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DURÉE
DURÉE

DURÉE

Cette notion indique l’idée de persistance d’un phénomène, de maintenance temporelle d’une réalité.

Pour saint Thomas, la durée est, suivant la formule d’E. Gilson, « de même nature que le mouvement même de l’être qui dure». Descartes, au nom du mécanisme, rejette le principe de permanence fondé par les scolastiques sur les formes substantielles. Dans son œuvre, c’est un rabattement de la durée sur l’étendue qui fonde la mesure de la durée. Cette soumission de la durée à une règle géométrique d’extension temporelle permet la réduction des rythmes phénoménaux au temps uniforme des horloges — comme épure temporelle d’un mouvement régulier uniforme, idéalement monotone, linéaire, composé d’instants successifs. Le lien entre les instants est d’extériorité pure. Aucune chose ne porte en soi le principe de sa permanence.

À partir de la dynamique leibnizienne, la compréhension du substrat physique de la mécanique change profondément. La durée est à l’ordre temporel ce que l’étendue est à l’ordre spatial. Mais cela ne signifie nullement une réduction de l’expérience spatio-temporelle à la polarité cartésienne «étendue-durée». Si l’étendue correspond aux variables extensives, la durée quant à elle renvoie à des variables intensives. Force, désir, vie, esprit sont autant d’expressions d’un même principe d’action par lequel toute individuation se réalise. Cette compréhension dynamique de la stabilité et de la permanence des formes revenait à reconnaître, sans renoncer à la physique mathématique, que la durée (comme l’étendue) est une réalité complexe, dotée d’une intériorité.

Pour sa part, Bergson a opposé une durée vivante, concrète, pure à une temporalité de type abstrait et mathématique, figée dans l’ordre géométrique. Bergson réduit le schématisme mathématique à l’étendue cartésienne, et la fonction mentale qui lui correspond à la seule « intelligence», entendue comme l’intelligence appliquée de l’ingénieur. Par conséquent, «nous ne pensons pas le temporel, mais nous le vivons, parce que la vie déborde l’intelligence» (L’Évolution créatrice ). Pourtant il y a dans la durée bergsonienne un aspect qui annonce une nouvelle pensée du temps, celle d’un temps structurant, qui serait hiérarchie de rythmes et de tensions : «Il n’y a pas un rythme unique de la durée; on peut imaginer bien des rythmes différents, qui, plus lents ou plus rapides, mesureraient le degré de tension ou de relâchement des consciences et, par là, fixeraient leurs places respectives dans la série des êtres» (Matière et mémoire ).

Cette alternative entre un temps vécu et un temps spatialisé engendre un débat à l’intérieur d’une même postulation ontologique sur la réalité du temps: le temps passe, s’écoule, il n’a d’autre réalité que ce devenir incessant où le présent s’épuise. L’expérience humaine est bornée de néant: «Comment donc ces deux temps, le passé et l’avenir, sont-ils puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore? Quant au présent, s’il était toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l’éternité» (saint Augustin, Confessions , XI, 14). Ainsi comprise, la temporalité est la dimension de notre finitude. Nous n’échappons ni au temps, ni à l’histoire. La durée des modernes est la conscience originaire de cette limite. Ainsi réduite, la temporalité renvoie nécessairement à la notion d’un temps linéaire, irréversible, uniforme, historique, profane; la durée ne peut correspondre alors qu’aux aspects les plus pauvres de la conscience. La conscience du temps constitue une donnée première à partir de laquelle l’être humain se pense dans une finitude absolue. Que ce soit la durée-mesure ou la durée-vécue, nous sommes toujours prisonniers de l’intuition temporelle du «flux», menacés, en sursis, à l’intérieur du temps. Nous sommes bordés par deux néants: le néant de la naissance et le néant de la mort. Pour la pensée de la temporalité comme flux, la durée signifie l’écartèlement de la conscience entre la certitude implacable de la mort et le désir à jamais inassouvi d’éternité.

C’est le postulat du temps-flux que Merleau-Ponty critique: «Le passage du présent à un autre présent, je ne le pense pas, je n’en suis pas le spectateur, je l’effectue [...], je suis moi-même le temps, un temps qui «demeure» et ne «s’écoule» ni ne «change » (Phénoménologie de la perception ). L’expérience humaine du temps ne saurait se réduire au flux, qui fonde aussi bien la durée éclatée de la physique galiléenne que la durée-tension de l’intuition bergsonienne. La durée n’est que par son ouverture à l’éternité au cœur de l’instant.

Par-delà le flux temporel, Husserl nomme cette ouverture « auto-manifestation» — ce que Merleau-Ponty commente ainsi: «Il est essentiel au temps de n’être pas seulement temps effectif qui s’écoule, mais encore temps qui se sait [...], archétype du rapport de soi à soi ». La phénoménologie retrouve dans son ordre propre certaines intuitions qui ont été attestées de tout temps par les pratiques contemplatives, qui visent à instaurer en l’homme une expérience du silence ou du vide de conscience. «Dans le brahman, dans le soi, le nunc fluans et le nunc stans coïncident », comme l’écrit Mircea Eliade dans Images et symboles .

durée [ dyre ] n. f.
• 1131; de durer
1Espace de temps qui s'écoule par rapport à un phénomène, entre deux limites observées (début et fin). temps. La durée d'un spectacle, d'un voyage. Durée des vacances. Pendant, pour une durée de quinze jours. 1. espace, période. « Comme un tableau est un espace à émouvoir, une pièce de théâtre, c'est une durée à animer » ( A. Gide). Durée de la vie. âge, cours, existence. Durée des fonctions d'un souverain; durée d'une influence, d'une mode. règne. Longue durée. longueur, pérennité. De longue durée : durable. Congé de longue durée. Courte, brève durée. 2. instant, moment. Bonheur de courte durée, éphémère, momentané. Contrat de travail à durée déterminée (C. D. D.) , indéterminée (C. D. I.) . Être absent pour une durée illimitée, dont le terme n'est pas fixé. — Comm. Durée de vie d'un produit. Durée du travail : temps passé par un salarié au service de l'employeur.
2Philos. Vx L'espace et la durée. temps. Mod. Temps vécu; caractère des états psychiques qui se succèdent en se fondant les uns dans les autres (opposé au temps objectif, réel, mesurable). « La durée vécue par notre conscience est une durée au rythme déterminé, bien différente de ce temps dont parle le physicien » (Bergson).
3(1870) Mus. Temps pendant lequel un son ou un silence doit être entendu. valeur.

durée nom féminin (de durer) Espace de temps, période mesurable pendant lequel a lieu un événement, un phénomène, une action, un état ; temps : La route est déviée pendant la durée des travaux. Qualité de ce qui se maintient pendant une période relativement longue ; permanence, persistance, résistance : La durée du plastique est meilleure que celle du fer. Espace de temps pendant lequel vit un être vivant ; longévité : Augmenter la durée de l'espèce. Musique Temps pendant lequel on doit maintenir un son, une valeur ou un silence par rapport au mouvement et à la mesure du morceau. Philosophie Chez Kant, détermination temporelle de ce qui est permanent dans l'existence des choses. Chez Bergson, donnée immédiate de la conscience, succession pure et enrichissement constant, par opposition au temps, qui découpe le donné suivant des catégories rigides. Phonétique Temps d'émission d'une unité phonique, exprimé généralement en millisecondes. Psychologie Qualité subjective du temps en tant que vécu individuel, qui s'oppose au temps mesurable et objectif. ● durée (citations) nom féminin (de durer) Henri Bergson Paris 1859-Paris 1941 La durée est essentiellement une continuation de ce qui n'est plus dans ce qui est. Durée et simultanéité P.U.F. Jean Follain Canisy, Manche, 1903-Paris 1971 La durée des villages est dans l'ordre profond, et leur eau à canards veille. Usage du temps Gallimard Joseph Arthur, comte de Gobineau Ville-d'Avray 1816-Turin 1882 Rien n'est rendu estimable que par la durée. Les Pléiades Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme. Chroniques, Vacances de Pâques. Paru dans le Figaro, 25 mars 1913 Tacite, en latin Publius (ou Caius) Cornelius Tacitus vers 55-vers 120 après J.-C. Longue durée dans la vie d'un mortel. Grande mortalis aevi spatium. Vie d'Agricola, 3 Commentaire Il s'agit d'un laps de temps de quinze ans. ● durée (expressions) nom féminin (de durer) Durée du travail, temps consacré par chaque individu à l'exercice de sa profession, dans une période de référence ; pour le salarié, temps pendant lequel il est légalement à la disposition de son employeur pour l'accomplissement de son travail. Essai de durée, essai permettant de déterminer la durée de résistance d'un matériau à des sollicitations particulières. ● durée (synonymes) nom féminin (de durer) Espace de temps, période mesurable pendant lequel a lieu un...
Synonymes :
- période
- temps
Qualité de ce qui se maintient pendant une période relativement...
Synonymes :
- continuité
- permanence
- persistance
Espace de temps pendant lequel vit un être vivant ; longévité
Synonymes :
- longévité
Phonétique. Temps d'émission d'une unité phonique, exprimé généralement en millisecondes.
Synonymes :
- quantité

durée
n. f.
d1./d Espace de temps que dure une chose. La durée de la vie.
d2./d MUS Temps pendant lequel doit être maintenu un son, un silence.
d3./d PHILO Temps vécu, forme que prend la succession des états de conscience d'un sujet (par oppos. au temps objectif, mesurable).

⇒DURÉE, subst. fém.
A.— Absolument
1. [En parlant du temps absolu, indéfini, non mesuré, et p. oppos. à la dimension spatiale] Continuité indéfinie du temps, du devenir. L'espace et la durée, l'étendue et la durée. Synon. temps. L'illimité n'a pas de mesure, l'éternité n'a point de durée, Dieu ne se classe pas en parties (FLAUB., Tentation, 1856, p. 603). La danse, à toute époque (...) est chargée (...) de faire entrer toutes vives dans la durée les trois dimensions de l'espace (FAURE, Esprit formes, 1927, p. 187) :
1. En mesurant l'étendue, il [l'homme] découvre la géométrie; en mesurant la durée, il découvre les nombres, et des deux inventions de son esprit, dès que le sentiment les anime, deviennent deux grands arts, qui sont l'Architecture et la Musique.
Ch. BLANC, Gramm. des arts du dessin, 1876, p. 55.
2. ... je sais mieux encore, par mon expérience très certaine, que nos âmes peuvent se former, dans le soin même du temps, des sanctuaires impénétrables à la durée, éternels intérieurement, passagers quant à la nature...
VALÉRY, Eupalinos, 1923, p. 63.
En partic., PHILOS., THÉOL. [En parlant de Dieu] ,,Permanence dans l'être`` (Foi 1930). Synon. éternité. Sa douceur [d'une palme] est mesurée Par la divine durée Qui ne compte pas les jours (VALÉRY, Charmes, 1922, p. 155). Sauf (...) que la durée totale coexiste en lui [Dieu] (ARNOUX, Double chance, 1958, p. 47) :
3. Osons dire que quand on comprend l'existence de Dieu comme une durée sans fin ni commencement, et non comme une éternelle unité, actus immanens, l'objection tirée de la prescience devient insoluble et la liberté humaine impossible.
J. SIMON, Le Devoir, 1854, p. 634.
2. Spéc., PHILOS., PSYCHOL. [Chez Bergson et ses disciples] Expérience du temps subjectif, vécu par la conscience, en dehors de toute conceptualisation et envisagé qualitativement, par opposition au temps objectif, mesurable, mathématique de la science. Durée intérieure, vécue. Synon. temps vécu. Le thème bergsonien de la durée (qui devait trouver, grâce à Proust, sa transposition romanesque) (MAURIAC, Journal, 1934, p. 39). Sensations et sentiments tissent la substance même de notre durée intérieure (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 26) :
4. Au-dessous de la durée homogène, symbole extensif de la durée vraie, une psychologie attentive démêle une durée dont les moments hétérogènes se pénétrent; au-dessous de la multiplicité numérique des états conscients, une multiplicité qualitative; au-dessous du moi aux états bien définis, un moi où succession implique fusion et organisation.
BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889, p. 104.
Expr. diverses
a) Durée concrète. Car notre durée n'est pas un instant qui remplace un instant : il n'y aurait alors jamais que du présent, pas de prolongement du passé dans l'actuel, pas d'évolution, pas de durée concrète. La durée est le progrès continu du passé qui ronge l'avenir et qui gonfle en avançant (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 4).
b) Durée pure. La durée toute pure est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s'abstient d'établir une séparation entre l'état présent et les états antérieurs (BERGSON, Évol. créatr., 1907p. 84).
c) Durée bergsonienne. À elle seule la lavande met une durée bergsonienne dans la hiérarchie des draps (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 83).
d) Durée réelle. L'organique suit un tout autre temps, suit une durée, un rythme de durée, constitue une durée, un rythme de durée, réelle, et constituée par une durée réelle, qu'il faut bien nommer la durée bergsonienne (PÉGUY, Clio, 1914, p. 52).
e) [Depuis Bergson] Sentiment de l'écoulement du temps. Mais pouvait-on apprécier la durée? C'était non pas celle, horlogère, administrative, des heures de routines, mais celle des moments pathétiques (ARNOUX, Solde, 1958, p. 237).
♦ [vécu comme s'écoulant plus rapidement] Les minutes, à ces moments-là, sont cent fois plus rapides et d'une durée centuple (ARNOUX, Roi, 1956, p. 227).
♦ [vécu comme s'écoulant plus, trop lentement] Quelquefois trois semaines peuvent avoir la durée d'un siècle (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 2, 1859, p. 218). À quatre-vingts ans ma mère me disait : la vie est un instant. Plus tard, je crois, elle eut le sentiment d'une durée presque insoutenable, une sorte d'éternité dont elle était lasse (CHARDONNE, Ciel, 1959, p. 127) :
5. ... ce sens intime de la distance entre le désir et la possession de son objet, qui n'est autre que le sens de la durée, ce sentiment du temps, qui se contentait jadis de la vitesse de la course des chevaux, (...) trouve aujourd'hui que les rapides sont bien lents, et que les messages électriques le font mourir de langueur.
VALÉRY, Variété III, 1936, p. 266.
B.— [Envisagé dans son aspect quantitatif; en parlant du temps défini, fractionnable, délimité par un début et un terme, et appliqué au déroulement d'un procès que la durée mesure]
1. Action, fait de durer.
a) Emploi abs. ,,Opposer la durée à l'instant`` (DUB.). Concevez-vous un événement qui arrive, si ce n'est dans un point quelconque de la durée? (COUSIN, Vrai, 1836, p. 28) :
6. Le domaine de l'assouvissement n'est pas un domaine de valeurs, mais de sensations; il ne connaît qu'une succession d'instants, alors qu'arts et civilisations ont lié l'homme à la durée sinon à l'éternité.
MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 523.
Durée passée :
7. La mémoire indique la concertion et la croyance d'une durée passée car il est impossible de se souvenir d'une chose si l'on ne croit qu'il s'est écoulé quelque intervalle entre le temps où cette chose est arrivée et le moment présent.
COUSIN, Philos. écossaise, 1857, p. 345.
b) Durée de qqc. La vivacité et la durée des sentiments (MAINE DE BIRAN, Influence habit., 1803, p. 101) :
8. Il est assez naturel que les artistes de nos jours regardent vers d'autres temps qu'ils imaginent meilleurs. L'avenir ne leur promet rien que de funeste. Leur belle époque fut celle des grands caprices personnels, et de la confiance dans la durée, qu'il s'agisse de la durée d'un régime, d'une famille, d'une croyance et de la renommée.
VALÉRY, Degas, danse, dessin, 1936, p. 157.
2. Caractère de ce qui est durable (avec une idée de solidité, de stabilité). Anton. fragilité. Les pédants disent que c'est la durée et non la véhémence du plaisir, qui doit décider de l'excellence (STENDHAL, Rome, Naples et Flor., t. 1, 1817, p. 154). On emploie parfois la tôle galvanisée dans les mines humides, on augmente ainsi la durée du métal (HATON DE LA GOUPILLIÈRE, Exploitation mines, 1905, p. 737) :
9. L'instabilité s'impose comme le régime normal de l'époque dans tous les ordres. Mais, par là, la continuité, la durée, le tempérament, la sérénité deviennent, dans cet univers en transmutation furieuse, des valeurs du plus haut prix.
VALÉRY, Regards sur le monde actuel, 1931, p. 300.
3. Intervalle de temps déterminé pendant lequel se produit une action, un état, un phénomène, du début à sa fin; ou qui sépare deux événements. Durée d'une guerre, d'un traitement, d'un trajet. Synon. période, temps, laps de temps, espace de temps. L'unité de temps n'est pas plus solide que l'unité de lieu (...) Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier (HUGO, Préf. Cromw., 1827, p. 22).
a) [En parlant d'une action] La durée totale d'une respiration est d'environ quatre secondes (BARATOUX, La Voix, 1912, p. 17). Je m'excuse, Messieurs, d'un si long abus de votre courtoise audience. (...) J'ai excédé la durée permise (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 61) :
10. ... Spallanzani prépare des infusions variées (...) l'abondance des animalcules doit être en raison inverse de la durée du chauffage.
J. ROSTAND, La Genèse de la vie, 1943, p. 62.
b) [En parlant d'un état] Durée d'un séjour :
11. Je me perds quand je songe combien la durée de l'absence est longue à se consumer; mais chaque minute étant vivifiée par un souvenir, les heures passeront plus légères, si cette expression peut s'appliquer à ce qui ne laissera pas de l'écraser encore.
GUÉRIN, Corresp., 1837, p. 305.
c) [En parlant d'un phénomène] Durée d'une maladie. Ils calculeront la durée d'une éclipse (ALAIN, Propos, 1921, p. 201).
Rem. Le plus. moins cour. désigne soit les moments de quelque chose (vocab. sc.). Je faisais donc ce que je pouvais pour augmenter un peu les durées de quelques pensées (VALÉRY, Soirée avec M. Teste, 1895, p. 7). Sa maison devint pour de longs jours, comme elle l'avait été auparavant pour de brèves durées, close (KAHN, Conte or et sil., 1898, p. 298); soit les temps mesurables (emploi poétique). Le bienheureux revoir leur apparaissait comme situé là-bas; là-bas, dans le recul des durées (LOTI, Ramuntcho, 1897, p. 205).
Expr. diverses et loc.
) [durée précise]
Une durée de + indication chiffrée de temps. Il peut (...) y avoir telle tragédie romantique dont les événements soient resserrés, par le hasard, dans (...) une durée de trente-six heures (STENDHAL, Racine et Shakspeare, t. 1, 1825, p. 96).
♦ Indication de temps + de durée. Fabriquer des décrets pour deux lieues de terrain et deux jours de durée (HUGO, Bug-Jargal, 1826, p. 74).
) [durée estimée]
La durée de + subst. imagé suggérant
[une durée très brève] La durée d'un éclair. Ses sympathies et ses amitiés [de l'ouvrier] sont spontanées et sincères, et comme celles du monde, n'ont pas seulement la durée d'une paire de gants ou d'un bouquet de bal (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 38).
[une durée indéfiniment longue] Elle avait donné irrévocablement, pour toute la durée des éternités, son unique bien, le plus précieux trésor qu'une femme puisse posséder (BLOY, Femme pauvre, 1897, p. 40).
Pendant (toute) la durée de. Pendant tout le temps qui s'écoule entre le début et la fin de (quelque chose). Pour être apprenti [facteur d'orgues], il fallait [payer] une imposition annuelle pendant toute la durée de l'apprentissage (GRILLET, Ancêtres violon, 1901, p. 231). Il arrivait (...) qu'il se tissât entre eux, pendant la durée du concert, une de ces sympathies obscures, qui vont jusqu'au plus profond de l'être (ROLLAND, J.-Chr., Foire, 1908, p. 798) :
12. Pendant toute la durée du procès, il eut l'impression d'un spectacle irréel; non d'un rêve, mais d'une comédie étrange, un peu ignoble et tout à fait lunaire. Seul, le théâtre peut donner, autant que la cour d'assises, une impression de convention.
MALRAUX, Les Conquérants, 1928, p. 45.
Pour (toute) la durée de. Pendant tout le laps de temps effectif qui sera nécessaire pour réaliser (quelque chose). Les logements provisoires du personnel pour la durée des réparations (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 295).
Pour une durée illimitée. Pour une période dont le terme n'a pas été fixé.
Loc. adj., vx. De durée. De longue durée, qui dure longtemps (cf. durable). Plaies grandes et de durée, (...) maladies malignes et de durée (ERCKM.-CHATR., Ami Fritz, 1864, p. 138). Il [Benjamin Constant] a écrit, comme Mme de La Fayette et l'abbé Prévost, le petit livre de durée qui traverse les âges sans ride ni poussière (THIBAUDET, Hist. litt. fr., 1936, p. 57).
Loc. adj. ou verbale, cour. (Être) de longue, de courte durée, de peu de durée :
13. ... le vicaire de Campagne ne doutait point qu'une victoire sur un tel adversaire est toujours précaire, fragile, de peu de durée. Qu'importe de voir un instant l'ennemi à ses pieds, à sa merci?
BERNANOS, Sous le soleil de Satan, 1926, p. 176.
Proverbe. Ciel pommelé et femme fardée ne sont pas de longue durée.
Loc. verbales, rare, arch., littér.
Avoir durée. L'ancienne constitution de la France, la seule sérieuse (...) la seule qui ait eu durée (VERLAINE, Œuvres posth., t. 2, Voy. Fr., 1896, p. 57).
Donner durée. Il faut demander (...) « le plus » aux intérêts, aux habitudes, aux facilités — c'est-à-dire aux forces régulières ou périodiques qui seules donnent durée (VALÉRY, Mauv. pens., 1942, p. 84).
SYNT. Durée d'un congé, d'un cours, des études, de l'année scolaire, d'une claustration, d'une détention, d'une absence, des fonctions, d'un mouvement, d'une période, d'un repas, d'un prêt; en durée, sans limitation de durée; épaisseur, intervalle de durée, durée courte, déterminée, effective, hebdomadaire, illimitée, légale, longue, maximum, minimum, normale, réelle, supérieure, totale, variable; abréger, assurer, augmenter, calculer, éterniser, évaluer, garantir, mesurer, prolonger la durée de qqc.
4. P. ext. et p. ell. du compl. déterminatif. Durée d'existence.
a) [En parlant d'un être vivant, individuel ou collectif] Période de vie, de la naissance à la mort. Durée d'un homme, d'un peuple, d'une espèce, du monde; durée de vie moyenne. Synon. âge, existence, longévité, vie. Assurer la durée de l'espèce (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 36). Et quel accord plus légitime peut unir l'homme à la vie sinon la double conscience de son désir de durée et son destin de mort? (CAMUS, Noces, 1938, p. 85) :
14. J'ai lu beaucoup de livres sur l'antiquité de la terre et l'origine des espèces, et je mesure avec mélancolie la courte durée des individus à la longue durée des races.
FRANCE, Le Livre de mon ami, 1885, p. 8.
b) [En parlant d'un bien de consommation] Résistance aux facteurs de destruction
à l'usage. Synon. solidité. Lamoricière, Bedeau et autres généraux disaient que la durée des habits (...) dépendait de la manière dont les diverses couleurs, parements, revers, etc., s'harmonisaient avec la couleur de l'habit (DELACROIX, Journal, 1822-63, p. 193). Les navires en fer ont une durée bien supérieure à celle des navires en bois (CRONEAU, Constr. nav. guerre, 1892, t. 1, p. 46).
Loc. adv., vx. De durée. Qui fait de l'usage, solide. La tunique, comme toutes ces tuniques, vêtements de durée sur des corps tourmentés par la croissance (A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 53).
à l'usure du temps. Durant la période carlovingienne, on revenait à l'architecture polychrome, et (...) on employait, pour lui donner de la durée, le verre teint (LENOIR, Archit. monast., 1856, p. 17) :
15. ... il [l'homme] doit reconnaître un troisième principe, qu'il essaye de communiquer à ses œuvres, et qui exprime la résistance qu'il veut qu'elles opposent à leur destin de périr. Il recherche donc la solidité ou la durée.
VALÉRY, Eupalinos, 1923, p. 116.
C.— Emplois techn.
1. DR. Période de validité d'un droit ou d'utilisation d'un bien. Durée d'un bail, d'un mandat, d'une législature; durée de validité, durée légale (de qqc.). Cf. durabilité :
16. Or l'armistice signé à Rethondes avait une durée de validité limitée à trente-six jours. Cette durée expirait le 17 décembre, date à laquelle les plénipotentiaires alliés pour la paix commençaient seulement d'arriver à Paris.
FOCH, Mém., t. 2, 1918, p. 328.
En partic., DR. DU TRAVAIL. Temps de travail effectif, fixé par la loi, mesuré à la journée, à la semaine ou au mois (en nombre d'heures) accompli par le travailleur suivant un contrat de travail. Durée hebdomadaire du travail; réduction de la durée du travail. Synon. horaire légal. Une réduction de la durée du travail entraîne généralement un certain progrès de la production (SUAVET 1970) :
17. La durée du travail journalier [dans les usines] est limitée à dix heures pour les adolescents de treize à dix-huit ans. (...) La première loi qui limitera la durée du travail à soixante heures par semaine pour tous les travailleurs de l'industrie est promulguée le 30 mars 1900 par le gouvernement Millerand.
CACÉRÈS, Hist. de l'éduc. pop., 1964, p. 9.
2. MUS. Durée d'une note, d'un son, d'un silence. Intervalle de temps pendant lequel une note, un son ou un silence doit être maintenu sans interruption. Durée relative des sons. Synon. valeur.
a) [En parlant d'un son] Ils [les virtuoses] essaient de raccourcir la durée d'un son prolongé, que l'instrument soutient mal (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 126).
b) [En parlant d'une note] Harmoniques (dont la superposition (...) varie en fonction de la durée de la note) (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p. 209).
c) [En parlant d'un silence] Silences (...) signes de durée muette indiquant l'interruption momentanée des sons, mais ayant une valeur, une durée dans chaque mesure où ils figurent (ROUGNON 1935, p. 10).
3. PHON. Durée d'un phonème. Longueur de temps nécessaire à l'émission d'un phonème ou d'un groupe de phonèmes. Pour que plusieurs syllabes forment un mot, il faut que chacune d'elles ait son intonation et sa durée rythmique, différentes selon sa fonction propre (ARGER, Init. art chant, 1924, p. 167).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1135 « fait, action de durer » (Le Couronnement de Louis, éd. E. Langlois, 1089); ca 1165 corte durée (GAUTIER D'ARRAS, Eracle, éd. G. Raynaud de Lage, 4772). Part. passé fém. subst. de durer. Fréq. abs. littér. :3 204. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 5 132, b) 2 056; XXe s. : a) 4 233, b) 5 598. Bbg. MOUTARD (N.). Sémiologie de la notat. musicale. Linguistique, Paris, 1974, t. 2, p. 65.

durée [dyʀe] n. f.
ÉTYM. 1131; de durer.
1 Espace de temps qui s'écoule entre les deux limites observées (début et fin) de (un phénomène). Temps; espace, longueur (du temps); moment, période. || La durée d'un spectacle, d'un voyage. || Durée d'un traitement. || Durée des vacances. || Durée des fonctions d'un souverain; durée d'une influence, d'une mode. Règne. || Durée d'un mandat, d'une législature. || Durée pendant laquelle on a occupé une fonction. Ancienneté. || Durée ininterrompue. Continuité, permanence. || Durée hebdomadaire de travail. || Réduction de la durée légale du travail. || Diminuer la durée de qqch. ( Abréger, raccourcir), l'augmenter ( Prolonger). || La durée de la vie. Âge, carrière, cours, existence, longévité. || La durée de leur liaison.
1 La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie.
La Rochefoucauld, Maximes, V.
2 Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l'éternité précédente et suivante (…) le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me voir ici plutôt que là (…)
Pascal, Pensées, III, 205.
3 Mais hélas ! Tout ce qu'elle aimait devait être de peu de durée (…)
Bossuet, Oraison funèbre d'Anne de Gonzague.
4 (…) la notion des durées se perdait pour eux dans la monotonie du temps.
Loti, Mon frère Yves, LXXXII, p. 196.
(Qualifié). Espace de temps (dont on précise la nature). || Pendant, pour une durée de quinze jours. Espace, période. || Charge d'une durée de trois ans ( Triennat), de sept ans ( Septennat). || Longue durée. Longueur, pérennité. || De longue durée. Durable; éternel, fin (sans fin), interminable, long, pérenne, perpétuel.Microsillon de longue durée, disque longue durée (cf. le canadianisme Long jeu).REM. Avec la quasi disparition des disques à 78 tours minute, l'expression devient archaïque. — Courte, brève durée. Instant, moment. || Bonheur de courte durée. || Contrat de travail à durée limitée. || Durée déterminée, indéterminée. || Être absent pour une durée illimitée, dont le terme n'est pas fixé. || Durée infinie. Éternité, perpétuité. || La durée d'un éclair : un bref instant.
Prov. Ciel pommelé et femme fardée ne sont pas de longue durée.
Temps pendant lequel une chose existe avant d'être détruite. || « La durée des habits » (Delacroix, in T. L. F.). || La peinture, le vernis augmentent la durée du bois.
Absolt. Espace de temps limité.
5 Comme un tableau est un espace à émouvoir, une pièce de théâtre, c'est une durée à animer.
Gide, Journal, 21 juin 1914.
Vx. Durée de la vie. || Approcher du terme de sa durée. Vieillir.
2 Fait de durer, de se prolonger un temps considéré comme assez long; long espace de temps.Caractère de ce qui est durable. || Son succès sera de peu de durée, sera éphémère, passager, sans lendemain.
5.1 Comme son succès à la chambre ne lui avait coûté aucun travail, il ne pouvait croire à sa durée, ni presque à sa réalité.
Stendhal, Lucien Leuwen, p. 658.
5.2 L'instabilité s'impose comme le régime normal de l'époque dans tous les ordres. Mais, par là, la continuité, la durée, le tempérament, la sérénité deviennent, dans cet univers en transformation furieuse, des valeurs du plus haut prix.
Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 300.
Loc. Vx. De durée : qui dure. — ☑ Avoir durée : durer longtemps.
3 Absolt. Philos. et cour. Déroulement du temps. || L'espace et la durée (→ Détruire, cit. 43; brièveté, cit. 2).
6 C'est de là (de la pensée) qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir.
Pascal, Pensées, I, 6.
6.1 Si l'on fait abstraction des spécialistes du temps qui apparaissent vers le moment où se constituent les premiers ensembles urbains, la notion fondamentale de durée n'est appréhendée en effet qu'à travers le retour de produits ou d'opérations de caractère vital.
A. Leroi-Gourhan, le Geste et la Parole, t. II, p. 145.
Temps vécu, caractère des états psychiques qui se succèdent en se fondant les uns dans les autres (opposé au temps objectif, mesurable).
7 La durée vécue par notre conscience est une durée au rythme déterminé, bien différente de ce temps dont parle le physicien et qui peut emmagasiner, dans un intervalle donné, un nombre aussi grand qu'on voudra de phénomènes.
H. Bergson, Matière et Mémoire, p. 229.
4 (1870). Mus. Temps pendant lequel un son ou un silence doit être entendu. Valeur.
HOM. Formes du v. durer.

Encyclopédie Universelle. 2012.