IMITATION
Ouvert par la critique platonicienne de la mimesis (République , Liv. III, 393-398 et X, 595-608), le débat sur l’imitation a constamment été enrichi d’exemples destinés à comparer et à opposer les esprits créateurs, vraiment originaux, d’un côté, aux copistes et plagiaires, de l’autre. Les distinctions introduites par d’Alembert dans sa définition de l’imitation (Œuvres posthumes , t. II) suggèrent indirectement la diversité des domaines où la polémique moderne, liée à la question de l’utilisation des modèles, s’est poursuivie: «on imite un ouvrage, on copie un tableau, on contrefait une personne.» Elle n’a pas été complètement éteinte – en raison des enjeux théoriques associés à l’évolutionnisme, dans le cadre duquel le problème de l’imitation a été pensé au XIXe siècle – par les recherches en psychologie de l’enfant et en psychologie animale où ce thème est aujourd’hui expérimentalement abordé.
1. Modèles culturels et modèles sociaux
C’est, sans doute, à la Renaissance que la question de l’imitation a suscité le plus d’interrogations passionnées. Elle fut, selon E. Garin, «le problème le plus aigu de cette culture qui, tout en affirmant orgueilleusement son originalité et sa nouveauté, se rangeait, d’autre part, sous le signe d’un retour au passé». La nouvelle méthode d’éducation voulait, en effet, que tout médecin ait lu Hippocrate et Galien, ou qu’un orateur soit imprégné de Cicéron. Mais parallèlement elle dénonçait le pédant, le singe, le fantoche cicéronien.
On sait, en fait, comment l’alternative – suivre sa nature sans rien emprunter ailleurs, ou bien chercher à se conformer à un modèle extérieur –, exposée par Bartolomeo Ricci dans son De imitatione (1545), fut dépassée par Montaigne avec le thème du «remâchage» et une conception neuve de la fréquentation des Anciens. Déjà chez Pétrarque on retrouve, comme bientôt chez F. Bacon, l’image empruntée à Sénèque du travail des abeilles; et pour Bernardin de Sienne, dont le sermon du carême de 1425 – sur l’étude – est à cet égard tout à fait explicite, comme pour l’helléniste et latiniste Pietro Bembo passionné par les langues vernaculaires, ou encore Ange Politien, qui écrit: «Je ne suis pas Cicéron et c’est précisément de lui que j’ai appris à être moi-même», il ne fait pas de doute que, d’une part, comprendre les Anciens, c’est nous comprendre nous-mêmes et que, d’autre part, le prestige reconnu au modèle, loin d’inciter à simplement le copier, doit provoquer l’apparition d’une œuvre nouvelle. Tous ont le sentiment d’imiter, d’avancer dans des voies antérieurement tracées; ils savent que les Muses sont filles de Mnémosyne. Mais ils entendent réaliser une synthèse en associant, comme le prescrit Machiavel, «à une longue expérience des choses modernes une permanente leçon des anciennes».
La rupture est éclatante avec la scolastique. La répétition de ce qui est codifié, à laquelle on a pu identifier ce système de pensée, est caractéristique des recueils d’exempla . Histoire édifiante ordonnée à des fins didactiques, preuve apportée à l’appui d’un enseignement religieux, l’exemplum médiéval est lié à la prédication et à la conversion; il est indissociable d’une rhétorique de la persuasion. L’exemplum antique a, au contraire, une dimension héroïque; il est, centré sur un personnage prestigieux que l’on donne en exemple, bien moins un témoignage d’authenticité qu’un appel à un temps fondateur. C’est précisément la relation que les Grecs avaient voulu nouer avec un passé héroïque que les hommes de la Renaissance ont voulu restaurer et revivre. Un nouveau rapport aux textes, aux exemples, à l’histoire s’est ainsi trouvé établi au cours de ce débat sur la valeur, le sens et l’utilisation des modèles antiques. Il traduit bien l’approfondissement de la conscience historique et critique d’une époque largement mobilisée contre le dogmatisme médiéval.
À l’âge classique, cependant, les arguments qui avaient servi à ressusciter l’Antiquité devaient, non sans paradoxe, être retournés par les Modernes contre les Anciens au fil d’une querelle que la culture italienne avait déjà vidée. Une double faillite se produisit alors – celle de l’histoire et celle des modèles – qui allait souligner les aspects sociaux d’un problème dont on avait, jusque-là, essentiellement examiné la signification culturelle. L’imitation des Anciens n’engendrait-elle pas que des copies serviles? Le classicisme n’était-il pas en passe de devenir un système de contraintes? Une question décisive était posée: l’histoire, qu’elle soit sainte ou profane, est-elle bien sûre? Il faut tout cribler si l’on veut éviter de donner au mensonge la même autorité qu’à la vérité. Mais quand la tâche sera-t-elle achevée? Ainsi que le note Hazard, «le sentiment même de l’historicité tendit à s’abolir».
Crise de l’histoire, désagrégation des modèles: qu’ils aient les traits du courtisan italien (Il Cortigiano) de B. Castiglione, ceux de l’honnête homme, dessinés notamment par le chevalier de Méré et N. Faret, ou qu’ils soient d’origine espagnole comme le héros mis en scène par B. Gracian, ces derniers ne résistent ni aux attaques de la raison – devenue une puissance critique qui dénonce ce qu’il y a de mécanique dans l’imitation de ces figures imposées –, ni à une évolution qui ruine progressivement le principe aristocratique. Car voici qu’apparaît, sobrement vêtu et sans goût pour l’ostentation, le gentleman anglais célébré par le Tatler de R. Steele, puis par le Spectator de Steele et J. Addison.
L’Église demeure, certes, le garant d’un ordre social strictement structuré par l’idée de hiérarchie. Les savantes compositions d’un Barthélemy de Chasseneux en disent toute l’emprise et renvoient à la Hiérarchie céleste de Denys l’Aréopagyte. Sous la «bigarrure des voiles sacrés» opère le Principe initiateur, et l’élévation de l’homme se poursuit par imitation ( 猪晴猪兀靖晴﨟) et assimilation ( 見﨏礼猪礼晴諸靖﨎晴﨟 (Hier .cel . 1,2-3). Des Pères de l’Église aux mystiques des «châteaux de l’âme», le souverain Bien consiste à devenir aussi semblable à Dieu que possible en imitant le Christ. «Soyez les imitateurs de Jésus comme lui l’est de son père», recommande saint Ignace d’Antioche (Phil . 7,2); et, pour saint Augustin, chez qui l’approche de Dieu est assimilation et jubilation, dissemblance et distance se confondent. Aussi bien saint Jean de la Croix affirmera-t-il «qu’on ne peut faire de progrès dans la vertu qu’en imitant le Christ» (Avis et maximes de l’imitation de J.-C. ).
Cette exaltation de l’imitation dans le domaine religieux, particulièrement sensible dans la littérature homilétique de la Contre-Réforme, s’accompagne cependant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’une critique des modèles sociaux et des copies qu’ils inspirent. Il suffit de relire les sermons de Massillon sur Les Exemples des grands ,de Fléchier Sur l’envie ou de Bourdaloue Sur le scandale , pour prendre la mesure des condamnations prononcées par l’Église de la fausse gloire que l’on tire de l’imitation. Des grands, les prédicateurs attendent qu’ils méditent sur les effets de l’ostentation. Leur rang ne les propose-t-il pas pour modèles? «Leurs mœurs forment bientôt les mœurs publiques.» Leurs exemples sont contagieux et ne meurent point avec eux. Le Play expliquera ainsi (L’Organisation du travail , 1870 chap. I, paragr. 17 et III, paragr. 26) l’immoralité de la bourgeoisie au XVIIIe siècle, puis la dépravation des classes populaires au XIXe siècle par la propagation des «mauvais germes» accumulés dans l’élite prépondérante, en leur assignant pour commune origine la vie désordonnée du Grand Roi.
2. De l’imitation idéale
Au cours du siècle qui s’ouvre sur ces avertissements, la totale artificialité des conduites sociales sera plus d’une fois dénoncée, et avec elle les préjugés et les règles qui pervertissent l’individu. Ainsi, le goût assujettit les mœurs et sophistique l’art. L’esthétique des Lumières au sein de laquelle le problème de l’imitation idéale s’est trouvé posé n’est, en fait, pas séparable d’une découverte émotionnelle de la nature qui devient un modèle universel, celui que, pour Rousseau, l’on doit d’abord imiter. Émile a-t-il à se conformer aux œuvres que d’autres ont réalisées? Non. Il lui faut simplement apprendre à copier la nature.
D’une querelle à l’autre, on passe des belles-lettres aux arts plastiques. À Winckelmann, qui soutient, dans ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la peinture (1755), que le seul moyen d’accéder au beau universel est l’imitation des Anciens (die Nachahmung der Alten ), Diderot répond (Salon de 1765 ) qu’il faut, comme Chardin, étudier la nature vivante. Pour le premier, ce que les Grecs ont accompli à partir de la nature qui fut leur modèle, il appartient aux Modernes de l’effectuer au moyen des modèles que leur fournissent précisément les chefs-d’œuvre de la Grèce antique. Selon le second, dont «l’esthétique sans paradoxe» a été analysée par Y. Belaval, l’imitation-copie reproduit les apparences du modèle, tandis que l’imitation idéale les dépasse; car imiter, c’est dévoiler, révéler un modèle idéal. Reconstruit à partir de la nature, ce modèle s’apparente à un schéma dynamique «qui contient moins les images elles-mêmes que ce qu’il faut faire pour les reconstituer». La nature que l’œuvre doit imiter pour émouvoir n’est donc pas donnée; elle est toujours à découvrir; et l’artiste qui rompt avec les académies, l’enseignement traditionnel, le schéma statique est appelé à choisir la nature la plus forte. En associant, comme Diderot le recommande, «la Vérité, la Nature, les Anciens», il aura raison des obstacles qui se dressent sur le chemin de l’imitation idéale.
Le néo-platonisme, qui, dans les beaux-arts, a largement prévalu du milieu du XVIe siècle au milieu du XIXe siècle, doit être sommairement profilé ici. La conception que se forme l’auteur des Gedanken ... de l’œuvre d’art – idéalisation de l’objet à imiter, grâce à laquelle cet objet particulier exprime quelque chose de plus général que lui-même, de supérieur, une image-type – est cohérente avec cette doctrine qui attribue à l’artiste le don de percevoir la forme essentielle à travers la gangue matérielle, et qui lui assigne pour tâche de rapprocher la forme de l’idée par l’étude des rapports géométriques et celle des Anciens. Chez Diderot, la mimésis est liée à une expérimentation incessante: l’imitation de la nature suppose une séparation préalable de ses éléments, qui sont ensuite recomposés. On reconnaît ici la démarche analytique caractéristique de la philosophie des Lumières.
On ne vise pas, en tout cas, à tromper les sens en produisant une illusion d’optique. Une exactitude exagérée, un «extrême fini» dans l’exécution sont jugés par Winckelmann, dans son Histoire de l’art de l’Antiquité , comme un défaut de science. À ce stade, l’esprit d’imitation rétrécit le génie. La casuistique de l’imitation développée par la peinture du XVIIe siècle, et dont l’effet est de nous faire prendre un festin de couleurs pour une table servie, laisse voir ses limites. Un passage des Parallèles des Anciens et des Modernes de Perrault («Cent fois des cuisiniers ont mis la main sur des perdrix [...] naïvement représentées pour les mettre à la broche; qu’en est-il arrivé? On a ri, et le tableau est resté à la cuisine») illustre parfaitement le jugement porté par Hegel sur ces redoublements superflus – les portraits ressemblants jusqu’à la nausée – et l’exploitation de l’ambiguïté visuelle: «Ce qui rend, écrit-il dans le Cours d’esthétique , ces représentations imparfaites, c’est le manque de spiritualité». L’imitation satisfait le souvenir; il faut satisfaire l’âme en représentant d’une manière sensible les contenus spirituels. Aussi bien la peinture doit-elle être «l’expression visible de la subjectivité».
C’est aussi une critique du trompe-l’œil que l’on trouve au début de l’ouvrage de Quatremère de Quincy, De l’imitation , publié en 1823. La nature, les buts, les moyens de l’imitation dans les beaux arts y sont successivement étudiés, à partir d’une distinction fondamentale entre la ressemblance par image et la similitude par identité. Si l’âme ne jouit de rien dans le trompe-l’œil, comme dans les pseudo-ressemblances (qui sont,en fait, des répétitions) rencontrées dans la nature, c’est que les termes de la comparaison – ce qui est et le manque de réalité – lui font défaut. Or «le principe du plaisir est dans le rapprochement entre le modèle et son image». En cumulant les moyens de l’imitation ou en substituant la réalité à l’apparence, «on passe du charme de l’imitation à la fraude de la contrefaçon»; d’un côté, on dissimule un déficit de ressemblance, de l’autre, on refuse de reconnaître dans chaque art quelque chose de fictif quand à la vérité et quelque chose d’incomplet quant à la ressemblance. Alors est brisé le ressort du plaisir de l’imitation, qui est «de produire l’impression du vrai avec les éléments du faux, de donner le privilège de la vie à ce qui n’est qu’une ombre, et du néant de la fiction faire sortir le miracle de l’existence». Ce plaisir est donc procuré à l’esprit en raison inverse de la distance qui sépare la réalité du modèle effectif et les moyens imitatifs que l’art emploie pour produire son image.
Il est remarquable que, dans le préambule de ce livre, Quatremère désespère d’avoir jamais un traité complet sur cette faculté d’imiter: on pourrait, en effet, «expliquer presque tout homme naturel et social par l’imitation». Tout ce qu’il a observé, conclut-til, se rapporte à l’«l’instinct imitatif». À propos du comédien et du don d’imitation qu’on lui prête, Diderot ne parlait-il pas aussi d’«instinct»? Un nouvel objet d’investigation scientifique s’esquisse ainsi; le concept moderne prend forme dont l’extension se marque, par anticipation, dans la Philosophical Enquiry (1757) de Burke (traduite en français en 1803 sous le titre de Recherche philosophique, sur l’origine de nos idées du sublime et du beau ). À côté de l’ambition et de la sympathie, «qui nous fait prendre intérêt à tout ce que les hommes sentent», l’imitation, qui «nous porte à copier tout ce qu’ils font», y reçoit une place importante. Par elle, «se forment nos mœurs, nos opinions et toute notre vie. Elle est un des plus forts liens de la société». À la fin du siècle suivant, Tarde formulera les lois sociologiques qui régissent ces phénomènes imitatifs et les premiers «psychologues» s’interrogeront sur l’existence d’un instinct d’imitation ainsi que sur les modalités de la «faculté imitative».
3. Le mécanisme psychologique
Si l’article «Imitation» du Grand Dictionnaire de Pierre Larousse déroule des considérations d’une parfaite trivialité, il n’en va pas de même dans celui de la Grande Encyclopédie de Berthelot. Il est vrai que le premier paraît sensiblement avant la publication des travaux de Baldwin et des Lois de l’imitation (1890), dont l’auteur a précisément signé le second, que l’on s’étonne de ne pas voir mentionné dans les recensions savantes auxquelles l’œuvre de Tarde a donné lieu. Ce dernier y traite conjointement des aspects psychologiques et sociologiques du thème. Dans l’imitation, qu’il distingue du phénomène de mimétisme, il voit «le fait social élémentaire et caractéristique». Toutes les analogies singulières qu’il énumère s’expliquent essentiellement par la contagion d’exemples émanés, dans le champ particulier où elles s’observent, d’un même modèle. Directement ou indirectement, donc, toute similitude naît d’une répétition. Ce mécanisme psychologique, impliquant «perception et mémoire, désir et finalité», est destiné à assurer la perpétuité d’utiles innovations individuelles, d’ordre vital ou social; il a aussi pour fonction d’épargner «des frais d’invention personnelle». Ainsi, la vie sociale se passe «élémentairement» à imiter ou à faire imiter. D’où le lien instauré entre sociabilité et imitativité; loi de l’histoire, l’alternance de l’imitation-mode et de l’imitation coutume [cf. TARDE (G.)] entraîne l’élargissement progressif du domaine social.
L’imitation serait-elle un instinct social? N’est-ce pas avec une assurance quelque peu prématurée que Tarde écrit que, de toutes les formes de répétition, «l’imitation est la seule qui nous soit connue intimement en son mécanisme mental»? Rendant compte des Lois ..., Tönnies (Philos. Monatshefte , 1893) insistait, non sans raison, sur la nécessité d’une définition plus précise. Elle fut donnée par J. M. Baldwin dans son étude de 1895, Le Développement mental chez l’enfant et dans la race . L’imitation est l’expression d’un processus fondamental, la réaction sensori-motrice suivant laquelle le mouvement provoqué par une excitation de l’organisme a pour résultat de déterminer une excitation analogue à la première, et qui engendre à son tour un mouvement semblable à celui qui a été initialement déclenché.
L’analyse de cette réaction circulaire permet à Baldwin de fixer les limites du concept. Sur le plan organique, les décharges tendent à assurer l’action des stimuli favorables, à écarter les excitations nuisibles, et engendrent l’imitation consciente. S’agissant de l’évolution psychologique, les faits d’imitation habituellement cités, qui intéressent la mémoire, l’imagination, l’origine de la pensée et de l’émotion, sont regroupés méthodiquement et éclairent la découverte par l’enfant de sa propre identité ainsi que de la subjectivité d’autrui. Quant à l’imitation plastique qui va des adaptations conscientes aux automatismes, elle englobe «tous les phénomènes de contagion, de mode, d’entraînement populaire que Tarde, Sighele, Le Bon ont si bien décrits sous les noms d’imitation de l’expression émotionnelle, d’influence morale, de sympathie sociale, de rapport personnel».
Baldwin est revenu, dans un petit ouvrage intitulé Psychologie et sociologie (1910), sur la formation de la notion de soi et la constitution du lien social, le processus de socialisation, le jeu et l’imitation. Il y envisage le passage de l’organique au plastique et celui du groupement spontané au groupement social, sans jamais faire référence à «l’instinct d’imitation». Il en va tout autrement chez Wundt, James et Spencer, qui font de la tendance à l’imitation un phénomène de transmission héréditaire, c’est-à-dire un instinct; «l’instinct spécial d’imitation», dont K. Groos décèle, lui aussi, la manifestation dans Les Jeux des animaux , l’homme étant défini comme l’animal imitateur par excellence.
La psychologie moderne a confirmé l’importance de ce qui est acquis par cette voie chez l’enfant, mais elle a mis en question cet «instinct spécial». Ainsi, pour Paul Guillaume, si l’imitation doit être traitée comme une grande fonction mentale, elle n’est pas le phénomène immédiat et spontané, le fait primitif habituellement décrit. Chez l’enfant, l’expérience et l’éducation combinent leurs effets; au cours de la multiplication des «essais», la loi du transfert tend à subordonner de plus en plus les actes qui dépendent d’abord d’objets ou de signaux particuliers à la perception des mouvements du modèle. C’est ce processus qui explique la conscience de l’imitation et ses progrès. «L’assimilation, conclut-il, va de l’extérieur à l’intérieur, des effets objectifs au mouvements qui les produisent» considérant finalement que «l’instinct ne peut être révélé, sans ambiguïté, que par une méthode régressive comme un résidu inexplicable par d’autres influences», P. Guillaume a délibérément abandonné la recherche d’une définition abstraite pour revenir à «une détermination expérimentale plus exacte des réactions sensori-motrices primordiales».
En dépit des critiques qu’il lui a adressées, concernant notamment l’insuffisance du mécanisme du transfert associatif à rendre compte des progrès de la fonction imitative, c’est dans la direction indiquée par P. Guillaume que J. Piaget s’est engagé. Il revient à ce dernier d’avoir clairement montré (La Formation du symbole chez l’enfant ) comment l’intelligence tend à un équilibre permanent entre l’accommodation imitative et l’assimilation ludique, équilibre qui est atteint dans la représentation cognitive. L’imitation s’insère ici dans le tableau général des adaptations sensori-motrices qui caractérisent la construction de l’intelligence elle-même.
On a pu récemment estimer que la notion d’imitation, comparée à celles d’identification et d’action en rôle, apparaît pauvre et fragmentaire. Sans rapport avec l’inconscient du sujet (encore qu’elle puisse soutenir des désirs d’identification), peu adaptée à l’analyse des rôles étudiés en psychologie sociale (mais n’est-elle pas un moyen de leur apprentissage?), elle serait légitimement tombée en discrédit en raison de sa faible valeur explicative. C’est, au contraire, son éclatante richesse et l’extrême diversité de ses utilisations qui doivent être soulignées. N’est-ce pas, cependant, son ubiquité qui peut être source de difficultés?
Quel rapport, objectera-t-on, existe-t-il entre les méditations des Anciens sur l’intérêt et les limites de l’imitation, les réflexions des esthéticiens sur la ressemblance dans les beaux-arts et les images ou les représentations étudiées par les psychologues? Il en est un que E. H. Gombrich, dans le texte d’une conférence recueilli dans L’Art et l’Illusion (pp. 234-35), n’a pas manqué d’établir. «Qu’est-ce que la mimésis?», se demande Apollonius de Tyane au cours d’un dialogue imaginé par Philostrate. Faut-il voir des œuvres d’imitation dans les choses qui se dessinent dans le ciel quand les nuages se déplacent? «Dieu est-il un peintre qui occupe ses heures de loisirs à se distraire de cette façon?» non, c’est la «faculté imitative» de celui qui les regarde qui donne forme et sens à ces compositions incertaines. Elles sont donc des figures de projection. En des termes identiques s’interprètent ainsi et les «nuages» de Philostrate et les «taches d’encre» d’Hermann Rorschach.
4. Le concept éthologique
L’animal est-il capable ou non d’imiter le comportement d’un congénère? Voilà une question qui peut surprendre le profane et cela conduirait en retour à se demander pourquoi l’animal ne serait pas capable d’imitation; il est, en effet, couramment admis que certains animaux imitent. Quel est le cheminement qui a conduit à mettre en doute ce présupposé et cela, très tôt dans l’histoire de la psychologie animale? Pour répondre à cette question. Il faut savoir que les études sur le psychisme animal sont profondément marquées par la théorie de l’évolution des espèces, dont Darwin a été le grand maître d’œuvre (1859) et selon laquelle celles-ci évoluent au cours du temps aussi bien dans leurs formes, leurs structures que dans leurs aspects fonctionnels, donnant ainsi progressivement naissance à d’autres espèces. Il y aurait donc un lien évolutif entre les diverses espèces animales et l’être humain lui-même. Darwin, qui s’est attaché à découvrir les mécanismes de cette évolution à partir d’études comparatives sur de nombreuses espèces animales et végétales, à lui-même suggéré qu’il devait être possible de retrouver cette progression au niveau du comportement. En cela, il a été, dès la fin du XIXe, et avec d’autres zoologistes (Whitman, Heinroth et Craig), un précurseur dans le domaine de l’éthologie comparée. Cette discipline se développera plus particulièrement à partir des travaux de K. Lorenz et N. Tinbergen au début du XXe siècle.
Si les variations phylogénétiques sont décelables au niveau du comportement, on peut supposer que cette hypothèse d’évolution s’applique aussi aux capacités mentales ou cognitives. Cela revient à supposer que la marque évolutive sera également repérable dans les capacités dont jouit une espèce pour résoudre avec succès les problèmes posés par son milieu, c’est-à-dire pour modifier son comportement en rapport avec des changements dans l’environnement. C’est dans ce contexte théorique que la capacité à imiter a été très tôt, dès la fin du XIXe siècle, conçue comme un élément clef. En effet, si les primates et l’espèce humaine actuels ont un ou des ancêtres communs, il devrait être possible de repérer, chez les primates, des traces, des formes primitives de capacités reconnues chez l’être humain. C’est pourquoi la résolution de problèmes par l’imitation a été étudiée très tôt chez l’animal, dans le dessein de retrouver, chez le singe en tout premier lieu, la preuve de comportements imitatifs, si évidents dans l’espèce humaine.
Dès les premières études (sur le gorille, le chimpanzé et différentes espèces de macaques), il est apparu que ce qui est appelé imitation relève, dans la plupart des cas, d’un anthropomorphisme caractérisé, joint à des méthodes d’investigation peu rigoureuses. Dans bien des expériences, une explication mettant en jeu des mécanismes cognitifs plus simples peut être invoquée. La rigueur en la matière a été introduite par le courant béhavioriste aux États-Unis et par le courant associationniste en U.R.S.S. Les capacités cognitives des organismes vivants ont été, à cette époque, abordées strictement à travers les comportements manifestés par les animaux. Le milieu environnant était connu comme source de stimulations, et le comportement comme un ensemble de réponses qui se trouvaient alors associées à certains stimulus de l’environnement, grâce à la présence de renforçateurs. Le rat apprend à appuyer sur un levier parce que ses appuis lui donnent accès à une nourriture. Le chien commence à saliver dès que retentit la sonnerie, parce qu’elle est toujours suivie, dans un délai très court, de l’apparition de morceaux de viande. L’hypothèse d’une capacité à imiter chez l’animal a été longuement testée dans ce cadre théorique; et, très curieusement, l’absence de validation de cette hypothèse a notablement renforcé les chercheurs dans l’idée que des mécanismes simples suffiraient à expliquer les apprentissages réalisés par les organismes vivants. Du haut en bas de l’échelle animale, des lois simples d’apprentissage étaient applicables de manière valable. On touchait ainsi à des universaux dans le domaine cognitif des espèces, l’espèce humaine comprise.
L’étude de l’imitation a été ainsi abordée à travers les hypothèses associationnistes du béhaviorisme. Il n’a plus été question de chercher si l’animal fait preuve spontanément (autrement dit, à l’époque, de façon innée) de comportements imitatifs; on a étudié systématiquement si l’animal pouvait apprendre à imiter . L’apprentissage par imitation n’a plus été alors qu’un cas particulier de l’apprentissage par observation . De nombreux travaux ont été réalisés sur ce sujet durant la période allant de 1960 à 1975 et des espèces très variées ont été testées. L’apprentissage par observation est mis en évidence lorsque «après observation d’une certaine séquence d’événements (apparition de stimuli dans le champ sensoriel et perceptuel [du modèle], exécution de réponses par [le modèle] et distribution d’agents de renforcements en fonction des réponses produites), il y a modifications du système des réponses de [l’observateur], comme si [l’observateur] lui-même avait été directement impliqué à l’intérieur de cette séquence d’événements» (M. Robert, 1970).
L’apprentissage par imitation suppose que l’animal associe une réponse non plus à un stimulus quelconque de l’environnement mais à la réponse même du modèle. Il faut reconnaître que les résultats sont peu probants. Même chez les anthropoïdes, les cas de comportements imitatifs ne sont pas prouvés dans ce cadre théorique; chez d’autres espèces animales, ils sont carrément absents.
Concernant l’imitation vocale, les résultats sont de deux ordres. Tout d’abord, indéniablement, certains oiseaux sont capables d’imiter les chants d’espèces géographiquement voisines et même toutes sortes de sons (y compris la voix humaine pour certains perroquets, ménates, par exemple). Par ailleurs, des études comparatives portant sur l’enfant humain et sur le chimpazé (Hayes; Kellog) ont clairement montré que les anthropoïdes n’arrivent pas à imiter la voix humaine. Cet échec trouve, bien entendu son explication dans des différences au niveau de l’appareil phonatoire et de l’équipement neurophysiologique des anthropoïdes. Mais il reste à expliquer pourquoi deux espèces d’anthropoïdes placées à proximité d’une de l’autre n’imitent pas leurs communications vocales respectives.
Les travaux sur l’apprentissage par observation ont montré que les nombreuses observations sur le terrain (notamment les célèbres études sur les macaques japonais et bien d’autres sur les anthropoïdes), qui font état de transmission culturelle à l’intérieur d’une troupe, n’apportent pas la preuve de comportements imitatifs. Les mécanismes expliquant que certaines habitudes (par exemple, alimentaires) se transmettent à partir d’un animal inventeur à toute la troupe se ramènent à deux processus simples qui sont sous-jacents à l’apprentissage par observation.
Le premier consiste dans l’accentuation locale : le modèle apprend à l’animal observateur que tel endroit ou tel objet est «intéressant». Ayant acquis cette information, l’observateur procèdera par essai et erreur. Les contingences liées à l’objet comme à l’animal feront que la réponse sera identique, ce qui ne voudra pas dire qu’elle aura été imitée. Le second processus est celui de la capacité à associer entre eux deux stimuli sans que l’animal observateur ait pu manifester une réponse et percevoir un renforcement. Déjà, à ce niveau, la position béhavioriste était très réticente, puisqu’elle postule par définition qu’on ne peut dissocier acquisition et performance. C’est la raison pour laquelle l’apprentissage par observation (et a fortiori l’apprentissage par imitation) n’a été étudié que très tard. Il était difficilement concevable qu’un tel apprentissage pût avoir lieu, alors qu’aucune réponse ni aucun renforcement n’étaient possibles pour l’animal. C’est dire que ce type d’apprentissage a, tout comme l’apprentissage latent, porté un rude coup au réductionnisme strict des positions d’origine béhavioriste.
Il reste que, si l’apprentissage par observation a été mis en évidence dans de nombreuses espèces, l’apprentissage par imitation semble, tout au plus, réservé aux anthropoïdes, et encore.
Il est à remarquer, de plus, que les recherches sur l’imitation chez l’animal dans la perspective évolutive évoquée plus haut (la mise en évidence, chez les anthropoïdes, de traces de capacités cognitives voisines de celles qui se rencontrent chez l’être humain) ont été suivies d’une série d’autres études entreprises depuis le début des années 1970: la réaction au miroir conçue comme test de la reconnaissance de soi; l’usage et la fabrication d’outils; le transfert intermodal; l’acquisition d’un langage codé. C’est dire que l’imitation a eu historiquement une place de premier plan en psychologie animale et que l’intérêt de son étude ne peut se comprendre qu’à travers les enjeux théoriques dont ce phénomène a été l’objet. Il est évident aussi que les études sur l’imitation appartiennent surtout au champ de la psychologie humaine. Le courant actuel des recherches dans ce domaine est celui qui aborde l’imitation dans une perspective de développement et permet d’en étudier les fonctions d’une façon toute nouvelle (Nadel et Best). Les théories de Freud, de Piaget et de Wallon constituent les cadres de référence pour ces approches de l’imitation chez l’enfant.
imitation [ imitasjɔ̃ ] n. f.
• 1220; lat. imitatio
1 ♦ Action de reproduire volontairement ou de chercher à reproduire (une apparence, un geste, un acte d'autrui); résultat de cette action. Imitation habile, fidèle, réussie. Imitation outrée, comique. ⇒ caricature, parodie . Faire des imitations. Imitation par le geste. ⇒ mimique. Avoir le don d'imitation (⇒ imitateur) . Il fait des imitations très drôles.
♢ Reproduction volontaire ou involontaire, consciente ou inconsciente, de gestes, d'actes. Esprit d'imitation. ⇒ mimétisme. « l'instinct d'imitation et l'absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules » (Proust)(cf. Instinct grégaire; comportement moutonnier). Rôle de l'imitation dans les manifestations collectives. ⇒ contagion.
2 ♦ Le fait de prendre qqn, son œuvre pour modèle, de s'en inspirer (dans l'ordre intellectuel, moral, artistique). Imitation d'un maître, des ancêtres. L'imitation des anciens. Imitation du style, de la manière d'un auteur. ⇒ pastiche . Imitation d'un thème, d'une idée. ⇒ emprunt. — Spécialt L'Imitation de Jésus-Christ, célèbre ouvrage de piété ( XV e).
3 ♦ Reproduction des aspects sensibles de la nature par l'art. Vx Arts d'imitation : peinture et sculpture.
4 ♦ Œuvre sans originalité imitée d'un modèle. Imitation servile. ⇒ copie, plagiat. Imitation de la manière. ⇒ parodie.
5 ♦ Reproduction artificielle d'un objet, d'une matière; l'objet imité d'un autre. ⇒ copie, reproduction. Imitation d'un produit. ⇒ ersatz. Imitation frauduleuse. ⇒ contrefaçon, 1. faux. « Une cravate en imitation de renard » (Romains). Fabriquer des imitations de meubles anciens. Une belle imitation. « je préfère toujours les imitations aux originaux, l'imitation étant l'original cerné, possédé, intégré, éventuellement multiplié, bref pensé, spiritualisé » (Tournier). Par appos. Reliure imitation cuir. ⇒ façon, simili. « des lunettes à monture plastique imitation écaille » (Le Clézio). — EN IMITATION : en matière imitée. ⇒ simili, 2. toc.
6 ♦ (1721) Mus. Répétition par une partie d'un motif, d'un thème musical énoncé par une autre partie. Imitation régulière, canonique. Imitation libre, irrégulière.
7 ♦ Loc. prép. À L'IMITATION DE :à la façon de, sur le modèle de. « À l'imitation des gazettes politiques [...] , on imprima en France des gazettes littéraires » (Voltaire).
⊗ CONTR. Création, originalité. Authenticité. Originalité.
● imitation nom féminin (latin imitatio, -onis) Action d'imiter une personne, un son, un bruit, etc. ; résultat de cette action : Une imitation de cris d'animaux. Action de prendre quelqu'un pour modèle : Imitation d'un maître. Œuvre composée dans le genre, le style d'un auteur ou inspirée directement d'une autre : Des imitations de toiles célèbres. Action de reproduire artificiellement une matière, un objet ou de faire une copie d'un objet de valeur ; cette reproduction, cette copie : Une imitation de marbre. Un sac en imitation cuir. Musique Procédé d'écriture qui consiste à répéter le même dessin mélodique d'une partie à l'autre. (Le canon représente son expression la plus stricte.) Psychologie Reproduction d'une mimique, d'un geste, d'une posture, d'une situation vécue. (L'imitation joue un rôle de premier plan dans le développement de l'enfant et tout spécialement dans la fonction sémiotique, ainsi que l'a souligné J. Piaget.) Spectacles Action de reproduire la gestuelle, la diction, les tics d'un acteur, d'un chanteur, d'une personnalité, d'un homme politique, etc. ; sketch qui s'y rapporte. ● imitation (citations) nom féminin (latin imitatio, -onis) Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 N'imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe. Tas de pierres Éditions Milieu du monde Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Mon imitation n'est point un esclavage. Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois. Épître à Huet Alfred de Musset Paris 1810-Paris 1857 Il faut être ignorant comme un maître d'école Pour se flatter de dire une seule parole Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous. Premières Poésies, Namouna Isaac Félix, dit André Suarès Marseille 1868-Saint-Maur-des-Fossés 1948 L'art n'est pas une imitation mais une conquête. Goethe, le grand Européen Émile-Paul Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 Le très grand art est celui dont les imitations sont légitimes, dignes, supportables ; et qui n'est pas détruit ni déprécié par elles ; ni elles par lui. Choses tues Gallimard Théophile de Viau Clairac 1590-Paris 1626 Imite qui voudra les merveilles d'autrui : Malherbe a fort bien fait, mais il a fait pour lui. Élégie à une dame Charles Caleb Colton 1780-1832 L'imitation est la plus sincère des flatteries. Imitation is the sincerest flattery. Lacon ● imitation (expressions) nom féminin (latin imitatio, -onis) À l'imitation de, à l'exemple de quelqu'un, sur le modèle de quelque chose. Théorie de l'imitation, théorie esthétique inspirée de Platon et d'Aristote et selon laquelle le principe de la création artistique est de s'inspirer exclusivement de la nature. ● imitation (synonymes) nom féminin (latin imitatio, -onis) Œuvre composée dans le genre, le style d'un auteur ou...
Synonymes :
Action de reproduire artificiellement une matière, un objet ou de...
Synonymes :
- calque
- contre-façon
- exemple
- faux
- plagiat
- simili (familier)
- toc (familier)
Spectacles. Action de reproduire la gestuelle, la diction, les tics d'un...
Synonymes :
- charge
- parodie
imitation
n. f.
d1./d Action d'imiter; son résultat.
d2./d Contrefaçon. Une imitation de Raphaël. Imitation d'une signature.
d3./d Action de prendre pour modèle (une personne, son comportement, son oeuvre).
d4./d Matière, objet artificiel qui imite une matière, un objet plus précieux. Imitation de diamant.
|| (En appos.) Un sac imitation cuir.
d5./d MUS Répétition d'un thème musical déjà utilisé dans la même oeuvre. L'imitation est la base du canon, de la fugue et du contrepoint.
d6./d Loc. Prép. à l'imitation de: sur le modèle de.
⇒, subst. fém.
I. — Action d'imiter (v. ce mot I) et résultat de cette action.
A. — 1. [Correspond à imiter I A 1, 3] Action d'imiter (un bruit, un comportement, une personne ou bien un animal en essayant de reproduire les attitudes, les façons de s'exprimer); résultat de cette action. Synon. mime, reproduction, simulacre, simulation. Imitation des aboiements du chien; imitation des gestes, des intonations, des propos, des manières, des tics de qqn. « Son changement de front, ça été fait avec ça... » Et une main faisait l'imitation d'un pouce et d'un index qui comptent de l'argent (GONCOURT, Journal, 1873, p. 947). Ils prononçaient « minionne », avec une affreuse grimace tordue, suivie d'une imitation de nausée (COLETTE, Sido, 1929, p. 154) :
• 1. ... on lui disait : « C'est singulier, vous pensez là-dessus comme M. Schmidt », ou : « Tiens! vous vous êtes fait faire un pantalon semblable à celui de M. Schmidt. — Vous vous coiffez comme M. Schmidt. — Vous ressemblez prodigieusement à M. Schmidt. — Vous jurez comme M. Schmidt. » C'est en vain que Stephen changeait ses habits à mesure que Schmidt les imitait; et, d'ailleurs, il ne pouvait changer ses opinions aussi facilement. Un jour, Stephen lui avait dit : « Je ne connais rien de bête et de creux comme l'imitation et le plagiat. » Schmidt n'avait pas vu là un reproche; il n'avait vu qu'une idée dont il pouvait faire son profit. Quelques jours après, dans un salon, Schmidt lui dit tout haut : « Dites-moi, Stephen, connaissez-vous rien d'aussi bête et d'aussi creux que l'imitation... »
KARR, Sous tilleuls, 1832, p. 275.
2. En partic. [Correspond à imiter I A 2; en parlant de qqn] Parodie qui va jusqu'à la caricature :
• 2. ... il se lança dans des imitations, d'ailleurs exquises de finesse et d'observation maligne (...) de M. de La Hourmerie, dont il singea jusqu'à la perfection la solennité pleine de tics.
COURTELINE, Ronds-de-cuir, 1893, 4e tabl., II, p. 139.
♦ Faire des imitations, l'imitation de qqn. Daudet nous faisait l'imitation drolatique d'un oncle, ancien militaire (GONCOURT, Journal, 1894, p.615) :
• 3. Pour prendre comme exemple l'exercice qu'on appelle, dans une autre acception du mot imitation, « faire des imitations » (ce qui se disait chez les Guermantes « faire des charges »)...
PROUST, Guermantes 2, 1921, p. 461.
— SPECTACLES. Action de reproduire dans leurs particularités, et souvent jusqu'à la caricature, le jeu de physionomie, la voix d'un personnage connu, d'imiter divers bruits ou instruments de musique. Synon. parodie. Thierry Le Luron (...) peaufine au scalpel quelque 63 imitations au théâtre Marigny (...). Irrévérencieux, insolent, il croque, il caricature (Elle, 5 nov. 1979, p. 14).
B. — 1. [Correspond à imiter I B I] Le fait de s'inspirer intellectuellement, moralement ou socialement de quelqu'un. Imitation d'un maître, d'un parent :
• 4. ...dans les pays protestants, de petites sectes exaltées jouent le rôle des monastères. Ce sont ces champs de bataille qui permettent à la morale chrétienne de se maintenir (...) et lui donne assez de lustre pour entraîner dans la société quelques pâles imitations.
SOREL, Réflex. violence, 1908, p. 320.
— Loc. À l'imitation de. À la façon de. Membre d'un ordre institué par l'apôtre saint Paul lui-même, qui se prévalut du titre de citoyen romain, je me flattais de me conduire, à son imitation, en bon citoyen français (A. FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 159).
♦ Proposer qqc. à l'imitation de qqn. Le lui proposer en exemple. Des exemplaires de sentiments que certains écrivains de notre époque proposent à l'imitation des tout jeunes gens (BOURGET, Essais psychol., 1883, p. XIV).
— Imitation de Jésus-Christ (ouvrage anonyme de piété, du XVe s.). J'observais à la lettre ce précepte de l'Imitation de Jésus-Christ (...). Fuis avec un grand soin la pratique des femmes (A. FRANCE, Livre ami, 1885, p. 172).
2. En partic. [Correspond à imiter I B 3; en parlant des enfants, des individus dans la société, d'une collectivité] Tendance à reproduire, consciemment ou non, les gestes, les actes de l'entourage. Synon. mimétisme. Esprit, instinct d'imitation; imitation instinctive, volontaire. Quand elles [les compagnies] défilaient dans les rues de Paris, un murmure d'admiration s'élevait le long du chemin et leur formait une sorte de cortège. Adoptaient-elles un insigne, un ornement, à l'instant même une épidémie d'imitation se déclarait sur les deux rives de la Seine; toutes les légions faisaient acte de plagiat (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 175). Mais elle n'en savait guère plus qu'une fillette élevée en un couvent, ses audaces de parole venant de sa mémoire, de cette faculté d'imitation et d'assimilation qu'ont les femmes, et non d'une pensée instruite et devenue hardie (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Yvette, 1884, p. 523) :
• 5. Nous n'avons encore regardé la présence d'autrui que lorsqu'elle stimule ou inhibe une activité constituée en dehors d'elle. Dans les deux formes élémentaires de la communication : la contagion affective involontaire et l'imitation consciente, elle ne se limite plus à une simple intervention auxiliaire ou perturbatrice, elle suscite proprement une image d'elle-même.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 498.
♦ Jeux d'imitation. Jeux éducatifs basés sur l'imitation. Des jeux collectifs d'imitation des bambins de la maternelle à ceux que pratiquent les enfants de onze à douze ans, on peut encore distinguer trois niveaux. D'abord des jeux où la réalisation reste individuelle, mais à l'intérieur du groupe : on joue par exemple à « faire » la poule (...). À ces jeux succèdent les imitations faites par un groupe pris dans son ensemble : par exemple, on fera un train, ou on jouera au battage, à l'alambic, etc. (Jeux et sports, 1967, p. 111).
C. — [Correspond à imiter I C]
1. BEAUX-ARTS. [Correspond à imiter I C 1] Reproduction des apparences, des formes réelles de ce que l'art prend pour modèle dans la nature. Dans tous leurs tableaux [des peintres Flamands] on ne trouve qu'une imitation froide, étriquée (TAINE, Philos. art, t. 2, 1865, p. 32). Qu'est-ce que l'imitation? C'est une copie fidèle, et rien de plus. Si les arts du dessin n'avaient d'autre objet que de copier la nature, (...) ils seraient un pléonasme (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 17).
♦ Théorie, concept de l'imitation :
• 6. Le concept d'imitation (...) est la base des esthétiques qui se construisent alors : Aristote se fonde sur lui, et Platon le respecte jusqu'à en faire une loi de l'art, bien que sa philosophie même exige qu'on cherche ailleurs l'essence de la beauté.
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 66.
♦ Arts d'imitation (vx). On donne particulièrement le nom d'arts d'imitation à la peinture et à la sculpture; les autres arts, comme la musique, la poésie, n'imitent pas la nature directement, quoique leur but soit de frapper l'imagination par des sentiments (DELACROIX, Journal, 1857, p. 57).
2. BEAUX-ARTS, LITT. [Correspond à imiter I C 2]
a) Fait de prendre pour modèle le style, la manière, les œuvres d'un autre écrivain et de s'en inspirer plus ou moins étroitement. Synon. copie. La traduction conserve, mais l'imitation détruit (VIGNY, Journal poète, 1838, p. 1099). L'imitation est le vertige des esprits souples et brillants, et souvent même une preuve de supériorité (BAUDEL., Salon, 1859, p. 263). L'imitation est destructive du talent; on perd ce qu'on a de génie en voulant prendre celui d'un autre (BUSSY, Art dram., 1866, p. 23) :
• 7. La tapisserie, on peut le déclarer à la stupéfaction de bon nombre de gens, la tapisserie est un art perdu. Ce n'est plus qu'une laborieuse imitation terne et noire de la peinture, un produit quelque peu supérieur aux contrefaçons en toile peinte d'anciennes tapisseries.
GONCOURT, Journal, 1874, p. 994.
♦ P. ext. ,,Cela est au-dessus de toute imitation, se dit d'une chose qu'il est impossible de bien imiter`` (Ac. 1935).
— Loc. À l'imitation de qqc. La place où sont plantées, à l'imitation des cirques antiques, deux bornes de marbre (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 118).
b) P. méton. Œuvre inspirée d'une autre œuvre, souvent de manière assez libre pour être plaisante ou pour rester personnelle. Il faut lire cet original pour mieux admirer la richesse de la copie, mieux sentir (...) l'originalité de l'imitation (A. FRANCE, Rabelais, 1909, p. 62). Car les joies dont nous souffrions que ma grand'mère fût écartée, c'étaient les joies les plus simples de la vie, une nouvelle, une pièce, moins que cela, une « imitation », qui l'eussent amusée (PROUST, Fugit., 1922, p. 660). La Prisonnière (...) a un si vif succès qu'elle donne naissance à des imitations américaines (MORAND, New-York, 1930, p.175).
— Imitation plate, servile. Œuvre sans originalité. Synon. plagiat. Cette vaste église qui n'est qu'une triste et froide imitation des cathédrales européennes (GREEN, Journal, 1942, p. 205).
3. MUS. Répétition par une partie d'un motif d'un thème musical énoncé par une autre partie. Quand cette reproduction [la reproduction du dessin mélodique par imitation dans une autre partie] est absolument exacte, quand (...) [tous les intervalles] de la partie modèle sont représentés dans la partie imitante par des espaces [intervalles] identiquement semblables, (...) l'imitation est dite régulière ou canonique (LAVIGNAC, Mus. et musiciens, 1895, p. 378). L'Hosanna se prête bien à de souples vocalises, et même au style fugué. Mais généralement, on y abuse des répétitions, et les développements sont interminables. Ne parlons pas de ces pauvres imitations canoniques (POTIRON, Mus. église, 1945, p. 107).
4. LING., rare. ,,Figure de construction consistant à imiter le tour d'une autre langue, ou un tour inusité`` (PHÉL. Ling. 1976). Latinisme, hébraïsme, marotisme (...) sont des imitations (PHÉL. Ling. 1976).
5. SC. EXP. Synon. anc. de simulation. J'ai parlé précédemment des sphères pulsantes de Bjerknes et de l'imitation par ces sphères des phénomènes électrostatiques (H. POINCARÉ, Électr. et opt., 1901, p. 613). On pourra d'ailleurs pousser assez loin l'imitation du vivant par l'inorganisé. Non seulement la chimie opère des synthèses organiques, mais on arrive à reproduire artificiellement le dessin extérieur de certains faits d'organisation, tels que la division indirecte de la cellule et la circulation protoplasmique (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 33).
D. — [Correspond à imiter I D] Reproduction de quelque chose dont on veut faire passer la copie pour vraie. Synon. contrefaçon, copie, falsification. Imitation d'une écriture, d'un billet de banque :
• 8. ... contrefaçon, altération d'écritures ou de signatures. — La contrefaçon suppose la falsification de l'écriture de l'acte tout entier, alors que l'altération ne le falsifie qu'en partie; mais l'imitation de la signature n'est pas nécessaire.
RÉAU-ROND. 1951.
II. — [Correspond à imiter II] Matière qui imite une matière plus riche, ou objet qui en imite un autre, ancien ou de valeur. Un bronze, un diamant d'imitation; un objet en imitation d'ivoire. Enfin, la fabrique s'essaye aux trompe-l'œil, aux imitations de statuettes de Saxe (G. FONTAINE, Céram. fr., 1965, p. 98). Le canapé du salon est une imitation de l'ancien (DAVAU-COHEN 1972). Imitations de Saxe. Porcelaines qui imitent la porcelaine de Saxe.
♦ En imitation. En matière imitée. Synon. en toc (fam.). Un diamant, des bijoux en imitation (d'apr. ROB.).
♦ P. ext., rare. Tout objet qui en imite un autre. C'était dans un précieux musée d'imitations anatomiques. Cette tête, merveilleusement reproduite et grossie énormément, jusqu'à rappeler celle du tigre et du jaguar, offrait dans sa forme horrible une chose plus horrible encore (MICHELET, Oiseau, 1856, p. 100).
— En appos., fam. Sur la nappe d'un blanc glacé, les verres et l'argenterie-imitation resplendissent (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p. 19). Son mantelet en Chantilly imitation, sur des épaules en bouteille à vin du Rhin (COLETTE, Képi, 1943, p. 163).
— Au fig. [En parlant d'abstractions] ,,Substitut insatisfaisant de quelque chose. Le succès, imitation frelatée de la gloire`` (ROB.). Synon. pâle image, reflet.
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. [Ca 1236 « action de prendre quelqu'un pour modèle » (G. DE COINCI, Mir. 11 ds FEW t. 4, p. 570a)]; 1364 (Mir. ND par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, III, 307); 1488 (Cy comance le livre tres-salutaire, la Ymitation Jhesu Christ... Tholose, H. Mayer Alaman, 28 may 1488 d'apr. L. Hain, Repertorium bibliographicum, n° 9120); 1549 spéc. domaine littér. (DU BELLAY, Deffence et illustration, II, III, éd. H. Chamard, p. 103); 2. av. 1711 B.-A. « reproduction des aspects sensibles de la nature par les moyens de l'art » (Corresp. entre Boileau et Brossette, p. 537 ds BOILEAU, Œuvres, éd. A. Adam et F. Escal, III, p. 996, note 1); cf. 1763 (J.-J. ROUSSEAU, Emile, IV, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, p. 672); id. « œuvre imitée de la nature » (ID., op. cit., p. 397); 1857 arts d'imitation (DELACROIX, supra); 3. 1845 « contrefaçon, fabrication illicite » (BESCH.); 1861 (LABICHE, Poudre aux yeux, I, VI, t. 2, p. 323: elle [une chaîne dorée] est en imitation). Empr. au lat. imitatio « imitation, copie; faculté d'imitation », spéc. en lat. médiév. « imitation de modèles, d'exemples de vertu » (VIIe s., B. BOTTE ds ALMA t. 16, pp. 149-154), cf. l'Imitatio Christi, petit traité spirituel du XVe s., se rattachant à la même accept. et dont l'auteur est peut-être Thomas Hemerken a Kempis (ca 1380-1471 : 1re trad. fr. sous le titre de Internelle Consolation en 1447). Fréq. abs. littér. : 1 442. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 2 182, b) 1 571; XXe s. : a) 1 986, b) 2 233.
imitation [imitɑsjɔ̃] n. f.
ÉTYM. XVe; imitacion, v. 1220; lat. imitatio du supin de imitari. → Imiter.
❖
1 (V. 1220). Action de reproduire volontairement ou de chercher à reproduire (une apparence, un geste, un acte d'autrui); résultat de cette action (⇒ Imiter). || Imitation des attitudes, des gestes, de l'accent de quelqu'un. || Imitation fidèle, habile, réussie. || Imitation outrée, comique ⇒ Caricature, charge, parodie, singerie. || Imitation par le geste. ⇒ Mimique, mimologie. — Imitation du jeu d'un acteur, des particularités physiques de quelqu'un. — Absolt. || Il excelle dans l'imitation. || Il a le don d'imitation. ⇒ Imitateur. — Imitation visant à tromper, à donner le change. ⇒ Affectation (II.), simulacre, simulation.
1 L'imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait déplaît, avec les mêmes choses qui charment lorsqu'elles sont naturelles.
La Rochefoucauld, Maximes supprimées, 618.
2 Octave, qui possède un petit talent d'imitation, faisait revivre à nos yeux, à nos oreilles, une foule de personnages falots, déformés par vingt ans de récits.
G. Duhamel, Salavin, I, VI.
♦ (Ce qui est imité n'étant pas forcément humain) :
2.1 Avec une maîtrise inouïe et un talent d'une miraculeuse précocité, le charmant bambin commença une série d'imitations accompagnées de gestes éloquents; bruits divers d'un train qui s'ébranle, cris de tous les animaux domestiques, grincements de la scie sur une pierre de taille, saut brusque d'un bouchon de champagne, glouglou d'un liquide versé, fanfares du cor de chasse, solo de violon, chant plaintif de violoncelle, formaient un répertoire étourdissant pouvant donner, à qui fermait un moment les yeux, l'illusion complète de la réalité.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 41.
♦ Absolt. || Faire des imitations.
3 Pour prendre comme exemple l'exercice qu'on appelle (…) « faire des imitations » (ce qui se disait chez les Guermantes « faire des charges »), Mme de Guermantes avait beau le réussir à ravir, les Courvoisier étaient aussi incapables de s'en rendre compte que s'ils eussent été une bande de lapins, au lieu d'hommes et femmes, parce qu'ils n'avaient jamais su remarquer le défaut ou l'accent que la duchesse cherchait à contrefaire.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. VIII, p. 99.
♦ Spécialt. Spectacle où un artiste (⇒ Imitateur) contrefait un personnage connu, un type, etc.
♦ (1762, Rousseau). Reproduction volontaire ou involontaire, consciente ou inconsciente (de gestes, d'actes…). || Esprit, faculté, instinct d'imitation. ⇒ Contagion (mentale), mimétisme. → Férocité, cit. 1. || L'imitation automatique chez les animaux. || L'évolution de l'imitation chez l'enfant. || Rôle de l'imitation dans la société, les manifestations collectives, les mœurs et coutumes, la mode… (→ Conformisme, grégarisme, instinct grégaire). ⇒ Contagion. || Les Lois de l'imitation, ouvrage de Tarde (→ ci-dessous, cit. 6). || Rôle de l'imitation en pédagogie (⇒ Exemple). || Hystérie collective par imitation. || Jeux d'imitation. — Imitation volontaire. || Agir, penser par imitation.
4 L'imitation est de tous les résultats de la machine animale le plus admirable, c'en est le mobile le plus délicat et le plus étendu, c'est ce qui copie de plus près la pensée (…) Cependant les singes sont tout au plus des gens à talents que nous prenons pour des gens d'esprit : quoiqu'ils aient l'art de nous imiter, ils n'en sont pas moins de la nature des bêtes, qui toutes ont plus ou moins le talent de l'imitation. À la vérité, dans presque tous les animaux, ce talent est borné à l'espèce même, et ne s'étend point au delà de l'imitation de leurs semblables (…)
Buffon, Hist. nat. des animaux, Disc. sur la nature des animaux.
5 L'homme est imitateur, l'animal même l'est; le goût de l'imitation est de la nature bien ordonnée; mais il dégénère en vice dans la société.
Rousseau, Émile, II.
6 (L') unanimité de cœur et d'esprit est bien le caractère des sociétés achevées (…) D'ailleurs, la conformité de desseins et de croyances dont il s'agit, cette similitude mentale que se trouvent revêtir à la fois des dizaines et des centaines de millions d'hommes, elle n'est pas née ex abrupto; comment s'est-elle produite ? Peu à peu, de proche en proche, par voie d'imitation. C'est donc là toujours qu'il faut en venir.
G. Tarde, les Lois de l'imitation, p. 67.
7 Il y a imitation quand un acte a pour antécédent immédiat la représentation d'un acte semblable antérieurement accompli par autrui (…)
8 (…) l'instinct d'imitation et l'absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu'un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. X, p. 92.
9 Si l'on fait abstraction de certains instincts spéciaux (instinct de suivre, instinct d'imitation vocale chez les oiseaux chanteurs) on ne trouve pas, même chez les animaux supérieurs, de tendance générale à l'imitation (même chez les singes, en dépit de l'expression populaire : singer). C'est essentiellement une conduite humaine. Chez l'enfant, un grand nombre de modèles d'action exercent une séduction particulière; mais un apprentissage lui est nécessaire pour arriver à copier des actes nouveaux.
P. Guillaume, Manuel de psychologie, IV, p. 59.
2 (V. 1220). || L'imitation de qqn : le fait de prendre quelqu'un pour modèle (dans l'ordre intellectuel, moral, social). || L'imitation d'un maître, d'un chef d'école par ses disciples. || L'imitation des ancêtres. || La mode est à l'imitation des Américains, des anglais. ⇒ -manie (anglomanie, etc.).
♦ (1651, Corneille). || L'Imitation de Jésus-Christ, et, absolt, L'Imitation, célèbre ouvrage de piété attribué souvent à Thomas a Kempis (XVe siècle) et qui a été adapté en vers par Corneille, traduit (en prose) par Lamennais.
3 (XVIIe, Chapelain et les Théoriciens du théâtre; lat. imitatio, traduisant le grec mimêsis). Reproduction des aspects sensibles de la réalité par l'art (cit. 76 et 77). ⇒ Mimesis. || Théories esthétiques de l'imitation (de la nature). || Imitation et récit (« mimesis » et « diegesis »), au théâtre. || L'imitation dans les arts plastiques (→ Grandeur, cit. 35). || Expression (cit. 26) et imitation dans l'art. — (1857, Delacroix). || Arts d'imitation (vx) : les arts figuratifs (⇒ Figuration), le dessin, la peinture, la sculpture; la poésie. || Dessin d'imitation. || La comédie, le comique, imitation exagérée. ⇒ Charge (→ Caractériser, cit. 4; grotesque, cit. 15). || Le théâtre, imitation des sentiments d'un peuple (→ École, cit. 21).
10 Les hommes, dans leurs travaux, ne font rien de beau que par imitation. Tous les vrais modèles du goût sont dans la nature. Plus nous nous éloignons du maître, plus nos tableaux sont défigurés.
Rousseau, Émile, IV.
11 Imitation. On donne particulièrement le nom d'arts d'imitation à la peinture et à la sculpture; les autres arts, comme la musique, la poésie, n'imitent pas la nature directement, quoique leur but soit de frapper l'imagination (…)
E. Delacroix, Journal, 25 janv. 1857.
12 Nous avons cru d'abord que son but (de l'art) est d'imiter l'apparence sensible. Puis, séparant l'imitation matérielle de l'imitation intelligente, nous avons trouvé que, ce qu'il veut reproduire dans l'apparence sensible, ce sont les rapports des parties.
Taine, Philosophie de l'art, I, I, V.
♦ Vx. Œuvre imitée de la nature.
13 (…) je veux qu'il (Émile) n'ait d'autre maître que la nature, ni d'autre modèle que les objets. Je veux qu'il ait sous les yeux l'original même et non pas le papier qui le représente, qu'il crayonne une maison sur une maison, un arbre sur un arbre, un homme sur un homme, afin qu'il s'accoutume à bien observer les corps et leurs apparences, et non pas à prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations.
Rousseau, Émile, II.
REM. Dans cet emploi, les textes classiques, qui se réfèrent souvent aux concepts aristotéliciens, prennent la notion dans une valeur plus active : l'art produit des signes comme la nature produit les objets auxquels ces signes renvoient. → Mimesis.
4 (1549, du Bellay). a Action, fait de prendre l'œuvre d'un autre pour modèle, de s'en inspirer plus ou moins étroitement. || L'imitation des grands œuvres du passé. || L'imitation des grands maîtres, des anciens (cit. 15). → Fanatisme, cit. 9. — Imitation plaisante du style, de la manière d'un auteur. ⇒ Pastiche. || Le pastiche (cit. 3), c'est l'imitation étroite et servile. || Imitation d'un thème, d'une idée. ⇒ Emprunt. || Imitation des tours oratoires (→ Harmonie, cit. 23). — (Sans compl.). || L'imitation et l'invention. || L'imitation est une assimilation (cit. 5), une imprégnation (→ Assimiler, cit. 6). || Banalité (cit. 8) de forme acquise par imitation. — Imitation plate, servile.
14 Se compose (se mette) donc celui qui voudra enrichir sa langue à l'imitation des meilleurs auteurs grecs et latins (…) Tout ainsi que ce fut le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus utile de bien imiter, même à (surtout) ceux dont la langue n'est encore bien copieuse et riche. Mais entende celui qui voudra imiter, que ce n'est chose facile que de bien suivre les vertus d'un bon auteur, et quasi comme se transformer en lui (…)
Du Bellay, Défense et illustration de la langue franç., I, VIII.
15 Mon imitation n'est point un esclavage :Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois,Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois.
La Fontaine, Pièces diverses, IV, l'Académie, À Mgr l'évêque de Soissons.
16 Raphaël, le plus grand des peintres, a été le plus appliqué à imiter : imitation de son maître (…) imitation de l'antique et des maîtres qui l'avaient précédé (…) — et enfin de ses contemporains tels que l'Allemand Albert Dürer, le Titien, Michel-Ange, etc.
E. Delacroix, Journal, 1er mars 1859.
17 L'imitation consiste à transporter et à exploiter dans son propre style les images, les idées ou les expressions d'un autre style.
Antoine Albalat, la Formation du style, II, p. 28.
18 Les conditions matérielles (d'une culture originale) étant rassemblées, à quel genre d'exercice convient-il de se livrer ? Je réponds sans une ombre d'incertitude : à l'imitation. Je dis bien à l'imitation des grands esprits et des chefs-d'œuvre éprouvés. L'imitation est jusqu'à nouvel ordre la seule école de l'originalité.
G. Duhamel, Défense des lettres, p. 210.
b (1690, Furetière). || Une, des imitations : œuvre qui est le produit d'une imitation; (et, spécialt, péj.), œuvre sans originalité imitée d'un modèle. — Une imitation étroite, servile, plate. ⇒ Calque, contre-épreuve (fig.), copie (II., 1.), décalquage, démarquage, plagiat, reproduction. || Imitation frauduleuse, inavouée, portant atteinte aux droits de l'auteur. ⇒ Contrefaçon, 1. faux. || Ce personnage n'est qu'une pâle imitation de Don Quichotte, de Hamlet.
19 Les deux peintres virent dans ces toiles une servile imitation des paysages hollandais, des intérieurs de Metzu, et dans la quatrième une copie de la Leçon d'anatomie de Rembrandt.
Balzac, Pierre Grassou, Pl., t. VI, p. 120.
♦ (Sans valeur péjorative). || « Cet ouvrage est une imitation de l'anglais, de l'allemand » (Littré), est l'imitation d'un ouvrage anglais, allemand (⇒ Adaptation).
5 (1845). Reproduction artificielle (d'un objet, d'une matière…); l'objet imité d'un autre. ⇒ Copie, reproduction. || « On croirait que ces fleurs sont naturelles, tant l'imitation en est parfaite » (Académie). || Imitation du marbre, de la pierre, par le staff. || L'original et ses imitations. — Fabriquer des imitations de meubles anciens.
♦ Par appos. || Une reliure imitation cuir (⇒ Fantaisie). || Une veste imitation vison.
♦ (XXe). || En imitation : en matière imitée. || Bijoux en imitation. ⇒ Simili, toc. || Peigne en imitation d'écaille (→ Envie, cit. 27). Appos. || Manteau en imitation fourrure. — Style imité. || Tapis en imitation de Perse.
20 Au bout de ce salon se trouvait un magnifique cabinet meublé de tables et d'armoires en imitation de Boule.
Balzac, la Cousine Bette, Pl., t. VI, p. 235.
21 (…) le geste qu'il a eu de ramener sur le cou de la femme une cravate en imitation de renard, dont un bout pendait sur l'épaule.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, VI, p. 100.
6 (En parlant de choses abstraites). ⇒ Image, reflet. || Le succès, imitation frelatée (cit. 5) de la gloire.
7 a (1721, Trévoux). Mus. Répétition par une partie d'un motif, d'un thème musical énoncé par une autre partie. || Imitation régulière, canonique, contrainte, où le motif reparaît strictement identique. || Imitation libre, irrégulière, où le motif musical est reproduit sous une forme altérée (par transposition, harmonisation, variation rythmique). || Imitation par mouvement semblable, contraire, rétrograde (en écrevisse). || Formes musicales procédant par imitations. ⇒ 2. Canon, fugue.
22 L'imitation proprement dite consiste dans le fait musical d'une partie quelconque reproduisant plus ou moins fidèlement le dessin mélodique qu'une autre partie a énoncé précédemment. Quand cette reproduction est absolument exacte (…) l'imitation est dite régulière (…) Il n'est pas difficile de combiner ainsi des imitations régulières à trois ou quatre parties.
Lavignac, la Musique et les Musiciens, p. 290-292.
b Rhét. Figure de construction qui consiste à altérer l'ordre normal des mots par imitation d'une phrase voisine (⇒ Attraction).
8 Sc. Simulation (d'un processus, d'un phénomène). || « L'imitation du vivant par l'inorganisé (en chimie) » (Bergson).
B ☑ Loc. prép. (1549, du Bellay). À l'imitation de… ⇒ Façon (à la façon, en façon de…), modèle (sur le). → Aveugle, cit. 2; gazette, cit. 2. || Faire quelque chose à l'imitation d'une autre. || Dessin à l'imitation d'un antique (cit. 10). || Épître (cit. 3) à l'imitation de l'élégie, imitant une élégie. — Agir à l'imitation de quelqu'un. ⇒ Exemple (à l'), instar (à l'); manière (à la manière de). → Cercle, cit. 0.1; étendre, cit. 14.
23 Peut-être, à l'imitation du divin, mon amour pour ma cousine s'accommodait-il par trop facilement de l'absence.
Gide, Si le grain ne meurt, I, VIII, p. 215.
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CONTR. Création, originalité. — Authenticité. — Originalité.
Encyclopédie Universelle. 2012.