MÉLANCOLIE
La mélancolie, avant de se trouver réduite à la psychose maniaco-dépressive de la psychiatrie classique, a recouvert de nombreuses manifestations symptomatologiques, dont l’éventail, depuis Hippocrate, s’étend de la notion de folie passagère à l’installation de la tristesse la plus pernicieuse. De 猪﨎凞見﨟 (noir) et 﨑礼凞兀 (bile), elle constitue l’une des quatre humeurs de la physiologie grecque du IVe siècle avant J.-C., avec le sang, la lymphe et la bile jaune; et c’est le déséquilibre provoqué par l’accumulation de «substances noires» néfastes qui amène anxiété, tristesse et même frénésie. «Si crainte et tristesse durent longtemps, un tel état est mélancolique», lit-on dans les Aphorismes d’Hippocrate. L’étude complète de la mélancolie, en tant que manifestation essentielle des fluctuations de la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, a été excellemment traitée par J. Pigeaud.
Ce qui, de cette tradition grecque, présente de nos jours un intérêt clinique bien au-delà des périodes du Moyen Âge et de la Renaissance qu’elle a dominées entièrement, c’est non seulement la finesse des analyses portant sur la succession d’épisodes à la fois dépressifs et maniaques chez un même sujet – déjà signalé par Arétée de Cappadoce – mais encore la pertinence d’observations que l’on tend actuellement à négliger, à force peut-être de les avoir écartées par une classification réductrice: l’aura de «génialité» qui accompagne généralement le sujet mélancolique et le débordement d’humeur qui le submerge. La «génialité», sur laquelle insistent les péripatéticiens, toucherait au mécanisme de la mélancolie et le débordement d’humeur au caractère des procédés thérapeutiques, si toutefois on s’accorde à bien vouloir considérer, sous le terme de mélancolie, la variété des manifestations dépressives qui vont de la dépression réactionnelle passagère à la psychose grave selon la terminologie moderne.
Dans cette voie, on adoptera donc la définition des recherches freudiennes, pour lesquelles la mélancolie, en 1917, se présente sous des formes cliniques diverses, dont il n’est pas certain qu’on puisse les rassembler en une unité, et parmi lesquelles certaines font penser plutôt à des affections somatiques qu’à des affections psychogènes. Relevons déjà l’intérêt de cette extension du concept: la question de la génialité mélancolique nous mènera à celle de la spécificité de ses productions, et la question du débordement d’humeur à celle des effets nuisibles d’une présence étrangère dans le corps du sujet. Il restera, bien entendu, à rendre compte d’une structure, si structure il y a pour la mélancolie, en deçà même de la psychose, à laquelle on s’empresse de la rattacher, dans la mesure où ce qu’elle exprime, à travers des constructions symboliques fort bien élaborées, renverrait plutôt à l’illusion spéculaire, à laquelle le sujet mélancolique ne s’est jamais identifié.
La persistance de la théorie des révulsions
«Pourquoi, s’interrogent les péripatéticiens au livre XXX des Problèmes attribués à Aristote, tous les hommes qui ont particulièrement brillé en philosophie, en politique, en poésie ou dans les arts sont-ils mélancoliques? Et certains d’entre eux à tel point qu’ils ont souffert des troubles provenant de la bile noire, ainsi qu’on le dit d’Héraklès parmi les héros?» Si les écrits hippocratiques attribuent clairement à la mélancolie une étiologie somatique et humorale par excès ou corruption d’humeur, réchauffement ou refroidissement de l’organisme, les disciples d’Aristote entrevoient déjà la possibilité d’une origine double, à la fois de l’âme et du corps, dans cette prédisposition des génies à cette maladie. Dans les deux cas, il va s’agir, du point de vue thérapeutique, de faire sortir cette humeur viciée, de la rappeler à l’extérieur du corps afin d’alléger le cerveau qu’elle avait envahi de ses vapeurs.
Si le recours à la volonté et à la conduite raisonnable du malade reste inopérant, on va donc employer des moyens pharmaceutiques et physiques destinés à purger le patient de ses excédents humoraux, soit à l’aide de révulsifs médicamenteux, soit grâce à des exercices corporels appelés au même effet. C’est ainsi qu’on peut suivre, dans l’Histoire du traitement de la mélancolie des origines à 1900 de J. Starobinski, toute la gamme des remèdes administrés aux malades qui, jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle avec Anne-Charles Lorry, tiennent aussi bien des qualités intrinsèques de la potion que d’une tradition magique encore puissante. Ce sont des préparations qui, laissées à l’initiative du prescripteur et de la tradition, tendent toutes à redonner aux malades leur dynamisme en cherchant à les alléger du poids des liquides conservés en trop grande profusion. La croyance aux bienfaits des révulsifs pour soulager les mélancoliques, selon J. Starobinski, a continué alors même qu’on semblait avoir définitivement révoqué la théorie humorale, ainsi que le confirme, par exemple, l’usage encore récent des sangsues. Calmeil, disciple d’Esquirol, ne se privait pas de marquer son attachement à la théorie des révulsions et à en faire dépendre le rétablissement de la raison. Pour se rendre compte de la variété infinie des causes et des remèdes de la mélancolie, le célèbre ouvrage baroque de R. Burton, publié en 1621, en fournit un inventaire des plus complets, si l’on ne se perd dans l’encyclopédisme impressionnant de sa pensée.
Il a fallu attendre le XVIIIe siècle, pour voir se distinguer, avec Anne-Charles Lorry, deux moments de la pensée psychiatrique à propos de l’étiologie mélancolique. Celle-ci, suivant une nouvelle conception inspirée de la théorie de l’irritabilité de Albrecht von Haller, se situerait au niveau des fibres du système nerveux, lesquelles, contractées une première fois en un spasme excessif, subiraient en un second moment une sorte d’atonie, de langueur; ce mécanisme simple expliquerait alors les alternances de paroxysmes et de défaillances. Les deux théories de la mélancolie, humorale et nerveuse, se côtoieront pendant quelque temps jusqu’à celle de P. Pinel, qui fait dériver la mélancolie d’un faux jugement que le malade porte sur l’état de son corps.
Arétée de Cappadoce ayant déjà exprimé cette opinion de l’idée fixe, les auteurs du début du XIXe, afin de se détacher tout à fait de la tradition des humeurs, bannirent de leur vocabulaire jusqu’au mot même de mélancolie, qu’ils remplacèrent par «monomanie triste» ou «lypémanie». Le vocable de mélancolie fut donc laissé aux philosophes et aux poètes, ce qui explique peut-être la suspicion qu’il suscite encore de nos jours dans la psychiatrie, relativement à la diversité des formes pathogéniques qu’il désigne et que la science moderne a réduites le plus souvent à la forme unique de la psychose maniaco-dépressive.
C’est en effet à E. Kraepelin que l’on doit la description complète de cette évolution mentale caractéristique, déjà qualifiée par J.-P. Falret en 1854 de «folie circulaire» et par J. G. F. Baillarger de «folie à double forme». Au XVIIIe et au XIXe siècle, afin d’opposer aux symptômes cycliques ou intermittents leurs correspondants contraires comportementaux, on recourt encore à toutes sortes d’expédients destinés soit à renforcer la fixité des idées du malade afin de l’en faire sortir par une logique de l’absurde, soit à combattre celle-ci par des modalités d’intervention plus brutales. Il est à noter, d’ailleurs, que, en dépit d’une précision plus grande dans la description des symptômes de la mélancolie, les moyens thérapeutiques se réclamaient encore du bien-fondé de la révulsion, promue cette fois à l’ordre moral, dans la mesure où il semblait avant tout nécessaire de faire disparaître les idées fixes qui obsédaient l’esprit du malade.
Un peu plus tard, en 1920, Bleuler admettait l’incapacité dans laquelle se trouvait la psychiatrie d’élaborer un véritable diagnostic de la psychose maniaco-dépressive, sinon négativement, par rapport aux autres maladies mentales: «Si le malade ne se souvient pas ou bien s’il s’agit d’une première crise, l’aliénation maniaque-dépressive ne peut être diagnostiquée que par l’exclusion des autres maladies. Il n’y a pas de règne spécifique des psychoses affectives, tout ce qui se produit dans l’aliénation maniaque-dépressive peut aussi être observé dans d’autres maladies.» Et il termine ainsi, dans son Traité de psychiatrie , le chapitre sur la mélancolie: «Derrière des expressions courantes: disposition de l’esprit, épuisement, excitation, sécrétion interne, se cachent, dans l’aliénation maniaque-dépressive, peu ou rien de concret, ou bien, au contraire, un ensemble cohérent très intelligible.» Bleuler laisse donc délibérément non résolue cette question nosographique, réservant ainsi à la mélancolie un domaine de recherche encore inexploré. Or c’est Freud qui, parallèlement et dès 1893, va rendre compte de l’étiologie problématique de la mélancolie par la mise à jour d’un mécanisme économique d’abord et d’un processus dynamique ensuite, sans pour autant faire intervenir la nécessité d’une classification rigoureuse sous laquelle la ranger.
Psychanalyse et philosophie
Freud classe la mélancolie, en 1896, parmi les psychonévroses de défense et plus précisément les névroses narcissiques. Liée à la série des névroses d’angoisse, particulièrement à la dépression périodique, elle se rattache au troisième mode de transformation de l’énergie non liquidée, celui de la transformation de l’affect; mais, alors que la névrose d’angoisse provient d’une accumulation de tension sexuelle physique, la mélancolie provient d’une accumulation de tension sexuelle psychique, ce qui détermine chez les sujets qui en sont atteints une grande tension érotique psychique (psychische Liebespannung ). C’est en rapport avec celle-ci, comprise à la fois comme symptôme et comme mécanisme, que Freud a comparé la mélancolie à une sorte d’«hémorragie interne» (innere Verblutung ) en vertu de laquelle «l’excitation sexuelle entièrement pompée s’écoulerait comme par un trou situé dans le psychisme, entraînant ainsi chez le sujet une inhibition généralisée de ses autres fonctions».
Il est très étonnant de remarquer, à ce moment de l’histoire de la mélancolie, comment le terme même fut réhabilité par Bleuler et Freud, au sein à la fois de la psychiatrie et de ce qui sera la psychanalyse, et comment Freud, tout particulièrement, rompit avec la tradition médicale pour aborder, d’une part, un point de vue d’abord mécaniste et, d’autre part, des références lexicales sans aucun rapport avec les compilations antérieures. On renoue dès à présent, avant même que Freud ne se penche sur le processus dynamique de la maladie dans Deuil et mélancolie (1917), avec un courant réflexif qui, de l’acedia des mystiques du Moyen Âge au désespoir des romantiques, avait la mélancolie pour cible, s’il ne la prenait pour muse. Du point de vue de l’orthodoxie psychiatrique, on peut bien rétorquer qu’il ne s’agit pas là de la même entité et s’en tenir à la conception réductrice de la psychose. Qu’on veuille bien cependant songer à la catégorie freudienne de névrose narcissique, dans laquelle elle figure, distincte par conséquent du groupe des psychoses, et à ce déséquilibre psycho-physique rétabli à la manière du mécanisme des vases communicants qu’elle met en cause. Ne serait-ce pas là cette «sécheresse» dont parle saint Jean de la Croix, en dépit de ses tentatives répétées pour la distinguer de la mélancolie, et «qui vient de ce que Dieu transfère à l’esprit les biens et les forces des sens; et, comme les sens et la nature ne sont pas capables par eux-mêmes de biens spirituels, ils restent privés de nourriture, dans la sécheresse et dans le vide. Aussi, quand l’esprit est dans la joie, la chair est-elle mécontente et paresseuse pour agir (se desabre la carne y se afloja para obrar )». Ou bien ne serait-ce pas encore la plainte romantique et le non-sens au-delà desquels la mélancolie rencontrerait son double dans un combat dont l’issue ne peut qu’être fatale?
Le processus dynamique de la mélancolie témoigne aussi de l’utilisation possible de la tradition philosophique quand, en le comparant à celui du deuil, Freud explique l’impossibilité pour le sujet de se séparer de l’objet perdu et de réinvestir son énergie ainsi libérée sur un substitut. Mais, alors que le deuil se termine après un temps plus ou moins long selon les individus, la mélancolie s’installe au contraire sous la forme de l’incorporation de l’objet perdu par le sujet lui-même, de telle manière que celui-ci reprend à son compte l’ambivalence de sentiments qu’il portait auparavant à l’objet aimé. «L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné. De cette façon, la perte de l’objet s’était transformée en une perte du moi et le conflit entre le moi et la personne aimée en une scission entre la critique du moi et le moi modifié par identification.» La partie féroce que se joueront dès lors la critique du moi et le moi (Idéal du moi et moi de la seconde topique) déterminera, selon l’issue, les alternances de la phase dépressive et de la phase maniaque de la maladie, cette dernière figurant le symbole d’une véritable orgie de type cannibalique.
Qu’avec la perte de l’objet le moi se laisse ainsi submerger par les signes mêmes qui le maintenaient dans la réalité montre bien la fragilité de son assise et, paradoxalement, la faiblesse des liens de son investissement. Cela signifie-t-il, comme l’exprime clairement K. Abraham, que cet événement n’a pu être pathogène que dans la mesure où il aurait été vécu et interprété par l’inconscient du malade comme une répétition d’un événement traumatique initial? Et, dans ce cas, s’il s’agit bien d’une régression maniaque sur le mode oral ou sadique-anal précoce, selon la distinction de K. Abraham, quelle faille originaire le sujet s’épuise-t-il à combler sans jamais y parvenir?
En deçà de la psychose
C’est à ce point problématique que les recherches actuelles semblent s’arrêter, s’abritant, pour la plupart, derrière la solution stérile de l’étiquette psychotique. Mais appuyons-nous encore une fois sur la tradition philosophique – dont s’inspire également la psychanalyse existentielle avec Ludwig Binswanger et Hubertus Tellenbach – avec un penseur comme Kierkegaard, par exemple, qui n’a pas ménagé les références à sa propre mélancolie. Nous observons que c’est autour de la question du non-sens et de l’absurde, une fois résolue par la résignation ou par l’humour, que s’inscrit la mélancolie dans ce qu’elle révèle de savoir irréductible, plus communément de déjà su, de déjà vu et de déjà entendu. Le mélancolique ne serait-il pas le sujet qui sait déjà avant même l’avènement de la parole, et que l’horreur de ce savoir reléguerait éternellement au banc des accusés? Et ce savoir ne serait-il pas relatif au statut même du sujet si, devant le miroir, l’illusion de l’image n’avait pas fonctionné et si l’enfant s’était trouvé ainsi devant l’erreur suprême du reflet dont il n’aurait compris que plus tard la vérité fatale?
Faute d’un regard proche qui lui aurait signifié son contour, l’enfant n’a pu, à ce stade lacanien du miroir, ni tomber dans l’illusion de la ressemblance du double, ni assumer la vérité de l’erreur. Englouti dans la faille de l’identification originaire, le mélancolique se trouve condamné ou bien à errer en marge de ses frères ou bien à se raccrocher à des signes de reconnaissance qu’il aurait élus chez l’un d’eux. Aussi, lorsque ce référent est amené à disparaître, le mélancolique se trouve-t-il renvoyé au vide de son identité et au seul recours du cannibalisme archaïque. On comprend dès lors que la nosographie psychiatrique ne suffit pas à caractériser l’état mélancolique, à moins qu’on ne fasse du maintien de l’identité du sujet un stade d’apprentissage au sens de la psychologie classique; or, la notion d’identité reste par définition fort précaire chez tout individu, ce qui, par ailleurs, explique la parenté de l’approche clinique de la mélancolie avec une approche philosophique. Comme maladie de l’identité, il resterait cependant, au-delà des études kleiniennes de la position dépressive de l’enfant, à tenter de spécifier cette faille du spéculaire, de manière à élaborer l’entité clinique de la mélancolie dont l’éventuelle structure risque d’occuper une position transversale par rapport à la nosographie classique.
mélancolie [ melɑ̃kɔli ] n. f.
• v. 1175; bas lat. melancholia, gr. melagkholia « bile noire, humeur noire »
1 ♦ Méd. Vx Bile noire, l'une des quatre humeurs, dont l'excès, selon la médecine ancienne, poussait à la tristesse. ⇒ hypocondrie.
2 ♦ Mod. État pathologique caractérisé par une profonde tristesse, un pessimisme généralisé. ⇒ dépression, neurasthénie. Mélancolie anxieuse, délirante.
3 ♦ (XVIIe) Cour. État d'abattement, de tristesse vague, accompagné de rêverie. ⇒ langueur, nostalgie, spleen, tædium vitæ. Tomber, sombrer dans la mélancolie (cf. Vague à l'âme). Fam. Ne pas engendrer la mélancolie. « La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste » (Hugo). « La mélancolie n'est que de la ferveur retombée » (A. Gide). Allus. littér. « Le soleil noir de la mélancolie » (Nerval).
4 ♦ Littér. Une mélancolie : pensée, sentiment, attitude qui manifeste un tel état. ⇒ 2. chagrin. « nous ne valons que ce que valent nos inquiétudes et nos mélancolies » (Maeterlinck).
5 ♦ Caractère de ce qui inspire un tel état. « la mélancolie du soir, celle de l'automne » (Loti).
⊗ CONTR. Gaieté, joie.
● mélancolie nom féminin (bas latin melancholia, du grec melagkholia, de melas, -anos, noir, et kholê, bile) État de dépression, de tristesse vague, de dégoût de la vie, propension habituelle au pessimisme : Le souvenir du passé l'incita à la mélancolie. Caractéristique dominante de quelque chose qui inspire de la tristesse : La mélancolie d'un paysage d'automne. Dépression intense vécue avec un sentiment de douleur morale et caractérisée par un ralentissement psychomoteur et des idées de suicide. ● mélancolie (citations) nom féminin (bas latin melancholia, du grec melagkholia, de melas, -anos, noir, et kholê, bile) Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l'esprit. Maximes et pensées Maurice Donnay Paris 1859-Paris 1945 Académie française, 1907 La gaieté est aux hommes ce que la mélancolie est aux femmes ; mais la mélancolie est une voilette, et la gaieté est un voile plus difficile à soulever. Le Geste Fasquelle André Gide Paris 1869-Paris 1951 La mélancolie n'est que de la ferveur retombée. Les Nourritures terrestres Gallimard Pierre Dumarchais, dit Pierre Mac Orlan Péronne 1882-Saint-Cyr-sur-Morin 1970 Le désespoir n'habite jamais le cœur des mélancoliques. Le Bal du pont du Nord Gallimard Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval Paris 1808-Paris 1855 Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l'Inconsolé, Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie : Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie. Les Chimères, El Desdichado Charles d'Orléans Paris 1394-Amboise 1465 En verrai ge jamais la fin De voz œuvres, Merancolie ? Quant au soir de vous me deslie Vous me ratachez au matin. Rondeaux mélancolie je me délie Louise Levêque de, dite Louise de Vilmorin Verrières-le-Buisson 1902-Verrières-le-Buisson 1969 Philosopher n'est qu'une façon de raisonner la mélancolie. Julietta Gallimard ● mélancolie (synonymes) nom féminin (bas latin melancholia, du grec melagkholia, de melas, -anos, noir, et kholê, bile) État de dépression, de tristesse vague, de dégoÛt de la...
Synonymes :
- rêverie
- spleen
- vague à l'âme
Dépression intense vécue avec un sentiment de douleur morale et...
Synonymes :
- cafard (familier)
- dépression
- neurasthénie
Contraires :
- allégresse
- entrain
- gaieté
- joie
mélancolie
n. f.
rI./r MED, PSYCHIAT état dépressif aigu, caractérisé par un sentiment de douleur morale intense, une inhibition psychomotrice, des idées délirantes et une tendance au suicide.
rII./r Cour.
d1./d Tristesse vague, sans cause définie, souvent accompagnée de rêverie.
— Loc. Cela n'engendre pas la mélancolie: c'est très gai.
d2./d Caractère de ce qui rend mélancolique. La mélancolie d'un adieu, d'un paysage.
⇒MÉLANCOLIE, subst. fém.
A. — PATHOLOGIE
1. MÉD. ANC. Une des quatre humeurs qui, selon la théorie ancienne des tempéraments, était supposée avoir son siège dans la rate et prédisposer à la tristesse, à l'hypocondrie; p. méton., état causé par cette humeur. Synon. vx atrabile, bile, humeur noire, hypocondrie, lypémanie. Accès de mélancolie, être atteint de mélancolie. On l'emploie [une solanée somnifère] utilement contre la mélancolie, les convulsions et la goutte (NODIER, Fée Miettes, 1831, p.182). Le système du médecin en chef était spécialement pour la mélancolie, la lypémanie des médecins aliénistes (...). Il était partisan du traitement moral (...) comme traitement prédominant (GONCOURT, Ch. Demailly, 1860, p.398). V. hypocondrie A 2 ex. de Amiel.
2. PSYCHOPATHOL. État morbide caractérisé par un abattement physique et moral complet, une profonde tristesse, un pessimisme généralisé, accompagné d'idées délirantes d'autoaccusation et de suicide. Synon. dépression (nerveuse), névrose, neurasthénie. Mélancolie anxieuse, délirante, intermittente, périodique; accès, crise de mélancolie. Sa mélancolie avait augmenté et (...) elle croyait comme Rousseau, qu'on s'était ligué pour la persécuter (CHATEAUBR., Mém., t.2, 1848, p.727). Le vieillard se persuadait que sa mort était imminente, il sombrait dans l'apathie et la mélancolie, il ne parlait plus, il ne souriait plus à ses petits-enfants (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.173). V. accusation2 ex. 3 et auto(-)destructeur ex.:
• 1. Strauss et Gebstattel ont mis en évidence l'emprise presque absolue du passé dans la mélancolie: la certitude d'une catastrophe immédiate, les idées de ruine, d'indignité, de culpabilité, l'hypocondrie...
MOUNIER, Traité caract., 1946, p.318.
B. — 1. État affectif plus ou moins durable de profonde tristesse, accompagné d'un assombrissement de l'humeur et d'un certain dégoût de soi-même et de l'existence. Synon. idées noires, cafard (fam.), dépression; anton. allégresse, entrain, gaieté, joie. Il était dans une de ses heures de mélancolie, où le néant lui apparaissait au bout prochain de la vie (A. FRANCE, Lys rouge, 1894, p.352). Elle passa la nuit dans des rêves doux et pénibles, une mélancolie accablante (ROLLAND, J.-Chr., Antoinette, 1908, p.917):
• 2. ... appuyée au mur du jardin, serrant la chienne entre ses bras, elle éprouvait une si poignante mélancolie, tant de rancoeur contre elle ne savait quoi, tant d'espérance sans but, qu'elle leva la tête vers le ciel constellé, et souhaita, pendant quelques secondes, de mourir avant d'avoir essayé de vivre.
MARTIN DU G., Thib., Belle sais., 1923, p.923.
SYNT. Propension à la mélancolie; accès, crise de mélancolie; mélancolie amère, âpre, profonde, sombre; plonger, sombrer, tomber dans la mélancolie; être en proie à la mélancolie; chasser, dissiper la mélancolie.
— [P. méton. du compl. déterminatif] Mélancolie du regard, de la voix. Fabrice (...) fut frappé surtout de l'expression de mélancolie de sa figure (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p.250). La mélancolie du sourire qui vous accueillait décelait les maux endurés (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p.95).
— Loc. verb., fam. (par litote). Ne pas engendrer la mélancolie.
♦[Le sujet désigne une pers.] Être d'une gaieté irrésistible, communicative, par tempérament ou dans une circonstance donnée. V. engendrer B 2.
♦[Le suj. désigne une chose ou une situation] Être très amusant. Je te promets que cette partie de mon roman n'engendrera pas la mélancolie (DUHAMEL, Cécile, 1938, 98).
— P. méton. Manifestation de cet état d'âme (dans la pensée, l'attitude, le sentiment). Une mélancolie, des mélancolies:
• 3. Lorsque Lazare la négligeait un instant pour écrire une lettre ou pour s'absorber dans une de ses mélancolies subites, sans cause apparente, elle devenait si malheureuse, qu'elle se mettait à le taquiner, à le provoquer, préférant le danger à l'oubli.
ZOLA, Joie de vivre, 1884, p.942.
2. En partic., littér.Sentiment d'une tristesse vague et douce, dans laquelle on se complaît, et qui favorise la rêverie désenchantée et la méditation (thème poétique et littéraire cher aux préromantiques et aux romantiques). Synon. chagrin (arg.), ennui, langueur, nostalgie, spleen (littér.), vague à l'âme. Gloriette: (...) je sens que je m'attriste. — Ce n'est pas grave. Ce n'est pas de la tristesse sans charme; c'est de la mélancolie, tu as les papillons blancs (RENARD, Œil clair, 1910, p.134). Angelo s'en alla faire un tour sur les boulevards extérieurs de la ville pour jouir d'un peu de mélancolie très savoureuse (GIONO, Angelo, 1958, p.155):
• 4. Elle aimait la musique, quoique n'étant pas musicienne; elle y trouvait un bien-être physique et moral, où sa pensée s'engourdissait paresseusement dans une agréable mélancolie.
ROLLAND, J.-Chr., Matin, 1904, p.184.
SYNT. Mélancolie douce, attendrissante, indicible, indéfinissable, rêveuse, romantique, vague, voluptueuse; accent, nuance, pointe de mélancolie; les délices de la mélancolie; air, expression de mélancolie; éprouver de la mélancolie; inciter, se laisser aller à la mélancolie.
♦[Personnification de cet état] La Mélancolie. Une figure de la Mélancolie, assise, devant le disque d'un soleil, sur des rochers, dans une pose accablée et morne (HUYSMANS, À rebours, 1884, p.86). Watteau, (...) Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir, Et tu donnas une âme inconnue au désir En l'asseyant aux pieds de la Mélancolie (SAMAIN, Chariot, 1900, p.68):
• 5. Je suis le ténébreux, — le veuf, — l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie [it. ds le texte].
NERVAL, Chimères, 1854, p.693.
— [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Caractère, aspect de ce qui inspire un tel état. Synon. brume, grisaille, ombre. Mélancolie du crépuscule, du soir, de l'automne, d'un site, d'un paysage, d'un chant; mélancolie des adieux, des souvenirs, d'une vie. Le lieu isolé, silencieux, exquis, où ces fouilles se passaient, et la mélancolie sereine de l'été finissant, jetaient un charme rare sur notre petit rêve d'aventuriers (LOTI, Rom. enf., 1890, p.277). Par les nuits bleues, il semble suivre un rêve enchanté dans la mélancolie du clair de lune (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p.54):
• 6. Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
VERLAINE, Œuvres compl., t.1, Poèmes saturn., 1866, p.69.
Prononc. et Orth.: []. Ac. 1694 et 1718: me-; dep. 1740: mé-. Étymol. et Hist. 1. a) 1176-81 «état de tristesse profonde» (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 3001); b) 1669 «tristesse douce et vague» (LA FONTAINE, Contes, Préface ds Œuvres, éd. A. Régnier, t.4, p.14); 2. ca 1256 «bile noire, une des quatre humeurs cardinales de l'organisme» (ALDEBRANDIN DE SIENNE, Regime du Corps, éd. L. Landouzy et R. Pépin, p.45, 20); 3. 1816 «maladie mentale caractérisée par une tristesse perpétuelle» (Encyclop. méthod. Méd. t.9). Empr. au lat. mélancolia (transcrivant le gr. ) «humeur noire» et «maladie engendrée par la bile noire»; le développement du sens psychol. (att. antérieurement au sens méd. parce que cette accept. était entrée dans le vocab. littér. courtois où le mot exprime un registre d'états et de sentiments: humeur sombre, inquiétude, folie, fureur, délire) est propre au fr. et témoigne de l'évolution du goût (v. FEW t.6, p.656). Fréq. abs. littér.:2360. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 3772, b) 3635; XXe s.: a) 3880, b) 2535. Bbg. SCHALK (F.). Diderot's Artikel mélancolie in der Enzykl. Z. fr. Spr. Lit. 1956, t.66, pp.88-107.
mélancolie [melɑ̃kɔli] n. f.
ÉTYM. V. 1175; bas lat. melancholia, grec melagkholia « bile noire, humeur noire ».
❖
1 (1256). Méd. Vx. Bile noire, dont l'excès, selon les théories de la médecine ancienne, entraînait une disposition triste de l'humeur. ⇒ Atrabile, humeur (noire), hypocondrie (→ Antidote, cit. 4; hypocondriaque, cit. 1; lycanthropie, cit. 1).
♦ Par métaphore :
1 (…) votre vue est la rhubarbe, la casse, et le séné qui purgent toute la mélancolie de mon âme.
Molière, le Médecin malgré lui, III, 3.
2 Psychiatrie. Mod. « État pathologique caractérisé essentiellement par une profonde tristesse, par un envisagement pessimiste de toute chose et par un appauvrissement de toutes les conduites de création et de progrès » (Sutter, in Porot, Manuel alphab. de psychiatrie, 1975). ⇒ Dépression, asthénie; (vx) lypémanie. || Mélancolie intermittente ou périodique. ⇒ Maniaque (psychose maniaque dépressive). || Mélancolie anxieuse, délirante. || Accès de mélancolie. || Mélancolie réactionnelle. || Traitement de la mélancolie par électrochocs, par thymoanaleptiques.
3 (XVIIe). Cour. État d'abattement, de tristesse, accompagné de rêverie. ⇒ Abattement, chagrin, spleen. || Tomber (→ Distraire, cit. 4; guérir, cit. 39), sombrer, être plongé dans la mélancolie (→ Ensevelir, cit. 14). || Accès, crises (cit. 4) de mélancolie. ⇒ Cafard, noir, vague (à l'âme). || Dissiper la mélancolie (→ Bêtise, cit. 6). ⇒ Brume (fig., cit. 5). || Guérir (cit. 32) de la mélancolie. — ☑ Loc. (1669). Ne pas engendrer la mélancolie : être très gai. — Mélancolie de l'exilé. ⇒ Nostalgie.
REM. La mélancolie, d'abord considérée comme un état désagréable (→ ci-dessous, cit. Vauvenargues), devient, avec le préromantisme surtout (→ ci-dessous, cit. Chénier, Rousseau) un état voluptueux, de rêverie désenchantée, mais douce, thème favori des écrivains.
2 La tristesse est plutôt accablante, et la mélancolie, vague : l'une fait gémir, et l'autre rêver; l'une accable l'âme par le souvenir douloureux des malheurs qu'on a réellement éprouvés, l'autre n'a pas de cause fixe, c'est une inclination à tout voir en noir, une simple disposition à la tristesse.
Lafaye, Dict. des synonymes, Mal…, Tristesse…
3 (…) la mélancolie, qui n'est communément qu'un dégoût universel sans espérance, tient encore beaucoup de la haine.
Vauvenargues, De l'esprit humain, XXXIX.
4 (…) la mélancolie est amie de la volupté : l'attendrissement et les larmes accompagnent les plus douces jouissances et l'excessive joie elle-même arrache plutôt des pleurs que des cris.
Rousseau, Émile, IV.
5 Il vient un moment où presque toutes les jeunes filles et les jeunes garçons tombent dans la mélancolie; ils sont tourmentés d'une inquiétude vague qui se promène sur tout, et qui ne trouve rien qui la calme. Ils cherchent la solitude; ils pleurent; le silence des cloîtres les touche (…)
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 652.
6 Douce mélancolie, aimable mensongère,
Des antres, des forêts déesse tutélaire,
Qui vient d'une insensible et charmante langueur
Saisir l'ami des champs et pénétrer son cœur (…)
André Chénier, Élégies, XIII.
7 Une prodigieuse mélancolie fut le bruit de cette vie monastique; et ce sentiment, qui est d'une nature un peu confuse, en se mêlant à tous les autres, leur imprima son caractère d'incertitude : mais en même temps, par un effet bien remarquable, le vague même où la mélancolie plonge les sentiments est ce qui la fait renaître (…)
Chateaubriand, le Génie du christianisme II, III, IX (Texte de l'éd. originale).
8 La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste.
Hugo, les Travailleurs de la mer, III, I, I.
9 La mélancolie n'est que de la ferveur retombée.
Gide, les Nourritures terrestres, p. 23.
10 L'eau courante a, comme la musique, le doux pouvoir de transformer la tristesse en mélancolie. Toutes deux, par la fuite continue de leurs fluides éléments, insinuent doucement dans les âmes la certitude de l'oubli.
A. Maurois, Ariel, I, I.
11 (…) Ici, on est tous gais (…) On n'engendre pas la mélancolie.
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 106-107.
♦ Un air (2. Air, cit. 14) de doute et de mélancolie. || Expression de mélancolie (→ Éteindre, cit. 30). || Visage qui exprime la mélancolie (→ Enrouler, cit. 8).
♦ Par ext. || Mélancolie d'une âme (→ Assombrir, cit. 4), d'une nation, caractère mélancolique, disposition à la mélancolie.
12 Je porte en moi la mélancolie des races barbares, avec ses instincts de migrations et ses dégoûts innés de la vie qui leur faisaient quitter leur pays comme pour se quitter eux-mêmes.
Flaubert, Correspondance, 113, 6 août 1846.
4 (Une, des mélancolies). Pensée, sentiment, attitude… qui manifeste un tel état. || Dépeindre ses mélancolies (→ Imaginatif, cit. 2). ⇒ Chagrin, papillon (noir, fig.).
13 C'est la manière la plus efficace de sortir à la recherche de soi-même; car on peut dire que nous ne valons que ce que valent nos inquiétudes et nos mélancolies.
Maeterlinck, le Trésor des humbles, IX.
5 (1802). Caractère de ce qui inspire un tel état. || Mélancolie du crépuscule (→ Alentir, cit. 2), d'un paysage (→ Emphase, cit. 6), d'un gîte (cit. 5). — Mélancolie des souvenirs (→ Délectable, cit. 1), d'un changement (→ Entrer, cit. 30), d'une vie. ⇒ Brume, grisaille, ombre.
14 La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée.
Chateaubriand, le Génie du christianisme, I, V, XII.
15 Pour lui, elles s'ajoutaient l'une à l'autre, les mélancolies de toutes ces fins qui arrivaient ensemble : la mélancolie du soir, celle de l'automne — et celle, beaucoup plus profonde, du définitif départ (…)
Loti, Matelot, XVII.
6 La mélancolie personnifiée. || « Le soleil noir de la mélancolie » (→ Inconsolé, cit. 2, Nerval). — La Mélancolie (ou Melancholia), gravure d'A. Dürer.
16 Le soleil noir de la mélancolie, qui verse des rayons obscurs sur le front de l'ange rêveur d'Albert Dürer, se lève aussi parfois aux plaines lumineuses du Nil, comme sur les bords du Rhin, dans un froid paysage d'Allemagne.
Nerval, Voyage en Orient, Femmes du Caire, II, I.
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CONTR. Alacrité, gaieté, joie.
DÉR. (Du même rad.) Mélancolique.
Encyclopédie Universelle. 2012.