sera affectée.
5. Catégories et règles de nomenclature dans les classifications formelles
Quelle que soit l’école de systématique adoptée, les taxa mis en évidence doivent être replacés dans un cadre plus général en une classification formelle. Comme la définit Wiley (1978), «la classification est un système de mots qui permettent de stocker et de restituer aisément l’information au sujet des taxa». Le système de classification est en fait une procédure conventionnelle et ne fait pas partie du problème scientifique de la recherche des groupes. Traditionnellement, c’est la hiérarchie linnéenne qui est employée; il s’agit d’un système de subordination: les groupes sont emboîtés selon une inclusion graduelle, des plus petits (les espèces) vers les catégories de rang supérieur (familles, ordres, classes, etc.). L’adoption de la hiérarchie linnéenne n’est pas une nécessité biologique, elle a été retenue car elle remplit l’une des conditions nécessaires pour rendre compte de la phylogénie: ce procédé permet de transcrire la position relative des groupes les uns par rapport aux autres.
Linné, à l’origine, élabora cette technique pour traduire la hiérarchie des «essences» des organismes. Il mit au point une série de catégories taxonomiques, suite d’ensembles emboîtés de plus en plus inclusifs. Il proposa à l’origine quatre catégories qui demeurent la base de nos classifications actuelles: en ordre décroissant, la classe, l’ordre, le genre et l’espèce. Coiffant le tout, Linné utilise le terme d’empire, lequel incluait l’ensemble du monde des phénomènes.
Ultérieurement, l’entomologiste Latreille introduisit la catégorie «famille», puis deux autres catégories s’y ajoutèrent: le règne et le phylum.
À l’aide de préfixes, on a pu subdiviser ces catégories en catégories intermédiaires. La chose fut rendue nécessaire par l’accroissement considérable du nombre d’organismes à classer. Ce fut également un résultat de l’arrangement hiérarchique des groupes en ensembles emboîtés.
La hiérarchie complète des catégories taxonomiques telle qu’elle peut exister pour les groupes particulièrement nombreux peut comprendre, comme dans le cas de la classification des Mammifères proposée par Simpson (1945), vingt et une catégories, du règne à l’espèce:
DIR
\
règne phylum sous-phylum superclasse classe sous-classe infra-classe cohorte super-ordre ordre sous-ordre infra-ordre superfamille famillesous-famille tribu sous-tribu genre sous-genre
espèce
sous-espèce./DIR
En utilisant systématiquement tous les niveaux «super –», «sous –» et «infra –», on peut aboutir à trente-quatre niveaux catégoriels.
Hormis l’espèce, qui correspond à une catégorie ayant une réalité biologique, toutes les autres catégories sont de convention et ne peuvent être définies a priori. Il s’ensuit que la coordination des catégories n’a de sens qu’au sein d’une lignée; hors de cette dernière, les catégories peuvent recouvrir une tout autre réalité. Ainsi, une famille ou un ordre de Mammifères ne correspondent que très approximativement à une famille ou un ordre de Poissons ou d’Insectes quant au nombre d’espèces, au degré de divergence entre familles ou ordres voisins. Si l’on cherchait à coordonner toutes les catégories pour l’ensemble du monde animal, il apparaîtrait à l’évidence que les ordres de Mammifères devraient logiquement être alors équivalents à des sous-familles ou à des tribus comparés à des embranchements (phyla ) d’Invertébrés comme les Insectes ou les Mollusques.
Une classification éclectique, prenant en compte la similitude et la divergence morphologiques, placera sur un plan d’égalité, c’est-à-dire au même rang, des groupes qui, d’un point de vue strictement généalogique, devraient occuper des niveaux différents dans la hiérarchie.
Ainsi, pour les Reptilia , Aves , Mammalia , Mayr ou Simpson maintiennent-ils un rang de «classe», même si ces groupes ne peuvent être considérés comme équivalents au point de vue de leurs relations de parentés.
Ce type de classification, en rejoignant la classification traditionnelle, conserve donc, pour une part, la notion «essentialiste» de «plan d’organisation» particulier à chacun des groupes.
Quand Hennig conçut la systématique cladistique (ou systématique phylogénétique), il réalisa le fossé creusé par rapport aux classifications traditionnelles et rejeta dans un premier temps une partie des catégories linnéennes. Pour exprimer la hiérarchie, il conserva néanmoins un système de subordination stricte, impliquant l’inclusion des groupes les uns dans les autres. Mais un tel système se révèle impraticable pour les groupes fortement diversifiés, par manque de catégories disponibles. En effet, la succession de groupes monophylétiques, donc le nombre de catégories entre deux niveaux comprenant n taxa spécifiques, doit être alors égal à n -1. Si le nombre d’espèces placées dans la séquence généalogique dépasse 35, il n’est plus possible d’utiliser l’arsenal des noms de catégories linnéens qui se trouve épuisé.
Pour maintenir la classification par subordination, Hennig proposa donc d’utiliser une notation chiffrée permettant de traduire les rangs relatifs des groupes.
L’abandon des noms de catégories traditionnels hérités de Linné allait à l’encontre d’un des buts de la classification formelle: la communication aisée entre systématiciens. Au nom de la logique interne, la mémorisation des rangs relatifs était rendue très difficile, voire impossible, par le recours aux chiffres.
Les objections à ce système de notation et à la multiplication des rangs taxonomiques ont été nombreuses parmi les systématiciens: il suffisait en effet d’introduire dans le cladogramme un taxon supplémentaire pour qu’ipso facto les rangs relatifs des taxons soient modifiés en aval, obligeant à refondre toute cette partie de la classification: par exemple, lors de l’introduction d’un taxon fossile, il fallait parfois changer tous les rangs des taxons actuels, perturbant inutilement la classification considérée à juste titre comme stabilisée. Ajoutons qu’à chaque changement il faut aussi changer les désinences des noms, codifiés en application des règles de nomenclature. On peut aboutir dans cette procédure à un bouleversement du message pour une information nouvelle minime. C’est le contraire du but poursuivi par la systématique.
En définitive, la subordination stricte ne peut s’appliquer aux classifications généalogiques tant que l’intégralité absolue des taxa n’y a pas été incluse, idéal évidemment illusoire.
Pour remédier à cet inconvénient majeur et traduire néanmoins la hiérarchie sans remanier inutilement la nomenclature, certains systématiciens ont introduit une procédure nouvelle qui permet de transcrire aussi précisément que possible la hiérarchie sans les inconvénients de la subordination: la mise en séquence.
Dans la classification formelle, l’ordre successif des noms reproduit la séquence d’apparition des taxons dans la généalogie: le nouveau taxon est placé dans la séquence juste avant le groupe dont il est le «groupe-frère». Cette façon de construire la classification présente l’avantage appréciable de ne pas perturber inutilement une classification stable tout en permettant d’inclure autant de nouveaux taxons que souhaitable.
La classification linnéenne traditionnelle peut ainsi être adaptée pour répondre aux impératifs d’une phylogénie complexe et, en utilisant la subordination, la mise en séquence et un certain nombre de signes diacritiques particuliers (pour les fossiles notamment), elle peut être parfaitement explicite et complète tout en répondant au critère de stabilité nécessaire à la perpétuation du message.
6. La nomenclature en tant que code et la notion de type
Les nomenclatures utilisées en botanique, en zoologie et en microbiologie sont un élément essentiel dans la systématique, mais elles ne font pas partie intégrante de l’investigation scientifique. La codification des noms, introduite par Linné et adoptée depuis par une majorité de naturalistes, a abouti aux codes de nomenclature en usage aujourd’hui qui permettent de communiquer entre biologistes des différents domaines.
Le but initial de ces codes a été et demeure d’assurer la stabilité des noms des taxons afin d’éviter d’introduire une confusion inutile. Que serait devenue la communication à propos des objets naturels si les noms qui les désignent changeaient au gré des cultures, des auteurs ou des théories en vigueur? Il s’agissait, par les codes de nomenclature, d’assurer aux noms scientifiques appliqués à des objets naturels un statut de nom propre.
Bien que la nomenclature soit souvent vue par les biologistes non systématiciens comme un formalisme désuet, il s’agit en réalité d’un élément majeur dans la transmission du message.
Une autre confusion règne parfois, aussi bien chez les systématiciens que parmi les autres chercheurs à propos de la notion de type . Les codes zoologiques et botaniques font référence, pour les noms scientifiques, à des types: ainsi un nom d’espèce est-il attaché à un exemplaire précis ou à un échantillon que l’on nomme type (selon le cas, holotype, cotype ou lectotype). L’espèce ne peut validement être nommée que si elle est accompagnée par ailleurs d’une définition. Il s’ensuit fréquemment une confusion entre le type et la définition de l’espèce, ce qui conduit à une conception fixiste ou essentialiste.
En réalité, le type tel qu’il est conçu dans la littérature scientifique actuelle n’est pas un concept. Il s’agit bien d’un exemplaire réel, attestant que le nom (qui est, de fait, un nom propre) est bien attaché à un objet concret.
Par extension, les systématiciens définissent pour chaque catégorie supérieure à l’espèce un type: l’espèce-type d’un genre, le genre-type d’une famille. Dans ces cas, il s’agit effectivement de concepts, mais ce n’est pas l’espèce-type qui définit le genre ni le genre-type qui définit la famille. Ils constituent, comme l’exemplaire (ou les exemplaires) type de l’espèce, des «preuves» de la réalité d’un contenu objectif de ces catégories supra-spécifiques.
systématique [ sistematik ] adj. et n. f.
• 1552, répandu XIXe; lat. systematicus; gr. sustematikos
I ♦ Adj.
1 ♦ Didact. Qui appartient à un système (I), est intégré dans un système. Opinion systématique.
♢ Qui constitue un système. « Dès que l'esprit commence à se faire une représentation systématique de la nature » ( France).
2 ♦ Relatif à un système (II). Méd. Affections systématiques, limitées à un système de fibres de même fonction. Lésion systématique. — Qui forme un système abstrait. Raisonnement systématique. Délire systématique. ⇒ systématisé.
3 ♦ Cour. Qui procède avec méthode, dans un ordre défini, pour un but déterminé. ⇒ méthodique, réglé. Un travail, une discussion systématique.
♢ ( XXe) Souvent péj. Cohérent, soutenu; qui ne se dément pas. Intention, volonté systématique de nuire. Une exploitation, un vol systématique. ⇒ organisé. Un refus systématique, entêté. Soutien systématique à une politique, absolu, inconditionnel. — Fam. C'est systématique chez lui. ⇒ habituel, invariable. Par méton. Un menteur systématique (qui ment systématiquement, toujours).
4 ♦ Qui pense ou agit selon un système. Esprit systématique. ⇒ déductif, 2. logique, méthodique. — Péj. Qui est péremptoire et dogmatique, préfère son système à toute autre raison. ⇒ doctrinaire, dogmatique.
II ♦ N. f. (déb. XXe) Didact. Science des classifications des formes vivantes. ⇒ taxinomie. « La systématique cherche à établir une classification naturelle reposant sur la phylogénèse » (A. Tétry).
♢ Ensemble de vues et de méthodes relevant d'un système de pensée. « la systématique freudienne » (Ricœur).
⊗ CONTR. Empirique.
● systématique adjectif (bas latin systematicus, du grec sustêmatikos) Qui est fait avec méthode, procède d'un ordre déterminé à l'avance : Un classement systématique. Qui pense et agit selon un système, d'une manière absolue, sans jamais se démentir : Une opposition systématique. Qui juge de façon péremptoire selon son propre système de valeurs. Qui se fait de manière invariable : Dès que je dis blanc, il dit noir, c'est systématique. Relatif à un système, à une systématique. ● systématique (expressions) adjectif (bas latin systematicus, du grec sustêmatikos) Échantillonnage systématique, méthode d'échantillonnage qui permet d'extraire un échantillon représentatif d'une population lorsque celle-ci a été ordonnée suivant un système. ● systématique (synonymes) adjectif (bas latin systematicus, du grec sustêmatikos) Qui est fait avec méthode, procède d'un ordre déterminé à...
Synonymes :
- méthodique
Qui se fait de manière invariable
Synonymes :
Relatif à un système, à une systématique.
Synonymes :
- déductif
- logique
● systématique
nom féminin
Ensemble de faits, de données, de méthodes érigés en système ou relevant d'un système.
Méthode de classification biologique des êtres vivants. (Initialement fondée sur des critères morphologiques [classification de Linné], la systématique s'est ensuite appliquée à prendre en compte l'évolution des espèces [systématique phylogénique] et, de plus en plus, à les regrouper sur la base de caractères spécifiques [systématique cladistique].)
systématique
adj. et n. f.
rI./r adj.
d1./d Qui obéit à un système; qui témoigne de rigueur, de méthode. Recherche systématique.
d2./d Péjor. Qui a ou qui dénote l'esprit de système, le parti pris. Opposition systématique.
rII./r n. f. SC NAT Science de la classification des êtres vivants (en embranchements, classes, ordres, etc.).
— Par ext. Cette classification.
⇒SYSTÉMATIQUE, adj. et subst. fém.
I. — Adjectif
A. — [Corresp. à système A]
1. [En parlant d'un philosophe, d'un scientifique, d'un théoricien] Vieilli. Qui pense, conduit sa recherche, formule ses hypothèses en se fondant sur un système. Le philosophe systématique et le moraliste sont volontiers mal ensemble (SAINTE-BEUVE, Pensées, 1840, p. 23). De nombreux philosophes (...) les uns logiciens et systématiques (Kant) les autres romanesques et sentimentaux (Schelling) (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 369).
♦ Esprit, pensée systématique. Esprit, pensée méthodique, ordonné(ée). L'esprit systématique s'est d'abord extasié sur la symétrie (CONSTANT, Esprit conquête, 1813, p. 170). Qu'est-ce qu'une pensée qui ne serait point systématique? (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 75).
2. a) [Corresp. à système A 1; en parlant des connaissances, des démarches, des travaux scientifiques] Qui est conforme à un système (de connaissance, d'analyse, d'étude, de raisonnement). Synon. méthodique. De façon systématique; exposé, inventaire, relevé systéma-tique; description, enquête systématique; étude systématique d'un problème; entreprendre une prospection systématique. Quand les notions scientifiques précises manquent, on construit une hypothèse systématique sur les causes de ce qu'on observe (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 187). Aussi pourrait-on établir une véritable identité entre la connaissance systématique qui progresse en questionnant et organisant sans cesse et la connaissance philosophique qui est une réponse perpétuellement élaborée à la suprême question posée à l'existence (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 54).
b) [En taxinomie; corresp. à système A 2] Classification systéma-tique de nos connaissances. Des rapports et des liens systématiques difficiles à démêler dans l'enchaînement du discours (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 366). Du moins la classification systématique et la distribution quasi-spontanée des individus en classes se soutiennent mutuellement (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 336).
— LING. Cette conception systématique de la langue qui aboutit, en dernier ressort, à définir chaque élément du système essentiellement par sa situation dans le système, est étroitement liée à l'idée de structure (Traité sociol., 1968, p. 269).
B. — Souv. péj.
1. [En parlant d'une pers.]
a) Qui fait prévaloir le système sur les données de l'expérience, sur la connaissance du réel. On verra jusqu'à quel point peut aller la sottise d'un écrivain dogmatique, systématique et pédant (LÉAUTAUD, Théâtre M. Boissard, 1943, p. 204).
b) Qui est une personne à principes. [Madame de Genlis] nous avait élevés avec férocité, ma sœur et moi. Levés à six heures du matin, hiver comme été (...). Elle était systématique et sévère (HUGO, Choses vues, 1885, p. 61).
2. [P. oppos., au XIXe s., à la méd. exp.] Médecine systématique. La médecine expérimentale reste toujours ouverte à l'admission des progrès qui apparaissent, tandis que la médecine systématique s'oppose à tout ce qui ne rentre pas dans son système (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 116).
— [En parlant d'une pers.] Ces deux foyers se trouvent souvent confondus dans les écrivains systématiques, sous le nom d'épigastre (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 418). Empl. subst. Le progrès consiste donc à chercher à détruire la théorie. Le systématique, au contraire, cherche à tout ramener à son système, se croit déshonoré s'il change d'opinion, tandis que l'expérimentateur s'en réjouit (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 121).
C. — P. méton.
1. [En parlant d'une action, d'une attitude] Qui est radical, ou habituel, délibéré et sans défaillance. Une opposition, un refus systématique; chez lui, c'est systématique, il dit toujours non! La destruction systématique des moustiques (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, [1943], p. 60).
2. [En parlant d'une pers.] Inconditionnel. Cette jalousie sourde en fit l'adversaire systématique de Florent (ZOLA, Ventre Paris, 1873, p. 747).
D. — MÉD. [Corresp. à système C 2] Affections systématiques. ,,Affections qui se limitent à un système de fibres de même fonction`` (ROB. 1985).
— PSYCH., vieilli. Délire systématique. Synon. de délire systématisé. Voici en quelques mots un grand délire dont les diverses parties sont suffisamment coordonnées, qui a une certaine unité, c'est ce qu'on appelle en psychiatrie un délire systématique ou une paranoïa (JANET, Obsess. et psychasth., t. 2, 1903, p. 507).
II. — Subst. fém.
A. — ,,Partie d'une science ayant pour objet la mise en système, c'est-à-dire la classification logique, des espèces étudiées par cette science`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962). Synon. taxinomie. Systématique évolutive. Les concepts de la systématique en biologie, qui ne retiennent que les caractères présentés de façon identique par tous les individus de l'espèce ou du genre (MARROU, Connaiss. hist., 1954, p. 160). Ainsi la systématique, science toujours en devenir, présente-t-elle des fluctuations (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 666).
♦ Systématique linéenne. ,,Système de classification utilisant les binômes latins`` (Méd. Biol. t. 3 1972).
B. — Ensemble des principes ou méthodes se rapportant à une théorie. Les auteurs récents ont préféré (...) fonder une systématique des tempéraments sur des notions plus élaborées (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 188).
REM. Systématisme, subst. masc. Caractère systématique. Après un certain temps d'empirisme et de systématisme qu'elles doivent traverser (...) les sciences tendent d'elles-mêmes à se constituer expérimentalement et aujourd'hui la médecine présente cette tendance d'une manière évidente (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 299).
Prononc. et Orth.:[sistematik]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. A. 1. [1552 adj. sistematice « relatif à un système (du pouls) » (PARADIN, Methode de Fuchs, p. 441, éd. ds GDF. Compl.: L'equalité et inequalité que l'on apperçoit estre es pouls, se nomme en grec , sistematice, en latin collectiva, collective)]; 1584 (SIMON GOULART, Trad. des Devins de Peucer, 411 ds DELB. Notes mss: Inesgalité systematique); 1721 sistematique (Trév. qui atteste également systématique); 1832 (RAYMOND: Quelquefois il est sub-stantif, et l'on dit, Laissons de côté le systématique, pour dire, tout ce qui tient à un système, tout ce qui a l'apparence d'un problème, d'une hypothèse); 2. 1747 adj. esprit systématique « qui conçoit un système » (VAUVENARGUES, Du génie ds LITTRÉ); 1765 (Encyclop. t. 12, p. 515a, s.v. philosophie); 1771 adj. (Trév.: Sistématique, se dit aussi des gens à sistêmes, des faiseurs de sistêmes); 1807 péj. systématique (STAËL, Corinne, t. 2, p. 129); 3. 1771 adj. et subst. sistématique « relatif à ce qui ne porte que sur des conjectures, des suppositions » (Trév.). B. 1904 subst. fém. (Nouv. Lar. ill.: Systématique. Partie de l'Histoire naturelle qui traite de la classification des êtres et qui comprend leur description); cf. en 1832 le subst. masc. plur. (RAYMOND: systématiques. C'est ainsi que l'on a nommé une classe d'écrivains botanistes qui, dans leurs écrits et dans leurs discours, voulaient faire prévaloir leur système sur la formation et les qualités des plantes). Empr. au gr. « qui forme un tout, repose sur un ensemble de principes », terme de métr. « qui forme un tout, un ensemble » (d'où le b. lat. systematicus « id. » IVe s. ds GDF.) et de méd. « continu, fréquent (en parlant du pouls) », dér. de , v. système. Fréq. abs. littér.:708. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 578, b) 1 603; XXe s.: a) 586, b) 1 306.
DÉR. Systématicien, -ienne, subst. Spécialiste de la systématique, de la classification. Synon. taxinomiste. La classification était livrée à l'arbitraire du systématicien qui subissait à son insu la tendance naturelle de son esprit, soit diviseur ou réunisseur (CUÉNOT, J. ROSTAND, Introd. gén., 1936, p. 72). — [], fém. [-]. — 1re attest. 1936 (CUÉNOT, J. ROSTAND, loc. cit.); de systématique « système de classification », suff. -ien; cf. l'angl. systematician « id. » dep. 1886 ds NED.
BBG. — GOHIN 1903, p. 230.
systématique [sistematik] adj. et n.
ÉTYM. 1584, inesgalité systématique; sistematique, 1552; répandu XIXe; lat. systematicus, grec sustematikos, de sustêma. → Système.
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I Adj.
1 Didact. Qui appartient à un système (I.), est intégré dans un système. || Opinion systématique. — Sc. || Noms systématiques des taxinomies zoologiques, botaniques, chimiques… — De système. || L'apparence systématique du mouvement hitlérien (cit. 2). || Qui constitue un système (I.). || Une représentation systématique de la nature (→ Miracle, cit. 5). || « Un corps systématique de tous les règlements » (Montesquieu).
2 Relatif à un système (II.). Méd. || Affections systématiques, limitées à un système de fibres de même fonction. || Lésion systématique.
♦ Qui forme un système (II., 3.) abstrait. || Raisonnement systématique.
♦ Psychiatrie. || Délire systématique (vx). ⇒ Systématisé.
3 Cour. Qui procède avec méthode, dans un ordre défini et pour un but déterminé, en ordonnant les idées en système. ⇒ Méthodique, réglé. || Un travail, une discussion systématique.
♦ (XXe; souvent péj.). Cohérent, soutenu; qui ne se dément pas. || Intention, volonté systématique de nuire… || Une exploitation, un vol systématique. ⇒ Organisé. || Un refus systématique, entêté. || Soutien, opposition systématique à une politique, absolu, inconditionnel. || Représentant qui prospecte un village « de façon systématique » (A. Robbe-Grillet, le Voyeur, p. 251).
4 Péj. Qui est dicté par un système (I.) plutôt que par le respect ou la connaissance du réel. || Médecine systématique (opposée au XIXe siècle à médecine expérimentale). || Classification systématique et arbitraire.
5 (Mil. XVIIIe). Qui pense ou agit selon un système. || Esprit systématique. ⇒ Déductif, logique, méthodique. || Les historiens systématiques (→ Humeur, cit. 6). — (1807, Mme de Staël). Péj. Qui est péremptoire et dogmatique, qui préfère son système à toute autre raison. ⇒ Doctrinaire, entêté. — N. || Un, une systématique : un esprit, une personne systématique.
1 Sa démonstration (de La Bruyère) se noue maille à maille, pendant un, deux, trois volumes, comme un énorme filet sans issue, où, bon gré, mal gré, on reste pris. C'est un systématique qui, replié sur lui-même et les yeux obstinément fixés sur son rêve ou sur son principe, s'y enfonce chaque jour davantage, en dévide une à une les conséquences, et tient toujours sous sa main le réseau entier.
Taine, les Origines de la France contemporaine, II, t. II, p. 106.
2 Esprit essentiellement systématique, il (P. Duhem) est attiré par les méthodes axiomatiques qui posent des postulats précis pour en tirer, par des raisonnements rigoureux, des conclusions inattaquables : il en apprécie la solidité et la rigueur, il n'est point rebuté par leur sécheresse et leur abstraction.
L. de Broglie, Nouvelles perspectives en microphysique, p. 317.
6 (Comportements, états psychologiques et affectifs, etc.). Habituel et invariable. || Cette réaction est systématique chez lui.
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II N. f. (Déb. XXe). Didact.
1 Science des classifications des formes vivantes (botanique, zoologie), des espèces chimiques. || Systématique fondée sur les caractères externes, internes, anatomiques. || « La systématique cherche à établir une classification naturelle reposant sur la phylogénèse » (A. Tétry, Zoologie, t. I, Introd., in Encycl. Pléiade). ⇒ aussi Taxonomie.
2 Ensemble de vues et de méthodes relevant d'un système de pensée.
3 J'ai appelé dessaisissement ou déprise ce mouvement auquel me contraint la systématique freudienne; c'est la nécessité de ce dessaisissement qui justifie le naturalisme freudien.
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CONTR. Empirique.
DÉR. (De II.) Systématicien, systématiquement.
COMP. Antisystématique, asystématique.
Encyclopédie Universelle. 2012.