PATRIMOINE
Issu du vocabulaire juridique, le mot «patrimoine» a été utilisé au début des années 1970 pour désigner les productions humaines à caractère artistique que le passé a laissées en héritage et on n’a pas fini d’explorer le contenu du terme dans son acception récente. Pour en limiter, en fait, l’emploi aux seuls beaux-arts, les utilisateurs entendaient néanmoins écarter d’autres expressions jugées trop restrictives dans leur contenu, ou limitées au seul contexte français: «Monuments historiques», notamment. À la fin des années 1970, il était entendu qu’en adoptant le mot «patrimoine», on insistait sur la dimension collective de l’héritage: on parla progressivement de «patrimoine européen», puis de «patrimoine mondial» pour désigner des monuments, des objets et des lieux.
Introduit dans le discours quotidien français en 1980 à l’occasion de l’Année du patrimoine, le concept n’a cessé d’évoluer; on peut même dire qu’il est encore en voie de formation. Dès le début des années 1990, en France, le ministère de la Culture s’efforça, avec une constance variable et un succès inégal, de vivifier par l’esprit des sciences sociales une administration traditionnellement cantonnée au domaine des beaux-arts (musées, monuments historiques, archéologie monumentale), pour étendre son action à des domaines nouveaux – ethnologie, sciences et techniques, culture matérielle – qu’exploraient alors quelques chercheurs (en particulier, Alain Bourdin, Le Patrimoine réinventé , Paris, 1984, Henri Pierre Jeudy dir., Patrimoines en folie , Paris, 1990 et André Desvallées dir., Vagues. Une anthologie de la nouvelle muséologie. I , Paris, 1992) à l’instar de leur homologues britanniques notamment. Le mot «patrimoine» s’est alors vite avéré d’un usage commode: désignant les productions humaines les plus variées, il possède un caractère englobant qui permet une compréhension pluridisciplinaire; plaçant sous un même regard les beaux-arts et toutes sortes d’artefacts, il a permis d’éviter l’écueil d’une vision hiérarchisante qui se limiterait aux seuls chefs-d’œuvre de l’art.
Il devint, cependant, progressivement clair que le patrimoine ne pouvait être limité aux sciences humaines. La réflexion écologiste a poussé à considérer la question du point de vue des sciences de la terre comme de la biologie végétale. Ainsi a été formulée la proposition que l’environnement, considéré sous l’angle de la géographie physique, de la flore et de la faune, constitue un patrimoine, passible d’évolutions, de modifications, voire de destruction, et qui influe sur les structures des sociétés et sur les comportements collectifs. Quant à la biologie animale et humaine, elle a insisté sur le caractère spécifique de chaque être vivant, souligné ses évolutions, et formulé l’hypothèse de nouvelles transformations. Les sciences dites «exactes» posent une grave question: quel patrimoine génétique des êtres vivants (animaux et végétaux) qui l’entourent l’homme doit-il conserver pour continuer de s’intégrer dans l’environnement afin de poursuivre son existence sur une planète en voie d’artificialisation de plus en plus poussée?
Mais les sciences exactes, en entrant à leur tour dans le patrimoine, posent une autre question: comment mettre en relation le patrimoine dont elles traitent avec celui dont s’occupent les sciences humaines? Quelle sorte de lien établir entre les patrimoines naturel et génétique et le patrimoine culturel? À cette question, le XIXe siècle positiviste avait répondu en mettant en évidence cette trilogie chère à Taine (1828-1893): race, milieu, moment constituent les conditions préalables de la production religieuse, politique, intellectuelle et artistique. À la même date, Marx reliait, dans une vision moins globale, organisation sociale, modes de production et culture. Ces divers types d’explication, plus ou moins matérialistes, n’ont pas résisté à la complexité du réel; les événements dramatiques que le XXe siècle a connus ont déconsidéré pour longtemps toute explication fondée sur la notion de race ou le concept d’infrastructure économique et sociale. La question reste donc entière, mais force est de reconnaître qu’en dépit des protestations des spécialistes, chacun dans sa sphère, la notion de patrimoine, en s’étendant au-delà des sciences humaines en direction des sciences de la vie et de la terre, possède un caractère plus englobant encore que les sciences sociales.
De ce mot «patrimoine» dont le contenu n’a pas fini d’être exploré, il paraît difficile de faire l’historique. Celui-ci ne peut être que rétrospectif selon la méthode qu’adoptent fréquemment les historiens du droit: retrouver, désignés sous un autre nom, les premières traces, les antécédents, les embryons de paradigme d’une notion ultérieurement définie. Mais encore faut-il que cette notion possède des caractéristiques précises, car ce sont les indices de celles-ci que l’analyse historique s’emploiera à mettre en évidence. Le fait que le patrimoine ne possède pas de signification clairement définie, qu’il soit au contraire, selon l’expression des juristes, un concept en voie de formation, soulève des difficultés.
On admettra par hypothèse, que le concept de patrimoine peut s’articuler sous trois rubriques. La première constate ce qui du passé mérite d’être conservé; la seconde touche aux motivations qui conduisent à accepter le passé ou à le rejeter; la troisième, d’ordre pratique, concerne les modalités par lesquelles le patrimoine a été progressivement apprécié, conservé et transmis. La méthode est éclairante. Elle permet ainsi d’attirer l’attention sur le fait qu’une telle méthode écarte a priori une thèse habituellement avancée, selon laquelle la conscience du patrimoine relèverait de l’histoire courte; qu’elle serait née, en France, pendant la Révolution, de la volonté de sauvegarder les vestiges de l’Ancien Régime. En réalité, cette thèse n’a d’autre mérite que de mettre l’accent sur le rôle de l’État dans la fabrication du patrimoine, permettant ainsi de fournir une explication à un phénomène qui continue aujourd’hui de faire de la France une exception dans le monde grâce à la place prédominante de ses institutions centralisées dans les actions d’inventaire, de protection et de mise en valeur du patrimoine. Si l’on accepte, au contraire, de poser au passé les trois questions que l’on a définies plus haut, on reconnaîtra la présence de fragments de conscience patrimoniale dans des sociétés largement antérieures à la nôtre.
1. Pistes et traces pour l’Antiquité
C’est probablement l’Antiquité moyen-orientale qui donne les premières indications sur les manifestations les plus fondamentales de l’attitude patrimoniale.
Filiation, culte des morts et héritage
Au départ, intervient la conscience de la filiation: le cinquième chapitre de la Genèse prend soin d’établir la généalogie de mâle en mâle, depuis Adam jusqu’à Noé, et l’on trouve au chapitre X le dénombrement de la descendance du constructeur de l’arche jusqu’à Abraham. Bien des siècles plus tard, l’apôtre Matthieu consacre à son tour le premier chapitre de son évangile à la généalogie de Joseph, l’époux de Marie, qu’il fait remonter jusqu’à Abraham. Si bien qu’en additionnant les trois successions, on possède la représentation de l’histoire du monde telle que la voyaient les anciens Hébreux, depuis la création d’Adam.
Plus concrètement que la généalogie transmise par l’écrit ou par l’oral, le lien des vivants avec les morts se matérialise par la sépulture: les rituels de Mari (XIXe-XVIIIe siècle av J.-C.) indiquent moins l’existence d’une salle du trône que d’un lieu de commémoration des morts – c’est en ce lieu que sont disposées les effigies royales et que les rois eux-mêmes peuvent être enterrés. Ainsi, l’exercice du pouvoir est lié à la possession des morts, dieux de la maison: à des siècles de distance, les nécropoles organisées par les dynasties modernes – Saint-Denis, Westminster, l’Escurial, la crypte des Capucins à Vienne – ont été fondées, et continuent de l’être pour certaines, sur un principe équivalent. Le pouvoir ne possède pas seulement les morts, il possède aussi certains objets cultuels, statues des dieux notamment, et des écritures diverses, tablettes ou archives. Des guerres mésopotamiennes aux conquêtes de la Révolution et de l’Empire, en passant par la défaite de Philippe Auguste à Fréteval (1194) – au cours de laquelle il perdit ses archives –, jusqu’aux actuelles revendications sur les prises de guerre soviétiques, la victoire s’accompagne souvent de la confiscation d’objets précieux censés posséder un pouvoir symbolique propre. Ils sont conservés dans des lieux particuliers: on a cru déceler un musée dans le palais de Nabuchodonosor, mais il n’était pas, à l’évidence, ouvert à la visite; plus tard à Rome, l’empereur Vespasien (9-79) consacra le temple de la Paix aux objets cultuels des peuples vaincus; y furent placés, raconte Flavius Josèphe (37-env. 100) dans La Guerre des Juifs contre les Romains , livres VII et XIX, le grand chandelier ainsi que des dépouilles provenant du temple de Jérusalem.
Si la possession des signes des morts constitue l’un des enjeux du pouvoir, il en va de même dans la sphère du privé. Ainsi, le chapitre XXXIV de la Genèse met en évidence le geste significatif de Rachel, lorsqu’elle quitte avec Jacob la demeure de son père, Laban, qui l’a maltraitée: elle emporte avec elle en cachette les theraphim (v. 19), les dieux de son père, ceux par lesquels se transmet l’héritage. Et au geste biblique fait pendant celui d’Énée dans L’Énéide (chant II, v. 717): en quittant Troie en flammes, il n’emporte avec lui que son père et les pénates de la patrie, dits aussi pénates troyens (ibid ., v. 747). Aucun autre bagage n’est mentionné: il s’est limité à l’essentiel, au symbole de la transmission. En faisant un saut hardi dans l’espace et dans le temps, on ne peut qu’être frappé de la similitude entre la démarche décrite par Virgile et celle qu’évoque Chateaubriand au sujet de ces Indiens errant dans les déserts d’Amérique du Nord et portant sur eux quelques reliques de leurs ancêtres: ces «os de leurs pères» (Mémoires d’outre-tombe , liv. VII, chap. IX) leur servaient de lien avec leur histoire, leurs origines et leur culture, les protégeaient contre le sentiment d’être perdus.
Parenté spirituelle
Représentée par la parole, l’écrit, des vestiges ou des symboles, la généalogie n’est pas seulement d’ordre biologique. Le christianisme, par exemple, s’est construit autour d’un mode de parenté spirituelle, qui substitue le corps mystique au corps physique: la légitimité de la filiation y est fondée non seulement sur un corpus de textes canoniques, mais aussi sur un mode de transmission des pouvoirs des apôtres au profit de l’évêque de Rome et des autres évêques. C’est pourquoi l’une des plus anciennes parties de la messe énumère la liste des premiers pontifes romains et proto-martyrs, comme garantie de la communion avec le Christ fondateur. Plus matériellement, les reliques sont venues apporter une garantie supplémentaire. La tradition légendaire, plus que les auteurs savants (Eusèbe de Césarée, saint Jean Chrysostome, entre autres), a rapporté les recherches dirigées entre 333 et 347 par la mère de Constantin, l’impératrice Hélène, pour retrouver dans le sol du Golgotha les vestiges de la Vraie Croix: dans l’impossibilité de retrouver les restes corporels du Ressuscité, les objets de la Passion prennent une importance majeure. Ils garantissent l’authenticité des événements évangéliques; ils sont donc placés sous la garde des protecteurs de la chrétienté, l’empereur byzantin, puis le roi de France.
Fouilles, restauration et analyse archéologique
Peu importe que l’événement narré dans l’Histoire ecclésiastique ou que la croix retrouvée soient authentiques ou non, ils concernent l’une des plus célèbres opérations de fouille archéologique qui aient été conduites pendant l’Antiquité chrétienne: un acte volontaire destiné à retrouver un objet capital par sa signification et par son ancienneté. Ce n’est cependant pas le premier témoignage d’une pratique de ce genre: une tablette cunéiforme du VIe siècle avant J.-C. raconte comment Nabonide, roi de Babylone, entreprit à la suite d’un songe des travaux de fouilles pour retrouver les substructions d’un temple et qu’il décida sa restauration-reconstruction à l’identique. Plutarque relate aussi comment, après les guerres médiques, la pythie ordonna aux Athéniens de recueillir les ossements de Thésée dans l’île de Skýros, comment un signe divin permit de trouver les restes du héros et comment ceux-ci furent triomphalement apportés à Athènes. La fouille peut également être l’occasion d’observations à caractère scientifique: Thucydide raconte qu’en 426, les Athéniens supprimèrent toutes les tombes de l’île de Délos et constatèrent à cette occasion que beaucoup d’entre elles étaient indubitablement des sépultures cariennes à en juger par le mode d’ensevelissement et par le mobilier funéraire.
Intentionnalité du monument; acceptation de l’héritage
Qu’il s’agisse d’un acte de piété ou de curiosité scientifique, la fouille correspond à un geste précis: retrouver ou confirmer la filiation. Car il ne suffit pas de l’intentionnalité du fondateur pour établir la filiation, il faut qu’un processus d’acceptation se mette en place. Cette intentionnalité du fondateur est déjà explicitement posée dans le chapitre précité de la Genèse: après l’épisode de la fuite avec les theraphim, Jacob se réconcilie avec son beau-père Laban et, à sa demande, prend une pierre et dresse un monument (v. 45) qui témoignera de l’alliance conclue. Or, si le culte des morts constitue l’attitude fondatrice du patrimoine, le monument intentionnel, qu’il soit commémoratif, funéraire ou religieux, en constitue la partie la plus visible: certains ouvrages particulièrement hardis ont été dressés pour témoigner dans l’avenir de leurs fondateurs et de leur temps. Et, de fait, les générations ultérieures les ont salués comme tels: c’est le cas des Sept Merveilles du monde, dont la liste, ancêtre pour ainsi dire, du Patrimoine mondial dont l’U.N.E.S.C.O. dresse l’inventaire depuis 1972, apparaît en germe au Ve siècle av. J.-C. dans les Histoires d’Hérodote.
Définition d’une liste; apparition du tourisme
On a dû attendre cependant l’aventure d’Alexandre (356-323 av. J.-C.) et le lien qui se noua à partir de 334 entre la Grèce et l’Orient: il a fallu en quelque sorte cet élargissement culturel pour qu’apparaissent les premières listes qui donnèrent naissance à celle, canonique, des Sept Merveilles.
La réalisation de la liste combine donc les deux mouvements par lesquels se construit le patrimoine. L’intentionnalité du fondateur d’une part: c’est sur elle que repose toute commande d’architecture publique, c’est-à-dire, ce qui, des pyramides d’Égypte au Grand Louvre, constitue le noyau dur du patrimoine. L’acceptation ou le refus d’autre part, la sélection par les générations ultérieures d’une liste qui tend à une portée universelle. Que l’Antiquité ait une attitude patrimoniale au sens où nous l’entendons aujourd’hui est confirmé par les récits des voyageurs. Strabon (63 env. av. J.-C.-env. 25 apr. J.-C.) s’intéresse dans sa Géographie aux curiosités archéologiques de l’Asie, cherche à voir le tombeau d’Achille, s’interroge sur le site homérique de Troie. Pausanias (IIe siècle apr. J.-C.) perçoit, dans sa Description de la Grèce , la cité d’Athènes, avec ses monuments et ses lettrés, comme une ville-musée, par opposition à l’industrieuse Corinthe. L’élite cultivée pratique le tourisme patrimonial, quitte l’Italie pour visiter l’Égypte, la Grèce et l’Asie mineure.
Restauration des monuments
Au même titre que la fabrication d’une liste, la rédaction d’un guide de voyage ou l’activité touristique, l’acte de restaurer un monument relève du processus d’acceptation de l’héritage. On a vu que Nabonide, roi de Babylone, désigne la reconstruction d’un temple antérieur comme une restauration à l’identique. Sauf à trop solliciter la traduction du texte qui rend témoignage de son acte, on déduit de cette rédaction que la distinction peut être établie à l’époque entre plusieurs types de restauration et que le choix qui est fait par Nabonide d’un tel mode de réfection correspond à une volonté politique précise, celle d’asseoir le plus fermement possible sa légitimité dans la continuité.
L’Antiquité sait également désigner l’excès de zèle du restaurateur qui retire son authenticité à la chose restaurée. Un exemple est resté célèbre: les travaux effectués sur le colosse de Memnon, l’une des statues du temple funéraire d’Aménophis III à Thèbes. Tacite raconte (Annales , II, 59-61) combien Germanicus (15 av J.-C.- 19 apr. J.-C.) avait admiré en 19 après J.-C. le phénomène mystérieux par lequel le colosse, frappé par les rayons du soleil, rendait le son de la voix humaine. Et à la suite du fils adoptif de l’empereur Tibère, les touristes se pressaient nombreux en Égypte pour admirer le prodige et déposer des offrandes. Jusqu’au jour où l’empereur Septime Sévère (146-211) décida de restaurer les fissures qu’un tremblement de terre avait provoquées en 27 après J.-C. Dès lors, Memnon resta muet à cause de ces travaux malencontreux, les voyageurs durent aller chercher ailleurs d’autres pierres parlantes.
Collections et science du passé
Au même titre que l’acte de restaurer, la collection participe de l’acceptation du legs. On peut distinguer trois types de collections:
– celles qui appartiennent à des temples; elles possèdent une fonction collective, mi-cultuelle, mi-sacrée. Pausanias décrit, par exemple, la liste des œuvres d’art du Parthénon que le visiteur ne doit pas manquer;
– celles des souverains, qui succèdent aux trésors héroïques: les objets les plus prestigieux servent à la cérémonie d’investiture (les trépieds de bronze dans la Chine des Han, par exemple). Mais aussi au renom de la cité. Ainsi, Ptolémée Ier Sôtêr (env. 365-282 av. J.-C.) profite d’une famine à Athènes pour acheter les manuscrits les plus prestigieux des classiques grecs et en doter la bibliothèque d’Alexandrie;
– celles des particuliers enfin: dénoncée par Cicéron, la cupidité de Verrès (env. 120-43 av J.-C.), propréteur de Sicile, est restée célèbre, mais on sait aussi, grâce à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (23-79) notamment, qu’il y a, pendant l’Antiquité, un véritable marché de l’art avec amateurs, marchands et cote des œuvres.
Parallèlement, le goût pour les objets anciens revêt un caractère scientifique. Le terme archaiologia apparaît pour la première fois chez Platon, dans Hippias majeur , devient commun à l’époque hellénistique, tend à se confondre avec le terme histoire sous la plume de Denys d’Halicarnasse (Ier siècle av. J.-C.) et de Flavius Josèphe. Avec Varron (116-27 av. J.-C.) et Diodore de Sicile (env. 90-env. 20 av. J.-C.), la science des antiquités s’oriente vers une étude historique des origines de l’homme.
Patrimoine universel ou patrimoine d’identité
La question d’un passé commun de l’humanité ne va pas de soi. Libérateur des cités grecques, maître de l’Empire perse et roi d’Asie, Alexandre a voulu gommer la vieille opposition entre Grecs et barbares: la Grèce, désormais liée à l’Orient, élargit son appréciation des chefs-d’œuvre; c’est à cette époque, nous l’avons vu, qu’apparaissent les premières listes d’édifices remarquables. La notion d’oikouménè , de «terre habitée» qui exprime l’universalisme stoïcien, vise à la constitution d’un patrimoine commun de l’humanité, indépendamment des différences culturelles: la bibliothèque que les Ptolémées Lagides, successeurs du Macédonien, ont fondée à Alexandrie a pour but de mettre en œuvre cet objectif. On assiste vers les commencements de l’ère chrétienne, à un retour d’identité. Comme certains titres d’ouvrages le montrent: Les Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, ou encore Les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe. Ce dernier exprime avec passion une volonté de différencier l’histoire juive de celle des Romains et surtout des Grecs.
L’intervention de l’État
Alexandre, en cherchant à mettre en évidence la notion de patrimoine commun de l’humanité, fournit l’un des premiers exemples de l’intervention explicite du politique dans le patrimoine: il fonde l’empire universel sur un socle culturel nouveau. On trouve ultérieurement quelques manifestations de l’intérêt que porte le pouvoir à la conservation des choses du passé: un dispositif d’amendes est publié au début du Ier siècle après J.-C. pour préserver les villes italiennes de la spéculation foncière et empêcher la destruction des monuments publics et de l’habitat privé. En 376, Valens, Gratien et Valentinien II défendent par une ordonnance aux bâtisseurs de maisons d’employer des marbres et des pierres provenant de monuments anciens. Et, à la fin de l’Empire, en 458, Majorien intime au préfet Aurélien de faire cesser les destructions. Par la suite, tandis que Théodoric (454-526), roi des Ostrogoths, reconnaît à chacun le droit de s’emparer de l’or qu’il trouve dans les tombes et les monuments funéraires, les empereurs byzantins, au contraire, prescrivent des mesures fiscales destinées à inciter les «fouilleurs» à céder leurs découvertes à l’État.
Tri, critères de tri désignification
Le triomphe du christianisme sur le paganisme à la fin du IVe siècle met en place un nouveau processus patrimonial. Que faire d’un passé qui, religieusement et culturellement, paraît en total désaccord avec la religion nouvelle? Que faire des temples et des lieux sacrés antérieurs? Les détruire, les abandonner, les réutiliser comme églises chrétiennes? Diverses solutions ont été adoptées à partir de l’édit de 391 par lequel l’empereur Théodose Ier interdit les cultes païens et fait fermer les temples. Mais un exemple célèbre montre que le souci du patrimoine n’est pas absent: le célèbre sanctuaire de Zeus à Olympie est, certes, condamné à la fermeture, mais la statue du dieu, qui date de plus de huit cents ans et que l’on reconnaît alors comme un chef-d’œuvre, est transférée à Constantinople pour orner un palais – malgré le soin dont elle est l’objet, elle sera détruite au cours d’un incendie en 462. Un tel acte de conservation paraît d’autant plus significatif que, si après de nombreux débats, les chrétiens ont adopté la culture littéraire de l’Antiquité, il leur a été beaucoup plus difficile d’assurer la conservation d’objets cultuels du paganisme au nom de leur valeur artistique. Le cas du Zeus d’Olympie montre que la transformation d’une idole en œuvre d’art s’opère au sein de ce qu’on pourrait appeler un «espace de désignification»: c’est le lieu de la collection, ancêtre, en quelque sorte, du musée. Vespasien, on l’a vu, avait inauguré cette pratique en construisant le temple de la Paix: ce fut sous cette invocation universelle que l’on plaça les objets cultuels du temple de Jérusalem. L’empereur, toutefois, selon Flavius Josèphe, prit soin de conserver dans son palais les tables de la loi et les rideaux du sanctuaire, comme si ces objets ne pouvaient se laisser dépouiller facilement de leur signification première.
L’attitude du christianisme à l’égard du legs de l’Antiquité met en évidence que l’intentionnalité ne suffit pas à fonder le patrimoine: l’acceptation du legs se double d’une opération de sélection que l’on désignera par le terme de «tri»: en effet, le patrimoine ne se compose pas seulement de monuments de commémoration, il se constitue aussi au prix d’une sélection volontaire, sinon volontariste, selon des critères précis. Après une première phase de rejet selon des mobiles plus ou moins rationnels, le legs antique est tout d’abord passé au crible du message évangélique: ce qui lui est conforme ou paraît l’annoncer est conservé, le reste doit être rejeté, voire détruit, sauf à être reconnu comme chef-d’œuvre ou monument de science, en ce cas, il doit être scrupuleusement débarrassé de toute signification païenne. Au Moyen Âge et à la Renaissance, l’Église ne modifia pas sa démarche à l’égard du legs antique: ce qui pouvait l’être a été intégré à la religion chrétienne (la philosophie grecque par exemple), le reste a été conservé à titre de curiosité.
Il semble donc que l’Antiquité a connu les principaux aspects de ce qu’on appelle aujourd’hui patrimoine: contenu historique, artistique, intellectuel, etc.; motivations de conservation publiques et privées, religieuses, politiques et civiles; modalités de conservation et de sélection, qui peuvent être définies et mises en œuvre par des mains privées comme par des autorités politiques et religieuses.
2. L’apport du XIXe siècle
Il ne saurait être question de retracer ici l’histoire du patrimoine du Moyen Âge à nos jours. De nombreux auteurs l’ont déjà fait. On notera cependant quelques faits touchant la gestion de l’héritage antique à Rome devenue capitale d’un État qu’on désigna de façon significative comme le patrimoine de saint Pierre: cet héritage n’est pas seulement celui des Romains, ou celui des pauvres, mais celui de l’humanité entière. La responsabilité de sa transmission aux générations ultérieures appartient à l’administration romaine, qui, progressivement, formule le premier corpus organisé de prescriptions de droit public en matière de sauvegarde.
Ainsi, Charlemagne est conduit à demander au pape Adrien une autorisation de fouilles à Rome en vue de l’extraction de marbres antiques; en 1162, un décret du Sénat assure la protection juridique de la colonne Trajane; en 1363, les statuts de la ville ordonnent diverses dispositions concernant les constructions anciennes dont la conservation doit être assurée. Ce sont les pontifes romains qui, les premiers, ont conçu et mis en œuvre une législation patrimoniale s’imposant à la propriété privée et assortie de dispositions pénales en cas de contravention: Pie II (1405-1464) interdit la démolition des monuments et vestiges antiques; Jules II (1443-1513) entreprend des fouilles méthodiques; Léon X (1475-1521) charge Raphaël en 1515 d’une mission de police sur tout projet de démolition, initiative qui va être suivie de la création d’une administration spécifique en faveur des antiquités. Puis, sont soumis à autorisation les travaux de fouille ainsi que les échafaudages montés sur des monuments antiques pour en effectuer le relevé; enfin, les exportations d’œuvres d’art et d’antiquités sont astreintes à une législation dûment fixée par le cardinal Pacca au début des années 1820.
Conscience patrimoniale dans la France d’Ancien Régime
Tandis que les papes mettent en place une législation à peu près complète, la monarchie française prend quelques initiatives ponctuelles: en 1548, une ordonnance interdit de porter atteinte aux antiquités de la ville de Nîmes, mais en 1677, Louis XIV ordonne la démolition du monument des Piliers de Tutelle, bâti à Bordeaux au début du IIIe siècle, de façon à étendre le château Trompette. S’agit-il d’un désintérêt à l’égard de ce que Claude Perrault considère alors comme l’un des plus beaux témoins de l’architecture gallo-romaine? Pourtant, à la même époque, le pouvoir royal commence à financer expéditions, travaux savants dans le royaume et publications archéologiques en Orient... De même, on a cru voir dans le refus de Louis XVI, en 1777, de restaurer le château de Vincennes la preuve a contrario que le goût pour le patrimoine s’est avivé pendant la Révolution. Qu’en est-il exactement?
L’Ancien Régime, avec ses deux piliers, l’Église et la Monarchie héréditaire, repose sur les principes de filiation et de tradition: reliques et regalia (objets qui sont utilisés pour le sacre des rois) constituent l’expression concrète de cette idée que le patrimoine constitue l’un des principaux fondements de l’organisation sociale, politique et religieuse. Le fait que Louis XIV, puis Louis XVI prennent des décisions contraires à la conservation de monuments antiques ou médiévaux n’exprime pas le refus du passé, mais bien plutôt le principe que, dans cette querelle des Anciens et des Modernes qui précède, puis accompagne l’avènement des Lumières, c’est au roi qu’il appartient en dernier ressort de comparer les avantages du passé et le progrès, et de trancher en faveur de ce qu’on désignera au XXe siècle comme l’«intérêt public». La Révolution française ira encore plus loin en faisant de l’État le juge exclusif en la matière.
La Révolution et la centralisation patrimoniale
Depuis la parution des ouvrages de Bernard Deloche et Jean-Michel Leniaud, La Culture des sans-culottes. Le premier dossier du patrimoine, 1789-1798 , Paris-Montpellier, 1989; et d’Édouard Pommier, L’Art de la liberté. Doctrines et débats de la Révolution française , Paris, 1991, le caractère éminemment politique de la démarche de la Révolution française en matière de patrimoine a été mis en évidence. La rupture de filiation sur laquelle se fondent les institutions nouvelles implique, passé une période de vandalisme plus ou moins spontané, le tri systématique de l’héritage selon des critères qu’il appartient au nouveau régime d’inventer. Cette rupture ne concerne pas seulement le passé monarchique, seigneurial et religieux, mais encore, en application du Contrat social, le passé des corporations et de toutes formes associatives: à tout ce qui précède succède dorénavant l’État. C’est à lui seul qu’il appartient dorénavant de désigner ce qui du passé doit être aboli, après étude préalable (les patois, par exemple, ou les tombes royales de Saint-Denis) ou sans rémission (les inscriptions, les titres féodaux et les archives encombrantes) ou encore ce qui doit être conservé au nom de l’instruction publique (livres et œuvres d’art).
Or cet État aspire à la centralisation la plus absolue. À Paris doivent se trouver toutes les grandes institutions culturelles: bibliothèques, archives, musées d’histoire naturelle et des beaux-arts. Et c’est dans celles-ci que doivent être apportées, explique Boissy d’Anglas (1756-1826) à la Convention, tous les chefs-d’œuvre de l’univers: le siège de la liberté doit être aussi le lieu du génie. En dépit de quelques protestations, comme celles de l’abbé Grégoire (1750-1831), on dépouille les provinces françaises des œuvres majeures, de la même manière qu’on pille les Flandres, les États pontificaux (1796) et bientôt toute l’Europe. À la fin de la Révolution, sous le Consulat, puis l’Empire, cependant, la centralisation parisienne est appuyée sur un projet de réseau départemental de dépôts d’archives, de musées et de bibliothèques. La mise en place de ce réseau se fera tout au long du XIXe siècle. Il reste néanmoins que la volonté de couvrir équitablement l’ensemble du territoire d’institutions «comme les réverbères dans une cité», pour reprendre l’expression de l’abbé Grégoire, appartient en propre à la Révolution d’après Thermidor.
Ce dispositif d’institutions culturelles est complété pendant la monarchie de Juillet par le système des Monuments historiques. Désormais, l’ensemble des moyens de conservation se trouve entre les mains de l’État. Il lui reste à s’approprier le second pôle de la mémoire, comme l’écrit Marc Guillaume (La Politique du patrimoine , Paris, 1980): c’est-à-dire l’écriture de l’histoire. Tel est l’un des grands enjeux de la politique de l’instruction publique au XIXe siècle: asservir les sociétés savantes productrices d’histoire locale, mettre au pas le haut enseignement de l’histoire – les conflits de Michelet (1798-1874) avec le pouvoir et la suppression de l’agrégation d’histoire sous le Second Empire sont demeurés le symbole de cette police intellectuelle – et abolir l’enseignement catholique, qui, selon Gambetta, diffuse une histoire «tronquée». Cet objectif systématique n’est certes pas atteint: les alternances politiques ne le permettent pas, le catholicisme résiste au tout-État, les stratégies familiales et individuelles restent irréductibles.
Le territoire comme patrimoine
Néanmoins, le grand dessein de la Convention demeure comme une sorte de mythe, indissolublement lié au patrimoine des Français. Il s’incarne dans une vision caractéristique du territoire, conçu comme une figure géométrique: au pré carré de la monarchie a succédé la carte révolutionnaire, composée de cellules abstraites et à peu près identiques, les départements, puis l’Hexagone. Ce territoire, déclaré «patrimoine commun de la nation» par la loi du 5 janvier 1983, trouve sa représentation dans la carte géographique: un centre, le double réseau en étoile des routes et des voies ferrées, la schématisation des côtes et des frontières, la répartition des peuplements, des ressources naturelles et des productions industrielles. À côté de la carte de France, la mappemonde, portant en couleur les possessions de l’ancien empire colonial, a longtemps constitué une autre représentation, celle de l’implantation des valeurs de la République sur le globe terrestre.
L’élaboration d’une représentation du territoire en adéquation avec les institutions qui le régissent et le sentiment que cette représentation joue le rôle d’une sorte de palladium ne constitue pas un phénomène propre à la France: si le drapeau tricolore est longtemps resté un symbole de liberté, l’ambition fédérative de l’Europe s’est exprimée par le drapeau aux douze étoiles, celle des États-Unis par le graphisme de leur drapeau et l’histoire du Royaume-Uni peut se lire dans l’Union Jack. Certains États monarchiques, constitués d’entités diverses, sinon rivales, ne rendent pas compte sur le mode abstrait de leur réalité, mais par l’existence physique du souverain: c’est autour de la personne royale qu’en Espagne ou en Belgique se construit la dialectique entre unité et diversité. Il n’y a pas lieu de multiplier les exemples: la symbolique du territoire et des institutions, en tant que patrimoine fondamental, se «fabrique», pour reprendre le mot de Peter Burke (The Fabrication of Louis XIV , 1992); c’est une «tradition» qui «s’invente» (Eric Hobsbawn et Terence Ranger, The Invention of Tradition , Cambridge University Press, 1983). Mais, si le processus apparaît à peu de choses près partout le même, il n’en reste pas moins que la force avec laquelle l’État veut s’assurer le monopole n’est pas partout identique. À cet égard, la France constitue une exception.
La politique de la langue
Au même titre que le territoire et les institutions – et peut-être plus généralement encore puisque tous les groupes parlant une langue particulière ne possèdent pas un territoire spécifique –, la langue constitue l’une des strates les plus fondamentales du patrimoine. Or l’évolution d’une langue ne relève pas tant d’un déterminisme philologique que d’un effort volontaire, d’une conscience qui accompagne l’essor d’une conscience nationale. Les institutions publiques en sont le vecteur: le sentiment de défaite qui accompagne la fin de la guerre de Cent Ans conduit la monarchie anglaise à interdire le français comme langue officielle au profit de l’anglais. En France, l’édit de Villers-Cotterêts (1539) entend affirmer le pouvoir royal, en imposant le français dans les actes de justice, au détriment des justices ecclésiastiques, lesquelles s’expriment en latin. Près d’un siècle plus tard, la fondation par Richelieu de l’Académie française (1634), à laquelle est dévolue la mission de contrôler l’évolution de la langue et de l’orthographe par la rédaction d’un dictionnaire, confirme l’attention soutenue que le pouvoir porte à la question linguistique. La Révolution, qui déclare la guerre aux patois et aux langues locales, puis, au XIXe siècle, l’instruction publique, poursuivent cet effort en généralisant le français sur l’ensemble du territoire. Enfin, la récente loi sur le français (4 août 1994) caractérise la langue, au même titre que le territoire, comme un patrimoine fondamental et la place explicitement sous la protection de l’État. Observons à l’inverse que la République française s’abstient aujourd’hui d’adhérer à la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Cette intime liaison entre la langue et l’État, fondée sur une sorte d’abdicatio patrimoniale des citoyens, paraît encore spécifique à la France. Dans d’autres parties de l’Europe, l’évolution linguistique est liée à d’autres facteurs. En Bohême, le réformateur Jan Hus (1371?-1415) est à l’origine des signes diacritiques qui facilitent la graphie de certaines langues slaves occidentales: ainsi, le mouvement d’identité nationale, la séparation religieuse et l’essor de la langue sont liés. La traduction de la Bible par Luther (1483-1546), qui constitue l’un des moments fondateurs de la langue allemande, confirme le phénomène. Mais on constate aussi que la cause religieuse peut être absente, cédant la place au seul nationalisme: c’est le cas dans les pays germaniques à la fin du XVIIIe siècle, où des compositeurs, comme Mozart (1756-1791), entreprennent d’inventer l’opéra allemand en réaction contre l’opéra italien, tandis que des hommes de lettres comme Goethe (1749-1832) réagissent explicitement contre la prédominance du français comme langue de l’élite européenne. Un peu plus tôt, en Russie, l’écrivain Lomonossov (1711-1765) a publié sa Grammaire russe (1755) destinée à permettre un usage cultivé et savant de la langue nationale: les écrits de Pouchkine, Lermontov, Gogol et Tolstoïsont conçus comme autant de manifestes destinés à confirmer la valeur du russe et à conduire les notables à l’abandon du français ou de l’allemand dans la vie quotidienne. Au début du XIXe siècle, l’éveil des nationalités en Europe centrale, consécutif à la diffusion des idées révolutionnaires, se caractérise sur le plan linguistique par la publication de grammaires, dictionnaires et transcriptions de récits oraux: dès la fin du XVIIIe siècle, il existe des dictionnaires et des publications en langue hongroise, tandis que le tchèque et le slovaque se constituent en langues distinctes dans les années qui précèdent la révolution de 1848. Semblable phénomène s’est poursuivi au XXe siècle, à l’usage du nouvel État d’Israël (1947), et se développe aujourd’hui sous nos yeux avec la progressive différenciation du croate et du serbe, qui formaient une seule langue dotée de deux alphabets.
Il existe, à l’inverse, des phénomènes d’impérialisme linguistique qui peuvent entraver le développement des langues nationales tout en l’exacerbant a posteriori. Ainsi en est-il de l’allemand dans l’empire des Habsbourg: il s’impose en Bohême après la victoire des armées impériales à la Montagne Blanche (1620), se généralise sous Marie-Thérèse et Joseph II de la Hongrie au Banat; une toponymie nouvelle, en langue locale, se substitue alors à l’ancienne. Langue officielle de l’administration impériale, l’allemand exprime la suprématie culturelle et politique, symbolise l’intégration à la société dominante (Kafka écrit en allemand et non en tchèque), cristallise les résistances des populations locales, jusqu’à ce qu’il cède le pas au cours des années 1860, d’abord à Budapest, à Prague ensuite. Le conflit linguistique que l’Europe centrale a connu au cours du XIXe siècle exprime l’antagonisme de deux modèles patrimoniaux, l’un à vocation universalisante et uniformisatrice, l’autre à aspiration identitaire. La désintégration de l’Autriche-Hongrie et la réduction de l’Allemagne sur ses frontières orientales après 1918 a marqué l’arrêt de la germanisation des pays slaves par la voie politique.
Religion et patrimoine
Quelles que soient les résistances des religions à se laisser englober dans un concept culturel, il n’en reste pas moins que le phénomène religieux pose le problème du patrimoine sous son angle le plus vaste, celui de la nature de la communauté humaine qui le porte: infra ou supranationale, populaire ou élitiste. Certaines religions se sont coulées dans le moule identitaire des ethnies, des systèmes politiques et des nations; d’autres – le catholicisme plus particulièrement – se sont fixés un objectif œcuménique, universel; d’autres encore, comme le judaïsme, ont hésité entre les deux modèles; d’autres, enfin, tels l’orthodoxie ou l’islam, ont tenté de concilier universalité et identité. Autant de cas, autant de modalités différentes dans la prise en compte des institutions, des territoires, des langues et plus généralement des cultures locales, sans que cette diversité puisse occulter le constat que le fait religieux constitue une strate substantielle du patrimoine.
Fabrication des corpus patrimoniaux
Héritier des ambitions taxinomiques des Encyclopédistes, le XIXe siècle a vu dans la liste le meilleur moyen de définir et de transmettre le patrimoine: catalogues de bibliothèques privées ou publiques, d’œuvres d’art dans les musées et collections, corpus d’auteurs littéraires, chrestomathies (c’est-à-dire recueils de textes destinés à l’enseignement, autrement dit «classiques»), classification de monuments historiques (1840) et, dans les dernières décennies du siècle, inventaire des richesses artistiques et archéologiques, puis des matériaux ethnologiques, qui culmine avec les monographies régionales d’Arnold Van Gennep (1873-1957) à partir de 1932. La liste hésite entre la sélection et l’exhaustivité – le classement et l’inventaire –, entre la présentation régionale ou méthodologique: elle correspond à la phase de connaissance, avec ses méthodes d’investigation, de description et d’analyse et, en cas de publication, de mise à disposition d’une société plus ou moins large.
La liste ne garantit pas, cependant, la conservation matérielle. Aussi, un dispositif législatif s’est-il progressivement constitué dans les différents pays d’Europe. Il s’est fixé pour objectif, en définissant la qualification juridique de Monument historique (1887 en France) de renforcer la domanialité publique sur les biens à caractère patrimonial appartenant à des collectivités publiques; de limiter la propriété privée pour ce type de biens (en France, à partir de 1913, en matière de monuments historiques, et de 1941, pour les œuvres d’art) de contrôler les travaux, quitte à justifier ce contrôle par l’apport de subventions publiques (dispositif mis en place dès la monarchie de Juillet). Ce dispositif législatif ne s’est pas limité à l’architecture et aux œuvres d’art: il s’est progressivement étendu, au cours du XXe siècle, aux sites naturels (1906), aux ensembles urbains (1930) et aux vestiges archéologiques (1941). À côté de la liste donc, le patrimoine est représenté aussi par un corpus juridique et par des moyens budgétaires, dont, en France, l’État possède la responsabilité.
Critères de sélection et médiateurs
Méthodologie de la liste, corpus législatif, moyens budgétaires restent inopérants en l’absence de critères de sélection et d’experts – que nous avons proposé d’appeler «médiateurs» dans L’Utopie française , op. cit. – pour les définir et, le cas échéant, pour les mettre en œuvre. Initialement limitée à des œuvres d’architecture et d’art plastique jugées majeures, la sélection s’est progressivement et prudemment étendue à des périodes de l’histoire de l’art plus vastes, puis à l’Antiquité pré- et protohistorique. Tant que l’État a gardé la mainmise sur les médiateurs par le recrutement de personnel compétent, l’extension du champ patrimonial a pu être contrôlée. Or, les années 1970 et surtout 1980 ont connu l’apparition de nouveaux médiateurs, responsables associatifs, collectivités locales, qui ont entrepris d’appliquer de nouveaux critères, relevant de l’ethnologie, des sciences et des techniques, de mémoires particulières, etc. Dès lors, le patrimoine ne pouvait plus être limité à ce noyau qu’avait constitué l’État dans l’exercice de son monopole de la mémoire: il était susceptible de s’étendre à l’ensemble des objets qui ont perdu leur valeur d’usage.
Cet élargissement du champ mémoriel à l’ensemble des productions, matérielles et immatérielles a suscité vers 1995 des réactions hostiles. Au nom du progrès, les uns ont dénoncé comme répréhensible la «nostalgie» qui présiderait à toute attitude patrimoniale et agité le spectre de la muséification générale, donc de la mort. Au nom de l’État et des valeurs qui doivent souder le corps social, d’autres exigent que l’action patrimoniale soit recentrée sur ce qu’ils estiment l’essentiel, c’est-à-dire sur ce à quoi se sont traditionnellement intéressés les pouvoirs publics. Or les discours modernistes des premiers et unitaires des seconds ne se trouvent nullement en phase avec les aspirations et les évolutions actuelles du corps social: l’histoire l’attire plus que le volontarisme créateur; le pluriculturalisme le caractérisera probablement. Dans ce contexte d’incompréhension, il ne paraît en rien évident que la solution esquissée par les pouvoirs publics lors des Entretiens du patrimoine, en 1997, – qui consiste à dénoncer l’identité comme «identitaire» au nom du patrimoine supranational – soit jugée crédible par les contemporains: elle apparaîtra vite aux yeux des Français comme un moyen tenté par l’État pour conserver les rênes du patrimoine au moment même où la simplification des contacts internationaux leur permet de constater l’étrange singularité de cet État qui prétend décider de leur patrimoine à leur place.
patrimoine [ patrimwan ] n. m.
• 1160; lat. patrimonium « héritage du père »
1 ♦ Biens de famille, biens que l'on a hérités de ses ascendants. ⇒ fortune, héritage , propriété. Maintenir, accroître, dilapider, engloutir le patrimoine paternel, familial.
2 ♦ Dr. « L'ensemble des droits et des charges d'une personne, appréciables en argent » (Planiol).
♢ Ensemble des biens corporels et incorporels et des créances nettes d'une personne (physique ou morale) ou d'un groupe de personnes, à une date donnée. Patrimoine national. Patrimoine social d'une entreprise. Patrimoine immobilier, foncier, financier. Gestion de patrimoine. Impôt sur le patrimoine. Spécialt Patrimoine brut. Patrimoine net. Valeur nette du patrimoine : différence entre les avoirs et les dettes.
3 ♦ (1829) Ce qui est considéré comme un bien propre (⇒ apanage), comme une propriété transmise par les ancêtres. Patrimoine archéologique, architectural, historique. « Respectez les œuvres ! C'est le patrimoine du genre humain » (R. Rolland ).
4 ♦ Biol. Le patrimoine héréditaire, génétique de l'individu : l'ensemble des caractères hérités. ⇒ génotype.
● patrimoine nom masculin (latin patrimonium) Bien qu'on tient par héritage de ses ascendants. Ce qui est considéré comme un bien propre, une richesse : Son patrimoine, c'est son intelligence. Ce qui est considéré comme l'héritage commun d'un groupe : Le patrimoine culturel d'un pays. Ensemble des biens, droits et obligations ayant une valeur économique dont une personne peut être titulaire ou tenue. Ensemble des éléments aliénables et transmissibles qui sont la propriété, à un moment donné, d'une personne, d'une famille, d'une entreprise ou d'une collectivité publique. ● patrimoine (expressions) nom masculin (latin patrimonium) Patrimoine héréditaire, génotype. Patrimoine technologique, ensemble des technologies maîtrisées par l'entreprise, qu'elles soient déjà exploitées ou non. ● patrimoine (synonymes) nom masculin (latin patrimonium) Bien qu'on tient par héritage de ses ascendants.
Synonymes :
- fortune
Ce qui est considéré comme l'héritage commun d'un groupe
Synonymes :
- apanage
- héritage
- trésors
patrimoine
n. m.
d1./d Biens que l'on a hérités de son père et de sa mère; biens de famille. Gérer le patrimoine familial.
— Patrimoine mondial: ensemble des richesses culturelles et naturelles, héritées du passé par la communauté mondiale. La notion de patrimoine mondial a été instituée par l'Unesco en 1972.
d2./d DR Ensemble des biens, des charges et des droits d'une personne évaluables en argent.
d3./d Fig. Ce qui constitue le bien, l'héritage commun. Le patrimoine artistique d'un pays.
⇒PATRIMOINE, subst. masc.
A. —1. Ensemble des biens hérités des ascendants ou réunis et conservés pour être transmis aux descendants. Synon. héritage, legs, succession. Riche patrimoine; patrimoine héréditaire; patrimoine paternel, maternel; constituer, accroître, transmettre un/son patrimoine. Don Siliceo, beau cavalier de trente ans, qui avait perdu son patrimoine au jeu, épousa la très-riche marquise Calpurnia (HUGO, L. Borgia, 1833, III, 1, p.142). Dans la division du patrimoine de la famille, Christian avait eu la terre de Malesherbes, et Louis la terre de Combourg (CHATEAUBR., Mém., t.1, 1848, p.20):
• 1. ... il conservait, au fond, la conception bourgeoise du «bien familial», de l'argent économisé pour être transmis; et, bien qu'il n'eût de comptes à rendre à personne, il éprouvait un sentiment de honte à avoir dilapidé, en moins d'un an, un patrimoine que plusieurs générations avaient sagement constitué.
MARTIN DU G., Thib. Épil., 1940, p.819.
SYNT. Maigre, mince, modeste, petit patrimoine; patrimoine considérable, important, opulent; augmenter, étendre, grossir, dissiper, manger son patrimoine; administrer, défendre son patrimoine; part, partie d'un patrimoine.
— P. métaph. Ses parents, ayant trois filles à doter, avaient donné à leur fils pour tout patrimoine une éducation soignée et de belles relations (THEURIET, Mais. deux barbeaux, 1879, p.83).
2. Spécialement
a) DR. Ensemble des biens et des obligations d'une personne (physique ou morale) ou d'un groupe de personnes, appréciables en argent, et dans lequel entrent les actifs (valeurs, créances) et les passifs (dettes, engagements). Patrimoine financier, foncier, immobilier; les patrimoines des ménages. L'on peut parler des droits et obligations de la personne morale, du patrimoine de celle-ci, de sa responsabilité (VEDEL, Dr. constit., 1949, p.106). À qui vont les biens nationalisés? (...) Si c'est son patrimoine que la loi enlève à une société, qui le recueille? (...) Les nouveaux services chargés de gérer l'industrie nationalisée héritent les biens des anciennes sociétés (CHENOT, Entr. national., 1956, p.26).
♦Séparation des patrimoines. ,,Privilège accordant aux créanciers d'un défunt le droit d'être désintéressés avant les créanciers du ou des héritiers`` (BERN.-COLLI 1981). Les créanciers et légataires qui demandent la séparation du patrimoine du défunt (...) conservent, à l'égard des créanciers des héritiers ou représentans du défunt, leur privilége sur les immeubles de la succession (Code civil, 1804, art. 2111, p.382).
b) RELIG. Patrimoine de saint Pierre. Partie du domaine possédé par l'Église romaine en Italie; p.ext., biens temporels de la papauté. L'État de l'Église comprenait la campagne de Rome et le patrimoine de saint Pierre, la Sabine, l'Ombrie, c'est-à-dire toute l'ombre de l'Apennin, la marche d'Ancône, la Romagne, le duché de Ferrare, le pays de Pérouse, le Bolonais et un peu de Toscane (HUGO, Rhin, 1842, p.434). Ici la guerre se fait à coups de mandements et de petits papiers que les prêtres font circuler pour attendrir les fidèles sur le sort du pape, que nous dépouillons du patrimoine de Saint-Pierre, à ce qu'ils disent (MÉRIMÉE, Lettres ctesse de Montijo, 1870, p.153).
3. P. anal., BIOL. Patrimoine génétique, héréditaire (d'un individu). Ensemble des gènes transmis à un individu par ses parents. Synon. génotype. La volonté peut paraître un effet de l'organisation, un produit de l'évolution du vivant, ou même une résultante de son propre patrimoine héréditaire (RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.390):
• 2. Pour qu'une greffe réussisse entre deux individus, il faut qu'il existe une étroite affinité entre leurs patrimoines héréditaires, entre leurs gènes. Or, une telle affinité ne se rencontre presque jamais quand les deux sujets sont pris au hasard de la population; s'ils sont de la même famille, s'ils sont frères, elle est moins exceptionnelle...
J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p.75.
B. —P. anal ou au fig. [En parlant d'un trait de caractère, d'un comportement, de valeurs mor., culturelles, etc.] Ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun. Patrimoine archéologique, artistique, culturel, intellectuel, religieux; patrimoine collectif, national, social; patrimoine d'une nation, d'un peuple. Nous avons d'autres raisons que le sol et le climat pour défendre notre pays. Le patrimoine d'idées doit y être, à mon avis, pour quelque chose (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p.1). Le général de Gaulle a toujours proclamé solennellement qu'il n'exercerait ses attributions qu'à titre essentiellement provisoire, comme gérant du patrimoine français (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.482):
• 3. ... tu m'as dit (...) que chaque homme est libre, qu'il peut et qu'il doit organiser sa vie le mieux possible, comme il l'entend (...) sans se laisser déterminer par tout le patrimoine spirituel que chaque homme tient en héritage du passé...
BARRÈS, Cahiers, t.1, 1896, p.33.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep.1694. Étymol. et Hist.1. Ca 1150 «ensemble des biens, des droits hérités du père» (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 6760); 1160-74 opposé à matremoingne (WACE, Rou, Chron. ascendante, éd. A. J. Holden, 98); spéc. a) 1174-78 le patremoine au Crucefiz [du Crucifié] «les biens ecclésiastiques, les biens de l'Église» (ÉTIENNE DE FOUGÈRES, Livre des Manières, éd. R. A. Lodge, 210: ...con est vilain li prestre Qui en vil leu met sa mein destre!... Lor soignans peissent, lor mestriez, Del patremoine au Crucefiz, Et lor effançonez petiz Des trenteus qu'il n'ont deserviz); cf. 1226-27 GUILLAUME LE CLERC, Besant de Dieu, éd. P. Ruelle, 685 sqq.; ca 1265 la patremoine Dieu (RUTEBEUF, L'Etat du monde ds OEuvres, éd. E. Faral et J. Bastin, t.1, p.385, 50); 1679 patrimoine des pauvres (LOUIS THOMASSIN, Discipline de l'Église touchant les bénéfices, Paris, t.2, 2e éd., I, IV, 5, § 1, p.384a: tous les biens de l'Église sont le patrimoine des pauvres comme ayant esté donnez originairement aux pauvres; confiez à l'Église comme à la mère de tous les pauvres), b) 1265 le patrimoine saint Piere (BRUNET LATIN, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, I, 98, 29); 2. fig. a) 1718 «génitoires» (LE ROUX); b) 1823 (BOISTE: La bonne réputation est un second patrimoine). Empr. au lat. patrimonium «bien de famille, patrimoine» au propre et au fig. (patrimonium paterni nominis, Cicéron; patrimonium populi «le trésor public», Florus) dans la lang. class.; dans la lang. eccl. «patrimoine de l'Église; patrimoine de saint Pierre» (BLAISE Lat. chrét.; v. aussi NIERM.); au Moy. Âge, plus spéc. patrimonium Crucifixi «les biens ecclésiastiques» (av. 1159 ST BERNARD, De consideratione sui, IV) et patrimonia pauperum (Capitularia, lib. I, cap. 77 ds DU CANGE, s.v. patrimonium; v. aussi A. Långfors ds Neuphilol. Mitt. t.46, 1945, pp.117-122). Fréq. abs. littér.:445. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 682, b) 738; XXes.: a) 523, b) 599. Bbg. IMBS (P.). Patrimoine: la notion et le mot. B. de la classe des lettres et des sc. mor. et pol. Bruxelles, 1982, t.68, n° 7-9, pp.281-298. —LENOBLE-PINSON (M.). Le Lang. de la chasse. Bruxelles, 1977, p.19.
patrimoine [patʀimwan] n. m.
ÉTYM. 1160; lat. patrimonium « héritage du père »; de pater.
❖
1 Biens de famille, biens que l'on a hérités de ses ascendants. ⇒ Fortune, héritage, propriété; domaine (familial). || Patrimoine paternel, maternel (« matrimoine »). || Maintenir (cit. 3); accroître (cit. 5), consumer, dilapider (cit. 2), engloutir (cit. 5); entamer (cit. 4) un patrimoine, son patrimoine. || Patrimoine qui s'émiette (cit. 5), est divisé. || Transmission de père en fils du patrimoine et du nom (→ Identifier, cit. 11).
1 Chose curieuse, cette possession d'un bien les flatte davantage, quand elle leur vient, non pas de leur effort personnel, mais de l'héritage de leurs pères — d'un patrimoine — et d'autant plus que ces pères passent pour plus lointains.
Julien Benda, le Rapport d'Uriel, VIII, p. 106.
2 L'évasion des capitaux est contre mon pays un chantage aussi efficace que les grèves. « Quoi ! n'aurions-nous pas le droit de mettre en sûreté le patrimoine de nos enfants ? » Dispensez-vous donc de le faire au nom de la Patrie. Tous vos patrimoines ensemble ne font pas encore la Patrie.
Bernanos, les Grands Cimetières sous la lune, p. 317.
2.1 La famille bourgeoise classique épargne et investit en placements plus ou moins assurés, plus ou moins rentables. Le bon Père constitue un patrimoine ou l'augmente; il le transmet par héritage, encore que l'expérience montre que les fortunes bourgeoises se dissolvent à la troisième génération, que seul le passage à la Grande Bourgeoisie évite la catastrophe.
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 70.
2 Dr. « L'ensemble des droits et des charges d'une personne, appréciables en argent » (Planiol). || Toute personne a un patrimoine; chaque personne n'a qu'un patrimoine (principe de l'unité du patrimoine). || La transmission de l'universalité du patrimoine ne peut se faire qu'à la mort de la personne. ⇒ Héritage. || Actif (droits, biens), passif (obligations, dettes, charges) d'un patrimoine. || Dommage (cit. 3) atteignant le patrimoine de la personne. || Séparation (fictive) des patrimoines entre les mains d'un héritier (bénéfice accordé aux créanciers du défunt). — Ensemble des biens corporels et incorporels et des créances nettes d'une personne (physique ou morale) ou d'un groupe de personnes, à une date donnée. ⇒ Bien(s), fortune. || Le patrimoine social d'une entreprise. || Patrimoine immobilier, foncier, financier. || Gestion de patrimoine. || Impôt sur le patrimoine. Spécialt. || Patrimoine brut, net. || Valeur nette du patrimoine : différence entre les avoirs et les dettes.
3 Les biens et les charges contenus dans le patrimoine forment ce qu'on appelle une universalité de droit. Cela signifie que le patrimoine constitue une unité abstraite, distincte des biens et des charges qui le composent. Ceux-ci peuvent changer, diminuer, disparaître entièrement, et non le patrimoine, qui reste toujours le même, pendant toute la vie de la personne. (En note) « Patrimoine » signifie proprement « biens de famille », ce qui a été recueilli par succession. On en a élargi le sens de façon à comprendre tous les biens de la personne (…) Mais ne commet-on pas quelque confusion entre le patrimoine, qui est l'ensemble des biens, et la personnalité, qui est l'aptitude à posséder ?
M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, p. 724.
♦ Écon. || Patrimoine national : valeur nette du patrimoine (excédent des actifs sur les engagements) des unités économiques institutionnelles (cf. Fortune, richesse nationale).
3 (1829). Par métaphore ou fig. (du sens 1.). Ce qui est considéré comme un bien propre (⇒ Apanage), comme une propriété transmise par les ancêtres (→ Nom, cit. 8, Hugo). || Échoir en patrimoine (→ Littérature, cit. 7). || Le patrimoine de l'espèce (→ Cœur, cit. 59), de l'humanité (→ Flambeau, cit. 13), le patrimoine humain (→ Dresser, cit. 14). || Le patrimoine reçu par une génération (→ Fondation, cit. 6).
4 Il ne tombera plus du génie de l'homme quelques-unes de ces pensées qui deviennent le patrimoine de l'univers.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 317.
5 Tuez les hommes, mais respectez les œuvres ! C'est le patrimoine du genre humain.
R. Rolland, Au-dessus de la mêlée, p. 7.
6 Avec le langage et avec le lait, elle (la mère) verse fidèlement, dès le berceau, les chansons, les proverbes, les contes, les jeux, c'est-à-dire, tout le premier patrimoine de chaque sang.
Ch. Maurras, Anthinéa, p. 127.
4 Ensemble des richesses culturelles accumulées par une société, une nation, une région, et qui sont valorisées par la communauté. || Le patrimoine artistique, archéologique, architectural, historique. || L'année du patrimoine.
5 Biol. || Patrimoine héréditaire (cit. 5) de l'individu (→ Hérédité, cit. 13; humain, cit. 8; hybridation, cit. 1). || Patrimoine génétique d'un être vivant, l'ensemble des caractères hérités. ⇒ Génotype. || « Cette branche avicole pour laquelle la France dispose du contrôle de son patrimoine génétique, n'est pas sans intérêt pour l'économie (…) » (le Monde, 3 juil. 1979).
Encyclopédie Universelle. 2012.