néant [ neɑ̃ ] nominal et n. m. I ♦ Nominal (conservé dans quelques expr.) Rien. Vx « C'est un homme de néant » (Logique de Port-Royal),sans mérite. « des gens de néant » (Montesquieu),sans naissance, obscurs. « Pour néant » (La Fontaine),pour rien, inutilement.
♢ Mod. Réduire qqch. à néant. ⇒ anéantir, annihiler. « La seule approche de cet homme avait réduit à néant son espoir » (F. Mauriac). Ellipt Admin. NÉANT : rien à signaler. Signes particuliers : néant.
II ♦ N. m.
1 ♦ UN NÉANT.Vx Chose, être de valeur nulle. « Un néant à l'égard de l'infini » (Pascal). « Un de ces néants que la jeunesse revêt un instant de rayons » (F. Mauriac).
2 ♦ (XVIIe) Vx Situation obscure. « Rentre dans le néant dont je t'ai fait sortir » (Racine). — Mod. et littér. Le néant de qqch., valeur, importance nulle. ⇒ faiblesse, misère. Avoir le sentiment de son néant. « le néant de ce pourquoi elle luttait » (F. Mauriac). ⇒ inanité.
3 ♦ (1637) Absolt, cour. Ce qui n'est pas encore, ou n'existe plus. « l'homme est matière; il sort du néant, il rentre dans le néant » (Hugo). « Des êtres que leur inventeur pourrait se flatter d'avoir tirés tout entiers du néant » (F. Mauriac). ⇒ créer. « Éternité, néant, passé » (Lamartine). — Fin de l'être, mort. « la terreur de ce néant inévitable, détruisant toutes les existences » (Maupassant).
♢ Philos. Non-être. « je suis comme un milieu entre Dieu et ce néant » (Descartes). « le néant, conçu comme une absence de tout » (Bergson). « L'Être et le Néant », ouvrage de Sartre.
⊗ CONTR. 2. Être, existence.
● néant nom masculin (latin populaire ne gentem, personne) Le non-être, le fait de ne pas être, de ne plus être. La non-existence, ce qui précède ou suit l'existence : Retourner au néant. Le peu de valeur de quelque chose, de quelqu'un : Le néant de la gloire. Absence totale, vide : Le néant total de sa pensée ne vous a pas frappé ? En style administratif, absence totale de certains éléments, rien à signaler : Signes particuliers : néant. ● néant (citations) nom masculin (latin populaire ne gentem, personne) Gaston Bachelard Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962 La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire, c'est la pensée du néant. La Dialectique de la durée P.U.F. Jacques Bénigne Bossuet Dijon 1627-Paris 1704 […] Tout ce qui est né pour finir n'est pas tout à fait sorti du néant, où il est aussitôt replongé. Oraison funèbre d'Henriette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans Jacques Bénigne Bossuet Dijon 1627-Paris 1704 Qu'il y ait un seul moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera. Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même Maurice Chapelan 1906-1992 Le néant se nie s'il se nomme. Main courante Grasset René Descartes La Haye, aujourd'hui Descartes, Indre-et-Loire, 1596-Stockholm 1650 Je suis comme un milieu entre Dieu et le néant. Méditations Henri Fauconnier 1879-1973 Les catholiques envisagent l'enfer sans en mourir, c'est plus confortable que rien. Malaisie Stock Jean Grosjean Paris 1912 L'être existe parce que le néant le lui demande en grâce. Apocalypse Gallimard Jules Laforgue Montevideo 1860-Paris 1887 Vie ou néant ! choisir. Ah ! quelle discipline ! Que n'est-il un Éden entre ces deux usines ? Les Complaintes, Complainte des voix sous le figuier bouddhique Jules Laforgue Montevideo 1860-Paris 1887 L'homme entre deux néants n'est qu'un jour de misère. Poèmes posthumes, Sonnet pour éventail Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Le Néant parti, reste le château de la pureté ! Igitur, V François Mauriac Bordeaux 1885-Paris 1970 Académie française, 1933 La poussière n'est pas encore le néant : elle aussi doit être dispersée. Journal Grasset William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 Pesez des serments avec des serments et vous pèserez le néant. Weigh oath with oath, and you will nothing weigh. Le Songe d'une nuit d'été, III, 2, Helena ● néant (expressions) nom masculin (latin populaire ne gentem, personne) Réduire quelque chose à néant, le supprimer, l'annihiler. Tirer quelqu'un du néant, l'aider à s'élever dans l'échelle sociale à partir d'une situation misérable. ● néant (synonymes) nom masculin (latin populaire ne gentem, personne) Le non-être, le fait de ne pas être, de ne...
Synonymes :
- rien
Absence totale, vide
Synonymes :
- déficience
- manque
- vide
néant
n. m.
d1./d Rien; état de ce qui n'existe pas.
— Loc. Réduire à néant: anéantir. Tous ces projets réduits à néant.
|| Ellipt. Aucun. Signes particuliers: néant.
d2./d Absence de valeur d'une chose. Il a parfaitement conscience du néant des honneurs qu'on lui rend.
|| Tirer qqn du néant, le tirer d'une condition obscure pour le placer dans une situation honorable.
d3./d PHILO Ce qui n'a pas d'être, le non-être (par oppos. à l'être.) "L'être et le Néant", essai de Jean-Paul Sartre (1943).
⇒NÉANT, subst. masc.
A. —Subst. masc.
1. Non-être.
a) PHILOS. ,,Absence, soit relative, soit absolue, d'être ou de réalité`` (FOULQ.-ST-JEAN 1962).
♦[Le néant signifie la privation de l'être] Je ne peux, dit Descartes, m'expliquer que je sois exposé à l'erreur que si je me considère comme participant en quelque façon du néant ou du non-être (J. BEAUFRET, La Pensée du néant dans l'oeuvre de Heidegger ds La Table ronde, mars 1963, p.77):
• 1. C'était impensable: pour imaginer le néant il fallait déjà qu'on se trouve déjà là, en plein monde et les yeux grands ouverts et vivant; le néant, ça n'était qu'une idée dans ma tête, une idée existante flottant dans une immensité: ce néant n'était pas venu avant l'existence, c'était une existence comme une autre et apparue après beaucoup d'autres.
SARTRE, Nausée, 1938, p.171.
♦[L'être lui-même est le néant] Si en effet le néant n'est rien d'étant, c'est-à-dire rien de l'étant dont il nomme le tout à fait autre, est-il rien pour l'étant de plus radicalement autre que l'altérité de l'être (J. BEAUFRET, La Pensée du néant dans l'oeuvre de Heidegger ds La Table ronde, mars 1963, p.79):
• 2. Mais si l'être, comparé à l'étant, est de fond en comble néant, au point que la pensée, dit Platon, ne peut supporter qu'avec peine ce climat d'inanité radicale où ses points d'appui ordinaires lui font défaut, gardons-nous toutefois de confondre le néant de l'être avec un néant de nullité. Il s'agit en effet de pureté et non de nullité. Le néant de l'être n'est en aucune façon l'absolument nul, le vide de l'essence.
J. BEAUFRET, Introd. aux philos. de l'existence, Paris, Denoël, 1971, p.123.
SYNT. Effroi, horreur, obsession, sentiment, vertige du néant; rentrer, retomber, sombrer, retourner dans le néant; sortir du néant.
b) [Dans une certaine tradition religieuse] Ce qui précède ou suit la vie de la créature. Il ne voit et n'entend plus rien: c'est le néant du tombeau (CRÈVECOEUR, Voyage, t.3, 1801, p.238). La vie présente, n'étant plus l'être, est évidemment, comme je viens de le dire, le non-être, le néant, la mort (P.LEROUX, Humanité, 1840, p.223):
• 3. L'univers, dans cette hypothèse, n'aurait ni débris ni ruines; il deviendrait ce qu'il était avant le temps, un grain de métal aplati, un atome dans le vide, bien moins encore, un néant.
JOUBERT, Pensées, t.1, 1824, p.100.
— Tirer qqc./qqn du néant (au fig.). Créer quelque chose/ quelqu'un (ou assurer sa réussite sociale) en partant de rien. J'ai quelque mérite à avoir recueilli ces débris, à les avoir, pour ainsi dire, tirés du néant (CRÈVECOEUR, Voyage, t.1, 1801, p.VI). Il était encore tout étonné d'avoir tiré du néant une petite fille toute neuve, une petite fille aux yeux bleus, aux cheveux noirs qui était à lui (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.539).
c) THÉOL. [Exprimant la néantisation du fini par rapport à l'infini divin] Mais, dominant tout, noyant tout, son ennui devenait immense, un ennui d'homme déséquilibré, que l'idée toujours présente de la mort prochaine dégoûtait de l'action et faisait se traîner inutile, sous le prétexte du néant de la vie (ZOLA, Joie de vivre, 1884, p.1057).
2. P.anal.
a) Littér., au sing. ou au plur. Chose, personne de peu de valeur. Les rois et les reines sont des néants devant Dieu (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t.2, 1842, p.210).
b) Importance faible ou nulle de quelque chose/quelqu'un. Ô Dieu, cessez de m'affliger, puisque mes jours ne sont que néant! (CHATEAUBR., Génie, t.2, 1803, p.326). Attendre la mort pendant quarante ou soixante ans en piétinant dans du néant (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.46).
— Néant de qqc./qqn. J'ai confessé mon néant devant les voies de la Providence, et baissé mon front dans la poussière (CHATEAUBR., Essai Révol., t.1, 1797, p.213). Les momens les plus pénibles de la vie sont ceux qui montrent le néant des biens que l'on s'étoit promis (SENANCOUR, Rêveries, 1799, p.248):
• 4. Écartez toutes les impressions sensibles, toutes les causes de mouvements, il y aura un vide affreux et comme un néant d'existence pour les hommes qui ne connaissent et n'aiment que la vie des sensations; mais la pensée comblera ce vide ou le rendra imperceptible pour ceux qui sont accoutumés à la vie intellectuelle, et soit qu'ils pensent à eux ou à autre chose, même en méditant sur le néant de l'homme, ils auront une existence pleine.
MAINE DE BIRAN, Journal, 1817, p.74.
SYNT. Néant des choses humaines, de l'existence, de la gloire, de l'homme, du monde, de la mort, de la vie.
B. —[Dans qq. expr., avec la valeur d'un nom. négatif] Rien.
1. Vieux
♦Compter, tenir ... qqc./qqn pour/à néant. Compter, tenir ... quelque chose/quelqu'un pour rien. Tant de campagnes où Napoléon compta à néant la vie des hommes (CHATEAUBR., Mém., t.2, 1848, p.348). Car je tiens pour néant certaines pages intermédiaires (GIDE, Journal, 1944, p.260).
♦Qqc./qqn de néant. Quelque chose/quelqu'un sans valeur, de rien. Que Passepartout subisse le destin des puissances et souffre le murmure des êtres de néant (VEUILLOT, Odeurs de Paris, 1866, p.XIV). Une petite religieuse! une fille de néant! (MONTHERL., Port-Royal, 1954, p.1039).
♦DROIT
Mettre une appellation au/à néant; mettre l'appellation et ce dont est appel au/à néant. ,,Déclarer que la partie qui a appelé d'une sentence est déboutée de son appel; annuler et l'appel et la sentence dont il a été appelé`` (Ac. 1798-1878).
Mettre néant sur une requête (sur un article de compte). Mettre le mot néant au bas d'une requête, à côté d'un article de compte, pour marquer qu'on rejette cette démarche, cet article; au fig. refuser d'accéder à la demande de quelqu'un (d'apr. Ac. 1798-1878).
2. Usuel
♦Mettre, réduire qqc. à néant. Anéantir, réduire quelque chose à rien. Toutes confréries et maîtrises cesseraient et seraient mises à néant (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.3, 1821-24, p.110). La société, en refusant ses services, réduirait ses prétentions au néant (PROUDHON, Propriété, 1840, p.237).
♦[Employé seul, dans le style admin. ou fam.] Signes particuliers : Néant. Albumine, Sucre = Néant (Ac. 1935). Au Sénat, discussion, néant. À la Chambre, discussion, néant (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p.212). Travail: néant; et rien écrit dans ce carnet (GIDE, Journal, 1938, p.1316):
• 5. ... il vient un moment dans la vie où le chef de bureau se sent pris d'une envie subite de remplacer les rapports par des états «néant» et de pincer l'oreille de son supérieur...
BRASILLACH, Corneille, 1938, p.430.
REM. 1. Néantise, subst. fém., littér. Chose nulle, sans valeur. On étale aux yeux de l'Autriche et de la France (si toutefois la France aperçoit ces néantises) un spectacle qui rendrait la Légitimité déjà trop ravalée (CHATEAUBR., Mém., t.4, 1848, p.472). 2. Néantiste, subst. a) Athée. Vous, néantistes qui avez la superbe de votre rien (CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.623). b) Nihiliste. Je pourrais vous citer les noms de tels richards anarchisants de l'entre-deux guerres, aujourd'hui socialisants et néantistes, dont les convictions n'ont jamais rien dû à des lectures, non plus qu'à la réflexion (AYMÉ, Confort, 1949, p.148).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: neant; dep. 1740: né-. Étymol. et Hist. I. Pron. indéf. marquant à lui seul la négation totale «rien, nulle chose» A. Employé avec la négation ne fin Xe s. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 403: No's neient ci per que crement); ca 1050 (St Alexis, éd. Chr. Storey, 137: Vint en la cambre, plaine de marrement, Si la despeiret que n'i remest nïent; 529: Sil funt jeter [l'or e l'argent] devant la povre gent: Par iço quident aver discumbrement; Mais ne peut estra, cil n'en rovent nïent); ca 1100 déterminé par un subst. précédé de de (Roland, éd. J. Bédier, 2006: Rollant respunt: «Jo n'ai nient de mel»). B. Employé sans la négation ne 1. noient devant un terme autre que le verbe a) ca 1050 (St Alexis, 243: Soventes feiz lur veit grant duel mener E de lur oilz mult tendrement plurer, E tut pur lui, unces nïent pur eil); b) ca 1120-50 dans une réponse négative (Grant mal fist Adam, I 55 c ds T.-L.: Il qu'en porterat, Quant il s'en irat? Entre tot nïent); ca 1170 (MARIE DE FRANCE, Lais, éd. J. Rychner, Yonec, 383: Un lit treve e nïent plus), cf. néanmoins. Sur les rapports de noient avec rien dans cet emploi, v. R. MARTIN, v. infra bbg., p.266; c) dans la séquence subst. + de + néant 1372 gens de néant (Le Livre du chevalier de La Tour Landry, éd. A. de Montaiglon, p.255); 1404 gent de neant (CHRISTINE DE PISAN, Charles V, I, X, éd.S.Solente, t.1, p.26); 2. noient employé avec un verbe ca 1100 (Roland, 1771 ...De bataille est nient!); 3. emplois prép. a) ) ca 1165 de noient «en vain, inutilement» (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 1610); ca 1170 (CHRÉTIEN DE TROYES, Erec, éd. M. Roques, 3326: ...de neant vos penez); ) ca 1265 faire de nient, crier de nient (BRUNET LATIN, Trésor, éd. J. Carmody, I, 7, titre et 6, p.23: Comment aucunes choses furent faites de nient ...l'ame fu criee de nient); b) 1155 metre a nient «réduire à rien, détruire» (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 1926); ca 1160 tenir a neïent «tenir pour rien, pour sans valeur» (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 798); 1170 venir a neant «disparaître» (CHRÉTIEN DE TROYES, Cligès, éd. A. Micha, 2591); ca 1180 [r]aler a nïent «id.» (MARIE DE FRANCE, Fables, éd. K. Warnke, 27, 17); c) ca 1160 por nient «en vain» (Eneas, 1809); sur les relations entre nient et rien dans ces différents emplois, v. R. MARTIN, ibid., pp.269-275. C. Employé sans la négation ne, peut avoir valeur positive, notamment 1. ca 1135 dans une prop. hypothétique (Couronnement de Louis, éd. Y.A. Lepage, réd. AB, 187: Et s'il te velt de neant guerroier, Mandez en France les nobles chevaliers); 2. ca 1160 dans une complétive dépendant d'une principale négative (Eneas, 3209: Ne te porras ja de nos plaindre Que te forfaçon de nient). II. Avec valeur d'adv. «nullement, non» 1. Associé à ne ca 1050 (St Alexis, 49: Mais ç'ost tel plait dunt ne volsist nïent); ca 1100 (Roland, 306: E dit al cunte: ,,Jo ne vus aim nient``); 2. employé sans la négation ne a) ca 1050 (St Alexis, 475: Si revenisses ta spuse conforter, Pur felunie nïent ne pur lastét, v. la note de l'éd.); début XIIe s. (BENEDEIT, St Brendan, éd. E.G.R. Waters, 985: Puis après ço, nïent a tart); ca 1150 (WACE, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 270: Nient jo, mès Deus vus guarri); b) ca 1165 neient plus «pas davantage, pas plus longtemps» (BENOÎT DE STE-MAURE, Chron. des ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 32203); c) 1re moitié XIIIe s. renforce la négation nenil (Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, XXIV, 2). III. Employé comme subst. A. 1. 1160-74 «illusion, vanité» (WACE, Rou, éd. A.J. Holden, II, 4244 De paiz querre a Richart seroit fable et neens); 1228 «ce qui est sans fondement, sans consistance, mensonge» (JEAN RENART, Guillaume de Dole, éd. F. Lecoy, 3983: ...de males armes Puisse estre mes cors despeciez..., S'onqes oïstes tel noient!); 2. ca 1165 de dreit neient, de grant neient «en vain, inutilement» (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 4764, 11419); 3. 1176-81 sans valeur négative «n'importe quoi» (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier au lion, éd. M. Roques, 5759: Se vos retaingne pluie ou vanz Ou fins neanz, ne me chaut il); 4. av. 1488 en parlant d'une pers. «un rien du tout» (Farce du pauvre Jouhan, éd. E. Droz et M. Roques, 351). B. 1. a) fin XIIe s. «vide absolu, inanité de ce qui n'est pas Dieu» (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p.5, 23); b) p.ext. 1608 en parlant d'une pers., pour exprimer sa petitesse par rapport à l'infini de Dieu (FRANÇOIS DE SALES, Vie dévote, I, IX, éd. Ch. Florisoone, t.1, p.35: Dequoy te glorifies-tu, o poudre et cendre..., o vray neant?); cf. 1670 (PASCAL, Pensées, 84 ds OEuvres, éd. J. Chevalier, 1964, p.1106: Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant...); 2. philos. «le non-être», spéc. a) ) 1646 en parlant de ce qui précède l'être (ROTROU, St Genest, III, 2 ds LITTRÉ: C'est lui qui du néant a tiré l'univers); cf. 1670 (PASCAL, op. cit., 736, ds OEuvres, p.1313); ) id. «destruction d'un être vivant, la mort considérée comme l'aboutissement de tout être» (ID., op. cit., 335, ibid., p.1175 ...je sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant ou dans les mains d'un Dieu irrité); b) 1647 «le non-être, le néant absolu» (DESCARTES, Méditations, IV ds OEuvres, éd. Ch. Adam et P.Tannery, t.9, 1, p.42: Je suis comme un milieu entre Dieu et le néant, c'est à dire placé de cette sorte entre le souverain estre et le non estre). C. ca 1283 metre au nient «détruire, supprimer [les abus, les mauvais usages]» (Livre Roisin, éd. R. Monier, p.1); 1337 «annuler une disposition juridique» (doc. ds GDF.), fréq. dans ce dernier emploi. IV. Employé comme adj. 1. 1174-77 en parlant d'une pers. «sans valeur, inexistant» (Renart, éd. M. Roques, 4381); fin XIIes. (Sermons de St Bernard, p.15, 19: nos sommes si fraile et se niant chose), cf. dans divers dial. du nord, et surtout de la Normandie nient «niais, paresseux», FEW t.7, p.87a, v. aussi gnangnan; 2. ca 1210 en parlant d'une chose (Dolopathos, 397 ds T.-L.; oevre malvaise et nïant [du charpentier]). Prob. d'un lat. vulg. ne gentem (KÖRTING ds Z. fr. Spr. Lit. t.18, 1896, pp.278-80, hyp. acceptée par FEW t.7, p.87b), syntagme à rapprocher des suivants, constitués à l'époque class.: ubique gentium «partout», ubinam gentium «en quel endroit», nusquam gentium «nulle part» (cf. unde, quo, alibi, quovis, ubicumque, ubivis, usquam gentium), minime gentium «pas le moins du monde, très peu», TLL t.6, col. 1856. Pour la transposition, à la désignation de choses, de cette négation qui se référait, à l'origine, à des êtres vivants, cf. la négation all. nicht «ne... pas», m. h. all. niht, a. h. all. niwiht,(comp. de ni et de wiht «être, démon») et l'esp. nada «rien» (du lat. nata, part. passé fém. de nasci «naître»), FEW t.7, pp.87b-88a. Fréq. abs. littér.: 2934. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 3996, b) 3294; XXe s.: a)4848, b) 4386. Bbg. MARTIN (R.). Le Mot rien et ses concurrents en fr. Paris, 1966, p.130, 131, 269-272. — QUEM. DDL t.7.
néant [neɑ̃] n. m.
ÉTYM. XIVe; noiant, v. 1265, B. Latini; comme particule (cf. rien) : ne… nient, v. 1050; ne… neant, v. 1075, Chrétien de Troyes; du bas lat. ne gentem « pas une personne », p.-ê. par l'intermédiaire d'un lat. pop. negens, negentis, de ne et gens, gentis « race; habitant »; on a rapporté aussi le mot à nec entem, de ens, entis, p. prés. de esse. REM. À l'origine, nient, neient était un indéfini négatif, signifiant rien, de nature mi-pronominale, mi-adverbiale. → de nos jours les emplois du §III., ci-dessous.
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1 (1637). Absolt. Cour. « Ce qui n'existe pas, relativement à un univers du discours déterminé » (Lalande); absence de qqch. || « Un nom qu'on cherche (cit. 24) à se rappeler et à la place duquel on ne trouve que du néant » (Proust).
1 L'usage que nous faisons de la notion de néant sous sa forme familière suppose toujours une spécification préalable de l'être. Il est frappant (…) que la langue nous fournisse un néant de choses (« Rien ») et un néant d'êtres humains (« Personne »).
Sartre, l'Être et le Néant, p. 51.
♦ (En parlant de ce qui précède l'être). || Tirer du néant. ⇒ Créer. || Tirer des héros, des héroïnes (cit. 6) du néant. || Arracher de la vie au néant (en créant une œuvre; → Édifice, cit. 13). — Fig. || Un vol d'insectes (cit. 5) jailli du néant.
2 Jésus, pendant que ses disciples dormaient, a opéré leur salut. Il l'a fait à chacun des justes pendant qu'ils dormaient, et dans le néant avant leur naissance (…)
Pascal, Pensées, VII, 553.
3 (…) l'homme est matière; il sort du néant, il rentre dans le néant; il a un jour et pas de lendemain.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, « Un athée ».
4 (…) résoudre les mille problèmes que chaque heure, chaque minute fait surgir du néant.
G. Duhamel, le Temps de la recherche, XV.
♦ (En parlant de ce qui n'est plus). || Faire rentrer dans le néant. ⇒ Anéantir, anéantissement. || La journée s'enfonçait (cit. 29) dans le néant, dans le passé. || « Éternité, néant, passé, sombres abîmes » (→ Extase, cit. 5, Lamartine).
♦ Spécialt. Anéantissement, destruction d'un être vivant; la mort considérée comme fin de tout l'être (→ Athée, cit. 9). || L'oubli, le sommeil, avant-goût du néant (→ Chercher, cit. 35). || Le néant du tombeau, de la tombe…
5 (…) je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité (…)
Pascal, Pensées, III, 194.
6 (…) après avoir fait, ainsi que des fleuves, un peu plus de bruit les uns que les autres, ils vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où l'on ne trouve plus ni rois, ni princes (…) mais la corruption et les vers, la cendre et la pourriture qui nous égalent.
Bossuet, Oraison funèbre de H. de Gornay.
7 (…) mais mon esprit ne s'arrêtait pas là; je perçais jusqu'à la nature de l'homme. Tout est-il vide et absence dans la région des sépulcres ? N'y a-t-il rien dans ce rien ? N'est-il point d'existences de néant, des pensées de poussières ? Ces ossements n'ont-ils point des modes de vie qu'on ignore ?
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. III, p. 332.
8 Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Baudelaire, Spleen et idéal, XLVII.
9 Une terreur confuse, immense, écrasante, pesait sur l'âme de Duroy, la terreur de ce néant illimité, inévitable, détruisant indéfiniment toutes les existences si rapides et si misérables.
Maupassant, Bel-Ami, I, VIII.
2 Vx. Quantité nulle. ⇒ Zéro.
10 (…) deux néants d'étendue ne peuvent pas faire une étendue (…) Quoique une maison ne soit pas une ville, elle n'est pas néanmoins un néant de ville; il y a bien de la différence entre n'être pas une chose et en être un néant.
Pascal, De l'esprit géométrique, I.
3 Philos. Ce qui n'est pas. || Le Néant absolu (⇒ Non-être). || Idée, concept de néant. || « L'impossible (cit. 24)… a deux degrés de néant » (Bossuet). || Le néant conçu comme une sorte de milieu d'où sont tirées toutes choses (⇒ Création; → Impénétrable, cit. 13, Pascal) ou duquel on ne peut rien tirer (→ Émanation, cit. 1; émaner, cit. 3, Voltaire). || Théories modernes du néant. || « Il n'y a rien dans le ciel et sur terre qui ne contienne en soi l'être et le néant » (trad. Hegel). || Selon Bergson, l'idée de Néant est une « pseudo-idée ». || Pour les existentialistes, le néant est « limitation de l'être, origine de la négation » (Cuvillier).
11 Je remarque qu'il ne se présente pas seulement à ma pensée une idée réelle et positive idée de Dieu (…) mais aussi (…) une certaine idée négative du néant c'est-à-dire de ce qui est infiniment éloigné de toute sorte de perfection, et que je suis comme un milieu entre Dieu et ce néant, c'est-à-dire placé (…) entre le souverain être et le non-être (…)
Descartes, Méditations, IV.
12 Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini.
Pascal, Pensées, II, 72.
13 Il n'y a pas de néant. Zéro n'existe pas. Tout est quelque chose. Rien n'est rien.
Hugo, les Misérables, II, VII, VI.
14 Notre vie se passe (…) à combler les vides (…) Notre spéculation ne peut s'empêcher d'en faire autant (…) Ainsi s'implante en nous l'idée (…) que le néant, conçu comme une absence de tout, préexiste à toutes choses (…) C'est cette illusion que nous avons essayé de dissiper, en montrant que l'idée de Rien (…) est une idée destructive d'elle-même (…) que si, au contraire, c'est véritablement une idée, on y trouve autant de matière que dans l'idée de Tout.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 297.
15 Lorsque Hegel écrit : « (L'être et le néant) sont des abstractions vides et l'une d'elles est aussi vide que l'autre », il oublie que le vide est vide de quelque chose. Or, l'être est vide de toute détermination autre que l'identité avec lui-même; mais le non-être est vide d'être (…) L'être est et (…) le néant n'est pas.
Sartre, l'Être et le Néant, p. 51.
♦ Affirmation du néant. ⇒ Nihilisme.
16 (…) sa lâcheté trouvait des excuses dans l'affirmation désespérée du néant; il goûtait une amère volupté à s'y abandonner, comme une épave au fil de l'eau. À quoi bon lutter ? Il n'y avait rien, ni beau, ni bien, ni Dieu, ni vie, ni être d'aucune sorte.
R. Rolland, Jean-Christophe, L'adolescent, I, p. 262.
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II Valeur, importance très faible ou nulle; chose de valeur nulle.
1 Relig. || Le néant de (qqn, qqch.) : l'inanité (cit. 1), la vanité de tout ce qui n'est pas Dieu, l'Éternité, l'Infini… || Néant de l'homme, des choses d'ici-bas. ⇒ Faiblesse (supra cit. 15), misère (→ Abject, cit. 1; désabuser, cit. 6; étourdir, cit. 16; immensité, cit. 4; insuffisance, cit. 2). || Avoir le sentiment de son néant (→ Importance, cit. 13).
17 Il (Dieu) voit comme un néant tout l'univers ensemble;
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.
Racine, Esther, I, 3.
18 Car enfin, qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant (…)
Pascal (→ Homme, cit. 51).
♦ Par analogie :
19 Mesurait-elle le néant de ce pourquoi elle luttait depuis tant d'années.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XIII.
20 (Sirius, au Soleil) Que me sert de briller auprès de ce néant ?
L'astre nain ne voit même pas l'astre géant.
Hugo, la Légende des siècles, LXI.
21 Je l'ai connu, ton Phili, — un de ces néants que la jeunesse rapide revêt un instant de rayons.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XX.
3 (XVIIe). Vieilli. Situation abjecte ou infime, obscure. || Tirer quelqu'un du néant (→ Bassesse, cit. 4).
22 Rentre dans le néant dont je t'ai fait sortir.
Racine, Bajazet, II, 1.
4 Vide intellectuel et moral.
23 C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts; dissiper, par les lumières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé; s'élever au-dessus de lui-même; s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes (…)
Rousseau, Disc. sur les sciences et les arts, I.
♦ Vide mental, sentiment d'anéantissement. — Spécialt. (En parlant de l'état mystique; → Nirvâna).
24 Ô néant, ô vrai rien, mais pesanteur extrême (…)
Mer sans rive où partout chacun peut se trouver,
Mais sans trouver partout qu'un néant en soi-même (…)
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III Nominal. (Dans des expressions où néant conserve son ancienne valeur de pronom ou d'adverbe).
1 (1549). Vx. || De néant : de rien, sans valeur. || Une chose de néant, insignifiante. || Homme de néant : homme obscur, sans mérite (→ Formel, cit. 8), ou sans naissance.
25 Louis le Débonnaire (…) ayant perdu toute sorte de confiance pour sa noblesse, éleva des gens de néant.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXXI, XXI.
3 ☑ Mod. À néant. || Réduire qqch. à néant. ⇒ Anéantir, annihiler; annihilation (→ Expliquer, cit. 27). || Réduire à néant des charges, des accusations.
4 Ellipt. (Pour exprimer qu'une chose est inexistante, nulle). || « Quant à l'esprit, néant » (Gresset). — (Dans le style administratif). Rien à signaler. || État : Néant. || Signes particuliers : Néant.
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CONTR. Être, existence.
DÉR. Néantir, néantise, néantiser.
COMP. Anéantir, fainéant (et dér.), néanmoins.
Encyclopédie Universelle. 2012.