SOCIÉTÉS ANIMALES
L’expression «société animale» s’applique tout d’abord à l’organisation sociale qui règne au sein de la ruche, de la fourmilière ou de la termitière, ou bien dans une troupe de singes, un groupement de phoques ou de manchots. La structure de ces sociétés, le comportement social de leurs membres et les relations qui unissent ceux-ci présentent une complexité variable d’un cas à l’autre, mais toujours très grande.
Mais il est d’autres types de groupements sociaux: bancs de poissons, bandes de criquets migrateurs, groupes de blattes assemblées dans un recoin obscur. Leur structure est plus simple, les relations entre membres du groupe y sont moins complexes.
L’étude de ces groupements sociaux d’inégale complexité et des mécanismes (biologiques, physiologiques, psychophysiologiques) qui unissent leurs membres et règlent leurs activités constitue la sociologie animale . L’étude du comportement social et de ses déterminismes y tient une place très importante, formant une éthologie sociale . Cette étude occupe, de par le monde, des équipes entières qui totalisent plusieurs centaines de chercheurs. Si les sociétés humaines ne sont pas de son domaine, elles ne peuvent cependant manquer d’intéresser chacun, tant l’homme est véritablement, lui aussi, un «animal social».
C’est à E. Rabaud (1929), à F. Picard (1933), à P.-P. Grassé (1942) que revient le mérite d’avoir fourni une délimitation claire du phénomène social et mis en évidence des critères nets de la vie sociale.
Certains rassemblements d’animaux, en effet, ne constituent nullement des groupements sociaux. Il en est ainsi pour des groupes d’animaux fixés sur le substrat (massifs de coraux, mollusques attachés côte à côte sur le même rocher): seuls des facteurs écologiques, en général, ont rassemblé là les individus. Rien de social non plus dans une biocénose faite d’animaux libres, qui est la réunion, en une zone donnée, d’êtres vivants assemblés seulement par les conditions du milieu, même si ses membres montrent entre eux certains liens de dépendance [cf. BIOCÉNOSES]. Il en est de même pour une «population», faite d’animaux de même espèce, au sein d’une biocénose. Les «foules», quant à elles, sont de simples groupements temporaires d’animaux attirés par les mêmes facteurs physiques ou chimiques polarisés (Rabaud): ainsi les papillons attirés par une lampe, ou des prédateurs appâtés par une proie; éteignez la lampe, enlevez la proie: la foule se disperse; rien d’autre ne rassemblait ses membres, qui réagissaient indépendamment au même stimulus externe.
Au contraire, dans tout groupe social vrai les animaux sont rassemblés par des facteurs spécifiques émanant de leurs congénères; chaque individu exerce sur les autres membres du groupe (ou, dans les sociétés populeuses, sur les plus proches d’entre eux) des stimulations spécifiques et reçoit d’eux des stimulus non moins spécifiques (Grassé). Cet échange de stimulations prend dans la plupart des cas la forme d’une attraction réciproque ou interattraction (Rabaud). Cette attraction mutuelle est facile à observer; elle peut être démontrée et analysée par la méthode expérimentale, comme on le verra plus loin. Elle paraît être le critère le plus universel de la vie sociale.
Mais elle n’en est pas la seule caractéristique. Bien d’autres faits sociaux caractérisent la vie sociale sous ses formes très diverses. Il en est ainsi tout particulièrement des relations entre les membres du groupe, dont la complexité varie dans de larges limites: peu développées dans certains groupements d’Insectes, ces relations montrent d’extraordinaires complications dans les sociétés de termites ou de fourmis, par exemple.
Beaucoup d’auteurs de langue anglaise (mais non tous: cette confusion est rejetée par E. O. Wilson dans son traité The Insect Societies ) enveloppent sous le terme de comportement social (social behaviour ) tous les types de relations entre individus, non seulement sociales, mais aussi sexuelles ou parentales, et les activités agressives ou la défense du territoire. C’est question de langage, et de convention. Il paraît préférable, cependant, de distinguer clairement ce qui est différent: il est aisé de séparer les groupements sociaux de ceux dont le comportement sexuel ou les soins prodigués aux jeunes par leurs parents sont l’expression. Certes, il y a souvent des interférences ou des interactions entre le phénomène social et l’activité sexuelle ou parentale; il n’y a pas confusion, cependant.
Si l’on s’interroge sur l’origine et l’évolution du phénomène social, de la société, il faut souligner avec force son caractère largement polyphylétique . Le mode de vie social est présent dans des groupes zoologiques très nombreux et différents, aussi bien chez les Invertébrés (Araignées et de nombreux ordres d’Insectes) que chez les Vertébrés: il apparaît dans presque toutes les classes de cet embranchement, en particulier chez les Poissons, les Oiseaux et dans de nombreux groupes de Mammifères. Dans chaque groupe zoologique où on le rencontre, ce mode de vie est apparu de manière tout à fait indépendante, et le phénomène s’est répété en de nombreux rameaux de l’arbre généalogique du règne animal, par un phénomène dit de convergence évolutive (on ferait mieux de dire: de répétition).
Parfois, un groupe zoologique est formé tout entier d’espèces sociales: il en est ainsi des termites (qui constituent l’ordre des Isoptères) ou des fourmis (famille d’espèces, au sein de l’ordre des Hyménoptères). Dans chacun de ces deux groupes on peut suivre une évolution du comportement social jusqu’à des formes extrêmement complexes; mais les ancêtres des termites et des fourmis, cela est certain, ont acquis séparément le comportement social. Dans le groupe des abeilles (au sens large), la vie sociale est apparue une dizaine de fois de manière indépendante (W. M. Wheeler, C. D. Michener, E. O. Wilson); et les espèces d’abeilles solitaires restent plus nombreuses que les espèces d’abeilles sociales.
C’est, bien sûr, également de manière tout à fait distincte que la vie sociale a fait son apparition chez les Vertébrés, et à maintes reprises dans leurs différents groupes. Aussi faut-il se garder de toute transposition hâtive, d’un ensemble zoologique à un autre. Parties séparément dans la voie d’une complication de la vie sociale, des espèces distinctes ont pu s’orienter de manière très diverse et se trouvent à des étapes différentes dans leur longue marche évolutive. Les formes les plus anciennes et les plus évoluées (ainsi les termites supérieurs) ne constituent nullement des modèles vers lesquels tend ou doit tendre l’évolution des autres espèces sociales.
Aussi grande que soit la diversité qui apparaît lorsqu’on examine les différents modes de vie sociale (et sans doute à cause même de cette diversité), l’étude comparative de sociétés si variées est extrêmement fructueuse, soit qu’elle fasse apparaître des faits communs à toutes, donc fondamentaux, soit qu’elle mette en lumière la manière cent fois répétée dont la vie sociale est apparue au cours de l’évolution du monde animal (polyphylétisme), soit encore qu’elle montre la marche suivie par l’évolution du comportement social, évolution qui se retrouve parfois semblable dans des groupes zoologiques très divers, par ce phénomène de convergence évolutive.
L’étude des sociétés animales, après s’être longtemps développée en branches séparées (travaux sur les sociétés d’Insectes d’une part, recherches sur les Vertébrés sociaux d’autre part), s’oriente maintenant vers une sociobiologie unitaire , analysant aussi bien la vie de la termitière ou de la ruche que celle des sociétés de singes ou de manchots. Les différences sont évidentes, mais les similitudes de forme ou les mécanismes communs doivent être analysés.
1. Interattraction et motivation sociale
C’est E. Rabaud qui a, le premier, montré le rôle capital de l’interattraction, en étudiant les rassemblements nocturnes des mâles de certaines abeilles halictes. Sans oublier l’action des facteurs du milieu, il indique que ces halictes répondent à des stimulations venues de leurs congénères: chacun exerce une attraction sur ses voisins, qui l’attirent également. Il avait compris que l’interattraction constitue le phénomène social fondamental, le comportement social réduit à sa forme la plus simple.
La réalité de cette attraction réciproque entre les membres du groupe social peut être démontrée, et les stimulations qui en sont les éléments constitutifs peuvent être mis en évidence.
L’interattraction est directement visible dès qu’on observe, par exemple, un troupeau de bovins, ou la population d’une fourmilière: à un moment ou à un autre, les animaux se rassemblent étroitement. Mais, dans le second cas, le nid même peut intervenir, avec la mémoire des lieux, pour favoriser le groupement; et il intervient en effet.
Le phénomène est plus clairement visible si l’on prélève quelques centaines d’individus dans une société d’Insectes (termites, fourmis) et qu’on les place dans un récipient assez vaste pour que la dispersion soit aisée. Bien loin de se disperser, ils se groupent, en majorité et durant la plus grande partie du temps, entassés en un seul point ou en quelques amas. Le groupement est encore plus étroit si l’on ajoute aux adultes quelques dizaines de larves et la femelle féconde (reine): avec une structure du groupe plus normale, l’interattraction est plus développée, ce qui est un premier exemple des interférences entre les grands faits sociaux.
Cependant, la démonstration expérimentale de l’interattraction a été faite de manière beaucoup plus rigoureuse dans un certain nombre de cas, ainsi que l’analyse des facteurs qui la constituent. Les blattes manifestent une tendance au groupement, un grégarisme très net qui a été bien analysé (A. Ledoux, 1945; R. Brossut, 1970). Si, dans un récipient de verre, on dispose des «abris» (dièdres en zinc ou recoins divers, régulièrement répartis; fig. 1), on constate que les blattes se rassemblent sous les mêmes abris, avec une fréquence qui diffère d’une distribution au hasard. Si, dans un autre récipient, contenant quelques blattes, on dispose un tube en toile métallique, contenant deux de ces Insectes, une heure plus tard les blattes libres se trouvent sur le tube, et cela dans 90 p. 100 des cas.
Le facteur principal qui détermine ce groupement est un stimulus chimique, une odeur spécifique, comme le montrent les expériences menées dans des appareils à choix en Y (fig. 2): dans la plupart des cas, les blattes introduites au pied de l’Y se rendent dans la branche par laquelle leur parvient un léger courant d’air chargé de l’odeur d’un ou deux de leurs congénères, vivants ou fraîchement tués, ou de celle d’extraits d’animaux de la même espèce, déposés sur du papier filtre. Laissée libre d’accéder à ce papier, la blatte s’immobilise dessus pendant plusieurs heures; elle le quitte pour s’alimenter, mais y reviendra.
La démonstration de la nature chimique du stimulus d’interattraction est donc complète. Chez la blatte Blaberus craniifer , R. Brossut a montré que le stimulus olfactif provient des glandes mandibulaires; des broyats de ces glandes sont aussi attractifs que des individus entiers; des animaux ayant subi une ablation des glandes mandibulaires ne sont plus attractifs. La substance responsable de l’attraction mutuelle a été isolée, sa nature chimique est déterminée; son action spécifique a été vérifiée.
Cette substance, de par sa fonction, a sa place dans la catégorie des phéromones : substances chimiques capables, en stimulant un animal de même espèce que celui qui l’a émise, de déclencher chez le récepteur une réponse physiologique ou bien, comme ici, comportementale (réponse comportementale qui met en jeu bien entendu une série de phénomènes sensoriels et nerveux, voire humoraux, dont la succession, comme pour beaucoup d’autres comportements, n’est pas encore entièrement analysée).
Certes, chez les mêmes blattes, des facteurs du milieu peuvent modifier ce grégarisme à point de départ chimique. Avec une humidité faible (moins de 30 p. 100 d’humidité relative dans l’air ambiant), la quasi-totalité des blattes se groupe; par contre, si l’humidité est élevée le groupement est moins intense. En fait, les blattes – en transpirant comme tout être vivant – créent autour d’elles une atmosphère plus humide. L’hygrotropisme positif de ces Insectes est donc un des facteurs du groupement; son action s’ajoute à celle du stimulus chimique que constitue la phéromone.
Dans d’autres espèces, l’interattraction peut dépendre de facteurs différents. Chez les criquets Zonocerus , ce sont des stimulus visuels qui sont mis en jeu (M. Vuillaume). Si on les disperse artificiellement sur un buisson, de jeunes criquets se rassemblent peu après. Ce rassemblement est gêné par des panneaux opaques, répartis en différents points du buisson. Il est empêché par un vernissage des yeux, qui aveugle les animaux.
La démonstration expérimentale de l’interattraction a été faite également pour les termites (H. Verron), pour des criquets migrateurs Schistocerca (P. E. Ellis), pour l’abeille domestique (J. Lecomte), comme pour des forficules (J. Lhoste) ou des Coléoptères du genre Brachinus (D. Wautier). La présence clairement démontrée de ce facteur social, aussi bien dans de simples groupements grégaires qu’au sein de sociétés complexes, confirme son caractère fondamental.
L’interattraction est présente également dans les sociétés de Vertébrés. Dans les bancs de poissons, des stimulations visuelles interviennent (réactions opto-motrices), ainsi que des stimulations vibratoires ou tactiles (vibrations de l’eau déterminées par la nage des congénères, contact direct de ceux-ci). Moins facile à mettre en évidence expérimentalement dans des sociétés de Vertébrés de structure plus complexe (singes, par exemple), ce facteur social y est certainement présent aussi. Les spécialistes des sociétés de Vertébrés l’étudient peu, le confondant parfois, sous le nom de cohésion , avec l’attraction de l’individu pour son propre groupe, qui est chose différente.
À l’attraction réciproque se joint, rassemblant les membres du groupe social, un autre facteur, à vrai dire moins clairement analysé jusqu’ici: l’appétition ou motivation sociale. La notion d’appétition sociale a été proposée par Wheeler pour désigner la pulsion interne qui conduit l’animal social à rechercher ses semblables. Il s’agit d’une motivation sociale , état de besoin comparable à celui de l’animal assoiffé ou affamé, ou qui est à la recherche d’un partenaire sexuel. L’animal social momentanément isolé est dans un état de «tension» qui le met en mouvement jusqu’à ce qu’il rencontre des congénères, et qui le rend apte à répondre à des stimulations précises: celles qui proviennent d’animaux de même espèce, voire de membres de son propre groupe (c’est-à-dire les stimulus de l’attraction mutuelle).
Bien qu’étudiée avec beaucoup moins de précision que l’interattraction, l’appétition sociale paraît être autre chose qu’une vue de l’esprit. Les constituants physiologiques de la motivation sexuelle sont maintenant assez bien connus, à la suite de nombreux travaux: on peut espérer une analyse expérimentale de l’appétition sociale.
Chez les Vertébrés sociaux très évolués, tels les Primates, les perturbations comportementales qu’on observe chez l’animal adulte expérimentalement isolé manifestent vraisemblablement la réalité d’une motivation sociale. Chez certains singes étudiés dans la nature, l’individu isolé de son groupe, à la suite de quelque incident, émet un cri de type particulier, baptisé «cri d’isolement», qui cesse quand l’animal décèle la présence proche de ses congénères. Il en est ainsi pour le talapoin, étudié par J.-P. Gautier, ou pour des macaques.
L’appétition sociale se distingue par un caractère important de presque toutes les autres pulsions ou motivations (sexuelle, alimentaire...). Les comportements suscités par celles-ci sont cycliques: après déroulement des phases successives de l’activité sexuelle survient une extinction plus ou moins longue de la motivation sexuelle (période réfractaire); de même, le repas supprime pour un temps l’appétit. Au contraire (Grassé), la pulsion sociale ne s’éteint pas et continue à agir lorsqu’elle a atteint son objet: la blatte qui a trouvé des congénères ne s’en éloigne que pour manger, puis revient près d’eux. Le comportement parental, dans une certaine mesure, présente la même caractéristique.
Attraction mutuelle et pulsion sociale sont étroitement liées aux effets de groupe et aux relations entre membres de la société (cf. chap. 2).
2. Mode de formation et durée du groupe social
La façon dont se forme le groupe varie beaucoup, d’un type de société à un autre. Parfois, il naît du rassemblement d’individus d’abord isolés, qui manifestent plus ou moins brusquement des tendances grégaires: il en est ainsi pour les criquets migrateurs ou bien dans les rassemblements de sommeil de certains Insectes, qui sont solitaires dans la journée et ne se réunissent que le soir. Le groupement peut aussi résulter de la fusion de plusieurs groupes préexistants: capture réciproque de bandes de chenilles sociales (éventuellement nées de pontes différentes), réunion de groupements migrateurs de criquets, ou de divers Vertébrés. La fusion de plusieurs groupes familiaux est aussi à l’origine de certaines sociétés d’Araignées.
Une société préexistante peut aussi donner naissance, par scission, à de nouveaux groupes sociaux. Cette coupure de la société (sociotomie , Grassé et Noirot) est connue chez certains termites, chez l’abeille domestique (phénomène de l’essaim), dans quelques espèces de fourmis (fourmi d’Argentine, fourmis nomades Eciton ). Dans certains cas (abeille domestique, Eciton ), la scission se produit peu après l’apparition de jeunes femelles fécondes; une partie de la société conserve la vieille reine, l’autre se lie à une nouvelle femelle féconde.
Beaucoup de sociétés supérieures d’Insectes se développent à partir d’une femelle qui a été fécondée au cours du vol nuptial (cas de la plupart des Hyménoptères sociaux), ou bien à partir d’un couple (cas des termites). Les premières ouvrières (ouvriers ou larves actives, chez les termites), qui naissent de la première couvée, remplacent bientôt les reproducteurs dans toutes les tâches autres que la production des œufs (en particulier, le soin des stades jeunes et la construction du nid). Parfois aussi plusieurs femelles s’associent d’emblée pour fonder la société (polygynie primaire de certaines guêpes et de certaines fourmis).
Il est utile de souligner que, si les sociétés supérieures d’Insectes (termites, fourmis, abeilles et guêpes sociales) sont bien fondées ontogénétiquement sur une «famille» (un couple et ses descendants, ou une femelle fécondée et ses larves, puis ses premières ouvrières), la société n’existerait pas si les descendants des fondateurs ne restaient pas ensemble, et près des parents (ou de la mère), groupés par une attraction mutuelle: sans l’interattraction, pas de société durable.
Bien d’autres modes de fondation sont possibles; ils sont particulièrement variés chez les fourmis. L’étude des modalités de la formation de la société permet de marquer les étapes dans l’évolution de la structure sociale: mode de fondation et complexité de l’organisation sociale ont évolué parallèlement, du moins au sein d’ensembles zoologiques délimités et homogènes (monophylétiques) comme celui que constituent les fourmis. Les femelles des espèces les plus archaïques (Myrmecia d’Australie, quelques Ponérines et une espèce de la sous-famille évoluée des Myrmicines) fondent leurs sociétés comme les guêpes sociales, en approvisionnant régulièrement leurs larves, dans un nid dont elles sortent à intervalles rapprochés. À un stade plus évolué, qui correspond à un très grand nombre d’espèces, la femelle fondatrice s’enferme dans une logette close et, toujours indépendante, élève sa première couvée sans aucun approvisionnement extérieur; elle utilise à cette fin ses muscles alaires devenus inutiles, et transformés d’abord en tissu adipeux. Un troisième stade est constitué par la fondation dépendante: la fondatrice, incapable de soigner seule son couvain, doit recevoir l’aide d’autres ouvrières; celles-ci peuvent appartenir à la même espèce que la fondatrice, ou bien à une autre espèce: on passe alors au parasitisme social . Celui-ci peut être temporaire (la jeune société, quand elle a formé des ouvrières, devient progressivement capable de se passer d’auxiliaires), ou bien permanente: l’espèce n’est plus capable de vivre qu’en société mixte, elle dépend étroitement de ses hôtes, en un parasitisme très strict.
Beaucoup de sociétés de Vertébrés ont également une origine familiale; souvent peu populeuse, la société se limite alors à une famille prolongée ou à un groupement de familles. En beaucoup de cas, les nouveaux groupes sociaux se forment à partir d’un groupe populeux, d’où se détachent quelques individus (chez les Équidés, il y a d’abord départ d’un ou de quelques mâles, que des femelles rejoignent ensuite). Par contre, d’autres groupements sociaux (beaucoup plus populeux: oiseaux de mer divers, manchots, phoques et éléphants de mer) naissent du rassemblement, quelquefois après une longue migration, d’individus attirés par des falaises ou des plages occupées chaque année; et c’est dans ces vastes groupements que s’établit la structure sociale (harems dans le cas des éléphants de mer).
La durée du groupement varie beaucoup. Souvent, il est permanent; c’est surtout alors que des possibilités de haute évolution du comportement social se développent. C’est le cas de certaines Araignées sociales, ou des sociétés supérieures d’Insectes. Le caractère permanent de la vie sociale, dans ces espèces, se relâche seulement lors de la fondation indépendante des sociétés par une femelle ou par un couple. La vie sociale est permanente aussi chez beaucoup de Vertébrés, en particulier les Primates et les Ongulés sociaux. Toutefois, dans beaucoup de ces sociétés, on connaît des solitaires, souvent des mâles adultes, qui peuvent quitter les bandes et y revenir: il en est ainsi chez les gorilles (G. B. Schaller); les femelles de gorille – et aussi de chimpanzé – peuvent également changer de groupe [cf. ANTHROPOMORPHES]. Chez beaucoup de Primates, les jeunes mâles quittent leur groupe pour un autre; dans une période intermédiaire, ils vivent solitaires ou en groupes de mâles. Chez beaucoup de Mammifères sociaux (sangliers, cervidés...), le groupement permanent est seulement le fait des femelles, accompagnées de jeunes; les mâles les rejoignent seulement au moment de la reproduction.
Souvent, au contraire, le groupement est largement temporaire. Il faut alors considérer quel est son rythme. Celui-ci peut être saisonnier: rassemblements d’hibernation observés chez des Insectes très divers (coccinelles, etc.) et chez des Vertébrés poïkilothermes (carpes, salamandres, etc.). Le rythme du groupement peut aussi être circadien: rassemblements de sommeil d’Hyménoptères solidaires, ou des mâles d’halictes.
Il convient aussi d’examiner à quel stade du développement individuel le groupe se constitue et se disperse: rassemblement de larves, ou bien d’adultes. Les sociétés inférieures de chenilles (larves de Lépidoptères) offrent à cet égard presque tous les cas possibles, selon les espèces: les chenilles de certaines espèces ne se groupent qu’au cours des premiers stades larvaires; d’autres se rassemblent surtout pour l’hibernation; d’autres encore resserrent leurs groupements au moment des mues; certaines restent groupées durant toute la vie larvaire, et se séparent à la nymphose; d’autres se chrysalident ensemble, dans le nid collectif; parfois, enfin, les papillons restent groupés sur le nid, qui est en ce cas l’habitat collectif pendant presque toute la vie des individus.
3. Structure du groupe social
La structure du groupe social, dans tous ses aspects, diffère beaucoup d’un type de société à un autre. Le nombre des individus que rassemble la société varie dans de très larges limites, même à l’intérieur d’un même ensemble zoologique. Certaine sociétés de fourmis (Leptothorax , par exemple) ne comportent parfois guère plus d’une ou deux centaines d’individus adultes; pour d’autres (Anomma ), on a dénombré – ou du moins estimé par des décomptes le long des colonnes de migration de ces fourmis nomades – 22 millions d’individus par une seule société. Une ruche peut contenir 70 000 abeilles adultes, tandis que les sociétés d’abeilles primitives ne comportent que quelques dizaines de membres. Sans qu’il y ait, bien sûr, proportionnalité simple, il est certain que, dans un même ensemble zoologique, une population plus nombreuse offre une plus large possibilité de différenciation des activités, voire de la morphologie des individus.
On trouve les mêmes variations chez les Vertébrés: quelques individus seulement dans une bande de loups, quelques dizaines – rarement quelques centaines – dans les troupes de Primates, ou d’Ongulés, des milliers d’animaux dans les groupements de certains Oiseaux ou Pinnipèdes.
La composition du groupe varie beaucoup aussi. Les sociétés de Vertébrés réunissent presque toujours des individus d’âges différents et des deux sexes. Parfois, cependant (chez les rennes par exemple), les mâles adultes sont exclus du groupe en dehors de la période de reproduction, et seuls restent durables de grands troupeaux de femelles.
Certains groupements sociaux d’Invertébrés sont formés d’individus d’un seul type: tous adultes, voire tous du même sexe (rassemblements de sommeil des mâles d’halictes), ou bien tous immatures: sociétés de chenilles processionnaires. Mais le plus souvent la société réunit des adultes et des immatures (larves, nymphes), et l’élevage des jeunes constitue l’une des activités principales des adultes.
Polymorphisme social
Dans les sociétés supérieures d’Insectes, le polymorphisme social vient compliquer ce tableau. Les adultes, dans beaucoup d’espèces, appartiennent à des castes distinctes, qui diffèrent par la morphologie, la physiologie et le comportement: femelles fécondes et ouvrières généralement stériles des Hyménoptères sociaux (guêpes, fourmis, abeilles), auxquelles s’ajoutent les mâles, en général monomorphes; sexués reproducteurs et couple royal des termites [cf. ISOPTÈRES], auxquels s’opposent les ouvriers et les soldats, stériles les uns et les autres, mais dont les gonades rudimentaires montrent qu’ils peuvent – de manière variable selon les espèces – appartenir à l’un ou l’autre sexe (C. Noirot).
Certaines de ces castes se subdivisent en sous-castes ; on reconnaît dans beaucoup d’espèces de termites plusieurs types de soldats et plusieurs catégories d’ouvriers. Et les ouvrières de certaines fourmis (Camponotus ou Messor , Atta champignonnistes, fourmis nomades) montrent d’étonnantes différences de taille, avec des variations de forme corrélatives (allométrie mono-, di- ou polyphasique). D’une caste à l’autre, les différences morphologiques sont souvent plus importantes qu’entre beaucoup d’espèces animales distinctes. Toute l’anatomie des membres de certaines castes est transformée de manière monstrueuse: le corps des soldats de certains termites est presque entièrement occupé par une glande qui débouche sur leur front, capable de projeter sur l’agresseur un liquide toxique.
La physiologie et le comportement diffèrent non moins profondément d’une caste à l’autre. Les soldats des termites sont des infirmes, incapables de se nourrir par eux-mêmes, étroitement limités dans des fonctions de défense, souvent exercées avec efficacité; ils dépendent entièrement des ouvriers, qui effectuent toutes les autres tâches dans la société. Chez les Atta champignonnistes, les ouvrières de taille différente exercent des fonctions en partie distinctes. On donne le nom de polyéthisme à cette multiplicité des comportements individuels, à l’intérieur d’une même espèce. On retrouvera, en étudiant l’organisation du travail, d’autres cas de polyéthisme, qui ne sont pas toujours liés au polymorphisme.
Seules les sociétés d’Insectes très évoluées offrent des cas de polymorphisme accentué. Mais, si la complexité de la vie sociale est souvent liée au polymorphisme, elle peut aussi reposer sur d’autres faits: c’est ainsi que les Polyergus , fourmis esclavagistes dont la biologie sociale est fort compliquée, ont des ouvrières toutes semblables.
Aucune société de Vertébrés n’a été aussi loin dans l’évolution sociale que les Insectes sociaux: pas de polymorphisme social chez les Vertébrés, même si l’on voit s’établir des diversités de comportement qui relèvent du polyéthisme (dominants et subordonnés, leader et individus «suiveurs», par exemple).
Régulation sociale
Dans des sociétés évoluées, en particulier dans celles qui présentent un polymorphisme social, la destinée de l’individu dépend plus ou moins étroitement du groupe, par un jeu d’interactions complexes dans lesquelles les phéromones ont une large place. Si sa structure normale est troublée, la société tend à la rétablir, par un processus de régulation sociale, de même que certains animaux régénèrent les parties manquantes, ou que tout organisme pluricellulaire est le siège de régulations humorales complexes et indispensables: c’est là un des éléments qui ont fait comparer les sociétés animales, du moins celles des Insectes sociaux, à des organismes (théorie du super-organisme : A. E. Emerson) dans lesquels les individus tiennent la place des cellules ou des organes.
Une telle régulation sociale, portant sur le système des castes, se manifeste de façon particulièrement spectaculaire quand les individus présentent une certaine plasticité morphologique. C’est le cas des termites inférieurs, chez lesquels a pu être réalisée (Grassé et Noirot) l’expérience suivante. On constitue une société expérimentale de Calotermes , composée exclusivement d’individus identiques et déjà engagés dans une direction ontogénique déterminée: on groupe une cinquantaine de nymphes du septième stade, pourvues de longs fourreaux alaires, engagées loin dans la voie de la sexualisation. Les résultats sont frappants. Quelques-unes de ces nymphes poursuivent leur évolution, et deviennent des adultes ailés, prêts au vol nuptial. Deux au moins se transforment directement en sexués fonctionnels en gardant leur aspect immature (phénomène de néoténie). Quelques nymphes subissent une mue régressive, donnant des individus sans fourreaux alaires, à yeux réduits ou effacés: faux-ouvriers ou pseudergates. Enfin, une ou deux nymphes se transforment en soldats. En trois mois environ, la société anormalement homogène s’est transformée en une société hétérogène, complexe, comportant toutes les catégories sociales; la structure sociale normale est rétablie, la régulation sociale a joué à plein. On trouve là un des cas les plus nets d’action du groupe sur les individus (cf. chap. 5 Effets de groupe ); placés dans un groupe social de structure anormale, la plupart des individus ont vu leur destinée complètement modifiée et réorientée.
Si aucun autre type d’Insectes n’offre des possibilités aussi étendues de transformation de la destinée individuelle par le groupe, il est certain que la régulation sociale intervient également dans l’établissement et le maintien de la composition du groupe social chez les Hyménoptères sociaux (régulation de la production des sexués par exemple). On verra, en étudiant l’organisation du travail, d’autres phénomènes de régulation sociale.
Il est certain que des processus de régulation commandent aussi la vie sociale de beaucoup de Vertébrés, en particulier en ce qui concerne la taille du groupe et la formation de nouvelles unités sociales.
4. Relations et interactions entre les membres du groupe social
Les relation interindividuelles qui se manifestent au sein d’un groupement social sont de complexité très variable. Dans tel groupement simple, les individus n’échangent peutêtre rien d’autre que des stimulations attractives. Ils peuvent aussi, en certains cas, montrer d’autres interactions. Dans les sociétés plus évoluées (Primates, Ongulés..., et Insectes sociaux), les relations interindividuelles peuvent atteindre une complexité extraordinaire.
Échanges d’aliments et de sécrétions
Les abords et surtout l’intérieur du nid d’une société supérieure d’Insectes (fourmilière ou termitière, guêpier ou ruche) sont le théâtre d’un incessant échange de substances, souvent alimentaires, entre les membres de la société. Dans la fourmilière, par exemple, sans cesse les récolteuses sont sollicitées par d’autres ouvrières restées dans le nid, et leur fournissent, en réponse, de la nourriture régurgitée. Cette transmission d’aliments est précédée et accompagnée de postures particulières et de contacts antennaires de forme déterminée: ainsi sont mises en jeu des stimulations tactiles et olfactives qui jouent un rôle dans le déclenchement et le déroulement du transfert de substance alimentaire, d’un partenaire à l’autre.
Les autres membres de la société (femelles fécondes ou reines, sexués ailés, larves) reçoivent également les substances transmises de bouche à bouche et provenant soit du jabot, soit des glandes salivaires des ouvrières nourrices. Les aliments rapportés au nid passent ainsi d’individu en individu, rapidement répartis entre tous les membres de la société. Cependant les travaux récents, sans diminuer l’importance de cette diffusion des aliments dans la société, montrent qu’au cours du contact entre deux fourmis peuvent aussi se produire des inversions du flux; et qu’il y a des contacts sans transfert aucun (A. Bonavita).
Les excréments solides ou liquides n’échappent pas à ce transit constant: les ouvrières de beaucoup d’espèces de fourmis lèchent avidement les excrétions urinaires ou digestives des larves (G. Le Masne). Chez les termites inférieurs dominent des échanges d’anus à bouche (aliment proctodéal), au cours desquels le solliciteur reçoit non des excreta, mais du contenu de la panse rectale, riche non seulement en miettes de bois à demi-digéré, mais aussi en Flagellés symbiotiques, dont la transmission est ainsi assurée. Les blattes xylophages Cryptocercus pratiquent de même.
À cet ensemble complexe d’échanges de nourriture qui caractérise les sociétés supérieures d’Insectes, W. M. Wheeler a donné le nom de trophallaxie ; il pensait trouver dans le développement considérable de la trophallaxie, et l’«intérêt» qu’y trouvait chaque individu, la base fondamentale du lien social. La notion de trophallaxie a été étendue à tort, d’abord par Wheeler lui-même, puis par T. C. Schneirla, à tous les échanges de sécrétions et même de stimulations qui se manifestent dans la société. C’était finalement y inclure de manière abusive toutes les relations entre individus, et au total créer confusion (G. Le Masne). E. O. Wilson a proposé de limiter l’emploi du mot «trophallaxie» aux seuls échanges de nourriture liquide. C’est trop le restreindre, cette fois: il convient d’employer ce terme pour tous les échanges d’aliments (solides ou liquides, d’origine buccale ou proctodéale), et seulement pour ces échanges, qu’ils proviennent du tube digestif, des glandes digestives ou des tubes de Malpighi.
Bien plus rares que chez les Insectes sociaux, les échanges de nourriture de bouche à bouche sont loin d’être inconnus dans les sociétés de Vertébrés. Outre les échanges entre parents et jeunes – qui relèvent du comportement maternel, ou parental –, les membres du groupe échangent des aliments régurgités: il en est ainsi chez les corbeaux choucas, chez les lycaons, chez les phoques Zalophus , et aussi parfois chez les chimpanzés. On retrouve un tel comportement chez certaines populations humaines dites primitives: Papous, Pygmées de l’Ituri... (W. Wickler).
Non seulement les sécrétions salivaires, mais aussi celles d’un grand nombre d’autres glandes à sécrétion externe sont transmises également d’un individu à l’autre, dans la société d’Insectes, par des léchages prolongés: léchages réciproques entre ouvrières, léchages de la reine et des larves. Certaines de ces sécrétions peuvent avoir valeur de phéromones.
Beaucoup de ces léchages mutuels prennent la forme de comportements de toilette réciproque . Très développés chez certains Insectes sociaux (fourmis), on les retrouve dans un très grand nombre de sociétés de Vertébrés: nettoyage du pelage, épouillage, outre leur fonction de propreté, interviennent dans le lien social. Leur fréquence est fonction du rang hiérarchique, et des affinités préférentielles. Il en est ainsi, en particulier, dans les sociétés de Primates. Et, encore ici, de tels faits se rencontrent dans certaines populations humaines dites primitives. Dans tous ces cas – homme compris –, ces toilettes réciproques peuvent avoir lieu entre mère et jeune, ou entre partenaires sexuels au cours des préliminaires du coït; mais ils apparaissent aussi entre congénères adultes, et ont à l’évidence une importante valeur sociale.
Échanges de stimulations diverses
Dans les sociétés de Vertébrés, les stimulations sonores et olfactives, mais surtout visuelles, sont émises de manière très fréquente et jouent un rôle très important. Les émissions vocales sont bien étudiées chez les Oiseaux; leur étude est souvent moins avancée chez les Mammifères et surtout chez les singes supérieurs. Les stimulations olfactives ont une grande valeur fonctionnelle; certaines mettent en jeu des phéromones. Les stimulus visuels, souvent gestuels, sont importants chez tous les Vertébrés sociaux; ils jouent un rôle essentiel chez les Primates: présentation de telle partie du corps, ou d’une marque colorée caractéristique, mouvement des oreilles ou des yeux, mimiques faciales, gestes et postures mettant en jeu le corps tout entier. Ces stimulations entraînent des réponses comportementales déterminées, donc constituent des signaux , au sens propre du terme en éthologie moderne. L’usage plus marqué de telle ou telle modalité sensorielle dépend du mode de vie de l’espèce: les messages sonores jouent un rôle plus important en milieu forestier, et les signaux visuels pour les espèces de savane.
Dans une société supérieure d’Insectes, les individus échangent des stimulations sensorielles nombreuses, parfois sonores ou visuelles, mais surtout olfactives et tactiles. Les stimulations exercées par les antennes jouent un rôle majeur, parfois bien analysé: ainsi, chez les guêpes, elles entraînent, avec le succès ou l’insuccès de la sollicitation de nourriture, l’établissement d’un ordre hiérarchique entre ouvrières (H. Montagner) [cf. SUBORDINATION ET DOMINANCE HIÉRARCHIQUES].
De très nombreuses glandes, chez les Insectes sociaux, fournissent des substances spécifiques, sources de stimulations chimiques dont la perception entraîne, chez les autres individus, des réponses physiologiques ou comportementales déterminées. Il s’agit encore de phéromones, qui jouent un rôle capital dans la société. C’est ainsi qu’une phéromone produite par les glandes mandibulaires de la reine d’abeille et perçue par les ouvrières a pour effet d’inhiber leur développement ovarien et de les empêcher d’élever de nouvelles reines; elle assure donc deux éléments essentiels de l’organisation de la société. La structure chimique de cette «substance de reine» est connue. Sa production diminue des trois quarts quand la reine vieillit; alors, l’inhibition devient insuffisante, et la ruche produit de nouvelles reines (C. G. Butler, J. Pain, J. Barbier). Pendant l’essaimage qui suit, c’est la même substance qui maintient les ouvrières près de la reine qui sort de la ruche, durant le vol et quand l’essaim se pose: exemple de la multiplicité des rôles que peut jouer une phéromone, en fonction des circonstances.
Chez beaucoup d’espèces de fourmis, le recrutement de nouvelles ouvrières, après qu’une source de nourriture a été découverte, repose sur tout un système de phéromones de piste , déposées sur le sol par l’ouvrière récolteuse (au retour vers le nid, ou bien lors d’un nouveau trajet vers la source de nourriture); la piste ainsi marquée est suivie ensuite par un certain nombre d’autres individus (Wilson). D’autres phéromones, chimiquement distinctes, alertent les ouvrières quand l’une d’elles est attaquée par quelque ennemi (E. O. Wilson, M. S. Blum...), ou bien apaisent les ouvrières ainsi alertées en les empêchant d’attaquer leur congénère qui a déclenché l’alerte (M. C. Cammaerts-Tricot, J. Pasteels). Chez beaucoup d’espèces de fourmis, des phéromones interviennent dans une partie des systèmes de recrutement (cf. infra , Récolte ).
Chez l’abeille domestique (et chez quelques autres espèces d’abeilles), le recrutement est réalisé par des danses effectuées par les récolteuses à l’intérieur de la ruche, sur les rayons de cire. Ces danses [cf. HYMÉNOPTÈRES], par leur forme, par la direction d’une partie du parcours par rapport à la verticale, par l’intensité des mouvements qui les accompagnent, renseignent d’autres ouvrières sur la source de nourriture: elles donnent des indications sur son abondance, sa distance par rapport à la ruche, et la direction à suivre pour l’atteindre (K. von Frisch, M. Lindauer). Les abeilles qui dansent émettent en même temps des vibrations sonores, dont la forme est en rapport avec la distance de la source, mais aussi avec sa teneur en sucre (A. M. Wenner).
Les systèmes de communication sociale
Les faits qui viennent d’être rapportés, et en particulier l’exemple classique des danses des abeilles, mettent bien en évidence que ces stimulations multiples constituent, entre les membres d’une société animale, de véritables systèmes de communication (dont l’ensemble, pour une espèce sociale, est plus complexe et plus varié que ceux qui se manifestent chez des animaux solitaires, par exemple dans le comportement sexuel ou dans les relations entre mère et jeune). Ces systèmes de communication informent les individus, non seulement sur l’état de leurs congénères (réplétion du jabot, rang social, etc.) mais aussi – et cela est encore plus remarquable – sur des objets ou des lieux (nature et emplacement d’une source de nourriture, ou bien d’un nouveau nid) distincts du corps des individus et non perceptibles lors de l’émission du message.
Il y a là, très variable d’une espèce à l’autre (et dans une même espèce, selon les circonstances ou suivant les individus concernés), tout un code de signaux , extrêmement précis et efficace, puisque la récolte de nourriture et sa distribution, l’élevage des larves et bien d’autres activités collectives reposent sur la bonne réception de ces signaux et leur «décodage» correct: l’approvisionnement de la ruche repose en grande partie sur l’efficacité du système de communication constitué par les danses de l’abeille domestique.
On constate fréquemment une certaine redondance, en ce sens que l’information déjà donnée peut être répétée, parfois sous une autre forme. Le message strict (dénotation) est accompagné d’éléments accessoires qui viennent le compléter et le rendre plus efficace (connotation). D’ailleurs, le message met presque toujours en jeux plusieurs canaux , correspondant à plusieurs modalités sensorielles: l’abeille émet des vibrations sonores en même temps qu’elle danse, et ces vibrations ont elles aussi valeur d’information. Les mimiques faciales du singe peuvent accompagner des émissions vocales. La fourmi «recruteuse» peut exécuter une «danse» sur place tout en émettant une phéromone (B. Hölldobler).
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, on a bien démontré la très fréquente complexité du signal, qui est la combinaison de stimulus simultanés ou successifs, agissant en synergie. D’autre part, la valeur du signal dépend de l’environnement (au sens le plus large, incluant ici l’environnement social) et aussi de l’expérience qu’a l’animal, et des événements récents, y compris les signaux reçus précédemment (cf. COMMUNICATION Communication animale).
L’étude de plus en plus étendue et approfondie des systèmes de communication dans les espèces sociales paraît capable, comme toute recherche d’éthologie comparative, d’éclairer l’Homme sur ses propres systèmes de communication et sur leurs fondements biologiques, ne fût-ce qu’en attirant l’attention sur certaines caractéristiques communes, à cet égard, à l’espèce humaine et aux autres espèces du règne animal.
Hiérarchie sociale
Les relations entre les membres du groupe peuvent, chez un certain nombre d’espèces sociales, prendre la forme d’une organisation hiérarchique, dans laquelle les divers individus occupent des rangs déterminés et souvent très stables. Il y a dominance de quelques individus sur d’autres. Ceux-ci se trouvent, par rapport aux premiers, en position de subordination ; à leur tour, ils peuvent dominer des congénères placés plus bas dans l’ordre hiérarchique. La hiérarchie peut s’établir à la suite de combats entre individus, parfois au contraire sans activités agressives. Elles se maintient en général seulement par la manifestation de postures ou de mimiques qui correspondent au rang social de l’individu et indiquent ce rang aux autres membres du groupe. Des phénomènes de reconnaissance individuelle très développés sont mis en jeu.
Entreprise d’abord par W. C. Allee et d’autres chercheurs sur des bandes de poulets, l’analyse du phénomène hiérarchique a été réalisée de manière rigoureuse chez un grand nombre d’espèces sociales.
Ce type d’organisation n’apparaît que chez un petit nombre d’Invertébrés: chez des espèces faiblement socialisées (pagures ou bernard-l’ermite, écrevisses, certaines blattes) et dans quelques sociétés supérieures d’Insectes (bourdons, guêpes des genres Polistes et Vespa ), mais non dans toutes; il n’y a pas d’organisation hiérarchique du type dominance-subordination chez l’abeille domestique, ni chez les fourmis ou les termites, du moins en l’état actuel des connaissances.
Au contraire, la structure hiérarchique caractérise fortement un grand nombre de sociétés de Vertébrés, qu’il s’agisse de Poissons, de Reptiles, d’Oiseaux, ou bien de Mammifères, y compris les Primates. En beaucoup de cas, l’existence de cette organisation entraîne pour chaque individu, selon son «rang social», des conséquences très importantes, en particulier pour son alimentation ou sa vie sexuelle: les individus subordonnés ne s’alimentent qu’après le dominant, et peuvent être exclus de la reproduction.
La façon dont s’établit et se maintient la hiérarchie diffère aussi beaucoup d’un type à un autre. Tous ces faits méritent d’être étudiés de manière plus détaillée [cf. SUBORDINATION ET DOMINANCE HIÉRARCHIQUES].
Il faut noter que très souvent s’ajoutent à la structure hiérarchique, sans la modifier, des types d’interactions mieux étudiés depuis quelques années: attention , souvent centrée sur le dominant, et surtout leadership et affinités préférentielles.
Phénomène du leader
Il convient de distinguer le phénomène du leader des faits proprement hiérarchiques et du rôle, dans le groupe, d’un individu dominant (animal alpha , ou despote). L’existence d’un guide vient, dans certaines sociétés de Vertébrés, s’ajouter à celle d’un animal dominant, ce leadership complétant la hiérarchie par dominance-subordination.
Le leader est souvent le membre le plus ancien du groupe; c’est lui qui prend l’initiative des déplacements et qui les oriente; il est suivi par les autres individus, qui s’arrêtent quand il s’arrête et, par exemple, entament avec lui leur repas après cet arrêt.
Le leader peut être l’individu dominant. C’est le cas des bandes de gorilles (Schaller) où, d’ailleurs, la dominance du mâle leader ne s’exprime pas souvent de manière agressive. Les troupeaux de beaucoup d’Ongulés ont un guide: il s’agit souvent d’une femelle âgée, qui est en même temps quelque peu dominante.
5. Effets de groupe
L’action directe du groupe sur chacun de ses membres modifie leur physiologie et leur comportement: on dit qu’il y a effet de groupe, et celui-ci revêt bien des formes différentes. Mais il faut distinguer clairement ces effets de groupe d’autres phénomènes avec lesquels la confusion est possible.
Dans toutes les espèces animales, le comportement et la physiologie des individus, voire leur morphologie, sont influencés par la densité de population. Le milieu environnant est modifié par les individus présents, surtout en cas de surpopulation, et ces modifications agissent sur les individus: on parle alors d’effet de masse . Il est souvent défavorable, mais peut aussi avoir des conséquences favorables (effet protecteur, vis-à-vis de facteurs du milieu, de substances rejetées par des Planaires marines: G. Bohn et A. Drzewina). L’action de la population sur l’individu, dans les effets de masse, se fait par l’intermédiaire de modifications du milieu.
Au contraire, les effets de groupe résultent de la réception, par l’individu, de certains stimulus provenant directement de ses congénères. La surpopulation n’est pas nécessaire à leur manifestation; quelques individus y suffisent, ou un seul, voire l’image d’un seul: la femelle de pigeon, isolée visuellement de tout congénère, ne pond pas; si elle voit d’autres pigeons (fût-ce sa propre image dans un miroir), elle pond (L. H. Matthews). De même, chez beaucoup d’oiseaux de mer qui nichent en colonies denses, on a constaté que les membres de colonies populeuses ont une activité sexuelle plus précoce et plus synchrone que ceux qui restent en petits groupes (effet Fraser-Darling).
Les effets de groupe se manifestent de manière particulièrement nette dans les groupements sociaux. Dans des groupes de blattes, la densité de la population agit sur la vitesse de développement, la taille et la durée de vie des animaux; le contact entre eux est nécessaire pour que cette action apparaisse (Wharton).
Des effets de groupe sont responsables, grâce à des stimulations surtout visuelles et antennaires (donc tactiles et olfactives), des transformations profondes qui affectent les criquets migrateurs (Schistocerca gregaria ) dans leur couleur, leur forme, leur physiologie et leur comportement lorsque, groupés, ces criquets passent de l’état solitaire à l’état grégaire, avec les migrations éventuelles (phénomène des phases). Un criquet solitaire, introduit dans une bande de grégaires, et même séparé d’eux par le tube de verre qui l’enferme, prend leur couleur. Un seul compagnon peut suffire à déclencher cette transformation (R. Chauvin).
La notion d’effet de groupe a été créée par P.-P. Grassé. De nombreux cas ont été étudiés chez des Insectes sociaux, mais aussi chez nombre de Vertébrés. Longtemps négligé par beaucoup de chercheurs (qui souvent mettaient en évidence des faits semblables sans utiliser le même terme), ce concept a été repris par Wilson (1971); il en fait la critique, craignant qu’il ne s’étende exagérément jusqu’à devenir synonyme de «communication» dans son sens le plus large; mais il montre que toute la biologie des sociétés d’Insectes peut être examinée avec fruit sous cet angle.
Les effets de groupe comportent la mise en jeu d’un mécanisme complexe: le point de départ est sensoriel, mais d’autres actions nerveuses interviennent, et aussi un contrôle endocrinien.
Un des intérêts de la notion d’effet de groupe est de montrer – de manière expérimentale – que l’animal social est biologiquement différent de l’animal solitaire; ses régulations physiologiques, son comportement sont modifiés par le groupement même. Corrélativement, l’animal social voit sa physiologie ou ses activités changer s’il est isolé par l’expérimentateur. Lorsque l’on considère l’action contraignante des effets de groupe sur l’individu, et en même temps l’ensemble des systèmes de communication et d’échange de substances, et plus généralement les relations et les interactions entre membres d’une société supérieure d’Insectes, il est permis de parler d’une véritable physiologie sociale , mettant en jeu ses propres systèmes de régulation. Ce sont ces faits (du moins ceux qui étaient connus à l’époque) qui ont amené Wheeler, puis Emerson à proposer (1911, 1938) le concept de super- organisme : celui-ci voit dans l’organisme un modèle de la société, et dans la société «autre chose» qu’une addition d’individus et d’actes individuels; autre chose, c’est-à-dire un super-organisme ayant, comme un organisme, ses propres systèmes de nutrition, de reproduction, de protection et de régulation.
Dépendance de l’individu par rapport au groupe
Ce qui précède indique à quel point l’animal social, en certains cas, dépend étroitement du groupe auquel il appartient. Cette dépendance repose sur les relations qu’il engage avec ses congénères; se traduisant d’abord par des effets de groupe, elle peut se manifester dans tous les aspects de la vie de l’animal.
À vrai dire, cette dépendance varie beaucoup d’un type de société à l’autre. Elle est faible dans les groupements sociaux les plus simples: ainsi pour les blattes (sauf les Cryptocercus : cf. plus haut): isolé, l’animal peut survivre. Au contraire, dans les sociétés supérieures d’Insectes, il s’agit d’une dépendance rigoureuse: l’individu est dans la nécessité d’appartenir à la société, pour sa vie même; il survit difficilement s’il est isolé, ou même s’il est placé dans un groupe trop peu nombreux. Le groupe a sur l’individu un effet protecteur, qui tient à des causes multiples: échanges de nourriture (chez les Hyménoptères sociaux et les termites, tout au moins), mais aussi, probablement, stimulations sensorielles spécifiques de tout ordre, chimiques en particulier. Cependant, des nymphes de termites (Calotermes ) ont pu être conservées isolées pendant plus d’un an; mais ces solitaires n’ont certainement plus une physiologie normale, car elles ne muent que rarement (Grassé et Noirot).
Dans une certaine mesure, les troubles constatés chez des singes supérieurs maintenus dans l’isolement et les conséquences graves de cet isolement s’il est pratiqué chez des jeunes (par exemple, impossibilité d’acquérir un comportement sexuel normal: H. F. Harlow; cf. comportement SEXUEL) indiquent chez les Primates une dépendance réelle de l’individu par rapport au groupe. Elle est toutefois, sauf pour les jeunes, moins rigoureuse que pour des fourmis ou des termites; l’anthropoïde isolé n’est certainement plus normal; du moins survit-il, en captivité.
6. Fermeture de la société
Pour vivre, l’animal social doit donc faire partie d’un groupe, formé d’individus de son espèce. Il y a plus: en certains cas, et surtout dans les sociétés évoluées et complexes, il doit appartenir à son propre groupe, et à aucun autre. Il ne peut en changer. S’il se trouve mêlé aux membres d’une autre société, il est agressé, voire massacré. Le groupe est clos, il y a fermeture de la société. Expérimentalement, cette fermeture de la société comporte l’impossibilité de transfert d’un individu d’une société à une autre, ou de fusion de deux sociétés distinctes.
Ici aussi apparaissent de grandes différences d’un type de société à un autre. L’étude de l’intolérance (ou de la tolérance ) entre membres de deux groupes distincts donne des indications utiles sur l’organisation des sociétés et leur degré d’intégration. Dans les groupements sociaux peu évolués, le groupe est en général assez ouvert; l’animal transféré survit; ou bien même les individus passent spontanément d’un groupe à l’autre. Parfois, la fusion de groupes est la règle: «capture» réciproque de bandes migratrices de criquets, réunion de chenilles processionnaires provenant de pontes différentes.
Les sociétés supérieures d’Insectes, au contraire, sont souvent fermées, et de manière rigoureuse: la société n’accepte pas l’intrusion d’individus provenant de sociétés différentes, appartenant à la même espèce. Entre sociétés topographiquement voisines peuvent survenir des combats violents. Il en est ainsi, par exemple, chez des fourmis champignonnistes: un nid peut être attaqué par une société voisine, en un combat qui dure plusieurs jours et comporte le pillage des jardins à champignon et du couvain (larves, nymphes); de tels combats ont été observés dans la nature, et sont provoqués assez aisément au laboratoire.
Les travaux récents sur la fermeture des sociétés de fourmis (E. Provost) font apparaître de grandes différences entre espèces quant à la rigueur de cette fermeture. Bien plus: à l’intérieur de certaines espèces se manifeste une grande variabilité dans la relation entre deux sociétés mises en présence expérimentalement. Dans certains cas, aucune fusion n’apparaît; l’agressivité persiste. Pour d’autres couples de sociétés, au contraire, on enregistre des «adoptions» d’ouvrières étrangères, et la fusion des deux sociétés. Celle-ci ne se réalise que lorsqu’a disparu une des deux reines, tuée au cours des combats: la femelle féconde, très probablement par l’émission de stimulus chimiques, joue un rôle capital dans la fermeture de la société. Intervient certainement aussi un processus de reconnaissance entre membres de la même société, processus qui reposerait sur une «odeur de société», addition des stimulus chimiques fournis par la reine et par l’ensemble des ouvrières.
En ce qui concerne les sociétés de Vertébrés, la situation est très variable aussi d’une espèce à l’autre; elle est d’ailleurs souvent mal étudiée encore. Les sociétés de Primates, en particulier celles des chimpanzés et des gorilles, sont loin d’être fermées: les mâles, et aussi les femelles, peuvent passer d’un groupe à l’autre [cf. ANTHROPOMORPHES]. Chez les gorilles, les groupes distincts voisinent pacifiquement; ils peuvent même fusionner de manière temporaire (G. B. Schaller).
De véritables combats (avec mise à mort d’ouvrières de la société attaquée) apparaissent, lors des raids de fourmis «esclavagistes» qui vont piller les nids d’une espèce différente, dont elles emportent les cocons (d’où sortiront leurs «esclaves»). Mais, souvent aussi, les mêmes razzias se réalisent sans mise à mort et presque sans combat (E. O. Wilson a montré, pour l’une des espèces esclavagistes, que les assaillants répandent sur le nid attaqué des sécrétions particulières qui ont pour effet de disperser les défenseurs; il les a audacieusement baptisées propaganda substances ; nous dirions «gaz de dissuasion»).
Combats encore, lors de l’intrusion dans une société de fourmis d’espèce A d’une femelle appartenant à une espèce parasite B, qui vient y fonder sa société. Des luttes, qui peuvent durer plusieurs semaines (au laboratoire, en tout cas), se déroulent dans le nid attaqué; elles comportent la mise à mort par la femelle parasite de nombreuses ouvrières, puis de la reine de l’espèce hôte, avant que la femelle parasite ne soit finalement «adoptée», c’est-à-dire tolérée. Mais la femelle parasite peut aussi bien être tuée dans ces luttes...
Groupes plurispécifiques
À la suite de ces combats se trouve réalisée une société mixte qui réunit des individus appartenant à deux espèces différentes. Ces sociétés bispécifiques, d’où les combats ont disparu, se maintiennent jusqu’à production des sexués de l’espèce parasite.
Dans d’autres genres de fourmis, de telles sociétés mixtes naissent sans combat et sans mise à mort de la reine hôte A (qui continuera alors à produire des ouvrières A, prêtes à soigner longtemps les larves et les adultes parasites B). On connaît mal le mécanisme qui a permis à la femelle parasite de se faire adopter, c’est-à-dire de franchir la barrière qui ferme la société où elle a pénétré: peut-être y a-t-il eu mise en jeu de «phéromones d’apaisement».
De telles substances – et leur fonction – ont été clairement mises en évidence (B. Hölldobler) dans le cas de certains animaux dits myrmécophiles (Coléoptères du genre Atemeles ) qui se font adopter ainsi par des fourmis Myrmica chez lesquelles ils vont passer l’hiver (ce genre de fourmi élève des larves durant la mauvaise saison, et les Atemeles les dévorent), après avoir passé l’été chez des Formica (qui ne conservent pas de larves pendant l’hiver).
Des centaines d’espèces d’Insectes et d’autres animaux (Arthropodes surtout) vivent ainsi de manière exclusive en commensaux des fourmilières et des termitières. Ils présentent des adaptations morphologiques multiples. On connaît souvent mal leur comportement, et encore plus mal les mécanismes par lesquels ils ont rompu à leur profit la fermeture de la société qui les accepte. Certains sont pourchassés par les Insectes sociaux qui les hébergent, d’autres sont ignorés par eux; d’autres encore sont longuement léchés par leurs hôtes, ou transportés par eux. Certains se contentent de consommer les détritus dans le nid qu’ils habitent; d’autres sont carnivores et dévorent larves et ouvrières de leurs hôtes, sans qve les victimes ou leurs congénères les en empêchent en rien; d’autres sollicitent et obtiennent de leurs hôtes la régurgitation de nourriture. Il y a alors, de la part de ces myrmécophiles ou termitophiles, une imitation si efficace des actes de sollicitation qui se manifestent entre leurs hôtes qu’on peut, dans une certaine mesure, les considérer comme intégrés dans la société.
Contrairement à des vues anciennes (E. Wasmann), il n’y a pas de relation simple entre le degré de dépendance des myrmécophiles (détritivores, ou carnivores, ou obtenant la régurgitation de nourriture) et le niveau d’attention et de soins qu’ils reçoivent de leurs hôtes (poursuite, tolérance, léchages). Il n’y a pas le parallélisme imaginé par les anciens auteurs entre l’évolution des conduites du commensal et l’évolution du comportement de ses hôtes. Il n’y a pas eu co-évolution , mais bien deux évolutions distinctes, sinon indépendantes.
On connaît aussi chez les Vertébrés des sociétés plurispécifiques (ne mettant aucunement en jeu les combats évoqués ci-dessus). Des troupes d’antilopes réunissant deux espèces différentes s’observent en Afrique. Des Cercophithécidés peuvent constituer des troupes multi-spécifiques, groupant deux ou trois espèces de manière stable, voire même cinq ou six, mais alors pour peu de temps (J.-P. et A. Gautier).
Il n’est peut-être pas inutile de souligner que ces sociétés plurispécifiques sont des exceptions. Le groupe social est composé, le plus souvent, d’individus appartenant tous à une seule et même espèce.
7. Activités collectives
Les groupements sociaux les moins évolués ne réalisent aucune tâche collective, si simple soit-elle. Au contraire, dans les types plus évolués de sociétés, l’ensemble des individus ou bien des groupes particuliers d’entre eux exécutent toute une série d’activités collectives très diverses, souvent tout à fait indispensables à la survie même de la société comme à celle de ses membres. Ce caractère de nécessité des actes collectifs augmente, en même temps que leur complexité, à mesure qu’on passe de groupements sociaux relativement simples à des sociétés dites supérieures. Il n’y a pas seulement addition des actes individuels, mais combinaison et organisation de ces actes par un système d’interactions, avec une efficacité telle que se pose le problème de la coordination de ces activités.
Mouvements d’ensemble et déplacements collectifs
Parfois les membres du groupe effectuent des mouvements d’ensemble (de tout le corps, ou d’une partie du corps) aussi bien synchronisés que ceux de ballerines: ainsi les balancements simultanés de certaines larves de tenthrèdes, accrochées à la bordure d’une même feuille. Ou bien il s’agit de déplacements en groupe (bancs de poissons, etc.), parfois à longue distance (migrations collectives de criquets). Ces mouvements et déplacements coordonnés constituent la seule activité de certains types de groupements: il en est ainsi dans les cas qui viennent d’être cités. Pour d’autres au contraire, ils ne constituent qu’un des aspects d’activités communes plus complexes: outre leurs déplacements en longues colonnes, les chenilles processionnaires édifient un abri commun, bourse faite de fils de soie.
Les déplacements en groupe manquent dans certaines sociétés supérieures d’Insectes, dont les membres se déplacent individuellement lors de la récolte de nourriture. Dans d’autres au contraire, ils constituent une partie importante et spectaculaire de l’activité collective: marche «en tandem», pistes de récolte marquées par des phéromones, colonnes de termites ou de fourmis qui rapportent les aliments jusqu’au nid, armées de fourmis nomades (Dorylines), escouades plus légères de fourmis chasseresses (Megaponera , etc.), raids collectifs des espèces esclavagistes (Polyergus ). Dans l’immense majorité des cas, il n’y a dans ces déplacements aucun individu de tête, aucun guide ou leader. On peut cependant considérer que dans certains phénomènes de recrutement vers une source de nourriture (Camponotus socius , Hölldobler) les ouvrières «recrutées» sont guidées par l’ouvrière «recruteuse»; mais tout indique qu’il s’agit d’un leader provisoire, qui n’est en fonction que pour ce seul déplacement collectif. À l’inverse, lorsqu’apparaît, chez nombre d’espèces de fourmis, la «marche en tandem», l’ouvrière de tête guide bel et bien l’autre (jusqu’à une source de nourriture, par exemple). Elle est stimulée dans sa marche par les contacts répétés, sur son abdomen, des antennes de celle qui la suit; et celle-ci répond aux stimulus chimiques émanant du corps de sa compagne.
C’est parfois toute la société (raids d’émigration des fourmis Dorylines) ou une moitié du corps social (essaims d’abeilles) qui se déplace. Dans le premier cas, l’armée peut défiler pendant plus de 24 heures, les «soldats» (ouvrières à grandes mandibules) disposés en flanc-garde, perpendiculaires à la colonne, et réagissant par l’attaque à toute approche, il est aisé de s’en rendre compte... Accompagnant les millions d’ouvrières – certaines portant les larves – marchent les mâles et la reine, unique et volumineuse. Et les commensaux suivent, dans la colonne ou derrière elle, certains portés sur le dos des fourmis en migration.
On observe des déplacements en groupe dans beaucoup de sociétés de Vertébrés, y compris celles des Primates. Souvent alors intervient un leader qui peut être l’individu dominant dans la hiérarchie sociale (cf. chap. 4, Phénomène du leader ). Les gorilles de montagne, étudiés par Schaller, passent leur existence en déplacements entrecoupés de haltes plus ou moins longues; en marche comme au repos, la cohésion du groupe est maintenue, et le mâle dominant marche en tête de la troupe. Chez d’autres singes (babouins), les mâles dominants se trouvent dans la partie centrale de la troupe en marche. Chez les bovins, ce sont les animaux d’un rang hiérarchique moyen qui prennent en général la tête du groupe; les dominants sont au centre du groupe, les dominés en queue (M.-F. Bouissou et J.-P. Signoret).
Prédation, récolte d’aliments et de matériaux
La chasse collective est pratiquée par quelques Mammifères carnivores: loups, lions... Lorsque des chimpanzés sont prédateurs, il peut y avoir chasse collective, avec une certaine coordination. Quelques oiseaux (pélicans) pratiquent une pêche collective.
La découverte, la saisie, puis le transport jusqu’au nid, des substances alimentaires (proies, graines, feuilles) ou des matériaux de construction du nid (brindilles, etc.) est, dans une société supérieure d’Insectes, le résultat d’une addition d’activités individuelles. Mais celles-ci sont organisées, coordonnées, d’une part quelquefois grâce à l’existence de véritables routes ou de tunnels (cf. plus loin: constructions collectives ), d’autre part en raison du jeu des systèmes de recrutement évoqués plus haut.
Le transport de proies volumineuses ou de matériaux peut, chez les fourmis par exemple, être effectué par deux ou plusieurs individus simultanément, avec un grand désordre apparent, et souvent des tractions en sens divergents ou opposés; l’objet transporté n’en arrive pas moins au nid, pôle d’attraction de tous les individus pris séparément, et vers lequel, finalement, s’orientent les activités de tous.
Chez les fourmis qui recherchent des proies (en général des Insectes), la prédation peut être un acte tout à fait individuel, chaque ouvrière ayant son domaine de chasse propre, qu’elle rejoint chaque jour (D. Fresneau, Neoponera apicalis ). Mais en beaucoup d’autres cas (Mesoponera , Aphaenogaster ), la prédation, si elle comporte des phases de conduite individuelle (découverte de la première proie), met en jeu également des activités collectives: recrutement de congénères (pour la mise à mort ou le transport d’une proie volumineuse, ou de petites proies très nombreuses), phénomène de relais, l’ouvrière recrutée achevant le transport de la proie, avec la recruteuse ou sans elle (C. Agbogba).
S’agissant d’activités collectives organisées par le jeu des communications sociales, il faut citer à nouveau le rôle capital, dans l’approvisionnement de la ruche, des messages transmis au cours de la danse des récolteuses.
Soins des jeunes et nettoyage des nids
Dans la majorité des sociétés de Vertébrés, les jeunes reçoivent les soins de leurs seuls parents. Cependant, dans certains groupements sociaux d’Oiseaux, les individus subadultes peuvent aider les parents à élever les jeunes de la nichée suivante. Chez le geai mexicain, l’alimentation des jeunes est assurée pour moitié par les parents, pour moitié par des auxiliaires, individus non reproducteurs adultes ou immatures (J. L. Brown). Chez le coucou américain Crotophaga ani , les femelles se relaient pour couver les œufs dans le nid commun. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, il n’y a pas, chez les manchots de l’Antarctique, de nourrissage communautaire des jeunes rassemblés en «crèches» près desquelles se tiennent des adultes. Alimentation par les parents et nourrissage collectif coexistent chez certains Carnivores (loups, lycaons). Enfin, chez certains Oiseaux et des Primates, le nettoyage du plumage ou du pelage d’un jeune peut être le fait de membres du groupe autre que ses parents.
Dans les sociétés supérieures d’Insectes (termites, guêpes, abeilles, fourmis), au cours de la fondation de la société, l’élevage des jeunes est confié aux fondateurs; ensuite, il n’est plus le fait que des ouvriers ou ouvrières, ou bien des larves âgées qui font fonction d’ouvriers chez les termites peu évolués; la femelle féconde n’y participe en général plus du tout. Outre le nourrissage des larves, déjà évoqué, ces soins du couvain comportent bien d’autres aspects; par exemple, chez les fourmis (G. Le Masne): léchage des œufs, nettoyage des larves après les repas et enlèvement de leurs excrétions liquides, soins au moment où la larve file son cocon et lors de l’éclosion des jeunes adultes; et aussi transport, d’un point à l’autre du nid, des œufs, des larves, des cocons et des nymphes, que les ouvrières groupent souvent par catégories et classent selon la taille.
Dans les soins donnés au jeune, les deux partenaires interagissent; et cela non seulement pour des Vertébrés, mais aussi chez des Insectes sociaux: la larve de fourmi peut «solliciter» activement l’aliment, ou bien répondre de même à l’«offre» faite par l’ouvrière nourrice (G. Le Masne).
Sans cesse, dans un nid d’une société supérieure d’Insectes, des déchets de nature variée (cocons vides, débris de proies, enveloppes végétales, etc.) sont emportés par les ouvriers (ou ouvrières) soit à l’extérieur du nid (abeilles, et beaucoup de fourmis), soit dans des chambres à débris, bien distinctes des autres: dans les grands nids des Atta champignonnistes, il s’agit d’un vaste puits, profond d’un mètre, au fond duquel les nettoyeuses laissent sans arrêt tomber les débris des meules à champignons devenues trop âgées.
Polyéthisme et division du travail
Dans beaucoup de groupements sociaux, on observe entre les individus des différences comportementales très importantes. Cette multiplicité de comportements constitue le polyéthisme (M. Lüscher a proposé d’appeler polyphénisme l’ensemble du polyéthisme et du polymorphisme qui caractérisent beaucoup de sociétés d’Insectes).
L’organisation hiérarchique qui structure de nombreuses sociétés de Vertébrés (cf. plus haut) est liée à un véritable polyéthisme: les animaux de rang différent n’utilisent pas avec la même fréquence les éléments du répertoire comportemental de l’espèce; ils ne répondent pas de la même façon aux signaux reçus, et peuvent assurer des rôles différents dans le groupe.
Dans les sociétés supérieures d’Insectes, les différents individus ne se consacrent pas tous, ou pas tous ensemble, à toutes les tâches. Outre les sexués ailés qui ne font rien qu’attendre le vol nuptial, ou bien les reproducteurs (les femelles ne font que pondre), il existe, entre ouvriers et soldats (termites) ou parmi les ouvrières (Hyménoptères sociaux), une répartition des tâches qui constitue une véritable division du travail entre les membres de la société.
Cette division du travail correspond pour partie au polymorphisme social évoqué plus haut, et au polyéthisme selon la caste qui lui est lié. Mais entre ouvrières de même type morphologique, il existe en outre une répartition des tâches qui est fonction de l’âge des individus (polyéthisme selon l’âge ): les ouvrières les plus jeunes sont des nourrices, chargées des soins du couvain et de la reine; les ouvrières plus âgées se consacrent à la chasse des proies, à la récolte d’aliments ou de matériaux. Il en est ainsi chez beaucoup de fourmis.
De même, chez l’abeille domestique: la première période de la vie de l’ouvrière est consacrée aux tâches de nettoyage des cellules, de nourrissage des larves et de la reine, et à la construction; l’ouvrière est alors pourvue de glandes salivaires et de glandes cirières actives; lorsqu’elle est âgée de deux ou trois semaines, ces glandes sont moins productives et l’abeille devient pourvoyeuse de pollen et de nectar. On enregistre d’ailleurs d’importantes différences d’individu à individu, et une grande labilité dans cette succession de rôles. Le programme de travail de l’abeille n’est pas rigide, et peut être modifié selon les circonstances (M. Lindauer).
Il y a plus: si l’on perturbe cette structure sociale en réalisant des groupes expérimentaux dépourvus de pourvoyeuses, ou de nourrices, on voit, après quelques jours, se rétablir un équilibre entre les différentes fonctions, accompagné d’importantes modifications physiologiques; de vieilles ouvrières peuvent développer à nouveau leurs glandes cirières et reprendre la construction de rayons, ou bien, en présence de larves, régénérer leurs glandes hypopharyngiennes et redevenir nourrices; inversement, des abeilles jeunes se chargent parfois de la récolte de manière anormalement précoce; et, dans une société qui a peu de nourrices, celles qui restent conservent très longtemps ces fonctions et l’activité de leurs glandes salivaires (G. Rösch, J. B. Free, ...): nouvel exemple de régulation sociale, concernant ici le comportement et les structures glandulaires associées.
En réalité, dans les sociétés supérieures d’Insectes le polyéthisme ne se limite pas – on le sait depuis peu – à la répartition des tâches entre les ouvrières. Il se manifeste aussi dans les interactions trophallactiques: des différences apparaissent, là aussi, entre nourrices et récolteuses (A. Bonavita, L. Morel).
Constructions collectives
Dans certains cas, les membres de la société édifient une construction collective, qui constitue habituellement l’habitation commune, le nid collectif. Le comportement constructeur du groupe peut être mis en œuvre également pour d’autres travaux: creusement de tunnels souterrains allant du nid aux sources de nourriture (termites, fourmis champignonnistes); établissement de véritables routes débarrassées de végétation et d’une partie des obstacles (Formica des régions tempérées, ou Dorylines tropicales, chez qui – comme chez les termites – une route encaissée peut se transformer rapidement en un véritable tunnel); édification, sur la végétation, d’abris provisoires, simples placards de terre maçonnée protégeant les pucerons qu’exploitent certaines fourmis, ou couvrant des groupes d’ouvriers (pseudo-nids des termites Anoplotermes , dont le vrai nid est souterrain).
Beaucoup de sociétés de Vertébrés n’édifient nulle construction collective. Même lorsque les individus ont un comportement constructeur développé, l’œuvre reste le plus souvent individuelle; ainsi les nids de branches ou d’herbes construits le soir, ou pour la sieste, par les membres du groupe chez différents Anthropoïdes (gorilles, chimpanzés, orang-outan). Mais on connaît les travaux collectifs importants des castors (P.-B. Richard) et les vastes constructions des Oiseaux dits tisserins républicains (dans lesquelles, à vrai dire, chaque couple conserve son nid particulier). Les coucous américains Anis construisent un nid qui est commun à plusieurs couples.
C’est encore une fois dans les sociétés supérieures d’Insectes que se manifeste au degré le plus élevé la complexité du comportement constructeur et de l’œuvre commune; pots à miel et nids de mousse des bourdons; rayons de cire des abeilles, disposés verticalement dans un abri, avec leurs cellules hexagonales qui hébergent chacune une larve ou reçoivent des réserves alimentaires; guêpiers faits de fibre de bois, avec leurs rayons horizontaux, nus (Polistes ) ou enveloppés d’une montgolfière de fin papier de bois (Vespa , fig. 3); termitières en terre maçonnée, parfois gigantesques si on les compare à la taille des constructeurs, et de structure extrêmement complexe; nids des foumis tisseuses (Œcophylles), faits de feuilles réunies par des fils de soie que fournissent les larves; nids en carton de bois accrochés à des arbres par certains termites (une partie des Nasutitermes ) ou des fourmis (Crematogaster tropicaux).
La taille des nids est parfois impressionnante. Un nid d’Atta occupe, avec ses chambres à champignons reliées par des tunnels, un volume total de plusieurs dizaines de mètres cubes. Une termitière de Bellicositermes natalensis peut dépasser 4 mètres de hauteur. Celles de B. rex forment à la longue de véritables collines de 25 mètres de diamètre, hautes de 3 à 4 mètres, modelant tout le paysage (Grassé et Noirot).
Certains nids ne comportent que des chambres ou des galeries creusées dans le bois ou dans la terre, sans plan bien défini. C’est le cas des termites inférieurs et de beaucoup de fourmis, qui ont moins développé leur comportement de construction que d’autres aspects de leurs activités.
Dans d’autres cas au contraire (termites supérieurs, guêpes sociales, abeilles sociales les plus évoluées et certaines fourmis), le nid est édifié selon un plan caractéristique de chaque espèce. Les étapes de sa croissance se succèdent de manière définie. Les nids de guêpes (Vespa ), avec leurs cellules et leur enveloppe faite de couches multiples, donnent bien l’idée d’un plan spécifique (fig. 3).
La complexité architecturale des constructions est extrême chez certains termites. Les éléments ovoïdes des nids d’Apicotermes , avec leurs étages superposés soutenus par des piliers, leurs galeries de circulation, les fentes rigoureusement ajustées qui marquent leurs parois, les pores régulièrement disposés à la surface de certains d’entre eux, constituent l’architecture la plus complexe édifiée par n’importe quel représentant du règne animal. Ces constructions posent évidemment, plus que toute autre activité collective, le problème de la coordination des actes des différents individus.
Coordination des activités
La réalisation par les membres de la société d’une œuvre commune, qui présente une série de caractéristiques propres à chaque espèce, c’est-à-dire un plan spécifique , pose le problème de la coordination des activités. Ce problème est déjà posé – à un niveau plus simple – par les mouvements ou les déplacements collectifs. Quels sont les facteurs qui règlent ces mouvements synchrones ou ces migrations en groupe, mais aussi les soins efficaces d’un couvain aux besoins précis, et surtout la réalisation de ces architectures complexes, œuvres de milliers – ou de millions – d’individus additionnant leurs minuscules activités particulières? Quels éléments coordonnent alors les actes individuels pour la réalisation d’un plan spécifique?
Il faut indiquer d’emblée que, parlant d’activités cpordonnées, on entend une coordination de fait , observable de manière tout à fait objective, indépendamment des explications qu’on peut en donner. Cette coordination apparaît dans le résultat du travail, malgré de nombreuses incoordinations de détail: chez des guêpes Polistes ou des abeilles domestiques, il est fréquent que des ouvrières démolissent une cellule que d’autres sont en train de construire; elles se procurent ainsi des matériaux (papier de bois, cire) pour construire ailleurs d’autres cellules. Malgré ces actions antagonistes, le résultat final est un nid volumineux, construit en conformité à un type propre à l’espèce.
La coordination de fait est indépendante aussi, il faut le préciser, de tout «principe d’utilité». L’œuvre commune peut, en certains cas, n’être même pas utilisée, une fois qu’elle est effectuée: une bonne partie des réserves entassées par des fourmis moissonneuses (Messor ) dans leurs greniers à grains pourra rester inutilisée et être perdue. De même, plusieurs détails des nids les plus complexes des termites ne sont sans doute d’aucune utilité directe pour la société. Le problème de la coordination des actes reste cependant posé.
P.-P. Grassé, étudiant la manière dont les termites réparent les brèches réalisées dans la termitière, ou bien reconstruisent la cellule royale, a montré que les premiers stades du travail réalisé (bases de nouveaux piliers par exemple) deviennent par eux-mêmes des stimulus efficaces, capables de déclencher des réponses déterminées et d’orienter la suite des actes, la poursuite du travail collectif. Par exemple: à un pilier de faible hauteur, l’ouvrier de termite réagit en ajoutant à son sommet des boulettes de terre; à un pilier plus haut, il répond en plaçant les boulettes plus latéralement, amorçant ainsi un arceau.
Cette stimulation des ouvriers par les travaux mêmes qu’ils réalisent, et plus précisément par l’état actuel du travail à chaque moment, stimulation qui déclenche de la part des constructeurs des réponses précises et adaptées, a été nommée «stigmergie» par Grassé (de 靖精晴塚猪見, piqûre, excitation; et 﨎福塚礼益, œuvre: stimulation par l’œuvre elle-même). Les actes des constructeurs ne sont pas réglés par ceux des autres individus (comme c’est le cas pour les autres relations entre individus, sociaux ou non); ils sont régis par l’œuvre elle-même, qui agit directement, en chacun de ses états successifs, sur chaque membre du groupe social.
Grassé a montré que d’autres éléments de la situation globale (et parfois des éléments proprement sociaux) peuvent intervenir pour orienter le travail: lors de la reconstruction de la cellule royale autour du corps gigantesque de la reine, l’ordonnance des travaux dépend, à l’évidence, de la présence même du corps de la femelle féconde. D’autre part, le groupe agit, là encore, sur l’individu: l’activité individuelle s’accroît quand augmente le nombre des ouvriers au travail. Mais c’est par la stigmergie – et tous les facteurs qu’elle suppose – que s’expliquerait la coordination des activités.
La notion de stigmergie permet sans doute de faire progresser les recherches sur la coordination des activités ches les Insectes sociaux. Il est probable que le même concept est valable pour les œuvres vraiment collectives dans d’autres groupes, y compris les Oiseaux ou les Mammifères sociaux.
D’autres «œuvres collectives» peuvent relever de mécanismes plus simples: l’existence même du nid, son repérage par les membres de la société et les phénomènes bien analysés du «retour au nid» expliquent par exemple une bonne part du stockage collectif des fourmis moissonneuses (avec peut-être un élément «stigmergique» pour l’entassement dans des chambres déterminées); les soins du couvain reposent, semble-t-il, sur une addition d’activités individuelles et sur les stimulations émises par les larves (ou sur leur non-réponse lors de sollicitations: G. Le Masne, M. V. Brian). C’est proprement au problème des architectures collectives que répond le mieux la notion de stigmergie.
8. Comparaison des différents types de sociétés animales
On voit toute la multiplicité des aspects de la vie sociale, toute la complexité aussi de certains des phénomènes comportementaux et physiologiques qu’elle met en jeu. Aucun des faits sociaux énumérés et brièvement examinés ici n’est négligeable. Tous devraient être pris en considération, en particulier lorsqu’on tente de comparer les différents types connus de sociétés animales et de définir leurs caractéristiques propres.
Le polyphylétisme de la vie sociale, qui a été souligné au début de cet article, empêche absolument d’établir une classification naturelle, c’est-à-dire évolutive, phylétique, des types de groupements sociaux. Situées sur des branches ou des rameaux distincts de l’arbre généalogique du règne animal, les différentes formes de vie sociale étudiées n’ont pas entre elles de liens de filiation (sauf, on l’a vu, à l’intérieur d’ensembles zoologiques bien délimités: termites, fourmis, une partie des Primates, etc.). Un classement éventuel n’a d’autre objet, par conséquent, que de faciliter la comparaison ou d’en exprimer les résultats, en rapprochant dans une même «catégorie» des sociétés qui présentent des caractéristiques communes, et en groupant ces différents «types» de sociétés animales en une série, ou en un petit nombre de séries qui montrent une complexité croissante des structures sociales, des comportements interindividuels et des activités collectives. Les résultats présentés dans le tableau schématisent une réalité complexe et d’ailleurs mouvante, dont la connaissance est sans cesse modifiée par de nouvelles observations: le développement actuel des recherches, sutout sur les sociétés de Vertébrés et en particulier de Primates, est considérable grâce à des observations de plus en plus précises réalisées dans la nature.
Sociétés d’Invertébrés
Les connaissances acquises sur les groupements sociaux d’Invertébrés sont suffisamment développées pour qu’apparaissent de manière sûre des catégories bien distinctes, dont un grand nombre de travaux, ces dernières années, ont confirmé la validité. Les critères nécessaires peuvent être trouvés dans le degré de coordination des activités ainsi que dans le développement et la complexité des relations entre membres de chaque société (cf. tableau).
Dans certains groupements, assurément très primitifs, ne se manifeste aucune coordination des activités. Ces groupements incoordonnés ne paraissent parfois montrer entre leurs membres d’autres relations que l’attraction mutuelle. Les travaux de L. S. Ewing et de J.-Y. Gautier font apparaître dans les groupes de certaines espèces de blattes des conduites agonistiques, une structure hiérarchique, un comportement territorial. Il n’est pas impossible que l’étude plus précise d’autres groupements de ce type (certains Coléoptères ou Punaises) permette d’y montrer plus que la seule interattraction.
Il faut mentionner ici les «rassemblements de sommeil» (Hyménoptères solitaires, halictes, papillons Danaus ) et les groupements saisonniers (coccinelles, ammophiles). En bien des cas, les facteurs du milieu s’ajoutent à l’interattraction pour en déterminer la formation.
Dans les groupements coordonnés simples apparaît seulement une coordination des mouvements (mouvements synchrones de certaines larves de tenthrèdes) ou des déplacements. Cette coordination peut aller jusqu’à des migrations en groupe (papillons, criquets, libellules), qui peuvent constituer des phénomènes spectaculaires.
À ces deux catégories s’opposent les sociétés vraies dans lesquelles la coordination des activités entraîne la réalisation d’une œuvre collective, souvent d’une construction commune. Les plus simples (sociétés inférieures ) sont celles des chenilles sociales; certaines sont temporaires et montrent une structure assez simple. Les travaux sur les araignées sociales (R. Darchen, B. Krafft) mettent en évidence chez plusieurs d’entre elles une organisation sociale déjà complexe (avec prédation collective permettant la capture de très gros Insectes, repas collectif sur la même proie, apport de proies aux groupes de jeunes, nourrissage des jeunes de bouche à bouche, coopération dans la construction des pièges), qui les rapproche des sociétés supérieures . Chez celles-ci, organisation sociale et coordination des actes sont toujours fortes; elles peuvent atteindre une rigueur et une complexité extrêmes. Il s’agit des sociétés de termites, de guêpes, de fourmis et d’abeilles. C’est assurément dans ces sociétés supérieures d’Insectes, du moins dans les plus évoluées d’entre elles, que tous les faits sociaux étudiés dans les pages précédentes apparaissent à leur plus haut degré de complexité: rappelons seulement le grand développement du polymorphisme social, du polyéthisme, de la division du travail, les réalisations architecturales très élaborées de certaines de ces sociétés, le développement très poussé et la complexité des relations interindividuelles qui s’y manifestent.
Il n’est pas inutile d’indiquer que la comparaison porte ici sur des formes de comportement social , la même espèce animale pouvant manifester, selon les circonstances, plusieurs des formes de vie sociale mentionnées. Ainsi les papillons américains du genre Danaus forment des groupements migrateurs aux déplacements étendus, mais aussi des rassemblements de repos, entre les heures de vol, et des groupes d’hibernation, après la migration d’automne: entassés par milliers, ils couvrent de leurs grappes vivement colorées les branches de certains arbres, toujours les mêmes d’année en année, situés en des lieux exposés et visibles de loin.
Sociétés de Vertébrés
Un tel classement – simple série de formes de vie sociale de plus en plus complexes – ne peut être établi de manière identique pour les Vertébrés et les Invertébrés (ou plus précisément les Arthropodes, puisque ce groupe fournit l’immense majorité des sociétés d’Invertébrés). Le polyphylétisme de la vie sociale explique cette impossibilité. Celle-ci correspond à plusieurs différences importantes, à cet égard, entre les deux branches maîtresses de l’arbre généalogique du monde animal, différences qu’il n’est pas inutile de souligner.
Tout d’abord, aucun Vertébré ne présente un type de vie sociale aussi complexe (et, finalement, aussi évolué) que celui qui apparaît chez de nombreux espèces d’Insectes. Manquent aux sociétés de Vertébrés les plus évoluées (celles des phoques, ou mieux celles des Primates supérieurs) toute une série de faits sociaux qui sont développés au maximum dans les sociétés supérieures d’Insectes: jamais de polymorphisme social; un certain polyéthisme, mais peu de division du travail; des échanges de nourriture nuls ou se manifestant surtout entre jeunes et parents (comme chez les Vertébrés non sociaux), quelquefois aussi avec d’autres adultes, mais sans les étonnants développements de la trophallaxie telle qu’elle existe chez termites ou fourmis; des constructions collectives rares et jamais aussi complexes que chez les Insectes sociaux les plus évolués à cet égard; au total, une complexité de toute l’organisation sociale bien moindre que dans les sociétés supérieures d’Insectes. Celles-ci, véritablement, n’ont pas d’équivalent chez les Vertébrés. On ne trouve guère non plus, chez les Vertébrés, l’équivalent des sociétés inférieures de chenilles ou d’araignées sociales.
Une deuxième différence apparaît lorsqu’on compare les sociétés d’Arthropodes et celles de Vertébrés. Chez ceux-ci, le fait social (avec ses constituants: interattraction, etc.) vient souvent interférer avec d’autres faits, bien distincts, et même à première vue «antisociaux»: comportement agressif, comportement territorial, respect d’une distance minimale entre les individus ou entre les couples rassemblés. Beaucoup d’Oiseaux forment de gigantesques groupements; mais chaque couple y conserve autour de son nid un véritable territoire, zone étroite mais rigoureusement défendue à coups de bec énergiques contre la pénétration des intrus appartenant au même groupe social. De même, dans les énormes rassemblements de phoques ou d’éléphants de mer, le territoire de chacun des harems est farouchement défendu par le mâle dominant contre la pénétration d’autres mâles, et dans certaines espèces la conquête et la défense d’un territoire constituent le moyen d’acquérir les femelles qui arrivent de la haute mer après les mâles. Dans beaucoup de ces sociétés (oiseaux de mer), il n’y a pas, entre les membres du groupe, le contact étroit qui caractérise les sociétés d’Insectes.
Cette différence est si grande que l’on peut parfois se demander – et le problème est d’importance – s’il y a bien toujours communauté de nature entre sociétés de Vertébrés et d’Invertébrés, si la vie sociale repose bien sur les mêmes bases dans ces deux grands ensembles zoologiques. D’autant plus que la mise en évidence expérimentale de l’interattraction sociale n’a été que rarement réalisée pour les Vertébrés – ne fût-ce que pour des raisons techniques. Elle existe cependant à coup sûr, jusqu’à plus ample informé; même là où les facteurs d’environnement interviennent dans le déterminisme du groupement (ainsi dans les îles antarctiques qui rassemblent des dizaines de milliers de phoques ou de manchots), l’attraction mutuelle apparaît à l’évidence: par exemple sur les photographies aériennes qui montrent les animaux étroitement groupés en certains points de plages immenses, par ailleurs vides.
Une troisième différence importante entre sociétés de Vertébrés et sociétés d’Invertébrés doit être soulignée: c’est le développement du comportement hiérarchique, connu seulement chez un petit nombre de sociétés d’Invertébrés, et qui marque si fortement l’organisation et la structure de beaucoup de sociétés de Vertébrés, Mammifères et Primates en particulier. Cette organisation hiérarchique limite d’ailleurs, en bien des cas, les effets de l’agressivité et permet le maintien du lien social. Fondée souvent sur des signaux visuels, elle paraît tenir – avec l’attention que portent tous les membres du groupe au comportement du dominant – la plus grande place. Le phénomène du leader guidant le groupe social, qui semble manquer presque entièrement chez les Invertébrés, donne aussi sa marque originale à certaines sociétés de Vertébrés.
Une quatrième différence sépare sociétés d’Insectes et sociétés de Vertébrés. Chez ces derniers, l’importance des processus d’acquisition (empreinte, conditionnement, apprentissage, effets des contacts parentaux et sociaux) se manifeste largement dans le comportement social. C’est ainsi que les phénomènes de reconnaissance des individus par leurs congénères sont très développés dans les sociétés de Vertébrés, alors qu’ils paraissent très rares chez les Invertébrés. L’acquisition, au contact des adultes, des conduites sociales se fait de manière progressive.
Mais cette différence est moins grande qu’on ne l’a cru il y a quelques années. En effet, les travaux récents montrent que l’Insecte social aussi passe par une phase d’immaturité, et met progressivement en place ses conduites d’interaction. Il en est ainsi pour les soins donnés aux cocons par les ouvrières de fourmis (P. Jaisson) et pour les interactions trophallactiques chez les guêpes ou l’abeille domestique (H. Montagner, J. Pain) et chez les fourmis (L. Morel): des processus d’expérience sociale et d’empreinte ont été mis en évidence.
Une dernière différence entre sociétés d’Invertébrés et sociétés de Vertébrés correspond à l’importance, dans beaucoup de celles-ci, du fait familial et des interactions sexuelles, qui se superposent au fait social, interfèrent avec lui, et donnent souvent sa structure au groupe social.
Dans les groupements sociaux peu évolués des Invertébrés, le fait familial est nul; il en va de même dans les groupements sociaux les moins évolués des Vertébrés. Dans les sociétés supérieures d’Insectes, ce fait intervient, mais de manière à peu près univoque: à l’origine de la société se trouvent une mère (ou un couple) et ses descendants, qui restent unis par l’interattraction. Sociotomie ou polygynie éventuelles (cf. chap. 2: Mode de formation et durée du groupe social ) ne modifient guère ce schéma.
Au contraire, dans les sociétés complexes de Vertébrés, le fait familial, sous des formes multiples (monogamie, polygamie simple ou bien réciproque), doit être pris en considération, en même temps que le comportement territorial et l’organisation hiérarchique, pour comprendre la structure du groupe social; celui-ci, par exemple, correspond à une mosaïque de territoires, ou bien est constitué d’un agrégat de harems (voire les deux à la fois: phoques, etc.): cela ne s’observe dans aucune société d’Invertébrés.
Structures sociales chez les Vertébrés
On reprendra ici (cf. tableau), en la modifiant légèrement, la classification proposée par F. Bourlière. Les formes de vie sociale les plus simples existent chez les Vertébrés comme chez les Insectes: groupements incoordonnés , provoqués par la saison froide (rassemblements d’hibernation: carpes, certaines salamandres ou Anoures) ou par le repos nocturne (rassemblements de sommeil: oiseaux à dortoirs, geckos nord-américains), et groupements coordonnés simples (bancs de poissons à nage synchronisée, groupes de Vertébrés présentant des migrations collectives: Oiseaux, Poissons, lemmings, rennes, etc.).
Parmi les sociétés «vraies» de Vertébrés, caractérisées par une coordination plus étendue des activités, on distinguera sociétés «simples» et sociétés «complexes». Dans les sociétés simples , les individus ou les couples défendent des territoires distincts, parfois très réduits, contre l’intrusion des autres membres du groupe. Mais la coopération peut se manifester pour un petit nombre d’activités communes: vols simultanés, alimentation en commun, et même chasse ou pêche collectives (ainsi pour certains cormorans et pélicans qui, se disposant en demi-cercle et battant des ailes, poussent les poissons vers des eaux moins profondes, où ils sont capturés aisément).
On pense que les sociétés complexes de Vertébrés ne peuvent être «classées» – c’est-à-dire comparées – qu’en fonction du statut familial qui leur donne sa marque particulière. Les sociétés familiales monogames (oies, loups, castors) sont, au fond, de simples familles prolongées et parfois élargies: les jeunes restent longtemps près des parents, mais d’autres individus s’agrègent quelquefois au groupe; et même, chez les oies, plusieurs familles peuvent s’associer (K. Lorenz). La monogamie, chez ces espèces, est souvent tout à fait rigoureuse. Le groupe a aussi une structure familiale chez des Anthropoïdes: orang-outan, gibbon; et même, chez les premiers, le groupe familial est temporaire.
Les sociétés plurifamiliales monogames sont des agrégats, parfois très fortement intégrés, de familles monogames, dont les membres effectuent parfois des tâches collectives. Crotaphaginae d’Amérique, tisserins républicains, corbeaux choucas donnent des exemples classiques de ce type de vie sociale. Les premiers montrent dans leurs différentes espèces une série de stades évolutifs de grand intérêt, depuis les bandes assez lâches, dans lesquelles chaque couple maintient son territoire propre (Guira ), jusqu’à des groupes beaucoup plus structurés, édifiant un nid commun et défendant un territoire collectif (Crotophaga ani ). Les choucas ont une organisation hiérarchique qui se modifie à chaque automne, lors de la réorganisation des couples; la défense collective contre les prédateurs est très développée. Chez les tisserins républicains, les nids individuels sont recouverts d’une vaste construction commune, un toit de chaume accroché à un arbre. Le cas des rats-taupes du Kenya rappelle celui des insectes sociaux (monopole d’une seule femelle).
Les sociétés polygames sont des mosaïques de harems, chacun d’eux étant constitué d’un mâle dominant ou «pacha» et de quelques femelles; d’autres mâles, même pubères, peuvent être exclus de la reproduction. Sont ainsi organisés: les sociétés de Pinnipèdes marins (phoques, otaries, éléphants de mer) et, au moins à l’époque du rut, les troupeaux de cerfs et de beaucoup d’autres Ongulés, tels chamois, mouflons, bouquetins. Enfin, certaines sociétés de Primates (ainsi le babouin hamadryas , et la majorité des cercopithécidés de forêt) sont aussi composées d’unités sociales qu’on peut assimiler à des harems.
Chez beaucoup d’autres Primates se constituent des sociétés à polygamie réciproque , dans lesquelles les partenaires sexuels s’échangent en fonction de l’apparition des œstrus, et selon les dominances, mais aussi les préférences individuelles, ou simplement les rencontres. Mais ce caractère ne suffit pas à décrire la vie sociale des troupes de singes, dont l’organisation et le comportement, très variés, commencent à être mieux connus (cf. PRIMATES et ANTHROPOMORPHES).
Les chimpanzés – cas unique – constituent des communautés de structure variable selon les circonstances, le groupe mère-enfant étant la seule unité durable [cf. ANTHROPOMORPHES].
On aura noté, dans ce très court survol des sociétés de Vertébrés, la grande diversité des structures sociales dans le groupe des Primates.
Et les sociétés humaines?
On est conduit à se demander quelle est la place de l’espèce humaine, quant à sa structure sociale, par rapport à toutes ces espèces sociales.
Il est évident que la comparaison ne pourra se faire avec les sociétés d’Invertébrés: celles-ci constituent plutôt, à certains égards, des antithèses aux sociétés humaines.
C’est donc dans l’étude des sociétés de Primates non humains que le psychosociologue trouvera des termes de comparaison de grand intérêt – s’il admet que comparer n’est point identifier, mais rechercher objectivement les différences et les points communs. À cet égard, l’étude de la structure sociale et des systèmes de communication observés dans les différentes espèces de Primates peut apporter nombre d’informations utiles. On n’ignore, en disant cela, rien de la complexité particulière des sociétés humaines; on ne néglige pas non plus ce facteur social essentiel qu’est le langage humain, avec ses composantes propres. Mais, au niveau des éléments du comportement, l’étude comparative peut être de grand profit.
Encyclopédie Universelle. 2012.