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INHIBITION
INHIBITION

L’évolution du concept d’inhibition nerveuse est assez remarquable; presque dès l’origine, il fut appliqué à l’interprétation de phénomènes de complexités très différentes, relevant d’échelles d’appréhension du fonctionnement nerveux les plus diverses, du niveau le plus synthétique au plus analytique, de la psychologie à la neurologie clinique et expérimentale, de l’exploration neurologique traditionnelle jusqu’aux études, conceptuellement et techniquement diversifiées, de l’actuelle neurobiologie.

1. Neurosciences

Naissance d’un concept

Au début du XIXe siècle, les physiologistes ne voyaient l’action nerveuse qu’en termes d’excitation. C’est alors qu’un certain nombre d’observations nouvelles vinrent suggérer, puis démontrer, l’existence d’actions en sens opposé. Les plus précises furent initialement réalisées dans le domaine des effets périphériques . Ainsi Volkman (1838) et surtout les frères Weber (1845) notèrent-ils l’arrêt du cœur par stimulation du vague, et Pflüger, celui du péristaltisme intestinal par celle du nerf splanchnique, tandis que Claude Bernard signalait que la stimulation de certains nerfs périphériques pouvait susciter un relâchement du tonus vasculaire.

Une étape encore bien plus décisive devait être franchie lorsque fut découverte l’inhibition dans le système nerveux central. En 1862, Rosenthal observa l’arrêt de la respiration sous l’effet d’une stimulation de la voie afférente vagale. Et ce fut Setchenov qui, la même année, découvrit, au cours d’un stage au laboratoire de Claude Bernard, l’inhibition des réflexes spinaux de flexion de la grenouille par stimulation chimique des lobes optiques du mésencéphale.

Un autre précurseur remarquable, mais moins connu, fut Anstie. Son ouvrage (Stimulants and Narcotics ) suscita un intérêt certain, par l’évocation d’une «paralysie particulière du cerveau» sous l’effet de certaines substances (alcool ou haschisch). La notion d’inhibition gagna alors la neurologie參 clinique: Mercier et surtout Hughling Jackson décelèrent dans les hypothèses nouvelles des clefs pour comprendre certains symptômes neurologiques qui, au lieu d’être un déficit (en particulier moteur), évoquaient au contraire une désinhibition , c’est-à-dire la «libération» d’une structure qui normalement est inhibée par une autre. Après avoir lancé sa conception de l’organisation hiérarchique des centres nerveux (1869), Jackson proposa d’expliquer ainsi les automatismes qui peuvent marquer la phase finale de certains accès épileptiques par l’interruption temporaire d’une régulation inhibitrice normalement exercée par les étages supérieurs du cerveau sur les niveaux sous-jacents (1875). L’inhibition allait désormais être, pour le clinicien comme pour le physiologiste, une composante essentielle du fonctionnement du système nerveux central.

Dans ce jeu des observations, des idées et des hypothèses, un point essentiel domina, dès cette époque, à savoir que l’inhibition n’était pas une simple absence d’excitation mais bien un processus actif de suppression d’une action excitatrice: ainsi dès 1874, Brunton, consacrant une revue à la littérature (déjà) abondante sur le problème, s’appliquait à définir l’inhibition par opposition à des mécanismes d’autre nature tels que la paralysie ou la fatigue. On retiendra également de cette période (1881) le principe de Heidenhain postulant que toute action excitatrice tend à déclencher un processus inverse d’inhibition, limitateur de l’excitation (interaction dialectique souvent invoquée par la suite). On note aussi les efforts d’un des élèves russes de Heidenhain, Wedensky, qui attacha son nom à une théorie de l’inhibition fondée sur un défaut de conduction lié à une excitation préalable trop intense (1886). Assez curieusement, ce mécanisme, qui n’avait précisément rien de commun avec l’inhibition véritable (puisqu’il ne s’agissait en fait que d’une forme de dépression), est resté dans la mémoire de certains contemporains. Mais le rôle peut-être essentiel de Wedensky et de son élève Ukh’tomsky fut d’entretenir, chez leurs continuateurs russes, puis soviétiques, un intérêt soutenu pour le phénomène d’inhibition en tant que composante des mécanismes du comportement.

Puis vint la période moderne avec mise en place définitive de la théorie du neurone: toute explication des processus nerveux fondamentaux allait désormais devoir en tenir compte, et de nombreux expérimentateurs occidentaux ont, depuis cette époque, orienté leurs recherches vers les mécanismes synaptiques de l’inhibition. Mais le concept d’inhibition avait entre-temps acquis une large place dans un tout autre courant d’études, à une échelle bien différente de complexité, celui d’une psychologie expérimentale qui, après Sechenov, Wedensky et Ukh’tomsky, se proposait de comprendre les mécanismes du comportement. Analyser en somme la nature de l’inhibition allait nécessairement revenir à distinguer deux lignées de concepts et d’interprétations, souvent intriqués, parfois confondus, dans un contexte de complexité et de confusion sémantiques et épistémologiques assez étrange: l’une s’applique aux mécanismes nerveux fondamentaux, l’autre à ceux de l’intégration supérieure (apprentissage, conditionnement et processus cognitifs, associatifs et psychomoteurs).

Du neurone à l’intégration sensorimotrice

Au début du XXe siècle, alors que l’analyse électrophysiologique n’était pas encore possible, l’appel à l’inhibition fut une conséquence toute naturelle d’observations délicates et précises des réactions motrices (somatiques et parfois végétatives). Certains de ces travaux ont marqué des étapes décisives dans l’exploration neurologique, expérimentale ou clinique. La démarche, dans cette phase initiale encore limitée à l’observation globale, consistait essentiellement à détecter non point l’inhibition elle-même, mais une certaine facilitation après élimination d’une structure, phénomène désormais interprété comme une désinhibition ou une «libération» d’inhibition (release ).

Ainsi Babinski attribua en 1910 la disparition du signe des orteils chez l’homme après la première enfance à une inhibition exercée par le tractus pyramidal désormais fonctionnel, et la réapparition de ce signe après lésion du même tractus à une désinhibition; Sherrington (1920) de son côté interpréta la rigidité de décérébration – hypertonie des extenseurs consécutive à la transsection mésencéphalique du névraxe – comme l’effet d’une levée d’inhibition; de même, les syndromes d’hypertonie après élimination du cervelet observés chez le carnivore et l’oiseau furent-ils expliqués par la suppression d’une action inhibitrice normalement exercée par le cortex paléocérébelleux sur les noyaux sous-jacents vestibulaires (Bremer, 1930); enfin la réaction pseudoaffective (sham-rage ), syndrome d’hyperexcitabilité somatique et végétative observé chez l’animal après décortication, fut attribuée par P. Bard (1928) à la suppression d’un contrôle inhibiteur de l’écorce cérébrale sur les étages sous-corticaux. Cette interprétation, qui s’inscrivait dans la ligne des conceptions de Hughling Jackson, eut un impact profond sur plusieurs générations d’expérimentateurs et de théoriciens et reste vivace dans l’esprit de certains, avec un singulier schématisme; la réalité semble cependant beaucoup plus modeste car l’effet inhibiteur de l’écorce sur les niveaux profonds, si souvent invoqué à tout propos, jusques et y compris dans le domaine psychopathologique, semble en réalité se restreindre à une action du rhinencéphale (amygdalienne en particulier) sur certaines structures directement impliquées dans le comportement émotif (tel l’hypothalamus).

Ce furent ensuite Sherrington et son école qui surent exploiter au maximum les moyens, encore peu élaborés, d’exploration du comportement moteur. Mieux que quiconque ne l’avait fait avant eux, ils utilisèrent toute la finesse des réflexes spinaux des mammifères; dans les années 1920-1935, ce modèle simple permit de dresser les lois de l’intégration nerveuse , dans lesquelles l’inhibition avait un rôle aussi fondamental que l’excitation. Ces principes de l’intégration, avec ses jeux subtils des excitations et des inhibitions, sont restés parfaitement actuels.

Avec les outils modernes de l’analyse électrophysiologique, donnant accès direct au trafic d’influx dans les voies afférentes et motrices (à partir de 1940), et plus récemment même à l’activité intrinsèque de neurones isolés grâce à l’exploration intracellulaire (après 1950), on a pu accéder aux mécanismes proprement neuronaux de l’inhibition. Ce fut l’œuvre de Lloyd, puis celle de Eccles, pour ne citer que les initiateurs, et de bien d’autres ensuite, de démontrer l’existence d’une transmission inhibitrice chimique dans le système nerveux central des mammifères. Ainsi a-t-on appris qu’un de ses maillons essentiels résidait dans une hyperpolarisation de la membrane du neurone postsynaptique causée par les terminaisons inhibitrices et contrecarrant les dépolarisations excitatrices susceptibles de se développer par ailleurs sur le même neurone; ce potentiel synaptique inhibiteur fut mis en rapport avec un accroissement de la perméabilité membranaire à certaines espèces ioniques, en particulier Cl. On démontra également que cette inhibition dite postsynaptique s’effectuait toujours par l’intermédiaire d’un interneurone: aucune terminaison d’origine périphérique ne semblait pouvoir exercer directement une action hyperpolarisante, toutes ces terminaisons étant obligatoirement excitatrices. Contrairement au cas du système nerveux végétatif, l’inhibition dans le système nerveux central devenait ainsi une opération purement interne aux centres, liée à l’action d’un tel interneurone spécialisé, en général à axone court, lui-même activé par les terminaisons excitatrices. Des arguments excellents, qui ont parfaitement convaincu la communauté scientifique internationale, furent produits en faveur de l’existence de cet intermédiaire neuronal obligé.

Une étape nouvelle est maintenant franchie; elle a trait à l’identification chimique des médiateurs impliqués. Un nombre limité de substances sont pour l’instant particulièrement considérées comme médiatrices potentielles de l’action inhibitrice chez les mammifères, l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), la glycine et la taurine. On leur reconnaît des actions hyperpolarisantes, en application iontophorétique locale. Grâce, en outre, à l’arsenal des méthodes histochimiques et immuno-enzymologiques adéquates, fiables et de grande précision, dont dispose actuellement le neurobiologiste, on est parvenu à identifier et à localiser les équipements enzymatiques adéquats pour la synthèse et aussi la dégradation de ces substances, en particulier le GABA, ce qui justifie leur implication fonctionnelle. Toutefois, cette identification des médiateurs chimiques est en plein développement. Des substances du groupe des catécholamines (dopamine et noradrénaline) semblent intervenir dans certaines inhibitions centrales. Tout laisse à penser d’autre part que des composés appartenant au groupe des neuropeptides viendront sous peu se joindre à la liste des médiateurs de l’inhibition.

Enfin, il n’est pas certain que toutes les actions inhibitrices dans les centres soient du type postsynaptique .Un autre processus, dit inhibition présynaptique , fut identifié peu après que les mécanismes postsynaptiques aient été clairement décrits (1960). L’inhibition présynaptique reposait non sur une hyperpolarisation de la membrane postsynaptique, mais sur une dépolarisation prolongée des terminaisons actives et excitatrices, par les messages «inhibiteurs» (en fait dépolarisants); cette excessive dépolarisation aurait pour effet de bloquer ou de diminuer l’amplitude des potentiels d’action normalement excitateurs des neurones postsynaptiques. Ce processus, initialement observé dans la moelle, s’est très vite révélé d’une grande généralité à divers niveaux du cerveau; certaines observations (Morin et al., 1953) donnent même à ce type d’inhibition un incontestable regain d’importance, dans le contrôle et la modulation des réflexes chez l’homme.

En même temps que l’investigation neurophysiologique fine isolait ainsi les mécanismes fondamentaux de l’inhibition, elle s’efforçait également de situer ses modalités d’intervention, au même titre que les excitations, dans les diverses étapes de l’intégration centrale, de la perception sensorielle à l’organisation du mouvement.

Tout ne peut bien sûr être détaillé dans ces lignes; énumérer les sites d’action de l’inhibition reviendrait à examiner pratiquement tous les principaux systèmes sensoriels, élaborateurs ou moteurs. Toutefois, certaines classes remarquables d’inhibitions méritent d’être distinguées.

Tantôt une voie inhibe un ensemble de neurones situés en aval, dans la chaîne qui lie le versant sensoriel au versant moteur; on pourra qualifier l’inhibition de proactive. L’exemple type est celui de la classique inhibition réciproque , décrite initialement par Sherrington, et qui, dans la moelle ou le bulbe, contribue à l’organisation du mouvement, du fait qu’une voie afférente provoque tout à la fois l’excitation réflexe d’un groupe de motoneurones et l’inhibition d’un groupe antagoniste. Toute une série d’autres inhibitions, en particulier celles que nous citons ci-dessus et qui modulent ou organisent le mouvement, qu’elles émanent du cervelet ou d’autres centres profonds tels les ganglions de la base, appartiennent pour l’essentiel à la même classe de phénomènes.

Ailleurs, ce sont des canaux parallèles afférents (c’est-à-dire sensoriels) qui interagissent grâce à un système de collatérales et d’interneurones, avec pour résultat que le canal le plus actif inhibe le plus puissamment tous les autres. On conçoit sans peine que cette inhibition, habituellement qualifiée de latérale , ait pour effet d’accentuer le contraste dans la perception.

L’inhibition latérale est également présente dans l’écorce cérébrale: on sait en effet que le cortex est organisé en colonnes normales à sa surface, qui sont affectées d’une spécificité fonctionnelle (représentation de tel segment corporel, ou de telle partie du champ visuel...). Or il a été prouvé qu’une inhibition latérale s’exerce entre ces colonnes, avec pour effet d’accentuer encore cette spécificité columnaire .

D’autres inhibitions latérales s’exercent sur le versant moteur. Dans ce cas, elles s’effectuent par le jeu de collatérales axonales dites récurrentes, c’est-à-dire qui agissent en retour pour inhiber soit le neurone d’origine de ces collatérales et réaliser ainsi son «autofreinage», soit d’autres neurones de la même population et, à l’exemple des opérations sur le versant sensoriel, creuser de la sorte le contraste. On sait maintenant que certaines inhibitions récurrentes jouent un rôle essentiel dans la mécanique spinale.

Tous les aspects de l’inhibition, composante essentielle du fonctionnement nerveux, sont-ils de la sorte bien cernés? Certes non; des inconnues subsistent, qui ne sont pas négligeables. Ainsi est-on resté curieusement ignorant, jusqu’à une période récente, des mécanismes qui pourraient rendre compte de processus aussi banals que l’immobilisation dans le sommeil. Un neurophysiologiste, interrogé, désignerait bien sûr la formation réticulée du tronc cérébral, système général de régulation du niveau de vigilance, lequel serait désactivé pendant le sommeil. Mais au-delà de cette affirmation les faits précis restent rares. Certes, on sait depuis peu par quel mécanisme le tronc cérébral exerce, au cours du sommeil paradoxal, une inhibition «tonique», c’est-à-dire soutenue, sur la moelle et par là même provoque l’atonie musculaire profonde qui caractérise ce stade du sommeil (Sakai et al., 1984).

Toutefois, les problèmes posés par le sommeil débordent largement le cadre de cette seule modification du tonus. L’état hypnique, quel que soit son stade, bloque en fait toute initiative psychomotrice et (le rêve dont nous ne parlerons pas mis à part) toutes les fonctions d’intégration que l’on qualifie traditionnellement de supérieures. Jusqu’où peut-on invoquer un processus inhibiteur au sens premier, neuronal, du terme, et où commence au contraire le domaine d’opérations suppressives beaucoup plus complexes, proches de celles que nous nous proposons d’examiner ci-dessous? C’est une question fondamentale.

Conditionnements, apprentissages et processus cognitifs

Alors que l’école soviétique, avec Pavlov, s’appliquait à l’étude des réflexes conditionnés et de leurs mécanismes, cela dans les années 1930, et donnait à la notion d’inhibition comportementale toute son importance, la psychologie expérimentale occidentale – en l’espèce américaine – fit bien peu de cas, à cette époque, de ces «étranges» notions; Skinner (pour n’en citer qu’un représentant, éminent bien sûr) ne les introduisit guère que pour désigner certains aspects pathologiques du comportement (1938).

Pavlov observa dans ses expériences sur les réflexes conditionnés, alimentaires ou défensifs, que l’animal bien dressé et qui répondait par conséquent à un stimulus initialement neutre mais devenu signal positif, cessait de répondre dans toute une série de situations expérimentales spécifiques. Plus précisément, il distingua deux types d’inhibition. L’inhibition externe se développe lorsque l’animal est soumis, à peu près en même temps qu’au stimulus conditionné, à un stimulus nouveau créant une réaction d’orientation (on dirait plus simplement: «déviant son attention»).

Cette compétition entre stimulus produisant l’arrêt de la réponse attendue pouvait ne pas représenter autre chose qu’une sorte d’occlusion ou de barrage mutuel ne supposant pas un véritable processus inhibiteur. En revanche, l’autre type d’inhibition comportementale, qui fut qualifiée d’interne , constituait un phénomène beaucoup plus complexe. Diverses situations furent précisément isolées comme déterminant un tel état de non-réponse:

a ) la répétition de la stimulation conditionnante sans l’application subséquente du stimulus absolu (ou inconditionnel) qui normalement lui fait suite (situation de non-renforcement ou d’extinction);

b ) la répétition fréquente du signal négatif dans le cas d’un renforcement différentiel , c’est-à-dire lorsque l’animal a subi un dressage discriminatif, où il doit faire la différence entre un stimulus positif (S+), auquel il doit répondre, et un signal négatif (S) [différentiel] à la survenue duquel il ne devra pas répondre;

c ) l’application de stimuli intenses avant celle du stimulus positif (inhibition supramaximale).

Dans ces conditions et d’autres encore, on note le développement d’un comportement caractéristique: l’animal cesse de répondre au stimulus positif lorsqu’il est appliqué à nouveau; il adopte rapidement une attitude d’assoupissement qui peut le mener au sommeil. Pavlov vit dans cette évolution l’envahissement progressif du manteau cortical par un état d’inhibition né au niveau d’un foyer et s’étendant en sorte d’englober les foyers d’excitation, zones directement impliquées dans la réponse au (S+). Comportementalement, cette inhibition se traduirait d’abord par la non-réponse au (S+), puis par l’assoupissement et finalement le sommeil. Il eut alors l’intuition que cette cessation de réponse résultait non de la simple suppression d’une excitation mais du remplacement d’une action positive par une action inverse, négative.

Dès lors une partie importante du système explicatif pavlovien allait être fondée sur une dialectique d’interactions subtiles entre excitations et inhibitions, que cet auteur situait exclusivement dans le cortex cérébral. Corrélativement, le sommeil devenait dans ce système un état généralisé d’inhibition interne. L’hypothèse était intéressante; elle proposait un certain mécanisme du sommeil et une certaine localisation pour ce mécanisme.

Il convient de signaler ici une catégorie particulière de phénomènes qui a suscité, depuis le XVIIIe siècle, la curiosité des observateurs, puis l’intérêt de quelques rares expérimentateurs. Il s’agit d’états d’immobilisation observés chez de nombreuses espèces, et décrits sous des vocables variés tels que catalepsie, akinésie induite, immobilisation réflexe et finalement hypnose animale , cette dernière appellation étant souvent adoptée, mais rejetée aussi en raison de sa lourde connotation (c’est-à-dire du risque d’un rapprochement possible avec l’hypnose humaine). Tantôt c’est un lapin qui, retourné sur le dos et placé sur un support solide, pourra conserver cette position pendant plusieurs minutes, tantôt telle espèce développera un état de blocage moteur sous l’effet d’un stimulus visuel intense (fascination, Todtstellreflex ).

Opératoirement, ces phénomènes évoquent bien évidemment une inhibition comportementale. L’école pavlovienne (pratiquement la seule qui se soit préoccupée de leurs mécanismes) n’a pas manqué de relever cette similitude et, finalement, a proposé sa parenté avec d’autres inhibitions qu’elle analysait. Or, observée à maintes reprises, bien décrite, l’akinésie induite n’a pratiquement fait l’objet d’aucune investigation expérimentale systématique et moderne de ses mécanismes neuronaux, qui eût permis de la situer parmi les phénomènes connus, ou au contraire d’introduire à son sujet une nouvelle classe de processus suppresseurs. Devant cette absence (sans doute provisoire) de données sûres, il n’a pas été jugé sage de développer davantage ce sujet dans cette revue.

Les interprétations et les hypothèses de Pavlov eurent-elles une valeur heuristique? Il n’y a pas de réponse univoque à la question ainsi posée, car l’histoire des trente années qui suivirent a consacré – à quelques exceptions près – certaines coupures géographiques. En ex-U.R.S.S. et dans les pays dont elle a inspiré jusqu’aux orientations scientifiques, on a vu et l’on voit encore se développer une quantité impressionnante de recherches inspirées par ce système et ses dérivés. Celles-ci sont restées longtemps confinées à ce système clos tracé par Pavlov et ses successeurs, mais avec certains ajustements et certaines critiques (souvent discrètes). Rares furent à l’Est ceux qui cherchèrent à percer le contenu et à trouver le lien avec un niveau plus élémentaire d’explication en termes neurophysiologiques. L’initiative sans doute la plus difficile fut d’abandonner ce qui paraissait alors comme un véritable dogme, c’est-àdire la localisation strictement corticale des processus d’interactions entre excitations et inhibitions (et par conséquent la théorie corticale du sommeil). Cette notion localisatrice nous paraît bien sûr actuellement tout à fait surannée avec le recul du temps et ce que nous savons des interactions cortico-sous-corticales et de la multiplicité des systèmes impliqués dans la régulation de la vigilance. Déjà en 1955, Anochin avait eu conscience de cette faiblesse du système lorsqu’il eut connaissance des données alors nouvelles de Magoun et Moruzzi (1950) sur l’importance fonctionnelle de la formation réticulée du tronc cérébral sur le niveau de veille. C’est à lui que l’on doit d’avoir, non sans peine, réussi à établir un certain lien avec les courants occidentaux, en introduisant ainsi dans le système explicatif pavlovien une participation des structures profondes. D’autres auteurs, à l’Est, se tournèrent vers une analyse pavlovienne du comportement humain. L’un des plus connus sans doute fut Luria (1964-1970), à la fois héritier de l’école pavlovienne et neuropsychologue. Il s’intéressa aux effets du langage sur l’activité volontaire. À ses yeux, le fait que chez le très jeune enfant la consigne verbale puisse déclencher un programme moteur gestuel, mais ne puisse pas l’arrêter, signifiait que le pouvoir inhibiteur de la parole sur le mouvement («apprendre à ne pas effectuer tel geste sous l’effet d’un ordre») n’était acquis que plus tardivement. C’est ensuite à la rupture de ce lien inhibiteur, entre la programmation motrice et son contrôle par la consigne verbale, que Luria attribua certains déficits liés à des lésions du lobe frontal chez l’homme (et qui sont bien connus), en particulier la persévération d’un geste commandé par instruction verbale, comme aussi (mais là l’interprétation est plus subtile) l’excessive distractibilité de ces patients.

La neurophysiologie occidentale, de son côté, découvrit vers les années 1955-1960 l’enseignement de Pavlov (connu jusque-là de quelques initiés seulement), cela alors qu’elle était par ailleurs largement engagée dans une analyse aussi réductionniste que possible des mécanismes centraux. Et s’installa ainsi la regrettable confusion, déjà évoquée, entre inhibition pavlovienne et inhibition neuronale. Certains auteurs, soucieux de cerner le substrat neuronal du comportement, en furent très vite conscients. Un des précurseurs dans cette recherche d’un accord entre classes d’inhibitions (opératoirement définies) avait certainement été le Polonais J. Konorski.

Son ouvrage Conditioned Reflexes and Neuron Organization (1948) fut remarquable, en ce qu’il contribua à faire connaître les théories pavloviennes à l’Occident, et la pensée neurophysiologique de Sherrington à des expérimentateurs plus strictement préoccupés jusque-là de réflexes conditionnés. Mais il voulut surtout rechercher, à travers les travaux des uns et des autres, une sorte de synthèse qui étendrait les lois de l’inhibition sherringtonnienne aux interactions entre centres, telles que les avait imaginées Pavlov, dans l’écorce de l’animal soumis à un conditionnement, ce dernier s’étant d’ailleurs entre-temps diversifié avec, à côté du conditionnement classique, un autre dit «opérant» ou «instrumental». Certes, cet effort d’identification ou de lien porta essentiellement sur le plan conceptuel; Konorski n’alla guère plus loin dans le mécanisme que ne lui permettaient les connaissances des années cinquante.

Peut-on dire pour autant que la psychologie expérimentale ou théorique occidentale ait de son côté continué à ignorer la part des processus inhibiteurs dans l’organisation du comportement? Certes non, et l’on décèle au moins deux niveaux où l’explication fait appel à un processus inhibiteur, mais – nous voici une fois encore dans la confusion des échelles et l’équivoque – un des niveaux est comportemental et le second débouche directement sur des mécanismes neuronaux.

1. Il s’agit tout d’abord d’une sorte de redécouverte des lois pavloviennes. Sous le nom d’inhibition conditionnelle, des auteurs tels Jenkins (1965), Rescorla (1967), Hearst (1970) et d’autres ont reconnu la valeur de l’inhibition interne, la considérant comme «un des mécanismes significatifs sinon décisifs de l’apprentissage discriminatif»; il semble que l’on soit désormais conscient que la non-réponse d’un sujet à un stimulus ne peut pas s’expliquer uniquement, comme l’avait proposé Skinner, par un «affaiblissement de l’excitation». Autrement dit, il n’est probablement plus possible de faire, comme ce dernier l’avait proposé, l’économie du concept d’inhibition dans l’inventaire des facteurs mis en jeu dans l’apprentissage.

2. Un autre mécanisme que les psychophysiologistes ont voulu comprendre est celui du tri et de la sélection des messages sensoriels: comment ceux-ci acquièrent-ils ou perdent-ils le pouvoir d’orienter le comportement de l’individu? On connaît la classique évolution du comportement devant un stimulus nouveau: réaction d’orientation tout d’abord, laquelle disparaît lors de la répétition du stimulus (ce qui constitue l’habituation), puis acquisition éventuelle par le stimulus d’un pouvoir d’attirer l’attention du sujet lorsqu’il devient significatif (c’est-à-dire renforcé positivement ou négativement). Mal-aimée ou ignorée du behaviorisme traditionnel, l’attention, maintenant réhabilitée, s’impose comme une des composantes essentielles de l’activité cognitive et de la préparation motrice.

Or attention suppose sélection, donc facilitation de certains messages et inhibition d’autres. Dès lors, on se demande comment un message peut d’abord déclencher un réflexe d’orientation, puis cesser d’agir ainsi. Comment s’opère la sélection d’un stimulus parmi tant d’autres? Autant de questions que la neurophysiologie exploratoire a essayé de résoudre, sans réellement y parvenir jusqu’ici. Deux classes d’hypothèses se sont trouvées en présence, dont la philosophie est bien différente: ou bien les messages sont contrôlés dès l’entrée dans le névraxe, au premier relais (on parle de filtrage ), ou bien ils subissent un traitement différentiel dans les étages supérieurs du cerveau, au niveau des systèmes d’intégration cognitive ou sensorimotrice. Si l’hypothèse du filtrage, un moment fort en vogue et très crédible, perd actuellement du terrain, la question n’en est pas pour autant résolue.

On ne cesse pas en somme de déboucher sur le problème de l’interface entre processus neuronaux et inhibition comportementale, avec en filigrane les mécanismes de l’intégration supérieure. Pour le psychophysiologiste tourné vers les opérations nerveuses, tout converge finalement vers ces processus intégratifs et sur la façon dont ils sont inhibés, ou suspendus, qu’il s’agisse de la suppression de l’initiative psychomotrice et des formes normales de l’activité psychique pendant le sommeil, ou des variations du niveau d’attention spécifique, avec inhibition du non-intéressant, ou de l’inhibition interne que permettent de révéler certains paradigmes d’apprentissage, en particulier ceux du conditionnement.

Allait-il être possible de découvrir un ou plusieurs mécanismes neurophysiologiques, clefs de ces manifestations complexes? Certains auteurs n’ont guère hésité à situer l’inhibition dans des centres, par exemple dans ceux du sommeil, ou dans le rhinencéphale (hippocampe) pour l’inhibition interne (Kimble). Mais le mécanisme neuronal de la suspension comportementale reste à découvrir.

Il est pour l’essentiel trop tôt pour aller beaucoup plus loin, sinon qu’un ensemble de faits, non mentionné jusqu’ici, pourrait peut-être finalement contenir la clef de quelques-uns des problèmes posés. Ces données concernent non point l’activité de neurones isolés, mais celle de populations entières de cellules , c’est-à-dire les rythmes bioélectriques globaux dits spontanés, dont diverses structures, en particulier le thalamus et le cortex, peuvent être le siège: certains, parmi ces rythmes, tels le rythme alpha et les fuseaux du sommeil sont bien connus des électroencéphalographistes. Or il est frappant de constater que les trois classes de situations expérimentales citées plus haut, inattention, sommeil et inhibition interne, sont accompagnées d’épisodes d’activités rythmiques amples et régulières, localisées à certains secteurs thalamo-corticaux, ou généralisées à l’ensemble du néocortex, et qui contrastent avec l’activité, beaucoup moins ample et très irrégulière, qui marque un état élevé de vigilance (tracé dit activé). Alors que le tracé activé doit sa morphologie au fait que les décharges neuronales, apparemment aléatoires, sont en fait conditionnées par les processus intégratifs qui se déroulent à leur niveau, les rythmes amples et réguliers traduisent une synchronisation neuronale, c’est-à-dire une sorte de «mise au pas» d’un grand nombre de neurones. S’il était démontré que cette mise au pas, autrement dit ce forçage des niveaux d’excitation des neurones, n’est nullement compatible avec un déroulement normal des opérations intégratrices dont ces cellules sont en principe responsables, le lien serait peut-être amorcé entre les deux plans de l’inhibition.

Ainsi survolée, la notion d’inhibition est loin d’avoir été totalement cernée. D’autres voies de discussion auraient pu être ouvertes dans cet article, cela dans des perspectives plus nettement psychologiques et même psychopathologiques. Il a été jugé opportun de ne pas aborder ce qui eût constitué un tout autre volet de la question, d’ailleurs étranger aux compétences de l’auteur. Quoi qu’il en soit, le futur dira s’il est légitime de concevoir que toute inhibition, aussi complexe soit-elle, puisse en fin de compte être réduite à des mécanismes nerveux fondamentaux, fussent-ils plus élaborés que ceux qui ont été décrits dans ces lignes.

2. Psychanalytise

Le terme d’inhibition, traditionnellement réservé par l’usage français au vocabulaire juridique, s’est étendu au domaine de la neurologie sur l’initiative de Brown-Sequart, par transposition de l’anglais. Il est alors appelé à désigner le type de processus dont l’investigation a été amorcée en 1845 par la découverte, due aux frères Weber, du ralentissement du cœur sous l’influence d’une excitation périphérique du nerf vague, processus dont l’explication sera rapportée par Claude Bernard aux phénomènes d’interférence; ultérieurement, et par extension progressive, le terme d’inhibition visera un trait commun à des affections névrotiques très diverses: la suspension d’un processus à l’état naissant.

Un accès direct à l’ensemble du domaine est donné par les rêves dans lesquels «ne pas arriver à faire quelque chose est l’expression de la contradiction», ou encore «de l’état d’une volonté à laquelle une autre volonté résiste». À quelles conditions, cependant, cette inteprétation peut-elle s’ordonner à la clinique de l’inhibition? Un cas privilégié est proposé par la mélancolie, dont le modèle théorique a été précocement donné par Freud sous les espèces d’une «aspiration» de l’énergie psychique en direction du «trou» interne d’une zone désinvestie.

L’opposition, en fait, intéresse moins la distinction des domaines que le niveau épistémologique de l’analyse. L’expression de la négation par un sentiment d’inhibition relève des règles d’interprétation posées dans les six premiers chapitres de la Traumdeutung , le septième chapitre ayant pour objet de montrer que, si elles s’autorisent d’une conceptualisation topique et dynamique, celle-ci est vouée à s’approfondir en une conceptualisation énergétique; c’est précisément à ce niveau que s’est située, chez Freud, dès 1893, l’amorce de construction de la mélancolie et que se développera, ultérieurement, la représentation analytique de l’inhibition.

Le tournant se marquera d’abord, et conjointement, par la position centrale reconnue, dans la genèse de l’inhibition, au conflit de l’amour et de la haine, et par le rôle qui reviendra, dans leur détermination, au concept de pulsion. Si l’on envisage, en effet, l’inhibition sous le rapport d’une distribution de l’énergie psychique, la répartition des charges entre le domaine narcissique et l’objet apparaîtra comme étant caractéristique des phénomènes d’amour et de haine, et le concept de pulsion aura valeur opératoire privilégiée pour désigner la source énergétique dont leur déplacement consacre le travail. Dans cette perspective pourront être systématisés notamment les processus d’inhibition de l’hystérie d’angoisse (suspension de la mise en route agressive de la pulsion), de la névrose obsessionnelle (suspension du processus agressif par l’amour), de la mélancolie (retournement de l’agression contre soi).

Mais la représentation de l’organisation psychique appelle alors une révision. La première topique, issue de l’interprétation du rêve et de l’hystérie, s’ordonnait à l’analyse ponctuelle de la résistance et de la censure, c’est-à-dire, en termes théoriques, à la représentation d’un conflit de forces. L’élaboration de l’énergétique, en réponse au problème de la répartition des investissements entre le sujet et autrui, commandera la constitution de la seconde topique. Par ailleurs, le concept d’énergie pulsionnelle, pris en lui-même, ne permet pas de différencier les pôles de l’antagonisme, prévalant dans la sphère psychique, entre l’attraction et la répulsion: cette opposition ne saurait cependant relever du registre dynamique dans la mesure où il ne lui appartient pas de décrire une situation conflictuelle momentanée, mais un cycle de transformations, le déplacement d’une force.

L’inhibition aura donc à se situer dans ce nouveau système de référence: tel sera l’objet de l’étude intitulée Inhibition, symptôme et angoisse ; et ainsi s’explique la fonction de la surcharge énergétique, en tant qu’elle constitue le noyau de l’angoisse et que lui sont rapportés l’inhibition et le symptôme. L’angoisse se trouvant interprétée comme signal d’alarme dans l’anticipation d’une masse d’excitation non liquidable, et le symptôme comme tactique d’évitement de l’angoisse, l’inhibition apparaîtra comme un équivalent du symptôme intéressant, en premier ressort, la sphère du moi, mais, plus généralement aussi, l’effectivité du processus pulsionnel, son extinction «à l’état naissant».

Si l’on s’interroge alors sur les conditions de cette suspension, on remarquera d’abord que l’inhibition, au même titre que le symptôme, est commandée par une régression, et que cette dernière, pour autant qu’elle intéresse le surmoi, aboutit à la dissociation de ses composantes, à la libération de l’agressivité. On comprendra ainsi que l’inhibition puisse être entendue comme la marque du bloquage réciproque de l’énergie d’Éros et de la pulsion de mort. Que l’insatisfaction qui s’attache à la jouissance autoérotique ait à cet égard valeur de paradigme, ainsi que l’indiquent des notes posthumes de Freud, paraît confirmer cette direction d’analyse, en ce sens que l’anticipation d’une déréliction pulsionnelle fixe en l’occurrence le prototype d’une situation de surcharge, à laquelle la suspension du processus peut seule tenir lieu de palliatif.

3. Psychopathologie

La théorie de l’inhibition, issue de la neurophysiologie et reprise dans le domaine de la psychologie, n’a pas manqué d’imprimer sa marque dans le champ de la pathologie. Le modèle de Pavlov a été appliqué dans l’approche béhavioriste des troubles du comportement. Toutefois, si la théorie du conditionnement a permis de mieux comprendre le développement et la permanence de certaines conduites pathologiques, elle n’a jamais permis de construire un modèle explicatif d’ensemble de la pathologie mentale. En revanche, la théorie de Jackson a inspiré de manière sensible d’importants courants de la psychopathologie, en particulier à la suite des travaux de Pierre Janet. Dans le modèle organo-dynamique proposé par le psychiatre français Henri Ey, construction théorique que l’on peut tenir pour la plus achevée de celles qui ont visé à expliquer l’ensemble des troubles mentaux, le point de vue hiérarchique de Jackson a été utilisé pour rendre compte du fait que les déstructurations du système nerveux entraînent à la fois des effets négatifs liés à cette déstructuration et des effets positifs de libération ou de désinhibition pathologique. L’inhibition apparaît donc, dans ce modèle, comme un processus normal dont la levée explique une partie des troubles.

Toutefois, c’est sans aucune référence théorique précise que le terme a été progressivement utilisé pour définir des entités cliniques caractérisées par une insuffisance fonctionnelle. Pour la plupart d’entre elles, le terme d’«inhibition» semble en fait avoir correspondu plus à la notion d’un déficit ou d’une désorganisation. On parle d’inhibition intellectuelle pour décrire des difficultés à tirer parti des capacités intellectuelles naturelles en raison de mobiles affectifs. On parle de même d’inhibition sexuelle, sociale, etc. Dans le domaine des névroses, on décrit chez le psychasthénique une inhibition de la volonté (aboulie), de l’attention (aprosexie), de l’action ou de l’émotivité. On a également utilisé le terme d’inhibition dans le champ de la dépression pour rendre compte du ralentissement qui affecte tous les processus moteurs, intellectuels et instinctuels et qui s’exprime par les sentiments de fatigue, d’impuissance, de perte de sensibilité affective (anhédonie), réalisant dans les formes extrêmes le tableau clinique de la stupeur mélancolique.

L’inhibition schizophrénique se manifeste dans les expressions dites «déficitaires» de la maladie (baisse globale des capacités intellectuelles, de la réactivité émotionnelle et de l’initiation psychique et motrice). Toutefois, ces phénomènes sont loin de correspondre à une forme fixe de la maladie. Il s’agit plutôt d’une modalité clinique qui se modifie au cours de l’évolution, laissant la place à une forme productive (avec délire et hallucination) qui s’associe plus ou moins à une désorganisation du cours de la pensée. C’est d’ailleurs cette désorganisation et la dissociation de la personnalité qui l’accompagne que l’on incrimine habituellement pour expliquer le mécanisme du déficit.

Le terme a pris ainsi un sens élargi, sans doute de manière abusive, dans la mesure où il ne se réfère pas à un mécanisme précis mais au simple constat d’une incapacité de fonction. Il n’est pas certain que cette incapacité résulte nécessairement d’un empêchement dû à l’intervention d’une fonction de contrôle qui exercerait en excès une activité véritablement inhibitrice.

La psychanalyse, à partir de l’ouvrage de Freud Inhibition, symptôme et angoisse (1926), a renouvelé la réflexion psychopathologique sur ce mécanisme. Dans la mesure où la personnalité est conçue comme un ensemble de fonctions partielles en interaction, l’inhibition peut être considérée comme un effet possible d’un déséquilibre ou d’une conflictualité entre ces différentes instances. À noter toutefois que Freud distingue inhibition partielle et globale. La théorie qu’il propose s’applique aux inhibitions partielles, c’est-à-dire à celles qui portent sur certaines fonctions isolées, voire certaines attitudes précises. Dans ce cadre, on rangera les inhibitions intellectuelles, sociales et sexuelles, celles donc qui reflètent un conflit entre des désirs exprimés à travers cette fonction et une instance interdictrice. L’inhibition peut affecter une activité très limitée, comme la clinique des phobies et des obsessions en donne l’exemple. L’inhibition serait donc une «limitation fonctionnelle du moi» qui peut avoir des origines très différentes. La perspective de Freud est liée à la théorie de la sexualité infantile. La fonction qu’un organe remplit au service du moi serait atteinte quand sa signification sexuelle prend une importance exagérée. Le moi renonce alors à une fonction afin d’éviter un conflit avec le ça. Toutefois, l’inhibition n’est pas nécessairement liée à un conflit de nature sexuelle. Dans d’autres cas, le renoncement à l’exercice d’une fonction est au service d’un désir d’autopunition, le moi n’ayant pas le droit de réaliser des actions qui lui apporteraient profit et succès pour ne pas entrer en conflit avec le surmoi.

Par la suite, les psychanalystes ont mis l’accent sur la grande diversité des mobiles conduisant à des inhibitions partielles, tout en continuant de les rattacher à des conflits intrapsychiques.

Les inhibitions globales, quant à elles, tiendraient à des facteurs énergétiques, et non plus dynamiques comme les précédentes. Le meilleur exemple en est celui des états dépressifs qui résulteraient d’un épuisement des ressources en raison des difficultés particulières des tâches auxquelles le moi serait soumis (deuil, autoagressivité, etc.).

Nous pouvons conserver, dans l’état actuel des connaissances, la distinction entre inhibitions sectorielles et généralisées. Les premières résultent d’une interaction entre des systèmes de contrôle et des systèmes d’exécution, que l’on retienne les explications de nature psychodynamique proposées par la psychanalyse ou que l’on se réfère à des mécanismes de conditionnement, qui ne sont d’ailleurs nullement en opposition mais qui tiennent à des niveaux d’observation différents.

La notion d’une inhibition généralisée demeure plus discutable. Dans les états dépressifs en particulier, le ralentissement global de l’activité ne semble guère explicable par un tel mécanisme. On tend actuellement à retenir deux hypothèses. L’une, de nature éthologique, considère ce phénomène comme une réponse de retrait dans une situation de stress incontrôlable; c’est en particulier l’hypothèse avancée dans la théorie du «désespoir appris» de Seligmann. L’autre, de nature cognitive, met l’accent sur la notion d’«insuffisance» de ressources comme le proposait d’ailleurs Freud.

Quant à l’apragmatisme, à la perte de l’initiative motrice observée dans les états schizophréniques, on tend à les imputer à des désorganisations cognitives complexes (troubles du contrôle ou de la représentation de l’action) sans que l’on puisse parler véritablement d’un mécanisme d’inhibition.

Les levées d’inhibition affectent en général l’ensemble des activités. On les observe dans les états maniaques, qui constituent l’envers du ralentissement dépressif. On les retrouve également dans des états de démence, et alors elles semblent en rapport avec un dysfonctionnement des structures frontale ou limbique. Il faut savoir que nous disposons actuellement de plus de données dans le domaine de la neuropsychologie pour les mécanismes de désinhibition que d’inhibition.

Il en est de même dans le domaine de la neuropharmacologie. Certains travaux ont montré les propriétés désinhibitrices des tranquillisants. L’angoisse constituerait un état d’inhibition généralisée, différent de l’état dépressif en ce qu’il s’accompagne d’un haut état de vigilance et d’une activation émotionnelle. Les tranquillisants facilitent le passage à l’acte au même titre que l’alcool, ce qui expliqueraient peut-être leur usage toxicomaniaque.

inhibition [ inibisjɔ̃ ] n. f.
• v. 1300; lat. inhibitio
1Vx, dr. Action d'inhiber. 1. défense, prohibition.
2(v. 1870) Physiol. Action nerveuse ou hormonale empêchant ou modérant le fonctionnement d'un organe; diminution d'activité qui en résulte. Mort par inhibition. Psychol. ou littér. Action d'un fait psychique qui empêche d'autres faits de se produire ou d'arriver à la conscience, état d'impuissance, de paralysie qui en résulte. Inhibition émotive, intellectuelle. blocage. Inhibition sexuelle. Il faut vaincre vos inhibitions. Levée des inhibitions ( désinhiber) .
Chim. Ralentissement ou arrêt d'une réaction sous l'effet d'un inhibiteur (2o).
⊗ CONTR. Excitation, impulsion.

inhibition nom féminin (latin médiéval inhibitio, -onis) Absence ou diminution d'un comportement qui, dans une autre situation semblable, avait été présent ou plus fort. Processus interne qui est supposé empêcher ou freiner l'apparition d'une réponse et expliquer ce comportement : La timidité provoque chez lui une inhibition de la parole. Phénomène par lequel des substances sont capables, même à très faible concentration, de ralentir ou d'arrêter certaines réactions chimiques (oxydation, polymérisation, dégradation, etc.). Diminution de l'activité d'une cellule ou d'un ensemble de cellules nerveuses sous l'effet de la modification d'autres cellules nerveuses.Suspension d'un acte ou d'une fonction par une force contraire.

inhibition
n. f.
d1./d PHYSIOL Suspension de l'activité d'un organe, d'un tissu ou d'une cellule.
d2./d PSYCHO Blocage des fonctions intellectuelles ou de certains actes ou conduites, dû le plus souvent à un interdit affectif. V. censure.
d3./d CHIM Diminution de la vitesse d'une réaction.

⇒INHIBITION, subst. fém.
A. — DR., vieilli. Défense, prohibition (Ac. 1798-1935) :
1. ... le shériff (...) lut ceci : « (...) Ce jour d'huy, fuyant l'Angleterre (...) nous avons, par timidité et crainte, à cause des inhibitions et fulminations pénales édictées en parlement, abandonné (...) ledit enfant Gwinplaine... »
HUGO, Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 7.
Rem. Noté par Ac. 1935 comme ,,plus usité au pluriel qu'au singulier``.
B. — PHYSIOL. Diminution ou arrêt du fonctionnement d'un organe ou de certaines fonctions sous l'effet d'une action nerveuse ou hormonale. Inhibition corticale, fonctionnelle; mort par inhibition. De cet ensemble, il [l'organe] reçoit tout à la fois des stimulations et des inhibitions (J. ROSTAND, La vie et ses probl., 1939, p. 66) :
2. Nous ne savons pas comment les événements qui se passent dans les cellules pyramidales sont influencés par des événements antérieurs ou des événements futurs, comment des excitations y sont changées en inhibitions, et vice versa.
CARREL, L'Homme, 1935, p. 112.
C. — PSYCHOL. Arrêt, blocage d'un processus psychologique faisant obstacle à la prise de conscience, à l'expression, à la manifestation, au développement normal de certains phénomènes psychiques. Inhibition émotive, intellectuelle, morale, psychique :
3. La désadaptation sexuelle se traduit généralement en introversion; un goût dépravé des idées pures et des utopies fumeuses est un signe assez fréquent d'impuissance, au moins d'inhibition sexuelle.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 605.
P. ext. et littér. Ralentissement de l'action, état d'impuissance, de paralysie. Inhibition des facultés, des sentiments; pouvoir d'inhibition. C'est seulement une vague de paresse (...) qui entraîne mon actuelle inhibition en ce qui concerne le travail (DU BOS, Journal, 1926, p. 36) :
4. ... de lui-même par une sorte d'inhibition devant la douleur, mon esprit s'arrêtait entièrement de penser aux vers, aux romans, à un avenir poétique sur lequel mon manque de talent m'interdisait de compter.
PROUST, Swann, 1913, p. 178.
D. — TECHNOLOGIE
1. Dans le domaine de la chim. Réduction de la vitesse d'une réaction chimique, arrêt de cette dernière par l'action de certaines substances. On a donné à ce phénomène, dans le cas de l'eau, le nom d'inhibition, et dans le cas d'autres corps le nom d'« adsorption » (J. Chim. Phys., 1908, p. 222)
2. Dans les domaines techn. ou industr. (industrie pétrolière). Opération qui consiste à incorporer un inhibiteur à une substance pour empêcher une réaction de se produire. (Ds ROB. Suppl. 1970, Lar. Lang. fr.).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Fin XIIIe s. inibicion « interdiction » (Grandes chron. de France, Ph. le Bel, éd. J. Viard, t. 8, p. 128); fin XIVe s. inhibition (FROISSARD, Chron., éd. S. Luce, livre I, chap. 72, t. 4, p. 100, § 330, l. 24). II. Av. 1890 physiol. (BROWN-SÉQUARD ds Lar. 19e Suppl.); 1908 chim. (J. Chim. Phys., p. 222). I empr. au b. lat. inhibitio, -onis « défense », class. « action de ramer en sens contraire », dér. du supin inhibitum de inhibere (v. inhiber), sur lequel est formé II, à l'aide du suff. -ion. Fréq. abs. littér. : 131. Bbg. JOURJON (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1917-18, t. 30, p. 140.

inhibition [inibisjɔ̃] n. f.
ÉTYM. V. 1300; lat. médiéval inhibitio, de inhibitum, supin du lat. class. inhibere. → Inhiber.
1 Dr. Vx. Action d'inhiber. Défense, opposition, prohibition.
2 (V. 1870, Brown-Séquard). Physiol. Action nerveuse empêchant ou modérant le fonctionnement d'un organe; diminution d'activité qui en résulte. (Opposé à excitation, facilitation). || Inhibition présynaptique.
1 Il y a inhibition, toutes les fois que se produit dans l'organisme animal, d'une manière purement dynamique, une disparition immédiate ou presque immédiate, temporaire ou persistante d'une fonction, d'une propriété ou d'une activité dans les tissus nerveux ou contractiles, sous l'influence de l'irritation d'une partie du système nerveux à distance de l'organe ou du tissu où survient cette disparition.
Brown-Séquard, in P. Larousse, 2e Suppl. (1890), art. Inhibition.
Psychol. ou littér. Action d'un fait psychique qui empêche d'autres faits de se produire ou d'arriver à la conscience. || Inhibition volontaire (→ Impulsif, cit. 2).Psychiatrie. « Réduction globale de toutes les forces qui orientent le champ de la conscience » (H. Ey et al.). || Syndrome d'inhibition, dans la mélancolie. || Réaction d'inhibition, dans les états dépressifs. || Inhibition de la pensée; des activités physiques ( Asthénie).Inhibition intellectuelle; de la lecture, de l'écriture; inhibition à apprendre.Par ext. État d'impuissance, de paralysie. || L'inhibition de qqn par… || Inhibition sexuelle (→ Frigidité, cit. 4; impuissance, cit. 13). || Une inhibition de toutes mes facultés (→ Paralysie, cit. 3).
2 L'autre jour, devant Darius Milhaud, pareille inhibition lorsque je voulus lui indiquer le passage du Scherzo de Chopin auquel mes hôtes faisaient allusion.
Gide, Journal, 23 janv. 1917.
3 (…) le prodigieux exemple d'inhibition amoureuse par fou rire, qui empêcha le pauvre Rousseau d'être heureux, un soir que, dans l'ombre d'un bosquet d'Eaubonne, il tenait presque à sa merci la piquante madame d'Houdetot.
Émile Henriot, Portraits de femmes, p. 184.
4 (…) l'écroulement de tout le système de doctrines et d'organisation, auquel nos chefs (militaires) se sont attachés, les prive de leur ressort. Une sorte d'inhibition morale les fait, soudain, douter de tout et, en particulier, d'eux-mêmes.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre, t. I, p. 35.
3 (1907, in Rev. gén. des sc., no 19, p. 810). Sc. Réduction d'une vitesse de réaction chimique par l'action d'un inhibiteur (syn. : catalyse négative).Incorporation d'un inhibiteur à (un produit pétrolier); installation où se fait cette opération.
CONTR. Dynamogénie, excitation, impulsion.

Encyclopédie Universelle. 2012.