SALUT
La notion de salut en histoire des religions est une notion complexe. Elle comporte un aspect négatif, par où le salut s’entend comme délivrance et libération; dans cette perspective, les maux dont le fidèle se trouve préservé sont souvent de nature matérielle, ou du moins temporelle: maladies, infortunes diverses, mort de soi-même ou d’autrui; mais il s’agit aussi de maux spirituels: le salut libère du péché, ou de l’emprise d’un monde jugé mauvais. On se rapproche ainsi du contenu positif de cette notion, où il s’agit de l’octroi d’un bien; généralement, du seul bien désirable, unum necessarium , la vie éternelle; on parlera alors du salut eschatologique. Mais l’ambiguïté n’est pas pour autant levée; car le salut eschatologique peut difficilement se trouver purement et simplement repoussé jusqu’à la fin des temps; il doit se manifester dès cette vie, sous forme de promesse, d’arrhes, de réalisation inchoative. Cette incertitude apparaît plus ou moins dans tous les contextes religieux, mais l’accent y est mis sur l’un ou l’autre pôle. Certaines langues ont des mots différents pour désigner le salut comme délivrance et le salut comme plénitude; c’est ainsi que l’allemand emploie Erlösung dans le premier cas, et Heil dans le second; le français ne bénéficie pas de cette clarification, et l’on y doit savoir chaque fois de quel aspect du salut l’on veut parler. Un autre fait de langue est la parenté sémantique qui existe entre le salut que l’on donne en saluant et le salut que procure le sauveur, puisque Littré aussi bien que Bloch et von Wartburg définissent le verbe «saluer»: «souhaiter à quelqu’un le salut». Toutes les religions, a-t-on dit, font plus ou moins sa place au salut; il ne peut être question d’en faire ici la revue complète; on y prélèvera quelques échantillons significatifs, choisis dans les milieux les plus différents; on examinera ainsi la conception du salut que l’on rencontre dans les religions de l’Inde, dans la religion grecque, et bien entendu dans la tradition judéo-chrétienne; on essaiera de dégager les caractères spécifiques propres à chaque cas; sans méconnaître les courants communs qui circulent à travers ces diverses manifestations.
La délivrance dans le védisme et le bouddhisme
L’une des doctrines centrales de la religion de l’Inde ancienne est, on le sait, celle du karman : la nécessité qui s’impose à l’âme de toujours subir une renaissance nouvelle dans une condition humaine ou animale déterminée par la qualité de ses actes passés. Le salut consiste à s’évader de la fatalité du karman , à briser le cycle des renaissances, à l’immobiliser de même que la roue du potier s’arrête quand aucune impulsion ne la fait plus tourner. Selon certaines écoles, cette délivrance n’est possible qu’à la mort, mais d’autres voient dans le saint, dès ici-bas, un «délivré-vivant» dépouillé de tout besoin, de tout désir, de tout intérêt: «Il jouit sans relâche de la délivrance, plongeant et replongeant dans ce lac de béatitude innée qu’est la suprême réalité de Shiva», dit la Vague de félicité , poème attribué à Shankara.
Selon que la perspective est théiste ou athée, l’état du délivré dans la mort définitive est décrit de façons diverses, mais concourantes: passivité et union à Dieu, abolition de la conscience, dépersonnalisation et identification avec le brahman , «comme est l’écoulement du fleuve dans la mer».
Bien qu’on le regarde parfois comme une hérésie du brahmanisme ancien, le bouddhisme a repris et fortifié cette représentation du salut dans la doctrine célèbre mais souvent mal comprise de l’«extinction» ou nirvâna : celui qui sait s’arrache à l’emprise de la causalité naturelle; «son âme et affranchie de l’attachement au désir, de l’attachement au devenir, de l’attachement à l’erreur, de l’attachement à l’ignorance. Dans le délivré s’éveille la connaissance de sa délivrance; la renaissance est anéantie, la sainteté atteinte, le devoir rempli, il n’y a plus de retour en ce monde» (Samyutta-Nikâya ). Mais le nirvâna n’est pas seulement l’au-delà qui attend le saint après sa mort; c’est l’état de perfection dont il jouit déjà dans cette vie: «Celui qui s’est échappé des sentiers trompeurs, non frayés, difficiles du Samsâra, celui qui a passé à l’autre bord et a atteint la rive, abîmé en lui-même, sans défaillances, sans doutes, celui qui, délivré des choses de la terre, a atteint le nirvâna, celui-là je l’appelle un vrai brahmane» (Dhammapada ). Dès lors que la racine en est anéantie, peu importe que cette existence passagère se prolonge pour quelques instants ou pour un siècle; s’il le veut, le saint peut tout de suite y mettre fin; mais il attendra le plus souvent le terme fixé par la nature: «Je ne soupire pas après la mort, je ne soupire pas après la vie: j’attends jusqu’à ce que l’heure vienne, comme un serviteur qui attend sa récompense. Je ne soupire pas après la mort, je ne soupire pas après la vie: j’attends que l’heure vienne, conscient et d’un esprit vigilant» (Milindapanha ). Mort naturelle ou mort anticipée, est-ce dans le néant que le saint entre quand en sonne l’heure? À cette question on a trop souvent donné sans précaution une réponse affirmative; c’est le mérite de Max Müller et de H. Oldenberg d’avoir montré qu’au moins dans la doctrine originelle du Bouddha et de sa première communauté, le nirvâna était en réalité le plus haut achèvement de l’existence et non sa suppression, encore que l’on demandât expressément aux fidèles de renoncer à rien savoir de l’existence ou de la non-existence du parfait délivré.
Le salut dans l’orphisme grec
Dans la religion grecque commune, le titre de «sauveur» ou «salvatrice» (sôter et sôteira ) est décerné à plusieurs dieux et déesses. C’est une épithète ordinaire de Zeus et d’Athéna; les Athéniens célébraient en l’honneur de tous deux une fête appelée précisément Diisôteria ; ils offraient à Zeus sôter la troisième et dernière coupe des banquets, et Platon fait plusieurs fois allusion à cette coutume en parlant de «Zeus, troisième Sauveur». Sôter et sôteira sont encore le titre habituel d’Apollon, d’Asclépios, d’Artémis; Isis et Sérapis sont invoqués dans les mystères comme theoi sôteres. Il ne faudrait cependant pas se méprendre sur l’objet de ce salut; les inscriptions montrent que les dieux sont ainsi nommés quand on s’adresse à eux pour obtenir des bienfaits limités et terrestres, une guérison ou un heureux voyage, ou pour les remercier d’avoir reçu une semblable faveur. Aussi comprend-on que les rois hellénistiques et les empereurs romains finirent par porter le même titre; ainsi, au IIIe siècle avant J.-C., Ptolémée Ier d’Égypte et Antiochus Ier de Syrie; César est salué par la ville d’Éphèse comme le «sauveur commun de la vie humaine»; Antonin le Pieux l’est comme celui «qui sauve tout le genre humain». Il faut ajouter que ce titre de sauveur est associé fréquemment à l’idée de la «manifestation» (epiphaneia ) du personnage: Asclépios sôter est dit «avoir manifesté sa présence»; Antiochus et César sont appelés dans des inscriptions des «dieux manifestes».
Le salut procuré par tous ces dieux et princes sauveurs ne dépasse pas, on l’a vu, le niveau médiocre du bien-être et de la bonne fortune. Mais il en va tout autrement dans ce courant privilégié de la religion grecque ancienne qu’est l’orphisme. L’orphisme primitif, connu notamment par le témoignage de Platon qui l’associe souvent au pythagorisme, se formait de la vie une représentation radicalement pessimiste; exploitant (à moins qu’ils ne l’aient inspirée) une formule paradoxale d’Héraclite promise à une longue fortune, les orphiques regardaient la prétendue vie des hommes comme une vraie mort, et leur mort comme la vraie vie. C’est que la vie présente était à leurs yeux le temps d’un châtiment mérité par des fautes antérieures, en particulier par une faute originelle et constitutive; péché collectif lointain et expiation individuelle présente, ces convictions reposaient sur une anthropologie mythique selon laquelle le genre humain aurait été issu des cendres des Titans foudroyés par Zeus pour avoir dévoré le jeune Dionysos, en sorte que la nature de chaque homme comportait, de façon héréditaire, deux parts inégales en dignité comme en étendue: une parcelle précieuse sauvée du corps de Dionysos y était enfouie dans la masse perverse héritée des Titans. Dans cette perspective, tout le sens de la vie humaine était de libérer l’élément dionysiaque de sa gangue titanique; et ce résultat se méritait dans une suite douloureuse de réincarnations.
L’adepte de l’orphisme peut-il aider à ce processus libérateur dont l’achèvement définit le salut? En tout cas, il résistera à la tentation d’une libération prématurée et violente; il s’interdira le suicide; le Socrate du Phédon (62 ab ) fait sur ce point une claire allusion aux orphiques et cite l’une de leurs formules: «Et puisqu’il y a des gens pour qui d’un autre côté il vaut mieux d’être morts, oui, il te paraît probablement merveilleux que ce soit de leur part une impiété de se procurer à eux-mêmes ce bienfait, et qu’au contraire ils doivent attendre un bienfaiteur étranger!...» Il y a, à ce propos, une formule qu’on prononce dans les mystères: «Une sorte de garderie, voilà notre séjour à nous, les hommes, et le devoir est de ne pas s’en libérer soi-même ni s’en évader.» Seule est recommandée la rupture ascétique avec le corps par le moyen des purifications et du végétarianisme; venant à son heure, la mort naturelle couronnera cet effort et ouvrira le salut en donnant d’échapper au cycle des réincarnations. Des lamelles funéraires du IVe ou IIIe siècle avant l’ère chrétienne, dont l’origine orphique est très probable, prêtent au défunt des propos qui traduisent bien le sentiment de la libération définitive: «J’ai bondi hors du cycle des lourdes peines et des douleurs et me suis élancé d’un pied prompt vers la couronne désirée.»
Mais le témoin le plus explicite de la conception orphique du salut reste, malgré sa date tardive (Ve s. après J.-C.), Proclus dans son commentaire du Timée : «Voici ici présenté par le Démiurge le seul salut de l’âme, celui qui délivre du «cercle de la génération», de la longue errance, de la vie inutile: c’est la remontée vers la forme intellective de l’âme et la fuite de tout ce qui s’est attaché à nous en raison de la génération»; cette remontée, poursuit Proclus, «fait passer l’âme entière de l’errance dans la génération à la vie bienheureuse, cette vie que souhaitent d’obtenir ceux qui chez Orphée sont initiés à Dionysos et à Koré, qui souhaitent «d’être délivrés enfin du cercle et de reprendre souffle dans leur misère». Selon toute probabilité, il n’y eut jamais véritablement contact entre l’orphisme et les religions de l’Inde ancienne; la rencontre est d’autant plus saisissante entre ces deux univers, touchant leur conception du salut: avant-goût de la délivrance dès cette vie par la pratique de l’ascèse, attente patiente de l’heure de la mort, évasion définitive hors du cycle des réincarnations.
Le judaïsme ancien
À de rares exceptions près, «sauveur» est, dans l’Ancien Testament, un titre réservé à Yahvé ; mais le salut que promet ou procure le Dieu sauveur se situe à plusieurs niveaux différents, entre lesquels on discerne une progression du moins spirituel au plus spirituel. Il s’agit d’abord de la préservation ou de la libération de maux ou de dangers temporels, comme on l’a vu dans la religion grecque courante. Cette perspective se fait jour par exemple dans le cantique de gratitude et de confiance attribué à David qui vient d’être délivré de la main de Saül: «Yahvé est mon rocher, ma forteresse et mon libérateur, mon Dieu est mon roc, en lui je m’abrite, mon bouclier, ma corne de salut, ma citadelle et mon refuge, mon sauveur, toi qui me sauves de la violence! J’invoque Yahvé digne de louanges, et de mes ennemis je suis sauvé!» (II Sam., XXII, 2-4); les hommages à l’adresse du Dieu sauveur, formulés dans les mêmes termes et révélateurs de la même attitude, sont nombreux dans les livres poétiques de la Bible; ainsi le Psaume XXXI (2-3), également attribué à David: «En toi, Yahvé, je m’abrite: que je ne sois jamais confondu! Par ta justice délivre-moi! Tends vers moi ton oreille, hâte-toi de me sauvegarder, sois pour moi un rocher de refuge, un château fort pour me sauver!»
La doctrine du salut commence à évoluer quand elle concerne, non plus la protection individuelle, mais la sauvegarde du peuple élu tout entier dans les grands dangers et les lourdes épreuves de son histoire; telle est la conception qui a cours par exemple dans le récit de la traversée de la mer Rouge: «Moïse dit au peuple: «N’ayez pas peur! Restez sur place et voyez le salut que Yahvé réalisera pour vous aujourd’hui, car les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les reverrez jamais plus!» (Ex., XIV, 13); et encore dans les poèmes d’Isaïe relatifs à l’exil de Babylone: «Israël sera sauvé par Yahvé, en un salut perpétuel. Vous ne serez ni honteux, ni confus, à perpétuité» (Is., XLV, 17). À un degré supérieur, la libération procurée par Yahvé met fin au mal spirituel, au péché: «Je vous délivrerai de toutes vos souillures... Vous vous rappellerez vos voies mauvaises et vos actions qui n’étaient pas bonnes, et vous serez saisis de dégoût à votre propre sujet, à cause de vos fautes et de vos abominations»; ainsi parle Yahvé en Ezéchiel, XXXVI, 29-31.
Matérielles ou déjà spirituelles, les conceptions du salut que l’on vient de voir en Israël ont en commun d’être, à différents niveaux, négatives. Pour rencontrer un contenu positif de la même notion, il faut attendre le salut messianique. Aussi bien la libération de la captivité en Égypte (ce pays passant pour le symbole du péché) et de l’exil babylonien sera-t-elle, au temps du Christ, tenue pour le type du salut apporté par le Messie. Tel est en tout cas le salut que le judaïsme attendait à l’époque de Jésus; on peut s’en assurer en lisant, au début de l’Évangile de Luc (I, 68-75), le cantique de Zacharie père de Jean-Baptiste: «Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple, en nous suscitant un puissant sauveur dans la maison de David, son serviteur... Un sauveur qui nous délivre de nos ennemis et de tous ceux qui nous haïssent... selon le serment qu’il fit à Abraham, notre père, de nous donner qu’une fois délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice, sous son regard, toute notre vie durant.»
Le salut chrétien
On se heurte à quelques problèmes quand on essaie de dégager la doctrine du salut dans le Nouveau Testament. Sans doute le titre de sauveur y est-il, à de multiples reprises, attribué au Christ; mais c’est seulement dans les parties les plus récentes du texte, à savoir dans les épîtres pastorales, dans l’évangile de l’enfance (début de Luc), et dans l’Évangile de Jean; il n’y en a pas trace dans la catéchèse des Évangiles synoptiques. D’autre part, on a vu que, selon le témoignage des inscriptions, la religion grecque populaire associait fréquemment, à propos des dieux ou des princes, le titre de sauveur et l’idée de manifestation; or, curieusement, on rencontre la même conjonction, opérée sur la personne de Jésus, dans les épîtres pastorales; ainsi dans l’Épître à Tite (II, 13): «En attendant le bienheureux objet de notre espérance et la glorieuse manifestation de notre grand Dieu et sauveur le Christ Jésus», et encore dans la IIe Épître à Timothée (I, 10); une telle coïncidence laisse supposer une influence exercée sur saint Paul par les schèmes religieux du paganisme contemporain, et émousse la portée de ses descriptions de la fonction salvifique assumée par le Christ.
Mais l’originalité irréductible du Nouveau Testament, notamment dans sa partie paulinienne, reste entière sur deux points essentiels. D’une part, il emploie le titre de sauveur dans le sens eschatologique, tout à fait ignoré des documents hellénistiques; ainsi dans l’Épître aux Philippiens (III, 20): «Pour nous, notre patrie, c’est le ciel d’où nous attendons comme sauveur Notre Seigneur Jésus-Christ.» D’autre part, il le fait dans un contexte de rédemption, également original, comme on le voit par exemple dans l’Épître à Tite (II, 14; suite du texte cité plus haut): «Notre sauveur le Christ Jésus, lequel s’est livré en personne pour nous, afin de mieux racheter nos iniquités.»
En définitive, la notion du salut qui domine dans le Nouveau Testament concerne le salut messianique, conçu non seulement comme la préservation des maux, même spirituels, mais comme la possession eschatologique de la plénitude du bien. Non que le mot n’y apparaisse pas souvent dans le sens profane, appliqué par exemple aux guérisons miraculeuses de la maladie ou de la mort corporelles; mais, même alors, celles-ci sont la plupart du temps regardées comme le signe de la santé ou de la vie spirituelles; on peut citer à cet égard le discours de Pierre à Jérusalem reproduit dans les Actes des Apôtres (IV, 8-12): «Chefs du peuple et anciens, puisque, aujourd’hui, à l’occasion d’un bienfait accordé à un homme infirme, on nous interroge par quel moyen il a été guéri, sachez-le bien, vous tous et tout le peuple d’Israël, c’est au nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité des morts; c’est par lui que cet homme se présente devant vous guéri. C’est lui la pierre qui, rejetée par vous, les bâtisseurs, est devenue tête d’angle. Et le salut ne se trouve dans aucun autre; car il n’est dans le ciel aucun autre nom donné aux hommes, par qui nous devions être sauvés.»
Enfin, qu’il soit considéré, négativement, comme la libération qui délivre du péché ou, positivement, comme la surabondance des plus hauts biens imaginables, le salut eschatologique appartient par définition au futur; pourtant, il a d’une certaine façon commencé dès ici-bas, ce qui explique que le Nouveau Testament emploie assez souvent le verbe «sauver» au passé. Car le salut déjà venu se présente comme le gage du salut à venir; un excellent raccourci de cette double polarité, en même temps que de toute la doctrine, se lit dans l’Épître à Tite encore (III, 4-7): «Mais lorsque Dieu le Père notre sauveur a voulu nous témoigner sa bonté et son amour des hommes, il nous a sauvés, non par nos prétendues œuvres de justice, mais dans sa miséricorde, par le baptême de régénération et de rénovation en l’Esprit saint: le Saint-Esprit qu’il a largement répandu sur nous par Jésus-Christ notre sauveur. Ainsi justifiés par sa grâce, nous avons l’espérance de posséder un jour la vie éternelle.»
Controverses chrétiennes autour du salut
Le début du christianisme a donné la prédominance au salut eschatologique, déjà manifesté dans la première venue cachée de Jésus-Christ, qui, par sa mort et sa résurrection, a brisé les barrières entre les hommes et réalisé la réconciliation, et qui, dans sa seconde venue glorieuse, ressuscitera les morts, métamorphosera les vivants, apportera le salut à la terre entière. On trouve des traces de cette attente de l’imminence du salut eschatologique dans la plus ancienne épître du Nouveau Testament: «Dieu ne nous a pas destinés à subir sa colère, mais à posséder le salut par notre Seigneur Jésus-Christ, mort pour nous afin que, veillant ou dormant, nous vivions alors unis à lui» (I Thess, V, 9-10).
Cependant, il y a aussi dans le Nouveau Testament une autre ligne de pensée qui compte avec le retard de la parousie, c’est-à-dire du retour de Jésus-Christ, et qui, dans cette attente et cette veille, insiste sur le salut déjà présent aujourd’hui dans la prédication de l’Évangile à tous les hommes, jusqu’aux extrémités de la terre: «Allez donc: de toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps» (Matt. XXVIII, 19-20).
On constate donc, dès le Nouveau Testament, une certaine controverse entre les tenants d’un salut ultime et proche, d’une part, et les tenants d’un salut immédiat et persévérant, d’autre part, entre ceux qui vivent de l’attente du Royaume et ceux qui pratiquent la persévérance et la fidélité de l’Église au milieu de la permanence du monde tel qu’il est, ensemencé déjà de la puissance de l’Évangile, mais pas encore transporté ni transformé dans la gloire du royaume. Sans attente eschatologique, l’Église risque toujours de se prendre elle-même pour le Royaume. Ce sont les confusions et les illusions du triomphalisme. Mais, sans pratique ecclésiale de la foi, de l’espérance et de l’amour, l’eschatologie risque toujours de se transformer en une impatience futuriste et millénariste, elle aussi source de bien des confusions et de bien des illusions. Le propre du salut en Jésus-Christ consiste dans la tension entre le «déjà là» de la réconciliation présente et le «pas encore» de la rédemption finale.
On peut examiner toute l’histoire de la théologie et de l’Église chrétienne sous cette double perspective du salut accompli et à venir. Ainsi le docétisme, en ne confessant pas clairement la venue du Christ, Verbe de Dieu dans la chair, oublie la présence accomplie du salut. Au contraire, le gnosticisme, en survalorisant l’expérience intérieure et immédiate des parfaits, oublie le réalisme de l’attente eschatologique. L’arianisme, en considérant le Fils seulement comme la première créature du Père et l’Esprit seulement comme la première créature du Fils, nie l’égalité fondamentale et éternelle des trois personnes de la Trinité, au point qu’à strictement parler le Père seul est Dieu, ce qui remplace la confession du salut accompli dans les derniers temps en Jésus-Christ par un monothéisme de la transcendance plus que du salut. Bien que les grands conciles du IVe siècle se soient essentiellement consacrés à préciser le sens théologique de la Trinité et de la christologie, leur arrière-fond concerne toujours la sotériologie, la doctrine du salut, comme on le voit bien dans cette déclaration du symbole de Nicée-Constantinople: «Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, d’une même substance que le Père, et par qui tout a été fait; qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux et s’est incarné par le Saint-Esprit dans la Vierge Marie et a été fait homme.»
La controverse autour du salut et des moyens du salut domine le Moyen Âge et la Réforme. Le salut est présenté comme ce que procurent les dévotions recommandées par l’Église et très particulièrement la participation aux sacrements. Mais le salut ultime demeure aussi le secret d’un Dieu devenu, à la limite, indicible, inaccessible, situé au-delà de tout ce que nous pouvons comprendre et saisir. À la fin du Moyen Âge, le salut est ainsi à la fois essentiel et incertain. C’est dans ce climat que se développent, par exemple, la doctrine du purgatoire et la pratique des indulgences, que l’on peut acquérir auprès des trésors de l’Église. La Réforme est tout autant que le Moyen Âge dominée par la question du salut, mais, selon elle, la foi en la grâce de Dieu délivre d’une certaine captivité à l’intérieur des préceptes et des sacrements de l’Église. La foi donne la certitude que Dieu nous est favorable et que l’Évangile ne préconise pas l’acquisition, selon une échelle progressive, de mérites peut-être couronnés plus tard par le salut divin, mais qu’il proclame, de manière immédiate et assurée, que Dieu est venu parmi nous pour justifier justement les pécheurs. À tout moment, chaque homme est ainsi toujours pécheur, toujours repentant, toujours justifié. Le concile de Trente s’accordera partiellement avec cette insistance de la Réforme sur le salut par la foi. Il craindra cependant que la justification par la foi seule n’entraîne la passivité, voire l’immoralité. Ainsi s’expliquent le reproche que le catholicisme tridentin fait à la Réforme d’être unilatérale et déséquilibrée et les obligations, pourrait-on dire, complémentaires du salut par la foi, que représentent la pratique obligatoire des sacrements et l’observance des préceptes de l’Église. Sans méconnaître les risques que présenterait un salut coupé des œuvres fécondes qu’il doit normalement engendrer en l’homme, on se demandera si le concile de Trente, par une réaction elle aussi unilatérale contre la Réforme, n’a pas eu tendance à reconstituer une captivité ecclésiale, trop légaliste et trop casuistique, où ne se manifestait pas assez la nouveauté joyeuse d’un salut donné par Dieu à qui ne le mérite pas, mais qui désormais, par reconnaissance pour ce salut gracieusement reçu, se met dans un état d’obéissance vis-à-vis de Dieu et de service fraternel envers les hommes.
À l’époque contemporaine, la question du salut – surtout du salut ultime, qui viendra par-delà la mort, à la fin des temps – domine moins les consciences chrétiennes et les débats théologiques que dans les siècles passés. Cependant, le salut exprime, à travers mais aussi au-delà des libérations temporelles, cette capacité qu’a Dieu de recréer ce qui était perdu. Les théologies de la libération ne peuvent donc pas supprimer la théologie de la rédemption, à moins de réduire la foi à une idéologie humaniste. La libération exprime les conséquences que l’homme, individuellement et collectivement, doit tirer de sa foi dans la rédeption. Mais le salut reste le mot le plus simple finalement pour exprimer le cadeau de Dieu aux hommes captifs qui ne peuvent pas ou ne veulent pas entreprendre leur libération. Il protège aussi les mouvements de libération de la menace qui constamment les ronge: le risque de se muer en oppressions, dès lors qu’ils passent de l’expérience douloureuse de la dépendance à la dangereuse ivresse d’exercer le pouvoir eux-mêmes. Par son côté abrupt et transcendant, ce qui ne veut pas dire illusoire et abstrait, le salut annonce à l’homme en même temps la libre seigneurie de la foi, la libre humilité du service et la libre patience de l’espérance.
salut [ saly ] n. m.
1 ♦ Le fait d'échapper à la mort, au danger, de garder ou de recouvrer un état heureux, prospère. ⇒ 1. sauvegarde. Chercher son salut dans la fuite. Ne devoir son salut qu'à... Lieu, port de salut. — Planche de salut. Ancre de salut.
♢ Le salut d'une nation, d'un pays. — Hist. SALUT PUBLIC : expression consacrée par le Comité de salut public de la Convention (mais employée auparavant, et appliquée aussi à l'histoire romaine). « Devant l'idée du salut public, les intérêts et les caprices de l'individu se sont effacés » (Taine). Mod. Comité, ministère, gouvernement, mesure, loi, etc. de salut public, d'urgence nationale.
2 ♦ Dans les religions judéo-chrétiennes, bouddhique, Félicité éternelle; le fait d'être sauvé de l'état naturel de péché et de la damnation qui en résulterait (⇒ rachat, rédemption). Le salut de l'âme. Les voies du salut. « Ce n'est point du dehors qu'une jeune âme peut espérer quelque secours. Le salut est au-dedans d'elle-même » ( F. Mauriac). — (Par allus. à l'expr. Hors de l'Église, point de salut ) Hors de..., point de salut, se dit pour exprimer une condition indispensable, nécessaire. « Huilez-vous, Mesdames ! Hors de l'huile point de salut » (Colette). — (d'apr. angl. Salvation Army) A RMÉE DU S ALUT : association protestante destinée à la propagande religieuse et au secours des indigents. ⇒ salutiste.
3 ♦ Littér. ou style soutenu Formule exclamative par laquelle on souhaite à qqn santé, prospérité. Salut et fraternité ! — Poét. « Salut, bois couronnés d'un reste de verdure » (Lamartine). — Loc. À bon entendeur, salut. — Fam. et cour. Formule brève d'accueil (⇒ bonjour; hello) ou d'adieu (⇒ bonsoir; fam. bye-bye; cf. Au revoir). Salut, les copains ! « Salut, papa, dit Charlot. — Salut ! dit le fermier en hochant la tête » (Sartre). Salut tout le monde ! Salut à tous ! — Fam. Formule de refus. « Moi, jeter le rubis ? Ah ! salut. Tu me connais pas encore, mon petit pote » (Aymé).
4 ♦ Démonstration de civilité (par le geste ou par la parole), qu'on fait en rencontrant qqn. ⇒ coup (de chapeau), courbette, inclination (de tête), poignée (de main), révérence , salutation. Ébaucher, faire, rendre un salut. ⇒ saluer. Formules de salut. Répondre au salut de qqn. Dispenser des saluts à droite et à gauche.
♢ Geste ou ensemble de gestes que l'on fait pour saluer. Salut oriental. Salut fasciste, le bras tendu. Salut scout. Salut olympique. — Spécialt Salut militaire : geste de la main droite, portée à la tempe, à la coiffure.
♢ Danse Mouvement voisin de la révérence.
♢ Mar. Échange de signes de reconnaissance (salves; abaissement du pavillon) entre deux navires.
5 ♦ Cérémonie où l'on marque son respect, sa vénération pour qqch. Salut au drapeau (honneurs militaires).
♢ Relig. cathol. (d'abord pour désigner les stations de la Sainte Vierge dans les processions) Salut du saint sacrement, et absolt salut : cérémonie qui comprend l'exposition du saint sacrement, certains chants, une bénédiction. Les vêpres et le salut.
⊗ CONTR. (du 2o) Damnation, perdition.
● salut nom masculin (latin salus, -utis) Fait, pour quelqu'un, d'échapper à un danger, à un malheur, à la mort ou, pour un État, aux dangers qui menacent son existence : Il ne dut son salut qu'à la fuite. Prendre des mesures de salut public. Fait d'être sauvé de l'état de péché ou de la damnation éternelle, dans certaines religions : Le salut de l'âme. Marque extérieure de politesse donnée à une personne qu'on rencontre ou dont on prend congé : Faire un salut de la tête. Respect envers quelqu'un ou quelque chose, prévu par un règlement : Le salut au drapeau. Exposition et bénédiction du saint sacrement. Échange d'honneurs entre deux navires, codifié par des règlements internationaux. Acte réglementaire par lequel un militaire exprime son respect au drapeau, à un supérieur, à un convoi funèbre, etc. ● salut (citations) nom masculin (latin salus, -utis) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 C'est par l'esprit que l'homme se sauve, mais c'est par l'esprit que l'homme se perd. Mars ou la Guerre jugée Gallimard Georges Clemenceau Mouilleron-en-Pareds, Vendée, 1841-Paris 1929 On ne subit pas le salut. On le fait. Démosthène Plon Jean de La Ceppède Marseille 1550-Avignon 1622 Fais que j'aille toujours mes crimes soupirant, Et fais qu'en mon esprit je craigne ta justice, Car le salut consiste à craindre en espérant. Théorèmes spirituels Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 Salut, bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! […]. Premières Méditations poétiques, l'Automne Honorat de Bueil, seigneur de Racan Aubigné, aujourd'hui Aubigné-Racan, 1589-Paris 1670 Académie française, 1634 Le salut des vaincus est de n'en plus attendre. Les Bergeries, IV, 2 Bible Maintenant, ô Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples. Évangile selon saint Luc, II, 29-32 Bible Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Évangile selon saint Matthieu, XVI, 25 Anonyme Salut empereur, ceux qui vont mourir te saluent. Ave imperator, morituri te salutant. Cité par Suétone dans Vies des douze Césars, Claude, XXI Commentaire Paroles que prononçaient les gladiateurs en défilant avant le combat devant la loge impériale. Le texte généralement cité est « Ave, Caesar ». ● salut (expressions) nom masculin (latin salus, -utis) Familier. Salut !, formule qu'on emploie quand on aborde quelqu'un ou quand on le quitte : Salut, ça va ? Salut, je m'en vais ! ● salut (synonymes) nom masculin (latin salus, -utis) Fait d'être sauvé de l'état de péché ou de la...
Contraires :
Marque extérieure de politesse donnée à une personne qu'on rencontre...
Synonymes :
- révérence
Salut
(îles du) îles côtières (Royale, Saint-Joseph et du Diable) de la Guyane française, au nord-ouest de Cayenne.
— Autrefois, établissement pénitentiaire.
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Salut
n. m.
d1./d Action de saluer; geste ou parole de civilité, de respect, qu'on adresse à une personne que l'on salue. Faire, rendre un salut.
d2./d Cérémonie par laquelle on salue (qqch). Le salut au drapeau.
|| RELIG CATHOL Office en l'honneur du saint sacrement.
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Salut
n. m.
d1./d Fait d'échapper à un danger, de se sauver ou d'être sauvé. Ne devoir son salut qu'à la fuite.
— Loc. Planche de salut: ultime moyen qui permet de se sauver.
d2./d Félicité éternelle, fait d'échapper à la damnation. Prier pour le salut de l'âme d'un défunt.
⇒SALUT, subst. masc.
I. — [Corresp. à sauver]
A. — Fait d'échapper à un danger, à un malheur ou à la mort. Au moment où il [Gavroche] allait monter, Thénardier, qui voyait le salut et la vie s'approcher, se pencha au bord du mur (HUGO, Misér., t. 2, 1862, p. 185). Se voyant découverte et sur le point d'être saisie, Margot avait cherché son salut dans la fuite (PERGAUD, De Goupil, 1910, p. 232).
— Subst. + de salut. Moyen, voie de salut; planche de salut. On venait d'imaginer, par exemple, les radeaux insubmersibles à double fond et à diverses fins. Le naufragé se tenait sur la plate-forme, tandis que le poisson destiné à sa subsistance barbottait en dessous. L'instrument de salut devenait ainsi un dépôt de vivres (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 268). J'opérai un moribond qui faillit trépasser entre mes mains; je restai deux nuits près de lui; puis, quand j'aperçus une chance de salut, je me fis conduire à la gare (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Relique, 1882, p. 839).
— P. méton. Personne, chose à laquelle on doit d'être secouru, sauvé. Elle eût voulu être déjà chez elle, réfléchir, rassembler ses idées en déroute, trouver un secours, un salut pour Marc (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 258).
B. — [À propos d'une collectivité] Fait d'échapper à un grave danger qui pourrait remettre en cause son existence. Assurer le salut de l'état, de la nation, du pays. Sauf les royalistes et les Jacobins, les Français qui voulaient soit le salut du pays, soit le salut de la République, et ceux qui voulaient à la fois le salut de la République et celui du pays, furent d'accord pour appeler à l'aide le général victorieux (BAINVILLE, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 97). Grouper, sous un pouvoir central provisoire, toutes les forces françaises à l'intérieur et à l'extérieur du pays et tous les territoires français qui sont susceptibles de lutter pour la libération et pour le salut de la France (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 429).
— HIST. Comité de salut public. V. public2.
C. — THÉOL. Fait d'être délivré de l'état de péché et de souffrance, et d'échapper à la damnation. Synon. rachat, rédemption. Craindre pour son salut éternel; compromettre son salut éternel; hors de l'Église pas de salut. Les chrétiens ont, les premiers, considéré la vie humaine, et la suite des événements, comme une histoire qui se déroule à partir d'une origine vers une fin, au cours de laquelle l'homme gagne son salut ou mérite son châtiment (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 235):
• Les Juifs veulent le salut par l'observance littérale d'une loi et l'obéissance aux ordres d'un Dieu dont la puissance s'avère en miracles de gloire; les Grecs veulent un salut conquis par la droiture de la volonté...
GILSON, Espr. philos. médiév., 1931, p. 22.
— Assurer, chercher, faire gagner son salut. Vivre de manière à mériter le bonheur éternel. Je ne sais si tu comprends ce qu'il y a d'égoïste dans l'expression « faire son salut ». Ça sent le « chacun pour soi », le « sauve qui peut », l'« après moi le déluge ». Malheureusement, ceux qui veulent faire que « faire leur salut » sont des égoïstes et ceux qui veulent faire le salut des autres sont des tortionnaires ou des indiscrets (DUHAMEL, Cécile, 1938, p. 16).
— Armée du salut.
— Loc. Hors de l'Église, pas de salut. Hors de l'Église, pas de salut (...). Le catholicisme peut se passer des races latines, mais les races latines ne peuvent pas se passer du catholicisme (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 257).
II. — [Corresp. à saluer]
A. — 1. HIST. Salut et fraternité. [Formule employée dans les lettres à la Révolution à la place des formules de politesse] Citoyen: L'ordre du 28 thermidor dernier (...) a dû vous être déjà communiqué par le général Marois; cependant j'apprends (...) que vous n'avez point eu connaissance dudit ordre. Pour m'assurer cette fois s'il vous est parvenu, je vous prie de vouloir bien m'en accuser la réception. Salut et fraternité (COURIER, Lettres Fr. et Ital., 1798, p. 657).
2. LITT. [Sous forme exclam.; s'emploie dans le genre poét. pour acclamer, admirer qqc. ou qqn] Salut, demeure chaste et pure. Ô vierge de la chasse, ô quel que soit ton nom, Salut, reine des nuits, blanche sœur d'Apollon. Salut, Trivie, Hécate, ou Cynthie, ou Lucine, Lune , Phoebé, Diane, Artémis, ou Dictynne, Qui gouvernes les bois, les îles, les étangs, Et les ports, et les monts, et leurs noirs habitants (CHÉNIER, Bucoliques, 1794, p. 18).
— HIST. LITTÉR., vx. Salut d'amour. Poésie lyrique du Moyen Âge qui commence par une salutation à la dame dont on fait l'éloge. Tel s'adressera non pas à l'une de ces messagères suspectes dont il est si souvent question, mais à un poète de profession, à un jongleur, qui composera pour lui une « complainte », un « salut d'amour » à la mode courtoise, dont il se fera un moyen d'introduction (FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 139).
3. Salut! [S'emploie familièrement comme équivalent de bonjour ou au revoir] Salut les copains, la compagnie. Les visages deviennent cyniques et pointus, des mains s'agitent, on rit, on crie: « Salut la petite mère! Salut papa! C'est la classe, finie la guerre, salut. » Ils passent et saluent, ils envoient des œillades, des sourires provocants (SARTRE, Mort ds âme, 1949, p. 203).
— Loc. À bon entendeur, salut!
4. Fam. Salut! [S'emploie pour signifier le refus notamment d'une collaboration et dégager ses responsabilités] — Et pis, ma vieille, si tu laisses tomber une vis, tu peux t'mettre la corde pour la retrouver, surtout qu'on est bête de ses pattes quand on a froid. — Moi, j'aurais des choses à coudre, mais, salut! (BARBUSSE, Feu, 1916, p. 149).
B. — Marque de respect, de civilité qu'on accomplit par le geste ou la parole lorsqu'on rencontre ou quitte quelqu'un. Ils laissent croître leurs ongles comme les Chinois; ils saluent comme eux, et l'on sait que ce salut consiste à se mettre à genoux et à se prosterner jusqu'à terre (Voy. La Pérouse, t. 3, 1797, p. 41). Le dimanche, ils rencontraient, dans la rue Tournebride, Mme Gratien (...). Ils lui adressaient de grands saluts cérémonieux dont le secret s'est perdu (SARTRE, Nausée, 1938, p. 118).
SYNT. Salut respectueux; salut fasciste; salut olympique; salut oriental; salut scout; salut de la main; ébaucher, faire, rendre un salut; échanger des saluts; faire un salut gracieux; esquisser un geste de salut, un salut de la tête; répondre au salut de qqn.
— [À la fin d'une lettre] J'invite d'Argenlieu à se tenir en franc accord avec vous. Je vous adresse mon salut le plus cordial (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 538).
— Spécialement
♦ Domaine milit. Salut militaire, réglementaire. Acte réglementaire par lequel un militaire exprime son respect à un supérieur, ou au drapeau. Devoir le salut. Sans un regard ni un sourire, [il] avait levé la main à la visière de son képi pour me rendre correctement le salut militaire! (PROUST, Guermantes 1, 1920, p. 176).
♦ MAR. Échange de politesses entre bateaux de nations différentes ou non, effectué selon un certain code. [Il a] exigé de l'Angleterre le salut de ses marins au pavillon français (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 393).
C. — LITURG. CATH. Salut (du Saint-Sacrement). Office du soir célébré après les vêpres au cours duquel sont chantées des prières, et qui se termine par la bénédiction du Saint-Sacrement. Je ne vous interdirai pas de chanter vos vêpres comme vous l'entendrez, répliqua le curé. Mon observation ne vise que le Salut du Saint-Sacrement qui doit les suivre (HUYSMANS, Oblat, t. 2, 1903, p. 11).
Prononc. et Orth.:[saly]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 980 subst. fém. « le fait d'être sauvé de l'état naturel de péché » (Jonas, éd. G. de Poerck, p. 42, 127); 1656-57 faire son salut (PASCAL, Provinciales, éd. Brunschvicg, Boutroux, Gazier, XV, p. 187); 1885 « Armée du Salut » (A. DAUDET, Tartarin Alpes, éd. Lemerre, 1888, p. 73); 2. a) 1160-74 « fait d'échapper à un danger » (WACE, Rou, éd. A. J. Holden, II, 2264); b) 1789 le salut public (Arrêté de l'ordre de la noblesse, 8-10 mai, in WALTER, La Révolution fr. vue par ses journaux, p. 20 ds QUEM. DDL t. 11); 1793 Comité de Salut public (ds BUCHEZ et ROUX, t. XXV, p. 139 ds BRUNOT t. 9, 2, p. 751); 3. déb. XIVe s. « le Christ » (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, t. 3, p. 211, vers 4213); 1689 « personne ou chose à laquelle on doit d'être sauvé » (RACINE, Esther, III, 7). B. 1. a) Ca 1100 « démonstration de reconnaissance, de civilité » (Roland, éd. J. Bédier, 2710); b) ca 1140 « souhait de prospérité à quelqu'un » (Pélerinage Charlemagne, éd. G. Favati, 166); 1283 « formule exclamative de salutation » (PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, 140, p. 76); 1798 salut et fraternité (COURIER, loc. cit.); 2. 1670 saluts (de mer) (Colbert à Vivonne; Ordres du Roy, vol. II, fol. 43; Arch. de la Mar. ds JAL); 1690 saluts militaires, salut aux armes (FUR.); 1835 salut du drapeau (Ac.); 3. a) ca 1225 Salu Nostre Dame « Ave Maria » (GAUTIER DE COINCY, Mir. Vierge, éd. V. F. Koenig, II Mir 20); b) 1519-30 salut « office de la liturgie catholique qui a lieu l'après-midi ou le soir » (Livre de raison de Me Nicolas Versoris, Mém. Soc. hist. de Paris, XII, 155. Impr. sault ds GDF. Compl., s.v. salu); 4. 1270-80 Salu d'Amours « pièce de vers qui commençait par une salutation à la dame dont le poète faisait l'éloge » (PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Salu d'Amours ds Œuvres poét., éd. H. Suchier, II, 197); 5. av. 1780 terme de poésie (N. J. L. GILBERT, Ode imitée de plusieurs psaumes ds LITTRÉ); 6. 1651 À bon entendeur, salut! (SCARRON, Virgile travesty, VI, 260a); 1794 (L. M. HENRIQUEZ, Les Aventures de Jérôme Lecocq, p. 28 ds QUEM. DDL t. 19: Bonjour camarade. — Salut mon ancien). Du lat. salutem, acc. de salus « salut, conservation », « action de saluer, compliments ». Fréq. abs. littér.:4 644. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 5 999, b) 7 033; XXe s.: a) 7 251, b) 6 500. Bbg. BARBOTIN (E.). Mise au point. Foi Lang. 1979, t. 3, pp. 33-36. — BENVENISTE (E.). Les Verbes délocutifs. In: [Mél. Spitzer (L.)]. Berlin, 1958, pp. 60-63. — DUB. Pol. 1962, p. 415 (s.v. salut public). — Pour un essai de catéchisme. Foi Lang. 1979, t. 3, pp. 126-128. — QUEM. DDL t. 6 (s.v. jeter une bouée de salut), 11 (s.v. salut de l'empire; salut public), 19.
salut [saly] n. m.
ÉTYM. Xe, aux sens I., 1. et II., 2.; du lat. salutem accusatif de salus, salutis, n. f., « santé; conservation de la vie »; par ext., « action de souhaiter bonne santé, de saluer ».
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I (Le salut, le salut de qqn).
1 Le fait d'échapper à la mort, au danger, de garder ou de recouvrer un état heureux, prospère. ⇒ Sauvegarde; sauver (cf. Mettre hors de danger, de péril). || Chercher son salut dans la fuite (cit. 3). || Devoir son salut à… (→ Profondeur, cit. 1). || Il n'y a guère de salut à espérer (→ Il n'y a pas de pardon, cela ne pardonne pas). — ☑ Loc. Lieu, port de salut. — ☑ Loc. Planche (cit. 10) de salut. ☑ Ancre de salut, la dernière chance.
1 (…) et cette chère tête,
Pour qui l'art d'Esculape en vain fit ce qu'il put,
Dut sa perte à ces soins qu'on prit pour son salut.
La Fontaine, Fables, VIII, 16.
♦ (1679). || Le salut d'une nation, d'un pays (→ Indomptable, cit. 3). || Mener un peuple au salut (→ Führer, cit. 2). || « Veillons au salut de l'Empire » (4.). — (1789). Hist. || Salut public, expression consacrée par le Comité de Salut public de la Convention, mais employée auparavant (cf. Brunot, t. IX, p. 923) et appliquée aussi à l'histoire romaine (→ Dictature, cit. 1). — ☑ (Dans un sens large). Mesure de salut public : mesure d'urgence, dans une situation nationale grave (→ Maintien, cit. 7).
2 Devant l'idée du salut public, les intérêts et les caprices de l'individu se sont effacés.
Taine, Philosophie de l'art, t. II, p. 184.
♦ Mod. || Comité, ministère, gouvernement, mesure, loi de salut public, d'urgence nationale.
2.1 Cela fait frémir pourtant de voir qu'un ministère de salut public comme est celui-là soit si peu assuré d'une majorité stable (…)
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 118.
2 (XIIe, var. salu). Dans les religions judéo-chrétienne, bouddhique… Félicité éternelle; fait d'être sauvé de l'état naturel de péché, de souffrance, et de la damnation qui en résulterait sans la médiation d'un sauveur. ⇒ Rachat, rédemption. || Le salut de l'âme, le salut personnel (→ Mystère, cit. 5). || Les voies de salut, du salut. || Espérer (→ Enfer, cit. 7), gagner (cit. 29), faire son salut (→ Égoïste, cit. 2; 2. plan, cit. 7). || Grâce et salut (→ Gratuitement, cit. 2). || Opérer le salut des hommes (→ Dieu, cit. 38). || Science du salut (→ Gnose, cit. 1).
3 Ce n'est point du dehors qu'une jeune âme peut espérer quelque secours. Le salut est au dedans d'elle-même.
F. Mauriac, le Jeune Homme, XIV.
♦ Fig. || Faire son salut : se conformer à un idéal moral. || Le salut de l'esprit (→ Effort, cit. 11). — ☑ (Par allus. à l'expression : hors de l'Église, point de salut). Hors de…, point de salut, se dit pour exprimer une condition indispensable, nécessaire (→ Honnête, cit. 22).
4 En somme, Flaubert fit son salut, c'est-à-dire qu'il n'écrivit guère que pour satisfaire à son idéal et pour s'approcher le plus près possible de la perfection.
A. Thibaudet, Gustave Flaubert, p. 269.
3 Armée du salut (angl. Salvation army) : association protestante destinée à la propagande religieuse et au secours des indigents. ⇒ Salutiste.
5 (…) toute une bande de « l'Armée du Salut » (…) une dizaine de grosses filles (…) en robe bleu marine et chapeaux Greenaway, se groupait sous trois énormes parapluies rouges et chantait des versets (…)
Alphonse Daudet, Tartarin sur les Alpes, IV.
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1 a (V. 1283). Littér. ou style soutenu. Formule exclamative par laquelle on souhaite à qqn santé, prospérité. — Par ext. Adresse solennelle. — Anciennt (dans un texte officiel, préambule, lettre patente d'un roi, bulle papale, mandement…). || À tous les fidèles, salut et bénédiction. — Salut et fraternité.
♦ Poét. || « Salut, bois (cit. 9) couronnés d'un reste de verdure ». || « Salut, demeure chaste et pure ! » (Barbier et Carré, romance du Faust de Gounod, III, 4). || « Salut, ô mon dernier matin » (autre air de Faust).
6 Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois !
N.-J.-L. Gilbert, Ode IX et dernière, « imitée de plusieurs psaumes ».
♦ ☑ À bon entendeur, salut. ⇒ Entendeur.
b (1612, in D. D. L.). Fam. Formule brève d'accueil (⇒ Bonjour) ou d'adieu. ⇒ Bonsoir, revoir (au). || Salut les gars ! || Salut les copains, la compagnie !
7 Le vieux fermier était sorti de sa maison. Il les regardait en fumant sa pipe. — Salut, papa, dit Charlot. — Salut ! dit le fermier en hochant la tête. Eh ! oui. Salut !
Sartre, la Mort dans l'âme, p. 43.
c Fam. Formule de refus (« ne comptez pas sur moi »).
7.1 Moi, jeter le rubis ? Ah ! salut. Tu me connais pas encore, mon petit pote.
M. Aymé, la Vouivre, p. 170 (1943).
➪ tableau Principales interjections.
2 (1080). Démonstration de reconnaissance, de civilité (par le geste ou la parole), qu'on fait en rencontrant ou en quittant qqn. ⇒ Salutation. || Gestes, attitudes de salut. ⇒ Coup (de chapeau), courbette, génuflexion, inclination (de tête), poignée (de main), révérence, shake-hand (cf. Serrer, tendre, toucher la main). || Ébaucher (cit. 6), faire, rendre un salut à qqn. ⇒ Saluer. || Formules de salut. ⇒ Adieu, bonjour, bonsoir, revoir (au); et aussi, fam., bye-bye, ciao. || Des saluts compliqués, cérémonieux. ⇒ Salamalec. || Salut cordial, amical, chaleureux. || Échange de saluts (→ Palabre, cit. 3). || Répondre au salut de qqn (→ Imperceptible, cit. 11). || Dispenser des saluts à droite et à gauche (cit. 13). — Les saluts d'un acteur, pour remercier le public de ses applaudissements (→ Pétulance, cit. 3).
8 Elle lui rendit son salut de bonne grâce, et, à compter de ce moment, ils prirent l'habitude de se souhaiter ainsi le bonjour tous les matins, d'un côté de la rue à l'autre.
A. de Musset, Nouvelles, « Frédéric et Bernerette », I.
8.1 M. Duroc salua les deux jeunes gens avec l'amabilité heureuse qui implique le sentiment de sa propre supériorité et de la reconnaissance respectueuse de ceux vis-à-vis desquels elle condescend avec souplesse. Par là son salut différait absolument du salut des jeunes médecins, des députés républicains ou des magistrats nommés depuis les décrets, brutal pour rapprocher les distances ou gêné pour témoigner qu'on (en) a conscience, qui témoigne la cordialité comme les collégiens par un coup de poing, ou le respect comme les servantes par la confusion. Mais il ressemblait encore moins au salut des gens du monde qui charme comme la figure d'un ballet ou l'aveu d'une sympathie.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 438-439.
♦ Geste ou ensemble de gestes que l'on fait pour saluer. || Salut oriental, à l'indienne, à la chinoise. || Grand salut par prosternement (cit.). || Salut des Juifs. ⇒ Paix (baiser de). || Salut fasciste, le bras tendu. || Salut scout. || Salut olympique. || Salut du Front populaire, le poing tendu (→ Poing, cit. 9). — Spécialt. || Salut militaire, généralement geste de la main droite portée à la tempe, à la coiffure (képi, calot, béret…). || Le salut réglementaire (→ Pivoter, cit. 3). || Les soldats doivent le salut aux gradés.
9 Le lieutenant, peu accoutumé à des rencontres si vénérables, balbutia avec quelque timidité : Bonjour, mon oncle, et fit un salut mixte composé de l'ébauche involontaire et machinale du salut militaire achevée en salut bourgeois.
Hugo, les Misérables, III, V, VI.
10 (…) au moment où on vous présentait à une de ces Guermantes-là, elle vous faisait un grand salut dans lequel elle approchait de vous, à peu près selon un angle de quarante-cinq degrés, la tête et le buste, le bas du corps (…) restant immobile.
Proust, le Côté de Guermantes, Pl., t. II, p. 445.
♦ Danse. Sorte de révérence (→ Quadrille, cit. 2).
♦ Geste ou attitude d'hommage, de vénération ou d'adoration (en liturgie…).
3 Mar. Échange de signes de reconnaissance — coups de canon (⇒ Salve); abaissement du pavillon — entre deux navires.
4 Cérémonie où l'on marque son respect, sa vénération pour qqch. || Salut au drapeau. ⇒ Honneur (honneurs militaires).
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III (XVIe; salut la Dieu mère [mère de Dieu] « ave Maria », déb. XIIIe). Relig. cathol. (d'abord pour désigner les stations de la Sainte Vierge, dans les processions; → Salve, n. m.). || Salut du Saint-Sacrement, et, absolt, salut : cérémonie qui comprend l'exposition du Saint-Sacrement, certains chants, une bénédiction et la « reposition ». || Donner le salut (se dit du célébrant). || Assister au salut. || Les vêpres et le salut (→ Bout, cit. 48; humble, cit. 19).
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CONTR. (De I., 2.) Damnation, perdition.
DÉR. (De I., 3.) Salutiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.