esclave [ ɛsklav ] n. et adj.
• XIIIe; lat. médiév. sclavus, de slavus « slave », les Germains ayant réduit de nombreux Slaves en esclavage
1 ♦ Personne qui n'est pas de condition libre, qui est sous la puissance absolue d'un maître, soit du fait de sa naissance, soit par capture à la guerre, vente, condamnation. Le maître et l'esclave. Esclaves de l'Antiquité grecque, latine. « Décider que le fils d'une esclave naît esclave, c'est décider qu'il ne naît pas homme » (Rousseau). Esclave par la guerre (⇒ captif, prisonnier) . Acheter, vendre; délivrer, racheter des esclaves. Être vendu comme esclave. Affranchissement des esclaves (⇒ manumission) ; esclave affranchi. ⇒ affranchi. Le commerce, le trafic des esclaves. ⇒ traite. Le marché aux esclaves. Marchand d'esclaves noirs. ⇒ négrier. Esclave fugitif (⇒ 2. marron) . Esclave à Sparte. ⇒ ilote. Esclave grec au service d'un temple. ⇒ hiérodule. Esclaves chrétiens capturés par les Barbaresques. « Mon goût de posséder, d'user, d'abuser, s'étend aux humains. Il m'aurait fallu des esclaves » (F. Mauriac). Adj. Femmes esclaves de l'Orient. ⇒ odalisque. — Par compar. Être traité en esclave, comme un esclave.
2 ♦ Personne soumise à un pouvoir tyrannique. ⇒ serf. — Adj. « vous êtes esclave [...] de vos moralistes, de vos légistes, de vos hygiénistes, de vos médecins, de vos urbanistes et même de vos esthéticiens » (Duhamel).
3 ♦ Personne qui se soumet servilement aux volontés de qqn. Le courtisan est un esclave. Une âme d'esclave, vile et basse. ⇒ valet. Il refuse d'être votre esclave.
♢ Spécialt Personne qui, par amour, se met entièrement dans la dépendance de l'être aimé. Il est devenu l'esclave de cette femme. ⇒ chose, jouet, pantin. « tu es mon maître, je suis ton esclave, il faut que je te demande pardon à genoux d'avoir voulu me révolter. Elle quittait ses bras pour tomber à ses pieds » (Stendhal). Mère esclave de ses enfants.
4 ♦ Personne soumise à qqch. « J'étais devenu un esclave de l'opium » (Baudelaire). Il est l'esclave de ses habitudes. Être l'esclave de son devoir.
♢ Adj. (Être) esclave de... : se laisser dominer, asservir par (qqch., qqn). ⇒ aliéné, dépendant , prisonnier, tributaire. Il est esclave de ses besoins, de ses habitudes, de la drogue. « Je suis terriblement esclave de ma profession » (Martin du Gard).
♢ Inform. Se dit d'un dispositif entièrement dépendant du fonctionnement d'un autre (opposé à maître). Bascule, ordinateur esclave.
⊗ CONTR. Affranchi, autonome, indépendant, libre.
● esclave nom (latin médiéval sclavus, de slavus, slave, par allusion aux prisonniers slaves faits par Otton le Grand) Personne de condition non libre, considérée comme un instrument économique pouvant être vendu ou acheté, et qui était sous la dépendance d'un maître. (Il existe encore officieusement de nos jours quelques dizaines de millions d'esclaves en Afrique, en Océanie et en Asie ; leur nombre varie selon les sources.) Personne soumise à un pouvoir arbitraire. Personne qui est sous la dépendance complète d'une autre personne : Être l'esclave d'une femme. Personne entièrement soumise à quelque chose ; prisonnier : Les esclaves de l'argent. Une des figures du tarot. ● esclave (citations) nom (latin médiéval sclavus, de slavus, slave, par allusion aux prisonniers slaves faits par Otton le Grand) Jacques Bénigne Bossuet Dijon 1627-Paris 1704 Où il n'y a point de maître, tout le monde est maître ; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave. Politique tirée des propres paroles de l'Écriture Sainte Robert Desnos Paris 1900-Terezín, Tchécoslovaquie, 1945 Les mots sont nos esclaves… Corps et biens Gallimard Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Il n'y a plus de patrie ; je ne vois d'un pôle à l'autre que des tyrans et des esclaves. Le Neveu de Rameau Henri Duvernois 1875-1937 Quand l'esclave trouve une occasion de devenir tyran, il ne la rate pas. Cruautés Grasset Jean de La Bruyère Paris 1645-Versailles 1696 Les hommes veulent être esclaves quelque part, et puiser là de quoi dominer ailleurs. Les Caractères, De la cour François Joseph de Chancel, dit Lagrange-Chancel Antoniac, Périgord, 1677-Antoniac, Périgord, 1758 Qui vit esclave est né pour l'être. Odes Félicité de La Mennais Saint-Malo 1782-Paris 1854 D'esclave, l'homme de crime peut devenir tyran, mais jamais il ne devient libre. Paroles d'un croyant Pierre Leroux Paris 1797-Paris 1871 Le despote en se faisant despote devient esclave. De l'humanité, de son principe et de son avenir Jules Michelet Paris 1798-Hyères 1874 La liberté, pour qui connaît les vices obligés de l'esclave, c'est la vertu possible. Le Peuple, 1re partie, ch. 1 René de Obaldia Hong-kong 1918 Un homme qui consent à devenir esclave durant sa vie l'est naturellement durant sa mort. Les Richesses naturelles Julliard Jules Renard Châlons, Mayenne, 1864-Paris 1910 Il faut que l'homme libre prenne quelquefois la liberté d'être esclave. Journal, 27 janvier 1892 Gallimard Nicolas Edme Rétif, dit Restif de La Bretonne Sacy, Yonne, 1734-Paris 1806 Princes, régnez sur des hommes ; vous serez plus grands qu'en commandant des esclaves. Le Nouvel Émile ou l'Éducation pratique Antoine de Saint-Exupéry Lyon 1900-disparu en mission aérienne en 1944 L'esclave fait son orgueil de la braise du maître. Terre des hommes Gallimard Claude de Trellon vers1560 vers1611 Qui se dit mon valet, je me dis son esclave ; Qui se hausse d'un pied, je me hausse de deux. Discours à Monsieur de la Broue Ernst Moritz Arndt Schoritz, île de Rügen, 1769-Bonn 1860 Dieu, qui a créé le fer, N'a pas voulu d'esclaves. Der Gott, der Eisen wachsen ließ, Der wollte keine Knechte. Chant patriotique Juan Donoso Cortés, marquis de Valdegamas Valle de la Serena, province de Badajoz, 1809-Paris 1853 Un soldat est un esclave en uniforme. Un soldado es un esclavo con uniforme. Discurso en las Cortes, 1849 Alekseï Maksimovitch Pechkov, dit Maksim Gorki Nijni Novgorod 1868-Moscou 1936 Le mensonge est la religion des esclaves et des patrons. Dans les bas-fonds, IV, 1, Satine Friedrich von Schiller Marbach 1759-Weimar 1805 Tremblez devant l'esclave quand il brise sa chaîne, Ne tremblez point devant l'homme libre. Vor dem Sklaven, wenn er die Kette bricht, Vor dem freien Menschen erzittert nicht. Les Paroles de la foi ● esclave adjectif Qui est soumis à l'esclavage : Un peuple esclave. Littéraire. Qui est servile : Un cœur esclave. Qui est sous la dépendance complète de quelque chose : Être esclave de ses préjugés. ● esclave (expressions) adjectif Littéraire. Être esclave de sa parole, tenir scrupuleusement ses promesses. ● esclave (synonymes) adjectif Qui est soumis à l' esclavage
Synonymes :
- ilote
- serf
Qui est sous la dépendance complète de quelque chose
Synonymes :
Esclaves ou Esclave
(Grand Lac des ou de l') lac du Canada (Territ. du Nord-Ouest); 28 438 km²; se déverse dans l'océan Arctique par le fl. Mackenzie. Mines d'uranium dans la région.
⇒ESCLAVE, subst.
Celui, celle qui est privée de sa liberté.
A.— Personne qui n'est pas de condition libre et se trouve sous la dépendance absolue d'un maître dont elle est la propriété. Esclave nègre, noir; une esclave chrétienne; vendre comme esclave. Là, l'esclave étoit hors de la loi commune à tous les citoyens, hors de la société par conséquent (BONALD, Législ. primit., t. 2, 1802, p. 14). Le mouvement en faveur de la libération des esclaves avait commencé dans nos États du sud et bien avant la Guerre de Sécession (GREEN, Journal, 1938, p. 130) :
• 1. Le fait que des serfs, véritables esclaves, ont appartenu longtemps à des maîtres, dont ils dépendaient totalement et qui disposaient discrétionnairement de leurs personnes et de leurs biens, a fait naître cette opinion, répandue chez beaucoup de nos contemporains, que le Moyen Âge, pour tout ce qui n'était pas noblesse ou clergé, a été une époque d'étroit asservissement physique, intellectuel et moral.
FARAL, Vie temps st Louis, 1942, p. 255.
SYNT. Esclave barbare, grec, turc; esclave affranchi; esclave enchaîné; le maître des esclaves; la guerre, la révolte des esclaves; la traite des esclaves; marché aux esclaves; être, devenir, se faire esclave; acheter, affranchir, vendre des esclaves; travailler comme un esclave.
♦ Emploi adj. (notamment en fonction d'attribut ou d'appos.). La classe la plus nombreuse des hommes étoit esclave (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 592). Une foule de comédies antiques roulent sur des questions d'état; il s'agit presque toujours de savoir si une personne est née libre ou esclave (MICHELET, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 125).
— P. hyperb. Personne au service d'une autre personne, et astreinte à des tâches pénibles, parfois humiliantes. Et les domestiques, que sont-ils donc, eux, sinon des esclaves? ... Esclaves de fait, avec tout ce que l'esclavage comporte de vileté morale (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 260) :
• 2. Un patron se trouve toujours un peu rassuré par l'ignominie de son personnel. L'esclave doit être coûte que coûte un peu et même beaucoup méprisable. Un ensemble de petites tares chroniques morales et physiques justifient le sort qui l'accable.
CÉLINE, Voyage, 1932, p. 527.
B.— P. ext. [Souvent avec un compl. prép. indiquant celui ou ce qui restreint la liberté] Personne qui, tout en étant de condition libre, est dans un état de dépendance totale vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose et ne dispose pas librement de soi.
1. [Le compl. de nom exprimé ou sous-entendu désigne une pers. ou un groupe humain]
a) Domaine soc. et pol. Celui, celle qui est soumise à un pouvoir tyrannique. Le citoyen s'était constitué en quelque sorte l'esclave de la nation dont il faisait partie (CONSTANT, Esprit conquête, 1813, p. 205). De chefs en sous-chefs, le crime descend jusqu'à l'esclave qui, lui, reçoit les ordres sans en donner à personne (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 228) :
• 3. À partir d'un certain degré d'oppression, les puissants arrivent nécessairement à se faire adorer de leurs esclaves. Car la pensée d'être absolument contraint, jouet d'un autre être, est insoutenable pour un être humain. Dès lors, si tous les moyens d'échapper à la contrainte lui sont ravis, il ne lui reste plus d'autre ressource que de se persuader que les choses mêmes auxquelles on le contraint, il les accomplit volontairement...
WEIL, Pesanteur, 1943, p. 157.
— Emploi adj. (attribut ou apposé). Femmes esclaves; nations, pays esclaves. L'homme est né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux (ROBESPIERRE, Discours, Sur la constitution, 1793, p. 495). Vous êtes, non le plus esclave, mais le plus valet de tous les peuples (COURIER, Pamphlets pol., Pamphlet des pamphlets, 1824, p. 218).
b) Domaine mor.
— [Avec un compl. prép. exprimé ou sous-entendu, avec ou sans valeur péj.] Celui, celle qui se soumet entièrement à la volonté de quelqu'un, s'emploie exclusivement à le servir par intérêt, par passion. Obéir, se soumettre à qqn en esclave. Un vieux bigot, esclave du prince par éducation, par devoir, par habitude (MARAT, Pamphlets, Nouv. dénonciation contre Necker, 1790, p. 80). Tous les jours près d'elle, j'étais un esclave, un jouet sans cesse à ses ordres (BALZAC, Peau chagr., 1831, p. 147). Marie Immaculée, ma Souveraine et Maîtresse, voici la prière très-humble de votre esclave (BLOY, Journal, 1901, p. 74) :
• 4. Jupiter, roi des Dieux et des hommes, mon roi, prends-moi dans tes bras, emporte-moi, protège-moi. Je suivrai ta loi, je serai ton esclave et ta chose, j'embrasserai tes pieds et tes genoux. Défends-moi contre les mouches, contre mon frère, contre moi-même, ne me laisse pas seule...
SARTRE, Mouches, 1943, III, 3, p. 104.
♦ Emploi adj. (attribut ou appos.). Mon âme est triste; mon cœur est esclave, et mon imagination m'effraie (NAPOLÉON Ier, Lettres Joséph., 1796, p. 21). Ils sont tous plus ou moins esclaves : de leur mari, de leur femme, de leurs enfants; c'est ça leur malheur (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 524).
— Emploi absol., péj., subst. ou adj. (attribut ou appos.). (Celui, celle) qui est porté à obéir servilement. Une âme d'esclave; une mentalité, une morale d'esclave. L'homme est tyran ou esclave par la volonté, avant de l'être par la fortune (PROUDHON, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 331). La cohorte ricanante de ces petits rebelles, graine d'esclaves, qui finissent par s'offrir, aujourd'hui, sur tous les marchés d'Europe, à n'importe quelle servitude (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 376) :
• 5. Cinq ou six savants qui se trouvaient là se mirent à faire bassement la cour aux ministres, et même aux députés. Ils eurent bientôt pour rivaux deux ou trois littérateurs célèbres, un peu moins plats dans la forme et peut-être plus esclaves au fond, mais cachant leur bassesse sous des formes de parfaite urbanité.
STENDHAL, Leuwen, t. 3, 1836, p. 14.
c) P. métaph., domaine de l'inanimé. (Ce) qui est subordonné à la volonté de l'homme ou à une chose considérée comme ayant un pouvoir. Le corps esclave. L'esprit est tout. Le matériel est esclave du spirituel (MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 615). La machine exige. D'abord moyen d'action, esclave, elle a peu à peu retenti sur le maître qui la maniait (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 41).
2. [Le compl. prép. exprimé ou sous-entendu désigne une chose] Personne dont la volonté personnelle, la liberté de jugement ou d'action sont entravées ou abolies par l'action de forces contraignantes, bonnes ou mauvaises, intérieures ou extérieures à l'individu (passions, instincts, contraintes sociales, valeurs morales, déterminismes physiques ou historiques, etc.). Esclave de ses habitudes, de ses passions. Esclave de l'équité, quand elle avait une affaire devant les juges (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 435). J'étais devenu un esclave de l'opium (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 372). Cet air égaré, à quoi se reconnaissent les esclaves d'une passion et les prisonniers évadés (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 383) :
• 6. L'expérimentateur vrai (...) n'est l'esclave ni des faits, ni des idées. Il domine son sujet avec un esprit calme et le critique sainement. Il cherche la vérité et et non la confirmation d'une théorie ou d'une idée préconçue.
C. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 251.
SYNT. Esclave des convenances, de préjugés, de son milieu; esclave du règlement, de son travail; esclave du devoir, de sa parole; esclave des circonstances, de la nécessité.
— Emploi adj. Les Français sont, de tous les peuples de l'Europe, le plus esclave des préjugés et le plus asservi à la routine (JOUY, Hermite, t. 1, 1811, p. 47). Un plus grand poëte encore que lui [Byron] n'aurait pas, je crois, été si esclave des choses extérieures et si admirateur de la nature (BARB. D'AUREV., 4e Memor., 1858, p. 97) :
• 7. ... dans les manières de M. de Guermantes, homme attendrissant de gentillesse et révoltant de dureté, esclave des plus petites obligations et délié des pactes les plus sacrés, je retrouvais encore intacte après plus de deux siècles écoulés cette déviation particulière à la vie de cour sous Louis XIV et qui transporte les scrupules de conscience du domaine des affections et de la moralité aux questions de pure forme.
PROUST, Guermantes 2, 1921, p. 437.
Prononc. et Orth. :[]. Voyelle de syll. finale post. ds PASSY 1914, BARBEAU-RODHE 1930, Pt ROB. (var.) et WARN. 1968 (var.); v. aussi FOUCHÉ Prononc. 1959, p. 61. Enq. : /esklav/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1175 subst. (B. DE STE-MAURE, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 17065). Empr. au lat. médiév. sclavus « id. » (Xe s. ds NIERM.), proprement « slave » (VIIe s., JONAS DE BOBBIO, Vita Columbani, éd. B. Krusch, I, 27) prob. formation régressive à partir de sclavone « slave » pris pour un accus. et issu du slave primitif « id. »; la même évolution a eu lieu en gr. médiév. : cf. formes , , citées ds FEW t. 20, p. 46b. Le changement de sens « slave » > « esclave » s'explique par le grand nombre de Slaves réduits en esclavage dans les Balkans par les Germains et les Byzantins pendant le haut Moyen Âge. V. FEW t. 20, pp. 46b-47 et P. Skok ds Mél. A. Thomas, pp. 413-416. Fréq. abs. littér. :4 136. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 9 254, b) 6 430; XXe s. : a) 3 724, b) 4 007. Bbg. AEBISCHER (P.). Les Premiers pas du mot « sclavus » esclave. Archivum Romanicum. 1937, t. 20, pp. 484-490. — DARM. Vie 1932, pp. 94-95. — JÄNICKE (O.). Zu den slavischen Elementen im Französischen. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, pp. 440-441.
esclave [ɛsklav] n.
ÉTYM. V. 1160; du lat. médiéval sclavus, var. de slavus « slave », les Germains ayant réduit de nombreux Slaves en esclavage. → Esclavon.
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1 Personne qui n'est pas de condition libre, qui est sous la puissance absolue d'un maître, soit du fait de sa naissance, soit par capture à la guerre, vente, condamnation; être humain considéré et traité comme une marchandise (que l'on peut acheter, vendre, posséder). || « Sous le droit romain, on naît esclave quand on est l'enfant d'une mère esclave » (Giffard). || Esclave par la guerre (⇒ Captif, prisonnier). || Être vendu comme esclave. || La chaîne de l'esclave (→ Abjection, cit. 1). || Acheter, vendre; délivrer, racheter des esclaves. || Le commerce, le trafic des esclaves (⇒ Traite), des esclaves noirs. → Bois d'ébène (fig.). || Marchand d'esclaves noirs (⇒ Négrier). || Esclaves traités, transportés comme des animaux ⇒ Bétail (humain). || Avoir droit de vie et de mort sur ses esclaves. — Hist. || Affranchissement, émancipation des esclaves. ⇒ Manumission (→ Affranchir, cit. 1; affranchissement, cit. 1). || Esclave affranchi. ⇒ Affranchi. || Caligula, esclave devenu maître (→ Atrocité, cit. 4). || Esclave grec au service d'un temple. ⇒ Hiérodule. || Esclave à Sparte. ⇒ Ilote. || Esclaves romains. || Prison des esclaves, à Rome. ⇒ Ergastule. || Économies amassées par un esclave. ⇒ Pécule. || Esclaves chrétiens capturés par les Barbaresques. || Cervantes, Saint Vincent de Paul, le poète Regnard furent esclaves « en Alger ». || Travailler comme un esclave (→ Appoint, cit. 6). — Une belle esclave (→ Aiguière, cit. 1; appeler, cit. 12; arqué, cit. 1).
1 L'esclavage est d'ailleurs aussi opposé au droit civil qu'au droit naturel. Quelle loi civile pourrait empêcher un esclave de fuir (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XV, 2.
2 (…) tout homme étant né libre et maître de lui-même, nul ne peut, sous quelque prétexte que ce puisse être, l'assujettir sans son aveu. Décider que le fils d'une esclave naît esclave, c'est décider qu'il ne naît pas homme.
Rousseau, Du contrat social, IV, 2.
3 Il est prouvé que quatorze ou quinze cent mille noirs, aujourd'hui épars dans les colonies européennes du Nouveau Monde, sont les restes infortunés de huit ou neuf millions d'esclaves qu'elles ont reçus (…)
G.-T. Raynal, Hist. philosophique, XI, 22.
4 Dans nos colonies récemment acquises (depuis 1848), on a travaillé d'abord à supprimer le trafic des esclaves; puis à transformer peu à peu ceux-ci en travailleurs libres.
Rambaud, Hist. de la civilisation contemporaine, p. 585.
5 Cette puissance (du maître sur l'esclave : dominica potestas) a d'ailleurs, juridiquement (en droit romain), un caractère absolu; on peut la comparer au droit de propriété impliquant le droit d'user, de jouir et de disposer de la chose. Le maître utilise les services de l'esclave dans sa maison, sur ses terres; les enfants de la femme esclave (partus, le part) appartiennent au maître, et il peut les vendre même séparément de la mère et du père; il a, sur l'esclave, le droit de vie et de mort; mais, de bonne heure, il semble qu'il ne peut exercer ce droit avec une liberté entière. En tout cas, dès l'époque classique, les limitations se précisent.
Giffard, Précis de droit romain, no 349.
6 Mon goût de posséder, d'user, d'abuser, s'étend aux humains. Il m'aurait fallu des esclaves.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, VII, p. 82.
♦ Adj. || Femmes esclaves de l'Orient. ⇒ Odalisque (→ Babouche, cit. 3). || Des négresses esclaves (→ Air, cit. 4).
REM. Selon les contextes sociaux (antiquité classique ou orientale, temps modernes : colonisation et traite des Noirs, etc.) les mots esclave et esclavage ont des connotations très différentes.
2 Personne qui est soumise à un pouvoir tyrannique, à une domination étrangère, à un gouvernement despotique. ⇒ Serf (→ Asservir, cit. 5; despotique, cit. 4). || Être l'esclave du Prince (→ Assurer, cit. 53).
♦ Adj. || Peuples, hommes, femmes esclaves. || Être plus, moins esclave que qqn.
7 L'homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux.
Rousseau, Du contrat social, I, 2.
8 Si vous ne vous jugez pas esclave d'un régime politique ou social, — ce qui est, à mes yeux, l'indice d'une charmante complaisance — vous êtes esclave, je vous le répète, de vos moralistes, de vos légistes, de vos hygiénistes, de vos médecins, de vos urbanistes et même de vos esthéticiens.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, IV, p. 69.
3 Personne qui se soumet servilement aux volontés de qqn. || Le courtisan est un esclave. ☑ Avoir une âme d'esclave, vile et basse. || Se faire, se rendre l'esclave de qqn. ⇒ Char (s'attacher au char de…). — ☑ En esclave. || Faire qqch. en esclave, en toute soumission.
9 (…) je prétends n'être point obligée à me soumettre en esclave, à vos volontés (…)
Molière, George Dandin, II, 2.
10 Loin d'être aux lois d'un homme en esclave asservie (…)
Molière, les Femmes savantes, I, 1.
11 Je puis l'aimer, sans être esclave de son père (…)
Racine, Andromaque, I, 2.
12 (…) Diderot s'est fait esclave des libraires, et est devenu celui des fanatiques.
Voltaire, Lettre à d'Alembert, 57, 15 oct. 1759.
♦ Adj. || Qui est plus esclave qu'un courtisan assidu (cit. 6). || Une âme esclave.
13 (…) elle savait que pour cette âme esclave elle représentait la richesse (…)
J. Green, Léviathan, p. 177.
♦ Spécialt. Personne qui, par amour, se met entièrement dans la dépendance de l'être aimé. || Il est devenu l'esclave de cette femme. ⇒ Chose, jouet, pantin. || Elle prend plaisir à avoir des esclaves à ses pieds (→ Asservir, cit. 15). — REM. À l'époque classique, esclave se disait dans le langage de la galanterie pour « amant et serviteur d'une dame ».
14 (…) une aventure (…) me fit voir la charmante Élise; que cette vue me rendit esclave de ses beautés (…)
Molière, l'Avare, V, 5.
15 — Punis-moi de mon orgueil atroce, lui disait-elle, en le serrant dans ses bras de façon à l'étouffer; tu es mon maître, je suis ton esclave, il faut que je te demande pardon à genoux d'avoir voulu me révolter. Elle quittait ses bras pour tomber à ses pieds. Oui, tu es mon maître, lui disait-elle encore ivre de bonheur et d'amour; règne à jamais sur moi, punis sévèrement ton esclave quand elle voudra se révolter.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, XIX.
16 La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Le voyage », VI.
17 L'aimé profite de son esclave (…)
F. Mauriac, Souffrances et Bonheur du chrétien, p. 170 (→ Accroître, cit. 7).
4 Personne qui n'a aucun moment libre. || Son emploi fait de lui un esclave, le rend esclave. || Cessez d'être un esclave, prenez un peu de bon temps !
5 Adj. || (Être) esclave de… : qui se laisse dominer, asservir (par qqn, qqch.). || Il est trop esclave de son travail, il n'a plus une minute de liberté. || Il est esclave des bienséances (cit. 13), de ses richesses (→ Convoiter, cit. 6), de son rang, de ses principes (→ Changer, cit. 67). || Un auteur esclave de son sujet (→ Dominer, cit. 16). || Il est esclave de son corps, de ses besoins (→ Assujettir, cit. 27), de ses habitudes, de ses aises, de son confort (→ Défroque, cit. 1). || Être esclave de ses passions, de son humeur (→ Affranchir, cit. 14; asservir, cit. 13; attacher, cit. 96). || Être esclave du tabac, de l'alcool. || L'homme esclave de la machine. ⇒ Aliéné, dépendant, prisonnier, tributaire.
18 (Elles) n'attendaient que des violences extrêmes de l'étrange humeur de leur frère, qui était sans doute l'homme du monde le plus esclave de ses passions.
Scarron, le Roman comique, I, XV.
19 Et seriez devenu, pour avoir tout dompté,
Esclave des grandeurs où vous êtes monté !
Corneille, Cinna, II, 1.
20 Pourquoi faut-il qu'un tyrannique honneur
Tienne notre âme en esclave asservie ?
Molière, le Grand Divertissement royal, I.
21 Hermippe est l'esclave de ce qu'il appelle ses petites commodités (…)
La Bruyère, les Caractères, XIV, 64.
22 (…) je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords (…)
Rousseau, Émile, IV.
23 J'étais devenu un esclave de l'opium (…)
Baudelaire, Poème du haschisch, IV.
24 Ils sont, aujourd'hui, les esclaves d'un autre patron, d'une machine.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, IX, p. 143.
25 Je suis terriblement esclave de ma profession, voilà la vérité (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 202.
♦ Spécialt. || Être l'esclave de son devoir, l'accomplir très scrupuleusement.
26 (…) de mon devoir esclave infortunée (…)
Racine, Mithridate, II, 6.
♦ Être esclave de sa parole, la tenir scrupuleusement, faire preuve d'une fidélité absolue à ses engagements.
6 Par métaphore ou fig. (En parlant de choses). Littér. :
27 La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Boileau, l'Art poétique, I.
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CONTR. Affranchi, autonome, indépendant, libre. — Conquérant, despote, maître, tyran.
DÉR. Esclavage.
Encyclopédie Universelle. 2012.