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ANTARCTIQUE
ANTARCTIQUE

Le district polaire austral est formé d’un continent, l’Antarctide, plus vaste que l’Europe et centré, approximativement, sur le pôle Sud, que ceinture un anneau océanique continu, l’océan glacial Antarctique. Ce dernier, constitué par la réunion de la partie des océans Atlantique, Indien et Pacifique située au sud du 60e degré de latitude sud, isole l’Antarctide des autres terres australes: 3 600 kilomètres séparent ce continent de l’Afrique du Sud, 2 000 de la Tasmanie ou de la Nouvelle-Zélande, 1 000 de l’Amérique du Sud.

Le continent et ses îles bordières, entièrement compris à l’intérieur du 60e parallèle sud, s’étend sur quelque 14 millions de kilomètres carrés et il est recouvert, sur 98 p. 100 de sa surface, par une énorme calotte de glace, épaisse, par endroits, de 4 000 mètres et dont le volume est évalué à quelque 30 millions de kilomètres cubes, ce qui représente 90 p. 100 des réserves d’eau douce du globe. Cet inlandsis se prolonge en mer par de vastes plates-formes de glaces continentales flottantes, étendues, l’été, sur quelque 1,6 million de kilomètres carrés, et qui se prolongent vers le large, l’hiver austral venu, par une banquise émettrice d’icebergs dont la limite septentrionale dépasse largement le cercle polaire. Sur cette masse de glace règne un puissant anticyclone qui engendre, à la fois, des températures très basses – le cœur de l’Antarctide est le point le plus froid de notre globe – et des vents violents, dits catabatiques. L’extrême rigueur du climat, responsable de l’extension de la glace, entraîne la pauvreté de la flore et de la faune antarctiques, exception faite de la frange littorale où l’abondance du plancton a permis le développement de nombreuses espèces de poissons et de cétacés, de phoques et de manchots.

L’isolement, joignant ses effets à ceux de l’âpreté du milieu, a longtemps tenu les hommes à l’écart de l’Antarctique, et ce d’autant plus que la recherche d’un passage maritime entre les continents, quête qui fut le moteur de l’exploration du bassin arctique, ne se posait pas ici. Le moment venu, l’exploration de l’Antarctique, entreprise par des navigateurs intrépides et des chercheurs expérimentés, progressa plus vite que celle de l’Arctique. Les convoitises territoriales, surtout celles qui étaient exprimées par les États au nom desquels agissaient les découvreurs, furent l’occasion de rivalités qui, heureusement, ne s’exprimèrent guère que dans les chancelleries. En dépit de la prétention à la souveraineté manifestée par une dizaine d’États, le domaine antarctique jouit d’un statut international et reste, avant tout, consacré à la recherche scientifique. Ces vastes étendues inhabitées qui accueillent cinq pôles – le pôle géographique austral, le pôle magnétique austral, le pôle géomagnétique austral, le pôle d’inaccessibilité et le pôle du froid – offrent un admirable terrain d’études aux spécialistes de la climatologie, de la glaciologie, de l’océanographie, ainsi qu’à ceux qui travaillent dans les différentes branches de la physique du globe ou de la biogéographie.

1. Le milieu naturel

Relief

De forme quasi circulaire, le continent antarctique, massif, présente un littoral peu découpé, exception faite des deux profondes indentations de la mer de Weddell et de la mer de Ross qui se font face. La chaîne Transantarctique, prolongement des Andes, qui court de l’une à l’autre de ces mers, sépare l’Antarctide occidentale de l’Antarctide orientale. Si cette dernière, fort étendue, semble former une masse continentale continue, la première, de superficie bien plus réduite, paraît bien se composer d’une plate-forme continentale immergée, surmontée par de nombreux archipels d’îles que la glace soude les unes aux autres. Ces archipels, étirés en direction de l’Amérique du Sud, donnent naissance à la péninsule Antarctique qui est l’amorce de la Scotia et porte, sur la chaîne des monts Ellsworth, le point culminant du continent: le mont Vinson qui atteint 5 140 mètres d’altitude.

Les deux parties de l’Antarctique sont recouvertes par un immense glacier de plateau, l’inlandsis antarctique, duquel n’émergent que quelques pics de roche à nu, les nunataks . Les roches du continent viennent aussi à l’affleurement dans quelques rares vallées débarrassées de glace qui, prises avec les nunataks, occupent à peine 2 p. 100 de la surface du continent! Situées à des latitudes élevées, telles les vallées de Taylor, de Wright et de Victoria, proches de McMurdo, par 780 de latitude sud, ces dépressions allongées ont le profil transversal en U caractéristique des vallées glaciaires. À leur partie aval, ces vallées aujourd’hui dépourvues de glace et appelées, pour cette raison, «oasis» sont accidentées par de nombreux lacs d’une eau qui, douce d’abord, devient saumâtre à l’approche de l’océan. Elles débouchent sur ce dernier au niveau de côtes basses qu’ourlent, par endroits, de courtes plages de sable et de gravier. Partout ailleurs règne la glace qui soustrait les roches au regard.

Géologie

Le continent antarctique, aujourd’hui entièrement recouvert par une épaisse couche de glace, est en fait constitué de deux parties, d’âges très différents, qui se distinguent morphologiquement et géologiquement: l’Antarctique de l’Est, généralement situé au-dessus du niveau de la mer, est un bouclier précambrien; il est bordé par la chaîne Transantarctique, qui le sépare de l’Antarctique de l’Ouest, beaucoup plus jeune, et qui, déglacé, apparaîtrait comme un archipel très étendu comprenant notamment la péninsule Antarctique, disposée dans le prolongement de l’arc insulaire des Sandwich du Sud, lui-même prolongement de la Cordillère des Andes.

L’étude géologique de l’Antarctique est rendue particulièrement difficile par la présence de la couche de glace – d’épaisseur moyenne supérieure à 2 kilomètres –, qui ne laisse apparaître que de rares affleurements rocheux dont la superficie représente moins de 2 p. 100 de celle du continent (fig. 1). La plupart de ces affleurements ont maintenant été reconnus par les géologues, mais les progrès réalisés dans leur connaissance sont aussi dus à l’utilisation de techniques géophysiques (prospections gravimétrique, sismique, magnétique et radioélectrique) et à l’apport de la télédétection. Par ailleurs, le développement de la théorie des plaques permet maintenant de replacer l’histoire géologique de l’Antarctique dans un contexte plus général.

L’Antarctique a occupé une place centrale dans l’ancien supercontinent du Gondwana, qui regroupait dans l’hémisphère Sud l’Australie, l’Inde, l’Afrique, Madagascar et l’Amérique du Sud [cf. GONDWANA]. Son appartenance à ce supercontinent a d’abord été suggérée par l’existence, sur ces différentes terres, de roches identiques de même âge et la découverte de fossiles communs. En terre d’Enderby, par exemple, il existe des granites très particuliers – les enderbites – que l’on a retrouvés sur la côte orientale de l’Inde; des sédiments glaciaires formés il y a environ 280 millions d’années se retrouvent aussi sur ces deux continents. La période plus chaude qui a suivi s’accompagne de la présence commune de nombreux fossiles végétaux (Glossopteris puis Dicroidium ); enfin, les ossements fossilisés du Lystrosaurus – reptile terrestre qui ne saurait traverser les océans – datant d’environ 200 millions d’années et identifiés sur les différents continents issus du Gondwana ont apporté une preuve particulièrement convaincante. L’histoire de l’évolution de ce supercontinent actuellement proposée à partir des données des prospections géophysiques marines (fig. 2) situe le début de son fractionnement à environ 160 millions d’années. La dynamique lithosphérique provoque une première dislocation qui isole l’Afrique et l’Amérique du Sud. La séparation de l’Inde, puis de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande suivra, tandis que l’Antarctique migrera lentement vers sa position actuelle, centrée sur le pôle Sud. Le seul obstacle à cette dynamique semble avoir été la subduction de la plaque Pacifique, qui a engendré les Andes d’Amérique latine et d’Antarctique, séparées au Tertiaire par le détroit de Drake, au sud du cap Horn.

La détermination des épaisseurs de glace par sondages radioélectriques sur une grande partie de l’indlandsis a maintenant permis d’obtenir une bonne image de la topographie du substratum rocheux (fig. 1).

L’Antarctique de l’Est, qui s’étend entre les longitudes 300 ouest et 1600 est (donc principalement dans l’hémisphère oriental), est généralement situé au-dessus du niveau de la mer – notamment avec le relief marqué des montagnes de Gamburtsev. Cependant, il comporte au sud de nombreuses zones situées sous le niveau de la mer; au nord, ces zones sont moins nombreuses et plus limitées. En l’absence de glace, le rehaussement isostatique réduirait ces secteurs immergés à la région côtière du bassin de Wilkes, essentiellement.

Séparé de cette entité par la longue chaîne Transantarctique, dont plusieurs sommets culminent à plus de 4 000 mètres, l’Antarctique de l’Ouest montre un socle rocheux généralement situé au-dessous du niveau de la mer, avec des profondeurs qui peuvent dépasser 2 500 mètres. Même sans glace, les zones à cote positive seraient essentiellement réduites à la péninsule Antarctique, à la zone côtière de la terre Marie-Byrd et aux monts Ellsworth, qui comprennent le mont Vinson, point culminant de l’Antarctique (5 140 m).

La dissemblance topographique qui est observée en surface entre les deux parties de l’Antarctique se retrouve en profondeur: l’épaisseur de la croûte, qui est de l’ordre de 40 kilomètres dans la partie orientale (et atteint même 60 km sous les montagnes de Gamburtsev), n’est généralement que de 25 à 30 kilomètres dans la partie occidentale. Le plateau continental est anormalement profond puisqu’il se situe à 400 mètres environ sous le niveau de la mer, alors que la moyenne mondiale n’est que de 130 mètres; cette différence pourrait être expliquée par une subsidence de la croûte sous le poids de la glace.

Curieusement, depuis l’Année géophysique internationale (1957-1958), le réseau des stations antarctiques n’a enregistré que peu de tremblements de terre d’une magnitude supérieure à 4 dans l’échelle de Richter; l’origine de ces séismes est d’ailleurs incertaine (dynamique des glaciers ou activité tectonique ?). Ce caractère asismique du continent antarctique n’a pas encore trouvé d’explication satisfaisante. Une théorie propose néanmoins le modèle de l’«inhibition» des contraintes tectoniques par la surcharge de glace.

Des affleurements rocheux, principalement métamorphiques, sont disséminés le long de la côte de l’Antarctique de l’Est. Les plus anciens trouvés jusqu’à présent sont des granulites de la terre d’Enderby formées il y a plus de 3 milliards d’années. Les granites des montagnes du Prince-Charles et les gneiss des collines de Vestfold sont aussi d’âge archéen. L’Antarctique de l’Est consiste ainsi en un bouclier composé d’un nucleus datant du Précambrien ancien, entouré de ceintures protérozoïques et parfois palézoïques (grès dits de Beacon) [fig. 3]. Les caractères lithologiques et structuraux des trop rares affleurements évoquent plusieurs orogenèses, dont on n’a cependant pas encore pu établir une histoire géologique précise.

Les séquences géologiques préservées dans la chaîne Transantarctique qui borde le grand bouclier de l’Antarctique de l’Est ne datent que de 600 millions d’années. S’étendant de la terre Victoria à la terre Dronning Maud, coupée parfois par des glaciers, elle présente un relief important souvent visible et culminant au mont Kirkpatrick (4 528 m). À partir du bouclier précambrien, on reconnaît différentes orogenèses: de Beardmore (Précambrien supérieur), de Ross (Ordovicien), de Borchgrevink (Siluro-Dévonien). La formation de cette chaîne est due au soulèvement progressif résultant de collisions continentales à la fin du Mésozoïque et pendant le Cénozoïque. Une certaine activité volcanique s’est développée le long de la côte de la terre Victoria depuis environ 15 millions d’années; le mont Erebus, sur l’île de Ross, est un volcan encore actif, comme l’atteste son panache quasi permanent et son lac de lave en fusion.

La partie occidentale de l’Antarctique comporte plusieurs fragments continentaux unifiés aujourd’hui par la couche de glace (fig. 1): monts Ellsworth, d’une part, péninsule Antarctique, côte de Eights (île de Thurston) et terre Marie-Byrd, d’autre part, séparés de la chaîne Transantarctique par la grande dépression joignant la mer de Ross à la mer de Weddell. À l’instar de la Cordillère des Andes, la péninsule Antarctique résulte de la subduction de la plaque Pacifique sous les marges occidentales de l’Amérique du Sud et de l’Antarctique. Ce mécanisme, qui a démarré vers la fin du Mésozoïque, a conduit à la formation d’une chaîne volcanique et à la mise en place de nombreux plutons, phases suivies d’une érosion ultérieure qui se traduit par des dépôts sédimentaires sur ses bords. Les monts Ellsworth sont constitués de matériels détritiques paléozoïques et mésozoïques plissés au Cénozoïque. Le mode de formation des autres fragments est encore incertain. On trouve un certain nombre de volcans de formation récente, mais éteints, disséminés en terre Marie-Byrd, alors que l’île Deception (dans l’archipel des Shetland du Sud, au nord de la péninsule Antarctique) a connu récemment plusieurs éruptions.

Sur l’ensemble de l’Antarctique, les données géophysiques indiquent que les vastes dépressions du socle sont des bassins sédimentaires. Dans l’Antarctique de l’Est, le plus grand de ces bassins est celui de Wilkes, qui converge avec les bassins Aurore et Pensacola dans une zone relativement proche du pôle Sud. Dans l’Antarctique de l’Ouest, l’épaisseur des sédiments est en plusieurs endroits de l’ordre de 4 kilomètres, les bassins principaux étant ceux de Ross, de Byrd et de Weddell. Tout autour de l’Antarctique, des études ont mis en évidence une série de bassins sédimentaires dont certains sont l’extension de ceux qui existent sur le continent.

Glaciologie

L’exploration au sol et le développement des techniques de télédétection ont aboutit à une connaissance précise des caractéristiques physiques de la calotte glaciaire (ou indlandsis, ou encore inlandsis) [fig. 1]: altitude et épaisseur de la glace, température moyenne en surface et taux d’accumulation de la neige, vitesses d’écoulement. Le volume de glace est de 30 millions de kilomètres cubes environ, mais il n’est pas encore possible de déterminer si l’indlandsis est en état d’équilibre. Un nouveau domaine de la recherche apparaît: l’étude des couches successivement déposées permet de reconstituer les évolutions du climat et de l’environnement atmosphérique.

L’indlandsis antarctique couvre une surface d’un peu moins de 14 millions de kilomètres carrés. Cette glace repose le plus souvent sur le socle rocheux, à l’exception des glaciers émissaires et, surtout, des grandes plates-formes de glace (ice shelves ) qui flottent sur la mer (les deux plus importantes sont situées sur les mers de Ross et de Weddell ; leur superficie totale est de l’ordre de 1,6 million de kilomètres carrés). Le développement des mesures faites par avion, ballon et satellite permet maintenant de disposer d’une bonne connaissance des altitudes de surface, qui augmentent rapidement dans les régions côtières, puis plus progressivement vers l’intérieur, pour culminer à plus de 4 000 mètres au pôle d’Inaccessibilité (830 S., 530 E.) et vers 2 300 mètres dans l’Antarctique de l’Ouest (fig. 1). En ce qui concerne les épaisseurs de glace, un progrès considérable a été réalisé grâce à l’utilisation systématique d’une technique de sondage radioélectrique aéroporté. Les valeurs sont généralement faibles au voisinage de la côte et plus importantes vers l’intérieur, mais elles dépendent fortement de la topographie du socle rocheux. C’est ainsi que la plus forte épaisseur (près de 4 800 m) a été mesurée à 400 kilomètres environ de la côte de la terre Adélie, dans une zone dont l’altitude est de l’ordre de 2 400 mètres. On est ainsi conduit à estimer que la glace de l’Antarctique représente un volume de 30 梁 2,5 millions de kilomètres cubes, dont plus de 85 p. 100 pour l’Antarctique de l’Est.

L’indlandsis est entouré d’une ceinture de glace de mer plus ou moins continue, de quelques mètres d’épaisseur et dont la superficie varie fortement en fonction des saisons (fig. 4). L’exploitation des données fournies par le satellite Nimbus-7 indique des valeurs extrêmes allant de 4 (en février) à 20 (en septembre) millions de kilomètres cubes.

Les températures moyennes annuelles (mesurées dans des trous de forage de 10 à 15 m de profondeur) varient fortement avec l’altitude (fig. 5a); elles sont typiquement de 漣 20 0C environ au voisinage de la côte à une altitude de 1 000 mètres et de 漣 55 0C à l’intérieur du continent à 3 800 mètres d’altitude (station Vostok). La température in situ dépend notamment du flux géothermique et de l’écoulement de la glace; elle augmente généralement avec la profondeur, et la glace semble atteindre son point de fusion dans des zones à grande épaisseur.

L’indlandsis est alimenté par des précipitations neigeuses dont l’importance est déterminée à partir de la datation des couches successivement déposées. Les précipitations annuelles sont de moins de 5 centimètres (équivalent en glace) sur les régions centrales et de 60 à 70 centimètres sur les régions côtières (fig. 5b). L’estimation de la quantité totale accumulée chaque année sur l’indlandsis est encore relativement imprécise; elle est de l’ordre de 2 100 milliards de tonnes, soit en moyenne 15 grammes par centimètre carré.

Les couches de neige successivement déposées se transforment en glace à une profondeur de l’ordre de 100 mètres. En même temps qu’elle s’enfonce, la glace s’écoule sous l’action de la gravité, dans une direction sensiblement perpendiculaire à celles des courbes de niveau. Les satellites géodésiques permettent de mesurer par effet Doppler les vitesses, qui sont très faibles dans les régions centrales (quelques mètres par an) mais qui vont en augmentant vers la côte, où elles peuvent atteindre environ 100 mètres par an (fig. 6a). Les glaciers émissaires les plus actifs et les shelves avancent, quant à eux, de 1 à 2 kilomètres par an. C’est ainsi que le glacier de Lambert, le plus grand de l’Antarctique avec 400 kilomètres de longueur et 40 kilomètres de largeur, avance à une vitesse de 1 kilomètre par an et débite chaque année 35 kilomètres cubes de glace sous forme d’icebergs. On ne dispose pas réellement de données suffisantes pour évaluer de façon précise le bilan de masse de l’Antarctique. En admettant un indlandsis en état d’équilibre, les 2 100 milliards de tonnes accumulés annuellement sous forme de neige doivent être compensés par l’évacuation à la mer d’une quantité équivalente de glace; près de la moitié de cette glace proviendrait des grands shelves prolongeant la calotte. Notons que des études ont été entreprises pour évaluer dans quelle mesure ces ressources en eau douce pourraient être exploitées.

Les caractéristiques de l’écoulement de la glace en profondeur sont encore mal connues; elles dépendent de nombreux paramètres: profil de la surface, topographie du socle rocheux, valeur de l’accumulation, champ de températures, propriétés du matériau glace, conditions régnant au contact du socle rocheux où pourrait dans certains cas se produire un glissement. Des modèles simples fournissent une représentation approximative des caractéristiques de cet écoulement: trajectoires de la glace et âges des différentes couches, qui doivent atteindre vers le fond plusieurs centaines de milliers d’années au minimum (fig. 6b).

Un domaine qui connaît un développement particulier est l’étude des informations contenues dans les couches de glace successives, notamment celles qui touchent aux évolutions du climat et de l’environnement atmosphérique. La composition isotopique de la glace (proportion relative des atomes lourds de deutérium et d’oxygène 18 par rapport à l’hydrogène et à l’oxygène 16, plus communs) permet en effet de déterminer la température qui régnait au moment où la neige est tombée. Les bulles d’air enfermées dans cette glace sont des témoins de l’atmosphère ancienne; de plus, de nombreux aérosols se sont déposés avec la neige: ils permettent de mesurer la contribution naturelle (sels marins, poussières continentales, émissions volcaniques) et celle qui est due aux activités humaines. Trois forages profonds aux stations Byrd (2 160 m), Dôme C (905 m) et Vostok (2 200 m) ont permis d’obtenir des séquences continues couvrant plusieurs dizaines de milliers d’années; un forage réalisé à la station Vostok couvre 160 000 ans.

La reconstitution de l’évolution de la température met en évidence de grandes variations des paléotempératures, avec une amplitude qui peut atteindre 10 0C (fig. 7). Le climat était généralement beaucoup plus froid qu’actuellement; il faut remonter au précédent interglaciaire (il y a plus de 100 000 ans) pour trouver des valeurs semblables à celles qui existent aujourd’hui. On observe en outre des périodicités de l’ordre de 40 000 et 20 000 ans, qui caractérisent les variations des paramètres orbitaux de la Terre. Les époques les plus froides se distinguent par des valeurs d’accumulation de la neige beaucoup plus faibles. En revanche, on observe alors des concentrations en poussières continentales et en aérosols marins beaucoup plus fortes, qui s’expliquent par des modifications climatiques importantes, à grande échelle: extension des déserts et des étendues couvertes par la glace de mer, baisse importante du niveau des océans, intensification de la circulation atmosphérique. Enfin, on a observé pour la première fois une corrélation directe entre l’évolution de la température et la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique, les périodes les plus chaudes étant associées à des teneurs plus élevées et vice versa (fig. 7). En ce qui concerne l’époque récente, on a pu mesurer dans la glace l’impact des activités humaines. C’est ainsi que la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique a augmenté de 25 à 30 p. 100 au cours des deux derniers siècles (fig. 8). L’une des préoccupations actuelles est l’impact possible sur la calotte antarctique de l’élévation de température qui pourrait intervenir dans les prochaines décennies. Pour certains chercheurs, la diminution de l’étendue de glace de mer et la fusion partielle des shelves pourraient, à long terme, déstabiliser une partie de l’indlandsis (notamment dans sa partie occidentale) et conduire à une augmentation du niveau des mers. Le suivi de l’étendue de la calotte et, ultérieurement, de l’évolution des épaisseurs de glace devrait être possible par télédétection avec la mise en place de satellites à orbites polaires.

L’étude de carottages marins réalisés autour de l’Antarctique suggère que la présence de sédiments glaciaires dans la partie orientale pourrait remonter à environ 30 millions d’années, en relation avec la séparation de l’Australie et de l’Amérique du Sud qui a climatiquement isolé le continent austral avec la formation du courant océanique circumpolaire. La glaciation de la partie occidentale se serait développée ultérieurement (à la fin du Miocène); la calotte glaciaire serait restée relativement stable (y compris sa partie occidentale) au cours des derniers millions d’années, même lors des interglaciaires.

Climat

Déterminés par la situation géographique, l’altitude et la présence de la calotte glaciaire permanente, les caractères du climat de l’Antarctique sont ceux d’un véritable désert froid: températures très basses, faibles précipitations et vents violents.

La durée de la période d’ensoleillement n’est pas en cause dans la genèse des températures très basses que connaît l’Antarctique: l’altitude élevée du continent, la faible densité de son atmosphère, la transparence de l’air font que cette durée est du même ordre de grandeur qu’aux tropiques. Mais l’effet calorifique du rayonnement solaire y est bien inférieur pour des raisons qui tiennent à la position en latitude – les rayons du soleil, lorsque celui-ci est visible, ont un angle d’incidence faible – et au pouvoir réfléchissant de la glace et de la neige. Ce dernier est si élevé qu’il provoque, dans la basse troposphère, une inversion thermique quasi permanente: la température est, à 1 000 mètres d’altitude, supérieure de 30 0C à celle qui règne au sol, cette inversion s’accompagnant d’effets d’optique responsables de mirages et de halos. Au sol, la température est, à latitude égale, toujours inférieure de 15 à 17 0C à celle qui est relevée dans l’Arctique, en raison tant de la forte altitude moyenne du continent et de la continuité de la calotte glaciaire que de l’éloignement des mers libres de glace. Aussi l’Antarctique est-il le secteur le plus froid du globe: le record mondial en la matière, 漣 89,6 0C, a été enregistré, en juillet 1983, à la station néo-zélandaise de Vanda et, chaque année, l’isotherme annuelle 漣 45 0C y englobe quelque 4 millions de kilomètres carrés! Les températures moyennes de janvier varient entre un peu moins de 0 0C sur la côte et 漣 30 0C sur le plateau, celles de juillet étant comprises entre 漣 20 0C le long de la première et 漣 65 0C sur le second.

Ces températures très basses sont, pour les organismes vivants, d’autant plus redoutables qu’elles s’accompagnent de vents violents. Refroidi par sa base, l’air atmosphérique se tasse au voisinage du sol, engendrant une vaste aire anticyclonique d’où divergent, en rayonnant, des courants de densité: les vents catabatiques. Ces derniers, qui soufflent d’abord au sud, dévient et se renforcent sur les bords du continent, où ils viennent du sud-est – on a enregistré 226 km/h à Mirny –, pour atteindre leur vitesse maximale aux abords de l’auge de basses pressions qui est située sur l’océan Austral, entre les 55e et 65e parallèles sud. C’est là que se forment, épisodiquement, des dépressions mobiles, circulant d’est en ouest, qui résultent de la convergence des vents tièdes venus des latitudes moyennes et des vents froids issus de l’anticyclone polaire. Les perturbations qui les accompagnent pénètrent, parfois, dans le secteur côtier antarctique, auquel elles apportent chaleur et humidité. En se condensant, celle-ci donne naissance à des précipitations neigeuses dont l’abondance décroît rapidement vers le centre de l’inlandsis: si la côte de la péninsule antarctique reçoit jusqu’à 500 millimètres d’eau, le cœur du continent en recueille moins de 50. Cette eau, tombée sous forme de neige, se transforme en glace et ne ruisselle pas. Brièvement alimenté, l’été, par les eaux de fonte du glacier du Wright, situé dans la dépendance de Ross, l’Onyx, seul fleuve de l’Antarctique, ne coule que sur une trentaine de kilomètres!

Faune et flore

La rigueur extrême du climat, tout comme l’existence de la vaste coupole de glace entravent sérieusement le développement de la vie sur le continent. En revanche, la mer, qui ne connaît pas de températures aussi basses, est un milieu beaucoup plus favorable: la vie, en Antarctique, se concentre dans les zones maritimes.

L’origine de toute la chaîne alimentaire aquatique est dans le plancton, ensemble de plantes et d’animaux de taille microscopique. Porté par les courants, on le trouve en quantité deux fois plus importante dans les eaux polaires, riches en phosphates, que dans les mers tropicales. Le plancton végétal est composé surtout d’algues diatomées, puis de dinoflagellés en nombre moins important. Près des côtes prospèrent des algues fixes dont on a décrit une centaine d’espèces, endémiques dans la proportion de 40 p. 100.

Les animaux invertébrés sont nombreux entre 4 et 200 m de profondeur, au-delà de la zone de raclage des glaces. On compte 450 espèces de vers annelés, 200 d’éponges, plus de 60 de bryozoaires, 10 de Cephalodiscus , plus de 300 de mollusques, c’est-à-dire sensiblement moins que dans les mers arctiques. Les trois quarts des espèces de poissons appartiennent à la seule famille endémique ancienne des Nototheniiformes. Les autres ont une origine sud-américaine et sont venues dans l’Antarctique par l’intermédiaire de l’arc de la Scotia, ou proviennent de la partie profonde des océans voisins; on les retrouve alors dans l’Arctique. L’abondance du plancton et des poissons explique la présence des baleines dont le nombre est de plus en plus réduit, qui migrent au cours de l’année, en suivant le déplacement du rebord de la banquise. Les spécimens les plus impressionnants sont les baleines bleues (Balaenoptera musculus ), qui peuvent atteindre 30 mètres de long, pour un poids de 150 tonnes. Le sous-ordre des Mysticètes, auquel elles appartiennent, est aussi représenté par le mégaptère (16 m et 50 t), le rorqual de Rudolphi (15 m et 50 t) et le petit rorqual, qui atteint rarement 10 mètres de long.

Les phoques et les otaries, extrêmement nombreux et bien adaptés au froid, ont un genre de vie mixte, partagé entre les eaux et la surface de la glace, mais ils retirent leur nourriture de la mer. Il en est de même pour les oiseaux qui, en Antarctide, ne peuvent se nourrir à terre. Les espèces sont peu nombreuses mais on estime à au moins 100 millions le nombre d’oiseaux qui viennent se reproduire sur les côtes de l’Antarctique. Leurs migrations peuvent être très lointaines et conduire les meilleurs voiliers jusqu’à la mer Rouge, les Indes, le Japon ou même Terre-Neuve. Les manchots forment des colonies immenses, pouvant compter jusqu’à 1 million d’individus sur 1 ou 2 kilomètres carrés. Le manchot empereur, propre à l’Antarctique, est le plus grand des manchots actuels, et sa taille peut atteindre 1 mètre pour un poids de 40 kilogrammes.

Aucun de ces animaux ne s’aventure très loin à l’intérieur du continent froid, venteux, accidenté, pauvre en eau liquide et où presque rien ne pousse. Les eaux des lacs, souvent saumâtres, abritent des algues et des diatomées, appartenant à 200 espèces différentes. Sur la terre ferme, les sites les moins défavorables sont les parois rocheuses des oasis ou les blocs morainiques qui provoquent la fonte de la neige par-dessous, ou encore les abords des sites fréquentés par les manchots (rookeries). Tous sont colonisés par des lichens qui forment une croûte adhérant à la roche. La péninsule antarctique en a fourni plus de 200 espèces et aucun autre secteur du continent n’en compte plus de 75. Les mousses sont au nombre de 70 espèces. Quant aux plantes à racines, très peu nombreuses dans les îles subantarctiques (35 dans l’île Macquarie, 32 dans les Kerguelen), elles ne sont que 2 dans la péninsule: une graminée (Deschampsia antarctica ) et un œillet (Colobanthus crassifolius ); elles n’existent pas ailleurs sur le continent.

L’indigence de cette végétation interdit la croissance de la plupart des animaux terrestres. Il n’y a, en Antarctique, que 52 espèces d’insectes, 19 de protozoaires, 14 d’acariens libres, 13 de collemboles, en tout 118 espèces connues et, sans doute, moins de 300 existantes, dont le plus gros représentant n’a pas plus de 5 millimètres de longueur.

2. Découverte et conquête

Les expéditions individuelles

Une vieille tradition, héritée des Grecs, voulait que le district polaire austral fût occupé par un vaste continent, dont Magellan, lors de son voyage autour du monde, pensait avoir vu l’extrême avancée en doublant la Terre de Feu. On vécut longtemps sur cette erreur, sans que ce continent mythique ait attiré beaucoup de curiosité. La première expédition officielle pour la recherche de la «Terre australe» est celle du Français Bouvet qui, en 1739, découvre l’île qui porte son nom depuis lors, et dont on se désintéresse aussitôt. Au cours de la seconde expédition, en 1772-1775, Cook découvre les îles Sandwich du Sud, franchit le cercle polaire en trois points et atteint la latitude record de 710 10 , sans rencontrer le continent.

Ce sont ensuite les chasseurs de phoques et de baleines qui s’aventurent dans les eaux australes, à la recherche des littoraux où s’assemblent ces animaux. Leurs découvertes, d’abord tenues secrètes, finissent par s’ébruiter. L’Anglais William Smith annonce, en 1819, la découverte des îles Shetland du Sud, et son compatriote Bransfield voit, en janvier 1820, une terre qui est, peut-être, l’extrémité de la péninsule Antarctique, aperçue une deuxième fois, en novembre 1820, par l’Américain Palmer. Entre-temps, Lazarev, second de Bellingshausen qui dirige la première expédition russe dans les eaux australes, consigne sur sa carte de navigation avoir aperçu, le 27 janvier 1820, des glaces s’élevant à perte de vue devant son navire, en direction du sud. Bellingshausen aborde ensuite à l’île Pierre Ier, le 9 janvier 1821, puis, huit jours plus tard, à la terre Alexandre, qui est en réalité une île. Le 7 février 1821, les marins de l’Américain Davis débarquent, pour la première fois, sur le continent. Les îles Orcades du Sud sont découvertes, conjointement, par le Britannique Powel et l’Américain Palmer, le 6 décembre 1821, tandis qu’en 1823 l’Anglais Weddell pénètre dans la mer qui porte son nom et bat le record de latitude sud avec 740 15 . En 1830, John Biscoe, opérant pour le compte des frères Enderby, découvre un secteur continental que l’on nomme terre d’Enderby.

L’intérêt scientifique prend le pas sur les préoccupations économiques ou territoriales, et l’étude du magnétisme austral attire dans l’Antarctique, de 1838 à 1843, neuf navires appartenant à trois expéditions différentes. L’expédition française (1838-1840), conduite par Dumont d’Urville, découvre, en Antarctide orientale, la terre Louis-Philippe, l’île Joinville et la terre Adélie. Sous la direction de Wilkes, l’expédition américaine (1839-1842), plus puissante mais mal organisée, reconnaît la portion du littoral de l’Antarctide orientale située au long de la terre dite, dès lors, de Wilkes. Le chef de l’expédition anglaise, James Ross, découvre, dans la mer à laquelle son nom est attaché, l’extraordinaire barrière de glace qu’il suit sur plus de 600 km, atteignant 780 sud. Il baptise au passage du nom de ses navires les deux volcans Erebus et Terror, et consacre à la reine Victoria la terre qui borde la mer nouvellement découverte.

Après une interruption d’un demi-siècle commence l’exploration du continent dont les expéditions marines antérieures ont fixé les contours. Les techniques ont progressé, et le Belge Adrien de Gerlache réussit avec son bateau le premier hivernage dans les glaces de la péninsule antarctique. L’année suivante, le Norvégien Borchgrevink dirige le premier hivernage à terre et fait usage de traîneaux, attelés à des chiens de Sibérie et du Groenland. Sur proposition des délégués allemands au Congrès de géographie de Berlin, une campagne de recherche internationale est entreprise dans l’Antarctique, et ses travaux vont se développer jusqu’à la Première Guerre mondiale. La France y est représentée par Jean Charcot – qui étonne les autres navigateurs par sa hardiesse –, la Grande-Bretagne par Scott et Shackleton, l’Allemagne par Drygalski, la Norvège par Nordenskjold, Larsen puis Amundsen. Les expéditions à terre deviennent de plus en plus nombreuses, dirigées vers le pôle, dont la découverte devient l’enjeu d’une compétition acharnée: en 1910, Scott organise un nouvel hivernage à McMurdo, pour se lancer au printemps suivant vers le pôle. En cours de route, il apprend qu’Amundsen, bien décidé à arriver au pôle le premier, hiverne à l’autre extrémité de la plate-forme de Ross. Le raid que le Norvégien prépare avec un soin minutieux, mettant en place, avant l’hiver, des dépôts de vivres au long de la route qui sera suivie au printemps, est un modèle d’organisation. Partis du littoral le 19 octobre, Amundsen et ses quatre compagnons, tous remarquablement entraînés, hissent le drapeau norvégien au pôle le 14 décembre 1911 et sont de retour à leur camp de départ le 25 janvier 1912, n’ayant pas utilisé tous leurs vivres. De son côté, Scott multiplie les maladresses: il part trop tard, les dépôts de vivres et de carburant sont trop espacés et ses compagnons sont incapables de soutenir un tel effort; néanmoins, le 17 janvier 1912, les cinq membres de l’équipe de pointe parviennent au pôle où flotte le drapeau norvégien. Il leur faut faire demi-tour alors que, déjà, le froid augmente. Retardés dans leur mouvement par la maladie de l’un d’eux, ils sont bientôt contraints de s’imposer un rationnement sévère qui les affaiblit. Le 17 février survient un premier décès, suivi d’un second le 17 mars. Les trois survivants, bloqués par une tempête de neige à 18 kilomètres d’un dépôt de vivres, mourront d’épuisement, à côté des sacs d’échantillons dont ils n’ont pas voulu se séparer. Ce drame n’interrompt pas les recherches scientifiques que l’Allemand Filchner puis l’Australien Mawson poursuivront jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

L’utilisation de l’avion et des liaisons radio va bouleverser les conditions de vie et de travail dans l’Antarctide au lendemain de la guerre, tandis que se renforce l’intérêt porté à l’étude de ce continent par les chercheurs américains, australiens, néo-zélandais et latino-américains. Le premier vol de reconnaissance au-dessus des régions littorales antarctiques est celui de l’expédition Wilkins-Hearst (1928-1930) qui reconnut la terre de Graham. Le consul norvégien Lars Christensen, aidé de pilotes expérimentés, découvre depuis les airs, en 1929-1930, deux terres inconnues qui reçoivent les noms de terre de la Reine-Maud et terre de la Princesse-Royale-Martha. En 1933-1934, Gunnestadt survole la terre de la Princesse-Ragnhild, du Roi-Léopold et de la Reine-Astrid. Nil Romnaes et Lars Christensen pratiquent la première couverture photographique aérienne du littoral, imités bientôt par l’Allemand Ritscher.

Le premier vol à l’intérieur du continent est réalisé par l’Américain Ellsworth et son pilote Hollick-Keynion, entre le 21 novembre et le 5 décembre 1935. Partis de la terre de Graham, ils parviennent à rallier, en cinq étapes, la station de Little America, après avoir parcouru 3 400 kilomètres en se tenant à mi-distance entre le pôle et le littoral. L’avion est dès lors utilisé dans toutes les grandes expéditions de l’entre-deux-guerres, aux côtés de tous les appareils de transport et de recherche que la technique moderne fournit à l’exploration polaire. Les trois premières expéditions Byrd (1928-1929, 1933-1935, 1938-1940) mettent en œuvre un matériel impressionnant: avions et autogires pour les transports rapides, tracteurs à chenilles pour les raids terrestres, stations permanentes dotées de groupes électrogènes, d’émetteurs radio et de tout un appareillage scientifique permettant de conduire un programme d’observations biologiques et géophysiques synchrones et comparées. À ce prix, la connaissance du continent antarctique est bientôt aussi sûre que celle des terres des hautes latitudes boréales.

L’âge héroïque, celui des expéditions individuelles, est bien mort: l’exploration est, désormais, le fait de puissantes entreprises nationales ou même internationales, financées par les gouvernements des pays intéressés à l’avenir de l’Antarctique.

Cet avenir dépend surtout des règles admises pour l’acquisition du droit de souveraineté sur les régions polaires australes. Il y a là, pour les nations et les juristes internationaux, un problème d’une extrême acuité que complique la nature même de l’Antarctide: la terre ferme y est l’exception, la glace recouvre 98 p. 100 de la surface et se prolonge, en mer, par de vastes plates-formes flottantes, dont il est bien difficile de dire si elles appartiennent à l’espace marin ou continental. Cependant, en raison de l’intérêt présenté par ces étendues glacées pour l’organisation de bases maritimes ou de stations scientifiques, huit nations ont été amenées à formuler des déclarations de souveraineté sur l’Antarctide ou les îles subantarctiques. Les Britanniques revendiquent tout le secteur de la mer de Ross compris entre les méridiens 1600 est et 1500 ouest, depuis le 60e parallèle jusqu’au pôle. Leur exemple est imité par la France en terre Adélie, entre 136 et 1420 est, par l’Australie dans l’immense secteur compris entre les méridiens 45 et 1360 est, puis 142 et 1600 est, par la Norvège dans la portion de continent comprise entre 200 ouest et 450 est. Tandis que les gouvernements australien, britannique, français et norvégien reconnaissent mutuellement leurs droits sur les territoires convoités par chacun d’eux, les États-Unis et l’Union soviétique n’admettent aucune des souverainetés revendiquées et se réservent de faire valoir les droits découlant des activités de leurs ressortissants dans l’Antarctique.

L’exploration concertée

La Seconde Guerre mondiale donne une dimension nouvelle aux conflits de souveraineté, en révélant la valeur stratégique de l’Antarctide et surtout des abords du détroit de Drake. Les corsaires allemands, établis dans l’Antarctique, ont considérablement entravé la circulation maritime dans un secteur qui prendrait une importance vitale en cas de fermeture du canal de Panamá. L’inquiétude naît et grandit dans les pays voisins: Australie, Nouvelle-Zélande, Chili, Argentine, Afrique du Sud, qui craignent d’être pris à revers par un ennemi installé en Antarctique. La péninsule Antarctique devient l’enjeu d’une véritable guerre de chancellerie que se livrent l’Argentine, le Chili et la Grande-Bretagne en réclamant ensemble le secteur compris entre les méridiens 25 et 740 ouest. Pour mieux asseoir ses droits, chacun de ces pays crée des stations nouvelles, souvent sur les mêmes sites que ses compétiteurs, dans la péninsule qui se trouve bientôt suréquipée, en regard de l’Antarctide orientale.

L’attention des États-Unis est attirée par l’Antarctide centrale qu’ils explorent, en 1946, au cours de l’opération High Jump, en mobilisant plus de 5 000 hommes et 13 navires, dont un brise-glace et un porte-avions; l’année suivante, une expédition «Windmill» est envoyée dans le secteur de la terre Marie-Byrd et de la plate-forme de Ross. Les Soviétiques font leur apparition dans l’Antarctique en organisant chaque été, à partir de 1946, une expédition océanographique et une campagne de pêche à la baleine dans les eaux des secteurs indien et pacifique, ce qui inquiète au plus haut point l’Australie et la Nouvelle-Zélande. De leur côté, les Français essaient de débarquer en terre Adélie en 1948-1949, y réussissent en 1949-1950 et créent la station Port-Martin, transférée trois ans plus tard à Dumont-d’Urville. Au même moment, Britanniques, Norvégiens et Suédois organisent, sous l’impulsion du glaciologue Ahlmann, la première expédition multinationale, à Maudheim, vers 100 ouest (1950-1952), ouvrant la voie à une collaboration directe des savants de tous les pays pour la connaissance de l’Antarctique.

De plus en plus, les hommes de science voient, dans le district polaire austral, une manière de laboratoire idéal pour l’étude de la structure du globe et de son atmosphère. Ils défendent l’idée d’une Année géophysique internationale durant laquelle toutes les nations uniraient leurs efforts pour réaliser un programme de recherches concertées. Satisfaction leur est donnée en 1953 par les Nations unies, qui fixent à 1957-1958 la date de l’A.G.I. Les préparatifs commencent aussitôt et douze nations répondent à l’appel lancé pour l’ouverture de stations scientifiques sur le continent antarctique. Les Américains battent, en 1955, le record de déchargement à McMurdo (10 000 t) et leurs aviateurs atterrissent pour la première fois au pôle, où ils installent la station Amundsen-Scott. De leur côté, les Soviétiques ont choisi d’implanter leurs stations aux lieux les plus difficiles d’accès: le pôle géomagnétique austral et le pôle d’inaccessibilité relative. Leurs hommes de science devront lutter contre les températures les plus basses et supporter les effets de l’altitude; ils réaliseront, dans des conditions particulièrement sévères, le premier hivernage sur l’inlandsis, en 1957, à Pionierskaïa. La Nouvelle-Zélande, qui a autorisé les États-Unis à utiliser son aérodrome de Christchurch comme escale sur la route de l’Antarctique, reçoit l’aide des techniciens américains pour ouvrir les stations de Scott et de Hallett. Le Japon fonde à son tour, en 1956-1957, la station de Siowa, bientôt imité par l’Afrique du Sud qui, en 1960, ajoute à sa station insulaire de Marion Island la base continentale de Norway, cédée par les Norvégiens. Argentins, Australiens, Belges, Britanniques, Chiliens, Français, Polonais rouvrent leurs stations temporaires ou en créent de nouvelles, si bien que 62 stations scientifiques fonctionneront dans l’Antarctique, de manière permanente ou temporaire, entre novembre 1955 et décembre 1958.

Dépourvue de toute arrière-pensée, la collaboration étroite qui a ainsi uni les savants de douze nations a préparé la voie à une utilisation purement pacifique de l’Antarctique, laquelle a été ultérieurement consacrée par le traité du 1er décembre 1959 qui y garantit la liberté d’accès et de recherche. Le nombre des stations scientifiques permanentes fonctionnant dans l’Antarctique est passé, entre la fin de l’A.G.I. et l’hiver de 1989, de cinquante-cinq à soixante-seize, les programmes de recherche, dont le contenu est coordonné par un comité scientifique international, se sont étendus et diversifiés, et le nombre des missions temporaires a fortement augmenté, les responsables de celles-ci ajoutant au travail scientifique des préoccupations d’ordre économique. On estime à un millier les personnes qui y travaillent en hiver, chiffre qui peut tripler ou quadrupler durant les campagnes d’été. À l’hiver de 1989, l’Union soviétique restait le pays le plus actif, entretenant dix stations opérationnelles. Le Chili en prenait neuf en charge; l’Argentine, les États-Unis et la Grande-Bretagne, huit chacun. L’Australie équipait six stations; l’Afrique du Sud, cinq; la France et l’Allemagne (ex-Allemagne de l’Ouest, 3; ex-Allemagne de l’Est, 1), quatre; le Brésil, le Japon et la Nouvelle-Zélande, trois; enfin, la Chine, l’Inde, l’Italie, la Pologne et l’Uruguay possédaient chacun une station de recherche sur le continent austral.

3. Statut de l’Antarctique en droit international

Après avoir, longtemps, laissé libre cours aux initiatives privées, les États-Unis proposèrent, en 1948, la réunion d’une conférence internationale pour régler le sort de l’Antarctique. Elle ne put avoir lieu, du fait des exigences soviétiques. Il fallut attendre qu’en 1956 se déclenche un mouvement général d’intérêt pour les sciences de la Terre, à la faveur de l’Année géophysique internationale (A.G.I.). Un plan très ambitieux fut alors mis sur pied. Il prévoyait, en particulier, l’exploration du continent austral. Les objectifs de l’A.G.I. furent largement atteints en 1958.

Amplifiés en 1959 par la Coopération géophysique internationale, ils furent donc pérennisés par la signature, le 1er décembre 1959 à Washington, d’un traité sur l’Antarctique, entré en vigueur le 23 juin 1961. Ce texte met en œuvre des idées déjà contenues dans une note du gouvernement des États-Unis en date du 2 mai 1958. Les négociations furent longues. Mais la détente entre l’Est et l’Ouest favorisa l’adoption de cette convention.

Celle-ci vise «la région située au sud du 60e degré de latitude sud, y compris toutes les plates-formes glaciaires». Elle fait de l’Antarctique le domaine réservé de ce qu’on a appelé une «aristocratie conventionnelle». Cette dernière est formée de douze États signataires qui ont apporté une contribution effective à l’A.G.I. et qui, à des titres divers, avaient tous des prétentions sur la zone polaire sud. Sept ont fait valoir des droits territoriaux: un premier groupe composé de l’Australie, de la France, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, un second groupe formé de l’Argentine et du Chili. À ceux-ci devaient s’ajouter, pour des raisons variées, cinq autres États (ceux de la deuxième vague): d’une part les deux Grands, États-Unis et l’U.R.S.S., d’autre part la Belgique, le Japon et l’Afrique du Sud. Il était admis que d’autres États pourraient rejoindre les Douze.

Le régime juridique de l’Antarctique peut se résumer en deux formules: «gel» des revendications territoriales; internationalisation fonctionnelle fondée sur une utilisation pacifique de ce territoire.

Gel des prétentions territoriales

Le désir d’appropriation de l’Antarctique n’est pas seulement motivé par des recherches désintéressées. Il s’explique aussi par des raisons économiques et stratégiques.

L’une des principales sources de richesses exploitées fut longtemps la chasse à la baleine, dans laquelle des capitaux considérables ont été investis. Certains savants sont aussi fascinés par les énormes réserves de minéraux que recélerait ce continent.

Des idées audacieuses ont également été émises. On a suggéré que l’excédent des récoltes mondiales soit stocké dans l’Antarctique. On a proposé que les courants aériens qui, tout au long de l’année, balaient ces zones glaciales soient captés et utilisés comme source d’énergie.

Ce continent présente, en outre, un intérêt stratégique. La terre de Graham n’est qu’à un millier de kilomètres du cap Horn. En cas de conflit mondial, ou s’il s’agissait de tracer de nouvelles routes commerciales, la maîtrise du détroit de Drake pourrait se révéler très utile.

Pour toutes ces raisons, force fut aux signataires du traité de Washington de tenir le plus grand compte des situations existantes. Ils décidèrent donc le maintien du statu quo en matière territoriale. En revanche ils spécifièrent qu’aucune prétention nouvelle ne saurait être acceptée après l’entrée en vigueur de la convention.

Ainsi – dans la phase initiale d’application du traité, tout au moins – le «gel» porte sur le contentieux, non sur les droits. Les revendications et les exigences des États, antérieures à la signature de la convention, subsistent donc. On les rappellera brièvement en distinguant: les membres du «club antarctique», ceux de la deuxième vague et les derniers arrivés.

Le club antarctique

Le club est composé d’États qui, depuis longtemps, s’intéressent, de manière active, au continent austral. Ce sont: la Grande-Bretagne (suivie de deux membres du Commonwealth, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), la France et la Norvège. On a appelé ces pays les «possessionnés». En appliquant la théorie de la découverte , ils se sont mutuellement reconnu des secteurs dont le pôle Sud est le sommet: secteur britannique des Falkland; secteurs australiens occidental et oriental; secteur néo-zélandais de la dépendance de Ross; le secteur français se compose des îles Saint-Paul, d’Amsterdam, de Kerguelen, de Crozet et de la terre Adélie; le secteur de la Reine-Maud enfin constitue celui de la Norvège. À la suite du déclin des puissances européennes et, surtout, après la Seconde Guerre mondiale, d’autres voix se sont élevées. Elles ont remis en question un arrangement conclu sans leur accord.

La deuxième vague

En premier lieu se sont manifestés deux États sud-américains: le Chili et l’Argentine. Ils revendiquent l’un et l’autre de larges secteurs empiétant sur celui que se sont attribué les Britanniques. Le premier invoque la théorie des quadrants (en géométrie, le quadrant est le quart de la circonférence). Le second fait valoir la théorie de la contiguïté ou de la continuité , reposant sur l’analogie de la structure géologique. Pour être mieux armées dans la défense de leurs droits, ces républiques d’Amérique latine ont jugé préférable – provisoirement du moins – d’en finir avec leurs propres querelles à propos de ces territoires. Par une déclaration du 4 mars 1948, elles ont «gelé» leur contentieux.

Peu de temps après cet accord, l’U.R.S.S. entrait en scène à son tour. Sa position a été affirmée le 10 février 1949 par la Société de géographie de Leningrad et précisée dans un mémorandum adressé, le 7 juin 1950, aux États intéressés. Les Soviétiques considèrent que nul règlement de la région polaire Sud ne saurait se faire sans eux. Ils revendiquent eux aussi un secteur, en invoquant les titres provenant de découvertes faites, en particulier au temps des tsars (en 1820, notamment).

L’autre Grand a une position très nette et catégorique qui ne se confond avec aucune des précédentes. La doctrine des États-Unis est connue depuis la déclaration officielle du département d’État du 13 mai 1924. Elle a été rappelée par Dean Acheson le 27 décembre 1946. Ils ne reconnaissent ni la théorie de la découverte, ni celle des quadrants, ni celles de la contiguïté ou de la continuité. Ils considèrent que l’établissement permanent est le seul mode régulier d’acquisition de la souveraineté sur ces terres sans maître. Ils invoquent à leur profit la théorie du point d’appui ou de l’activité de contrôle . Les bases qu’ils ont installées sont nombreuses (Amundsen-Scott, McMurdo, Eights, etc.).

Les derniers arrivés

Au fil des années, treize États ont été cooptés avec le statut de «parties consultatives»: République démocratique allemande et république fédérale d’Allemagne (ces deux pays étant réunifiés depuis le 3 octobre 1990), Brésil, Chine, Corée du Sud, Espagne, Finlande, Inde, Italie, Pérou, Pologne, Suède, Uruguay. À côté de ces membres à part entière figurent des adhérents au traité qui, bénéficiant du statut d’observateurs, assistent aux réunions consultatives, mais sans droit de vote.

Le traité de Washington ne se borne pas à maintenir un statu quo , il institue une internationalisation fonctionnelle de l’Antarctique.

Internationalisation fonctionnelle

Un principe domine ici: celui de la coopération internationale en matière scientifique. L’idée n’est pas nouvelle. Dès le 25 octobre 1938, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la France avaient ouvert la voie en autorisant le survol réciproque de leurs territoires antarctiques.

Le traité de Washington énonce diverses interdictions ou obligations visant à une utilisation pacifique de l’Antarctique. Il établit un statut privilégié «dans l’intérêt de l’humanité tout entière». Divers moyens peuvent être utilisés pour assurer le respect des principes posés.

Un statut privilégié

L’Antarctique, situé hors du monde, doit aussi échapper à ses querelles. À cette fin sont interdites toutes mesures de caractère militaire, telles que l’établissement de bases, les constructions de fortifications, les manœuvres et les essais d’armes de toutes sortes. La décharge, dans cette zone, de déchets radioactifs est proscrite pour la même raison. En revanche, le traité «ne s’oppose pas à l’emploi de personnel ou de matériel militaires pour la recherche scientifique ou pour toute autre fin pacifique».

Les obligations des États parties au traité concourent toutes à rendre effective la liberté de recherche, telle qu’elle avait existé au cours de l’Année géophysique internationale. En conséquence, chaque pays peut entreprendre des études scientifiques «dans une région quelconque» de l’Antarctique. Pour les mener à bien, des réunions périodiques de consultation, d’information et de perfectionnement sont prévues.

Interdictions et obligations sont protégées par diverses dispositions du traité de Washington. Les installations des pays signataires sont soumises au contrôle éventuel des commissions d’inspection formées par chacun de ces États. Par ailleurs, les observateurs, le personnel scientifique faisant l’objet d’échange et les personnes qui leur sont attachées se voient appliquer la règle de la compétence personnelle. Ils répondent devant leurs juridictions nationales de tout acte délictueux ou de toute omission répréhensible durant leur séjour dans l’Antarctique.

En outre, une collaboration est prévue entre les institutions spécialisées des Nations unies et les autres organisations internationales pour lesquelles le continent austral offre un intérêt scientifique ou technique.

L’intérêt des recherches

Ainsi protégés, les chercheurs sont mieux à même de procéder à leurs investigations. Ils ont à leur disposition un terrain de choix où la vie de notre planète peut être parfaitement étudiée.

L’Antarctique est, en effet, un continent éloigné des principaux foyers d’activité sismique. Les tremblements de terre y sont très rares, et aucune activité humaine n’y produit d’ébranlements parasites. On peut donc y observer des signaux qui ont cheminé dans les couches les plus profondes et obtenir d’intéressantes indications sur la structure interne du globe terrestre. La sismométrie permettra d’obtenir des «profils» donnant une idée de la manière dont varie, sur un parcours donné, l’épaisseur de la glace. La gravimétrie aidera à préciser les résultats précédents et, notamment, la configuration du sol sous-jacent.

L’Antarctique est aussi un lieu d’élection pour l’étude des climats et des aurores australes. Son importance météorologique en fait, comme l’a écrit l’amiral Byrd, le «poumon de la terre». De l’avis d’un chercheur américain, ce continent jouerait, sur des millénaires, le rôle régulateur du climat terrestre, fonction qui lui a déjà été reconnue, mais à l’échelle de l’année.

L’Antarctique est également intéressant pour les géophysiciens et pour tous ceux qui étudient la haute atmosphère ou le Soleil. Les régions polaires reçoivent la plus grande partie des rayons cosmiques du Soleil. Or leur influence sur la propagation des ondes radio-électriques est considérable.

L’étude de la faune et de la flore de ce continent est également très instructive. Une cinquantaine d’espèces d’insectes – dont de curieuses mouches sans ailes – vivent sur ces territoires. Elles voisinent avec les skuas (les «aigles de l’Antarctique»), les manchots empereurs et les phoques Weddel. Ces derniers, surtout, présentent un intérêt particulier pour le physiologiste et l’écologiste.

Mais, pour les Douze, le traité de Washington n’était qu’un point de départ. Les États signataires ne tardèrent pas à manifester leur volonté de dépasser la lettre de cette convention. À cet effet, ils avaient déjà tenu, jusqu’en 1991, seize réunions consultatives ordinaires au cours desquelles ont été adoptées quelque deux cents recommandations. Elles ont trait, par exemple, à la protection de la faune et de la flore, au rôle du comité scientifique de recherche dans ce domaine, à la coordination des télécommunications, à l’échelle d’informations sur les facilités d’atterrissage et de garage des avions dans cette zone.

À cela s’ajoutent trois grands textes sur l’Antarctique: la convention de Londres, de février 1972, sur la protection des phoques, le traité de Canberra, du 20 mai 1982, sur la conservation de la faune et de la flore, et la convention de Wellington, du 2 juin 1988, sur l’exploitation des ressources minérales.

Le bilan est donc encourageant. Il l’est d’autant plus qu’il va à contresens de l’histoire.

Celle-ci en effet a montré que, le plus souvent, les États préféraient risquer de perdre leur souveraineté sur un territoire contesté plutôt que le voir placé sous un régime international. Il est vrai que les tentatives qui ont été faites dans ce sens ont abouti, le plus souvent, à des annexions par d’autres États. Le système juridique de l’Antarctique – qui pourrait bien évoluer vers une forme d’indivision – constitue donc une heureuse exception. Il semble d’ailleurs que son régime soit, tout compte fait, jugé satisfaisant par ses utilisateurs. On a même proposé d’appliquer au cosmos les principes dégagés par les auteurs du traité de Washington.

Son article 12 prévoit que, trente ans après son entrée en vigueur (soit en 1991), cette convention peut être reconduite ou amendée. Si l’on en juge par les débats qui se sont déroulés, et par la crise qui s’est ensuivie, notamment au sein de l’O.N.U., du fait de la pression du Tiers Monde et des écologistes, la négociation risque d’être difficile. L’un des problèmes à résoudre est de déterminer si, comme le souhaitent certains, l’Antarctique peut être déclaré «patrimoine commun de l’humanité», avec tous les effets que comporte cette qualification.

4. L’avenir de l’Antarctique

Les moyens mis en œuvre par les membres des expéditions antarctiques ont si bien multiplié les connaissances acquises que l’on peut désormais dresser, de manière vraisemblable, la liste des ressources prouvées et prévisibles de cet immense domaine, certaines de ces ressources faisant déjà l’objet d’une exploitation.

La chasse à la baleine est l’activité économique la plus ancienne qu’ait connue l’Antarctique. Pratiquée, d’abord, par les Norvégiens, puis par les Japonais et les Soviétiques, elle est réglementée depuis la signature de la convention de 1946 qui fut le premier acte international relatif à l’Antarctique. Les eaux australes offrent aux baleiniers leur principale zone de travail, si bien que les espèces les plus recherchées, telles que les grandes baleines bleues, étant menacées de disparition, il a fallu réglementer les prises et interdire la chasse aux phoques. La Commission pour la conservation des ressources marines vivantes en Antarctique se préoccupe aussi d’éviter la surexploitation des poissons, que les pêcheurs venus surtout de l’ex-R.D.A., d’Union soviétique et de Pologne capturent, malgré l’éloignement des sites, par centaines de milliers de tonnes. L’intérêt des gens de mer s’est aussi porté sur le krill, rassemblement en manière d’«essaim» de petites crevettes, si abondant que l’on a pu penser pouvoir, en l’exploitant à grande échelle, doubler, voire tripler, le tonnage annuel des prises maritimes mondiales, lequel est de l’ordre de 90 millions de tonnes. Déjà, Japonais, Soviétiques et Polonais en ont capturé plusieurs centaines de milliers de tonnes qu’ils commercialisent, principalement, sous la forme de galettes destinées à l’alimentation du bétail. Mais les résultats du programme de recherche «biomasse» ne permettent pas encore d’évaluer de manière précise l’importance des réserves de krill et de définir les limites de leur exploitation rationnelle.

Le tourisme commence à susciter quelques activités qui demeurent marginales. L’expérience acquise par les explorateurs en matière de navigation aérienne et maritime aux très hautes latitudes ainsi que les équipements d’aide à la navigation mis en place pour eux rendent possible l’organisation de vols au long des côtes de l’Antarctide ou de croisières côtières comportant de courts débarquements. La beauté des paysages en été justifie, en dépit du coût de pareils déplacements, l’organisation de ces circuits. Si ces activités, qui ne conduisent encore, dans ces parages, que quelques milliers de touristes fortunés, devaient se développer, la sécurité des voyageurs et la protection des sites ne manqueraient pas d’exiger la mise en œuvre de mesures réglementaires strictes.

Des projets fort sérieux ont été avancés pour établir des lignes aériennes transpolaires australes, surtout depuis que le succès des lignes transarctiques a souligné l’intérêt des liaisons orthodromiques aux très hautes latitudes. Dès le mois d’octobre 1957, la compagnie Pan American Airways réalisait, avec un appareil de ligne, la première liaison entre Christchurch et McMurdo. Depuis lors, l’infrastructure s’est beaucoup améliorée: l’Antarctide dispose de nombreuses pistes d’atterrissage accessibles aux avions de gros tonnage, ainsi que d’un réseau de stations de radioguidage et de postes météorologiques suffisamment développé pour assurer une bonne protection des appareils en vol. Mais si l’avion assure bien, aujourd’hui, le transport des personnes qui vont séjourner en Antarctique, aucune liaison commerciale transpolaire régulière n’a pu être organisée, une telle tentative ne présentant guère d’intérêt commercial. Les populations australes sont trop peu nombreuses, et les grandes villes, génératrices de trafic, sont situées à des latitudes trop basses pour que des liaisons orthodromiques s’imposent vraiment: Santiago, Buenos Aires, Melbourne, Sydney et Le Cap se trouvent entre les 34e et 38e parallèles sud, alors que, dans l’hémisphère Nord, nombreuses sont les grandes cités implantées au-delà du 50e parallèle.

L’existence de ressources minérales exploitables reste encore hypothétique. Certes, de telles ressources existent sur les autres continents de l’hémisphère austral qui, dans un lointain passé, faisaient partie, avec l’Antarctide, du Gondwana. Mais si les roches de l’Antarctide contiennent du fer, du cuivre, du nickel, de l’uranium, des métaux précieux, du charbon, il ne s’agit, dans l’état actuel de la prospection, que de présences minéralogiques attestées dans des zones peu étendues et isolées les unes des autres, et qui n’ont aucune valeur commerciale. Il en va de même du gaz naturel et du pétrole dont on a découvert des traces lors de forages peu profonds réalisés par des géologues et non des pétroliers, aucune prospection de ces substances utiles n’ayant été entreprise. C’est que la convention de Wellington n’autorise l’exploitation minière que si la protection de l’environnement peut être assurée. Par ailleurs, le problème de l’appartenance des ressources qui pourraient être découvertes reste posé: celles-ci relèveraient-elles du découvreur, de l’un des États «possessionnés», du Tiers Monde ou de l’humanité? Le coût élevé de l’extraction ainsi que l’éloignement des centres de consommation en rendraient, d’ailleurs, l’exploitation parfaitement déficitaire. En 1991, un gel de l’exploitation minière a été décidé pour cinquante années.

Le coupole de glace qui soustrait ces réserves à l’observation pourrait servir, selon certains experts, à l’enfouissement de déchets radioactifs qui y trouveraient, selon eux, un abri plus sûr que le fond des océans. Mais le coût de transport de ces matières serait encore prohibitif et, surtout, le traité de l’Antarctique interdit formellement de telles pratiques. La glace ne pourrait-elle, au moins, servir de réserve d’eau douce pour l’humanité? Les icebergs qui se détachent, chaque année, de la banquise australe pourraient ainsi livrer, pris ensemble, quelque 400 tonnes d’eau par être humain, permettant de faire face aux deux tiers des besoins de la société. Mais comment remorquer ces icebergs, sans qu’ils ne fondent, vers les régions arides des continents?

Comme l’exploitation des ressources autres que vivantes situées en Antarctique n’a guère été envisagée que du seul point de vue des incidences qu’elle pourrait avoir sur l’environnement, l’avenir le plus certain est celui des recherches scientifiques. Les organisateurs de l’A.G.I. avaient pressenti l’exceptionnel intérêt de l’étude de l’Antarctique pour la compréhension des faits géophysiques universels. Depuis lors, le Comité scientifique pour les recherches antarctiques oriente et coordonne les efforts de recherche effectués par les dix-sept pays, dont la Chine, qui organisent des missions en Antarctique. Les observations pratiquées ont considérablement enrichi le patrimoine scientifique international, non seulement dans les domaines de la physique du globe, de la météorologie, de la glaciologie et de l’océanographie, mais aussi dans ceux de la biogéographie, de la physiologie et même de l’astronomie. En faisant disparaître la dernière «tache blanche» de la carte du monde, ces hommes de science ont non seulement contribué à améliorer la compréhension de la structure du globe et de son atmosphère, mais aussi rendu accessible un magnifique terrain d’expérience servant à la mise à l’épreuve des matériaux et des instruments les plus divers.

antarctique [ ɑ̃tarktik ] adj.
• 1338; lat. d'o. gr. antarcticus
Se dit du pôle Sud et des régions qui l'environnent. N. m. L'Antarctique : le continent antarctique.
Propre à ce continent. Faune antarctique (opposé à arctique) .

antarctique adjectif (latin antarcticus, du grec antartikos) Relatif au pôle Sud et aux régions environnantes. ● antarctique (synonymes) adjectif (latin antarcticus, du grec antartikos) Relatif au pôle Sud et aux régions environnantes.
Synonymes :
- austral
Contraires :
- arctique
- boréal

Antarctique, Glacial ou Austral (océan)
océan qui entoure le continent antarctique, au S. des océans Atlantique, Indien et Pacifique. Fosses de plus de 5 000 m.
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Antarctique ou Antarctide
un des continents; env. 14 000 000 de km². Il se localise à l'intérieur du cercle polaire austral (660 33' de latit. S.). Entouré par l'océan Antarctique, formé de montagnes et de bassins recouverts d'un inlandsis dont la glace a une épaisseur moyenne de 2 200 m mais peut dépasser 4 000 m, il culmine au mont Vinson (5 140 m). Des vents violents accentuent la rigueur du climat; la moyenne annuelle est de -50 °C. Flore et faune sont rares.
Le continent fut atteint au XVIIIe s.; en 1911, le Norvégien Amundsen parvint au pôle. En 1959, les états qui y possèdent des terres ou y ont installé des stations scientifiques (Australie, France, G.-B., Norvège, Nouvelle-Zélande, Argentine, Chili, U.R.S.S., È.-U., Afrique du Sud, Belgique, Japon) signèrent un traité destiné à promouvoir une recherche scientifique commune. Un nouveau traité regroupa une quarantaine de pays en 1988; en 1991, il a interdit pendant 50 ans l'exploitation des ressources minières, pour protéger l'environnement. V. carte, p. 1375.

⇒ANTARCTIQUE, adj.
GÉOGR. Se dit des régions de l'hémisphère austral situées entre le cercle polaire antarctique et le pôle Sud. Cercle, pôle, terre antarctique.
P. ext. Qui se rapporte à ces régions. Ours, oiseaux antarctiques; expédition antarctique :
1. L'étendue du Grand Océan, vulgairement nommé mer du Sud ou mer Pacifique, a exigé qu'on le divisât en trois bandes ou zones, dont la première contient le grand océan Austral, ou l'espace renfermé entre le cercle polaire antarctique et le tropique du Capricorne; la seconde, le grand océan Équatorial, ...
Voyage de La Pérouse, t. 1, 1797, p. 60.
2. Peut-être même trouvera-t-on qu'il est difficile d'aller plus loin dans ce golfe de misère et d'épouvante qui me fait penser au terrible canton de mer du pôle antarctique si tragiquement nommé par les explorateurs « Erebus et Terror ».
BLOY, Journal, 1898, p. 286.
3. Ceins la cuirasse, Almagro! Boucle l'épée sur ta cuisse! Est-ce qu'il s'agit de cultiver tandis qu'il y a devant toi cet Empire tout en or qui t'attend et dans la nuit antarctique ces défenses monstrueuses à escalader?
CLAUDEL, Le Soulier de satin, 1944, 3e journée, 3, p. 789.
ASTRON. Pôle antarctique ou austral. Synon. pôle Sud.
P. métaph. :
4. ... rassemblant dans sa personnalité tous les dons de l'esprit et toutes les forces de la matière, communiquant par ses besoins avec le pôle arctique et avec le pôle antarctique des choses, ...
LACORDAIRE, Conf. de Notre-Dame, 1848, p. 113.
PRONONC. :[]. Pt ROB. transcrit : (cf. aussi Harrap's 1963 qui donne les 2 possibilités de prononc.). La plupart des dict. du XIXe s. préconisent la prononc. avec [k] implosif. FÉR. 1768 et FÉL. 1851 transcrivent le mot sans [k].
ÉTYMOL. ET HIST. — 1338 antartique « opposé au pôle arctique » (Le roumant de la fleur de lis, f° 225, ms. de l'Arsenal n° 3646 d'apr. A. Piaget ds Romania, t. 62, p. 323 : Avis m'estoit, si com dormoie, Que sus le seul du monde estoie, Ou milieu du pol antartique Ou du pol con [lire c'on] dit artique); antarctique dep. Ac. 1694; 1838 hist. nat. (Ac. Compl. 1842 : Antarctique. Il se dit souvent D'animaux et de plantes qui habitent les contrées méridionales).
Empr. au lat. antarcticus (APULÉE, Mund., 1 ds TLL s.v., 127, 40) lui-même empr. au gr. « antarctique ou austral (littéralement : opposé à la région de la Grande-Ourse) » (ARISTOTE, Mund., 2, 5 ds BAILLY).
STAT. — Fréq. abs. littér. :27.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BOUILLET 1859. — DAINV. 1964. — Sc. 1962.

antarctique [ɑ̃taʀtik] adj.
ÉTYM. 1338; lat. antarcticus, grec antarktikos, de anta « opposé », et arktikos. → Arctique.
1 Se dit du pôle Sud et des régions qui l'environnent (opposé à arctique). || Cercle, pôle antarctique. || Continent antarctique. || Les régions antarctiques.N. m. || L'Antarctique : le continent antarctique.
2 Propre aux régions proches du pôle Sud. || Faune, flore antarctique. || Paysages antarctiques. || Expédition antarctique.

Encyclopédie Universelle. 2012.