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envie

envie [ ɑ̃vi ] n. f.
XIIe; enveia Xe; enveie 980; lat. invidia « jalousie, désir »
I
1L'envie. Sentiment de désir mêlé d'irritation et de haine qui anime qqn contre la personne qui possède un bien qu'il n'a pas. jalousie. « Devant la richesse le sentiment le plus ordinaire n'est pas le respect, c'est l'envie » (Fustel de Coulanges). Être dévoré par l'envie, rongé d'envie. « L'Envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide » (Beaumarchais).
2(1155 « rivalité ») Désir de jouir d'un avantage, d'un plaisir égal à celui d'autrui. « C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie » (Rouget de Lisle). enviable. Exciter, attirer l'envie de ses voisins. Faire envie : inspirer l'envie. « Le premier jeune garçon venu, si pauvre qu'il soit avec sa santé, sa force [...] fera toujours envie à un vieil empereur » (Hugo). PROV. Il vaut mieux faire envie que pitié (réponse des personnes jugées trop grosses).Loc. Regarder avec un œil d'envie, avoir un regard d'envie : envier. ⇒ convoitise.
3(1155) Une, des envies. Désir (d'avoir, de posséder, de faire qqch.). appétence, besoin, concupiscence, convoitise, désir, fringale, goût, inclination. Une furieuse envie. Une envie pressante. Faire (qqch.) sans envie, à contrecœur. — (Plur.) J'ai des envies de voyages. ENVIE DE (et l'inf.). Éprouver, ressentir l'envie, une grande envie de faire qqch. Il s'en alla « avec une envie de sauter et de courir » (Loti). « On se confie le plus souvent par vanité, par envie de parler » (La Rochefoucauld). L'envie me démange de le lui dire. J'ai une de ces envies de partir. L'envie lui est venue, lui a pris d'aller à Paris. Quelle envie t'a pris ? lubie. « Il lui venait une envie de se lever tout d'un coup, [...] de s'enfuir » (Green). Besoin organique. Envie de manger ( faim) , de boire ( soif) , de dormir ( sommeil) , de vomir ( nausée) . Avoir envie de faire pipi. « La bêtise consterne et ne donne guère envie de rire » (Cocteau). Loc. fam. Ça l'a pris comme une envie de pisser, brusquement.
(XIIe) AVOIR ENVIE DE (faire qqch.). désirer, souhaiter. Avoir envie d'aller au spectacle, de voyager. « quand on a découvert le souffleur [...] , les ficelles de l'intrigue, on a envie de s'en aller » (Maurois). J'ai bien envie d'y aller. Je le ferai quand j'en aurai envie, quand je voudrai. Fam. J'en ai très envie. Ressentir le besoin de, ne pouvoir s'empêcher de. J'ai envie de pleurer. Avoir envie que (et le subj.). souhaiter, 1. vouloir. Il a envie que vous restiez ici. « avez-vous envie qu'on se raille partout de vous ? » (Molière).
♢ AVOIR ENVIE DE (qqch.). convoiter. Avoir envie d'une chose, de la posséder. J'ai bien envie de ce tableau, mais il est un peu cher ! Avoir envie d'une nouvelle voiture. Mourir d'envie de qqch. Il en meurt, il en crève (fam.) d'envie. Avoir envie de (qqn) : désirer sexuellement (qqn).
(1625) FAIRE ENVIE : exciter le désir. ⇒ tenter . Ce gâteau me fait envie.
Contenter, passer son envie : se satisfaire. Satisfaire l'envie de qqn. Refréner ses envies.
Faire passer l'envie d'une chose à qqn, lui en ôter le désir. ⇒ dégoûter. Je vais lui en ôter l'envie.
4(1606) Fam. Envie de femme enceinte : désir vif et subit (notamment alimentaire) éprouvé parfois par les femmes enceintes (cf. ci-dessous, II, 1o); fig. caprice, désir inattendu.
II
1(1611) Fam. Tache cutanée (nævus, angiome) présente à la naissance et que l'on croyait être la marque d'une envie de la mère (cf. ci-dessus, I, 4o). nævus, tache (de vin).
2(1640) Au plur. Fam. ENVIES : petites peaux qui se soulèvent sur le pourtour des ongles.
⊗ CONTR. Amour, charité, désintéressement, détachement, mépris; dégoût, répulsion, satiété. ⊗ HOM. Envi.

envie nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) Convoitise, mêlée ou non de dépit ou de haine, à la vue du bonheur ou des avantages de quelqu'un ; jalousie : Regarder le gagnant avec envie. Désir d'avoir ou de faire quelque chose, désir que quelque chose arrive : Avoir envie de vacances. Besoin organique soudain de quelque chose : Être pris d'une envie soudaine de vomir. Marque, tache sur la peau, que les enfants ont en naissant et que la croyance populaire attribue à une envie que la mère aurait eue avant son accouchement. (Il s'agit le plus souvent de taches rouges [taches de vins] qui sont en fait des angiomes plans.) ● envie (citations) nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) Bernard Le Bovier de Fontenelle Rouen 1657-Paris 1757 Chacun est envié pendant qu'il est lui-même envieux. Du bonheur Jules Huot de Goncourt Paris 1830-Paris 1870 et Edmond Huot de Goncourt Nancy 1822-Champrosay, Essonne, 1896 Il n'y a que deux grands courants dans l'histoire de l'humanité : la bassesse qui fait les conservateurs et l'envie qui fait les révolutionnaires. Journal Fasquelle Claude Adrien Helvétius Paris 1715-Paris 1771 L'envie honore les morts pour insulter les vivants. Notes, maximes et pensées François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 L'envie est plus irréconciliable que la haine. Maximes Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 La vertu dans le monde est toujours poursuivie, Les envieux mourront, mais non jamais l'envie. Le Tartuffe, V, 3, Mme Pernelle Raymond Radiguet Saint-Maur-des-Fossés 1903-Paris 1923 […] cette reconnaissance que l'on éprouve envers qui nous porte envie. Le Bal du comte d'Orgel Grasset Jules Romains, pseudonyme littéraire devenu ensuite le nom légal de Louis Farigoule Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire, 1885-Paris 1972 Académie française, 1946 […] Pour juger de ce que les hommes ont vraiment envie de faire, il est toujours imprudent de s'en rapporter à ce qu'ils font. Le Dieu des corps Gallimard Publius Syrus (en Syrie Ier s.) Mieux vaut faire envie que pitié. Invidiosum esse praestat quam miserabilem. Sentences, 100 Aristote Stagire 384-Chalcis 322 avant J.-C. En général, les biens provenant du hasard sont ceux qui provoquent l'envie. Rhétorique, I, 5, 17 (traduction J. Voilquin) Eschyle Éleusis vers 525-Gela, Sicile, 456 avant J.-C. Il est peu d'hommes enclins à rendre hommage, sans quelques mouvements d'envie, au succès d'un ami. Agamemnon, 832 (traduction P. Mazon) envie (difficultés) nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) Emploi Avoir envie. L'emploi de avoir envie avec un adverbe est aujourd'hui courant : avoir très envie, peu envie, tellement envie de... Un adverbe étant censé ne modifier qu'un adjectif, un verbe ou un autre adverbe, cet emploi était naguère critiqué ; il est aujourd'hui admis. Toutefois, il est toujours possible dans l'expression soignée, en particulier à l'écrit, de recourir plutôt à un adjectif : avoir une grande envie, une très forte envie, une telle envie de, etc. Il en va de même pour les tournures comparables : avoir faim, avoir mal, avoir peur, avoir soif, etc. ● envie (expressions) nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) Envie du pénis, équivalent pour les femmes du complexe de castration décrit par S. Freud chez le garçon. Avoir envie de quelqu'un, le désirer physiquement. Donner envie (à quelqu'un), faire désirer quelque chose à quelqu'un, créer chez lui ce besoin : Ça me donne envie de revoir ce film. Faire envie à quelqu'un, exciter son désir. Faire passer l'envie de quelque chose à quelqu'un, l'en dégoûter, l'en corriger. Mourir d'envie de, avoir un violent désir de. Passer, contenter son envie, satisfaire son désir. ● envie (homonymes) nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) envi locution adverbialeenvie (synonymes) nom féminin (latin invidia, malveillance, de invidere, regarder d'un œil jaloux) Convoitise, mêlée ou non de dépit ou de haine, à...
Synonymes :

envie
n. f.
d1./d Sentiment de frustration, d'irritation jalouse que suscite la possession par autrui d'un bien, d'un avantage dont on est soi-même dépourvu. Succès qui déchaîne l'envie.
d2./d Désir. Avoir envie de voyager.
|| Faire envie à: être l'objet du désir de (qqn). Ce bijou me fait envie.
d3./d Besoin organique. Envie de dormir, de boire.
d4./d Cour. Tache congénitale sur la peau. Syn. naevus.
d5./d Cour. Pellicule qui se détache de l'épiderme autour de l'ongle.

⇒ENVIE, subst. fém.
A.— [Souvent sans art. dans des loc. verbales] Besoin, désir plus ou moins violent.
1. [En parlant d'un besoin physiol.] Avoir envie de boire, de dormir, de manger. M.S. fut saisi de violentes coliques d'estomac, avec des envies de vomir, une toux convulsive et un malaise général (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 102).
Absol., fam. Avoir envie. Pour signifier le besoin d'uriner ou de déféquer. Envie de déféquer (CARABELLI, [Lang. fam.]).
2. [En parlant d'un besoin phys., d'une décharge nerveuse qui voudrait se manifester] Avoir envie de marcher, de pleurer, de rire. Lesable tenait à deux mains la rampe de fer, buvant l'air comme on boit du vin, avec une envie de sauter, de crier, de faire des gestes violents (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Hérit., 1884, p. 486).
3. [En parlant d'un désir plus général relevant de l'affectivité, du rêve, du besoin d'action ou de possession, de l'ambition, de toutes les pulsions psychiques] Avoir envie de voir, de revoir qqn. Croyez que ma plus chère envie est de pouvoir ici passer toute ma vie (COLLIN D'HARL., Vieux célib., 1792, IV, 10, p. 109). Elle n'avait plus du tout le désir de mourir, mais une envie forte, impérieuse, de vivre, d'être heureuse (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Yvette, 1884, p. 556) :
1. ... cet homme [Louis Bonaparte] ne raisonne pas; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur.
HUGO, Napoléon le Petit, 1852, p. 122.
2. ... j'ai acheté : six hectares, à la suite de mon petit héritage. Je savais la terre à vendre depuis longtemps... Oh! Je l'ai payée : plus cher qu'elle ne vaut, bien sûr. Mais elle me touchait, et j'en avais si envie que je me levais, parfois, au clair de lune, pour aller la regarder...
PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928, p. V.
SYNT. Une envie de musique, de voyage; avoir envie, se sentir l'envie d'écrire, de se marier, de mourir, de parler, de partir; avoir des envies féroces, folles, irrésistibles de + inf.
Expressions et proverbes. Brûler d'envie d'être ministre. Il convenait de n'exécuter que des raids de va-et-vient. Leclerc en brûlait d'envie (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p. 250). Mourir, se mourir d'envie de + inf. Je mourais d'envie de voir la mer (M. DE GUÉRIN, Corresp., 1833, p. 78). Avoir bonne envie de + inf. — J'ai bonne envie, se dit-il, d'aller frapper à la porte du château et d'y faire une visite à Bastien (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 641). Faire passer, ôter à qqn l'envie de + inf. Le mauvais succès de cette tentative m'ôta l'envie de la renouveler (TOEPFFER, Nouv. genev., 1839, p. 225). L'envie me démange, il me prend des envies de + inf. Il lui prenait des envies de s'envoler; rien ne lui semblait impossible (CHAMPFL., Avent. Mlle Mariette, 1853, p. 224). Il vaut mieux faire envie que pitié, pour dire qu'il vaut mieux être dans la prospérité que dans la misère ou les difficultés. Il vaut mieux faire envie que pitié (GIONO, Baumugnes, 1929, p. 79). Faire plus de peur que d'envie, pour dire que l'on craint quelque chose. L'avenir me faisait plus de peur que d'envie (SAND, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 164).
En partic.
a) Avoir envie de qqc.
♦ Désirer un objet particulier. En trois années, elle avait contenté une seule de ses envies, elle s'était achetée une pendule (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 476).
Les envies des femmes enceintes. Nous avons jusqu'aux mêmes envies de femme grosse (GONCOURT, Journal, 1861, p. 940).
b) Avoir envie de qqn. Éprouver le désir sexuel pour cette personne. Et il la regarde parce qu'il a envie d'elle (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 276). Absol. Aujourd'hui je n'ai aucune envie. Sauf peut-être celle de me taire et de la regarder (SARTRE, Nausée, 1938, p. 175). Faire envie à qqn. Être désirée. « Elle fera envie à tous les hommes et à tous elle donnera satisfaction » (RENARD, Journal, 1905, p. 1003). Au gré des envies. Nous nous embrassions au gré de nos envies (SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, p. 70).
B.— Désir de ce qu'un autre possède.
1. [P. réf. à un désir mêlé d'admiration, d'estime et de convoitise] Désir naturel de posséder le bien qui appartient à autrui. Être digne d'envie, un sort digne d'envie. Ils voyaient d'un œil d'envie les richesses des bourgeois de Paris (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 268). Ce tourbillon d'envies, de désirs et d'ambitions en quoi consiste la vie sociale (GUÉHENNO, Journal homme 40 ans, 1934, p. 225) :
3. Quand on est jeune, belle, heureuse, comment voit-on autre chose que l'envie qu'on excite, et l'admiration qu'on inspire?
DURAS, Édouard, 1825, p. 156.
2. Péj. Tendance négative, passion mauvaise qui consiste à s'affliger de la réussite ou du bonheur d'autrui, et pouvant aller jusqu'à lui désirer du mal et chercher à lui nuire. L'envie le dévore; être rongé d'envie; prêter le flanc à l'envie; se mettre au-dessus de l'envie. La définition (...) du catéchisme :« L'envie est une tristesse du bien d'autrui et une joie du mal qui lui arrive » (BLOY, Femme pauvre, 1897, p. 275).
a) [vécue sur le mode de la tristesse] Il me semble que l'envie et la jalousie suffisent de reste pour attrister et même pour empoisonner tout-à-fait la vie (JOUY, Hermite, t. 1, 1811, p. 206). La petite envie taquine que Stendhal porte à tout ce qui a une apparence de supériorité sur lui (DELÉCLUZE, Journal, 1824, p. 22) :
4. De loin elle admirait, avec un peu d'envie et de tristesse, la vie folle et romanesque, dangereuse aussi, mais variée, de ses sœurs.
MAUROIS, Ariel ou la Vie de Shelley, 1923, p. 220.
b) [vécue sur le mode de la haine, de la destruction] Basse envie; envie maligne; le démon de l'envie. Ces jugements où l'on n'aperçoit que la haine, l'esprit de parti, et mille petites passions honteuses (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 115). Cet esprit d'envie, de détraction et de moquerie qui nous est si particulièrement naturel (LAS CASES, Mémor. Ste Hélène, t. 1, 1823, p. 180).
[L'envie, un des sept péchés capitaux, représentée comme un animé] Les traits de l'envie. Les peintres et les poètes ont souvent personnifié l'envie dans leurs œuvres (Ac. 1835, 1878) :
5. L'envie, qui s'attache à toutes les belles œuvres, comme le ver aux fruits, a essayé de mordre sur ce livre, ...
BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, p. 424.
Symb. Le serpent, les serpents de l'envie; l'envie aux doigts crochus.
C.— P. méton., MÉD. (dermatologie)
1. Tache de naissance sur l'épiderme d'un nouveauné (nommée ainsi parce qu'on estimait que la cause venait d'une envie qu'aurait eue la mère pendant sa grossesse). Synon. tache de vin. Vous devez avoir sur le corps une marque, un signe indélébile, ce qu'on appelle une envie (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 315) :
6. ... ces signes, nommés « envies », se réduisent à un petit nombre de types qu'on peut classer, d'après leur couleur et leur forme, en fraises, groseilles et framboises, taches de vin et de café.
FRANCE, L'Orme du mail, 1897, p. 137.
2. Petit filet de peau à la racine des ongles. Pince à ongles ou à envies, nickelée (Catal. jouets [B.H.V.], 1936).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 980 « hostilité, haine » (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 78); 2. 1155 « sentiment de jalousie haineuse devant les avantages d'autrui » (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 56); 3. 1155 « désir de quelque chose » (ID., ibid., 11795). B. 1640 « petite peau qui se détache près des ongles » (OUDIN Curiositez). Adaptation du lat. class. invidia « malveillance, antipathie, jalousie ». Fréq. abs. littér. :7 506. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 8 446, b) 12 169; XXe s. : a) 11 117, b) 11 507. Bbg. JABERG (K.). The birthmark in folk belief, language, literature and fashion. Rom. Philol. 1956-57, t. 10, pp. 307-342.

envie [ɑ̃vi] n. f.
ÉTYM. 1155; enveia, Xe; enveie, 980; lat. invidia « jalousie, désir ».
———
I
1 (L'envie). Sentiment de tristesse, d'irritation et de haine contre qui possède un bien que l'on n'a pas. Jalousie. || Réaliser son dessein en dépit (cit. 6) de l'envie. || Son mérite est au-dessus de l'envie. || Être dévoré, rongé d'envie. || Crever, sécher d'envie.L'envie est un des péchés capitaux.Par ext. || L'envie : tendance à éprouver ce sentiment.
1 L'envie est le plus méchant et le plus vilain vice de tous, comme celui qui n'a pas pour sujet les étrangers, mais frères, parents, voisins, compagnons, pareils amis. C'est une douleur et tristesse procédant d'un lâche courage et d'une abjecte et vilaine pusillanimité de l'âme qui se tourmente, ronge et lime soi-même de la prospérité, faveur, crédit, honneur, beauté, force, agilité, pudeur et savoir, et bref, de toute bonne fortune et prospérité qui arrive à son pareil : passion qui rend l'envieux extrêmement tourmenté car, se défiant de ses forces et ses facultés, il entre en désespérance de pouvoir égaler, passer ou atteindre aux bons succès et heureuse prospérité de son compagnon, et s'oppose tant qu'il peut à son avancement.
Ronsard, De l'envie.
2 Au reste, il n'y a aucun vice qui nuise tant à la félicité des hommes que celui de l'envie. Car, outre que ceux qui en sont entachés s'affligent eux-mêmes, ils troublent aussi de tout leur pouvoir le plaisir des autres, et ils ont ordinairement le teint plombé, c'est-à-dire mêlé de jaune et de noir et comme de sang meurtri (…)
Descartes, les Passions de l'âme, III.
3 Toute jalousie n'est point exempte de quelque sorte d'envie (…) L'envie au contraire est quelquefois séparée de la jalousie (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 85.
4 L'envie ne saurait se cacher. Elle accuse et juge sans preuves; elle grossit les défauts; elle a des qualifications énormes pour les moindres fautes. Son langage est rempli de fiel, d'exagération et d'injure.
Vauvenargues, Réflexions et Maximes, 284.
5 Partout où je trouve l'envie, je me fais un plaisir de la désespérer; je loue toujours devant un envieux ceux qui le font pâlir (…) Quelle lâcheté de se sentir découragé du bonheur des autres et d'être accablé de leur fortune.
Montesquieu, Pensées diverses, Variétés.
6 L'égalité, notre passion naturelle, est magnifique dans les grands cœurs, mais, pour les âmes étroites, c'est tout simplement de l'envie (…)
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, Appendice, p. 444.
7 Devant la richesse le sentiment le plus ordinaire n'est pas le respect, c'est l'envie.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, IV, X, p. 384.
Figuration allégorique de l'envie, dans l'art. || Le démon, le monstre de l'envie. || Le serpent, les serpents de l'envie. || Les venins, les traits envenimés de l'envie. || « L'envie aux doigts crochus » (cit. 3).
8 Là gît la sombre Envie, à l'œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche;
Le jour blesse ses yeux dans l'ombre étincelants;
Triste amante des morts, elle hait les vivants.
Voltaire, la Henriade, Chant IV.
9 (Il) n'avait jamais senti les dents venimeuses de l'envie mordre son honnête cœur et y infiltrer ce poison vert qui bientôt s'insinue dans les veines, et (…) finit par corrompre les meilleurs caractères du monde.
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, I, V, p. 123.
Une, des envies : manifestation particulière de ce sentiment. || Une envie secrète. || Avoir une mortelle envie contre qqn.
2 (1155). Désir de jouir d'un avantage, d'un plaisir égal à celui d'autrui.L'envie de qqch. || Ses succès lui attirent l'envie de bien des gens. || Le sort le plus beau (cit. 54), le plus digne d'envie ( Enviable).(Dans des loc. verbales).Porter envie à qqn ( Envier, jalouser).Faire envie (vieilli dans ce sens; → infra, 3.).Faire envie à ses voisins (→ Bon, cit. 116). — ☑ Prov. Il vaut mieux faire envie que pitié.
10 Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d'un don duquel il me semble que je ferais un usage si différent.
Pascal, Pensées, III, 229.
11 Madame, ce m'est trop d'honneur,
Et mon destin doit faire envie.
Molière, Amphitryon, I, 1.
12 (…) un méchant heureux ne fait envie à personne.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, II, Lettre XI.
13 Le premier jeune garçon venu, si pauvre qu'il soit, avec sa santé, sa force, sa marche vive, ses yeux brillants, son sang qui circule chaudement, ses cheveux noirs (…) son souffle pur, fera toujours envie à un vieil empereur.
Hugo, les Misérables, III, V, III.
Regarder d'un œil d'envie le bien d'autrui. Convoitise. || Considérer qqn avec des yeux d'envie. || Elle jetait un œil d'envie, des regards d'envie, sur les bijoux de sa voisine. Cf. Caresser des yeux.
14 J'ai pitié de moi-même, et jette un œil d'envie
Sur ceux dont notre guerre a consumé la vie (…)
Corneille, Horace, II, 3.
15 Il (Beethoven) devait considérer avec des yeux d'envie cet homme qui avait atteint l'état de maîtrise sur les choses et sur soi (…)
R. Rolland, Voyage musical au pays du passé, p. 65.
3 (1155). || Une, des envies : désir (d'avoir, de posséder, de faire qqch.). Appétence, besoin, convoitise, désir, inclination. || Une brûlante, une extrême, une furieuse envie. || Une envie démesurée, irrésistible. Démangeaison, fureur. || Une envie perverse, cachée (→ Amour, cit. 11). || Faire naître, exciter, donner une envie. || Cette envie le tient encore. || N'éprouver aucune envie.
Avoir l'envie de qqch. || Une envie de viande, de distractions. → ci-dessous Avoir envie de…
Spécialt. Psychan. || Envie du pénis : dans la conception freudienne, Élément fondamental de la sexualité féminine qui résulte de l'absence du pénis ( Castration) compensée par le « désir de l'enfant selon l'équivalence symbolique pénis-enfant » et le « désir de l'homme en tant qu'“appendice du pénis” » (Laplanche et Pontalis).
Envie de (et inf.). → Brûler, cit. 13; clouer, cit. 3; confier, cit. 13; créance, cit. 2. || L'envie d'apprendre, de savoir. Goût. || Une envie immodérée, folle d'acquérir. Cupidité (cit. 1). || L'envie de paraître (cit. 43).
16 Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l'envie
De finir par tes mains ma déplorable vie (…)
Corneille, le Cid, III, 4.
17 Je sentais bien que je n'aurais pas dit à cette femme que je l'aimais, ni qu'elle me plaisait, ni même qu'elle était belle; il n'y avait rien sur mes lèvres que l'envie de baiser les siennes (…)
A. de Musset, la Confession d'un enfant du siècle, II, 4.
Avoir envie de (faire qqch.). Convoiter, désirer, souhaiter. || Avoir envie d'aller au spectacle, de partir, de voyager, de demander, de dire (→ Découvert, cit. 29; discourir, cit. 4) || Il a follement envie de parler (→ La langue lui démange). || Il n'a nulle envie de mourir. || Il n'a guère envie de… (→ Il ne se soucie pas de…) || J'ai bien envie d'y aller. || Il n'en a pas vraiment envie.
18 Je n'avais jamais tel désir d'embrasser Marthe que lorsqu'un travail la distrayait de moi; jamais tant envie de toucher à ses cheveux, de la décoiffer, que quand elle se coiffait.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 114.
Brûler, mourir d'envie de…
19 (…) je mourais d'envie d'entendre ce qui s'était dit (…)
Racine, Traductions, Le banquet de Platon.
20 Elles causèrent cependant, car elles en mouraient d'envie (…)
Loti, les Désenchantées, V, XXXII.
Avoir envie que… (et subj.). Souhaiter, vouloir; → Aheurter, cit. 2. || Il a envie que vous restiez ici. || Il a envie que vous acceptiez sa proposition.
21 (…) avez-vous envie qu'on se raille partout de vous ?
Molière, le Bourgeois gentilhomme, III, 3.
Avoir envie de (qqch.). || J'ai bien envie de ce tableau, mais il est un peu cher ! || N'insistez pas, je n'en ai pas envie. || Envie immodérée de l'argent (→ Cupidité, cit. 1). || Il avait envie de tarte aux poires.
Avoir envie de qqn, le désirer sexuellement.
22 (…) cette envie qu'on a du mariage.
Molière, l'Amour médecin, III, 6.
23 (…) fût-il gratifié de tous les honneurs que peuvent conférer les républiques et les princes, je crois que le crépuscule allumerait encore en lui la brûlante envie de distinctions imaginaires.
Baudelaire, le Spleen de Paris, XXII.
24 (…) l'on achète un peu plus loin l'objet dont on a envie depuis longtemps (…)
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, VIII, p. 89.
L'envie lui est venue, lui a pris d'aller à Paris (→ Assiéger, cit. 9; dénier, cit. 2). || Si l'envie lui en prend (→ Aventurier, cit. 5). || Quelle envie t'a pris ? Lubie.Impers. || Il me prend envie de la battre (cit. 70), de voyager (→ Aller, cit. 18; chevalier, cit. 5).
25 J'ai tant de mal, qu'il me prendrait envie
Cent fois le jour de me trancher la vie (…)
Ronsard, Amours de Cassandre, CCX.
26 Il lui venait une envie de se lever tout d'un coup, de courir à la gare (…) de s'enfuir.
J. Green, Adrienne Mesurat, p. 151.
(1625). || Faire envie : exciter le désir. Tenter. || Ce voyage me fait envie.(Sujet n. de personne). Donner à qqn l'envie de… || Pourquoi me faire envie de choses que vous ne pouvez me donner ?Donner envie (même sens). || Cela me donne envie de fuir !
27 (…) il n'y a pas un peigne en imitation d'écaille, pas une carte de boutons-pression dont on ne s'avise tout à coup qu'elle est là pour faire envie, pour faire plaisir.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XVII, p. 191.
Passer (cit. 105) son envie : se satisfaire. || Contenter son envie (→ Badiner, cit. 1). || Satisfaire l'envie de qqn (→ Bras, cit. 46).Réfréner son envie, ses envies.
28 Enfin de tous les Grecs satisfaites l'envie,
Assurez leur vengeance, assurez votre vie (…)
Racine, Andromaque, I, 2.
29 Par instants j'ai envie de me plaindre. J'arrive, par orgueil, à refréner cette envie. Mais mon silence n'est pas naturel.
Gide, Journal, 17 nov. 1927.
L'envie lui en est passée, lui en a passé.Faire passer l'envie d'une chose à qqn, lui en ôter le désir. Dégoûter, rassasier. || Je saurai bien vous en faire passer l'envie. || Je vais lui en ôter l'envie (→ Approcher, cit. 12; arracher, cit. 12).
30 (…) vous ne m'ôterez pas l'envie de voir cette affreuse grotte (…)
Mme de Sévigné, 269, 27 avr. 1672.
31 Venez, je vous en veux faire passer l'envie.
Racine, les Plaideurs, III, 4.
32 Quand je t'aimais, pour toi j'aurais donné ma vie.
Mais c'est toi, de t'aimer, toi, qui m'ôtas l'envie.
A. de Musset, Premières poésies, « À Mme B… ».
(Fin XVe). || Envie de (et un verbe à l'infinitif désignant un besoin organique). Besoin. || Avoir envie, grande envie de dormir (→ Tomber de sommeil; disposer, cit. 28). || L'envie de manger ( Faim), de boire ( Soif). || Avoir envie de vomir. Nausée; → Avoir mal au cœur. || L'envie de pleurer, de rire (→ Accumuler, cit. 15; bêtise, cit. 12).
33 Qu'il me jette la pierre, celui qui n'a pas connu, par un grand jour chaud de Provence, l'envie de dormir !
Colette, la Naissance du jour, p. 145.
34 La bêtise consterne et ne donne guère l'envie de rire. Plutôt elle attriste et nous rend bêtes par contagion.
Cocteau, la Difficulté d'être, p. 184.
35 D'où lui venait cette envie de vomir qui la tourmentait ? Elle n'avait rien mangé à quatre heures, par dégoût, et son malheureux cœur, déjà tant travaillé par le désespoir, chavirait.
J. Green, Léviathan, p. 166.
Fam. Ça l'a pris comme une envie de pisser, brusquement. Absolt. || Avoir envie : avoir envie d'uriner, d'aller à la selle. || J'avais une de ces envies !
35.1 Tout d'abord la fraîcheur, la solitude et la bonne odeur du petit coin le calmèrent. Il s'était accroupi par acquit de conscience mais il n'avait pas envie.
Sartre, le Mur, L'enfance d'un chef, p. 149.
(1606). Fam. Une envie de femme grosse, de femme enceinte : un désir vif, subit et bizarre éprouvé, selon une tradition, par les femmes enceintes (→ ci-dessous, II., 1.).Fam. || Cela l'a pris comme une envie de femme grosse !
36 (…) j'ai de vagues inquiétudes auxquelles se mêlent les dégoûts, les troubles, les singuliers appétits de la grossesse (…) Je ne conçois pas la fantaisie que j'ai prise pour certaines oranges, goût bizarre et que je trouve naturel (…) je cours à Marseille, quelquefois à pied, y dévorer de méchantes oranges à un liard, quasi pourries, dans une petite rue qui descend au port (…) Ces dépravations ont un sens, puisqu'elles sont un effet naturel et que la moitié des femmes éprouvent ces envies, monstrueuses quelquefois.
Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, Pl., t. I, p. 240.
———
II
1 (1611). Tache cutanée (nævus, angiome) présente à la naissance et que l'on croyait être la marque d'une envie de la mère. Nævus, tache (de vin); → ci-dessus, infra cit. 35.1.
37 (…) c'est un fait que ces signes nommés « envies » se réduisent à un petit nombre de types qu'on peut classer, d'après leur couleur et leur forme, en fraises, groseilles et framboises, taches de vin et de café (…) Or, à qui fera-t-on croire que les femmes enceintes n'ont envie que de boire du vin, du café au lait, ou de manger des fruits rouges ?
France, l'Orme du mail, XII, in Œ., t. XI, p. 137.
38 L'enfant, d'ailleurs saine et bien constituée, portait sur le front une envie rouge de forme spéciale, étoilée de longs traits jaunes rappelant par leur disposition les fameuses épingles d'or.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 247.
2 N. f. pl. (1640). Fam. || Envies : petites peaux qui se forment sur le pourtour des ongles.
CONTR. Amour, charité, compassion; désintéressement, détachement, mépris. — Aversion, dégoût, répugnance, répulsion, satiété.
DÉR. Enviable, envier.

Encyclopédie Universelle. 2012.