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POÉTIQUE
POÉTIQUE

Le discours sur la littérature naît en même temps que la littérature même; on en trouvera les premiers échantillons dans tel fragment des Veda ou chez Homère. Ce fait ne saurait provenir d’un hasard: bien qu’il soit difficile de se mettre d’accord sur l’exacte identité de l’objet «littérature», il est certain que ce nom, ou l’un de ses équivalents, a toujours été employé pour désigner une parole qui doit susciter le plaisir ou l’intérêt de ses auditeurs et lecteurs, qui est destinée à durer et qui, de ce fait, est plus élaborée que la parole quotidienne. Il y aura donc une prise de conscience du langage à la base même de l’acte littéraire, et, même si l’écrivain peut ne pas être tenté par la réflexion abstraite, la littérature, elle, a toujours déjà une dimension métalittéraire en son intérieur même.

Dès sa naissance, ce discours n’est pas un , quant à sa finalité et ses formes, mais prend deux directions différentes: ce sont l’exégèse et la théorie. Dans le premier cas, l’objectif sera d’élucider, d’expliciter ou d’interpréter telle ou telle œuvre: L’Iliade , la Bible, les hymnes sacrés. Les choses sont beaucoup moins simples de l’autre côté où, à la place de cet objet que l’histoire nous livre déjà prédécoupé et sur l’identité duquel il n’y a aucun doute, on trouve un objet construit par le discours même qui le décrit. Lorsque l’objet de la réflexion est l’allégorie, le récit ou la catharsis, ces unités ne nous sont pas données d’avance (à moins que ce ne soit par un discours théorique antérieur), et le fait qu’on se réfère toujours, pour illustrer ces concepts, aux mêmes œuvres (L’Iliade , la Bible) ne change rien à l’affaire: le même objet empirique a un nombre infini de propriétés, et chaque théoricien peut – en théorie! – choisir celles qui lui conviennent, en laissant les autres de côté. Le discours théorique sur la littérature ne porte pas sur les œuvres mais, justement, sur la «littérature» ou sur d’autres catégories générales des objets empiriques intuitivement rapprochés. C’est de cette possibilité de choix – et, donc, à la limite, cette menace d’arbitraire – que vient le problème fondamental de la théorie littéraire, ou poétique.

Ces deux discours sur la littérature entretiendront, au cours des siècles, des relations «officielles» fort variables (et souvent peu amicales); mais, en fait, ils ne peuvent jamais se passer l’un de l’autre. L’exégèse présuppose toujours une théorie (celle-ci serait-elle inconsciente), car elle a besoin de concepts descriptifs, ou plus simplement d’un vocabulaire, pour pouvoir se référer à l’œuvre étudiée; or, les définitions des concepts constituent, précisément, la théorie. Mais celle-ci présuppose aussi l’existence de l’exégèse car c’est à travers elle que la théorie entre en contact avec la matière qui lui sert de point de départ: le discours littéraire lui-même. Chacune des deux peut corriger l’autre: le théoricien critique le discours de l’exégète, lequel à son tour montre les carences de la théorie par rapport à l’objet étudié: les œuvres.

Le destin historique des deux discours sur la littérature, exégèse et théorie, sera assez différent (mais tous deux se maintiendront à toute époque), et cette différence peut être lue comme une conséquence des manières dont chacune constitue son objet. Le discours exégétique emprunte depuis les origines deux chemins séparés: d’une part, l’exégèse littérale, qui consiste à élucider le sens de tel mot incompréhensible, de fournir les références à telle allusion, d’expliquer telle construction syntaxique; de l’autre, l’exégèse allégorique, qui cherche un sens autre à un texte (ou à un segment de texte) qui en a déjà un. Malgré les transformations idéologiques des contenus investis, qui se sont opérées au cours des siècles, malgré le changement dans la formulation des règles que l’on doit suivre ici et là, le discours exégétique reste remarquablement stable et ces deux chemins sont toujours suivis, en prenant seulement des formes différentes: ainsi, aujourd’hui, de la philologie et de la critique. L’objet de la théorie littéraire, en revanche, change radicalement d’une époque à l’autre, au point qu’on risque de commettre un anachronisme en employant l’expression «théorie littéraire» pour désigner des discours du passé qui, s’ils sont incontestablement théoriques, n’auraient pas défini leur objet comme étant la «littérature». L’unité de cet objet provient uniquement de ce que les hommes du XIXe et du XXe siècle, en Europe, appellent du même nom littérature les œuvres où ces théories prennent leur point de départ ou leurs illustrations. La théorie littéraire elle-même n’a d’unité que dans une certaine perspective, alors que son évolution historique se déroule avec solution de continuité.

Poétique, rhétorique, herméneutique

La Poétique d’Aristote, vieille de deux mille cinq cents ans, est à la fois le premier ouvrage entièrement consacré à la «théorie littéraire» (les guillemets sont indispensables ici pour prévenir l’anachronisme) et l’un des plus importants qui soit. La présence simultanée de ces deux traits n’est pas sans paradoxe: c’est comme si un homme à la moustache déjà grisonnante sortait du ventre de sa mère (mais la comparaison est bien sûr trompeuse). On ne voit guère, comme exemple semblable, que la Grammaire de P ユini, à la fois première-née et chef-d’œuvre de la linguistique (mais ce texte ne joue qu’un rôle minime dans l’histoire de la science), ou, exemple plus proche, la Logique du même Aristote.

L’objet de la Poétique n’est pas la littérature (ce que nous appelons ainsi) – et dans ce sens le livre n’est pas un ouvrage de théorie littéraire – mais la représentation (mimésis ) à l’aide du langage. En conséquence, après une introduction consacrée à la représentation en général, Aristote décrit les propriétés des genres représentatifs (ou «fictifs»), c’est-à-dire l’épopée et le drame, lesquels sont analysés en une série de niveaux, d’une part, de segments, de l’autre (une seule espèce de drame, la tragédie, est en fait traitée, la partie sur la comédie étant perdue ou simplement inexistante). En revanche, il n’y a dans la Poétique aucune place pour la poésie (qui existe bien à cette époque), alors qu’on sait que celle-ci sera considérée, à l’âge moderne, comme l’incarnation la plus pure de la littérature.

Dans les vingt siècles qui suivent, la littérature continuera à faire partie de l’objet de divers discours théoriques, même si ceux-ci ne sont pas exclusivement des «théories de la littérature». Parmi ces discours il faut d’abord nommer la rhétorique: certains aspects de la littérature s’y trouvent, en quelque sorte, pris en charge. À l’origine, l’objet de la rhétorique est le discours public (celui de l’orateur ou celui de l’avocat); mais, comme tous les aspects du discours doivent être décrits, on touche aussi à ceux que le discours public partage avec la littérature: ainsi notamment du style (l’«élocution»). D’ailleurs, le discours public perdant une grande part de son importance à la suite de la disparition des anciennes démocraties, la littérature occupera une place grandissante dans les rhétoriques plus tardives, jusqu’à devenir, après la Renaissance, la source quasi unique d’exemples, où puisent les rhétoriciens. Un autre discours bien institué qui couvre certains aspects de la littérature est celui de l’herméneutique, ou théorie de l’interprétation. L’objet autour duquel se constitue celle-ci sont les textes sacrés; mais, une fois de plus, on y débat de structures verbales qui se rencontrent également dans les écrits profanes: les herméneutes médiévaux ne manqueront donc pas de se pencher sur le symbole ou l’allégorie poétique. Il en va un peu de même des autres grandes civilisations où il existe une «théorie littéraire»: les ouvrages de poétique indiens, ou chinois, ou arabes parlent de problèmes sémantiques ou psychologiques qui débordent la seule littérature (sans pour autant la «couvrir»), et l’intègrent dans des ensembles aux contours variables.

De la théorie des genres à l’unité des arts

Les choses commencent à changer un peu à partir de la Renaissance, et cela à plusieurs égards. Premièrement, on exhume la Poétique d’Aristote et on commence à lui faire jouer un rôle comparable à celui d’un livre saint: les ouvrages de poétique ne seront pour ainsi dire plus que des commentaires de la Poétique . Mais à la vérité ce livre se trouve plutôt desservi par sa gloire qui agit à la manière d’un écran entre lui et ses lecteurs: le texte est si célèbre qu’on n’ose ni le contester, ni, finalement, le lire. On se contente plutôt de le réduire à quelques formules devenues vite clichés, qui, coupées du contexte, trahissent la pensée de leur auteur.

En deuxième lieu s’intensifie la réflexion sur les genres. Celle-ci a une tradition aussi longue que la «théorie littéraire» en général, puisque, on l’a vu, la Poétique décrit déjà les propriétés spécifiques de l’épopée et de la tragédie. Et on n’a pas manqué depuis, dans des ouvrages de nature fort diverse, de poursuivre la même voie. Mais c’est surtout à partir de la Renaissance que ce type d’études établit ses propres traditions: les écrits se suivent sur les «règles» de la tragédie et de la comédie, de l’épopée et du roman, des divers genres lyriques. L’épanouissement de ce discours est certainement lié aux structures idéologiques dominantes et à l’idée même qu’on se fait du genre à l’époque: à savoir, celle d’une norme dont on ne doit pas s’écarter. Les genres appartiennent bien à la littérature (ou à la «poésie», ou aux «belles-lettres»), mais c’est une unité d’un niveau inférieur, obtenue par décomposition à partir du premier, en ce sens comparable aux objets de la «théorie littéraire» antérieure, et pourtant aussi différente: alors que le symbole, ou la représentation, ou le style figuré sont des propriétés abstraites du discours littéraire (dont l’extension est par conséquent plus grande que la seule littérature), les genres résultent d’un autre type d’analyse, celui de la littérature en ses parties.

Enfin, l’idée de l’unité des arts commence alors à s’imposer, et s’élabore à partir de là une théorie des arts qui cherche à encadrer au moins les deux pratiques les plus prestigieuses, la poésie et la peinture. Cette théorie se transformera au XVIIIe siècle en une discipline, l’esthétique, où une place sera ménagée pour la théorie littéraire, dans la mesure toutefois où celle-ci s’intègre à la théorie générale des arts. Lessing et Kant seront les premiers grands praticiens de ce discours, mais leur œuvre est préparée par une longue série de recherches, depuis Léonard de Vinci jusqu’à Shaftesbury. Aucun de ces trois développements ne conduit donc directement à la constitution de l’unité «littérature», et pourtant tous la préparent: on dispose déjà de la catégorie supérieure, l’art (dont la subdivision selon les médias sera facile), ainsi que des entités de rang inférieur, les genres; on s’est également donné un texte de référence, la Poétique , qui assure la continuité de la tradition.

L’autonomie de la littérature

C’est avec l’avènement du romantisme (allemand) que la notion de littérature sera établie dans son autonomie et c’est aussi le début de la théorie littéraire au sens strict (et sans guillemets). Les concepts de représentation et d’imitation cessent de jouer un rôle dominant pour être remplacés au sommet de la hiérarchie par celui de beau, et ceux qui lui sont corrélés: l’absence de finalité externe, la cohérence harmonieuse entre les parties de la totalité, le caractère intraduisible de l’œuvre d’art. Toutes ces notions pointent vers l’autonomie de la littérature et de ses œuvres, et conduisent à s’interroger sur leurs propriétés spécifiques. C’est bien cette interrogation qu’on trouve dans les écrits romantiques. Mais leur influence n’est pas immédiate, en particulier sur les études littéraires institutionnalisées, et cela est sans doute dû à la forme que prennent ces écrits: ce sont ou bien des fragments qui participent par bien des côtés à la poésie même (ainsi chez Friedrich Schlegel et Novalis), ou bien des traités philosophiques systématiques qui continuent la tradition de l’esthétique et où la littérature occupe une place bien limitée (ce sera le cas de Schelling et de Hegel).

La théorie littéraire de style universitaire ne verra donc le jour qu’au XXe siècle, dans plusieurs pays successivement. Dans les années dix et vingt de ce siècle, le lieu du renouveau est la Russie, où se constitue un courant d’idées appelé le formalisme. Entre les deux guerres le centre de gravité se déplace en Allemagne; la théorie littéraire se partage alors en plusieurs tendances, les unes liées à la stylistique, d’autres à une approche «morphologique» des œuvres. Dans les années trente et quarante, c’est en Angleterre, puis aux États-Unis, que se développent divers courants de critique formelle et de théorie littéraire, dont le plus célèbre est le New Criticism. Tous ces groupes ont leur point de départ commun dans l’esthétique romantique, qui les amène à affirmer l’autonomie de la littérature et partant celle de sa théorie; mais, à la différence des romantiques, ces théoriciens se livrent à un travail analytique sur l’œuvre littéraire, renouant ainsi avec la tradition d’Aristote qui, on s’en souvient, cherchait à distinguer les niveaux et les segments pertinents des œuvres. Les divers formalistes du XXe siècle sont donc plus proches de l’esprit de la Poétique que ne l’étaient les admirateurs de celle-ci au XVIe siècle, puisqu’ils reprennent en quelque sorte le travail au point même où l’avait laissé Aristote; ils réalisent ainsi une heureuse synthèse des différentes tendances qui avaient dominé la «théorie littéraire» jusqu’alors et conduisent à l’établissement de la discipline moderne.

Structuralisme et sémiotique

À partir du début des années 1960, la poétique a connu un développement sans pareil, cela sous la double impulsion du structuralisme littéraire et de la sémiotique (ou sémiologie). Bien que son rayonnement ait été international, le structuralisme littéraire constitue la variante spécifiquement française de la poétique des années 1960 et 1970. Contrairement au New Criticism anglo-saxon ou à la Literaturtheorie allemande par exemple, il a accordé une place centrale à la linguistique, et plus précisément à la linguistique structurale (représentée surtout par les travaux de Jakobson, Hjelmslev et Benveniste), dans laquelle il ne cherchait pas seulement des outils analytiques mais aussi un idéal de scientificité. Enfin, il s’est voulu partie prenante d’un nouveau paradigme théorique – l’analyse structurale, incarnée de manière exemplaire par l’anthropologie de Claude Lévi-Strauss.

Contrairement au structuralisme, la sémiotique a été d’emblée un mouvement international, se développant d’ailleurs selon des voies très diverses: ainsi les sémioticiens américains (par exemple, T. A. Sebeok) ou italiens (U. Eco) se sont inspirés essentiellement de Charles Sanders Peirce, les chercheurs soviétiques se tournant plutôt vers la théorie cybernétique; quant aux études sémiotiques françaises, elles se sont référées surtout à la sémiologie esquissée par Ferdinand de Saussure.

Les travaux de poétique entrepris dans le cadre sémiotique sont souvent difficiles à distinguer de ceux qui relèvent du structuralisme littéraire au sens strict du terme. Une différence subsiste néanmoins: si l’analyse structurale s’est évertuée à intégrer la poétique dans une théorie générale du langage, la sémiotique n’a vu là qu’un premier pas vers une théorie globale des signes. Certains poéticiens d’obédience sémiotique – par exemple, Iouri Lotman et ses collègues du cercle de Tartu – ont d’ailleurs traité la littérature comme un système sémiotique spécifique, irréductible au système linguistique. En France, la différence entre structuralisme et sémiotique est restée assez nette. Si les tenants du structuralisme littéraire (par exemple, R. Barthes, C. Bremond, G. Genette ou T. Todorov) se sont inspirés de certains postulats méthodologiques de la linguistique et de l’anthropologie structurales, ils n’ont guère tenté de formaliser l’appareil théorique utilisé; en outre, ils ont toujours privilégié la démarche taxinomique, c’est-à-dire une analyse à prétention essentiellement descriptive. L’école sémiotique d’Aljirdas Jules Greimas en revanche a situé d’emblée ses analyses littéraires (par exemple, l’étude des structures du récit) dans le cadre d’un modèle sémiotique général très formalisé; de surcroît, la théorie greimasienne a voulu avoir une validité non seulement descriptive, mais encore explicative (ainsi le modèle théorique du récit était censé rendre compte de la «génération» des structures narratives).

Domaines d’analyse

Le structuralisme et la sémiotique ont abordé tous les aspects des études littéraires. Mais leurs contributions les plus décisives se situent pour l’essentiel dans quatre domaines:

– L’analyse des techniques narratives (narratologie). Bien que des poéticiens d’obédiences diverses aient apporté des contributions importantes à l’analyse narrative, c’est un travail d’inspiration structuraliste, Le Discours du récit (1972) de Gérard Genette, qui constitue jusqu’à ce jour la référence fondamentale. Il aborde en effet tous les aspects importants de l’activité narrative, qu’il s’agisse des relations entre le temps de l’histoire racontée et le temps du récit qui raconte, de la régulation de l’information narrative (quel est le point de vue adopté?) ou encore du statut du narrateur. Appliquées originairement au seul récit de fiction, les catégories de la narratologie ont plus tard été mises à l’épreuve dans l’analyse d’autres types de récits – notamment l’autobiographie (chez P. Lejeune) et les récits factuels de type historique – et complétées par l’analyse de la description littéraire (avec P. Hamon).

– L’analyse thématique. Alors que la narratologie se penche sur la narration de l’histoire, l’analyse thématique étudie la structure de l’histoire racontée. Trouvant une source d’inspiration importante dans l’analyse fonctionnelle du conte russe proposée par Vladimir Propp dès 1927, l’analyse thématique a produit de nombreux modèles théoriques essayant de dégager la structure de l’action narrative: Roland Barthes, dans S/Z (1970), a proposé une taxinomie des différents codes régissant la présentation de l’intrigue; Claude Bremond a tenté de dériver la structure du récit d’une logique (anthropologique) des actions; Tzvetan Todorov y a vu une projection discursive d’une cellule narrative minimale existant déjà au niveau de la relation propositionnelle entre sujet et prédicat; l’école d’Aljirdas Jules Greimas a tenté de dériver la «structure de surface» des récits à partir d’une structure sémantique (atemporelle) censée produire la structure actantielle (temporelle) du récit à travers un certain nombre de transformations, conçues en analogie à celles étudiées en grammaire générative. En s’appuyant en partie sur ces divers modèles développés par l’analyse structurale, Paul Ricœur, dans Temps et récit (1983-1985), a proposé une théorie générale du récit visant à éclaircir sa fonction philosophique et existentielle.

– Rhétorique et stylistique. Le romantisme s’était élevé contre la rhétorique, conçue comme théorie d’une expressivité réglée et codée, pour la remplacer par la stylistique, conçue comme étude de l’écart expressif. La poétique structuraliste s’est évertuée à dépasser cette opposition. D’où un renouveau d’intérêt pour la rhétorique, marqué à la fois par de nombreuses études consacrées à la métaphore ou à la métonymie – deux figures jouant un rôle structurant dans la poésie (la métaphore) et dans le récit (la métonymie) – mais aussi par une réactivation du projet taxinomique global des anciennes rhétoriques, dont témoigne le Groupe 猪.

– Poésie et métrique. Bien que la poétique structuraliste ait privilégié l’analyse de la littérature narrative sur celle de la poésie, des travaux importants ont été consacrés à l’analyse des structures poétiques: on citera notamment le texte de Jean Cohen, Structure du langage poétique (1966), la description linguistique d’un sonnet de Baudelaire par Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss, ainsi que l’analyse des parallélismes (phonique, syntaxique et sémantique) en poésie due à Nicolas Ruwet. L’analyse métrique a été souvent menée dans le cadre théorique de la grammaire générative: on peut retenir l’analyse de la métrique anglaise par Morris Halle et Kayser et celle de la métrique française par Jacques Roubaud. Les travaux plus récents, comme ceux de Benoît de Cornulier, ont cependant tendance à abandonner le modèle de la grammaire générative, en faveur d’une explication des structures métriques en termes de contraintes cognitives.

Situation actuelle

Avec le reflux du «structuralisme» vers la fin des années 1970, la poétique a subi une inflexion notable. Si l’analyse structurale a mis l’accent sur l’aspect syntaxique de la littérature, c’est-à-dire l’analyse immanente des formes, les développements récents de la poétique témoignent d’une prise en compte de la dimension pragmatique: sous ce terme, on regroupe l’ensemble des questions qui surgissent dès lors qu’on s’est rendu à l’évidence que les œuvres littéraires sont des actes discursifs et que donc leur dimension verbale doit être replacée dans le cadre plus global de leur situation communicationnelle.

Cette inflexion se remarque dans au moins trois domaines:

– La question de la spécificité de la littérature. En tant qu’activité artistique verbale, la littérature se situe au croisement de deux séries de faits: les faits discursifs et les faits artistiques. À son niveau le plus général, la poétique est donc appelée à se développer au moins selon deux directions: l’étude de la spécificité (éventuelle) de la littérature dans le champ des pratiques verbales et, secondairement, celle de la spécificité sémiotique de l’art verbal comparé aux autres arts, ce qui semble indiquer que l’analyse poétique ne saurait se passer d’une perspective plus largement sémiotique.

En ce qui concerne la spécificité de la littérature par rapport aux autres pratiques verbales, on peut distinguer, à la suite de Gérard Genette, au moins deux types de littérarité: le domaine de la littérarité constitutive, réunissant la fiction (caractérisée par des spécificités logiques ou pragmatiques) et la diction (la poésie, définie formellement), deux champs d’activités verbales à visée esthétique institutionnalisée; celui de la littérarité conditionnelle, comprenant les œuvres appartenant à des genres sans visée esthétique institutionnalisée (l’autobiographie, le journal intime, le discours historique, etc.), mais qui, dès lors qu’elles font l’objet d’une attention esthétique, entrent dans le champ littéraire.

La spécificité de l’art verbal par rapport aux autres arts pose la question du statut ontologique de l’œuvre littéraire en tant qu’œuvre verbale. Nelson Goodman a proposé de distinguer entre arts autographiques – les arts sans schéma notationnel (par exemple la peinture) – et arts allographiques – les arts à notation syntaxique (la littérature mais aussi la musique). Mais le domaine même de l’art verbal n’est pas unifié du point de vue du statut ontologique des œuvres: un art allographique étant défini par l’identité syntaxique de l’œuvre à travers ses diverses instanciations (c’est-à-dire les exemplaires de l’œuvre), l’œuvre orale, caractérisée par l’absence d’identité stricte d’une performance à l’autre, échappe à cette définition syntaxique de l’identité de l’œuvre et nécessite le recours à des critères d’identité sémantique. La même analyse pourrait être menée concernant le texte théâtral.

– Création et intentionnalité. Bien qu’actuellement beaucoup des théories d’interprétation textuelle soient anti-intentionnalistes, la lecture du poéticien ne peut se passer d’une reconstruction de la structure intentionnelle des textes, puisqu’il étudie les procédés créateurs. Certains développements récents de la poétique permettent d’aborder la question de l’intentionnalité sur un plan concret. C’est le cas, avec A. Lord, Paul Zumthor, R. Finnegan, du renouvellement de l’intérêt porté aux œuvres orales. C’est aussi le cas, par exemple avec Jean Bellemin-Noël, de l’étude des avant-textes des œuvres – documentation, plans, scénarios, ébauches, dossier de brouillons, mises au net avec corrections, manuscrit définitif –, étude qui relève de la critique génétique, qui constitue un terrain d’étude privilégié des processus de création littéraire conçus comme processus intentionnels.

– Poétique et histoire. On a pu reprocher au structuralisme d’avoir sous-estimé l’importance de la dimension historique dans la description des faits littéraires. Or la nécessité d’une prise en compte de la dimension historique découle directement du fait que l’œuvre littéraire est un fait intentionnel. Par exemple, pour savoir si tel ou tel élément linguistique d’un poème est marqué esthétiquement, il faut connaître – entre autres – l’état historique de la langue au moment de la création du poème.

La problématique des genres littéraires manifeste elle aussi le caractère indissociable des relations synchroniques et de la variabilité diachronique: ni essences suprahistoriques ni simples définitions nominales, il s’agit d’un ensemble complexe de relations généalogiques entre textes, de règles explicites et de normes implicites, combinées en des proportions diverses et variables. La transhistoricité des genres se manifeste en ce qu’ils se cristallisent en des schémas relativement stables dont la durée opérationnelle peut être des plus diverses, mais auxquelles la projectibilité historique et, par là même, une tendance à la réactivation sont inhérentes. Un schéma donné n’aura évidemment pas la même signification dans différents contextes: il n’existe que dans des actualisations historiques changeantes, tout en étant irréductible à elles, du fait même de son statut de schéma formel dont la réalité ultime est mentale. On voit, par cet exemple, que les distinctions analytiques de la poétique, loin de s’opposer à la prise en compte de la variabilité historique de la littérature, nous permettent d’en mesurer toute l’ampleur et de la penser avec un minimum de rigueur.

1. poétique [ pɔetik ] adj.
• 1402; « propre aux fonctions des poètes » 1375; lat. poeticus; gr. poiêtikos
1Relatif, propre à la poésie. Style, expression, image poétique. « Je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens » (Rimbaud). Inspiration poétique. Licence poétique. Art poétique. 2. poétique.
2Empreint de poésie. lyrique. « Une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme » (Baudelaire).
3Qui présente un caractère de poésie (5o), qui émeut par la beauté, le charme, la délicatesse. Paysage, scène, moment poétique. romantique. Vision poétique de la vie.
4Ling. (d'apr. Jakobson) Fonction poétique du langage, caractérisée par le fait que l'accent est mis sur le message en tant que tel et sur les signes dont il est constitué (et non sur l'information véhiculée).
⊗ CONTR. Prosaïque. Antipoétique. poétique 2. poétique [ pɔetik ] n. f.
• 1637; lat. poetica, gr. poiêtikê (tekhnê)
1Recueil de règles, conventions et préceptes relatifs à la composition des poèmes et à la construction des vers. La poétique de Boileau. « Il y a cent poétiques contre un poème » (Voltaire).
2Par ext. Théorie générale de la nature et du destin de la poésie. La poétique de Mallarmé. Théorie de la création littéraire, de la littérarité. « Questions de poétique », ouvrage de R. Jakobson.

poétique adjectif (latin poeticus, du grec poiêtikos) Relatif à la poésie, qui lui est propre : Inspiration poétique. Qui est capable d'émouvoir la sensibilité, l'imagination par ses caractères originaux, son charme : Paysage poétique. Qui est doué pour la poésie : Esprit poétique. Se dit d'un mot, d'un style qu'on emploie pour donner à son énoncé un caractère orné, fleuri (par exemple l'emploi de pâtre [pour berger], de destrier [pour cheval]). ● poétique (citations) adjectif (latin poeticus, du grec poiêtikos) Aimé Césaire Basse-Pointe, Martinique, 1913 La connaissance poétique est celle où l'homme éclabousse l'objet de toutes ses richesses mobilisées. Sur la poésie Segherspoétique (expressions) adjectif (latin poeticus, du grec poiêtikos) Fonction poétique, fonction du langage qui envisage le message en lui-même. (Le langage est alors considéré comme un objet stylistique ou ludique.) ● poétique (synonymes) adjectif (latin poeticus, du grec poiêtikos) Qui est capable d'émouvoir la sensibilité, l'imagination par ses caractères...
Synonymes :
- lyrique
- romanesque
- romantique
Contraires :
- banal
- commun
- prosaïque
- vulgaire
poétique nom féminin Traité de versification et de poésie ; art poétique. Système poétique d'un écrivain, d'une époque. Activité critique qui s'applique à comprendre le fonctionnement de l'écriture poétique.

poétique
adj. et n. f.
rI./r adj.
d1./d Qui a rapport à la poésie, qui lui appartient. Expression, style poétique.
d2./d Qui suscite une émotion esthétique du même ordre que celle qu'inspire la poésie. Paysage poétique.
rII./r n. f.
d1./d Ensemble de préceptes, de règles pratiques concernant la poésie. écrire une poétique.
d2./d Conception de la poésie. La poétique de Mallarmé.

I.
⇒POÉTIQUE1, adj.
A. —[Corresp. à poésie]
1. Relatif à un genre littéraire soumis à des règles prosodiques particulières Ce que nous disons des idées, il faudra bien le dire et des images, et des sentiments, et jusqu'à un certain point de la musique verbale elle-même. Aucun de ces éléments, pris en soi, et séparé du courant poétique, n'est poésie (BREMOND, Poés. pure, 1926, p.63). La langue poétique est rigoureusement comparable aux «formules des mathématiques»: elles forment un monde en elles-mêmes et ne jouent qu'avec elles-mêmes (H. FRIEDRICH, Struct. de la poés. mod., Paris, Denoël-Gonthier, 1976, p.29).
Art poétique. V. aussi poétique2.
Licence poétique.
LING. Fonction poétique. V. fonction I B c. La fonction poétique n'est pas la seule fonction de l'art du langage, elle en est seulement la fonction dominante, déterminante, cependant que dans les autres activités verbales elle ne joue qu'un rôle subsidiaire, accessoire. Cette fonction, qui met en évidence le côté palpable des signes, approfondit par là même la dichotomie fondamentale des signes et des objets. Aussi, traitant de la fonction poétique, la linguistique ne peut se limiter au domaine de la poésie (R. JAKOBSON, Essais de ling. gén., trad. par Ruwet, t.1, 1963, p.218).
Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le fait poétique. Soyez de plus en plus sévère et pur dans vos vers, pur à l'oreille, pur dans le style; ne faites pas de mots nouveaux comme: espéreurs. Hélas! nous en avons trop fait, ç'a été notre mal. Le simple et le vrai, quand le poétique y est d'ailleurs, voilà ce qui triomphe (SAINTE-BEUVE, Corresp., t.3, 1840, p.335):
1. Nul acte de foi, si momentané soit-il, n'est requis de nous pour adhérer à un poème de Hardy: que malgré cela, ses poèmes soient vraiment de la poésie —non pas de la «poésie pure», et c'est ce qui explique qu'un Valéry se refuse à les reconnaître, —mais de la poésie, au même titre qu'un arc-boutant gothique est de l'art, —une poésie qui rejoint le poétique par la vigueur de poussée de sa masse, —c'est là son mérite propre.
DU BOS, Journal, 1925, p.259.
SYNT. Art, courant, domaine, genre, jeu, langage, livre(s), mètre, miracle, mot, mouvement, mythe(s), sujet, style, symbolisme, thème, terme(s), verbe, vocabulaire poétique(s); beauté, cadence, création, expression(s), fantaisie, floraison, forme, matière, métamorphose, nuance, réalité, renaissance, signification, structure, valeur poétique(s).
2. Qui est riche de ce qui définit essentiellement la poésie. Traduction poétique (d'une oeuvre de Valéry). Quel est celui d'entre nous qui n'a pas (...) rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime (...)? (BAUDEL., Poèmes prose, 1867, p.7). Les silences de la prose sont poétiques parce qu'ils marquent ses limites (SARTRE, Sit.II, 1948, p.87):
2. ... entre la forme et le fond, entre le son et le sens, entre le poème et l'état de poésie, se manifeste une symétrie, une égalité d'importance, de valeur et de pouvoir, qui n'est pas dans la prose; qui s'oppose à la loi de la prose —laquelle décrète l'inégalité des deux constituants du langage. Le principe essentiel de la mécanique poétique —c'est-à-dire des conditions de production de l'état poétique par la parole —est à mes yeux cet échange harmonique entre l'expression et l'impression.
VALÉRY, Variété V, 1944, p.152.
3. P. anal.
a) Qui est empreint de poésie, dans l'expression artistique, dans un domaine autre que littéraire. Paysage, tableau poétique; (peindre dans des) colorations (suaves et) poétiques; timbre, dons poétique(s) (de la flûte...); la poétique musique de Debussy. Sa conversation n'est pas sans charme. Il lui arrive assez souvent de ne pas achever ses phrases, ce qui donne à sa pensée une sorte de flou poétique. Elle fait de l'infini avec l'imprécis et l'inachevé (GIDE, Faux-monn., 1925, p.1123):
3. C'est le XIXe siècle, et tout particulièrement Delacroix, qui ont pris conscience de ces pouvoirs irrationnels de la couleur. En témoigne le passage célèbre du grand peintre romantique: «Qui dit un art dit une poésie. Il n'y a pas d'art sans un but poétique...»
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.206.
P. méton. La poétique viole personnifia donc à la fois au cours de son existence, la musique terrestre et la musique céleste (GRILLET, Ancêtres violon, t.2, 1901, p.272).
b) [Dans une accept. souvent métaph., d'une manière parfois hypocor. ou péj.] Je possédais, gamin, un poétique objet de bazar. C'était, captive dans une boule de verre bleu: Moscou (COCTEAU, Potomak, 1919, p.268). Je ne veux plus entendre parler de derrière poétique, ni de rut poétique, ni de sexe poétique (AYMÉ, Confort, 1949, p.180).
4. IMPR., vx. Caractère poétique. Caractère romain plus étroit et allongé que le caractère ordinaire, dont on se servait pour imprimer des ouvrages en vers alexandrins. (Dict. XIXe et XXes.).
B. —[Corresp. à poète]
1. Qui est propre au poète. Comment faire de bons vers sans ivresse poétique? (LASSERRE, Philos. goût mus., 1922, p.146):
4. Selon Jakob (...) Le rêve n'est rien autre que poésie involontaire. Cette formule si nouvelle se retrouve presque mot pour mot, sept ans plus tard, chez Jean-Paul, dans son traité de 1798, et ce rapprochement entre le songe et la création poétique sera l'un des thèmes constants du romantisme.
BÉGUIN, Âme romant., 1939, p.8.
SYNT. Don, enthousiasme, fureur, instinct, monde, talent poétique; tour(s) poétique(s); conception, création, exaltation, fiction, imagination, inspiration, intuition, production, puissance, recherche, sensibilité, tendance, vision poétique.
2. Qui est capable de sentir, d'exprimer, la beauté des choses; qui a des affinités, des dispositions pour la poésie. Il y avait en 1800 un grand rôle à prendre d'avocat poétique du Christianisme; l'auteur [du Génie du Christianisme] se sentit la force, le saisit et s'y précipita (SAINTE-BEUVE, Chateaubr., t.1, 1860, p.285):
5. Cherchez dans l'écriture elle-même. Vous trouverez des poètes poètes, et des poètes poétiques. Ils forment deux races distinctes. Villon, Baudelaire, Rimbaud poètes poètes. Ronsard, Musset, Verlaine, poètes poétiques.
COCTEAU, Crit. indir., 1932, p.103.
[P. méton. En parlant d'un attribut, d'une disposition naturelle de la pers.] Émotion, nature, sensibilité poétique:
6. Nul poète n'a pensé mieux choisir et régler sa langue que Mallarmé; un poème, disait-il, est un «hasard vaincu mot par mot». Comprendre le poème, c'est pour le lecteur vaincre à son tour l'apparence du fortuit et retrouver, non pas nécessairement par entendement, mais par accueil poétique «l'air du chant sous le texte conduisant la divination d'ici là»...
RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.380.
3. [En parlant d'une pers.; p.méton., de sa manière de voir, de réfléchir et p.réf. au monde du poète côtoyant le rêve, l'idéal, l'imaginaire...] Éloigné du réel, des événements, des choses terre-à-terre. Anton. réaliste. Réflexion poétique sur (qqc.). Avec ma soeur et moi, il changeait un peu de caractère (...). Il se faisait moins réel et, j'ose dire, plus poétique (A. FRANCE, , Putois 1904, p.74).
REM. 1. Poétisme, subst. masc. a) Rare. Aspect, caractère particulièrement poétique. Pareillement, le bel optimisme de George Sand nous fait lui pardonner le poétisme souvent irréel de ses idylles (BOURGET, Physiol. amour mod., 1890, p.387). b) Hist. littér. Mouvement littéraire et artistique tchèque, inspiré du dadaïsme et originaire de Prague (troisième décennie du XXes.). Bien que son manifeste soit paru quelque temps avant celui d'André Breton, il est évident que le poétisme est la forme tchèque du surréalisme, mais forme très originale, comme l'a bien montré Nezval, qui prétend «cultiver la rime pour en faire jaillir des éclairs nouveaux, tâcher d'obtenir des étincelles des assonances, essayer des rythmes insoupçonnés, subordonner l'image au jeu du vers et de la rime alors que les surréalistes travaillent avec l'image sans autre accessoire technique» (Arts et litt., 1936, p.50-6). 2. Poético-, élém. de compos., entrant dans la constr. d'adj. au sens de «qui est à la fois poétique et (cet autre adj.)». a) Poético-féminin, -ine. Je crains que ce mélange d'amour sacré et d'amour profane ne soit mal compris. On y verra l'équivalent de certains transports poético-féminins que je déteste, et cependant c'est tout le contraire: l'un tire l'âme à la chair, l'autre ne se sert de la chair qu'en façon de figure et de symbole à demi ironique d'une réalité bien autrement forte (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1911, p.176). b) Poético-musical, -ale, -aux. Le 19 février, elle [Annie Girardot] créera «Revue et corrigée», au Casino de Paris. Le jeu de mots du titre traduit assez bien l'astuce du projet: un divertissement comico-sentimental-poético-musical qui raconte la renaissance d'un théâtre abandonné grâce à une vedette acharnée autant que populaire, Annie (L'Express, 12 févr. 1982, p.13, col. 1). c) Poético-philosophique. Telle est l'interprétation poético-philosophique en laquelle se complaisait Wagner (PROD'HOMME, Symph. Beethoven, 1921, p.335). d) Poético-réaliste. Sorti au début de l'occupation nazie, ce film poético-réaliste [«Nous les gosses», de Louis Daquin], conçu par des militants du Front populaire, apporta une grosse bouffée d'air pur (Elle, 10 nov. 1980, p.153, col. 1).
Prononc. et Orth.:[]. LITTRÉ: ,,Dans la prononciation ordinaire, de deux syllabes``: [pwetik]. V. poème. Ac. v. poésie. Étymol. et Hist.1. a) 1372-74 art poëtique (N. ORESME, Politiques, éd. A. D. Menut, VIII, 12, p.355a); b) 1377 «relatif ou propre à la poésie» (ID., Ciel et monde, éd. A. D. Menut, I, 36, p.256: moz impropres et ainsi comme poëtiques); c) 1480 licence poetique (REGNAUD LE QUEUX, Barâtre infernal, ms. BN 450 ds Le Jardin de Plaisance, éd. E. Droz et A. Piaget, t.2, p.80: le sixieme cercle [de l'enfer], lieu perpetuel des dampnetz selon la licence poetique); 1676 fig. licence poétique (Mme DE SÉVIGNÉ, Corresp., 1er janv., éd. R. Duchêne, t.2, p.207); d) 1486 [date de l'éd.] «propre aux fictions cosmogoniques des poètes» (RAOUL DE PRESLES, Cité de Dieu, VI, 1, éd. 1486 ds GDF. Compl. [cf. Z. Rom. Philol. t.72, p.360]); 2. 1549 «porté à la poésie, doué pour la poésie» (DU BELLAY, Deffence et Ill. de la Lang. fr., éd. H. Chamard, p.170: les espris poëtiques); 3. 1552 fureur poétique «puissance créatrice qui anime le poète» (PONTUS DE TYARD, Solitaire premier, ou Prose des Muses, et de la fureur poetique, Lyon ds OEuvres, éd. S. F. Baridon, p.VIII); 4. 1572 typogr. Italicque Poëticque (Typographica Plantiniana II, 33 ds WOLF Buchdruck 1979, p.93); 1581 Cursiue Poeticque (op. cit., 70, ibid.); 1764 caractères poétiques (FOURNIER, Manuel typogr., p.167); 5. 1588 «apte à émouvoir, à inspirer, à éveiller le sentiment de la poésie» (MONTAIGNE, Essais, III, 9, éd. Villey-Saulnier, p.994: l'alleure poetique); 6. 1963 ling. la fonction poétique du langage (R. JAKOBSON, loc. cit.). Empr. au lat. poeticus «poétique», et celui-ci au gr. «capable de créer; inventif, poétique». Bbg. COHEN (J.). Struct. du lang. poétique. Paris, 1966, pp.7-51. —DUFRENNE (M.). Le Poétique. Paris, 1963, pp.5-6. — JUNG (M.-R.). Poetria. Vox rom. 1971, t.30, p.44-64. — KRISTEVA (J.). La Révolution du lang. poétique. Paris, 1974, 646 p.— QUEM. DDL t.15 (s.v. poético-); 26 (s.v. poétisme). — WAGNER (R.-L.). Lang. poétique. In: [Mél. Lerch (E.)]. Stuttgart, 1955, pp.416-430.
II.
⇒POÉTIQUE2, subst. fém.
A. —Ouvrage didactique réunissant un ensemble de règles pratiques concernant la versification et la composition des divers genres de poésies. Écrire une poétique; la poétique de Boileau. Vous blâmez les poétiques, parce que, dites-vous, elles enchaînent le génie (STENDHAL, Racine et Shakspeare, t.1, 1823, p.11).
[P. anal., notamment d'autres domaines artist.] Poétique de la musique de Stravinski. Code de la Cuisine. Nos chansonniers peuvent faire sur cet art des couplets succulents (...) mais que diront-ils qui vaille les règles précises que traça un adepte, et qui sont vraiment la poétique de l'art culinaire (VIARD, Cuisin. roy., 1831, préf., p.3). On ne doit pas s'étonner de voir refleurir les poétiques, les dramaturgies, les arts du roman, à la suite des morphologies du cinéma ou des syntaxes de la langue publicitaire (GUIRAUD ds Langage, 1968, p.448):
1. Croce, peu sensible manifestement aux arts plastiques, dont il parle rarement et toujours du dehors, sans jamais proposer d'analyses concrètes d'une oeuvre ou d'une situation, a élaboré plutôt une poétique qu'une esthétique.
Traité sociol., 1968, p.282.
B.En partic.
1. a) [P. réf. à tel poète, aux poètes de telle école ou de telle période littér.] Ensemble des conceptions relatives à la poésie propre à tel poète, à telle époque ou école donné(e). La poétique de Mallarmé, de Valéry; la poétique classique, moderne, romantique, surréaliste. Le siècle où nous vivons surpasse seul tous les précédents (...) Voilà en peu de mots le secret et le résultat de la poétique de Madame de Staël (FONTANES, OEuvres, t.2, Litt. et crit., 1821, p.197).
b) [P. anal., p.réf. à tel artiste, à tel musicien] La poétique instrumentale de Gluck (...) assigne aux trombones l'expression du pathétique terrible (GEVAERT, Instrument., 1885, p.249).
2. En partic.
a) [Chez Valéry, théorie de la littér. érigée en discipline et qu'il enseigna dans la chaire de poétique créée en son honneur] En 1936, il [Valéry] est nommé président de la Coopération intellectuelle de la S.D.N. [Société des Nations] et professeur de poétique au Collège France (LAFFONT-BOMPIANI, Dict. biogr. des aut., t.4, 1980, p.564, s.v. Valéry):
2. Le nom de poétique nous paraît lui convenir [à une théorie de la Littérature], en entendant ce mot selon son étymologie, c'est-à-dire comme nom de tout ce qui a trait à la création ou à la composition d'ouvrages dont le langage est à la fois la substance et le moyen...
VALÉRY, Variété V, 1944, p.291.
b) [P. réf. à la théorie générative en ling.] Poétique générative. Courant de recherche tendant à appliquer la théorie générative à la poésie. Les recherches de «poétique générative» n'ont pas résolu de problèmes. Elles ont servi à montrer que certains problèmes étaient sans intérêt et ne devaient leur existence qu'à un manque de réflexion théorique préalable. Ce qui en un sens justifie les réticences liminaires de N. Chomsky quant à l'applicabilité de sa théorie à des systèmes plus complexes (Langages. Paris. 1978 n° 51, p.5).
C.P. ext.
1. La poétique de (qqc.). Ensemble de principes qui font la poésie d'une oeuvre, d'un genre, d'une philosophie. La poétique du roman sentimental est simple, on la déduit aisément de la Nouvelle Héloïse, de Delphine, de Werther, Adolphe et René (SAINTE-BEUVE, Prem. lundis, t.1, 1826, p.72).
[Titre des 2e et 3e part. du Génie du Christianisme de Chateaubriand] Dans le Génie du Christianisme (...) il se trouve une section entière consacrée à la poétique du Christianisme (SAINTE-BEUVE, Chateaubr., t.1, 1860, p.190).
2. [Dans des domaines artist., autres que celui de la litt.] Synon. de esthétique, théorie. Le (...) Paysage [de Salvator Rose] contient toute la poétique du genre (...) roches aux déchirures convulsives, figures sinistres, qui semblent apostées pour un guet-apens (GAUTIER, Guide Louvre, 1872, p.112).
Prononc. et Orth.:[]. V. poème et poétique1. Ac. v. poésie. Étymol. et Hist. 1. a) 1599 sens incertain (LA POPELINIÈRE, Histoire des histoires, I, 137 ds Fonds BARBIER: la poëtique cy dessus deduite); b) 1637 «traité de poésie» (G. DE SCUDERY, Observations sur le Cid ds CORNEILLE, OEuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t.12, p.447: Aristote [...] en sa Poétique); c) 2e moitié XVIIIes. «système d'expression poétique propre à un poète, une école, une époque, un pays...» (GRIMM ds Lar. 19e et Lar. Lang. fr.); 2. 1767-68 p.ext. «l'esthétique, la théorie d'un art ou d'un genre artistique particulier (ici, la peinture des ruines)» (DIDEROT, Salon de 1767, éd. J. Seznec et J. Adhémar, pp.227 et 233: la poétique des ruines); 1835 la poétique des beaux-arts (Ac.). Empr. au lat. poetica «poésie, travail, art du poète», et celui-ci au gr. (s.-ent. ) «la faculté poétique, l'art de la poésie», fém. subst. de l'adj. (poétique1).
STAT.Poétique1 et 2. Fréq. abs. littér.: 3048. Fréq. rel. littér.: XIXes.: a) 4898, b) 3381; XXes.: a) 2742, b) 5322.
BBG. —DELAS (D.), FILLIOLET (J.). Ling. et poétique. Paris, 1973, p.14, 15, 44, 158. — DELAS (D.), THOMAS (J.-J.). Poétique générative. Langages. Paris. 1978, t.12, n° 51, 117 p.— DENAT (A.). Les Deux Poétiques. Australian journal of Fr. studies. 1968, t.5, n° 1, pp.3-17. —GARELLI (J.). L'Ambiguïté du mot poétique. Australian journal of Fr. studies. 1968, t.5, n° 1, pp.18-20. — MESCHONNIC (H.). Pour la poétique. Paris, 1970, 179 p.— NICOLAS (A.). L'Esthétique impossible: les Poétiques fr. du XIXes. Lang. fr. 1981, n° 49, pp.5-13.

1. poétique [pɔetik] adj.
ÉTYM. 1402; « propre aux fonctions des poètes », 1375; lat. poeticus; du grec poiêtikos, rac. poïesis. → Poésie.
1 Relatif ou propre à la poésie (I., 1.). || Style, langue, tour, mot, expression poétique (→ Genre, cit. 14; nô, cit.). || La cadence poétique (→ Harmonie, cit. 23). || Inspiration poétique (→ Léger, cit. 30). Veine, verve. || Une fantaisie (cit. 14), un jeu (cit. 18) poétique. || L'imagination poétique (→ Arlequin, cit. 5). || Réalité poétique de l'image (cit. 46). || Matière, domaine poétique (→ Fond, cit. 58; 3. mal, cit. 45). || Génie, talent poétique (→ Draper, cit. 10; esquisser, cit. 3).(1521). || Licence (cit. 8 et 9) poétique.(1548). || Art poétique. 2. Poétique.
1 Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens.
Rimbaud, Une saison en enfer, « Délires », II.
2 (…) le poète s'est retiré d'un seul coup du langage-instrument; il a choisi une fois pour toutes l'attitude poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes.
Sartre, Situations II, p. 64.
Prose poétique.
3 Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?
Baudelaire, le Spleen de Paris, « À Arsène Houssaye ».
2 (1588). Empreint de poésie (I., 4.). Lyrique. || Le génie poétique d'un orateur, d'un artiste (→ Expression, cit. 44). || Contes, romans, harangues (cit. 5) poétiques (→ Jonglerie, cit. 3; libertinage, cit. 9). || « J'aime l'allure poétique, à sauts et à gambades » (→ Démoniaque, cit. 1, Montaigne). || Exagération, flou (cit. 6) poétique (→ Durer, cit. 4). || Élément poétique qui entre dans les fugues (cit. 2) de Bach. || Conversation poétique et colorée (→ Incrédulité, cit. 8). || La plainte poétique d'une fée (→ Musical, cit. 3). || Musique facilement poétique (→ Ondulation, cit. 6).
3 Qui présente un caractère de poésie (II.), qui émeut par la beauté, le charme, la délicatesse. || État ou émotion poétique : état affectif particulier, lié à la révélation confuse de certaines « correspondances » :
4 (…) l'état ou émotion poétique me semble consister dans (…) une tendance à percevoir un monde, un système complet de rapports, dans lequel les êtres, les choses, les événements et les actes, s'ils ressemblent, chacun à chacun, à ceux qui peuplent et composent le monde sensible, le monde immédiat duquel ils sont empruntés, sont, d'autre part, dans une relation indéfinissable, mais merveilleusement juste, avec les modes et les lois de notre sensibilité générale. Alors, ces objets et ces êtres connus changent en quelque sorte de valeur (…) Ils se trouvent (…) musicalisés, devenus commensurables, résonnants l'un par l'autre. L'univers poétique ainsi défini présente de grandes analogies avec l'univers du rêve (…) C'est à peu près de même que l'état poétique s'installe, se développe et se désagrège en nous. C'est-à-dire qu'il est parfaitement irrégulier, inconstant, involontaire, fragile, et que nous le perdons comme nous l'obtenons, par accident.
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1363.
Connaissance (cit. 2) mystique ou poétique. || L'univers poétique. || Existence (cit. 19) poétique. || Vision poétique de la vie (→ Naturaliste, cit. 7). || Nature, sensibilité poétique. || Une atmosphère (cit. 16) légendaire et poétique. Beau, idéal. || Homme gai ou rêveur, poétique à l'excès (→ Bout, cit. 45). || Le Français n'est pas poétique (→ Entendre, cit. 75). || La poétique bergère sainte Geneviève (→ 1. Germain, cit. 6). Touchant.
5 Nous disons d'un paysage qu'il est poétique : nous le disons d'une circonstance de la vie; nous le disons parfois d'une personne.
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1362.
4 (Après 1960). Didact. || Fonction poétique : dans la théorie linguistique de R. Jakobson, Fonction du langage caractérisée par le fait que l'accent est mis sur le message en tant que tel et sur les signes dont il est constitué (et non, par ex., sur l'information véhiculée).
CONTR. Prosaïque. — Antipoétique.
DÉR. Poétiquement.
COMP. Antipoétique, apoétique.
————————
2. poétique [pɔetik] n. f.
ÉTYM. 1637, selon Wartburg; de 1. poétique, sur le modèle du lat. pœtica, grec poiêtikê (tekhnê), proprt « art de la création (en langage) ».
1 Didact. Traité de poésie (I., 1.), exposé ou recueil de règles, conventions, préceptes relatifs à la composition des divers genres de poèmes et à la construction des vers (→ Formule, cit. 11). || La poétique d'Horace, de Scaliger, de Boileau…, leurs arts poétiques. || L'Académie en 1634 projetait de composer une rhétorique et une poétique (→ Épurer, cit. 10).
1 Rien n'est plus aisé que de parler d'un ton de maître des choses qu'on ne peut exécuter : il y a cent poétiques contre un poème.
Voltaire, Essai sur la poésie épique, I.
2 Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l'art ! Il n'y a ni règles ni modèles; ou plutôt il n'y a d'autres règles que les lois générales de la nature, qui planent sur l'art tout entier, et les lois spéciales qui (…) résultent des conditions propres à chaque sujet (…) ces règles-là ne s'écrivent pas dans les poétiques.
Hugo, Cromwell, Préface.
Théorie générale de la poésie et du destin de la poésie. || La poétique de Hegel. || La poétique de Mallarmé, de Valéry, du surréalisme.
Mod. Théorie de la création littéraire. || La Poétique d'Aristote. || Poétique de la prose, ouvrage de T. Todorov. || Questions de poétique, ouvrage de R. Jakobson. || Rhétorique et poétique. || Poétique structurale.
3 (…) le mot « Poétique » n'éveille guère plus que l'idée de prescriptions gênantes et surannées. J'ai donc cru pouvoir le reprendre dans un sens qui regarde à l'étymologie, sans oser cependant le prononcer Poïétique (…) Mais c'est enfin la notion toute simple de faire que je voulais exprimer. Le faire, le poïein, dont je veux m'occuper, est celui qui s'achève en quelque œuvre et que je viendrai à restreindre bientôt à ce genre d'œuvres qu'on est convenu d'appeler œuvres de l'esprit.
Valéry, Variété, in Œ., Pl., t. I, p. 1342.
3.1 Sous les noms de poétique et de rhétorique, la théorie des « genres » et, plus généralement encore, la théorie du discours remontent (…) à la plus haute antiquité, et, d'Aristote à La Harpe, se sont maintenues dans la pensée littéraire de l'Occident jusqu'à l'avènement du romantisme (…)
(Aujourd'hui, la critique doit) bien admettre la nécessité (…) d'une discipline assumant (les) formes d'étude non liées à la singularité de telle ou telle œuvre, et qui ne peut être qu'une théorie générale des formes littéraires — disons une poétique.
G. Genette, Figures III, Critique et Poétique, p. 10.
2 (1767). Vieilli. || La poétique des beaux-arts : l'esthétique, la théorie des arts.
4 Mais étudiez Vernet. Apprenez de lui à dessiner, à peindre, à rendre vos figures intéressantes; et puisque vous vous êtes voué à la peinture des ruines, sachez que ce genre a sa poétique.
Diderot, Salon de 1767, Hubert Robert.
(Chateaubriand). || La poétique du christianisme (seconde et troisième parties du Génie du christianisme), définie comme « les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts ».

Encyclopédie Universelle. 2012.