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LINGUISTIQUE
LINGUISTIQUE

NUL DOUTE que, depuis 1950 environ, nous n’assistions à une véritable explosion scientifique de la linguistique. Discipline noble certes, auparavant, mais que rien ne distinguait dans la masse des autres sciences humaines ou sociales. Elle pesait moins sur la culture que d’autres sciences jeunes ou moins jeunes telles que la psychologie, la sociologie ou l’histoire, chez lesquelles elle essayait de trouver des modèles explicatifs pour les faits qu’elle étudiait. Sur le plan universitaire, même outre-Atlantique, elle ne disposait que d’un petit nombre de chaires – ce qui est un instrument de mesure significatif –, moins que l’ethnologie par exemple.

Ce n’est en fait qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle qu’on a vraiment considéré que l’«évolution» des langues ne doit rien à une volonté consciente mais procède d’une nécessité qui respecte leur organisation interne. Corrélativement, une différence ne signifie un réel changement que si elle marque une certaine régularité à l’intérieur de la langue. Au XIXe siècle, ces principes ont permis à la linguistique historique de se constituer, à partir des travaux de F. Bopp, A. Schleicher ou J. L. C. Grimm. Cependant, la linguistique telle que Saussure devait la reformuler allait complètement abandonner l’idée, chère à ces théoriciens, d’un déclin des langues sous l’action des lois phonétiques liées à la communication.

À partir de 1940, en Amérique, et de 1950 ailleurs, les linguistes vont naître par milliers – les chaires de linguistique partout, c’est-à-dire à peu près dans chaque université. Le phénomène mériterait d’être étudié dans son détail, mais il semble bien qu’on assiste à la conjonction, et à l’interaction, de deux sortes de causes. D’une part, grâce à quelques founding fathers , Whitney, Saussure, Troubetzkoy, Sapir et Bloomfield, la linguistique parvient à se donner, peut-être pour la première fois dans les sciences humaines, un statut scientifique à peu près cohérent du point de vue épistémologique: elle trouve des critères valides pour définir son objet (qu’est-ce qu’une langue, par rapport à tout ce qui n’en est pas une?) et les limites de son domaine. Elle met au point des concepts (synchronie et diachronie, signe, système, structure, fonction, puis phonème) qui s’articulent selon des principes rigoureux. Ces concepts lui fournissent des méthodes efficaces pour donner une description organique valide et complète du fonctionnement d’une langue, au lieu de la poussière d’observations juxtaposées et d’explications conjecturales qui avaient été longtemps le lot des périodes précédentes qu’on appelle aujourd’hui celles de la linguistique atomisée. Par une conjoncture étonnante, d’autres sciences humaines, en premier lieu l’ethnologie et l’anthropologie, s’aperçoivent de cette mutation brusque et empruntent à la linguistique son appareil conceptuel et méthodologique. L’exemple le plus fructueux de ce rapprochement est celui de Claude Lévi-Strauss qui, à partir de la linguistique structurale, a élaboré des modèles anthropologiques inédits. Dans un tout autre domaine, on a vu Roland Barthes emprunter à la linguistique certains concepts pour fonder sa conception du texte littéraire.

D’autre part, et indépendamment semble-t-il au départ, dans des domaines divers, les besoins à satisfaire deviennent brusquement massifs et réclament justement l’aide que la linguistique pure est relativement préparée à leur apporter. La nécessité de mettre au point pour les soldats américains des méthodes accélérées et réellement efficaces d’apprentissage des langues pendant la Seconde Guerre mondiale, puis l’accélération des contacts internationaux font naître la linguistique appliquée à l’enseignement des langues vivantes. Au même moment, l’invention des calculatrices électroniques, auxquelles il faut trouver des occupations à temps plein, rencontre le problème de l’insuffisance dramatique de la circulation des publications scientifiques, à cause de la barrière des langues: ainsi naissent la traduction automatique et l’automatique documentaire (information retrieval ) qui vont susciter des milliers et des milliers d’emplois, requérant une qualification linguistique et dont sont issues la linguistique appliquée à l’analyse automatique des langues ainsi que la linguistique quantitative. De plus, l’explosion démographique scolaire et les besoins accrus de l’ère industrielle en matière de formation provoquent une remise en cause universelle des principes et des méthodes pédagogiques, y compris dans l’enseignement élémentaire: d’où le besoin de plus en plus manifeste d’études sur les conditions et la nature réelles de l’apprentissage du langage chez l’enfant, sur les perturbations de cet apprentissage, sur les handicaps susceptibles de freiner la formation scolaire, toutes choses qui ont, sinon fait naître, du moins accéléré et fortement orienté la recherche psycholinguistique. Tandis que d’autres problèmes, bilinguisme ou multilinguisme, acculturation des peuples en voie de développement, ou encore difficultés croissantes observées dans la coexistence de classes ou de couches sociales d’une société, faisaient de la sociolinguistique quelque chose d’assez profondément différent de la sociologie du langage qui l’avait précédée dans le temps.

Ce développement foisonnant, s’il atteste la vitalité de la linguistique actuelle, ne va pas sans problèmes. L’un de ceux qui restent majeurs encore aujourd’hui est celui de la formation réelle, approfondie, de linguistes qualifiés pour faire face à toutes ces tâches. Il faut dire qu’à la faveur d’une polysémie commode au départ tous ceux qui s’intéressent à un aspect du langage, et qui s’appelaient autrefois psychologues, sociologues, grammairiens, pédagogues, professeurs de langues vivantes, tendent, à cause de l’urgence, à se baptiser aujourd’hui linguistes, psycholinguistes, sociolinguistes ou ethnolinguistes. Bien des échecs et des insuffisances, dans tous les domaines de la linguistique appliquée, proviennent de cet amateurisme ou de cet autodidactisme, inévitables peut-être à l’heure actuelle, mais très dommageables à terme.

Ce problème est intimement lié à un autre, aussi sérieux: le risque d’ériger les domaines d’application séparés en domaines coupés de la linguistique pure, c’est-à-dire à la fois de négliger la recherche et la formation fondamentales et de restreindre les applications à des recherches technologiques sans perspectives. La crise actuelle de l’enseignement audio-visuel et de l’enseignement programmé, et en fait le piétinement de toute la linguistique appliquée (y compris dans le domaine de la pathologie du langage), provient presque sûrement du fait qu’en ces domaines on sacrifie la formation proprement linguistique des praticiens à leur formation étroitement technique.

Durant la dernière décennie, certains des traits que l’on vient de souligner dans l’évolution de la linguistique générale ou fondamentale se sont précisés ou accusés. L’«explosion démographique» des linguistes, interprétée d’abord comme un développement foisonnant, risque de nous valoir une phase d’éclatement, voire d’émiettement, même de réduction en poussière. Le contraste devient de plus en plus visible avec la période quasi unitaire des années 1925-1960, dominée par les noms des grands linguistes, qui, malgré des différences sensibles de points de vue, partageaient un fonds commun assurant la communication, l’intercompréhension et la comparaison des résultats. Les symptômes de l’émiettement actuel sont l’existence de plus de cent revues de linguistique, dont le simple dépouillement n’est pas une tâche maîtrisable, même avec l’aide des banques de données – tels l’Index signalétique du C.N.R.S. ou le L.L.B.A. (Language and Linguistics Bibliographical Abstracts ). Autre symptôme, aussi parlant: une banque de données anglaise, U.M.I., sort 3 000 titres de thèses de doctorat par mois, la plupart anglo-saxonnes (30 000 sur 36 000 environ par an) et dispose de 700 000 thèses sur ordinateur. Toutes ne concernent pas la linguistique, loin de là, mais le catalogue recense, pour 1980-1982, environ 2 000 thèses dans notre domaine, chiffre qui peut être doublé ou triplé dans la réalité des faits. Un troisième symptôme est le corollaire du précédent: la dégradation de l’intercommunication scientifique entre linguistes. On ne s’entre-lit plus guère, ou plus assez, sauf entre petits groupes trop fermés; on ne discute plus assez d’un groupe à l’autre. Les théories tendent à devenir schizophrènes.

Au-delà de tout pessimisme, il faut insister sur les risques d’une telle situation. Il ne peut exister aujourd’hui de moment zéro pour n’importe quelle théorie. L’histoire d’une discipline, et donc la lecture active des prédécesseurs, doit faire partie de l’épistémologie qu’une linguistique générale digne de ce nom cherche toujours à se donner. Surtout, chacun devrait méditer sur une question qui sous-tend actuellement toutes les mises en cause légitimes des grandes théories totalitaires en sciences sociales: pourquoi donc celles-ci, à la différence des sciences dites exactes, ne possèdent-elles pas, ou plus, ou presque plus, ce caractère cumulatif du savoir qui semble une composante fondamentale de ces dernières? (cf. Jean Molino, «Les Méthodes en linguistique», in Revue philosophique , 1982). Dans le grand balancement historique qui va de la prédominance de l’empirie à celle de la théorie, et vice versa, on peut percevoir, semble-t-il, des signes avant-coureurs. L’article cité de J. Molino en est un. Elman Service en offre un autre, dès 1969: «Depuis longtemps, dit-il, les gens trouvent les sciences sociales bizarres. Les critiques habituelles portent sur la production des théories pour elles-mêmes, le langage abominable, et surtout la vogue éphémère de concepts et de méthodes empruntés à tel ou tel aspect nouvellement à la mode dans les sciences vraies [...]. L’avidité qui préside aux emprunts de concepts nouveaux, la vitesse avec laquelle on les abandonne, et par-dessus tout le fait que ces concepts soient si souvent le fait d’écoles de pensée particulières, avec des maîtres et des disciples [...], tout cela doit inquiéter («Models for the Methodology of Mouthtalks», in Southwestern Journal of Anthropology , vol. XXV). Passmore, de son côté, stigmatise l’«aristoscience», qui s’enferme dans des modèles universels mais hermétiques, et, de plus, indécidables (cf. Scienceand Its Critics , Duckworth, Londres, 1978). Bourdieu dit des choses semblables dans La Distinction (éd. de Minuit, Paris, 1979); Jean-Claude Gardin, dans La Logique du plausible , mérite d’être lu de très près dans cette lumière. Tous rêvent, non d’un retour à l’excès inverse, mais d’un équilibre réaliste et dialectique entre la théorie et les faits; d’un travail lent et patient, difficile – «loin de toutes les lectures hâtives», dit Bourdieu –, qui produirait des constructions bien formées sur des faits vérifiables et des théories décidables. Chose curieuse, et mal aperçue, le courant qui résiste le mieux à ces critiques, et à ces inquiétudes très fondées, reste celui qui va de Sapir et Bloomfield à Hockett et Pike, de Saussure à Troubetzkoy, courant toujours vivant et productif, jusqu’au fonctionnalisme cher à Martinet.

linguistique [ lɛ̃gɥistik ] n. f. et adj.
• 1826; de linguiste
I N. f.
1Vx Étude comparative et historique des langues (grammaire comparée, philologie comparée).
2(fin XIXe) Mod. Science qui a pour objet l'étude du langage, envisagé comme système de signes. « La linguistique a pour unique [...] objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même » (Saussure). dialectologie, étymologie, grammaire, lexicologie, morphologie, onomastique, philologie, phonétique, phonologie, sémantique, stylistique, toponymie. Linguistique historique, descriptive. Linguistique générale : étude des conditions générales de fonctionnement et d'évolution des langues. Linguistique fonctionnelle, structurale, générative, quantitative. Linguistique appliquée : application des théories et analyses linguistiques à la pédagogie des langues, à la traduction, à la lexicographie, etc. ⇒aussi psycholinguistique, sociolinguistique, stylistique. Linguistique romane, sémitique, française..., étudiant une famille de langues, une langue.
II Adj. (1832)
1 Relatif à la linguistique. Études linguistiques. Théories linguistiques. distributionnalisme, génératif (grammaire générative), structuralisme.
2Propre à la langue, envisagé du point de vue de la langue. Fait linguistique. langagier. Expression linguistique. Signe, système, changement linguistique. Communauté, géographie linguistique. Politique linguistique.
3Relatif à l'apprentissage des langues étrangères. Vacances, séjours linguistiques à l'étranger. Bain linguistique.

linguistique nom féminin (de linguiste) Science qui a pour objet l'étude du langage et des langues. ● linguistique adjectif Qui concerne la pratique de la langue considérée comme moyen de communication : Communauté linguistique. Qui concerne l'apprentissage d'une langue étrangère : Séjour linguistique à l'étranger. Qui concerne la linguistique : Théorie linguistique.

linguistique
n. f. et adj.
rI./r n. f. Science du langage. "La linguistique est l'étude scientifique du langage humain" (A. Martinet).
rII./r adj.
d1./d Relatif à la linguistique; envisagé du point de vue de la linguistique.
d2./d Qui concerne la langue, une ou plusieurs langues.
d3./d Qui concerne l'apprentissage des langues. Séjour linguistique.
Encycl. Le langage est le fondement de toute société, et dès l'Antiquité les philosophes grecs, notam. Platon et Aristote, ont entrepris de réfléchir sur la langue. Mais c'est seulement au XVIIe s. que la Grammaire de Port-Royal (1660), due à Arnauld et Lancelot, proposa une théorie du langage; fondée sur le lien entre langue et logique, elle considérait le langage comme une représentation de la pensée: il existerait autant de langues que de manières de penser différentes. Au début du XIXe s. naquit en Europe une nouvelle discipline: la grammaire comparée, qui analysait les différentes langues du monde afin d'en découvrir les origines communes. Le XXe s. s'écarte de cette vision diachronique de la langue pour s'attacher à son analyse synchronique. Le Cours de linguistique générale (1916) de Saussure pose les fondements des théories linguistiques actuelles en élaborant les distinctions entre langage, langue et parole, et entre axe paradigmatique et axe syntagmatique. Il considère les unités constitutives de la langue comme des signes (V. sémiologie). Chaque signe est pourvu d'une fonction dans le système et constitué d'un signifié et d'un signifiant dont le rapport est arbitraire. Trois écoles linguistiques se distinguent peu après.
d1./d Le cercle de Prague, fondé en 1926 autour de Jakobson et Troubetskoï, donne naissance à la phonologie structurale. Considérant que la langue a une fonction de communication, ils en étudient les unités en utilisant la phonétique et la phonologie. Benveniste et Martinet importent ces théories en France.
d2./d L'école structuraliste américaine, autour de Bloomfield et de Sapir, rejette la sémantique au profit de l'étude des comportements associés à l'acte de communication. Bloomfield segmente l'énoncé en unités (constituants immédiats et morphèmes) qui se distribuent. Harris développe cette analyse distributionnelle dans Methods in Structural Linguistics (1951). Chomsky confronte ensuite les travaux de Harris sur la linguistique transformationnelle avec l'analyse de Port-Royal, pour en dégager sa propre théorie de la grammaire générative, distinguant deux niveaux: les structures profondes de la langue et les structures superficielles.
d3./d Le cercle de Copenhague, fondé en 1931 par Hjelmslev, s'inscrit dans la lignée de Saussure en créant la glossématique, "algèbre de la langue". La dichotomie connotation / dénotation qu'il élabore est reprise en France par Barthes. Héritière de Saussure, la linguistique française a subi, à un degré moindre, l'influence de l'école de Prague. Benveniste et Martinet sont les deux vecteurs de ce mouvement. Les Problèmes de linguistique générale (1966-1974) de Benveniste constituent un complément important au Cours de Saussure. Martinet a exposé sa linguistique fonctionnaliste dans éléments de linguistique générale (1960): s'appuyant sur les théories phonologiques pragoises, il élabore la notion de double articulation, segmentant la langue en monèmes et en phonèmes. Si la linguistique peut apparaître comme une science abstraite, ses applications, nombreuses, se rencontrent pourtant dans la vie quotidienne. L'enseignement des langues, la traduction, l'informatique, et la plupart des sciences humaines, notam. la psychanalyse, ont recours à elle. La sociolinguistique, et notam. l' aménagement linguistique, connaissent un développement récent; ainsi dans les pays ayant récemment obtenu leur indépendance, l'analyse du plurilinguisme permet de proposer une langue commune, de normaliser le vocabulaire et ses modes de formation, etc., dans un souci d' intercompréhension. L'aménagement linguistique, tout en restant une question politique relevant de la compétence des états, repose donc également sur des principes éthiques.

⇒LINGUISTIQUE, subst. fém. et adj.
I. — Subst. fém.
A. — Vieilli. Étude historique et comparative des langues. Tous ceux qui s'occupent de linguistique aujourd'hui, savent que les prétendues différences infranchissables qu'on avait voulu établir entre les langues qu'on appelle sémitiques et celles qu'on dérive du sanscrit n'existent pas à une certaine profondeur (P. LEROUX, Humanité, t. 2, 1840, p. 637). La linguistique, (...) cette science toute récente et si digne d'intérêt, dont l'objet est de mettre en relief les affinités naturelles et les liens de parenté des idiomes (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 252).
Linguistique historique; linguistique comparative. L'étude des langues au XIXe siècle a été marquée par la prise de conscience nette de leur évolution, et par l'essor de la linguistique historique et comparative (PERROT, Ling., 1953, p. 105).
B. — Science qui a pour objet l'étude du langage, des langues envisagées comme systèmes sous leurs aspects phonologiques, syntaxiques, lexicaux et sémantiques. Manuel, traité de linguistique; linguistique descriptive, théorique. La linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même (SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 317). La linguistique est habituellement définie comme l'étude scientifique du langage; en ce sens, on peut l'opposer à la grammaire et à la philologie dont les préoccupations sont autres : souci normatif (...), souci comparatif (Lang. 1973) :
La linguistique est l'étude scientifique du langage humain. Une étude est dite scientifique lorsqu'elle se fonde sur l'observation des faits et s'abstient de proposer un choix parmi ces faits au nom de certains principes esthétiques ou moraux. « Scientifique » s'oppose donc à « prescriptif ». Dans le cas de la linguistique, il est particulièrement important d'insister sur le caractère scientifique et non prescriptif de l'étude : l'objet de cette science étant une activité humaine, la tentation est grande de quitter le domaine de l'observation impartiale pour recommander un certain comportement, de ne plus noter ce qu'on dit réellement, mais d'édicter ce qu'il faut dire.
MARTINET 1967, p. 6.
Linguistique générale. Science tentant de dégager la synthèse des études faites sur les différentes langues, de déterminer les conditions générales de fonctionnement des langues et du langage. La linguistique générale considère, d'une part, que les langues sont conventionnelles, d'autre part, qu'elles sont soumises aux conditions naturelles des phénomènes humains (LEIF 1974).
[Constr. avec un adj. spécifiant la méthode ou la théorie] Linguistique diachronique, distributionnelle, fonctionnelle, générative, quantitative, structurale, synchronique, transformationnelle.
[Constr. avec un adj. spécifiant l'auteur ou l'origine de ces méthodes ou théories] Linguistique chomskyenne, saussurienne; linguistique anglo-saxonne, européenne. La linguistique proprement américaine a pris son caractère original du fait qu'elle s'est constituée dans une situation et avec des problèmes tout autres que ceux de l'Europe (...). Aux États-Unis la linguistique se développe souvent dans le cadre de la psychologie, et elle y est (...) considérée comme constituant une partie de la sociologie et de la psychologie (B. MALMBERG, Les Nouvelles tendances de la ling., trad. par J. Gengoux, Paris, P.U.F., 1968, pp. 235-236). La diversité méthodologique, la variété aussi bien des approches que des thèmes traités caractérisent la linguistique soviétique actuelle (R. L'HERMITTE, La Ling. soviétique ds Langages. Paris, sept. 1969, n° 15, p. 12).
[Constr. avec un adj. spécifiant la langue ou le groupe de langues étudié] Linguistique allemande, anglaise, espagnole; linguistique romane, slave. Cet ouvrage a été conçu comme un exposé élémentaire, mais systématique et progressif, de la grammaire du français (...) qu'on ne voie donc dans ce livre qu'une simple introduction à la linguistique française (J. DUBOIS, F. DUBOIS-CHARIER, Élém. de ling. fr. : syntaxe, Paris, Larousse, 1970, p. 5).
[Constr. avec un adj. ou un élém. formant spécifiant le domaine d'application] Ethnolinguistique, psycholinguistique, sociolinguistique. « Langue et culture », « linguistique anthropologique », « sociolinguistique », « langue, pensée et réalité », sont autant de formulations exprimant les relations entre les langues et les cultures, au sens le plus large du terme. L'ethnolinguistique sera l'étude du message linguistique en liaison avec l'ensemble des circonstances de la communication (POTTIER, Le Domaine de l'ethnolinguistique ds Langages. Paris, juin 1970, n° 18, p. 3).
Linguistique appliquée. Application des théories, des descriptions, des analyses linguistiques à la pédagogie des langues, à la traduction, aux techniques de communication. Vue dans le cadre d'une opposition à la linguistique tout court, la linguistique appliquée apparaît comme l'utilisation des découvertes de la première pour améliorer les conditions de la communication linguistique (La Ling. : guide alphabétique, Paris, Denoël, 1969, p. 210).
II. — Adjectif
A. — Relatif à la linguistique. Étude, modèle, théorie linguistique. La vaste étendue des recherches linguistiques concerne : — les relations entre signifiant et signifié; — le système des structures de la langue et leurs types de relations; — l'évolution de la langue; — les lignes de parenté des langues et les structures fondamentales communes ou voisines (COUDRAY 1973).
B. — Relatif, propre à la langue; envisagé du point de vue de la langue. Communauté linguistique; aire, frontière linguistique; communication, message linguistique; fait, phénomène, procédé, signe, système linguistique; changement, évolution linguistique; politique linguistique; aménagement, planification linguistique. Toute nouveauté verbale n'acquiert que lentement et souvent après de très longues années sa place définitive dans les habitudes linguistiques (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p. 115). Par sa nouveauté, une image poétique met en branle toute l'activité linguistique. L'image poétique nous met à l'origine de l'être parlant (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 7).
C. — Qui a pour objet l'apprentissage d'une langue étrangère. Vacances linguistiques à l'étranger. Bain linguistique (appellation déposée) grâce à des séjours internationaux linguistiques et culturels (L'Université syndicaliste, Publicité, 20 janv. 1971 ds GILB. Mots contemp. 1980). Séjours linguistiques en Allemagne et en Angleterre pour se perfectionner dans une langue étrangère, connaître le pays (L'Université syndicaliste, 20 janv. 1971, ds GILB. Mots contemp. 1980).
REM. Linguistiquement, adv. a) Du point de vue de la langue, sous le rapport du langage. Pays linguistiquement unifié. Brest appartient linguistiquement au breton (SAUSSURE, Ling. gén., 1916, p. 269). La mécanique de l'État moderne (...) retient et triture l'individu, (...) le façonne linguistiquement par l'école obligatoire, par le service militaire obligatoire, par les innombrables rapports obligatoires avec une administration qui se mêle de tout ce qui ne parle et n'entend que la langue officielle (L. FEBVRE, Combats pour hist., Conquête du Midi par la lang. fr., 1924, p. 178). b) Au point de vue de l'analyse linguistique. Une déclinaison n'est ni une liste de formes ni une série d'abstractions logiques, mais une combinaison de ces deux choses (...) : formes et fonctions sont solidaires, et il est difficile, pour ne pas dire impossible, de les séparer. Linguistiquement, la morphologie n'a pas d'objet réel et autonome; elle ne peut constituer une discipline distincte de la syntaxe (SAUSSURE, Ling. gén., 1916p. 186). En partic. Du point de vue de la structure de la langue, telle qu'elle est dégagée par l'analyse linguistique. Oppositions linguistiquement pertinentes. Dans l'étude même des faits linguistiques, ce que nous avons les moyens de distinguer, c'est non pas la langue de la parole, mais les faits linguistiquement pertinents, par référence à une fonction donnée dans l'élaboration du message (...) et les faits non pertinents, c'est-à-dire tout ce qui ne change pas la relation des signes entre eux (F. FRANÇOIS ds Langage, 1968, p. 178).
Prononc. et Orth. : [] et, marginalement, [-gwi-], [-gi-]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1826 subst. (ADRIEN BALBI, Introd. à l'Atlas ethnographique du globe, Paris, p. IX : Cette science nouvelle, que les Allemands, par une dénomination plus juste et beaucoup plus convenable, appellent linguistique); 1832 adj. (RAYMOND). Soit empr. à l'all. Linguistik, de même sens, cf. citat. supra, attesté dès le XVIIIe s. d'apr. Lar. Lang. fr.; soit dér. de linguiste; suff. -ique. Fréq. abs. littér. : 122. Bbg. ANTOINE (G.). La Gramm. et la ling. vues à travers les dict. all., angl. et fr. du XIXe s. In : [Mél. Wandruszka (M.)]. Tübingen, 1971, pp. 371-383. - BALLY (Ch.). Ling. gén. et ling. fr. Berne, 1965, 440 p. - BENVENISTE (É.). Probl. de ling. gén. Paris, 1976; 2. 1980, 286 p. - JAKOBSON (R.). Essais de ling. gén. 1. Paris, 1980, 260 p. - Le Langage. Sous la dir. de A. Martinet. Paris, 1968, 527 p. - LEPSCHY (G.). La Linguistique structurale. Paris, 1968, 243 p. - LEROY (M.). Les Grands courants de la ling. mod. Bruxelles, 1980, 208 p. - Linguistique. Sous la dir. de F. François. Paris, 1980, 560 p. - LYONS (J.). Linguistique générale. Paris, 1970, 384 p. - MAHMOUDIAN (M.). La Linguistique. Paris, 1982, 239 p. - MARTINET (A.). Élém. de ling. gén. Paris, 1980, 221 p.; La Ling. synchr. Paris, 1965, 248 p. - MEILLET (A.). Ling. historique et ling. gén. Paris, 1. 1958; 2. 1962. - MOUNIN (G.). Clefs pour la ling. Paris, 1968, 192 p. - NIQUE (Ch.). Notes et réf. pour une approche des ouvrages de ling. Fr. auj. 1972, n° 19, p. 58. - PERROT (J.). La Linguistique. Paris, 1965, 136 p. - POTTIER (B.). Linguistique générale. Paris, 1974, 339 p.

linguistique [lɛ̃gɥistik] n. f. et adj.
ÉTYM. 1826 (→ cit. 0.1); puis 1832, Dict. de Raymond; Nodier, Introduction aux notions élémentaires de linguistique, in le Temps 13 sept. 1833; « traité sur l'étude des langues », Landais, 1824; concurrencé par philologie et d'autres termes au XIXe; dér. sav. du lat. lingua « langue », ou de linguiste, d'après l'all. Linguistik.
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I N. f.
1 Vx. « Étude comparative et historique des langues (grammaire comparée, philologie comparée). Étude des principes et des rapports des langues, science de la grammaire générale appliquée aux divers langues » (Académie, 6e éd., 1835; idem in 8e éd., 1935). → Grammaire comparée.
0.1 Il était réservé à cette époque unique dans les annales du Monde, où l'esprit humain paraît s'avancer à grands pas vers le point le plus élevé de son développement (…) de voir l'étude des langues, sous le nom de philologie ethnographique, jouer le rôle important qui lui était dû par la multiplicité des faits nouveaux qu'elle a rassemblés et par la foule d'utiles applications qu'elle en a su faire. Cette science nouvelle, que les Allemands, par une dénomination plus juste et beaucoup plus convenable, appellent linguistique, et qu'un célèbre géographe et savant philologue propose d'appeler idiomographie (…) est partagée en deux parties essentiellement distinctes, savoir : l'étude pratique des langues et leur étude comparative; elles offrent toutes les deux à ceux qui les cultivent convenablement des résultats de la plus grande utilité et de la plus haute importance.
A. Balbi, Discours préliminaire, Introd. à l'Atlas ethnographique du globe, t. I, p. IX.
1 La linguistique étudie les langues, elle compare les mots et les formes de langues différentes de façon à reconnaître la langue commune d'où elles sont dérivées.
Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation franç., I.
REM. Dans cet emploi, le mot est en concurrence avec grammaire (dans grammaire historique, comparée), avec philologie, avec glottologie, avec science(s) du langage, etc. Il s'impose surtout dans des syntagmes comme linguistique romane (→ Étymologique, cit. 1), etc., désignant l'étude d'une famille, d'un groupe de langue, ou d'une langue.
1.1 Nous l'entendons appeler (cette nouvelle science) la Philologie comparée, l'Étymologie scientifique, la Phonologie et la Glossologie. En France, elle est connue sous le nom commode mais un peu barbare de Linguistique.
G. Harris et G. Perrot, Trad. Max Muller, la Science du langage, p. 4 (1862).
1.2 (M. Hase) avait depuis longtemps marqué sa place à leurs côtés (de Heyne, Villoison) quand les premiers résultats de la linguistique arrivèrent à sa connaissance. Mais il ne conçut pas contre la science nouvelle les sentiments de défiance ou de dédain qui se sont fait jour chez quelques philologues étrangers (…) il suivit avec attention les progrès de la grammaire comparée. Lorsque, en 1852, il fut chargé de cet enseignement (au Collège de France), il y apporta sa connaissance profonde des idiomes classiques.
Michel Bréal, De la méthode comparative (1864), in Mythologie et Linguistique, p. 218.
2 (Fin XIXe; le concept moderne est issu de l'américain Whitney, des néo-grammairiens, et surtout de F. de Saussure; le mot, chez les linguistes français qui l'emploient — Hovelacque, Bréal, etc. — passe du sens 1 à un sens différent, précisé par Saussure; dès 1839, Töpffer — un autre Suisse — emploie linguistique [Voyages en zigzag, p. 77 de l'éd. autographiée], dans un sens quasi moderne).
2 L'idée fondamentale de ce cours : la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même.
F. de Saussure, Cours de linguistique générale, V, V (fin).
3 Il n'y a pas encore bien longtemps, la linguistique aurait cru déroger en avouant qu'elle pouvait servir à quelque objet pratique. Elle existait, prétendait-elle, pour elle-même, et ne se souciait pas (…) du profit que le commun des hommes en pourrait tirer (…) La linguistique parle à l'homme de lui-même : elle lui montre comment il a construit, comment il a perfectionné, à travers des obstacles de toute nature (…) le plus nécessaire instrument de civilisation. Il lui appartient de dire aussi par quels moyens cet outil qui nous est confié et dont nous sommes responsables, se conserve ou s'altère (…)
Michel Bréal, Essai de sémantique, p. 2.
La linguistique (non qualifié) : l'ensemble des études à tendances scientifiques concernant le langage, et, spécialt, la langue en tant que système. || Domaines essentiels de la linguistique. Grammaire, morphologie, syntaxe (et morphosyntaxe); phonétique, phonologie; lexicologie (et onomastique, toponymie). || Linguistique et sémantique. Sémantique. || Rapports de la sémiotique, de la sémiologie et de la linguistique.
(Qualifié par un adj. ou un compl.). || Linguistique générale, étudiant la structure et le fonctionnement de toutes les langues naturelles, en général ( Universaux [du langage]). || Cours de linguistique générale, de F. de Saussure (publié par ses élèves).Linguistique indo-européenne, finno-ougrienne, sémitique, chinoise, etc. (étudiant chacune une grande famille de langue). || Linguistique romane, slave; linguistique française, anglaise, chinoise, qui étudient ces langues. || Linguistique générale et linguistique française, ouvrage de Ch. Bally. || La linguistique française, américaine, soviétique, pratiquée en France, en Amérique du Nord, en Union Soviétique.Linguistique synchronique et linguistique diachronique.|| « Linguistique de la langue et linguistique de la parole » (Saussure, Cours…, Introd., chap. IV). || « Linguistique statique et linguistique évolutive » (Saussure, Cours…, II, chap. III).Écoles de linguistique. || Linguistique fonctionnelle ( Fonctionnalisme). || Linguistique distributionnelle ( Distributionnalisme). || Linguistique générative-transformationnelle (grammaire générative).La linguistique saussurienne, chomskyenne (de Chomsky). || Linguistique sémantique danoise. Glossématique.Linguistique quantitative, étudiant les propriétés quantitatives des langues. || Linguistique statistique.Linguistique historique. Étymologie, histoire (de la langue). || Linguistique géographique ( aussi Dialectologie).Linguistique pure, théorique.Linguistique appliquée (par oppos. à linguistique théorique) : ensemble des domaines pratiques dont les langues sont l'objet : pédagogie des langues, traduction, traduction automatique, lexicographie, politique des langues, etc.Linguistique sociologique, psychologique, etc. aussi Neurolinguistique, psycholinguistique, sociolinguistique.
3.1 (…) chaque langue forme pratiquement une unité d'étude, et l'on est amené par la force des choses à la considérer tour à tour statiquement et historiquement. Malgré tout il ne faut jamais oublier qu'en théorie cette unité est superficielle, tandis que la disparité des idiomes cache une unité profonde (…) il faut à tout prix situer chaque fait dans sa sphère et ne pas confondre les méthodes.
Les deux parties de la linguistique, ainsi délimitées, feront successivement l'objet de notre étude.
La linguistique synchronique s'occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistants et formant système, tels qu'ils sont aperçus par la même conscience collective.
La linguistique diachronique étudiera au contraire les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux.
F. de Saussure, Cours de linguistique générale, p. 140.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
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II Adj. (Attesté 1832; probablt antérieur).
1 Relatif au langage ou à la langue; qui concerne la langue. || Fait linguistique, ou fait de langue. Langagier. || Les réalités linguistiques et sociales. || Expression linguistique orale et écrite. || Le signe linguistique, la valeur linguistique chez Saussure.Famille, communauté linguistique. || Géographie, atlas linguistique, décrivant les variantes linguistiques ( Dialectal) d'un lieu à un autre.Problèmes linguistiques d'une communauté. || La querelle, la « guerre » linguistique en Belgique. || Normalisation, aménagement, planification linguistique.
3.2 La société se livre à d'admirables jeux de langage; on exhume toutes les curiosités linguistiques.
Rodolphe Töpffer, Voyages en zigzag, Second voyage, 1839, p. 58.
4 Une délimitation claire de ces deux domaines (langue et style) conditionne avant tout la saine interprétation des faits linguistiques (…)
Robert-Léon Wagner, Introd. à la linguistique franç., p. 41.
2 Relatif à la linguistique, à l'étude du langage et des langues. || Recherches linguistiques. || La notion linguistique de genre (cit. 25). || Théories linguistiques.
3 Relatif à l'apprentissage des langues étrangères. || Séjours, vacances linguistiques.Bain linguistique (appellation déposée) : « immersion » dans un milieu parlant exclusivement la langue à apprendre.
DÉR. Linguistiquement.

Encyclopédie Universelle. 2012.