plaindre [ plɛ̃dr ] v. tr. <conjug. : 52>
• 1050; lat. plangere
I ♦
1 ♦ Considérer (qqn) avec un sentiment de pitié, de compassion; témoigner de la compassion à (qqn). ⇒ s'apitoyer, compatir . « Plains-moi !... sinon, je te maudis ! » (Baudelaire). « Ne rien haïr, mon enfant, tout aimer, Ou tout plaindre ! » (Hugo). Plaindre qqn sans l'excuser. Je ne le plains pas, il a bien mérité ce qui lui arrive. « Je te plains de tomber dans ses mains redoutables » (Racine). — Se faire plaindre. Il aime à être plaint. — Être à plaindre : mériter d'être plaint. Il est plus à plaindre qu'à blâmer. Il n'est vraiment pas à plaindre : il est dans une situation avantageuse.
♢ Par ext. (compl. chose) Vieilli Témoigner sa pitié, sa compassion pour. Plaindre le sort de qqn. « Pour plaindre le mal d'autrui, sans doute il faut le connaître, mais il ne faut pas le sentir » (Rousseau).
2 ♦ Vx Déplorer (un événement, une chose pénible ou odieuse). « Je révoque des lois dont j'ai plaint la rigueur » (Racine).
3 ♦ (XIIIe) Employer, donner, dépenser à regret, avec parcimonie. Plaindre l'argent qu'on dépense (cf. Pleurer le pain qu'on mange). Tu n'as pas plaint le beurre. « une bonne femme, vous pouvez dire, qui ne plaignait pas les perdreaux, ni les faisans » (Proust).
♢ Fig. vx Plaindre son temps, sa peine. ⇒ pleurer. — Mod. Loc. Il, elle ne plaint pas sa peine : il, elle travaille avec zèle, sans se ménager.
II ♦ SE PLAINDRE v. pron. réfl. (1080)
1 ♦ Exprimer sa peine ou sa souffrance par des manifestations extérieures (pleurs, gémissements, paroles). ⇒ crier, 1. geindre, gémir, se lamenter, pleurer. Souffrir sans se plaindre. « Il ne se plaignait jamais quoiqu'il eût de perpétuels sujets de plaintes » (France). — Se plaindre de douleurs, de maux de tête.
2 ♦ SE PLAINDRE DE. Exprimer son mécontentement au sujet de (qqn, qqch.). ⇒ grommeler, maugréer, protester. Se plaindre de qqn, lui reprocher son attitude. « Quand j'ai à me plaindre de quelqu'un [...] je me venge » (Laclos). Se plaindre de son sort, de sa vie, de sa situation. « De quoi vous plaignez-vous, Madame ? On vous révère » (Racine). — Absolt Il se plaint sans cesse. ⇒ criailler; fam. râler, rouspéter. Il n'a pas à se plaindre, ses affaires marchent bien. Sa santé s'améliore, il ne faut pas se plaindre. — Se plaindre à qqn, protester, récriminer auprès de lui, au sujet d'une personne ou d'une chose. J'irai me plaindre de cet employé au chef de service. Se plaindre à qui de droit. ⇒ réclamer. Se plaindre de... auprès de qqn.
♢ Se plaindre de (et l'inf.). « Voit-on celui qui se sauve du naufrage se plaindre de n'avoir pas eu le choix des moyens ? » ( Laclos).
♢ Se plaindre que (et subj.). Il se plaint qu'on l'ait calomnié (on ne sait si sa plainte était ou non justifiée); il s'en est plaint à moi. — (Et l'indic.; soulignant la réalité de la plainte) « Mes maîtres se plaignaient que j'oubliais tout mon latin » (Stendhal). « Élodie se plaignit que la gorge lui grattait » (France). Se plaindre que la mariée est trop belle.
♢ Se plaindre de ce que (et l'indic. ou le subj.). « la femme de ménage se plaint doucement de ce qu'elle ait à nettoyer cette ordure » (A. Gide).
⊗ CONTR. Envier . — Contenter (se), féliciter (se), satisfaire (se).
● plaindre verbe transitif (latin plangere, se frapper la poitrine) Éprouver pour quelqu'un de la compassion, considérer quelque chose avec un sentiment de pitié : Je te plains d'avoir à les supporter toute la journée. ● plaindre (citations) verbe transitif (latin plangere, se frapper la poitrine) Pierre Corneille Rouen 1606-Paris 1684 Ô soupirs ! Ô respect ! Oh qu'il est doux de plaindre Le sort d'un ennemi quand il n'est plus à craindre ! La Mort de Pompée, V, 1, Cornélie Anatole François Thibault, dit Anatole France Paris 1844-La Béchellerie, Saint-Cyr-sur-Loire, 1924 Académie française, 1896 Il faut plaindre les riches : leurs biens les environnent et ne les pénètrent pas. Le Crime de Sylvestre Bonnard Calmann-Lévy ● plaindre (expressions) verbe transitif (latin plangere, se frapper la poitrine) Ne pas être à plaindre, être dans une situation avantageuse, aisée. Ne pas plaindre sa peine, son temps, etc., consacrer beaucoup d'efforts, de temps, etc., à quelque chose. ● plaindre (homonymes) verbe transitif (latin plangere, se frapper la poitrine) ● plaindre (synonymes) verbe transitif (latin plangere, se frapper la poitrine) Éprouver pour quelqu'un de la compassion, considérer quelque chose avec un...
Synonymes :
- compatir
- s'apitoyer sur
- s'attendrir sur
Ne pas plaindre sa peine, son temps, etc.
Synonymes :
- lésiner sur
plaindre
v.
rI./r v. tr. Témoigner de la compassion à (qqn). Plaindre un malheureux.
rII./r v. Pron.
d1./d Manifester sa souffrance, sa douleur. Se plaindre d'une douleur au côté.
d2./d Témoigner son mécontentement (au sujet de qqn, de qqch). Se plaindre de son sort.
⇒PLAINDRE, verbe
I. —Empl. trans.
A. —[Le compl. désigne un être animé] Plaindre qqn
1. Exprimer sa compassion envers quelqu'un. Plaindre qqn sincèrement, du fond de l'âme, du fond du coeur. J'ai appris ce matin, par les feuilles, la mort de Mme Viardot. Je plains beaucoup Tourgueneff et vais lui écrire immédiatement (FLAUB., Corresp., 1871, p.232). Je plains de tout mon coeur les garçons nés vingt ans après moi (GREEN, Journal, 1944, p.165).
— Empl. pronom. réciproque. Ils se plaignaient l'un l'autre, tendrement; ils entraient dans un sentiment intime et profond, de leurs communes misères (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.273).
2. Regretter un être absent, disparu. J'ai vu les femmes plaindre les guerriers morts. Mais c'est nous-mêmes qui les avons trompées! (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p.508):
• 1. Les rumeurs du jardin disent qu'il va pleuvoir;
Tout tressaille, averti de la prochaine ondée;
Et toi qui ne lis plus, sur ton livre accoudée,
Plains-tu l'absent aimé qui ne pourra te voir?
DESB.-VALM., Poés. posth., 1859, p.274.
3. [Le compl. est suivi de de + inf. ou plus rarement de + subst.] Plaindre qqn de + compl. donnant le motif. Témoigner de la compassion à quelqu'un au sujet de.
a) Plaindre qqn de + inf. Je plains ces bons sénateurs de s'être associés avec une majorité basse aux méchants pour faire (...) ce qu'il fallait faire (MAINE DE BIRAN, Journal, 1814, p.10). Je plains le représentant de la France d'être réduit à ce rien qu'est maintenant le parti de la France à l'étranger (GONCOURT, Journal, 1872, p.917).
b) Plaindre qqn de + subst. Je vous plains de tout mon coeur de la perte de votre Élix; je comprends (...) tout ce qu'un enfant si aimable doit vous laisser de regrets à tous (E. DE GUÉRIN, Lettres, 1834, p.60). Je te plains bien sincèrement de tes pertes à la Bourse! (FLAUB., Corresp., 1858, p.264).
4. Expr. et loc.
— Être à plaindre. Mériter d'être plaint. Je sais ce que c'est que de perdre son mari. J'ai passé par là. Encore étais-je plus à plaindre que vous; M. de Saint-Genis, en mourant, ne me laissait que des dettes et un enfant de quatre ans sur les bras (BECQUE, Corbeaux, 1882, II, 1, p.102).
— Être plus à plaindre qu'à blâmer:
• 2. ,,Elle est plus à plaindre qu'à blâmer``, et la gent féminine avait mordu là-dedans comme un affamé dans du pain. Les réserves de pitié dont chacune disposait, elle les avait sacrifiées à la jeune fille. Plus à plaindre qu'à blâmer? La pauvre! Mais bien sûr! Était-ce sa faute si elle aimait Thomas Gourvennec...
QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p.73.
— N'être pas à plaindre. Avoir tout ce qu'il faut. Mon père est prêt à passer la terre à mon nom. On doit rien dessus, tu sais. Et sans être des richards, on est en moyens. Celui qui me prendra pour femme sera pas tellement à plaindre (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p.247).
B. —[Le compl. désigne un inanimé] Plaindre qqc.
1. Témoigner de la compassion pour les malheurs d'autrui. D'Épernon doit venir... Ami pur et sincère, Lui seul il plaint mes maux, partage ma colère (LEGOUVÉ, Mort Henri IV, 1806, II, 1, p.361). Que j'ai pitié de vous! Que je plains votre sort! Que je blâme le Roi d'accorder cette mort (MORÉAS, Iphigénie, 1900, III, 4, p.102).
2. Vieilli
a) Déplorer quelque chose de pénible. Je suis habitué à ces contretemps qui ne m'atteignent plus. Je plains le sort; et je ne m'en plains pas (VILLIERS DE L'I.-A., Corresp., 1879, p.261):
• 3. Je marchais, tête basse et souvent découragé, ne voyant pas l'aimable but, croyant travailler sans fin, fatiguer toujours, ne devinant pas le prix que Dieu me gardait. Je le remercie maintenant, je ne plains plus la fatigue.
MICHELET, Journal, 1849, p 634.
b) Employer, donner quelque chose à regret, avec parcimonie. Cette lenteur (...) peut fatiguer des ames vives et légères, dont la curiosité impatiente plaint le temps qu'elle donne à ce qui l'intéresse, veut savoir au plus vîte ce qui l'attend, jouir d'une émotion rapide et fugitive, et aussitôt changer d'objet (MARMONTEL, Essai sur rom., 1799, p.339). Jamais brossée, jamais lavée. On me plaint le cambouis de mes essieux (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p.105).
— Ne pas plaindre (l'argent, la dépense). Ne pas regarder à (l'argent, la dépense). S'il était question de cela, de bon coeur, j'y consentirais et voterais ce qu'on voudrait, dût-il m'en coûter ma meilleure coupe de sainfoin: il ne faudrait pas plaindre cette dépense; il y va de tout pour nous (COURIER, Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p.78).
♦Mod., région. Le père n'avait rien plaint pour le trousseau: des draps, des chemises, des robes de serge, de quoi vivre jusqu'à cent ans en changeant trois fois le jour (POURRAT, Gaspard, 1925, p.60).
— Ne pas plaindre (la fatigue, la peine). Ne pas ménager ses efforts. Le sol est charrié par les pluies. C'est long, mais nécessaire. Ne plains pas ta peine. Et entretiens les fossés de drainage. Cette eau est bonne pour l'étang, non pour le fonds (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.153):
• 4. ... une fois qu'il se fut pris, dit-il, à saint Augustin, qu'il eut embrassé son oeuvre vénérable et que, ne plaignant pas la fatigue, il s'y fut plongé et replongé sans relâche depuis le premier jour jusqu'au dernier durant vingt-deux années, alors son étonnement fut grand...
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t.2, 1842, p.128.
II. —Empl. intrans., vieilli. Exhaler des gémissements. Synon. se plaindre. Allé chez Mme de La Renaudie, geignant, plaignant, mais pâlie, aimable et faisant la blessée, ce qui pour moi est une amabilité de plus (BARB. D'AUREV., Mémor. 2, 1838, p.338):
• 5. ... Sur la roche pointue aux chèvres familière,
Sur le lac, sur l'étang, sur leurs tranquilles eaux,
Sur leurs bords émaillés où plaignent les roseaux,
Dans le cristal rompu des ruisselets obliques,
Il aime à voir trembler tes feux mélancoliques.
MORÉAS, Sylves, 1896, p.219.
III. —Empl. pronom.
A. —Absolument
1. [Le suj. désigne une pers.] Qqn se plaint. Exprimer sa douleur. Il souffre sans se plaindre. Il se plaint pour la moindre chose (Ac. 1798-1935).
2. P. anal. [Le suj. désigne une chose] Qqc. se plaint. Faire entendre un son peu modulé, un bruit doux. Il n'entendit plus que très vaguement geindre l'essieu des roues, et les flancs de la diligence qui se plaignaient (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p.104):
• 6. Le vent faisait chanter les girouettes. Maintenant, elles étaient immobilisées dans son courant qui soufflait toujours du même point de la nuit et elles ne faisaient plus que se plaindre doucement, de temps en temps, d'un petit gémissement régulier.
GIONO, Que ma joie demeure, 1935, p.372.
B. — Se plaindre + compl. Exprimer son mécontentement par des paroles, des écrits.
1. Se plaindre de + subst.
a) Se plaindre de + n. de pers. Exprimer ses griefs au sujet de quelqu'un. Il me fit les plus ridicules confidences, se plaignant de sa femme, de ses gens, de ses enfants (BALZAC, Lys, 1836, p.190). Je me plains de lui parce qu'il aime les courtisans et que ce n'est pas digne d'un homme de sa taille (SAND, Hist. vie, t. 2, 1855, p.346).
b) Se plaindre de + n. de chose. Exprimer son mécontentement au sujet de quelque chose, déplorer quelque chose. Se plaindre du froid. Je ne me plains que de la trop grande rapidité du temps (CRÈVECOEUR, Voyage, t.1, 1801, p.167). Le paysan ne se plaint point des racines, lorsqu'il défriche; c'est son bonheur de vaincre la terre (ALAIN, Propos, 1921, p.291).
c) Ne pas se plaindre de. Être assez satisfait au sujet de. J'aurai passé en t'aimant, t'aimer aura été l'histoire de toute ma vie... Je ne me plains certes pas de ce sort (HUGO, Lettres fiancée, 1822, p.161). J'y vis seul, comme à la campagne, dans une grande chambre démeublée que je ne remplis guère avec mon petit bagage, mes quelques livres et ma pauvre personne. Au demeurant, je ne me plains pas de ma solitude (M. DE GUÉRIN, Corresp., 1834, p.170).
2. Se plaindre + inf. ou prop. Exprimer ses regrets, son mécontentement au sujet de.
a) Se plaindre de + inf. Je me plains de ne pas avoir de voisinage (...) —Mariez-vous! Vous amènerez votre femme à la Vaucreuse. Elle sera mon amie. Nous voisinerons (R. BAZIN, Blé, 1907, p.143). Tu vas être plongé jusqu'au cou dans la politique; tu n'auras plus une minute à toi. Déjà tu te plains de manquer de temps pour ton roman (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.141).
b) Se plaindre que + ind. ou subj.
— [Le verbe de la prop. est à l'ind. (l'acte exprimé par le verbe est réel, certain)] Je me plains qu'au mépris de la foi mutuelle, Vous avez des cantons embrassé la querelle (DELAVIGNE, Louis XI, 1832, II, 11, p.73). Paradis (...) jeta son sac, puis se jeta lui-même à terre, et resta là un bout de temps, assommé, se plaignant qu'il avait les membres sans connaissance et que la semelle de ses pieds lui faisait mal (BARBUSSE, Feu, 1916, p.210).
♦Fam. Se plaindre que la mariée est trop belle. V. marié II.
— [Le verbe de la prop. est au subj. (l'acte exprimé par le verbe est hyp. ou représente une opinion personnelle plus qu'une réalité)] Je me plains qu'il n'y ait pas assez d'anecdotes, ne croyez pas que ce soit vice de faiseur, mais goût de lecteur (BALZAC, Corresp., 1838, p.426). Il se défendit en désespéré, jouant de l'indignation, se plaignant avec hauteur, avec amertume, qu'on se défiât de lui (ROLLAND, J.-Chr., Antoinette, 1908, p.850).
c) Se plaindre de ce que + ind. ou subj. Déplorer le fait que. Tu te plains aussi de ce que je ne réponds pas à mille questions qui sont dans tes lettres (STAËL, Lettres div., 1794, p.627). Tout le monde se plaint de ce que les discussions relatives au socialisme soient généralement fort obscures (SOREL, Réflex. violence, 1908, p.71):
• 7. Il a l'air d'un homme qui trépigne à côté d'un berceau, en se plaignant de ce que l'enfant qu'on y berce n'est point encore professeur de mathématiques ou général d'armée.
J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.384.
d) MÉD. Exposer au médecin les symptômes subjectifs, les maux ou les douleurs que l'on ressent. Se plaindre de douleurs. Les sujets porteurs de varicocèle ne se plaignent en général de rien (...). Très exceptionnellement, certains sujets font état d'une gêne ou d'une pesanteur à la station debout ou à la marche (J. COHEN, Les Stérilités et hypofertilités masculines, 1977, p.174):
• 8. Il importe (...) d'interroger et d'examiner avec soin toute personne se plaignant de maux de tête tenaces ou répétés dont la cause n'est pas évidente (...). Le médecin consulté pour des céphalées commencera toujours par faire préciser au malade un certain nombre de notions...
QUILLET Méd. 1965, p.336.
e) Absolument
— N'avoir pas à se plaindre. Être satisfait, ou se contenter, de sa situation actuelle, de l'état dans lequel on se trouve; estimer ne pas avoir de motifs de récriminations:
• 9. J'ai trouvé la certitude et le repos, ce qui vaut mieux que toutes les hypothèses. Je me suis mis d'accord avec moi-même, ce qui est bien la plus grande victoire que nous puissions remporter sur l'impossible. Enfin, d'inutile à tous, je deviens utile à quelques-uns (...). Je n'ai donc pas à me plaindre. Ma vie est faite et bien faite selon mes désirs et mes mérites.
FROMENTIN, Dominique, 1863, p.1.
— Je ne me plains pas. Je n'éprouve ni regret, ni amertume. Non, je ne me plains pas. J'ai attendu plus de vingt ans refoulant mille désirs de puissance et d'aventure que rien ne pouvait satisfaire, jusqu'au jour où tu es venue pour me donner tout ce que j'adore: l'amour, la beauté et le risque (JOUVE, Paulina, 1925, p.107).
3. Se plaindre à + subst. Exposer son mécontentement, ses griefs à quelqu'un qui en est responsable ou est censé pouvoir y remédier. Se plaindre au commissaire. Saint-André est une petite église très riche en marbres et bois (...). Chaire en bois, avec grandes figures de saint Pierre, se plaignant au Sauveur qu'il ne prend rien à la pêche (MICHELET, Journal, 1832, p.106). Mme Simons perdit patience. «Je suis anglaise, dit-elle, et l'on ne se moque pas impunément de moi. Je me plaindrai à la légation (...)» (ABOUT, Roi mont., 1857, p.60).
REM. 1. Plaigneur, subst. masc., rare. Celui qui se plaint, qui a l'habitude de se plaindre. Le jour qu'il protesta [Renan], je faillis m'étouffer de mes rires. Qu'on fasse taire ce plaigneur, disais-je, il va me gâter l'auteur des Dialogues philosophiques (BARRÈS, Renan, 1888, p.XV). 2. Plaignoter, verbe trans., rare. Plaindre doucement. En empl. pronom. Pendant ce temps-là, l'enfant se plaignotait comme une souris prise au piège (CÉLINE, Voyage, 1932, p.332).
Prononc. et Orth.:[], (il) plaint []. Homon. plain, plein. Att. ds Ac. dep.1694. Conjug. v. craindre. Étymol. et Hist.A. 1. Ca 1050 «déplorer la mort de quelqu'un» (Alexis, éd. Chr. Storey, 154, 594); 1656-57 être à plaindre (PASCAL, Provinciales, éd. Brunschvicg, V, 320); 1690 n'être pas à plaindre (FUR.); 1672 plaindre qqn de (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, éd. M. Monmerqué, t.2, p.460); 2. ca 1100 «exprimer par des plaintes les regrets de la perte de quelqu'un» (Roland, éd. J. Bédier, 834); 3. 2e moitié XIIIes. «donner, accorder avec parcimonie» (ADAM DE LA HALLE, Chansons, éd. J. H. Marshall, IV, 43); 1452 ne pas plaindre sa peine (A. GREBAN, Mystère de la passion, éd. O. Jodogne, 9199). B. Verbe pronom. 1. ca 1100 «manifester sa peine par des pleurs, des lamentations» (Roland, 915); fin XIIIes. soi plaindre que (Trad. du XIIIes. d'une charte de 1261, Cart. du val S. Lambert, B. N. l. 10176, f° 46d ds GDF. Compl); 1609 se plaindre de «faire savoir qu'on souffre de quelque chose» (RÉGNIER, Satire XII, éd. G. Raibaud, 154); 1656-57 se plaindre de ce que (PASCAL, Lettre au duc de Rouannez, éd. Brunschvicg, VI, 159); 2. 1552 «faire entendre des bruits analogues à des plaintes» (RONSARD, Les Amours, éd. P. Laumonier, IV, 39); 3. 1243 «porter plainte auprès d'une autorité compétente» (Cart. de Montierender, II, f° 74 r°, A. Hte Marne ds GDF. Compl.). Du lat. plangere «frapper», «se frapper la poitrine en signe de douleur, d'exaltation», «se livrer aux transports de la douleur, se lamenter, pleurer quelqu'un, quelque chose». Fréq. abs. littér. Plaindre:6062. Plaint:1184. Fréq. rel. littér. Plaindre:XIXes.: a) 10584, b) 10073; XXes.: a) 8474, b) 6253. Plaint:XIXes.: a) 2058, b) 1738; XXes.: 1795, b) 1263. Bbg. BAMBECK (M.). Lexikalisches und Etymologisches. Z. rom. Philol. 1961, t.77, p.326. — LANLY (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.189-191.
plaindre [plɛ̃dʀ] v.
ÉTYM. 1050; du lat. plangere. REM. Plaindre s'est employé comme intr., au sens de « se plaindre » (1.) du XIIe au XVIIe. Cf. Malherbe, Corneille, in Hatzfeld.
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I V. tr.
1 Considérer (qqn) avec un sentiment de pitié, de compassion, lui témoigner de la compassion. ⇒ Apitoyer (s'), compatir, pitié (prendre en). → Dorloter, cit. 2; 1. geindre, cit. 7; malheureux, cit. 17; martyriser, cit. 2; misère, cit. 13. || Plaindre qqn en déplorant ses malheurs. || Plaindre qqn sans l'excuser (→ 1. Morne, cit. 1), sans le consoler (cit. 5). || Je ne le plains pas : il a bien mérité ce qui lui arrive. || Il ne mérite pas d'être plaint. — L'art (cit. 5) de se faire plaindre. || Il aime à être plaint.
1 Les morts, je ne les plains guère, et les envierais plutôt; mais je plains bien fort les mourants.
Montaigne, Essais, II, XI.
2 — Plains-tu les femmes en mal d'enfant ? — Beaucoup. — Tu plains donc quelquefois un autre que toi ? — Je plains ceux ou celles qui se tordent les bras, qui s'arrachent les cheveux, qui poussent des cris, parce que je sais par expérience qu'on ne fait pas cela sans souffrir (…)
Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 518.
3 Nous le contemplâmes longtemps et personne ne dit un mot de commisération. Peut-être parce que le plaindre eût été se prendre soi-même en pitié pour avoir couru le même danger.
A. de Vigny, Servitude et Grandeur militaires, II, XIII.
4 Âme curieuse qui souffres
Et vas cherchant ton paradis,
Plains-moi !… sinon, je te maudis !
Baudelaire, les Nouvelles Fleurs du mal, I.
5 Cette loi sainte, il faut s'y conformer,
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant, tout aimer,
Ou tout plaindre !
Hugo, les Contemplations, I, I.
6 Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous.
Hugo, les Contemplations, IV, XV.
♦ Plaindre qqn de… (suivi d'un substantif ou d'un infinitif), lui témoigner de la pitié au sujet de…
7 (…) je vous conjure de me plaindre un peu des méchants moments que je vais passer.
Molière, George Dandin, III, 5.
8 Je te plains de tomber dans ses mains redoutables (…)
Racine, Athalie, II, 5.
♦ ☑ (Av. 1678). Être à plaindre : mériter d'être plaint. ⇒ Malheureux, pauvre (→ Cavalier, cit. 8; et, cit. 35; honteux, cit. 18; malheur, cit. 17; 1. or, cit. 28). || Il est bien à plaindre; plus à plaindre qu'à blâmer (cit. 9). || Mon Dieu, que je suis à plaindre (→ Maladroit, cit. 5). — Iron. || Tu es bien à plaindre, vraiment !
9 Il n'est pas dans le cœur humain de se mettre à la place des gens qui sont plus heureux que nous, mais seulement de ceux qui sont plus à plaindre.
Rousseau, Émile, IV.
♦ Absolt. || « Il y aura toujours à aimer sur la terre, par conséquent (cit. 3), à plaindre,… à souffrir ».
♦ Vieilli. (Compl. n. de chose). Témoigner sa pitié, sa compassion pour… || Plaindre le malheur (cit. 24 et 36), les maux (→ Exempt, cit. 6), le sort de qqn (→ Exposer, cit. 28). || « J'admire ton courage et je plains ta jeunesse » (cit. 11, Corneille).
10 Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé (…)
Racine, Phèdre, V, 6.
11 Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis (…)
La Rochefoucauld, Maximes, 463.
12 Pour plaindre le mal d'autrui, sans doute il faut le connaître, mais il ne faut pas le sentir. Quand on a souffert, ou qu'on craint de souffrir, on plaint ceux qui souffrent; mais tandis qu'on souffre, on ne plaint que soi.
Rousseau, Émile, IV.
2 (V. 1050). Vx. Déplorer (un événement, une chose pénible ou odieuse). || « Je révoque des lois dont j'ai plaint la rigueur » (Racine, Phèdre, II, 2). — Décrier. || « (La vieillesse…) Toujours plaint le présent et vante le passé » (Boileau, l'Art poétique, III).
♦ (1080). Regretter (ce qui a été perdu, ce qui a disparu). || « Je plains le temps de ma jeunesse… » (Villon, Testament, XXII).
3 (1654). Employer, donner, dépenser à regret, avec parcimonie. || Plaindre l'argent qu'on dépense. — (1690). Mod., régional (à la forme négative). || Elle ne plaint pas le beurre dans sa cuisine. || Il ne plaint pas la dépense (→ Regarder à…). — Fig., vx. || Plaindre son temps, sa peine… ☑ Loc. Mod. Il ne plaint pas sa peine : il travaille sans se ménager.
13 Car je me ferai sans façon, moi, tous les compliments qu'il vous plaira, ce n'est pas la peine de me les plaindre, ils ne sont pas rares, et l'on en donne à qui en veut.
Marivaux, les Serments indiscrets, I, 6.
14 (…) ce qu'on a ailleurs caché et nié, tout cela se voit ici (aux palais des papes d'Avignon); on n'y a pas plaint la dépense, ni le soin, ni l'art.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., VI, III.
15 (…) une bonne femme, vous pouvez dire, qui ne plaignait pas les perdreaux, ni les faisans, ni rien (…) ce n'était pas la viande qui manquait (Françoise employait le verbe plaindre dans le même sens que fait La Bruyère).
Proust, À la recherche du temps perdu, t. VI, p. 30.
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II V. pron. (1080). || Se plaindre.
1 Exprimer sa propre peine ou sa souffrance par des manifestations extérieures (pleurs, gémissements, paroles…). ⇒ Crier, 1. geindre (cit. 8), gémir, lamenter (se), pleurer (→ Endurer, cit. 8; exercice, cit. 16; frissonner, cit. 1; 3. mal, cit. 16). || Souffrir sans se plaindre. || Il se plaint pour un rien, il passe son temps à se plaindre. ⇒ Plaignard; et aussi plaintif.
16 Je crois que Jésus ne s'est jamais plaint que cette seule fois; mais alors il se plaint comme s'il n'eût plus pu contenir sa douleur excessive : Mon âme est triste jusqu'à la mort.
Pascal, Pensées, VII, 553.
17 Il ne se plaignait jamais quoiqu'il eût de perpétuels sujets de plaintes. Les maladies prenaient volontiers pour séjour sa chétive personne (…)
France, le Petit Pierre, XXII.
18 (…) rien ne se forme qu'un gémissement. Elle se plaint, son trop d'amour s'échappe en plaintes, comme le trop de souffrance sur les lits d'hôpitaux.
Montherlant, le Songe, II, XVI.
♦ Se plaindre de douleurs, de maux de tête… (→ Humeur, cit. 2; impotent, cit. 4). — REM. Ces expressions peuvent aussi être employées au sens 2.
2 (V. 1180). Exprimer son désagrément, son mécontentement (au sujet de qqn ou de qqch.). ⇒ Grommeler, maugréer, murmurer (cit. 1), protester… — Se plaindre de qqn, lui reprocher son attitude. ⇒ Grief (faire), vouloir (en vouloir à). → Adoucir, cit. 7; arrogant, cit. 7; noter, cit. 9. || « Quand j'ai à me plaindre de qqn, je me venge » (→ Manière, cit. 15) ⇒ aussi Attaquer. — Se plaindre de qqch. (→ Attarder, cit. 4; exposer, cit. 9; fardeau, cit. 17; orgueil, cit. 9). || Se plaindre de la nature (→ Douer, cit.; insensé, cit. 5). || Personne ne se plaint de son jugement (cit. 12). || Se plaindre de son sort, de sa vie, de sa situation… || De quoi se plaignent-ils ? (→ Nécessairement, cit. 1). — (V. 1112). Absolt. (cit. 19, 20, ci-dessous). || Il se plaint sans cesse. ⇒ Criailler, râler, rouspéter (fam.). Cf. Jeter, pousser les hauts cris; crier famine, misère… || Il est malvenu à se plaindre, il n'a pas à se plaindre. || Comment vont les affaires ? Je ne me plains pas (→ aussi Lourd, cit. 23). || Vous n'aurez aucun lieu (cit. 41) de vous plaindre. — (1690). || Se plaindre à qqn, protester, récriminer auprès de lui, au sujet d'une personne ou d'une chose (→ On, cit. 15). || J'irai me plaindre de vous au chef de service. || Se plaindre à qui de droit. ⇒ Réclamer.
19 Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Corneille, Cinna, IV, 2.
20 Déesse, disait-il (le paon), ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature (…)
La Fontaine, Fables, II, 17.
21 De quoi vous plaignez-vous, Madame ? On vous révère.
Racine, Britannicus, I, 2.
22 Après une grande sécheresse (…) comme il ne peut se plaindre de la pluie, il s'en prend au ciel de ce qu'elle n'a pas commencé plus tôt.
La Bruyère, les Caractères de Théophraste, De l'esprit chagrin.
♦ Se plaindre de, suivi de l'infinitif (→ Enlever, cit. 24).
23 Voit-on celui qui se sauve du naufrage se plaindre de n'avoir pas eu le choix des moyens ?
Laclos, les Liaisons dangereuses, CXXVI.
24 C'est vrai, je me suis beaucoup plainte
De l'amer bonheur de mes jours (…)
(…) Je me suis plainte et désolée
De n'avoir aimé qu'en pleurant.
Anna de Noailles, Éblouissements, C'est vrai,…
♦ (1261). || Se plaindre que, suivi du subjonctif (→ 1. Boire, cit. 1; fortuitement, cit. 2). || Il se plaint qu'on l'ait calomnié (Académie). — REM. La construction de se plaindre que… avec l'indicatif, courante dans la langue classique, souligne la réalité de la plainte. || « La mouche… se plaint qu'elle agit (cit. 3) seule… » (→ aussi Gouvernante, cit. 4). — ☑ Prov. Se plaindre que la mariée est trop belle.
25 Racine écrit : « Quelques-uns ont pris l'intérêt de Narcisse, et se sont plaints que j'en eusse fait un très méchant homme » (Britann., 1re préf.); ce subjonctif nous paraît bien rendre ce que l'écrivain voit d'irréel, de non justifié, dans le reproche en question (…) Quand le verbe de sentiment (se plaindre)… a la valeur d'un verbe déclarant, c'est l'indicatif qui convient. Ainsi, Thésée déclare : « Parlez. Phèdre se plaint que je suis outragé » (Rac., Phèdre, III, 5); comme ici il rapporte les paroles de Phèdre (Vous êtes offensé, III, 4) l'indicatif est très juste.
G. et R. Le Bidois, la Syntaxe du franç. moderne, §1298.
26 Mes maîtres se plaignaient que j'oubliais tout mon latin (…).
Stendhal, Vie de Henry Brulard, 9.
27 Élodie se plaignit que la gorge lui grattait (…)
France, Les dieux ont soif, XVI.
28 Il arrive parfois à vingt ans et plus tard que l'on se plaigne que les âmes sont incommunicables.
M. Barrès, le Mystère en pleine lumière, p. 29.
29 Les femmes, de tout temps, se sont plaintes qu'il fut difficile de faire comprendre aux hommes les douleurs de l'accouchement.
J. Paulhan, Petite préface…, p. 91.
♦ (Av. 1662). || Se plaindre de ce que…, construit généralement avec l'indicatif, mais, parfois, avec le subjonctif. || « Au lieu de me plaindre de ce que la rose a des épines (cit. 11)… » (→ aussi 2. Général, cit. 3).
30 Ce matin, la femme de ménage se plaint doucement de ce qu'elle ait à nettoyer cette ordure (…)
Gide, Journal, 19 mars 1943.
3 (1654). Vx. || Se plaindre qqch., s'en priver (par avarice). → ci-dessus I., 3.
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plaint, plainte p. p. adj.
♦ Rare. || Des victimes plaintes.
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DÉR. Plainte.
HOM. (Du p. p., etc.) 1. Plain, 2. plain, plein.
Encyclopédie Universelle. 2012.