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GUINÉE
GUINÉE

De colonie oubliée, la Guinée est devenue l’un des États africains les plus controversés sous le nom de république populaire révolutionnaire de Guinée.

Petit pays de 245 857 kilomètres carrés, la Guinée s’étend en arc de cercle depuis l’océan Atlantique. Elle est entourée par la Guinée-Bissau, le Sénégal, le Mali, la Côte-d’Ivoire, le Liberia et la Sierra Leone. Création artificielle surgie de la compétition entre les deux principales puissances coloniales, France et Grande-Bretagne, elle regroupe des régions naturelles bien différenciées et largement complémentaires, dont les caractéristiques géographiques et humaines constituent une sorte de microcosme de l’Afrique de l’uest.

Peuplé de 5 700 000 habitants (estimation en 1990), le nouvel État, devenu indépendant le 2 octobre 1958, s’est lancé d’abord dans une «révolution» qui se voulait exemplaire sous la direction de son «responsable suprême», Ahmed Sékou Touré, qui domina la vie politique de 1945 à 1984. Président de la République, secrétaire général du parti unique, de fait inamovible, Sékou Touré avait organisé un régime politique quasi sans équivalent, le parti-État, qui ne lui survécut pas. Les militaires sont désormais à la tête d’une IIe République.

Objet d’admiration pour avoir été la première colonie française à prendre son indépendance sans guerre de libération et pour s’être faite promotrice, avec le Ghana, de l’unité africaine, la Guinée a provoqué maints jugements contradictoires et les plus expresses réserves par sa politique intérieure et extérieure, surtout depuis 1965.

Classé parmi les plus pauvres de la planète, le pays recèle pourtant des richesses minières considérables. Pendant trois décennies et demie, son régime politique – sous Sékou Touré et depuis lors – n’a pas réussi à améliorer de manière appréciable les conditions de vie de sa population, dont une grande partie demeure expatriée pour des raisons tant politiques qu’économiques. Prônant d’abord une révolution «non capitaliste» puis, depuis dix ans, le libéralisme économique, il s’efforce d’exploiter le sous-sol avec le concours intéressé des puissances capitalistes et socialistes. Le défi majeur demeure: utiliser au mieux l’important pactole procuré par l’exploitation des mines pour que la Guinée voie son économie décoller et le sort de ses habitants s’améliorer, tout en respectant les droits fondamentaux de la personne humaine. En 1992, la Guinée était classée par le Programme des Nations unies pour le développement (P.N.U.D.) au dernier rang de tous les pays, au regard de l’indicateur composite de développement humain (espérance de vie, éducation, revenu).

1. Émergence dans l’histoire

Dans le cadre géographique actuel, l’histoire de la Guinée ne commence qu’avec le XXe siècle puisque les frontières furent délimitées entre 1895 et 1911 par les puissances coloniales d’alors: France, Grande-Bretagne, Allemagne, Portugal. Mais les racines de ses peuples plongent évidemment beaucoup plus profondément. Chacun a son histoire. Ils constituent autant de fragments historiques, autant de passés encore fort mal connus. Leur ensemble est le patrimoine complexe de la Guinée actuelle.

Fragments d’histoire

On peut remonter jusqu’au IXe, voire au VIIe siècle avec les Baga, les Nalou et les Landouman. Premiers autochtones? Vinrent cohabiter avec eux, au XIe siècle sans doute, les Jalonké, d’origine mande. Leur nom devint celui d’une région de Guinée, le Fouta-Djalon. Cette partie du pays connut de nombreuses migrations au fil des siècles. Des Peuls animistes s’infiltrèrent par petits groupes. Puis se produisirent les grandes vagues des Peuls et Mandingues aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles en provenance du Fouta-Toro au Sénégal et du Macina au Mali. Avec eux ils apportent leurs coutumes, leurs cultures et surtout une religion, l’islam. Une partie des anciens occupants se vit refouler le long de la côte, en Guinée maritime. Avec les autres s’instaure une coexistence difficile jusqu’à ce que les musulmans déclenchent finalement en 1727 la «guerre sainte». Vainqueurs, ils ne laissèrent d’autre choix aux vaincus que «la conversion, l’exil ou la servitude».

Traditions orales et écrits arabes permettent de saisir quelques grands moments et de brosser à larges traits des pans d’histoire. Au IXe siècle, dans les régions du haut Sénégal et du haut Niger, s’établit un royaume mandingue, vassal de l’empire de Gh na. Ce dernier s’étendit de l’Atlantique jusqu’au fleuve Niger et ne se disloqua définitivement qu’au XIe siècle après avoir connu jours de gloire et heures de détresse. Il hante encore la mémoire collective des peuples de l’Ouest africain, au point que l’un des nouveaux États s’en est approprié indûment le nom en 1957: la Gold Coast est devenue le Ghana.

Deux siècles plus tard, avec Niani pour capitale (Niani n’est plus maintenant qu’un petit village guinéen), un immense empire se forme avec Soundiata (1230-1255). Sous le nom d’empire du Mali, il atteint son apogée au XIVe siècle, de la région nord de la Guinée jusqu’à Tombouctou. Des pays vassaux gravitaient autour de lui, depuis les régions du Sénégal et de la Gambie jusqu’à Gao sur le Niger. Au XVe siècle, le déclin commence, des vassaux s’affranchissent, dont un chef du Fouta-Djalon, Koli Tenguela. Avec lui s’ouvre l’ère des Peuls musulmans.

Les Peuls font désormais l’histoire au Fouta-Djalon en s’isolant relativement des autres régions de Guinée, pendant toute la période des XVIIIe et XIXe siècles. Ils vont y créer, selon T. Diallo, une sorte de «régime théocratique de type féodal fondé idéologiquement sur une religion, l’islam, mais économiquement sur l’exploitation d’un esclavage familial». Les deux grands fondateurs en sont Karamoko Alpha, de 1725 à 1750, puis son cousin et successeur, Ibrahima Sori, de 1751 à 1784. Ce dernier porte le titre prestigieux d’almami . Des institutions politiques originales surgissent. Ainsi, pour mettre fin à des rivalités, le Conseil des anciens instaure, à la mort d’Ibrahima Sori, un bicéphalisme d’alternance. Deux almami, l’un descendant de Karamoko Alpha et l’autre d’Ibrahima Sori, sont désignés comme détenteurs du pouvoir. Mais ils ne l’exercent qu’en alternance par périodes de deux ans. Un tel système fonctionne jusqu’en 1896, date où des rivalités tragiques entre les deux familles facilitent alors la conquête française.

La page suivante de l’histoire est écrite en haute Guinée, par Samori Touré de 1870 à 1898 avec les Malinké. Samori Touré incarne, selon Y. Person, une révolution dyula en organisant un empire «chez des Malinké qui avaient renoncé depuis plus de trois siècles à toute organisation politique centralisée». Véritable homme d’État, il se dote d’un instrument essentiel en créant une armée permanente de type moderne. Celle-ci est même capable un jour de fabriquer des fusils à tir rapide. Il organise, autour de sa personne, un appareil gouvernemental efficace et met en place toute une structure territoriale. Bissandougou, près de Kankan, devient sa capitale et il fait reconnaître son autorité sur toute la haute Guinée et le sud de l’actuel Mali. Toutefois, il se heurte très vite aux visées coloniales françaises, qui réussiront finalement à provoquer sa chute en 1898.

La lutte contre l’envahisseur blanc se trouve ensuite assumée par les peuples de la forêt, en Guinée forestière, jusqu’alors demeurés assez isolés de leurs voisins du Nord-Ouest.

Dans chacune des régions de l’actuelle Guinée vivent ainsi des peuples aux histoires parallèles qui furent agglomérés au sein d’une nouvelle entité par la mise en place du système colonial. Après l’indépendance, le recours aux héros (Samori Touré, Alpha Yaya) pour forger une conscience nationale dut tenir compte des résonances différentes soulevées dans les régions.

Des peuples divers

Bien que la population soit loin d’être homogène, sa «mosaïque ethnique» se révèle relativement simple, comparée à celle de la Côte-d’Ivoire, par exemple: plus d’une vingtaine d’ethnies si on s’en rapporte aux langues, aux coutumes, aux formes d’organisation, aux traditions. La notion d’ethnie est loin d’être définie rigoureusement sur le plan scientifique. D’autre part, il est difficile d’évaluer le nombre d’individus appartenant à chaque ethnie ou s’en réclamant, faute de données solides. Pour la Guinée, une seule enquête scientifique, menée en 1955 avant l’indépendance, permet des estimations sérieuses dont la validité peut, au moins, être appréciée et discutée. Ce n’est malheureusement pas le cas pour les autres estimations auxquelles on se réfère parfois. Peu d’études ethnologiques ont d’ailleurs été consacrées aux populations guinéennes.

En 1955, les Peuls auraient formé le groupe le plus nombreux (735 000), devant les Malinké (576 000), les Soussou (336 000), les Kissi (192 000), les Guerzé (108 000), les Toma (90 000), à s’en tenir aux groupes les plus importants. S’y seraient ajoutés 534 000 «divers» répartis en seize ethnies secondaires dont le nombre d’individus oscillerait de 5 000 à 77 000: Kouranko, Dialonké, Kono, Bambara, Baga, Manon, Tenda. Toutefois, si on opère des regroupements pour tenir compte des assimilations (Baga et Landouman aux Soussou), des apparentés (Toucouleurs et Peuls) et de l’existence de sous-groupes (Kouranko, Lele..., par rapport aux Malinké), on aboutit à des proportions différentes. Les Malinké et assimilés constitueraient alors, avec de 30 à 34 p. 100, le groupe majoritaire de la population, suivi de près par les Peuls et les Toucouleurs, avec 29-30 p. 100. Viendraient ensuite les Soussou (et assimilés) et les Forestiers (vocable réunissant les ethnies vivant dans la région forestière), avec 17 ou 18 p. 100. Quant aux divers (Tenda, métis...), ils représenteraient de 2 à 3 p. 100.

Chaque groupe, à quelques exceptions près comme les Nalou et les Baga, a su conserver une grande vitalité avec sa langue: le poular, le mandé, le soussou, le kissi...; avec ses comportements, en référence à des stratifications sociales en voie de disparition: hiérarchie peule avec nobles, hommes libres, artisans castés, serfs; avec sa structure familiale toujours solide: patriarcat peul ou malinké, gérontocratie des groupes forestiers; avec ses activités économiques principales: élevage chez les Peuls semi-nomades, riziculture et bananeraies chez les Soussou, culture du miel et commerce chez les Malinké, riziculture en isolats chez les Forestiers; avec sa religion enfin: islam (87 p. 100 de la population) principalement en sa voie «tidjane» mais vécu différemment par les Peuls, les Soussou et les Malinké; animisme (4,6 p. 100) chez les Guerzé et les Kissi mais toujours latent chez les Malinké; catholicisme (4,3 p. 100) en quelques petites communautés de Guinée maritime et surtout de Guinée forestière.

Finalement, il y a un assez large accord entre les spécialistes pour considérer que la Guinée présente un visage ethnique original: deux groupes prédominants, sensiblement d’égale importance, deux groupes secondaires, de même importance eux aussi. Sans posséder la même homogénéité, ils sont cependant suffisamment caractérisés les uns par rapport aux autres pour offrir les conditions d’un équilibre possible, aucun d’entre eux ne pouvant prétendre à une trop nette prépondérance démographique. Mais l’intégration nationale, par-delà soixante ans de colonisation, demeure un objectif permanent.

Les dangers d’une trop grande régionalisation existent. Les groupes forestiers sont installés à plus de 90 p. 100 en Guinée forestière, les Peuls à plus de 80 p. 100 dans le Fouta-Djalon et les Soussou à plus de 75 p. 100 en Guinée maritime. Seuls les Malinké ont une implantation moins concentrée: de leur zone principale, la haute Guinée (46 p. 100), ils débordent sur la Guinée forestière (35 p. 100) et sur le Fouta-Djalon (14 p. 100). Il est possible que cette répartition se soit quelque peu modifiée depuis 1955, mais aucune enquête n’a été effectuée mesurant les déplacements de population, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Les caractéristiques démographiques générales de la population demeurent mal connues depuis le recensement scientifique de 1955. Des quatre recensements effectués par la suite, seul le dernier (1983) permet une estimation provisoire en attendant des informations relativement fiables. Quoique certains coefficients de redressement utilisés soient contestables, on peut retenir comme chiffre de population résidente celui de 5 700 000 en 1990. Le taux de croissance proposé est de 2,8 p. 100. La population active s’élèverait à 53 p. 100 du total et d’autres taux seraient comparables à ceux de la plupart des États africains: les moins de quinze ans représentent 42 p. 100 de la population.

En Afrique de l’Ouest, la Guinée fait ainsi figure de pays relativement peu peuplé. Avec une densité moyenne de 19 habitants au kilomètre carré, elle se trouve en situation de sous-peuplement au regard d’une mise en valeur intensive. Cette densité moyenne recouvre évidemment de très fortes variations selon les régions naturelles du pays, selon les préfectures (de 7 à 57). La haute Guinée (9 hab./km2) constitue une sorte de «désert démographique» entre les deux régions du Fouta-Djalon (23) et de la Guinée forestière (18).

La capitale, Conakry, exerce une attraction considérable. Elle aurait vu sa population passer de 78 000 habitants en 1958 à plus de 750 000 (?) en 1984. C’est là un rythme de croissance rapide et très élevé, mais qui demeure comparable à celui de nombreuses capitales africaines. La plupart des autres, centres urbains (Kankan, N’Zérékoré, Kindia, Kamsar, Kissidougou, Fria, Labé...) auraient plus que doublé en dix ans. Néanmoins, l’urbanisation, phénomène relativement récent, reste d’une assez faible ampleur: 19 p. 100 de la population totale vivraient dans une dizaine d’agglomérations de 10 000 habitants. Pour autant, les effets économiques et sociopolitiques ne peuvent être sous-estimés: phénomènes d’acculturation ou de déculturation, emplois, importations alimentaires, équipements urbains, encadrement politique.

Des régions complémentaires

La Guinée présente des caractéristiques physiques très originales. Reliefs, climats, sols en font une harmonieuse synthèse de tout l’Ouest africain. Plaines et plateaux, vallées et montagnes, rivières et forêts composent une très grande variété de paysages. Deux formations montagneuses, le Fouta-Djalon au nord et la dorsale guinéo-libérienne au sud-est, constituent essentiellement son système orographique. Aussi est-il traditionnel de distinguer quatre régions naturelles.

La Guinée maritime (36 133 km2). Plaine côtière large de 50 à 90 kilomètres, elle s’étend en bordure de l’océan au pied de la falaise du Fouta-Djalon. Côte basse et marécageuse à fort envasement, elle est découpée par les nombreux estuaires des «rivières du Sud» aux cours lents et sinueux. Les terres sont fréquemment inondées. Le climat s’y caractérise par une seule saison des pluies de six mois aux précipitations très abondantes (5 m). Les conditions climatiques et la nature des sols favorisent le développement des cultures tropicales vivrières (riz, manioc, patates) ou d’exportation (bananes, ananas, palmistes).

La moyenne Guinée ou Fouta-Djalon (63 683 km2). Le relief y est constitué d’une série de plateaux aux formes entamées par l’érosion et s’étageant entre 500 et 1 500 mètres d’altitude. Véritable château d’eau de tout l’Ouest africain, le Fouta conditionne, avec les monts Nimba de la région forestière, le système hydrographique de la Guinée. De nombreux cours d’eau y prennent leur source, dont des fleuves internationaux comme le Niger, la Gambie, le Bafing-Sénégal. Une seule saison des pluies de cinq mois, mais avec des précipitations moins importantes qu’en Guinée maritime (2 m). Les sols, recouverts d’une cuirasse latéritique aussi stérile que du béton, ne permettent que l’élevage, sauf dans les vallées. En revanche, ils renferment de très riches gisements de bauxite parmi les plus importants du monde.

La haute Guinée (96 667 km2). Cette immense savane, marquée de légères ondulations, forme une zone de transition avec le pays voisin, le Mali. Le fleuve Niger et ses affluents y ont creusé leurs plaines alluviales, sujettes à inondation et bordées d’un système de terrasses aménageables en rizières. La saison des pluies se réduit à trois mois avec une moyenne annuelle de 1,50 m. Un vent desséchant, l’harmattan, s’y fait sentir en fin de saison. La très faible densité de population annonce celles qui sont de règle dans les pays de pleine savane.

La Guinée forestière (49 374 km2). À l’extrémité sud-est de la Guinée, elle se présente comme une région de montagnes inhospitalières couvertes de forêts. À une altitude moyenne de 500 à 600 mètres se succèdent de petites plaines et des dômes dominés par les massifs du Simandou-Gbing et du Nimba (point culminant à 1 763 m). Température uniforme (28-30 0C) et humidité constante dominant toute l’année, petite saison sèche intermédiaire tendant à s’effacer entre deux saisons des pluies (de 1,5 à 2,6 m d’eau) caractérisent le climat. Aussi la végétation est-elle luxuriante et la forêt dense. La Guinée forestière possède une valeur économique réelle: aux ressources agricoles (café, quinquina, riz, manioc) s’ajoutent les riches gisements de fer des monts Nimba.

Ainsi les quatre régions se différencient-elles nettement soit dans leurs caractéristiques physiques, soit par l’implantation relativement bien délimitée des diverses ethnies, soit par la complémentarité des ressources agricoles. Toutefois, la position excentrique de la capitale et les distances séparant les deux extrémités du pays, ainsi que la vitalité des principaux groupes ethniques, permettent de comprendre à quelles difficultés se heurtent les tentatives d’intégration nationale visant à forger une nation avec des éléments qui n’en avaient jamais formé une. De telles raisons expliquent aussi, pour une large part, une politique de régionalisation assez inhabituelle dans les nouveaux États.

2. Implantation coloniale

Les premiers contacts avec l’Europe datent du XVe siècle, quand les explorateurs portugais commencèrent à jalonner les côtes occidentales de l’Afrique de leurs comptoirs commerciaux et y trafiquèrent esclaves, or, ivoire. La toponymie conserve encore leur marque (Rio Nuñez, Rio Pongo, Cap Verga) et nombre de familles leurs noms (Fernandez, Gomez). Les Anglais et les Français les imitèrent puis les supplantèrent au cours des siècles suivants. Le Rio Pongo devint, jusqu’en 1880, le centre le plus actif. Des explorations de l’arrière-pays furent entreprises, dont deux restent célèbres, celle de G. Mollien, en 1818, qui descendit du Sénégal jusqu’à Timbo dans le Fouta-Djalon, et celle de René Caillié, en 1827, qui, du Rio Nuñez, remonta par le Fouta-Djalon et Tombouctou jusqu’à Fez et Tanger au Maroc. Aventuriers et marchands puis militaires, fonctionnaires et missionnaires signent des «traités» ou des ententes avec les divers chefs africains: la colonisation s’implantait.

Mise en place du système colonial

Des trois impérialismes en compétition dans cette partie de l’Afrique au XIXe siècle, l’un, le portugais, se trouve rapidement circonscrit dans ce qui deviendra la Guinée-Bissau. Un autre, l’anglais, finit par se contenter sans trop de difficultés de la Sierra Leone. C’est l’impérialisme français qui, en une quarantaine d’années, supplante ses rivaux en étendant sa zone soit à partir de la côte, soit à partir du Sénégal en direction du Fouta ou de la haute Guinée.

Quelques dates peuvent servir de repères pour marquer les étapes principales de la création de la Guinée dans ses frontières actuelles. En droit français, trois décrets sont pris en 1882, 1889 et 1891, portant successivement érection des «Rivières du Sud» en colonie sous la dépendance de Dakar, avec le docteur Bayol pour premier lieutenant-gouverneur, affranchissement du contrôle du Sénégal et enfin création de la Guinée française avec le docteur Noël Ballay comme gouverneur. En droit international européen, toute une série de conventions et de traités déterminent les frontières. Les signataires en sont, d’une part, la France et, d’autre part, la Grande-Bretagne en 1882 (liberté d’action reconnue à la France) puis en 1889, 1891 et 1895 (délimitation avec la Sierra Leone), l’Allemagne en 1885 (renonciation à toute prétention), le Portugal en 1886 (délimitation de la Guinée portugaise, reconnaissance du protectorat français sur le Fouta). Enfin, en 1904, la Grande-Bretagne cède à la France les îles de Loos.

L’installation sur place se heurta à des difficultés différentes selon les quatre grandes régions du pays. En région côtière, elle fut relativement facile car, comme le souligne J. Suret-Canale, «l’émiettement en multiples chefferies rivales facilitait l’emprise européenne; ce qui ne veut pas dire qu’elle s’établit sans luttes». Ainsi, en 1885, «plusieurs dizaines de villages dans le Rio Nuñez furent détruits à coups de canon et brûlés avec leur population». L’administration coloniale régla de cette façon un conflit surgi entre deux chefs qui arboraient pourtant le drapeau français et avaient protesté de leur loyalisme! Dans le Fouta-Djalon, aucune résistance sérieuse ne fut opposée. Par des traités de protectorat successifs (en 1881, en 1897), la présence française s’installa «principalement» en jouant des dissensions entre chefs, Alpha Yaya contre Bocar Biro par exemple. L’objectif était de morceler leur autorité ou de les réduire au rôle de simples exécutants, quitte ensuite à les destituer ou à les arrêter. Tel fut le sort d’Alpha Yaya en 1904 puis en 1911, et ce au mépris de la parole donnée.

Les résistances militaires se manifestèrent surtout en haute Guinée et en zone forestière. Pendant longtemps, Samori Touré s’efforça d’éviter un conflit direct en composant avec les officiers français qui, à partir de Dakar, visaient la conquête de l’hinterland soudanais. Il signa même en 1887 et en 1891 deux traités par lesquels il reconnaissait à la France la possession du pays Bouré, puis celle des pays à l’ouest du fleuve Niger. Mais, en 1891, il fut finalement acculé à une guerre sans merci. Celle-ci dura sept ans. Remarquable stratège, recourant à la tactique de la terre brûlée, Samori reconstituait son empire vers l’est (en Côte-d’Ivoire, en Haute-Volta et jusqu’au Ghana) au fur et à mesure de sa destruction à l’ouest. Fait prisonnier en 1898, il fut déporté au Gabon où il mourut en 1900. En zone forestière, les Français se heurtèrent à des populations – Guerzé, Manon, Toma et Kissi – qui avaient toujours su repousser d’éventuels envahisseurs, y compris des troupes de Samori, venus du nord. Des détachements français furent anéantis par les Toma. Il fallut plusieurs expéditions de 1900 à 1912 pour obtenir la pacification de cette zone érigée en région militaire en 1899. Les excès militaires provoquèrent en 1911 une révolte des Guerzé et des Manon, qui fut réprimée avec une très grande brutalité.

Les frontières de la nouvelle colonie, résultant du partage des zones d’influence respective entre Européens, eurent les mêmes conséquences que partout ailleurs en Afrique et entraînèrent des drames analogues: réalités humaines et données géographiques furent, dans l’ensemble, superbement ignorées ou méprisées. Ainsi Toma et Guerzé se trouvent répartis de part et d’autre de la frontière avec le Liberia. Kouranko et Dialonké connaissent la même situation par rapport à la Sierra Leone ainsi que les Malinké de la région de Siguiri avec le Mali ou encore les Coniagui et les Bassari avec le Sénégal et la Guinée-Bissau. L’aire culturelle des Peuls déborde largement la Guinée puisqu’elle s’étend du Sénégal jusqu’au Nigeria et au Cameroun. Sans doute, dans le cas de la Guinée, ces frontières artificielles et arbitraires ne soulevèrent-elles pas de problèmes politiques analogues à ceux qui surgirent dans le cas des Éwé (répartis entre le Togo et le Ghana), par exemple. L’insertion de la Guinée en 1904 dans un grand ensemble colonial, l’Afrique-Occidentale française, aux délimitations administratives moins contraignantes que des frontières, peut l’expliquer. En revanche, une fois la Guinée devenue indépendante en 1958, les séquelles économiques du découpage colonial se font sentir, au grand dam des tentatives de planification et de création d’une économie «nationale». L’extrême perméabilité des frontières et la parenté des populations empêchent tout contrôle sérieux des trafics de marchandises et des déplacements de personnes entre pays limitrophes.

Fonctionnement du système colonial

Pendant une soixantaine d’années, la Guinée va connaître un système colonial analogue à celui des autres colonies françaises de l’Ouest africain. Une administration y est mise en place selon les mêmes principes et les mêmes modalités. Sous l’autorité d’un gouverneur, le pays est divisé en vingt cercles commandés par des administrateurs venus de France. Ceux-ci ont pratiquement tous pouvoirs: responsabilité de l’ordre public, administration de la justice, perception des impôts, interventions économiques... Selon le degré de solidité des structures politico-sociales, les chefferies traditionnelles seront maintenues en place, mais la nature du pouvoir des chefs va se trouver bouleversée: responsables de leurs collectivités et, à ce titre, bénéficiaires de prérogatives et de privilèges, ils sont transformés bon gré mal gré en agents du pouvoir colonial. Leur remplacement se fait alors dans le respect ou dans le mépris des règles coutumières. L’administration généralise entre 1890 et 1914 le système des chefferies de canton, là même où les populations ne le connaissaient pas, comme en Guinée forestière.

Une certaine unification s’opère à l’échelle du territoire. L’exploitation des ressources s’organise à l’avantage de la métropole et de ses ressortissants. Très rapidement, trois grandes sociétés d’import-export (Compagnie française d’Afrique-Occidentale, Société commerciale de l’Ouest africain, Compagnie du Niger français) monopolisent le commerce de traite, tandis que le petit commerce est accaparé par des Syriens et des Libanais. Une économie capitaliste se met en place, bouleversant largement les anciens modes de production. La monnaie se généralise avec l’instauration de l’impôt par tête créé en 1897. De nouveaux courants d’échanges s’établissent. L’administration impose le ramassage d’un produit de cueillette, le caoutchouc, entre 1890 et 1914. Des cultures d’exportations sont implantées: la banane, introduite en 1897 puis généralisée à partir de 1920 (1 500 t exportées en 1925); le café, par contre, introduit en 1850, ne commence à se développer vraiment qu’à partir de 1930. L’économie cependant demeure à un niveau élémentaire, avec un seul secteur productif, l’agriculture, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Quelques petites industries extractives ne révèlent guère l’énorme potentiel minier du sol guinéen. Une infrastructure ferroviaire est construite entre 1900 et 1914 de Conakry à Kankan, tour de force technique et financier; son impact économique comme sa rentabilité demeurent faibles. Le réseau routier ne s’étend que lentement. Les capitaux ont oublié la Guinée de 1914 à 1945.

Sur le plan social et culturel, les réalisations sont plus que médiocres. En 1958, on ne recense que 1 500 lits de centres médicaux (dont un seul hôpital) et d’infirmeries pour une population globale estimée à 2 500 000 habitants. Le handicap culturel est également considérable pour la Guinée, comme d’ailleurs pour la plupart des États africains au moment de leur accession à l’indépendance. Le taux d’analphabétisme atteignait au moins 95 p. 100. Le taux de scolarisation ne dépassait pas 11,5 p. 100. Cette situation générale recouvrait d’importantes disparités: entre les sexes (moins de 10 000 filles sur 45 000 enfants scolarisés), entre milieux urbains et milieux de «brousse», entre groupes sociaux (fonctionnaires, artisans, ouvriers et manœuvres, paysans), entre groupes religieux (écoles coraniques et écoles privées catholiques), et entre les régions géographiques. L’enseignement supérieur était inexistant.

Il fallut le choc de la Seconde Guerre mondiale pour que les métropoles coloniales – France, Grande-Bretagne, Belgique – prennent davantage conscience de leurs immenses responsabilités. Des plans de développement (le F.I.D.E.S.) virent le jour, des investissements publics furent effectués (19,5 milliards de francs C.F.A. en Guinée) prenant en compte pour la première fois les besoins des territoires. Ce, dans les quelques années précédant l’indépendance, après un demi-siècle d’une œuvre prétendument civilisatrice: trop tardive et faible compensation des énormes «efforts de guerre» exigés à deux reprises pour des guerres européennes, fussent-elles étendues à la planète, où les Africains n’étaient pas concernés. Au total, 36 000 Guinéens furent mobilisés en 1914-1918 et près de 18 000 en 1939-1945. Et bien sûr, comme partout en Afrique-Occidentale: travail forcé et réquisition de produits, cultures obligatoires... Si la population se plie encore aux exigences, la situation est grosse d’orages: «Nous n’avons plus qu’une seule ressource, la résignation; laissons à Dieu le soin de juger entre les Français et nous» (cité dans un rapport du gouverneur en 1944).

3. L’accession à l’indépendance

Après 1945, tout change. Une vie politique intense surgit, dont l’aboutissement sera l’indépendance. La guerre avait révélé la faiblesse de la métropole et rendu insupportable le «fardeau de l’homme noir». Une activité économique plus importante provoque le développement d’un syndicalisme engagé et la contestation de l’ordre colonial.

Contestation de l’ordre colonial

Dès 1945, des comportements nouveaux apparaissent. Des bouillonnements d’idées se produisent. Élections et conflits du travail en sont les révélateurs; syndicats et partis politiques en sont les agents. Une génération de jeunes leaders se dresse face aux chefs traditionnels et aux autorités coloniales.

Le contexte franco-africain a radicalement changé avec des effets d’entraînement considérables. L’évolution de la Guinée en est inséparable tout en s’en distinguant. Après les élections constituantes où, pour la première fois, un Guinéen, Yacine Diallo, est élu (oct. 1945), la IVe République française s’organise avec de nouvelles institutions et se propose de «former avec les peuples d’outre-mer une Union française». La Constitution d’octobre 1946 garantit les droits politiques et sociaux – dont le suffrage universel et le droit de grève – et proclame l’interdiction de toute discrimination. Des assemblées locales sont élues. Toutefois l’application laisse beaucoup à désirer: le Code du travail outre-mer ne sera voté qu’en décembre 1952; l’application intégrale du suffrage universel n’interviendra qu’aux élections de mars 1957. Cependant, dès avril 1946, le travail forcé avait été aboli (loi Houphouët-Boigny) puis le régime de l’indigénat (loi Lamine Gueye) deux mois plus tard.

Signe des temps. Lors des élections constituantes, un candidat guinéen demande l’application de la devise «Liberté, Égalité, Fraternité». Il va jusqu’à promettre: «Si vous voulez l’indépendance totale, votez pour moi.» Pour l’heure, les revendications prioritaires sont autres. Une première grève éclate en décembre 1945, celle du personnel africain des postes, où se révèle un jeune leader, Sékou Touré. L’année suivante, celui-ci est au cœur des discussions entre syndiqués guinéens et représentants de la Confédération générale des travailleurs français pour la création d’une Union des syndicats confédérés de Guinée. Dès la première année, cette union groupe au moins 3 000 adhérents, contre quelques centaines à sa rivale. Pendant dix ans, elle va dominer le monde du travail et jouer un rôle majeur dans l’évolution politique du pays en servant de base sinon de relais au Parti démocratique de Guinée (P.D.G.). Des grèves jalonnent son action (octobre 1947-mars 1948, juin 1950, septembre-novembre 1953) en révélant la combativité des syndiqués (cheminots, fonctionnaires, manœuvres) et la solidarité de la population. Elles aboutissent à une amélioration très appréciable des conditions de vie et assurent une popularité sans égale à Sékou Touré, devenu aussi la principale personnalité du P.D.G.

Les différentes élections amènent la création de partis politiques spécifiquement guinéens. Très rapidement, ils marginalisent les succursales des partis métropolitains. Le Parti progressiste de Guinée est créé en avril 1946 par Fodé Mamadou Touré et Madeira Keita. L’année suivante, il se transforme en section guinéenne du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.), qui vient de se constituer à Bamako (Mali) à l’instigation d’un député ivoirien, Houphouët-Boigny. Des délégués venus de tous les territoires, dont dix de Guinée, y posèrent les bases d’un programme d’émancipation politique de l’Afrique coloniale française.

La section guinéenne du R.D.A., issue d’un regroupement composite de type électoraliste (représentants ethniques, sympathisants communistes), conclut un accord avec les associations ethniques qui adoptent provisoirement les statuts et principes du R.D.A. Mais le programme du nouveau parti est trop audacieux et inquiétant, ses contradictions internes trop fortes: il entend dépasser le cadre tribal et dénoncer les abus du colonialisme. Aussi en 1948, lors des élections à l’Assemblée de l’Union française, les démissions affluent-elles. L’administration prend vigoureusement position contre le R.D.A. et met tout en œuvre, en Guinée comme en Côte-d’Ivoire, pour le contrecarrer et le briser: arrestations, mutations de fonctionnaires à l’extérieur du territoire, condamnations judiciaires, suspensions. Du fait de son apparentement parlementaire avec le Parti communiste français, le R.D.A. était en effet volontairement assimilé par elle à ce dernier. Faute d’une structure solide, la section guinéenne est bien près de disparaître. Elle n’avait pas encore su, non plus, «organiser et aider les petites catégories économiques et sociales (planteurs, transporteurs, dioulas, anciens combattants...)», ni les femmes, ni les jeunes, comme le reconnaît Madeira Keita lors de son Ier congrès en octobre 1950.

Conquête du pouvoir

La période 1951-1957 voit l’irrésistible conquête du pouvoir par le P.D.G.-R.D.A. (Parti démocratique de Guinée, selon sa nouvelle appellation à partir d’octobre 1950). Le nouveau départ est pris à N’Zérékoré, en septembre 1949, avec l’arrivée d’une vingtaine de Guinéens venus de Côte-d’Ivoire. Une lutte énergique est menée contre les livraisons obligatoires de produits agricoles. Elle suscite l’appui de nombreux paysans. La presse du P.D.G., celle des syndicats de l’Union des syndicats de travailleurs guinéens, l’U.S.T.G. (Phare de Guinée puis Coup de bambou et enfin Liberté , L’Ouvrier ), se fait souvent virulente pour dénoncer «l’augmentation des impôts injustes et le gaspillage des deniers publics», pour protester contre les lenteurs mises à voter le Code du travail ou contre l’arbitraire et les abus des chefs de canton. Sur le plan politique, le parti réclame, entre autres, l’élargissement de la représentation parlementaire, l’extension des pouvoirs de l’Assemblée territoriale, la démocratisation des chefferies. Cette mobilisation de la population est ponctuée par les temps forts que constituent les diverses élections aux assemblées françaises et guinéennes (1951, 1952, 1953, 1954, 1955, 1956, 1957) ou les grandes grèves organisées par l’U.S.T.G. La coordination entre celle-ci et le P.D.G. devient totale quand le responsable syndical Sékou Touré, déjà membre du comité directeur du P.D.G., prend la succession de Madeira Keita, en 1953, à la tête du parti. Si en 1950 le parti peut se targuer de compter 30 000 adhérents, sa puissance n’apparaît irrésistible qu’à partir de 1954.

L’administration met du temps à abandonner son attitude d’hostilité systématique, bien que le R.D.A., à l’échelle franco-africaine, se soit désapparenté en octobre 1950 du Parti communiste avec l’approbation de sa section guinéenne. Au prix parfois d’un truquage des résultats, comme en 1952, l’administration parvient à empêcher l’élection de candidats du P.D.G. ou à provoquer leur démission du parti (cas d’Amara Soumah). Les autres adversaires se regroupent dans un comité d’entente puis dans le Bloc africain (B.A.G.) ou au sein de la Démocratie socialiste (D.S.G.) appuyée par la chefferie. Ils ne peuvent empêcher l’élection de Sékou Touré comme conseiller général de Beyla en août 1953, puis comme maire de Conakry en 1955; sa popularité l’avait rendu imbattable après le succès des grèves déclenchées en 1952 dans toute l’Afrique-Occidentale française pour obtenir l’adoption du Code du travail. L’impulsion décisive est donnée, en même temps qu’apparaît un nouveau style politique. Quelques mois plus tard, une grève de soixante-dix jours manifeste avec éclat la puissance conjuguée de l’U.S.T.G. et du P.D.G. Ce dernier se trouve même en mesure de mettre en place une administration parallèle par le truchement de ses comités de village ou de quartier.

La vie politique est devenue singulièrement agitée. C’est toute l’Afrique noire française qui entre dans une nouvelle ère; six ans, et ce sera l’indépendance. La Guinée va jouer un rôle important dans cette évolution. L’année 1956 marque le point de non-retour. En juin, la loi-cadre pour les territoires d’outre-mer, dite loi-cadre Defferre, est votée par le Parlement français. Elle implique la création dans chaque territoire d’un conseil de gouvernement. Les luttes entre partis politiques rivaux s’accentuent en Guinée, particulièrement entre le P.D.G.-R.D.A., qui avait obtenu deux sièges de députés (Sékou Touré et Diallo Saifoulaye), aux législatives de janvier 1956, et le B.A.G. qui, lui, en avait gagné un (Barry Diawadou). Tous les moyens sont bons: bastonnades, incendies de cases et de maisons, provocations, bagarres... Pendant quatre ans, de 1954 à 1958, c’est le règne de la violence par les troupes de choc du P.D.G.-R.D.A. contre leurs adversaires, principalement B.A.G. Les affrontements les plus sanglants se produisant en octobre 1956 et en mai 1958; ils font au total plus de 1 500 victimes, dont un millier à Conakry. L’âpreté de la lutte politique se greffait sur les antagonismes ethniques.

Les élections à l’Assemblée territoriale (mars 1957) consacrent le triomphe du P.D.G.-R.D.A., qui remporte la quasi-totalité des sièges (56 sur 60). Le premier gouvernement guinéen est mis en place avec Sékou Touré pour vice-président, la présidence étant réservée de droit au gouverneur français du territoire, J. Ramadier. En fait, Sékou Touré sera le véritable chef du gouvernement. Il va désormais utiliser au maximum toutes les possibilités offertes par la loi-cadre Defferre en décrétant d’importantes mesures et en se servant des leviers du pouvoir (administration, police) pour mettre à la raison tous ses adversaires. Ainsi, après une conférence des commandants de cercle (juill. 1957), les chefferies de canton furent supprimées et l’administration du territoire réorganisée. Les émeutes de 1958 neutralisent, une fois pour toutes, les autres partis politiques.

L’indépendance

La scène politique déborde cependant largement le cadre de la Guinée. Le mois de mai 1958 voit également l’effondrement de la IVe République française et provoque le retour au pouvoir du général de Gaulle. Une nouvelle Constitution est aussitôt mise en chantier. Pour les territoires d’outre-mer, déjà semi-autonomes, le débat se fait entre partisans de l’indépendance immédiate; partisans d’une confédération d’États indépendants composée de la France et d’un groupement d’États africains doté d’un exécutif fédéral (L. S. Senghor, S. Touré); partisans d’une communauté de type fédéral avec des rapports inégalitaires entre la France et les membres africains jouissant d’une autonomie interne (F. Houphouët-Boigny). De Gaulle tranche en faveur des derniers: tout État indépendant cessera d’appartenir à la Communauté. On allait ainsi à l’encontre d’un fort courant africain voulant à la fois l’indépendance et l’association avec la France. Aux intéressés de choisir lors du référendum: voter non, c’est l’indépendance avec pour corollaire la sécession, «le territoire sera considéré alors comme étranger».

De Gaulle entreprend un périple en Afrique française pour rallier tous les territoires à la communauté proposée. Tous s’y rallient sauf un, la Guinée. À Conakry, le 25 août 1958, se produit le choc entre les deux conceptions politiques opposées s’incarnant dans deux personnalités abruptes dont l’une, de Gaulle, connaissait son prestigieux passé et assumait un nouveau devenir, dont l’autre, Sékou Touré, était impatiente de tisser son destin et celui de son pays. Sékou Touré: «Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage [...]; nous ne renoncerons jamais [...] à l’indépendance [...]. Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents nous font choisir [...] l’interdépendance et la liberté dans cette union (avec la France) plutôt que de nous définir sans la France et contre la France.» De Gaulle: la France n’a pas à rougir de «l’œuvre accomplie ici avec les Africains [...]. L’indépendance est à la disposition de la Guinée, elle peut la prendre en disant «non» [...], la métropole n’y fera pas obstacle».

Lors du référendum qui s’est déroulé le 28 septembre, la Guinée dit non par 1 136 324 bulletins contre 56 981 favorables au oui. L’indépendance est proclamée le 2 octobre 1958 par l’Assemblée territoriale, devenue Assemblée nationale. Sékou Touré devient chef de gouvernement et le demeurera jusqu’à sa mort en 1984. La Constitution guinéenne est adoptée le 10 novembre. Le nouvel État indépendant devient membre de l’Organisation des nations unies le 13 décembre, pour un vote à l’unanimité; la France s’est abstenue après avoir refusé de parrainer l’admission.

4. La révolution guinéenne

Dès avant l’indépendance, le P.D.G. se donnait comme ligne d’action «la décolonisation intégrale de toutes les structures du pays». Il se fixe ensuite pour objectif la construction d’une «société socialiste» par la transformation radicale tant des structures économiques et sociales que des comportements et mentalités, sous la conduite du «responsable suprême de la Révolution», Ahmed Sékou Touré.

Idéologie totalitaire

Totalitaire, l’idéologie concerne toute la société dans ses groupes et ses classes, chaque individu dans toutes ses activités. Elle est sans cesse rappelée et développée à travers les émissions de radio et les nombreux rapports, discours, écrits de Sékou Touré, à l’occasion des multiples assemblées, conférences et congrès. Elle est contenue dans les trente volumes portant sa signature, références obligatoires dans toutes les expressions publiques d’opinion. Lui seul est habilité à l’exprimer officiellement, si ce n’est à l’élaborer. En dehors de la ligne politique définie par le grand stratège, «on cesse d’être révolutionnaire» et on se situe dans «la classe antipeuple», celle des traîtres à la Révolution.

Dans un vocabulaire de type marxiste où reviennent sans cesse les termes de révolution, de lutte des classes (après 1967), de socialisme, de centralisme démocratique, de pouvoir révolutionnaire, de dictature populaire, de lutte contre l’impérialisme, d’exploitation de l’homme, de ligne de masse... se trouvent véhiculées quelques idées-forces plutôt que la théorie marxiste. Sékou Touré ne se réclame pas du «socialisme scientifique», ni dans sa version soviétique ni dans sa version cubaine. Ainsi la méthode dialectique est retenue, mais le matérialisme athée est rejeté. On parle de lutte des classes mais on affirme aussi que «le peuple laborieux constitue la classe-peuple». Le développement économique à réaliser est «non capitaliste» plutôt que «socialiste».

Les principales lignes de force de l’idéologie peuvent être résumées. Sur le plan intérieur, il s’agit de créer une nation guinéenne par-delà les groupes ethniques tout en privilégiant les valeurs africaines authentiques (langues nationales, arts populaires, héros africains): «Il n’y a plus de Soussou, de Foulah... mais seulement des Guinéens.» Cette nation doit s’organiser en société socialiste, d’où sera bannie toute exploitation de l’homme par l’homme, grâce au parti-État qui permet au peuple d’exercer effectivement et totalement le pouvoir et tous les pouvoirs. Sur le plan extérieur, il s’agit de viser l’unité africaine et de ne s’inféoder ni aux puissances occidentales ni aux puissances socialistes par la pratique du «neutralisme positif». À ne pas confondre avec une pseudo-neutralité qui n’est que passivité ou indifférence lorsqu’il est «porté atteinte à la liberté des peuples». Dès lors, la révolution guinéenne «est par son essence même globale et multiforme; elle va à la racine des choses et arme le peuple [...] afin de le rendre invincible dans l’histoire» (Préambule de la IIe Constitution).

Partitocratie

Une fois l’indépendance acquise, les dirigeants du P.D.G. obtinrent l’autodissolution des autres partis politiques. Le régime mis alors en place – régime présidentiel fort avec parti unique de facto – va évoluer progressivement vers une «république populaire révolutionnaire» où les structures partisanes et étatiques sont désormais fusionnées. Plusieurs jalons marquent cette évolution. Le comité central du P.D.G. décide, en novembre 1967, l’organisation d’un «pouvoir révolutionnaire local» (P.R.L.). Puis, en novembre 1978, le XIe congrès proclame la transformation de la Guinée en «République populaire révolutionnaire» reposant sur les trois piliers dits indissociables, invincibles et indestructibles que sont le fier peuple, le parti-État et le stratège président Ahmed Sékou Touré (héros du 28 septembre et du 22 novembre, père de la nation, serviteur suprême du peuple). Une loi entérine cette transformation en février 1979 et une IIe Constitution consacre, le 14 mai 1982, les nouvelles institutions. Les dirigeants considéraient alors que la Guinée avait atteint la phase de la «démocratie populaire avancée» en 1978.

La IIe Constitution présente d’importantes modifications par rapport à celle de 1958. Sans doute reprend-elle les droits et libertés déjà proclamés, comme les libertés de parole et de conscience, le droit de grève, l’interdiction de la détention arbitraire. En revanche, de nouveaux droits et devoirs sont proclamés ou explicités, dont l’égalité de l’homme et de la femme, le respect de la personne humaine, le devoir de travailler, etc. Mais le droit d’association n’est plus reconnu. De plus, le nouveau texte innove en droit constitutionnel en supprimant toute distinction, même formelle, entre le parti et l’État. Par là, il se démarque très nettement des Constitutions de l’U.R.S.S. et de la Chine, malgré de nombreuses ressemblances.

À l’instar de la première, la nouvelle Constitution n’a pas d’impact concret pour le citoyen en ce qui concerne le respect des droits et libertés fondamentaux. Du reste, deux ans après sa proclamation, la mort de Sékou Touré et le renversement de son régime la frappent de caducité. Elle avait, en fait, pour objectif, de solenniser le fonctionnement des institutions tel qu’il se manifestait au fil des années ainsi que l’omnipotence et la prédominance quasi totales de son chef. La souveraineté du peuple s’exerce à travers des organisations de masse dans le cadre du parti unique sur lequel la Constitution de 1958 était muette. Mais le parti forme avec l’État une seule entité indivisible dont la justification se veut d’ordre historique. C’est le parti qui a fondé l’État dont est née la nation guinéenne. Il lui revient de l’organiser, de le diriger et de le contrôler «en assumant réellement toutes les fonctions en tant que parti-État et en œuvrant à la réalisation du peuple-État» (IIe Constitution, Préambule). Dès lors, l’État n’est que l’instrument technique par lequel «la classe-peuple exerce souverainement le pouvoir».

Comme dans les régimes communistes, le principe organisationnel fondamental est le «centralisme démocratique» avec l’élection des responsables, une discipline rigoureuse et la subordination de la minorité à la majorité.

L’unité de base est, au niveau du village ou du quartier, le pouvoir révolutionnaire local (P.R.L.). Celui-ci dispose, en théorie, de tous les pouvoirs en matière politique, administrative, économique, domaniale, socioculturelle et de défense. Dirigé par un bureau de 7 membres présidé par un maire, il englobe une population de 1 500 à 2 000 personnes. Les P.R.L. (2 441 en 1982) sont groupés en 314 arrondissements eux-mêmes regroupés en 35 régions dirigées par un exécutif régional dont font partie le gouverneur et les chefs de services administratifs régionaux. Les régions enfin sont réparties en 7 commissariats généraux de la révolution. À chaque étage de la pyramide existent des «instances de décision qui en constituent le Parlement» (congrès, conférence, assemblée générale) et qui doivent se réunir régulièrement.

Au sommet, le Parlement comprend par ordre décroissant de compétence: le Congrès national, instance suprême ayant compétence générale sur toutes les affaires de la nation; le Conseil national de la révolution (C.N.R.) qui contrôle l’exécution des tâches et dont le comité central (C.C., composé de 75 membres) assume les responsabilités entre les sessions; l’Assemblée nationale (210 députés) qui, formellement, vote la loi; enfin un Conseil et une Assemblée constitutionnels dont le rôle est de veiller à la régularité de l’élection présidentielle et d’en proclamer les résultats.

Le pouvoir révolutionnaire central, ou exécutif national, comprend le président de la République, le bureau politique et le gouvernement. Toutefois, le texte constitutionnel, implicitement, fait du président le détenteur exclusif du pouvoir exécutif puisque le bureau politique «assiste» le président et que le gouvernement est formé de ministres nommés par lui et responsables devant lui. On peut parler d’un présidentialisme «autocratique» analogue à celui de la plupart des autres États africains en ce qu’aucun contrepoids institutionnel n’existe. La responsabilité politique du président ne peut être mise en cause si on excepte la nécessité de l’élection au suffrage universel. Dans le cas de la Guinée, l’une des prérogatives présidentielles, la nomination à tous les emplois civils et militaires, pèse d’un poids écrasant étant donné l’étatisation quasi complète de l’économie (nomination par décret des cadres des entreprises commerciales et industrielles).

La concentration du pouvoir est totale. Le droit guinéen consacre la pratique en vigueur depuis l’indépendance et le parti est devenu État. Déjà, en 1964, Sékou Touré parlait de «l’unicité fonctionnelle du parti et de ses organes d’exécution, le législatif, l’exécutif, le judiciaire». Les membres du bureau politique sont également ministres. Les élections sont les gestes rituels de la vie politique. Très fréquentes du fait de la multiplicité des organismes et des niveaux, elles n’excluent pas une certaine compétition entre candidats, mais celle-ci est soigneusement encadrée par les instances hiérarchiques supérieures. Le cumul des mandats est fréquent. Il est intégral au sommet: secrétaire général du P.D.G. depuis 1953, chef du gouvernement depuis 1957, président de la République depuis 1961, responsable suprême de la Révolution depuis 1978, Sékou Touré a exercé ces responsabilités jusqu’à sa mort en mars 1984. Il fut réélu président en 1982 pour un quatrième mandat avec 100 p. 100 des suffrages exprimés (3 063 692) et un nombre infime d’abstentions. Aux autres élections (comité central, Assemblée nationale, bureaux fédéraux...), les listes établies par l’instance appropriée et visées par le secrétaire général sont entérinées. Le régime se veut une «démocratie avancée». Mais une sorte de classe politique monopolise fonctions et responsabilités comme l’indique la composition des organes du parti-État: enseignants et fonctionnaires. À l’échelon national, les paysans et les ouvriers ne figurent que dans la proportion de 5 à 7 p. 100, les commerçants sont exclus.

L’encadrement de la population – tout Guinéen est censé être membre du parti dès son plus jeune âge – se trouve complété par un regroupement dans trois organismes, la Jeunesse de la révolution démocratique africaine (J.R.D.A.), l’Union révolutionnaire des femmes de Guinée (U.R.F.G.) et la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (C.N.T.G.) dont les représentants sont membres des divers organes du parti-État. Quant à l’armée, des comités d’unité militaire et des commissaires politiques veillent au comportement des officiers et de la troupe. Dans les écoles, des commissaires semblables s’occupent de la discipline et de la production, si ce n’est de la direction.

Purge des «contre-révolutionnaires»

Devenu omnipotent et omniprésent, le P.D.G. a réussi à neutraliser ou à détruire les forces politiques qui eussent pu s’opposer à lui ou les antagonismes surgissant en son sein. Si la violence physique n’a pas été utilisée contre le colonisateur pour réaliser l’indépendance, elle n’en demeure pas moins au cœur du régime. Dès le début, Sékou Touré n’a pas hésité à parler de dictature. Depuis, il rappelle volontiers que le parti «assume, de par sa plénitude, la dictature populaire et révolutionnaire» ou que la contre-révolution est inhérente au processus révolutionnaire: le complot est permanent! Tous ceux qui s’écartent tant soit peu de la ligne politique du moment peuvent être qualifiés, à tort ou à raison, d’«ennemis de la Révolution», en collusion évidemment avec l’impérialisme. Furent ainsi impliqués aussi bien les profiteurs de malversations financières ou économiques que «les purs», aussi bien les adversaires potentiels ou déclarés que les partisans du régime. La révolution souvent dévore ses propres enfants. Toutes les couches et catégories sociales furent frappées.

Une quinzaine de complots ont ainsi été officiellement dénoncés de 1958 à 1984, dont certains furent réels (ceux de 1965). Les sentences sont prononcées, quand elles le sont, par des tribunaux populaires créés pour la circonstance. L’Assemblée nationale fut érigée en tribunal, en 1971, et le C.N.R. le fut à plusieurs reprises. Aucune procédure n’est de rigueur, aucun droit n’est reconnu à l’accusé. La torture est pratique courante, voire généralisée comme durant la période 1967-1980. La délation est érigée en système. Le maintien au pouvoir d’un petit noyau de dirigeants autorise le mépris le plus total des droits de la personne humaine.

Les «forces traditionnelles» furent les premières atteintes avec l’abolition des chefferies de canton en 1957, la campagne contre le fétichisme et les sorciers, puis les arrestations de marabouts en 1959-1960. En avril 1960, un complot contre-révolutionnaire est dénoncé devant 60 000 personnes dans lequel sont impliqués des ressortissants français et guinéens. L’année suivante, l’Église catholique doit accepter la nationalisation de ses écoles, l’expulsion de son archevêque français et l’africanisation de son clergé. Peu après, c’est le tour des «forces modernes». En novembre-décembre 1961, les «intellectuels», enseignants et étudiants, sont remis au pas manu militari , sous l’inculpation de noyautage des organismes du parti et des syndicats. Il en ira de même en 1970. Le droit de critique n’appartient qu’au responsable suprême ou ne peut être exercé sans son accord. Cette règle non écrite du régime ne souffre pas d’exception. En novembre 1964, une loi-cadre supprime la liberté du commerce, interdit l’exploitation privée du diamant, exclut les commerçants des organismes directeurs du parti, crée une commission de vérification de tous les liens des citoyens. En octobre 1965, le régime révèle un complot dit des commerçants avec l’arrestation d’une soixantaine de personnes dont Petit Touré qui voulait créer un nouveau parti politique et deux anciens membres du bureau politique, J. F. Tounkara et Bengali Camara... Un coup de semonce est également donné à l’armée avec la rétrogradation du ministre Fodéba Keita (par la suite condamné à mort), le renforcement de la milice et l’arrestation d’officiers. Finalement, l’armée est décimée en 1969, 1970 et 1971, à commencer par les membres de l’état-major.

Le paroxysme de la répression est atteint en 1971, année de la grande purge qui frappe de terreur toute la population. C’est que le régime a failli s’effondrer. La capitale, Conakry, est attaquée de l’extérieur, en novembre 1970, par des forces paramilitaires portugaises auxquelles se sont joints des émigrés guinéens. Pendant une vingtaine d’heures, la tentative de renversement du régime, objectif second de l’opération, a été sur le point de réussir: les réactions de la population ont tardé à se manifester, le président et son demi-frère Ismaël se sont cachés et nombre d’autres dirigeants sont restés dans l’expectative. L’agression extérieure est condamnée par le Conseil de sécurité de l’O.N.U. et par l’O.U.A. tandis que des manifestations internationales de solidarité se produisent.

Mais les conséquences intérieures en sont tragiques. Faux procès hors de toute norme, tortures au camp Boiro, condamnations sans jugement et «verdicts populaires», pendaisons publiques avant un sinistre carnaval (8, dont Barry III, Magassouba Moriba). La «purge» est menée par un noyau de tortionnaires (Ismaël Touré; Siaka Touré, neveu du président; Seydou Keita, futur ambassadeur en France) groupés autour du président: 5 000 arrestations en deux mois, des centaines de victimes. Elle frappe, dans un amalgame nourri des haines personnelles, ministres, archevêque, officiers, hauts fonctionnaires, commerçants, paysans, gagne-petit, étrangers... Ses péripéties suscitent la stupeur et la réprobation dans l’opinion internationale, africaine ou occidentale. Son caractère impitoyable et inhumain marque désormais le régime d’une tare indélébile.

Les séquelles n’en seront pas effacées de sitôt malgré des libérations, voire des réhabilitations survenant de temps à autre comme en 1977 et 1978 où auraient été relâchés plus d’un millier de prisonniers. Toute opposition éventuelle s’en trouve affectée et la population traumatisée, d’autant qu’une psychose est entretenue par la dénonciation de nouveaux complots: septembre 1973, mai-juillet 1976 avec l’arrestation de Telli Diallo (ancien secrétaire général de l’O.U.A.) et la mise en cause de l’ethnie peule (500 arrestations), mars 1979, mai 1980, février 1981, février 1982. Un mois avant sa mort, Sékou Touré préparait de sa main une nouvelle liste d’arrestations (évêque, officiers, cadres). À maintes reprises (déc. 1978, oct. 1982), Amnesty International stigmatise la situation faite aux prisonniers guinéens dont «le sort est de mourir de faim et de soif» (la diète noire). Toutefois, soucieux de ses relations avec les pays occidentaux depuis 1978, seuls en mesure d’assurer l’exploitation des ressources minières du pays, Sékou Touré impose le secret sur les massacres de répression. Un soulèvement largement spontané des femmes en août 1977 l’avait d’ailleurs acculé à amorcer une libéralisation économique en supprimant la police économique des marchés et en permettant une réouverture progressive du commerce privé. Les émigrés guinéens – le quart de la population? – n’en continuent pas moins de voir croître leur nombre au fil des ans sans pour autant réussir à s’organiser.

Révolution sociale

La révolution politique a entraîné une certaine révolution dans les structures sociales ainsi que dans les comportements et les mentalités. En Afrique, au sud du Sahara, la plupart des nouveaux États, faute d’avoir pu surgir de nations, se sont donné pour objectif l’intégration des populations que la colonisation avait circonscrites à l’intérieur des frontières. Cette intégration est trop souvent conçue comme une négation des groupes ethniques. Le fait ethnique demeure, malgré toutes les tentatives d’occultation.

En Guinée, l’action du P.D.G., menée à l’aube de l’indépendance pour dépasser les clivages et fusionner les groupes, a été poursuivie avec vigueur et maintes ambiguïtés par le pouvoir: campagnes radiophoniques, mesures législatives, telle la loi contre le racisme, manifestations culturelles. Elle s’appuie sur le brassage opéré par la croissance des villes, les transformations économiques et le développement de l’instruction. Toutefois, malgré des résultats appréciables, on ne saurait dire que le problème de l’intégration ethnique soit résolu. En témoignent les véhémentes condamnations de l’esprit de caste, du racisme, du régionalisme faites périodiquement: discours du 15 janvier 1968 sur la discrimination ethnique, montage d’un «complot» peul en 1976.

Des recherches portant sur l’appartenance ethnique de 6 000 cadres montrent, pour l’ensemble de la période 1958-1984, une très nette prédominance des Malinké et une assez bonne représentation des Soussou, mais aussi une sous-représentation accentuée des groupes forestiers et surtout des Peuls. Cette dernière ethnie semble avoir été en outre la plus grande victime des répressions politiques. Si la représentation des députés était à l’image de la population, les instances politiques et administratives les plus importantes, quant à elles, connaissaient une très forte majorité de nominations de Malinké (plus de 45 p. 100), ethnie du clan présidentiel. Il en allait de même pour les cadres de l’armée.

Un autre processus fondamental de transformation de la société passe par l’émancipation des femmes et des jeunes, comme l’a bien montré le sociologue Claude Rivière: «la femme soutient le parti, le parti émancipe la femme». Le statut de la femme a été entièrement refondu en 1962 et 1968, qu’il s’agisse de l’âge au mariage (17 ans), de la nécessité du consentement mutuel, du divorce au lieu de la répudiation, de l’institution de la monogamie, de la dot, des conditions de travail. Même si l’application des textes laisse beaucoup à désirer, car la modification des comportements exige du temps, ces mesures sont en soi révolutionnaires. Au sein du parti, les femmes tenaient une place statutaire dans tous ses organismes (3 000 élues en 1968). Pour être largement symbolique dans de nombreux cas, leur participation n’en revêtait pas moins une signification très réelle en Afrique: 27 p. 100 des députés en 1980 (quelquesunes furent ministre, gouverneur de région ou ambassadrice), 10 p. 100 des personnes élues au B.P.N. (Bureau politique national), 7 p. 100 au comité central mais moins de 2 p. 100 ont été nommées à des responsabilités administratives. En revanche, elles firent collectivement la démonstration de leur poids politique à plusieurs reprises (manifestations d’octobre 1964, émeutes d’août 1977) et elles s’insèrent désormais dans nombre d’activités économiques dont elles étaient jusqu’alors exclues.

Sur le plan éducatif, des efforts considérables ont été faits avec des résultats fort inégaux. La priorité fut donnée aux jeunes: le taux de scolarisation pour les moins de treize ans est passé de 11 à 32 p. 100 (1984) et s’établit à quelque 5 p. 100 pour ceux de vingt à vingt-quatre ans faisant des études supérieures. Deux universités (Conakry, Kankan) et une quarantaine de facultés d’enseignement supérieur furent créées. Mais l’insuffisance des infrastructures, trop souvent inachevées et précaires, le manque d’équipements, la dégradation des conditions de vie des enseignants et de leur niveau de formation amènent à s’interroger sur la qualité des résultats obtenus.

L’accent fut mis également sur deux points essentiels, à savoir la réforme des enseignements pour assurer la liaison école-vie-production et l’alphabétisation des adultes dans les langues nationales: il y eut une vingtaine de réformes!

5. Aggravation du sous-développement

Si dans le domaine politique les excès et abus retiennent surtout l’attention au détriment d’éléments positifs, dans le domaine économique ce sont les contre-performances en regard des potentialités. Sans doute la notion de développement n’est-elle ni claire ni précise, mais plusieurs indices sont révélateurs. Selon les données de la C.N.U.C.E.D. (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), la Guinée a connu une décroissance de son produit intérieur brut par habitant pour la période 1960-1985 (soit un taux annuel moyen de 漣 1,2 p. 100 pour la première décennie, de 0,6 pour la deuxième et de 漣 1,6 pour les cinq dernières années). Elle ne vient ainsi qu’au vingt-neuvième rang parmi les quarante et un «pays les moins avancés» (P.M.A.) de la planète.

Potentiel économique

Le potentiel de la Guinée est loin d’être négligeable, en comparaison de celui des États voisins, y compris la Côte-d’Ivoire. Les ressources agricoles devraient assurer l’autosuffisance alimentaire de la population. La variété et la complémentarité de ses régions, son climat et ses ressources en eau, la diversité de ses cultures, les possibilités d’élevage et de pêche sont autant d’atouts importants malgré la relative pauvreté des sols et la faible étendue des terres cultivables (7,4 millions d’hectares, soit moins du tiers de la superficie totale). Elle se trouve assez largement hors des zones frappées par la sécheresse (cas des pays du Sahel).

Les ressources minières donnent à la Guinée l’espoir d’obtenir les moyens nécessaires à son développement. Elle est richement dotée de bauxite, de fer, de diamant, d’or, d’uranium. Avec 5,9 milliards de tonnes de bauxite à haute teneur, elle détenait en 1987 26 p. 100 des réserves prouvées du monde. Les gisements en sont facilement exploitables et sont rentables. En outre, la Guinée possède également du minerai de fer à haute teneur (réserves prouvées de 750 millions de tonnes) dans les régions du mont Nimba et du Simandou, mais leur éloignement et la situation du marché mondial n’ont pas encore permis leur mise en exploitation. Les réserves de diamant (qualité joaillerie) étaient estimées à 300 millions de carats en 1986.

Enfin la Guinée détient les plus importantes réserves hydroélectriques (6 600 MW) de tout l’Ouest africain. La puissance installée (140 MW) demeure très faible et n’est pas toujours fournie.

Étatisation et plan de développement

Le régime de Sékou Touré procéda progressivement à une étatisation quasi complète de l’économie dont tous les secteurs relevèrent peu ou prou de l’État, soit sous la forme d’entreprises nationales (170 en 1984) et de sociétés mixtes (une trentaine), soit sous son contrôle indirect (plusieurs centaines d’entreprises privées de petite taille). Les premières assuraient de 25 à 30 p. 100 du produit intérieur brut et employaient plus de 70 p. 100 de la main-d’œuvre salariée. En revanche, les sociétés mixtes, dont le gouvernement détient environ 50 p. 100 du capital, jouaient un rôle capital, encore accru par la politique d’ouverture pratiquée depuis 1975. Quant à la place des entreprises privées, elle était devenue très vite assez marginale (quelques milliers d’emplois). Elle retint à nouveau l’attention du gouvernement avec l’adoption d’un nouveau Code des investissements en 1977 ou l’organisation, en 1981, d’un ministère des Petites et Moyennes Entreprises et, surtout, avec les mesures de dénationalisation du commerce prises à partir de 1979.

La Guinée avait ainsi mis en place un système économique dont, à l’époque, on ne trouvait guère d’équivalent en Afrique mais dont l’évolution le différenciait nettement des modèles socialistes (la «voie non capitaliste»). La planification, qui était censée le régir, et malgré ses prétentions, ne constituait qu’un catalogue de projets au financement hypothétique, au grand dam des experts socialistes.

Ainsi le IIIe plan (1973-1978), qui prévoyait un investissement total de 59 milliards de sylis, fut ramené à 36 milliards et ses réalisations ne s’élevèrent qu’à 13 milliards. De même, la répartition des dépenses par secteurs ne correspondit guère aux priorités fixées; les coûts réels et la rentabilité des opérations ou furent mal évalués ou ne le furent pas.

Trois plans furent, après prolongation, formellement réalisés (tabl. 1); un quatrième (1981-1985) sera abandonné à la mort de Sékou Touré. De tous les secteurs, celui de l’agriculture fut le moins favorisé. Il n’est pas surprenant que l’autosuffisance alimentaire, un des objectifs du IIIe plan, soit demeurée hors d’atteinte. Les infrastructures, les industries et les mines se sont taillé la part du lion dans les investissements. Pourtant, les infrastructures en restèrent à un stade rudimentaire (délabrement des bâtiments publics, détérioration des réseaux ferré et routier...) malgré des réalisations de prestige comme le palais du Peuple et celui des Nations, ou encore Air Guinée. C’est durant le Ier plan que furent posés les fondements du système économique, l’objectif étant d’opérer la décolonisation et de mettre en place des structures socialistes: nationalisation des banques, création d’une monnaie nationale inconvertible, monopolisation étatique du commerce, sortie de la zone franc. Une industrialisation légère et une extension du secteur minier furent les objectifs principaux du IIe plan: tabac et allumettes, etc.

Finalement, l’économie guinéenne demeure de type primaire tant par la prédominance de l’extraction minière et de l’agriculture que par l’ampleur du secteur tertiaire (commerce et services). Le secteur manufacturier ne contribue que très peu au produit national: 2 p. 100 en 1985, l’un des plus faibles pourcentages du monde. Bref, il s’agit pour l’essentiel d’une économie peu développée et fortement extravertie («économie minière d’enclave», selon les termes de S. Amin).

Structures de production

Agriculture

L’agriculture (avec l’élevage et la forêt) occupe toujours la plus grande partie de la population active, soit environ 80 p. 100, et procure de 30 à 40 p. 100 du produit national. Sa part dans les exportations est tombée de 60 p. 100 en 1958 à moins de 4 p. 100 en 1980. Malgré leur variété, les productions (tabl. 2) ne permettent pas de satisfaire les besoins de la nation, ce qui nécessite l’importation de 70 000 à 120 000 tonnes de riz chaque année et avait amené l’instauration d’une carte de ravitaillement.

Maladies, pluviosité parfois défavorable, faible productivité, insuffisance des investissements, à-coups du système de commercialisation et politique des prix conjuguent leurs effets pour provoquer une détérioration croissante depuis l’indépendance. La production de manioc et de patates était estimée à 488 000 tonnes en 1960, celle du fonio et celle du maïs à 480 000 tonnes chacune. La production vivrière par habitant n’a cessé de régresser à un taux moyen de 漣 0,4 p. 100 pour la période 1960-1970, de 漣 1 p. 100 pour 1970-1980 et de 漣 2 p. 100 pour 1980-1985 (chiffres de la C.N.U.C.E.D.). La Guinée est au nombre des sept pays ayant réalisé le plus mauvais score en 1980-1985. La production des cultures d’exportation n’a pu, non plus, se maintenir mais donne lieu à une importante commercialisation illégale dans les marchés parallèles. Il en va de même pour le secteur de l’élevage (stagnation du troupeau, exportations hors des circuits officiels). D’où l’existence d’une économie parallèle de survie.

L’ensemble de la production agricole est toujours assuré (à 80 p. 100) par des exploitations familiales de petite taille, selon les méthodes traditionnelles, avec pour objectif le minimum, vu les normes imposées et les livraisons obligatoires. Toutes les tentatives d’organisation collective (coopératives de production, centres de modernisation rurale) ou étatique (fermes d’État sur le modèle soviétique, brigades de production, fermes agropastorales) échouèrent successivement. Tout indique l’impuissance du régime de Sékou Touré à maîtriser les problèmes du secteur agricole: la part des brigades dans la production totale n’a pas dépassé 5 p. 100 dans les années 1978-1980.

Les réorganisations contradictoires des circuits de commercialisation ne pouvaient qu’aggraver la situation. Les monopoles d’État créés dans les années 1960-1963 furent remplacés par des entreprises nationales d’importation sectorielle, en même temps que des facilités étaient données aux entreprises privées. Mais, dès l’année suivante, le gouvernement remit en cause les mesures de libéralisation pour finalement décréter en 1975 l’abolition de tout commerce privé et la suppression des marchés villageois hebdomadaires. Un monopole d’État très strict fut rétabli. À nouveau, le commerce privé fut autorisé en 1979 sous certaines conditions: engagement d’honneur (ne plus jamais «affamer le peuple», ni «préférer l’argent à la nation», ni enfin «se livrer aux fraudes économiques»), respect des prix officiels...

Mines

Le potentiel minier n’a commencé à être mis en valeur qu’à partir de 1953 avec l’exploitation du minerai de fer de la presqu’île Kaloum-Conakry (jusqu’en 1966, date d’arrêt de la mine) et celle d’un premier gisement de bauxite. Depuis l’indépendance, le secteur minier est le seul à avoir connu une réelle croissance. Trois produits (bauxite et alumine, diamant à compter de 1984) assurent à eux seuls plus de 90 p. 100 des exportations officielles en valeur (98 p. 100 en 1985). La Guinée est désormais le deuxième producteur mondial de bauxite avec plus de 11 millions de tonnes par an (tabl. 3).

L’exploitation est assurée par deux sociétés d’économie mixte et une société d’État: la Compagnie des bauxites de Guinée (C.B.G.) sur le gisement de Sangarédi, la société Friguia sur celui de Badi-Konkouré avec transformation de la bauxite en alumine et l’Office des bauxites de Kindia (O.B.K.) sur ceux de Débélé. Pour les deux premières, la Guinée est associée (49 p. 100 du capital et 65 p. 100 des bénéfices) à des multinationales étrangères sous la direction respective d’Alcan (Canada) et de Pechiney (France). Des négociations menées en 1974-1975 portèrent le prix de la tonne de bauxite de 20,4 à 32,8 dollars (en 1980), puis à 36 dollars. Dans le cas de l’O.B.K., un accord d’assistance technique et de commercialisation fut signé pour trente ans avec l’U.R.S.S. qui permet depuis 1974 des exportations vers ce pays à un prix très inférieur tout en assurant le remboursement des dettes guinéennes (amortissements, importations) dans des conditions peu précises (accords de troc).

S’agissant du diamant, une société mixte, Aredor, associe la Guinée (50 p. 100 du capital, 30 p. 100 des bénéfices) à des partenaires australiens, anglais et suisses. La Guinée est également associée à la commercialisation du diamant. En 1986, la production est montée à 204 000 carats. Le gisement en exploitation est le plus riche du monde par la valeur des pierres extraites (93 p. 100 de joaillerie).

Les ressources énormes dont dispose la Guinée, un nouvel afflux de capitaux, l’instauration d’une IIe République lui permettront-ils de voir son économie décoller, le sort de ses habitants s’améliorer avant l’an 2000?

Dépendance et pauvreté

Si les «lendemains de prospérité» ne paraissent pas hors de portée, les trois décennies écoulées n’ont pas apporté une amélioration des conditions de vie malgré l’accroissement des revenus gouvernementaux tirés de la bauxite après 1970. La Guinée demeure toujours classée parmi les pays les moins avancés de la planète avec un P.N.B. de 440 dollars par habitant en 1990. Encore faudrait-il pouvoir connaître la répartition des revenus. Aucune étude statistique d’ensemble n’existe. Toutefois, de nombreux éléments amènent à penser que, sous le régime de Sékou Touré et depuis lors, le taux d’accaparement par les couches bureaucratiques, commerçantes et militaires est très élevé: trafics illicites, pots-de-vin, spéculation immobilière, commerce des fonctionnaires par personne interposée.

La couverture des «besoins essentiels» est loin d’être assurée pour l’ensemble de la population. Ainsi l’apport journalier de calories par habitant et par jour, nécessaire pour le maintien d’un état normal d’activité et de santé, ne correspond qu’à 77 p. 100 des besoins en 1984-1986 (chiffres du P.N.U.D.). La Guinée est au nombre des pays où l’insuffisance est la plus grande. Pour certains indicateurs, la moyenne guinéenne est même nettement inférieure à celle des pays les moins avancés en 1988-1990: accès de la population rurale à l’eau potable (24 p. 100), espérance de vie à la naissance (58 ans), taux de scolarisation dans le primaire et le secondaire (22 p. 100), alphabétisation des adultes (24 p. 100).

La politique guinéenne, très préoccupée d’indépendance sur la scène internationale, se soucie peu des phénomènes de dépendance en matière économique et technique. Globalement, la dépendance peut être saisie par plusieurs indicateurs dont la portée est cependant difficile à cerner. Le recours massif aux capitaux étrangers (firmes multinationales, prêts des organismes internationaux ou des États) a provoqué un quadruplement de la dette publique extérieure qui est passée de 314 millions de dollars en 1970 à 1 432 en 1985. Cette dette atteint environ 70 p. 100 du P.N.B. et place la Guinée au onzième rang des P.M.A. les plus endettés. Elle doit consacrer au service de la dette de 30 à 35 p. 100 de la valeur de ses exportations. Cela constitue un lourd handicap bien que sa capacité de payer demeure grande: les capitaux étrangers vont pour une large part au secteur minier, source quasi unique des exportations et fonctionnant largement en circuit fermé.

6. Le neutralisme touréen

Les relations extérieures peuvent être étudiées dans trois grands secteurs: puissances occidentales, pays de l’Est, Afrique et Tiers Monde. Pour les deux premiers, elles obéissent moins à des raisons idéologiques qu’aux aléas de la politique intérieure, même si Sékou Touré entend pratiquer le neutralisme.

Puissances occidentales

Dès l’indépendance, une très lourde hypothèque pèse sur les relations de la Guinée avec les puissances occidentales: la normalisation des rapports avec la France. Elle ne sera levée qu’en 1975. Cas unique dans l’histoire de la décolonisation: aucun État africain n’a connu une situation conflictuelle aussi prolongée (17 ans) de ses relations avec l’ancienne métropole, ni l’Algérie, ni l’Angola, ni le Zimbabwe, malgré une sanglante guerre de libération.

Ambiguïtés calculées mais aussi erreurs politiques marquent les rapports entre la France et la Guinée. Aux demandes d’association, aucune suite n’est donnée par la France qui applique sans délai un plan de liquidation de sa présence officielle tant administrative que financière: retrait de cinq cents fonctionnaires, arrêt des investissements et travaux autres que ceux résultant d’accords internationaux, suppression de la franchise douanière pour les produits guinéens, abandon du projet de barrage du Konkouré, sabotages. Un plan de déstabilisation avait même été envisagé (création de syndicats d’opposition; pressions sur les marabouts, les anciens combattants et les planteurs). Certains États africains, dont la Côte-d’Ivoire, poussent la France à l’intransigeance afin d’empêcher la sécession de faire tache d’huile. Pour plusieurs dirigeants français, la Guinée est devenue une démocratie populaire. De leur côté, les dirigeants guinéens se braquant sur les actes symboliques de la reconnaissance du nouvel État se plaisent à entretenir le flou autour de son maintien dans la zone franc. Des protocoles d’accord sont bien signés avec la France (en janvier et novembre 1959). Ils ne seront que partiellement appliqués.

La méfiance est désormais au cœur des relations franco-guinéennes. En mars 1960, la Guinée sort de la zone franc en créant sa propre monnaie avec l’aide de techniciens des États socialistes malgré les offres d’aide réitérées de la France. Un lourd contentieux se crée. Du côté guinéen: saisie de l’encaisse de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, nationalisations, etc.; du côté français: blocage des pensions des 40 000 anciens combattants et pensionnés guinéens. Les rapports se trouveront aggravés par l’action des services spéciaux français impliqués dans des complots (en 1959 et 1960) et qui ont compromis la Côte-d’Ivoire et le Sénégal.

Deux tentatives de normalisation en 1963 et 1965 tournent court. La Guinée rompt (nov. 1965) ses relations diplomatiques en accusant de complot deux ministres français. Il faudra attendre dix ans avant qu’elles soient rétablies, le 14 juillet 1975. Le déblocage, amorcé en 1974 après l’élection présidentielle française, sera mené à terme en huit ans: échange d’ambassadeurs (1976), règlement du contentieux financier (1977), visite officielle du président Giscard d’Estaing à Conakry, accords de coopération (1979), visite officielle de Sékou Touré à Paris (1982). Désormais, la page du colonialisme français est considérée comme tournée, vingt-quatre ans après l’indépendance!

De telles péripéties ont eu des répercussions considérables sur le commerce extérieur entre les deux pays. Ainsi, la part de la France est tombée de 70 p. 100 en 1958 à 29 p. 100 en 1960 et à 11 p. 100 en 1968. Là encore, il est peu d’exemples d’un tel changement dans l’histoire de la décolonisation. Du dixième rang des clients de la Guinée en 1970, la France est remontée au deuxième en 1978. Elle est redevenue le premier fournisseur avec 45 p. 100 des importations en 1982.

Les vicissitudes avec l’ancienne métropole n’ont guère affecté les autres puissances, en particulier les États-Unis. Sans doute ceux-ci dans une première période (1958-1961) demeurent-ils dans l’expectative et se laissent-ils devancer par les États socialistes. Mais ensuite ils prennent pour principe de leur faire contrepoids: fournitures de produits agricoles, aide financière importante. Au total, de 1958 à 1980, l’aide américaine s’est chiffrée à 145 millions de dollars, classant la Guinée au seizième rang des pays africains bénéficiaires. Une telle aide permit de pallier en partie les insuffisances de la production alimentaire. Quelques nuages de temps à autre (fermeture du centre culturel américain en 1961, expulsion du «corps de la paix» en 1966, incident avec la compagnie aérienne Panam – arrestation d’une délégation ministérielle guinéenne, dont le Premier ministre, sur ordre de la Côte-d’Ivoire, lors d’une escale technique à Abidjan) ne réussiront pas à assombrir les relations. Les États-Unis viennent au deuxième rang, après l’U.R.S.S., des pays avec lesquels la Guinée a conclu des accords bilatéraux. Soucieux d’affirmer son neutralisme par-delà les idéologies, Sékou Touré effectua à peu près autant de voyages dans l’un et l’autre pays. Fait significatif, les États-Unis n’ont pour ainsi dire jamais été mis en cause lors des complots dénoncés en Guinée, à la différence de la France, de l’U.R.S.S., et de la république fédérale d’Allemagne.

Puissances «socialistes»

Les «puissances socialistes» (U.R.S.S. et satellites, Chine et Cuba), comblant le vide diplomatique créé par l’Occident autour de la Guinée en octobre 1958, s’empressent de la reconnaître comme État souverain, puis de lui accorder leur appui – accords économiques et culturels avec l’Allemagne de l’Est et avec la Tchécoslovaquie – tandis que s’instaure le ballet des missions et délégations de toute espèce envoyées de part et d’autre.

Avec prudence au début puis avec détermination et sans complexe, la Guinée noue d’étroites relations. Mais son chef entend conserver une pleine liberté de manœuvre en se réclamant du «neutralisme positif». Un clivage fondamental du monde existe en effet «entre l’univers des sociétés émancipées [...] et notre univers de faim, de nudité et d’ignorance».

Plusieurs indicateurs permettent d’évaluer, fût-ce approximativement, l’ampleur des relations. Les missions ministérielles furent trois fois plus nombreuses avec les États socialistes qu’avec les États occidentaux durant la période 1958-1974. Le climat n’en fut pas toujours serein. Ainsi l’ambassadeur soviétique fut expulsé en décembre 1961. Raisons invoquées: noyautage idéologique des jeunes, des syndicats et des femmes pour renverser le gouvernement au profit des blocs idéologiques, sabotage économique. Il ne faudra pas moins qu’un séjour d’une semaine (janv. 1962) d’Anastase Mikoyan, numéro deux dans la hiérarchie soviétique, pour résorber la crise. Coup de semonce réussi par un petit État: «Les révolutions ne sauraient s’importer ni s’exporter», lui a-t-on rappelé en précisant que la collaboration doit être fondée sur l’égalité entre États. Quelques mois plus tard, l’aéroport de Conakry sera interdit aux avions soviétiques à destination de Cuba durant la crise des missiles.

L’aide des États socialistes fut très importante: 440 millions de dollars de 1958 à 1980 selon des estimations américaines. Cela placerait la Guinée au sixième rang des bénéficiaires africains. Quant aux accords bilatéraux, la Guinée en signa près de 300 avec eux contre seulement 126 avec les États capitalistes. De 1959 à 1970, le nombre de boursiers envoyés dans les mêmes pays a été de plusieurs centaines chaque année, soit de 40 à 60 p. 100 des étudiants envoyés à l’étranger. Pour les années 1978-1982, la moyenne tourne autour du millier. L’aide a servi, en particulier à équiper et à former les forces guinéennes (armée, police).

Afrique et Tiers Monde

Sékou Touré s’est toujours fait le promoteur de l’unité africaine, mais sa politique a souvent suscité des réactions et des controverses assez vives de la part des autres États. Dans ce secteur aussi, une hypothèque a pesé lourdement de 1960 à 1978, à savoir l’existence d’une très forte émigration (le quart de la population?) vers les pays limitrophes dont le Sénégal et la Côte-d’Ivoire: ruptures et réconciliations jalonnent leurs relations. En 1978 seulement, après plusieurs tentatives avortées, interviendra le grand déblocage lors d’un sommet tenu à Monrovia sous la médiation du président libérien: rétablissement des relations diplomatiques, accords de coopération et de libre circulation des biens et des personnes en contrepartie de la promesse guinéenne de ne plus exiger l’extradition des réfugiés politiques.

Dès l’indépendance, la Guinée voulut promouvoir une certaine forme d’unité africaine par ses tentatives d’union avec le Ghana et le Mali, par son action au sein du groupe de Casablanca. C’est l’Afrique «révolutionnaire» en opposition à l’Afrique «réformiste». Leur convergence fut la création en 1963 de l’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.) dont la Guinée est membre fondateur. La Guinée y joua un rôle assez actif en faveur de la décolonisation du continent par le soutien à des mouvements de libération, en particulier à celui de la Guinée-Bissau auquel elle servit de base stratégique jusqu’en 1974 (malgré les circonstances troublantes de l’assassinat d’Amilcar Cabral à Conakry en 1973). De même, à partir de 1977-1978, elle intervint comme médiatrice lors de conflits locaux (Haute-Volta et Mali, Togo et Bénin) tandis que ses dirigeants multipliaient missions et visites officielles.

Au niveau régional, la Guinée participa de 1968 à 1972 à l’Organisation des États riverains du fleuve Sénégal. Sa position géographique l’a incitée également à faire partie d’autres organisations régionales à plus large échelle comme celle de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest. L’autre axe de sa diplomatie vise l’établissement de relations étroites avec la Sierra Leone pour des raisons géopolitiques: frontière commune, mêmes groupes ethniques, ampleur des échanges économiques non officiels. Les deux gouvernements s’épaulent lors de leurs propres crises politiques (coups d’État ou complots) et ont signé de nombreux accords dont un traité de défense mutuelle en décembre 1970. Des projets d’union furent aussi envisagés avec la Sierra Leone ou le Mali.

Cependant les échanges économiques de la Guinée avec les États africains demeurent faibles (moins de 10 p. 100) vu les caractéristiques de leurs économies. C’est avec eux néanmoins que la Guinée, surtout depuis 1977, multiplie les accords bilatéraux de toute nature. La politique d’ouverture s’étend aux États arabes du Proche-Orient, qui accordent une aide appréciable évaluée à 133 millions de dollars pour 1975-1984. La grande mosquée est ainsi construite avec des fonds saoudiens par des Marocains.

Finalement, en 1984, la Guinée s’était réinsérée dans le concert des États africains et occidentaux sans rompre ses relations avec les États socialistes. Au cours d’une vie politique mouvementée, voire tragique, le régime de Sékou Touré a posé les fondements de mutations sociales et opéré une restratification sous l’égide d’une classe dominante qui contrôle plus qu’elle ne possède les moyens de production. Cela au prix d’un quasi-effondrement de son économie, l’exploitation minière par les multinationales étant sauve.

7. La IIe République

La dictature s’est effondrée brusquement en quelques jours après le décès de Sékou Touré, survenu le 16 mars 1984 lors d’un déplacement à l’étranger. La clique familiale est prise de vitesse dès le 3 avril à l’aube. Un Comité militaire de redressement national (C.M.R.N.) de dix-huit membres installe un gouvernement dirigé par le colonel Diarra Traoré sous la présidence d’un nouveau chef d’État, le colonel Lansana Conté, qui proclame: «L’ancien régime est mort.» L’ère de la IIe République commence.

Quelques communiqués et proclamations suffisent pour jeter bas la «République populaire et révolutionnaire»: suspension de la Constitution, dissolution des organismes du parti-État et de l’Assemblée nationale, interdiction des organisations de masses, nomination de militaires à tous les postes importants. Aucune résistance ne s’est manifestée pendant que l’enthousiasme et la liesse éclatent dans le pays. Comme en septembre 1958, les événements de Guinée suscitent une attention passionnée sur la scène internationale tandis que les exilés (1 500 000?) frémissent d’espoir.

Par ses objectifs, le coup d’État évoque peu de précédents. Le C.M.R.N. fait le serment solennel de «respecter les droits de l’homme», de faire en sorte que «nul ne soit plus jamais inquiété du fait de ses idées», d’assurer à tous «individuellement et collectivement» la sécurité des personnes et des biens, de redresser l’économie «délabrée». Désormais, il s’agit de «créer les bases d’une démocratie véritable, évitant à l’avenir toute dictature personnelle».

Dans tous les domaines des mesures hautement significatives sont prises. Sur le plan politique: libération de trois cents détenus politiques et relaxe des détenus de droit commun, emprisonnement d’une soixantaine d’ex-dirigeants. Une commission ad hoc est créée pour étudier les dossiers des innombrables victimes et martyrs. La libre circulation des personnes et des biens est rétablie.

Sur le plan social, c’est la suppression systématique de tout enseignement idéologique et le renforcement de l’enseignement du français, l’autorisation des écoles privées, la suppression de l’impôt en nature, le libre exercice de la médecine privée... Ainsi, tout est à refaire, car on prend conscience d’être vingt-six ans en retard, si ce n’est plus.

Reconstruction économique

Sur le plan économique, un tête-à-queue complet sous l’égide et le contrôle tant du Fonds monétaire international que de la Banque mondiale et avec l’assistance du P.N.U.D. est amorcé. Un «programme intérimaire de redressement national» (1985-1987) est mis au point. Des remèdes drastiques sont proposés pour changer fondamentalement l’économie sous le signe de la libre entreprise: dévaluation et recréation du secteur bancaire, privatisation ou liquidation des entreprises nationales (à quelques exceptions près), libération des échanges et liberté des prix, dégonflement d’une fonction publique pléthorique et inefficace (effectifs à ramener de 88 000 à 50 000).

Mais, devant l’ampleur de la tâche, le nouveau chef d’État, qui fait son apprentissage, entend procéder avec «lenteur et une extrême prudence», au risque de mécontenter certains. Les réformes de structures ne sont lancées qu’en 1986. À l’exception de la Banque centrale, les six banques guinéennes, insolvables avec des actifs et sans liquidités, sont remplacées par des banques françaises en décembre 1985, tandis que le syli est dévalué de 92,5 p. 100 et remplacé par le franc guinéen en janvier 1986. Un désengagement de l’État se fait par la suppression d’entreprises nationales. Enfin, en 1987, les modalités d’une profonde refonte de la fonction publique sont adoptées qui prévoient, entre autres mesures, un programme de départs volontaires, des tests d’évaluation-sélection pour tous les fonctionnaires, des primes de technicité pour ceux qui sont reconnus compétents, l’application des normes régissant les retraites... L’élaboration et le démarrage d’un tel programme impliquaient impérativement, car les caisses de l’État étaient «vides», de recourir à d’importants concours extérieurs, d’autant plus que les investissements publics devraient, en outre, être financés à plus de 80 p. 100 par l’extérieur. Ils ne font pas défaut.

Concours extérieurs

À peine en place, le nouveau régime politique bénéficie d’un appui international, empressé et déterminé. Dans les premières heures de sa prise de pouvoir, il lance un appel solennel à la France ainsi qu’au F.M.I. et à la Banque mondiale. Les réponses sont immédiates: la France rend la Guinée éligible à son Fonds d’aide et de coopération (F.A.C.) et les deux organismes internationaux installent des missions permanentes. De son côté, l’Assemblée générale de l’O.N.U. lance à deux reprises (déc. 1984 et 1985) un appel à la communauté internationale pour qu’elle contribue «généreusement à la reconstruction, au relèvement et au développement» du pays.

Le F.M.I. et la Banque mondiale accordent des crédits d’ajustement structurel. Au total, l’apport financier de la Banque (320 millions de dollars sur cinq ans) est le plus important consenti à un État africain. Les puissances occidentales emboîtent le pas en étoffant leurs ambassades, en multipliant les missions et les crédits, en signant des accords de coopération ou de financement: les États-Unis portent leur assistance financière à 34 millions de dollars en 1986; la France fournit l’aide bilatérale la plus importante avec 2 milliards de francs français d’engagements en prêts et subventions (1984-1987); l’Allemagne fédérale octroie 85 millions de deutsche Mark, le Canada 28 millions de dollars canadiens... Une concertation – chose assez peu habituelle – se fait entre les divers bailleurs de fonds, réunis depuis 1987 au sein d’un Groupe consultatif pour la Guinée. Ils se sont engagés à fournir 1,2 milliard de dollars pour la période 1987-1989, en soutien tant au programme d’investissements publics et à la balance des paiements qu’en aide alimentaire. S’agissant du règlement de la dette extérieure, ils avaient accepté sans difficulté, dès avril 1986, un rééchelonnement de 40 p. 100 de la dette et sa consolidation. Certes, ces concours ne vont pas sans contreparties ni conditions: la Banque mondiale entend s’assurer du remboursement des dettes, le F.M.I. exige une restructuration de l’économie selon ses principes, la France cherche à réinsérer la Guinée dans son espace géopolitique... Tous tablent sur les ressources du pays et sur le rôle majeur qu’il devrait jouer sur la scène africaine.

Du côté des État socialistes, une réorientation aussi radicale suscita peu d’enthousiasme et beaucoup de réticences mais pas au point de vouloir la bloquer. L’U.R.S.S. a fini par consentir, après de longues négociations, à une clarification des dettes (370 millions de dollars) et à une plus grande transparence dans son exploitation de la bauxite de Kindia. Avec les autres partenaires (Roumanie, Bulgarie), la Guinée cherche à obtenir un rééchelonnement des dettes et une renégociation des contrats.

Blocages socio-politiques

Des résultats non négligeables ont sans doute été obtenus en ce qui concerne les agrégats macroéconomiques, comme le produit intérieur brut, dont la croissance aurait été de 4 p. 100 par an depuis 1985 grâce au secteur agricole, tandis que le taux d’inflation aurait été ramené de 72 p. 100 à 19 p. 100. Une certaine compression des dépenses budgétaires a pu être réalisée, la dégradation monétaire partiellement contenue et le service de la dette extérieure assuré. Une reprise de la production agricole et un meilleur approvisionnement des marchés urbains ont été observés.

La restructuration industrielle n’a été opérée qu’en partie, même si ce secteur a connu un fort taux de croissance (9 p. 100 en 1989), car on partait de loin. Le désengagement de l’État (fermeture de 120 entreprises publiques) n’a pas été suffisamment relayé par l’entreprise privée, sauf dans le secteur commercial et dans celui des petites et moyennes entreprises. En 1991, 119 entreprises furent créées, mais 70 fermèrent. L’État a dû mettre entre les mains de l’étranger la gestion de secteurs névralgiques, comme celui de l’énergie. Quant à la réfection des infrastructures, toujours à reprendre, il s’agit d’une œuvre de longue haleine, malgré l’ampleur du financement extérieur.

De même, la reconstruction de l’État sur de nouvelles bases, celle des appareils administratif et judiciaire en particulier, s’avère beaucoup plus lente et malaisée qu’on ne l’escomptait. Certes, un travail considérable a été accompli en matière de textes réglementaires de toutes sortes: statut de la fonction publique, Code des investissements, Code de la justice, etc. La remise en ordre du système scolaire a été largement effectuée pour les deux premiers cycles. Bref, les réformes de structures ne se comptent plus, car tout était à refaire. Mais les textes n’ont parfois qu’un seul défaut, celui de n’être pas appliqués par ceux-là mêmes, ministres compris, qui en ont la responsabilité.

Les résistances ont été sous-estimées. À plusieurs reprises, la Banque mondiale manifestera de l’impatience devant le peu de résultats obtenus: sur 60 000 dossiers de fonctionnaires à reconstituer, 19 p. 100 seulement l’étaient en 1991; des fonctionnaires inexistants, les fantômes, continuent à percevoir un traitement... Absentéisme et occupations parallèles demeurent des conditions de subsistance, voire de survie. La part du secteur informel serait désormais évaluée à quelque 65 p. 100 du P.I.B. L’illégalité s’installe: la police perçoit directement sur les automobilistes des compléments de rémunération, au grand dam des finances publiques. La corruption tend aussi à se généraliser, non plus seulement pour l’obtention de passe-droits, mais pour la moindre formalité. L’exemple vient souvent d’en haut.

En revanche, les coûts sociaux du programme d’ajustement structurel sont très élevés et les mesures prises pour les amortir quelque peu ne paraissent pas donner de résultats probants. Le renvoi de 47 000 fonctionnaires, les «déflatés», affecte du même coup le revenu et les conditions de vie de 300 000 personnes, d’autant plus que leur insertion dans le privé a été un échec (constats du ministère du Plan). Aux prises avec des difficultés de toutes sortes, tracasseries administratives, prélèvements indus et autres entraves, le privé n’a pu prendre la relève par des créations d’emplois en nombre suffisant et a procédé lui aussi à des compressions. D’où un chômage accru, auquel vient s’ajouter celui qui frappe les jeunes, car l’État n’assure plus, comme du temps de Sékou Touré, un emploi automatique à la sortie de l’école et de l’université: plusieurs promotions de diplômés se retrouvent à la rue.

Par ailleurs, la suppression des subventions aux produits de première nécessité et la libération des prix provoquent des hausses, aggravées par la spéculation à certaines périodes de l’année (ramadan). Elles ne peuvent être compensées par les quelques revalorisations de salaires consenties par le pouvoir, sous la pression sociale et toujours avec retard. On a calculé qu’un fonctionnaire, avec un salaire moyen, ne couvre que le cinquième de ses dépenses pour neuf personnes à charge!

Dès lors, le régime rencontre de plus en plus de difficultés à faire supporter le poids de mesures drastiques dont la population ne voit pas le terme. De graves soubresauts se produisent chaque année: grève des transports publics en 1986; grèves des enseignants en 1988 et en 1991; manifestations et grèves étudiantes en janvier 1988, puis en décembre 1990 (5 morts, une cinquantaine de blessés), en mai et novembre 1991, en février 1992; journées de grève générale à Conakry; manifestations des déflatés... Face à la conjonction des mécontentements, le pouvoir, trop souvent, ne sait réagir qu’avec une extrême brutalité, sans se soucier ni du droit ni du respect des personnes, en contradiction avec les buts qu’il s’était donnés en avril 1984. À Labé, à la suite du décès d’un prisonnier sous la torture, une échauffourée éclate en 1989: cinq manifestants sont tués par des soldats; à Kankan (oct. 1991), le même drame se produit lors d’une marche pour la démocratie. De l’euphorie des débuts, la population est tombée dans la passivité, puis en est arrivée à l’opposition larvée – surtout en milieu urbain – contre un régime militaire qui n’en finit pas de sortir du transitoire.

Vers la IIIe République?

Prendre le pouvoir fut facile: «La mangue était mûre.» L’exercer ne l’est pas, d’autant que les militaires n’en avaient aucune expérience ou n’avaient pour exemple que les pratiques du régime défunt. Comportements et attitudes, forgés par vingt-six ans de totalitarisme, ne peuvent disparaître du jour au lendemain: «Ce qui a caractérisé le P.D.G., le président a toujours raison; la justice ne se fait pas comme il faut en Guinée et tout cela dépend de ce que nous avons vécu; jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pas réussi l’unité nationale parce que nous sommes racistes.» (Conférence de presse de Lansana Conté, 3 avr. 1988.)

Les militaires ont imposé une transition qui n’allait pas de soi et se sont assigné une énorme tâche qui ralliait, dans les débuts, un consensus national: l’organisation d’une économie de marché, la mise sur pied d’un État de droit. Le paradoxe était de prétendre y arriver en «commandant militairement», pour reprendre les termes du nouveau chef d’État, sans trop se préoccuper, pendant huit ans, de règles juridiques, de légalité ou d’institutions. Toujours est-il qu’ils sont les grands bénéficiaires de la IIe République (soldes, part importante consacrée aux militaires, mais soigneusement cachée dans le budget de l’État, postes clés).

Discours et pratiques se nourrissent d’ambiguïtés et de contradictions. Le rôle et la place des ethnies dans la société sont conçus comme autrefois: elles sont incompatibles avec l’unité nationale. Cela n’empêche pas le régime d’en tenir le plus grand compte, quitte à donner prise à l’accusation de constituer un État soussou (fonctions ministérielles et militaires) ou à tenir compte du lieu de naissance dans la nomination des préfets. Il n’est pas le premier à se débattre avec ce problème! L’appel au secteur privé, national ou étranger, pour des investissements et des créations d’entreprises est contredit par leur mise en cause dans des déclarations officielles: «Leur présence n’ajoute rien à l’évolution de la Guinée.» Aucun procès public n’a été intenté contre d’anciens dirigeants, fût-ce sous la seule inculpation de délits économiques, comme cela avait été promis en 1984. Une centaine de condamnations, portées dans le plus grand secret, furent rendues publiques en mai 1987, cela couvrant aussi des exécutions sommaires antérieures. Des tortionnaires continuent à se promener impunément devant leurs victimes, tandis que la commission d’enquête sur les exactions de l’ancien régime, après quelques réunions, a sombré dans l’oubli. D’autres séides de Sékou Touré, officiers et policiers de haut rang, exercent sans vergogne des responsabilités importantes, voire ministérielles (jusqu’en février 1992). En outre, la remise en ordre du système judiciaire est entreprise, mais, dans le même temps, les incitations officielles à recourir à une «justice populaire» eurent pour conséquence le lynchage public de petits voleurs en avril-mai 1988.

La pression sociale et le mécontentement populaire contraignirent le régime militaire à entamer un processus très contrôlé de démocratisation. Jusque-là sans institution légale, il a fait adopter par référendum (98,68 p. 100 de votes favorables) une loi fondamentale (Constitution) en décembre 1990. Celle-ci prévoit l’instauration d’un régime présidentiel: président et assemblée élus pour cinq ans; séparation nette entre exécutif, législatif et judiciaire. Elle «affirme solennellement son opposition fondamentale à tout régime fondé sur la dictature, l’injustice, la corruption, le népotisme, le régionalisme». Le rôle des partis politiques est reconnu. Mais, disposition probablement unique, la Constitution prévoit sa propre suspension le jour même de son adoption, puisqu’elle ne doit entrer en vigueur qu’un an après. Quant aux élections présidentielle et législatives, elles se tiendront «à l’issue d’une période transitoire n’excédant pas cinq ans», donc au plus tard en décembre 1995.

En attendant la mise en place des institutions, un Conseil transitoire de redressement national (art. 93 et 94) est investi du pouvoir législatif. Ce Conseil est à l’entière discrétion du président (nomination des membres, règles de fonctionnement et compétences). Paradoxe supplémentaire: le président demeure de facto, depuis son autoproclamation en 1984, sans légitimité issue d’une élection générale; en décembre 1992, celle-ci a d’ailleurs été reportée sine die. Mais, avec cette Constitution, il s’est donné une réelle marge de manœuvre tant vis-à-vis des militaires hostiles à un retour dans les casernes qu’envers les oppositions qui réclamaient une conférence nationale. Depuis le remaniement de février 1992, le gouvernement ne compte plus que trois militaires sur dix-sept ministres, et les préfets, pour la plus grande partie d’entre eux, sont désormais des civils. D’anciens ministres ont quitté l’uniforme pour se lancer dans la politique.

Les oppositions sont loin de désarmer, malgré toute une série de lois organiques (statut de la magistrature, Code électoral, état de siège, liberté de presse, charte des partis politiques) adoptées en décembre 1991. Venant tardivement, elles ne sont guère portées au crédit du régime militaire, car plusieurs d’entre elles ont été devancées, comme la liberté de la presse, ou imposées, comme le multipartisme (au lieu du bipartisme voulu par le pouvoir). Une lettre quasi périodique et signée du nom de son auteur, Ba Mamadou, avait osé ouvrir la voie à une presse d’opposition en avril 1990. Quarante-deux partis, dont cinq ou six d’audience nationale, se sont engouffrés dans l’espace politique enfin reconnu. Ils ont pris en charge le renouveau de la vie politique. L’ancien P.D.G. prétend même renaître, reposant de la sorte le problème toujours éludé du jugement à porter par les Guinéens sur vingt-six ans de totalitarisme sanglant.

Les militaires ont fini par consentir une institutionnalisation de leur régime sous couvert de formes démocratiques. Jusqu’où sont-ils prêts à aller? Ne s’agirait-il pas plutôt de l’émergence d’une IIIe République?

guinée [ gine ] n. f.
• 1669; angl. guinea
1Ancienne monnaie anglaise en or de Guinée, valant 21 shillings. La guinée, remplacée par le souverain en 1817, n'est plus de nos jours qu'une monnaie de compte.
2(1682) Vx Toile de coton de qualité courante dont on se servait comme moyen d'échange avec les Guinéens.

guinée nom féminin (anglais guinea) Ancienne unité monétaire de compte anglaise, valant 21 shillings.

Guinée
nom donné autref. à la région côtière d'Afrique comprise entre l'estuaire de la Casamance et l'estuaire Gabon. Cette région est baignée en partie par le golfe de Guinée.
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Guinée
n. f. Tissu de coton teint à l'indigo en bleu foncé, qui servait, autrefois en Afrique, de monnaie d'échange entre les populations et les trafiquants européens.
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Guinée
(Nouvelle-). V. Nouvelle-Guinée.
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Guinée
(golfe de) golfe d'Afrique, dans l'océan Atlantique, qui s'étend de la Côte d'Ivoire au fl. Ogooué (Gabon).
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Guinée
(république de) état d'Afrique occidentale. V. carte et dossier, p. 1450.

I.
⇒GUINÉE1, subst. fém.
Ancienne monnaie d'or en usage en Angleterre équivalant à vingt et un shillings, aujourd'hui utilisée comme monnaie de compte. Cette assurance de jeunes lords qui (...) comptent de tout temps sur leurs guinées pour se faire respecter et chérir des aubergistes du continent (TOEPFFER, Nouv. genev., 1839, p. 391). La ceinture contenait une petite boîte de fer et quelques pièces d'or. Gilliatt compta vingt guinées (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 382) :
En 1812, le papier-monnaie d'Angleterre ayant rendu superflu tout l'or qui servait de monnaie, et les matières d'or en général étant dès-lors devenues surabondantes par rapport aux emplois qui restaient pour cette marchandise, sa valeur relative avait baissé dans ce pays-là; les guinées passaient d'Angleterre en France, malgré la facilité de garder les frontières d'une île, et malgré la peine de mort infligée aux contrebandiers.
SAY, Écon. pol., 1832, p. 172.
Demi-guinée. V. demi I A 1.
Prononc. et Orth. : [gine]. Att. ds Ac. 1740-1932. Étymol. et Hist. 1669 nom d'une monnaie anglaise La nouvelle guinée de 23 sols sterlins (CHAMBERLAYNE, Estat Present d'Anglet., I, 17 ds BONN., p. 69). De l'angl. guinea désignant une monnaie émise en 1663 pour l'usage de la Compagnie Royale commerçant dans la région d'Afrique portant ce nom. Bbg. BOULAN 1934, p. 109.
II.
⇒GUINÉE2, subst. fém.
Toile de coton ordinairement teinte en bleu foncé qui servait autrefois de moyen de troc en Afrique occidentale. Le mal aurait été certainement moins sensible si, comme en Angleterre, (...) les guinées et autres toiles de coton y avaient été fabriquées (Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 300). Elle montra ses cuisses. Une étroite bande de guinée bleue, partant de sa taille maigre, ne les voilait qu'à moitié (MILLE, Barnavaux, 1908, p. 203).
Prononc. et Orth. : [gine]. Att. ds Ac. 1835-1878. Étymol. et Hist. 1666 pieces de toile de Guinée (M. THEVENOT, Relations de divers Voyages curieux, t. 3, Rapport que les directeurs de la Compagnie Hollandoise des Indes Orientales ont fait à leurs Hautes Puissances, p. 12 ds ARV., p. 259); 1688 toiles guinées (DUCASSE ds HÖFLER, p. 102); 1692 guinées blanches (Tibierge, ibid.); 1823 (BOISTE : Guinée [...] sorte de toile bleue, de mousseline). Du nom de la région africaine appelée alors Guinée, dans laquelle on pratiquait des échanges de marchandises et où ce type de toiles était courant. Le texte de la 1re attest. laisse supposer que le terme est entré en France par l'intermédiaire des Pays-Bas.
STAT. — Guinée1 et 2. Fréq. abs. littér. : 136.

guinée [gine] n. f.
ÉTYM. 1669; au sens I; angl. guinea « guinée »; de Guinea « Guinée », n. géographique.
———
I
1 Ancienne monnaie anglaise valant 21 shillings, ainsi nommée parce que les premières pièces furent frappées avec de l'or de Guinée. || La guinée, remplacée par le souverain (sovereign) en 1817, n'est plus de nos jours qu'une monnaie de compte. Souverain.
1 Il s'en vengea en véritable Anglais, et en homme à qui les guinées ne coûtaient pas grand-chose.
Chamfort, Caractères et anecdotes, Belle leçon et belle fête…, p. 225.
2 Monnaie du Surinam.
———
II (1682; toile de Guinée, 1662; de Guinée p.-ê. parce que les toiles grossières servaient au troc avec les Africains). Vx. Pièce de toile de coton de qualité courante. || Guinées de Pondichéry.
2 (…) des ordres de faire travailler à des assortiments de toiles, guinées, salempouris et bétilles.
Fr. Martin, Journal, II, p. 290 (1682).
tableau Noms et types de tissus.

Encyclopédie Universelle. 2012.