GÉRONTOLOGIE
La gérontologie est la science du vieillissement. Son objet est l’étude des modalités et des causes des modifications que l’âge imprime au fonctionnement des êtres vivants, sur tous les plans (biologique, psychologique et social) et à tous les niveaux de complexité (molécule, cellule, organe, organisme et population). Il s’agit donc là d’une approche particulière des problèmes de la vie plutôt que d’une discipline autonome: toutes les techniques des sciences biologiques et des sciences humaines peuvent et doivent contribuer aux progrès de la gérontologie. Aucun institut, ni aucun spécialiste, ne peut prétendre en dominer tous les aspects.
En pratique d’ailleurs, on distingue la gérontologie biologique (parfois qualifiée d’expérimentale), la gérontologie clinique (ou gériatrie), à laquelle on peut rattacher l’approche psychologique, et la gérontologie sociale . La première essaye d’identifier les raisons des altérations que le temps apporte aux structures vivantes; elle mesure la baisse des performances physiologiques et psychologiques, et tente de faire la part de l’hérédité et du milieu dans les différences de vitesse de vieillissement constatées d’un individu à l’autre. La deuxième étudie les rapports entre le vieillissement physiologique et les affections intercurrentes, concentre ses efforts sur les maladies des personnes âgées et tente d’en perfectionner le traitement. L’approche psychologique prend en compte les modifications mentales ou effectives et les troubles psychiatriques propres aux personnes âgées. La gérontologie sociale s’intéresse à tous les changements que l’âge provoque dans les relations sociales de l’homme, ainsi qu’aux incidences économiques de la retraite et de l’invalidité progressive des grands vieillards.
1. Gérontologie biologique
Le temps exerce son effet sur tous les types d’êtres vivants. Seuls quelques Végétaux, Protistes et Invertébrés se produisant par voie végétative paraissent échapper, dans une certaine mesure, au vieillissement. Encore faut-il ici distinguer individus et populations. L’individu qui, par marcottage, bouturage ou scissiparité, donne naissance au cours de sa vie à d’autres individus-fils, n’en vieillit pas moins et disparaît un jour ou l’autre; c’est alors le clone qui est potentiellement immortel. Une telle immortalité peut être toute relative: certains clones de Protozoaires ne peuvent, par exemple, se maintenir en vie au-delà d’un certain nombre de divisions, ce qui implique une sénescence progressive de la souche.
C’est cependant chez lesVertébrés que les phénomènes de vieillissement sont le plus nets et c’est aussi chez eux qu’ils ont été le mieux étudiés. D’une façon générale, on peut dire qu’ils sont d’autant plus accentués que la période de croissance est plus limitée et que l’homéothermie est plus parfaite. Les Vertébrés poïkilothermes (Poissons, Amphibiens et Reptiles) connaissent, pour la plupart, une croissance qui se poursuit pendant la majeure partie de la vie des individus: plus l’animal devient vieux, plus il est gros et plus il est fécond. Par ailleurs la taille maximale et la durée potentielle de vie dépendent surtout des conditions ambiantes. Si l’on met à part le cas des petites espèces «annuelles», on peut considérer que plus la température sera élevée et les aliments abondants, plus la croissance et la maturité des Vertébrés à sang froid seront rapides et leur longévité réduite. Si les ressources alimentaires se font rares ou si le milieu se refroidit, ces animaux entrent en vie ralentie, ce qui arrête temporairement leur développement et prolonge leur durée de vie. Chez les individus les plus vieux, cependant, l’augmentation de la taille et du poids se ralentit puis cesse, et la fécondité diminue. Mais cette phase subterminale de leur cycle vital est toujours très courte.
La situation est différente chez les Vertébrés homéothermes (Oiseaux et Mammifères), dont la croissance est limitée au premier tiers, voire au premier quart de la vie. Sitôt atteinte la taille adulte, débute une lente «décroissance» morphologique et fonctionnelle qui est la plus nette manifestation de la sénescence. Cette involution a surtout été étudiée chez l’Homme, mais on l’a mise en évidence dans toutes les autres espèces de Mammifères et d’Oiseaux chez qui on l’a recherchée.
Sénescence morphologique
C’est entre dix-huit et vingt et un ans que l’organisme humain atteint sa taille adulte (un peu plus tôt chez la femme que chez l’homme, un peu plus tard dans certaines populations mal nourries que chez les Euro-Américains bénéficiant de conditions écologiques plus favorables). Dès la troisième décennie de la vie humaine, la masse des tissus métaboliquement les plus actifs diminue (muscles, foie, rein). Ce phénomène s’accentue par la suite. Parallèlement les dépôts graisseux ainsi que la quantité de tissu interstitiel augmentent, ce qui masque la diminution des tissus nobles et donne l’illusion d’une phase de stabilité (la «maturité»). Passé la cinquantaine ou la soixantaine cependant, les pertes l’emportent sur les gains, la peau s’amincit et se ride, le squelette se «tasse» progressivement et l’individu s’achemine peu à peu vers le «troisième âge», la vieillesse. La précocité et la régularité de la diminution de la «masse maigre» de l’organisme peuvent être mises en évidence in vivo par des techniques telles que la mesure du potassium total ou celle du métabolisme de base.
Sénescence physiologique
La mise au point de tests fonctionnels de vieillissement a permis de mesurer, avec beaucoup plus de précision que ne le faisaient les méthodes anatomiques, l’importance et la vitesse des processus de sénescence au niveau des principaux organes dont certains paraissent plus sensibles que d’autres aux effets de l’âge. C’est le cas, en particulier, de l’appareil locomoteur, de l’appareil respiratoire et des récepteurs sensoriels. Le maximum de la force musculaire, quel que soit le muscle envisagé, se situe entre vingt et trente ans; il est suivi par un affaiblissement continu, s’accélérant au fur et à mesure que l’on avance en âge. La diminution de la densité osseuse est régulière de vingt à soixante-dix ans. La baisse des performances ventilatoires est aussi très accentuée: les valeurs de la capacité vitale et de la ventilation maximale par minute diminuent respectivement de 40 et de 60 p. 100 entre trente et quatre-vingt-dix ans (fig. 1). L’œil est un des organes les plus précocement touchés: l’amplitude d’accommodation du cristallin se réduit dès la deuxième décennie et devient pratiquement nulle à la soixantaine; l’adaptation aux faibles éclairements décline régulièrement dès la vingtième année, tout comme le temps de récupération après éblouissement et la fréquence critique du papillotement; il en est de même de la vitesse de constriction de la pupille. L’oreille vieillit presque aussi rapidement que l’œil: dès la quarantaine, il y a une notable diminution de la perception des sons les plus aigus. Les récepteurs du tact et du goût suivent une évolution analogue, quoique plus lente.
Excrétion et digestion vieillissent aussi de façon précoce et relativement rapide. Le déclin de la filtration glomérulaire, de l’excrétion tubulaire et des capacités de réabsorption du tubule avec l’âge est progressif à partir de la trentaine. Au niveau de l’estomac, la diminution du volume de suc gastrique sécrété après un repas «d’épreuve» va de pair avec une baisse de sa teneur en acide chlorhydrique et en pepsine.
Le système circulatoire vieillit également de façon progressive. Même dans les populations humaines ne souffrant pas d’un excès d’alimentation et d’un manque d’exercice physique favorisant l’athérosclérose, la pression artérielle systolique, la résistance périphérique et le temps de circulation tendent à augmenter avec les ans.
Certaines glandes endocrines vieillissent d’une façon tout à fait analogue à celle des organes dont on vient de parler. La production des androgènes par le testicule et les cortico-surrénales décroît très régulièrement chez l’homme à partir de la vingtième année. La baisse du taux de fixation de l’iode radioactif par la thyroïde commence également à cet âge et se poursuit ensuite de façon linéaire; il est possible qu’il y ait là une adaptation de l’organisme à la diminution de sa masse métabolique active.
Quelques fonctions résistent cependant de manière remarquable à l’épreuve du temps, notamment celles dont le rôle est de maintenir l’homéostasie de l’organisme et la constance de son milieu intérieur. Tel est le cas, par exemple, de la sécrétion des gluco-corticoïdes par la cortico-surrénale: ces hormones, qui jouent un rôle essentiel dans l’adaptation à court terme aux changements du milieu, paraissent sécrétées à un taux constant chez l’adulte sain, tout au moins dans des conditions basales. Il semble en être de même de certaines hormones anté-hypophysaires (l’hormone de croissance, par exemple). Quant aux gonadostimulines produites par la même glande, elles sont sécrétées en plus grande quantité après la ménopause chez la femme, et de quarante à soixante-cinq ans chez l’homme, comme pour répondre à la baisse d’activité de l’ovaire et du testicule. Il faut signaler à ce propos que l’arrêt brutal de la fonction reproductrice, qui caractérise la ménopause féminine, est particulier à l’espèce humaine et ne se rencontre chez aucun autre Vertébré. Au niveau du système nerveux, et malgré la diminution du nombre des neurones, les divers tests physiologiques ne mettent en évidence que des modifications mineures chez l’adulte vieillissant mais indemne de troubles pathologiques: légère baisse de fréquence du rythme de base à l’électroencéphalogramme, réaction d’arrêt visuelle de moins en moins bonne, épreuve de l’hyperpnée de plus en plus active, faible diminution de la vitesse de conduction des nerfs périphériques, augmentation du temps de réaction.
Ce sont donc essentiellement les performances des organes et des tissus effecteurs qui baissent avec l’âge, du fait probablement de la réduction du nombre de leurs «unités fonctionnelles», alors que les organes intégrateurs continuent à maintenir la constance du milieu intérieur, mais réagissent de moins en moins efficacement aux agressions du monde ambiant. La marge d’adaptabilité de l’organisme va, en conséquence, se réduire progressivement . Les tests «dynamiques» de vieillissement, dont le rôle est de mesurer la réaction de telle ou telle fonction à un effort ou à une surcharge d’intensité constante mettent bien en évidence ce processus. L’injection d’une même quantité de glucose dans la circulation entraîne une hyperglycémie plus forte et plus durable chez les sujets ayant dépassé soixante ans; la résistance de l’organisme au froid ou au chaud se fait plus difficilement à mesure que les années passent; il en est de même de l’adaptation cardio-vasculaire à l’effort.
Sénescence psychologique
Les psychologues, bien avant les physiologistes, avaient insisté sur l’importance et la précocité des phénomènes de vieillissement. L’évolution avec l’âge d’un certain nombre d’aptitudes peut être appréciée grâce à une série de tests psychométriques qui ont maintenant leur place dans toutes les «batteries» d’épreuves destinées à mesurer l’âge biologique des sujets.
Comme dans le cas des fonctions physiologiques, il apparaît immédiatement que toutes les capacités intellectuelles ne sont pas influencées de la même façon par l’âge (fig. 2): celles qui sont nécessaires à la solution de problèmes nouveaux déclinent précocement et fortement avec les années, alors que celles qui font intervenir l’expérience ne se modifient guère avec l’âge, ou ne le font que tardivement.
L’analyse des réponses données par un groupe de sujets sains à une «batterie» de tests explorant de nombreuses capacités, et censée mesurer de ce fait l’«intelligence globale» (l’échelle d’intelligence de Wechsler, par exemple), montre déjà d’impressionnantes différences entre quinze et soixante-dix ans: les meilleures performances sont réalisées entre vingt et trente ans, puis le déclin est linéaire jusqu’à soixante-dix ans. Mais de telles échelles composites sont formées de tests inégalement sensibles aux effets de l’âge et il est plus intéressant de considérer séparément les résultats d’épreuves mesurant des aptitudes plus spécifiques.
Les tests permettant d’apprécier les capacités mnésiques et les facultés d’apprentissage de tâches nouvelles décèlent de la façon la plus sensible le vieillissement. Qu’il s’agisse de la mémorisation d’une série de mots ou de dessins, ou encore de la mémoire d’un récit, la qualité des réponses diminue rapidement avec l’âge. Il en est de même pour les résultats des tests de code, où le sujet doit apprendre à associer certains symboles à d’autres en un temps limité. Il ne fait pas de doute que la plasticité intellectuelle, qualité hautement sollicitée dans l’adaptation aux situations nouvelles, décroît rapidement avec les ans.
Les tests de facteur général (tests de Kohs, de Raven, etc.), qui mesurent en fait les capacités supérieures d’abstraction et de synthèse, apparaissent d’autant plus sensibles au vieillissement qu’ils utilisent un matériel non verbal ou qu’ils exigent du sujet examiné certaines manipulations.
Les facultés d’attention et de concentration sont, elles aussi, très affectées par l’âge, comme le montrent les tests d’attention concentrée et d’attention diffusée: les courbes obtenues mettent en évidence un déclin relativement précoce qui s’accentue ensuite avec les années.
En revanche, les épreuves faisant intervenir l’entraînement et l’expérience (les tests de vocabulaire notamment) ne font pas apparaître d’effet défavorable du vieillissement, du moins jusqu’à soixante-dix ans. Quant aux tests de personnalité, tout au plus montrent-ils une légère augmentation avec l’âge des tendances dépressives et de l’introversion – ce qui rejoint les impressions cliniques.
Somme toute, dans le domaine psychologique comme dans celui de la physiologie, le vieillissement se traduit surtout par une perte progressive de la faculté d’adaptation aux situations nouvelles – que ne compense pas forcément l’augmentation de l’expérience individuelle.
Vieillissement différentiel
Si l’allure générale des phénomènes de sénescence est plus ou moins semblable chez tous les individus, quel que soit leur niveau socio-économique, il n’en demeure pas moins que tous les membres d’une population donnée ne vieillissent pas au même rythme. Pour une même fonction physiologique ou une même aptitude intellectuelle, on constate de grandes différences interindividuelles de vitesse de sénescence. Il y a, à cela, deux sortes de raisons: génétiques et écologiques . Dès l’enfance, il existe, quelle que soit la fonction ou l’aptitude considérée, des sujets bien doués et d’autres qui le sont moins. Cela est, en particulier, évident sur le plan intellectuel; or, tous les psychologues s’accordent à penser que le déclin des capacités est d’autant moins marqué que les performances initiales sont meilleures.
Mais ce sont néanmoins les facteurs écologiques qui paraissent jouer le rôle principal. D’une façon générale, toute condition de vie qui entraîne l’absence d’usage, ou le mauvais usage, d’une fonction ou d’une aptitude accélère le déclin de celle-ci; cela se vérifie aussi bien de la force musculaire que de la mémoire. Les conséquences de certaines maladies de l’enfant et de l’adulte des toxicomanies de masse (alcool, tabac) et des déficiences nutritionnelles (qualitatives comme quantitatives), peuvent s’ajouter aux effets de l’âge et entraîner le vieillissement accéléré de certains organes.
Vieillissement cellulaire et moléculaire
Le dénominateur commun de tous les phénomènes de sénescence est représenté par la diminution progressive du nombre de cellules dans les différents tissus, une fois terminée la période de croissance. À cette diminution de la masse métabolique active de l’organisme viennent s’ajouter de nombreuses anomalies de fonctionnement des cellules restantes et des modifications du tissu interstitiel. Quelles sont les causes de ces phénomènes?
Les organes des Vertébrés sont composés de deux types de cellules: les unes renouvelables (ou intermitotiques) et les autres non renouvelables (ou postmitotiques). Les premières se divisent constamment au cours de l’existence, en donnant naissance à des cellules filles qui les remplacent (cas des cellules épithéliales). Les secondes sont incapables de se diviser et vivent potentiellement aussi longtemps que l’individu (cas des neurones et des cellules musculaires). Tout jeune Vertébré possède un certain capital de ces cellules postmitotiques, qu’il va dépenser au cours de son existence.
Or, il semble bien que les cellules intermitotiques n’aient pas le pouvoir, contrairement à ce que l’on pensait autrefois, de se diviser indéfiniment (sauf si elles deviennent cancéreuses). Les cellules diploïdes de l’épithélium pulmonaire humain peuvent, par exemple, se diviser une cinquantaine de fois en culture; ensuite, elles meurent rapidement. Cet épuisement de la faculté de la division cellulaire serait dû à l’accumulation d’«erreurs moléculaires» survenant aux différents stades du transfert de l’information génétique, et qui peuvent se manifester parfois par de graves lésions se traduisant par des anomalies chromosomiques; plus souvent, il s’agirait simplement de modifications métaboliques, non décelables morphologiquement, consécutives à des mutations ponctuelles affectant des loci déterminant la synthèse d’enzymes irremplaçables. Dans les deux cas, le résultat serait l’incapacité de la cellule à fonctionner normalement, puis à se diviser.
La longévité des cellules non renouvelables serait fonction de la vitesse avec laquelle serait utilisée leur capacité métabolique initiale. Une fois celle-ci épuisée, la cellule meurt car elle ne parvient plus à synthétiser convenablement les molécules protéiques indispensables à son bon fonctionnement. Ces cellules accumulent dans leur protoplasme toute une série de déchets qui doivent gêner leur métabolisme, mais ne deviennent pas cancéreuses.
Croissance et décroissance cellulaires seraient donc génétiquement programmées, mais la vitesse de déroulement de ces programmes ne serait pas indépendante des milieux interne et externe, dont certains facteurs sont capables de la ralentir et d’autres de l’accélérer.
Quant au tissu interstitiel, formé en grande partie de substances qui se renouvellent fort peu au cours de l’existence, il subit aussi l’épreuve du temps. La structure des macromolécules de collagène, en particulier, se modifie avec l’âge: leur contractilité thermique augmente, alors que leur solubilité dans l’acide acétique et leur sensibilité à l’action de la collagénase diminuent.
2. Gérontologie clinique
La gérontologie clinique reste la base la plus solide de nos connaissances biologiques sur la vieillesse humaine, car le modèle animal est peu éclairant. Aucune espèce animale autre que l’homme n’a, en effet, réussi à allonger sa vie. Chez les homéothermes, les «longévités animales» ne sont constatées que sur l’animal «humanisé» (domestique ou de laboratoire). En fait, l’observation de l’homme parcourant les années reste le fil conducteur le plus solide de toutes les études sur le vieillissement biologique. De plus, ni l’expérimentation animale, ni l’expérimentation sur cellules isolées, ni les progrès de la biologie moléculaire ne nous ont apporté jusqu’ici des données utilisables pour le diagnostic ou le traitement des sujets âgés. Par contre, les remarquables progrès de la longévité, le fait qu’un nombre croissant de personnes de plus en plus âgées ont une vie normale et sans handicap sont à mettre au crédit de l’ensemble des progrès des sciences médicales. Il est à peine besoin de rappeler qu’aucune cure de jouvence n’a pu être validée selon les règles normales du contrôle scientifique. On ne saurait trop s’en étonner car les infirmités et les causes de mortalité sont dans l’ensemble assez bien connues et de natures multiples: on imagine mal le traitement unique qui préviendrait ou guérirait à la fois athérome, tumeur bénigne, cancer, démence, arthrose, etc. Finalement la médecine préventive, les traitements précoces et l’épidémiologie constituent l’essentiel de la gérontologie pratique.
Caractère cumulatif de la pathologie
Le vieillard est une résultante. Une tranche d’âge plus avancée se déduit de la tranche d’âge précédente par deux opérations: élimination de certains individus (morts prématurées), acquisition d’une pathologie nouvelle ou aggravation de troubles latents. On invoque volontiers les agressions spécifiques (infections, par exemple) ou non spécifiques (le «stress»). Distinguons bien: l’agression spécifique peut faire l’objet d’une étude rigoureuse rétrospective, ou mieux prospective, et conduire, avec l’aide parfois d’une expérimentation animale, à des mesures visant une nuisance individualisée; la notion d’agression non spécifique, quant à elle, reste en clinique du domaine du discours: on ne peut ni mesurer ni dénombrer, donc on se situe en dehors du domaine scientifique.
Toutefois, tout ce qui se développe au cours de la vie n’est pas exogène: ainsi des malformations congénitales évoluent au cours du développement et leur nocivité peut n’apparaître que tardivement.
Une anomalie biochimique congénitale a un potentiel propre d’évolution: accumuler du fer (hémochromatose ) n’entraîne des symptômes qu’à l’âge moyen de la vie et, à partir d’une certaine accumulation, les organes infiltrés se détériorent, des symptômes cliniques apparaissent (le phénomène est réversible par des saignées). Le trouble de la coagulation des hémophiles n’évolue pas, mais les saignements articulaires détériorent les jointures: aucune vie n’étant atraumatique, des occasions d’hémorragie s’ajoutent régulièrement. Le traitement (qui a prolongé la survie de ces malades) entraîne son lot d’effets secondaires.
Ce qui apparaît au cours de la vie n’est donc pas purement et simplement acquis. Et tous les intermédiaires existent entre l’accumulation spontanée des inconvénients liés aux affections congénitales et l’association de facteurs endogènes et exogènes dans la construction d’une maladie. Dès la formation de l’œuf, le capital génotypique est fixé; à chaque tranche de vie (y compris la vie intra-utérine), apparaissent des anomalies, qu’on appelle maladies lorsqu’elles diminuent la longévité ou les performances de l’individu. Il y a ainsi une chaîne continue entre maladies génotypiques fixées, génotypiques évolutives et pathologie due à l’action spécifique d’une nuisance externe définie (virus, toxique, carence, traumatisme) sur une constitution génotypique déterminée. L’accumulation de processus pathologiques conduit à des interactions, raison suffisante de ne pas espérer l’immortalité. On sait aussi que certaines maladies nécessitent la révélation, par un facteur spécifique d’environnement, d’un caractère génétique, lui aussi spécifique: l’obésité acquise et un facteur génétique concourent ainsi au diabète de la maturité.
L’incessante évolution de la clinique
La clinique des personnes âgées, dans une société donnée, intègre les conditions épidémiologiques qui ont régné depuis leur conception, les progrès techniques de la médecine durant la même période et les modifications sociales qui ont rendu la médecine accessible à ces populations. C’est pourquoi les problèmes cliniques ne cessent de changer, et il n’est pas vraisemblable qu’à trente ans de distance, la pathologie, disons des sexagénaires, n’ait pas bougé: effet d’âge et effet de génération.
Citons quelques exemples: depuis qu’on opère les cardiopathies congénitales on voit vieillir les sujets ainsi opérés; on voit encore que les premiers diabétiques insulino-dépendants qui ont bénéficié dans les années vingt de la découverte de l’insuline atteignant 60, 70 et 80 ans. Jusque-là, on ne savait pas comment vieillissait le sujet porteur de ce type de diabète et notamment s’il comportait les mêmes angiopathies que les diabétiques de la maturité. On commence à voir des sujets âgés atteints de drépanocytose homozygote et cela sans qu’un traitement spécifique ait été découvert, par simple amélioration générale des soins médicaux. Quant aux cardiopathies rhumatismales valvulaires, elles ont décrit tout un cycle. Les anticoagulants et les diurétiques ont d’abord amélioré leur décompensation, puis la chirurgie cardiaque les a corrigées. Dans les pays développés au moins, la pénicilline et la corticothérapie les ont fait disparaître. On méconnaît davantage encore un phénomène plus élémentaire: le nombre des hypertendus, des diabétiques, des obèses, des rhumatismes inflammatoires ou dégénératifs, d’affections la prostate augmente avec chaque tranche d’âge. La thérapeutique les compense et ne les guérit pas. Leur proportion dans la morbidité augmente ainsi constamment. Ces affections bénéficient de traitements efficaces. L’augmentation de la longévité s’accompagne de celle des accidents des thérapeutiques continues. Les médecins qui ont vécu l’histoire préthérapeutique de ces maladies sont conscients du progrès. Les plus jeunes sont troublés d’enregistrer des accidents thérapeutiques, alors qu’ils voient moins les évolutions graves. Les profanes réagissent plus mal car la gravité de cette pathologie, avant les traitements efficaces, leur était inconnue. On imagine un monstre en progression rapide, qu’on tend à croire plus dangereux du fait des traitements. Enfin, il y a une augmentation ou une diminution d’un certain nombre de maladies nouvelles en rapport avec des facteurs précis. Cela a été démontré par les enquêtes faites sur les survivants des explosions atomiques (Doll et coll.), et celles sur le tabagisme. Le second conflit mondial avait permis aux Français de mesurer ce qu’apportait à la santé publique les bienfaits du recul forcé de la consommation d’alcool. Les travaux faits dans plusieurs pays depuis un siècle avaient également mis en évidence la diminution significative des problèmes psychiatriques lors des guerres.
De telles diminutions de morbidité ne sont pas toujours expliquées. Le plus remarquable est que le bilan soit si globalement positif: la longévité continue à augmenter de même que, dans chaque tranche d’âge, même le plus élevé, l’état de santé moyen des sujets s’améliore et, plus particulièrement dans les pays civilisés, l’état de santé des femmes.
Progrès de l’épidémiologie et prévention
La gérontologie clinique mesure donc les régressions d’une collectivité sur le plan médical, depuis la conception des individus qui la composent. Jusqu’à présent, le vieillissement des populations, c’est-à-dire le pourcentage des personnes âgées de cette population, n’a été que le reflet de la chute de la natalité et de la diminution du nombre des jeunes. Dès maintenant, il est augmenté par l’allongement moyen de la vie humaine. On évolue même, semble-t-il, vers une population à natalité stationnaire ayant abouti à un vieillissement équilibré, dans laquelle le surcroît de vieillissement mesurerait en fait la diminution de la mortalité des sujets plus jeunes et où la morbidité mesurerait la diminution de leurs handicaps. La gérontologie clinique permettrait alors de retrouver ce qui, dans le parcours des âges, n’a été ni prévenu, ni guéri. L’étude cas par cas sera fondamentale pour le progrès médical de demain: que s’est-il passé? Refus de soins, négligence ou indiscipline d’une famille ou d’un malade, difficultés d’accès aux soins, retard dans la diffusion d’un progrès, faits antérieurs à une découverte récente? Peut-on expliquer le présent par un facteur génétique familial, professionnel ou par un mode de vie?
Cette forme d’enquête est la seule base d’une étude épidémiologique véritablement scientifique: celle-ci, l’homme étant mortel et vivant de plus en plus vieux, ne saurait être seulement fondée sur des études ponctuelles portant sur une maladie isolée. En fait, lorsqu’on compte (morts ou vivants) des diabètes, des obésités, des hypertensions artérielles, des infarctus du myocarde, des accidents cardio-vasculaires, diverses formes de cancers, des tumeurs, des syndromes dépressifs, des atrophies cérébrales, des hépatites, des glaucomes, des adénomes de la prostate, on compte dans chacune de ces catégories les mêmes sujets. Tout travail statistique (épidémiologique ou à caractère préventif) fait sur un diagnostic artificiellement isolé néglige ce caractère essentiel, à savoir que chaque malade est porteur d’une polypathologie.
La gérontologie clinique doit ainsi devenir juge de toutes les techniques de médecine préventive et curative dont seule elle appréciera les résultats éloignés de façon correcte. Ceci exige, bien sûr, qu’on lui en donne les moyens. Pour nous, notre conviction est faite, la médecine et l’épidémiologie de demain ne peuvent avoir d’autre base qu’un service de soins donnant à la population âgée et, plus encore, à la plus âgée, le bénéfice de la meilleure médecine possible, et garantissant ainsi des inventaires de morbidité aussi complets et rigoureux que possible. On a d’autant moins d’hésitation à le proposer que c’est aussi donner à la population âgée le meilleur confort physique et psychique et ses meilleures chances thérapeutiques. Rappelons enfin qu’une médecine (comme une épidémiologie) qui ne s’impose pas une vérification permanente est vouée au verbalisme et à l’inefficacité et que seule l’étude scientifique, fondée sur l’autopsie systématique de tous les décès, permettra de juger équitablement non seulement la valeur de nos mesures de médecine préventive et curative, mais aussi les avantages ou les dangers de nos modes de nutrition et d’existence.
3. Caractéristiques et troubles psychiques du troisième âge
Données psychologiques
Il est difficile et peut-être hasardeux de vouloir dégager des traits psychologiques spécifiques du troisième âge. Il existe, certes, des constats concernant les comportements, les attitudes, les difficultés, les aspirations régulièrement rencontrés chez les personnes âgées: on aurait tort de les considérer directement comme inhérents au processus du vieillissement. Il est nécessaire de situer le problème dans la perspective d’une dynamique entre la personne qui vieillit, du point de vue physique et psychologique, son entourage plus ou moins immédiat et les images et conception de la vieillesse sécrétées par la société. L’intrication de tous ces facteurs est telle que les facteurs socioculturels, encore mal cernés, peuvent induire les traits de certains comportements que l’on aurait tendance à considérer à première vue comme objectivement spécifiques du troisième âge. Toutes ces données doivent donc être envisagées dans une perspective d’interrelations dynamiques et tenues pour constamment mobiles.
Du point de vue des possibilités intellectuelles, on observe à cette époque de la vie, d’abord une décroissance de l’efficience globale, qui commence avec le début de l’âge adulte (20-25 ans) et qui est d’autant plus abrupte que l’individu a une basse efficience initiale (facteurs sociaux, scolaires, personnels) – elle est plus sensible dans les tâches de raisonnement logique que dans celles qui font appel au vocabulaire et à l’adaptation pratique; puis une diminution des capacités mnésiques à partir de l’âge de dix-huit à vingt ans, la mémoire des faits et des acquisitions récentes étant plus fragile que celles des souvenirs anciens – cette loi de dissolution de la mémoire, allant des souvenirs les plus proches aux plus lointains, a été mise en évidence par Théodule Ribot (1839-1916). On constate encore une modification de l’attention et de l’imagination, lesquelles se polarisent de plus en plus, et enfin une variation dans la notion du temps, variation liée aux facteurs déjà cités, mais aussi au sentiment que l’individu a de sa situation relative par rapport au cours de sa propre existence ainsi qu’à des facteurs physiques tels que l’installation d’une lenteur perceptive et motrice. On voit donc que le vieillissement n’est pas un phénomène qui apparaît de façon évidente à partir d’un certain âge, mais un processus linéaire intervenant très tôt dans l’existence de chaque individu.
Du point de vue social, la notion de personne âgée est mal dissociée de celle de «retraité», et l’influence de cette confusion est grande, d’une part, quant au statut et au rôle possibles de la personne âgée dans la vie sociale, considérée désormais comme non engagée, d’autre part, quant à sa réaction à l’égard de l’arrêt du travail, qui peut être prise, par l’individu et par son entourage, comme un effet du vieillissement lui-même. Dans ce cas, la perte des principaux rôles sociaux assumés et valorisés durant la vie de travail entraîne un sentiment d’humiliation et de diminution de la personne, qui tend à accélérer sous forme de crise (on a pris un «coup de vieux», comme on dit dans le langage populaire) le processus linéaire du vieillissement.
En ce qui concerne la vie affective et sexuelle, il faut situer l’évolution d’un individu, dans son ensemble, à partir des premiers mois de la vie. Il est maintenant admis, grâce aux découvertes de Freud et de ses successeurs, que les facteurs les plus déterminants se jouent dans la prime enfance et qu’ils marquent de leur sceau le déroulement de la vie affective et relationnelle ultérieure. Le déroulement des stades décrits par Freud (oral, anal, phallique, génital) a donc une influence capitale sur la personnalité de l’adulte et un retentissement accentué chez la personne vieillissante qui, voyant diminuer ses possibilités, peut éprouver un véritable sentiment de castration accompagné d’angoisse plus ou moins intense selon les sujets.
Quant aux réactions au vieillissement, elles peuvent être tout à fait diverses, selon les antécédents personnels de chaque individu et les événements qui ont pu jalonner son existence. D’une façon générale, le sentiment de vieillir est vécu comme une perte, l’ultime perte étant la mort. Il peut intervenir à n’importe quel âge. Les réactions au vieillissement et le vieillissement lui-même dépendront du retentissement personnel profond de l’angoisse occasionnée par ce sentiment ou cette crainte de la perte. Mais il faut remarquer que ce sentiment, à mesure qu’un individu avance en âge, est renforcé par des événements tels que les deuils, la diminution du pouvoir d’achat, la perte d’une activité productrice et valorisée, l’exclusion de la part des plus jeunes, refusant l’image d’une vieillesse qui leur fait peur; tout cela entraîne l’individu dans une lutte contre la perte de l’estime de soi et contre la culpabilité d’être. Les réactions peuvent être adaptées et équilibrées si la personne a de bonnes ressources compensatrices de cette angoisse. Mais elle sont aussi capables de la conduire à une situation d’échec qui peut glisser insensiblement vers une évolution psychopathologique, voire psychiatrique.
Touchant les exercices ou les activités susceptibles de contribuer à prévenir le vieillissement, on se bornera à signaler que n’importe quel choix est valable, s’il a pour signification le maintien de satisfactions dans les centres d’intérêt, les relations familiales ou amicales, de manières que l’individu vieillissant garde confiance et estime de soi.
Problèmes psychopathologiques
La psychopathologie de la vieillesse traite des troubles mentaux directement en relation avec le phénomène du vieillissement et avec ses conséquences sur le plan physique, psychologique et social. Elle ne peut donc se comprendre que par une approche de la personne «totale» au cours du troisième âge. Il s’agit de troubles qui peuvent être graves, mais, beaucoup plus souvent, légers et curables; le seuil d’«anormalité» du comportement dépend en fait du degré de tolérance de l’entourage.
Les écoles classiques de psychiatrie attribuaient les perturbations mentales du troisième âge à des lésions organiques atteignant le système nerveux. Lorsque ces lésions étaient discrètes et diffuses, on parlait d’involution pour désigner l’usure des organes. L’attention des praticiens et des chercheurs est maintenant de plus en plus attirée par les conditions de vie des personnes âgées et les réactions psychologiques qui s’ensuivent. Ainsi en est-on arrivé, et l’expérience le prouve, à considérer que la plupart des perturbations mentales de cet âge peuvent être évitées ou traitées. Il y a lieu de distinguer les maladies mentales qui existaient avant la vieillesse – et qui parfois s’aggravent avec le vieillissement mais dont certaines peuvent se trouver améliorées (Muller) – et les maladies qui surviennent pour la première fois dans le cours de la vieillesse et sont donc spécifiques de cette période de la vie. C’est le domaine de la psychopathologie de la vieillesse à proprement parler.
Les troubles aigus, que l’on constate chez les personnes âgées, se manifestent par un état de confusion accompagné ou non d’un délire avec hallucinations visuelles et auditives. Il existe des perturbations physiques graves (fièvre, déshydratation) dont la cause est souvent d’origine physique – infection parfois banale, ou toxique (alcool; médicaments, dont les dosages doivent être adaptés dans le cas des grands vieillards) – ou peut consister encore en un choc affectif (stress ). Pour ces troubles aigus, un traitement d’urgence s’impose.
Parmi les troubles prolongés dits chroniques, on distingue des troubles affectifs d’origine psychologique et des troubles organiques dits états déficitaires.
Les troubles d’origine psychologique peuvent avoir des manifestations graves: délire de persécution ou délire de préjudice en relation avec des pertes de mémoire (le vieillard oublie l’endroit où il a placé un objet et croit qu’on le lui a volé). Ces délires, plus facilement curables que chez l’adulte, sont souvent en relation avec un état de solitude aggravé par une surdité ou une diminution importante de l’acuité visuelle. À côté des délires, les dépressions graves sont assez fréquentes (la classique «mélancolie d’involution», qui apparaît vers l’âge de 55 à 60 ans) et plus encore des dépressions plus tardives consécutives à une atteinte de la santé physique ou à des changements importants de l’existence (retraite, deuils, expulsion de son logement). Ces dépressions conduisent parfois au suicide. Beaucoup plus souvent, les troubles d’origine psychologique revêtent des formes atténuées, consistant en des manifestations névrotiques: ce sont les obsessions ou manies, et les phobies, telles que la classique peur de la personne âgée à sortir dans la rue. Les états de dépression légère sont extrêmement fréquents et s’accompagnent d’anxiété, d’hypochondrie. Toutes ces perturbations affectives, graves ou légères, sont en relation avec le phénomène psychologique fondamental de la vieillesse, représenté par la perte de l’estime de soi, la perte de la confiance en soi et le sentiment d’abandon. Contre ces sentiments douloureux, la personne âgée peut réagir par des troubles du caractère (le classique autoritarisme des vieillards), ou en régressant au niveau des manifestations infantiles (jalousie, gourmandise), ou encore des troubles de comportement (fugue, exhibitionnisme).
Les états déficitaires ont été regardés pendant longtemps comme constituant l’essentiel de la pathologie sénile, mais, à vrai dire, on a mis sur leur compte nombre de maladies décrites précédemment. En principe d’origine organique, soit par dégénérescence des cellules du cerveau (démences séniles et préséniles), soit par des lésions des artères du cerveau (démences artériopathiques), ils se manifestent par un déficit des fonctions intellectuelles (mémoire, orientation dans le temps et l’espace, jugement) et par des troubles du comportement qui vont en s’aggravant jusqu’à la mort. Mais certains auteurs mettent en doute l’atteinte organique dans certains cas et parlent alors de détériorations, qu’ils distinguent des démences. De toute façon, dans le déclenchement et le développement des états démentiels, on tend de plus en plus aujourd’hui à attribuer un rôle prépondérant aux chocs affectifs et aux conditions de vie.
Les affections psychiatriques des vieillards ont bénéficié de la découverte de nouveaux médicaments durant les deux dernières décennies, encore qu’il n’existe pas de traitement pouvant agir au niveau de l’atteinte organique dans le cadre des démences. Les soins, en service hospitalier, se sont considérablement améliorés: techniques de nursing, disparition de l’ambiance carcérale dans les hôpitaux psychiatriques, humanisation et instauration d’un milieu psychothérapique.
Cependant, la vétusté de l’équipement hospitalier freine cette évolution. D’autre part, le public ne comprend pas toujours que ces nouvelles méthodes – qui permettent de transformer radicalement le pronostic de certaines maladies et apportent aux malades un bien-être évident – comportent des risques qu’il vaut la peine de courir: il faut choisir, en effet, entre transformer un vieillard en «gâteux» en le maintenant au lit en permanence ou lui offrir un mode de vie plus humain qui risque de favoriser les fugues. La thérapeutique la plus efficace se situe au niveau de la prévention. Les institutions extra-hospitalières (clubs, centres de jour, hôpitaux de jour, équipes à domicile, etc.), organisées dans le cadre d’un secteur géographique, permettent maintenant de réaliser une politique de maintien au domicile.
4. Gérontologie sociale
La gérontologie sociale étudie les causes du vieillissement des populations et ses conséquences économiques, psychologiques et sociales, tant au niveau des groupes humains qu’au niveau des individus, pendant la seconde moitié de leur existence. La condition matérielle et morale, le statut social, le rôle, l’influence des individus vieillissants ou âgés, la transformation de ces aspects, l’adaptation des individus et de la société à cette transformation, sont les principaux sujets d’étude de cette branche des sciences humaines, dont les premiers travaux systématiques remontent, tant en Europe qu’aux États-Unis, à la décennie 1930-1940; l’expression de «gérontologie sociale» apparaît en 1954, sous la plume de C. Tibbits.
L’accroissement de la proportion des personnes âgées (vieillissement démographique), accompagné à un rythme différent par l’accroissement de leur nombre, soulève des problèmes dont l’ampleur et la complexité sont encore mal perçues du grand public, mais dont l’étude se développe rapidement depuis la guerre grâce à l’action d’universités, d’instituts, de fondations spécialisées, ainsi qu’à l’impulsion des organisations internationales et de l’Association internationale de gérontologie. Dans les pays à fort degré de vieillissement, les gouvernements se tournent de plus en plus vers les chercheurs de cette discipline afin de leur demander les éléments dont ils ont besoin pour asseoir leur politique de la vieillesse.
L’apparition puis l’extension d’une nouvelle catégorie sociale, les retraités, entraîne un nouvel examen de la place du travail et des loisirs dans la vie de l’homme, dans le système des valeurs et dans l’organisation économique.
Démographie et vieillissement
La proportion des personnes âgées de soixante-cinq ans et plus dans les pays industrialisés, qui est de 14 p. 100 en 1990, est estimée à 22 p. 100 en 2040. L’I.N.S.E.E. prévoit qu’elle atteindra, en France, 26 p. 100 de la population à cette date. Ces modifications démographiques sont dues à l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance et, surtout, à l’âge adulte et à la diminution ou à la stagnation de la fécondité dans les pays industrialisés. La France apporte une caution historique: sa population a «vieilli» avant toute autre population européenne; dans les années cinquante, la France enregistrait le plus fort degré de vieillissement avant d’être rejointe par des pays comme l’Angleterre où la limitation des naissances remonte seulement à la fin du XIXe siècle. En revanche, les Pays-Bas, où pourtant l’espérance de vie à la naissance était sensiblement plus forte qu’en France, avaient une population beaucoup plus «jeune».
Les progrès indéniables de la médecine, de l’hygiène et du niveau de vie ont évidemment augmenté les effectifs âgés et l’on note même une augmentation rapide des effectifs très âgés (au-delà de 80 ans) qui posent déjà des problèmes sociaux particuliers.
Les personnes âgées dans la société
Dans l’Antiquité, comme aujourd’hui encore dans de nombreuses sociétés agricoles ou pastorales du Tiers Monde, le groupe des anciens jouissait d’un respect qui tenait, en partie, au fait qu’il était peu nombreux (on pouvait attribuer la longévité exceptionnelle à la protection des dieux), ainsi qu’à son rôle de dépositaire et de transmetteur de la tradition et des connaissances techniques. L’évolution démographique de ce siècle mit fin à cette situation déjà secouée par les découvertes scientifiques et techniques, dont la succession accélérée jetait de plus en plus le discrédit sur le recours à l’expérience.
La transformation démographique et sociologique de la famille se répercute sur le statut des grands-parents comme sur les rapports entre générations. Elle a aussi comme conséquence directe de transférer à la société la majeure partie de la charge économique de la population âgée inactive. Ce transfert est d’autant plus nécessaire qu’une forte proportion de personnes âgées n’ont pas ou n’ont plus d’enfants; le contraste entre les citadins qui sont dans ce cas et les ruraux indique bien que l’on a affaire à deux modes de vie assez différents. En outre, il se peut, comme en France, qu’un nombre restreint d’adultes aient à la fois des parents âgés et un peu plus d’enfants que la génération précédente, ce qui était le cas en France entre 1946 et 1966. Les systèmes de retraite assurent (ou devraient assurer) l’indépendance économique mais ils desserrent aussi les liens directs entre les générations: la qualité de ceux qui subsistent devrait s’en trouver améliorée, mais ce n’est pas une certitude.
La mobilité professionnelle (les adultes travaillent de moins en moins avec, ou pour, leurs parents) et la mobilité géographique limitent et parfois suppriment l’une des principales sources d’autorité de ces derniers qui, ainsi, ne peuvent même plus invoquer leur expérience professionnelle ou le partage des risques de l’entreprise.
Dans une société qui met l’accent sur le travail et la réussite matérielle, «le rôle de retraité, c’est de n’en plus avoir» (E. Burgess). On a même parlé d’un phénomène de «rejet» qui contribue à renforcer chez l’individu le sentiment, fondé ou non, de son inutilité sociale. Ce sentiment le pousse à fréquenter souvent des contemporains avec qui il a des points communs (l’ancien métier, la guerre, les souvenirs locaux...) et encourage une attitude de repli qui nuit à une bonne adaptation.
Ce passage de la situation d’actif à celle de retraité sera d’autant plus difficile que le travail antérieur aura été intéressant et intensif et que la transition aura été brutale. On a souvent parlé d’une surmortalité au cours de l’année ou des deux années qui suivent la mise à la retraite, mais, malgré l’intérêt du sujet, aucune étude scientifique n’a encore vérifié la réalité de ce phénomène ni la liaison de cause à effet ainsi avancée. Une réduction progressive de l’activité professionnelle paraît souhaitable, de même que son remplacement par une occupation conforme aux goûts et aux dispositions de l’intéressé. Dans nos sociétés complexes, les possibilités d’une participation utile sont nombreuses et méritent une exploration systématique. Pour être couronnée de succès, cette formule appelle une préparation à la retraite dont certains organismes se sont préoccupés, notamment en Angleterre.
En étudiant l’individu, membre du corps social, les gérontologues soulignent les modifications souvent insidieuses qu’entraîne le vieillissement. En effet, la transformation du rôle commence bien avant le cap des soixante-cinq ans. Comme parents, comme travailleurs, comme conjoints, comme amis même, les personnes qui dépassent quarante-cinq à cinquante ans voient diminuer leur rôle (ou l’idée qu’ils en ont), leurs revenus, leur mobilité, leurs espérances et le domaine de leurs relations: ce phénomène peut être précoce dans le cas des personnes de santé fragile ou souffrant de handicaps physiques.
Cette évolution du comportement est à l’origine de la théorie du «désengagement» (E. Cumming, W. Henry), selon laquelle l’homme vieillissant restreint progressivement, plus ou moins consciemment, ses rapports avec la société et réciproquement. De nombreux auteurs, mentionnés par M. Philibert (G. Cabanis, E. Parker, E. Erikson, R. Guardini), ont proposé des calendriers, des étapes. Certains situent à la cinquantaine la maturité mentale (changements dans les responsabilités, libération des rivalités), à la soixantaine une seconde maturité (difficultés d’intégration personnelle: les pertes commencent à l’emporter sur les gains); ils n’appellent vieillesse que le déclin généralisé. De telles recherches ont pour but d’offrir une trame qui permette de mesurer le degré d’adaptation, mais elles n’ont guère dépassé le stade de la réflexion. L’intégration ou la ségrégation sociales des personnes âgées est précisément l’une des questions cruciales que se posent les gérontologues. C’est aussi un élément déterminant pour guider l’action dans ce domaine et choisir ses modalités. Cependant, bien des affirmations répétées çà et là appelleraient des confirmations. Par exemple, H. Friis se demande si des rapports sociaux plus intenses entretenus avec un nombre restreint de gens ne remplacent pas – et avantageusement parfois – les relations extensives de la vie adulte.
La société et les personnes âgées
Comment la société s’adapte-t-elle à son propre vieillissement? Le contraste est grand entre le petit nombre qui, détenant soit le pouvoir, soit la fortune, fait courir un risque de gérontocratie, et la grande masse de personnes âgées qui, inactives et dotées de moyens modestes, sont réduites à une condition passive. Leur nombre a pourtant des conséquences économiques, financières et sociales. L’importance des «transferts sociaux» entre actifs adultes et inactifs âgés a certes une base démographique, mais elle dépend aussi de l’histoire sociale: tel avantage accordé antérieurement pour résoudre une crise peut, de longues années après, peser d’un poids singulier sur l’ensemble de l’économie. Bien souvent, l’engagement pris aux dépens des générations suivantes n’a tenu compte ni des modifications de la technique, ni de l’évolution différentielle de la longévité.
Par ailleurs, les institutions créées en faveur des personnes âgées, telles les caisses de retraite, disposent de capitaux considérables et, n’était le contrôle de l’État, elles pourraient influencer de façon excessive le marché financier. Le niveau des pensions servies a une incidence directe sur le niveau de la consommation d’une fraction notable de la population et, par conséquent, sur le volume de la demande de certains produits et services. À ce titre, l’étude des budgets de consommation des ménages âgés présente un intérêt indiscutable.
Enfin, l’allongement de la vie modifie le calendrier de transmission des biens (capitaux et entreprises); c’est particulièrement vrai en agriculture où l’âge moyen des exploitants s’élève d’autant plus que, du fait de l’exode agricole, la proportion et le nombre des jeunes adultes diminuent. C’est aussi la raison pour laquelle un nombre relativement limité des veuves peuvent, dans certains pays, détenir une part exceptionnellement élevée des capitaux privés. Cette évolution peut être positive dans la mesure où elle encourage les générations plus jeunes à ne pas faire dépendre leur niveau de vie d’une succession hypothétique.
Conditions de vie des personnes âgées
Les conditions de vie des personnes âgées sont, en général, très inférieures à celles du reste de la population. Le niveau de vie baisse de 30 à 50 p. 100 lors du passage à la retraite: cette baisse est d’autant plus ressentie que les besoins, réels ou subjectifs, ne diminuent pas à la même cadence. La forte proportion d’anciens travailleurs à qui il faut verser une aide sociale montre l’insuffisante couverture du risque «vieillesse». Le développement des régimes de retraites complémentaires permet d’espérer une amélioration et montre, en tout cas, que les salariés admettent la nécessité d’un prélèvement plus fort sur leurs revenus pour s’assurer une vieillesse moins médiocre. Le thème de la «protection du niveau de vie» revient constamment dans les congrès de gérontologie comme dans les colloques de politique sociale.
L’activité, encore sensible entre soixante et soixante-cinq ans, procure quelques ressources, mais on note une baisse rapide des taux et si, pour des raisons psychologiques et économiques, il paraît souhaitable de ne pas décourager cette activité, il est préférable de ne pas fonder trop d’espoirs sur cette solution.
La détérioration de l’état de santé, liée à une progression de l’isolement, soumet le vieillard à un risque particulier. La rapidité de l’intervention en cas d’accident, la fréquence et la qualité des soins pendant une maladie courante peuvent diminuer de beaucoup le recours à l’hospitalisation, solution qui déclenche souvent un traumatisme psychologique. L’accroissement du nombre des grands vieillards et des «séniles» pose des problèmes ardus aux pouvoirs publics, ainsi qu’aux familles qui abritent un invalide ou un impotent. Les recherches sociales aident à dégager les facteurs psychologiques et sociologiques qui aggravent ou qui, au contraire, allègent cette situation; elles aident aussi à tester la valeur des formules proposées.
Le logement présente un aspect positif: le sous-peuplement est plus fréquent chez les personnes âgées que chez les ménages adultes, par suite du départ des enfants. En revanche, l’entretien est mal assuré et les revenus ne permettent pas d’apporter les éléments de confort dont jouissent précisément les générations plus jeunes, de sorte que, trop souvent, les vieux ménages vivent mal dans un logement trop vaste et incommode, situé dans un immeuble ancien (à Paris, il y a encore des personnes âgées qui habitent au quatrième étage ou plus sans ascenseur). De ce fait, les contacts avec le monde extérieur sont restreints. Il semble heureusement que, dans une proportion élevée de cas (75 p. 100), un membre de la famille habite à proximité ou à courte distance et que, même dans les villes, s’établit une «intimité à distance» (L. Rosenmayr). L’attachement des personnes âgées au logement, est, en tout cas, une constante et il s’exprime avec netteté dans les enquêtes.
Si le troisième âge évoque l’idée de loisir, la réalité témoigne trop souvent d’un vide ou d’une attitude passive qui, pour partie, reflète une inadaptation, mais qui traduit aussi l’insuffisance des moyens mis à la disposition des millions d’utilisateurs potentiels. Les générations qui ont disposé durant leur vie active de peu de temps réellement libre et de peu de ressources pour transformer ce temps en loisirs sont fréquemment désemparées devant la liberté que procure la cessation du travail, d’autant que cette cessation les coupe de tout un milieu auquel elles étaient attachées. Faut-il y voir une des raisons de la surmortalité masculine? Dans ce domaine, ceux qui ont pu, depuis longtemps, cultiver un passe-temps ou avoir une activité manuelle ou culturelle qui réponde à leurs goûts et à leurs dispositions s’adaptent mieux à la vieillesse que ceux qui, ayant trop axé leur vie sur leur travail, arrivent à cet âge sans autre centre d’intérêt.
En définitive, le vieillissement de la population pourrait bien être, comme l’affirme A. Sauvy, le phénomène contemporain le plus lourd de conséquences.
gérontologie [ ʒerɔ̃tɔlɔʒi ] n. f.
• 1950; de géronto- et -logie
♦ Méd. Étude des phénomènes, des problèmes liés au vieillissement de l'organisme humain; étude de la vieillesse (sociologie, médecine). ⇒ gériatrie. — Adj. GÉRONTOLOGIQUE . Clinique gérontologique.
● gérontologie nom féminin Science qui s'occupe des problèmes biologiques, psychologiques, sociaux et économiques posés par les personnes âgées.
gérontologie
n. f. MED étude du vieillard, de ses conditions de vie normales et pathologiques.
⇒GÉRONTOLOGIE, subst. fém.
MÉD. Branche de la médecine qui étudie le processus biologique du vieillissement et qui tente de résoudre les problèmes psychologiques, sociaux ou économiques des personnes âgées. La gérontologie embrasse tout ce qui concerne la vieillesse; à la partie proprement médicale ou gériatrie, s'ajoutent des études sur le sort et le rôle du vieillard dans la société : activité économique, sécurité sociale, vie individuelle, familiale ou collective, résidence, etc. (Hist. sc., 1957, p. 1619).
REM. Gérontologue, subst. masc. Médecin spécialisé en gérontologie. Ce qui tue les gens âgés, c'est le changement trop brusque de rythme, de cadre, d'habitudes. Là-dessus, tous les gérontologues (spécialistes du vieillissement) sont d'accord (L'Express, 24 mai 1965, p. 74, col. 2).
Prononc. : []. Étymol. et Hist. 1955 (Pages documentaires, n° 1, p. 37). Dér. du rad. de géronte; suff. -logie.
gérontologie [ʒeʀɔ̃tɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1950; de géronto-, et -logie.
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♦ Méd. Étude des phénomènes liés au vieillissement de l'organisme humain; étude de la vieillesse (sociologie, médecine). ⇒ Gériatrie.
0 On entend par gérontologie l'étude des problèmes qui se rattachent au vieillissement. La gérontologie est une science très vaste qui ne s'applique pas seulement à l'individu âgé, mais aussi à l'individu jeune en voie de vieillissement, et qui englobe des questions biologiques et médicales et des questions économiques et sociales.
Dr H. Kaufmann, Revue de la mutuelle de l'éducation nationale, avr.-mai 1956.
➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
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DÉR. Gérontologique, gérontologue.
Encyclopédie Universelle. 2012.