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DOLLAR
DOLLAR

Le dollar est l’unité monétaire des États-Unis, mais aussi de plusieurs autres États (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada...). Ce qui frappe l’observateur, c’est évidemment la place que la devise américaine occupe sur la scène internationale. Toutefois, le système monétaire et financier des États-Unis requiert également l’attention, pour une double raison: en premier lieu parce que, du fait même du rôle international du dollar, les marchés internationaux des capitaux et les marchés des changes sont fortement dépendants de ce système et souffrent de ses dysfonctionnements; en second lieu parce que, à travers les transformations successives qui ont affecté son organisation institutionnelle et les changements de politique économique qui jalonnent l’histoire récente des États-Unis, il constitue un champ d’expérience privilégié pour les autres pays. C’est ainsi que la France s’est inspirée du modèle institutionnel américain pour opérer la transformation du mode de fonctionnement de son propre système monétaire et financier au cours des années quatre-vingt; de même, la politique monétaire de divers pays industrialisés s’est fortement inspirée du courant monétariste, né aux États-Unis avec Milton Friedmann, et qui a imprégné, au cours de ces mêmes années, la politique suivie par les autorités monétaires de ce pays; il n’est pas jusqu’aux promoteurs d’une monnaie unique de la Communauté européenne qui ne se soient inspirés du système américain de banques centrales pour élaborer leur propre projet.

On retiendra donc ici quelques éléments clés du système monétaire et financier américain. Il emprunte ses traits essentiels à ce que l’on nomme, à la suite de John Hicks, une «économie de marché», par opposition à une «économie d’endettement», c’est-à-dire une économie où le financement des agents, y compris des banques, s’opère essentiellement par le jeu des différents marchés de capitaux (monétaire et financier), et non par un système de crédits bancaires dominé par une banque centrale auxquels les banques ordinaires doivent avoir systématiquement recours pour obtenir les liquidités nécessaires à leur fonctionnement. Les marchés de fonds sont donc, nécessairement, très actifs, puisqu’ils constituent, en liaison constante avec les intermédiaires financiers (banques, caisses d’épargne, sociétés d’assurances, etc.), le cœur du système de financement.

Cela ne doit pas conduire, toutefois, à minorer le rôle de ces intermédiaires, en particulier des banques. Celles-ci, très nombreuses en raison de la réglementation, sont constituées par les banques d’affaires et les banques commerciales, banques de dépôts qui accomplissent leurs fonctions traditionnelles de distribution de crédits et de création de monnaie. Elles sont soumises à une réglementation très contraignante et dominées par un système de douze banques centrales, le «Fed» ou Système fédéral de réserve, chargé de créer la monnaie de base (en particulier d’émettre les billets) ainsi que de déterminer et de mettre en œuvre la politique monétaire. De très nombreuses crises jalonnent leur histoire, avec des faillites en chaîne qui ont contribué à fragiliser le système financier des États-Unis. Depuis 1985, une nouvelle crise grave affecte l’ensemble des banques, petites et grandes, en raison des stratégies risquées qu’elles ont été amenées à conduire pour faire face au mouvement de désintermédiation caractéristique des années quatre-vingt.

À l’extérieur, le dollar s’est imposé comme monnaie dominante du système monétaire international, assurant les fonctions d’unité de compte, de moyen de paiement et de réserve des valeurs pour les agents privés et publics, en lieu et place de la livre. Il a pu exercer ce rôle sans partage depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’en février 1973, dans le cadre du système résultant des accords de Bretton Woods (1944), toutes les monnaies définissant leur valeur officielle, leur parité, par rapport à la monnaie américaine.

Ce statut du dollar l’a évidemment imposé sur les marchés internationaux des capitaux. Ainsi se sont développés hors des États-Unis (offshore ) des euromarchés de fonds à court et à long terme – marché des eurodollars, des euro-obligations et des euroactions – sur lesquels les actifs en dollars représentent entre 65 et 80 p. 100 des engagements.

Si le dollar garde une position privilégiée dans l’espace monétaire et financier mondial, il subit, depuis l’avènement des changes flottants en 1973, la concurrence d’autres monnaies fortes, le mark et le yen, qui sont venues contester sa domination absolue. En effet, l’instabilité des marchés des changes s’est exercée au détriment du dollar, qui a connu, à partir de cette date, une période de perturbation associée, entre 1975 et la fin de 1980, à une forte dépréciation. La période qui va de 1980 à mars 1985 a été, au contraire, caractérisée par une appréciation continue du dollar, sans doute favorable à son rôle international, mais qui a affaibli considérablement la compétitivité de l’économie américaine. Depuis lors, le dollar s’est à nouveau très fortement déprécié par rapport aux autres monnaies.

Ces mouvements alternés, dont les conséquences sont graves tant sur le plan interne que sur le plan international, ne pouvaient laisser indifférentes les autorités monétaires des États-Unis. Celles-ci, contrairement à une longue tradition, se sont donc engagées clairement, depuis les accords du Plaza de septembre 1985, sur la voie d’une action concertée avec les autres grands pays industrialisés pour stabiliser le dollar et, à travers lui, œuvrer pour la stabilité du système monétaire et financier mondial.

1. Le dollar, monnaie nationale

Le dollar (mot dérivé du Thaller allemand) désignait en Amérique, au XVIIIe siècle, les pesos espagnols en argent. Il fut imposé comme unité monétaire par le Congrès des États-Unis en 1785. Le Coinage Act de 1792, qui adopta le bimétallisme (étalon or et argent), fixa sa valeur à 20,59 dollars américains l’once d’or fin (1 once = 31,103 5 g), valeur portée en 1835 à 20,67 dollars. Cette définition restera inchangée jusqu’en 1934, date de la première grande dévaluation du dollar, qui suivit la crise de 1929. Depuis lors, la monnaie américaine a subi deux autres dévaluations: en décembre 1971 (35 dollars l’once) et en février 1973 (42,22 dollars l’once).

La valeur réelle du dollar doit être estimée, du fait même de son rôle sur le plan international, en référence à l’importance de l’économie américaine. Celle-ci demeure de très loin la première puissance mondiale, et c’est en grande partie cette puissance qui donne aux États-Unis la capacité, malgré les vicissitudes conjoncturelles et la concurrence du yen et du Mark, de garder une place dominante dans le système monétaire et financier mondial.

En retour, le rôle international du dollar justifie que l’on s’intéresse plus précisément au système monétaire et financier des États-Unis. Non seulement l’instabilité de ce système et les crises qui l’affectent ne manquent pas d’avoir des répercussions importantes sur l’économie mondiale, mais, en outre, il peut servir de champ d’expériences utile pour les autres pays. En effet, même si les problèmes qui s’y posent ont un contenu spécifique en raison de ses structures particulières, ils présentent assez de généralité pour conserver un caractère exemplaire, sur les trois plans qui importent aux autorités monétaires soucieuses de maîtriser leur environnement: celui de la liaison entre la masse monétaire et le niveau de l’activité ou des prix; celui de la stabilisation institutionnelle du système monétaire et financier; celui, enfin, de la politique monétaire, c’est-à-dire du maniement des instruments qui permettent de gérer la masse monétaire, le crédit et le ou les taux d’intérêt.

L’évolution monétaire aux États-Unis

Un des problèmes majeurs qui se posent aux autorités monétaires est de maîtriser les agrégats monétaires (monnaie et crédit), dans la mesure où ils sont réputés influencer l’activité réelle – au moins à court terme – et le taux d’inflation. Toutefois, cette relation n’a d’intérêt que dans la mesure où la liaison monnaie-revenu nominal est relativement stable. La stabilité d’une telle liaison a été affirmée avec force par les monétaristes, sous l’influence de Milton Friedmann et illustrée par les travaux des économistes de la Banque fédérale de Saint Louis. Mais, pour lui donner une valeur opérationnelle, il apparaît crucial de déterminer le concept de masse monétaire qui serait le mieux adapté, sur le plan économétrique, à l’établissement de cette liaison.

Or le mouvement de déréglementation des activités des agents financiers aux États-Unis, qui s’est développé au cours des quinze dernières années, a été associé à une série d’innovations dans le domaine des actifs monétaires et financiers, innovations dont le statut n’est pas clairement établi: faut-il assimiler ces actifs d’un nouveau genre à des instruments d’épargne ou bien devaient-ils trouver place parmi les actifs monétaires qui servent aux transactions? Il n’y a toujours pas unanimité sur la réponse à apporter à ces questions. Mais le résultat de ces innovations, que l’on retrouve dans la plupart des pays industrialisés, est que la notion de masse monétaire est devenue très floue; sa liaison avec l’activité réelle ou les prix est donc incertaine ou, à tout le moins, très instable, obligeant les autorités responsables à utiliser plusieurs indicateurs, simultanément, pour apprécier les comportements monétaires et orienter leur action.

Actuellement, et depuis 1980, quatre conceptions de base de la masse monétaire sont distinguées: M 1, M 2, M 3 et L.

M 1 comprend les instruments de paiement traditionnels et prend en compte les diverses innovations qui ont transformé les comptes d’épargne liquide en équivalents de comptes à vue. Les moyens de paiement traditionnels sont la currency et les demand deposits . La currency est constituée par les billets (notes ) et les pièces (coins ), qui servent de monnaie divisionnaire.

Depuis 1913, date de la création du Fed, les billets sont émis par les banques fédérales de réserve; ils sont, aujourd’hui, avec les pièces, l’unique représentation de la monnaie légale en circulation. La monnaie fiduciaire reste très utilisée, et on a même assisté, depuis 1960, à une augmentation de son importance relative, à un excess of currency , encore largement inexpliqué, mais pour lequel on a avancé de nombreux arguments (augmentation de la fraude fiscale, développement de l’économie souterraine, de la criminalité, etc.).

La monnaie bancaire, créée par les banques commerciales, est constituée par les demand deposits (dépôts à vue qui doivent être restitués sur demande). Elle représente 73 p. 100 de M 1 et 90 p. 100 des paiements effectués sur le territoire. Elle est constituée par les comptes de chèque (checking accounts ) gérés par le système bancaire. L’usage du chèque, traditionnel dans les pays anglo-saxons, s’est fortement développé depuis 1933 avec la mise en place d’un système d’assurance sur les dépôts. Parmi les nouveaux instruments, on retiendra: les comptes N.O.W. (negociable orders of withdrawal ), apparus en 1972, qui donnent, en fait, la possibilité de tirer à vue sur les comptes d’épargne gérés par les banques et les institutions d’épargne spécialisées; les comptes A.T.S. (automatic transfer service ), qui autorisent le transfert automatique de fonds entre dépôts d’épargne et comptes à vue; les comptes N.I.N.O.W., qui sont des comptes N.O.W. ne portant pas intérêt.

M 2 et M 3 intègrent M 1 et comptabilisent les actifs quasi monétaires (near money ) tels que les dépôts d’épargne à vue et à terme, les bons du Trésor et autres titres de dette d’une maturité inférieure à dix-huit mois, etc. L représente la notion la plus large de la masse monétaire; elle comprend M 3 plus les dépôts en eurodollars détenus par les résidents non bancaires des États-Unis et les commercial papers qui recouvrent des engagements à moins de 270 jours de grandes entreprises et jouissent d’un large marché.

Ces différents agrégats permettent certainement de mieux analyser que par le passé les comportements monétaires, comme dans le cas du «mystère de la monnaie manquante» évoqué au milieu des années soixante-dix: on observa, en effet, que, contrairement aux prévisions, les anciennes séries de M 1 traduisaient une accélération de la vitesse de circulation de la monnaie lors de la récession de 1974-1975. Ce phénomène fut expliqué par le fait que les encaisses de transfaction étaient constituées non plus des seuls moyens de paiement traditionnels, mais aussi des comptes de near money , dont le caractère monétaire s’était fortement accru depuis 1970.

Le système monétaire et financier

L’ensemble des institutions et des marchés qui structurent les circuits monétaires et financiers constitue un système. On distinguera les institutions de direction et de contrôle des intermédiaires financiers.

Les institutions de direction et de contrôle

Sous sa forme actuelle, six organisations assurent la régulation du système. La plus importante est le Système fédéral de réserves, ou «Fed». Créé en 1913 à la suite de la crise financière de 1907, il représente la première tentative réussie de centralisation du pouvoir monétaire aux États-Unis. Deux expériences antérieures (1791 et 1816) échouèrent en raison de l’hostilité des milieux bancaires à une direction contraignante. Le Fed constitue un compromis entre deux tendances. La tendance décentralisatrice s’est traduite par la création de douze banques fédérales de réserve, dont la plus importante est celle de New York. Elles ont pour responsabilité générale d’assurer la mise en circulation de la monnaie fiduciaire, les prêts aux banques ordinaires par l’escompte, la compensation interbancaire, le contrôle du système bancaire, etc. La tendance centralisatrice s’est traduite par la constitution du Board of Governors, le «cœur du Fed» (G. Kaufmann) qui a charge d’utiliser les instruments de la politique monétaire et assure les fonctions de réglementation et de contrôle du système monétaire. En raison de son mode de nomination (les membres sont nommés pour quatorze ans – non renouvelables – par le président des États-Unis, après ratification du Congrès), l’indépendance du Board est à peu près complète – ce qui ne va pas sans créer des difficultés lorsqu’il n’y a pas cohérence entre la politique monétaire et la politique budgétaire décidée par le gouvernement fédéral, comme ce fut le cas dans les années soixante-dix. Le Federal Committee of Open Market, troisième organisation centrale de cet ensemble, a pour mission d’intervenir sur le marché monétaire (opérations d’open market ) pour agir sur la liquidité du système bancaire et de réaliser des opérations en monnaie étrangère pour agir sur le taux de change. Le Comptroller of Currency est chargé, essentiellement, d’accepter (ou de refuser) l’affiliation des banques au Fed, ainsi que de contrôler et de réglementer les banques «nationales». Enfin, le Federal Home Loan Bank System, créé en 1932, et la National Credit Association, créée en 1970, réglementent et fournissent les liquidités aux institutions d’épargne.

Le système d’intermédiation financière

Entendu au sens large, le système d’intermédiation est constitué par les investment banks , les commercial banks et l’ensemble des intermédiaires financiers non bancaires.

Les investment banks agissent comme dealers et comme brokers : elles rapprochent les offreurs et les demandeurs de capitaux dans le premier cas; elles acquièrent elles-mêmes les titres offerts par les demandeurs dans le second. Contrairement à leur nom, ce ne sont pas des «investisseurs»: les brokers ne détiennent qu’une très faible partie des titres qu’ils achètent. La plus importante des «I.B.» est la Morgan Stanley Bank.

Les commercial banks sont les banques de dépôts qui, dans leur fonction traditionnelle, distribuent des crédits à court terme et reçoivent des dépôts à vue. Bien que toutes les banques commerciales soient privées (à une près), elles sont toutes soumises à un statut (charter ) déterminé par le gouvernement fédéral (banques nationales) ou par celui de l’État où elles ont leur siège (banques d’État): c’est le dual banking system . Si les premières sont obligatoirement affiliées au Fed, les secondes peuvent cependant faire une demande d’affiliation, examinée par le Comptroller of Currency. La réglementation, très stricte en matière d’agences (branch offices ), a conduit à une multiplication des établissements avec une dispersion des tailles considérable: la Bank of America, la plus grande banque des États-Unis, possède un montant de dépôts (65 milliards de dollars) dix mille fois plus élevé que la plus petite, mille fois plus que la moyenne des banques. Pour contourner les contraintes de la réglementation s’est développée la pratique des holdings companies , qui ont possibilité de créer des banques dans différents États. De nombreuses banques ont fondé des filiales à l’étranger, en particulier en liaison avec le développement du marché de l’eurodollar, mais ce mouvement est aujourd’hui en net recul en raison de la crise.

Les intermédiaires financiers non bancaires sont extrêmement diversifiés: organismes qui recueillent l’épargne liquide et la transforment en placements à moyen ou à long terme avec les mutual saving banks , les saving et loan associations et les credit unions ; sociétés d’assurance; sociétés d’investissement (open-end companies ou mutual funds et closed-end companies ), semblables à nos sociétés d’investissement françaises, qui les ont prises pour modèle.

Les crises du système d’intermédiation

L’histoire des intermédiaires financiers, et plus particulièrement des banques, est très mouvementée, en raison des nombreuses crises financières qui jalonnent l’évolution économique des États-Unis: 1819, 1857, 1870, 1907, 1929. Entre 1929 et 1933, plus de 15 000 banques firent faillite. La source majeure de ces crises était les retraits massifs auxquels procédaient les déposants en raison d’une perte de confiance dans le système bancaire. C’est pourquoi un Act de 1934 créa la Federal Deposit Insurance Corporation (F.D.I.C.) pour assurer le remboursement des dépôts. Le nombre annuel des faillites, qui était de 500 dans les années vingt, était tombé à moins de 10 en 1980.

Une nouvelle crise a frappé l’ensemble des institutions financières au cours des années quatre-vingt. Elle a débuté par les institutions d’épargne (saving and loan associations ainsi que saving banks ). Avant 1980, ces dernières avaient connu plusieurs années de prospérité, mais, avec l’augmentation croissante des taux d’intérêt au début des années quatre-vingt, elles ont traversé une période de pertes sans précédent, sanctionnée par de nombreuses faillites; malgré une amélioration de leur situation de 1983 à 1985, avec le déclin des taux d’intérêt, elles subirent à nouveau des pertes considérables sur leurs actifs: de 1980 à 1983, leur revenu moyen sur actifs était de 漣 0,42 p. 100, contre 0,6 p. 100 au cours des dix années antérieures; de 1986 à 1989, il tombe à 漣 0,58 p. 100. Mais c’est surtout la situation des banques qui requiert l’attention: le total des pertes enregistrées en 1989 a atteint 1,2 p. 100 de leur actif.

Plusieurs facteurs expliquent cette crise. Le système de réglementation a limité les possibilités d’adaptation des banques à un environnement fortement modifié par la libéralisation de l’ensemble du secteur financier et qui a avivé la concurrence que les banques subissent de la part des autres institutions financières, notamment des caisses d’épargne. Mais c’est surtout le mouvement de désintermédiation qui les a fragilisées en conduisant les intermédiaires bancaires à s’engager dans des activités à risque – immobilier; prêts aux pays en voie d’industrialisation; activités de marché à haut niveau d’endettement tels que les L.B.O. (leverage buy out ), qui ont alimenté le processus de concentration et de fusion des années quatre-vingt. Le tassement conjoncturel observé depuis 1988, la crise de l’immobilier qui l’a accompagné et la «crise de la dette», qui s’est traduite par l’insolvabilité des pays en développement lourdement endettés auprès du système bancaire américain, n’ont fait que concrétiser cette fragilité. C’est ainsi que le mouvement de faillites bancaires, qui s’était pratiquement interrompu au début de 1980, a repris à un rythme accéléré avec une caractéristique particulière: même les très grandes banques, les money centers , sont menacées, comme l’a démontré la quasi-faillite de la prestigieuse Bank of New England; celle-ci n’a dû sa survie qu’à sa publicisation, théoriquement temporaire, qui constitue une «première» aux États-Unis.

Cette crise va modifier considérablement le paysage bancaire américain, qui voit une réduction drastique du nombre des banques (en 1992, sur cinq ans, plus de 2 000 d’entre elles ont disparu par suite de faillites, de fusions ou d’absorption). Par ailleurs, les banques recentrent leurs activités: certaines abandonnent leur stratégie d’implantation internationale (seules Chase Manhattan Bank, Citycorp et Morgan conserveraient cette orientation) et même nationale (les grands établissements américains privilégiant désormais l’approche régionale; d’autres jouant la carte de la spécialisation et renonçant à leur politique de banque universelle; toutes procédant à des transformations structurelles profondes pour faire face à la crise).

Les marchés de fonds

On peut regrouper les marchés de fonds en deux sous-ensembles:
– Le marché monétaire , ou marché de l’argent à court terme. Il comporte lui-même plusieurs compartiments, selon les titres échangés. Les treasury bills , émis par le Trésor des États-Unis, constituent l’instrument principal de l’Open Market. Les federal funds , ou fed funds , sont les fonds de réserves excédentaires en monnaie centrale que détiennent les banques et qu’elles prêtent à très court terme sur le marché: ils représentent l’essentiel des fonds du marché interbancaire où s’échange, entre banques, la monnaie centrale. Les commercial papers . Les certificates of deposits , représentatifs de dépôts à terme, développés à partir de 1961, qui constituent, en volume, le deuxième instrument du marché. Enfin, le marché monétaire est également le siège de l’échange des bankers acceptance (acceptations des banques) et des certificats de dépôts en eurodollars. Le marché monétaire américain est un marché très ouvert qui permet aux établissements financiers, et spécialement bancaires, d’assurer leur liquidité sans avoir, généralement, recours au Fed (marché «hors banque»), contrairement au français où les banques sont obligées, en raison de l’étroitesse du marché, de recourir systématiquement à la Banque de France.

– Le marché du capital , qui est le marché des fonds à long et moyen terme. Y sont émis (marché primaire) et échangés (marché secondaire) des titres publics et privés. Les titres publics sont les treasury notes (de un à dix ans de maturité) et les treasury bonds (plus de dix ans), dont le marché constitue le compartiment le plus important du marché des titres. Les titres privés sont représentés par les mortgages (titres hypothécaires), les corporate bonds (obligations) et les stocks , ou equities (actions émises par les sociétés). Enfin, il existe un compartiment étranger du marché, où sont traités des titres représentatifs d’emprunts étrangers, libellés en dollars (yankee bonds ). C’est le premier marché mondial des foreign bonds (titres libellés en monnaie étrangère).

La politique monétaire

Les instruments

La réglementation a pris une importance considérable à la suite de la crise de 1929, avec le Banking Act de 1933. Elle consiste en une série de dispositions indiquées par des lettres, dont les plus importantes, en matière bancaire, sont: la réglementation A, qui régit la procédure de l’escompte par les banques fédérales de réserve; la réglementation D, qui concerne les réserves obligatoires; la réglementation Q, qui établit un plafond sur les taux d’intérêt créditeurs; la réglementation J, qui impose la séparation entre commercial banks et investment banks, d’une part, entre ces banques et les institutions d’épargne, d’autre part. Ce cadre réglementaire a été profondément modifié par le Depositary Institution Deregulation and Money Control Act (1980) qui, en raison des critiques que suscitaient les dispositions antérieures, a amorcé un mouvement de déréglementation du système: il prévoyait, en particulier, la suppression de la réglementation Q (sur six années) et consacrait, par ses dispositions, la déspécialisation qui s’est réalisée depuis 1945, à la suite des diverses innovations financières qui ont rapproché banques commerciales et institutions d’épargne.

Avec la crise récente du système d’intermédiation, les pouvoirs publics ont pris conscience des difficultés qu’entraîne cette réglementation, mal adaptée au nouvel environnement financier, et se sont orientés vers une nouvelle organisation à partir, notamment, du projet Brady, présenté au Sénat en février 1991. Il se résume en quatre points.

Supprimer les grandes lois bancaires: Mac Faden Act (1927), qui interdit aux banques domiciliées dans un État de s’installer dans un autre; Glass Steagall Act (1933), qui interdit aux banques commerciales de faire des opérations mobilières; Bank Holding Act (1956), qui empêche les sociétés industrielles ou commerciales de détenir le capital d’une banque.

Aligner le statut des banques étrangères sur celui des banques américaines.

Créer, sous l’autorité du Trésor, un nouvel organisme chargé de réglementer l’ensemble du secteur financier.

Réduire les garanties accordées par le F.D.I.C. (100 000 dollars par déposant, et non par compte), dont la situation financière était devenue précaire en raison de la crise puisque le fonds de garantie ne représentait, à la fin de 1990, que 0,25 p. 100 des dépôts, au lieu de 1,25 p. 100 imposé par la loi aux banques commerciales et aux institutions d’épargne.

En dehors de la réglementation, ce sont essentiellement le maniement du taux de l’escompte, les interventions sur le marché monétaire et les modifications du taux de réserves obligatoires qui constituent la panoplie des instruments de la politique monétaire. L’escompte , qui n’est possible que pour les banques affiliées au système, n’est autorisé que pour une courte durée (15 jours, en général). Les variations de son taux, lequel est pratiquement toujours supérieur au taux du marché monétaire, servent surtout d’indicateur des intentions du Fed en matière de politique monétaire (elle se veut extensive s’il est à la hausse, restrictive s’il est à la baisse). Les opérations d’open market sont assurées par la Banque fédérale de New York: sous l’autorité du Comité de l’open market, le bureau responsable des interventions, le Desk, agit sur la liquidité du marché monétaire par ses achats et ventes de titres d’État: bills (court terme) et, après 1960, bonds (long terme). Le Desk a également procédé, de manière marginale, à des opérations d’open market sur devises. Les réserves obligatoires ont été instaurées en 1863. Elles font obligation aux banques de déposer auprès des banques fédérales ou de détenir en caisse (vault cash ) des avoirs en monnaie centrale en proportion de leurs engagements. Depuis 1935, le Fed est autorisé à faire varier leur taux, ce qui réduit la liquidité des banques et limite leurs possibilités en matière de distribution des crédits. Depuis 1980, cette obligation a été étendue aux banques non affiliées, ce qui a relancé une controverse très vive sur l’intérêt de ces réserves. En fait, en raison de leurs effets très brutaux sur la liquidité, les variations de taux sont rares.

L’efficacité de la politique monétaire

Après une période d’effacement, notamment sous la présidence Kennedy dont la new political economy était d’inspiration keynésienne, la politique monétaire est devenue l’arme essentielle d’intervention en matière de politique économique à court terme. Mais l’action du Fed a changé radicalement de nature depuis 1979 en ce qui concerne les objectifs intermédiaires (taux d’intérêt ou masse monétaire) à atteindre. Dès 1974, le Fed avait commencé à publier des objectifs de masse monétaire, sous forme de taux annuels, pour M 1 et M 2. Toutefois, la «règle monétaire» n’a pas été très contraignante, car les autorités étaient surtout attentives à agir sur les taux d’intérêt – ce qui implique la variabilité de la masse monétaire. À travers les taux, leur action s’exerçait alors sur la demande de monnaie et de crédits. Mais l’accélération de l’inflation conduisit le Fed, sous la présidence de Paul Volcker, le 6 octobre 1979, à un changement majeur: au lieu d’agir sur les taux, le Desk devait régler les réserves des banques pour réaliser les objectifs de masse monétaire. L’action s’exerçait donc du côté de l’offre, directement, au prix de la variabilité et, éventuellement, de la hausse des taux.

Cette politique a été fortement critiquée, en raison non seulement de ses conséquences internationales, mais aussi de ses effets déflationnistes internes. Son principe même, exagérément monétariste, a été contesté. À l’heure actuelle, le Fed, sous la présidence d’Alan Greenspan, a adopté une attitude plus éclectique: conscient de la fragilité des relations entre les agrégats monétaires et l’activité économique ou les prix, il prend ses décisions, sur la base d’une série élargie d’indicateurs où figurent désormais en bonne place le taux de change et la balance commerciale dont il a été démontré par la division recherche du Board qu’elle exerçait – beaucoup plus que les taux d’intérêt – une influence très sensible sur l’activité économique. Parallèlement, le Fed oriente désormais son action en fonction d’un double objectif, la diminution de l’inflation et du sous-emploi, réduisant du même coup les tensions, manifestes sous la présidence Volker, entre le pouvoir politique et le pouvoir monétaire.

2. Le dollar, monnaie internationale

Une monnaie internationale, comme toute monnaie, remplit trois fonctions traditionnelles – unité de compte, instrument de paiement, réserve de valeur – au bénéfice des agents privés et publics. Aux premiers, elle sert ainsi de monnaie de facturation, de monnaie de règlement des transactions réelles et financières ainsi que de réserve de valeur pour le système bancaire ou les entreprises multinationales; aux seconds, elle sert de référence pour déterminer les parités monétaires, de monnaie d’intervention sur les marchés des changes et de monnaie de réserve pour les banques centrales.

Le dollar a assuré cette fonction depuis la Seconde Guerre mondiale, soit pour des raisons institutionnelles, jusqu’en 1971-1973, soit sous la pression des forces du marché. Toutefois, l’évolution n’a pas été sans affecter de manière sensible les conceptions américaines en matière de politique monétaire, spécialement en ce qui concerne la défense du dollar sur le marché des changes.

Évolution du rôle du dollar

De 1945 à 1973 , le système monétaire international (S.M.I.) demeure soumis au régime défini dans le cadre des accords de Bretton Woods, qui consacrent officiellement la suprématie du dollar: toutes les monnaies sont rattachées à l’or et au dollar, lui-même convertible en or sur la base de sa définition de 1934. C’est le Gold Exchange Standard. Toutefois, la qualité de monnaie internationale ne se décrète pas; elle s’impose en raison des caractéristiques du pays centre qui l’émet et qui, en ce qui concerne les États-Unis, étaient satisfaisantes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale: d’une part, ce pays se présente comme le plus puissant du monde et le stabilisateur de l’économie mondiale; d’autre part, sa capacité à assurer la convertibilité du dollar en or (en faveur des seules banques étrangères) et à maintenir la stabilité des prix lui assure une place incontestée dans l’espace économique international. Le dollar apparaît alors comme le point fixe du S.M.I. En particulier, si un déséquilibre survient dans les rapports d’échange internationaux, déséquilibre reflété par les balances des paiements et par des tensions sur le marché des changes, il incombe aux autres nations d’assurer la charge de l’ajustement par des dévaluations-réévaluations rééquilibrantes et par des politiques internes adaptées. Néanmoins, cette position privilégiée va peu à peu se dégrader à partir des années soixante. Les autres nations industrielles sont désormais en mesure d’affronter les États-Unis sur le marché mondial; par ailleurs, alors que, dans la période antérieure, le dollar était rare en raison d’un déséquilibre des échanges favorable aux États-Unis et des besoins croissants en monnaie internationale liés au développement du commerce international (dollar shortage ), les déficits continus de la balance américaine des paiements rendent le dollar surabondant (excess dollar ) et des craintes apparaissent quant à la capacité des États-Unis à assurer la convertibilité en or des créances en dollars détenues par les banques centrales. On annonce la «crise du dollar» (Triffin), on dénonce les biais d’un système monétaire international fondé sur une unité monétaire nationale, celle des États-Unis, et qui fonctionne au bénéfice de la nation centre, indifférente au déséquilibre de sa balance des paiements (benign neglect ), finançant par son endettement «un déficit sans pleurs» (Rueff). Les demandes de conversion de dollars en or, plus ou moins discrètes (Allemagne, Suisse, France), rendent de moins en moins crédible la convertibilité de la monnaie américaine. L’inconvertibilité interviendra officiellement, lors de la dévaluation du dollar en décembre 1971 (dévaluation de 7,89 p. 100 par rapport à la parité de 1934). Une nouvelle dévaluation interviendra en 1973, mais ne réussira pas à stopper la spéculation contre la monnaie américaine au profit des monnaies européennes fortes (franc suisse, franc français et surtout mark allemand). Le système mis en place en 1944, et qui avait survécu grâce aux arrangements de 1971, est brisé. Le monde entre dans un système de changes flexibles.

Après 1973 , les monnaies des principaux pays industrialisés, partenaires des États-Unis, flottent vis-à-vis du dollar. Dans cette situation nouvelle, on aurait pu craindre que la succession du dollar ne fût ouverte, d’autant plus que la situation des États-Unis, depuis 1973 et jusqu’en 1980, a continué à se dégrader. La dépréciation du dollar vis-à-vis des monnaies fortes s’est poursuivie de manière presque continue, créant à la balance américaine des paiements des difficultés persistantes: le total des créances en dollars détenues par les autorités monétaires étrangères représentaient plus de 60 p. 100 des réserves de change (or, droits de tirage spéciaux, devises) en 1980, contre 27 p. 100 en 1949. Toutefois, après la mise en place d’un plan de stabilisation du dollar par Jimmy Carter en 1978 et l’«expérience Reagan» du début des années quatre-vingt, le dollar va s’apprécier par rapport à toutes les monnaies et dépasser ses plus hauts niveaux historiques jusqu’en mars 1985, alors même que se creusaient les «déficits jumeaux», déficit budgétaire et déficit de la balance commerciale, dont on aurait pu attendre que, au contraire, ils affaiblissent la monnaie américaine. Il existe plusieurs explications: des taux d’intérêt (réels) américains élevés par rapport au reste du monde, susceptibles d’attirer les capitaux étrangers; une situation économique globale d’expansion, qui fait des États-Unis un «havre de sécurité» pour les investisseurs financiers; l’ampleur du marché financier, capable d’absorber les flux d’épargne excédentaire des autres pays – spécialement du Japon; des anticipations favorables au dollar et générant une «bulle spéculative» (ce terme désigne un processus d’évolution du taux de change non justifié par les variables fondamentales qui, théoriquement, le gouvernent); etc. Le point important est que cette période d’appréciation va confirmer le dollar dans sa position de monnaie mondiale: dans le système tripolaire qui s’est dessiné au cours des années soixante-dix, où le mark et le yen apparaissent comme des alternatives au dollar en tant que monnaie de réserve et comme support d’actifs financiers, ce dernier maintient sa position dominante.

La nouvelle période de dépréciation du dollar qui s’ouvre en mars 1985 ne modifiera pas de manière sensible ces données, bien que la part de la monnaie américaine dans les réserves mondiales soit passée de 59 p. 100 en 1989 à 55 p. 100 en 1990, que sa valeur exprimée par rapport au mark ou au yen ait pu revenir à des niveaux comparables à ceux de 1980 et que l’économie des États-Unis connaisse, depuis la fin de 1988, un tassement conjoncturel marqué.

Trois éléments permettent d’expliquer cette situation paradoxale, hors le fait majeur que, sur la longue période, l’économie américaine paraisse en mesure de maintenir sa puissance économique (Krugman). En premier lieu, le maintien, malgré l’abandon du système de changes fixes, des interventions en dollar des banques centrales sur les marchés des changes (Williamson a noté que ces interventions sont aussi intenses que sous l’ancien régime de parités). En deuxième lieu, la nécessité d’une monnaie véhiculaire qui, en raison de l’étendue de son marché, réduise les coûts de transaction et d’information sur la position relative des monnaies nationales et fasse bénéficier l’économie mondiale de puissantes économies d’échelle (Krugman, 1984). En troisième lieu, l’attitude nouvelle des autorités monétaires américaines en matière de gestion des taux de change, qui, en concertation avec les autres banques centrales, tentent de stabiliser le dollar.

Le marché international du dollar

Le dollar domine le marché monétaire international (marché des euromonnaies) et le marché financier.

La place du dollar sur le marché monétaire international

Le marché monétaire international ou marché des euromonnaies est celui des prêts et emprunts à court terme effectués sur un territoire national en monnaie autre que la monnaie locale. Le marché de l’eurodollar en est la composante essentielle. Les eurodollars sont des dépôts le plus souvent à terme fixe – l’échéance la plus faible étant de deux jours – réalisés en dollars hors des États-Unis soit dans des banques étrangères, soit dans les succursales des banques américaines à l’étranger. D’un montant minimal de 1 million de dollars, ils donnent lieu à la création de certificats de dépôt négociables. Offre et demande d’eurodollars émanent des institutions financières publiques ou privées – y compris les banques centrales – et sont confrontées sur certaines places financières privilégiées, dont la principale est celle de Londres. Le choix de Londres s’explique par des raisons historiques: le marché des eurodollars a, en effet, été «inventé» par les Soviétiques au plus fort de la guerre froide. Détenteurs d’importants avoirs en dollars auprès des banques américaines et craignant le blocage de leur compte par les autorités des États-Unis, ils obtinrent de les déposer auprès de grandes banques de Londres qui, en contrepartie, se voyaient offrir des créances en dollars utilisables pour les transactions internationales. Mais c’est surtout l’absence de réglementation sur le marché londonien qui a joué un rôle clé dans cette localisation et, plus généralement, dans le développement du marché des eurodevises.

C’est essentiellement à partir de 1965 que le marché des eurodollars va connaître une croissance rapide qu’expliquent plusieurs éléments: le fait, primordial, que le dollar est, depuis 1944, la monnaie principale utilisée dans les échanges commerciaux et financiers internationaux; l’existence aux États-Unis d’un plafond sur les dépôts à temps, imposé par la réglementation Q, qui amena les détenteurs de comptes en dollars auprès des institutions financières américaines à placer ces derniers en dehors du territoire; le déficit de la balance des paiements américaine, qui permit l’alimentation continue du marché; l’ensemble des mesures prises entre 1960 et 1974 pour contrôler les mouvements de capitaux. Par ailleurs, les excédents des pays producteurs de pétrole, après 1974 et, de manière beaucoup plus limitée, depuis 1978, ont à leur tour contribué à alimenter le marché (pétrodollars).

Le marché de l’eurodollar a donné lieu à de nombreuses controverses, spécialement sur le point de savoir s’il n’est pas «une gigantesque machine de liquidités internationales» (McKinnon), sans aucun contrôle. On a pu affirmer ainsi l’existence d’un multiplicateur, similaire à celui qui explique la création de la monnaie bancaire dans les systèmes monétaires internes, capable d’accroître les dépôts en eurodollars de manière virtuellement sans limite à partir d’un flux de dépôts initiaux qu’alimenteraient les détenteurs de dollars en quête de placements plus rémunérateurs que ceux qui leur seraient offerts sur le marché américain. En pratique, il a été montré (McKinnon) que ce pouvoir multiplicateur était très faible: les dépôts en eurodollars sont, à titre principal, de caractère interbancaire, et le marché sert essentiellement de véhicule pour réajuster les positions de liquidité des institutions financières bien plus que de créateur net de liquidités. Le risque inflationniste des eurodollars est donc faible, et la perte de contrôle que les autorités monétaires pourraient subir, du fait de l’existence d’un marché et des possibilités de substitution qu’il offre entre sources de crédit pour les résidents, relativement réduite. Reste le risque que fait peser la masse des eurodollars sur les marchés des changes et la stabilité des taux de change lorsque surviennent des transformations brutales des devises sur ces marchés offshore : les estimations les plus sérieuses, celles de la Banque des règlements internationaux, font état d’un montant global, au second trimestre de 1991, de près de 4 700 milliards de dollars, toutes devises confondues. La part de l’eurodollar représenterait, à elle seule, les deux tiers de ce montant. Ce marché dépasse désormais tous les autres marchés du dollar, y compris celui des bons du Trésor américain. Il est même supérieur aux masses monétaires (M 1) des principaux pays d’Europe occidentale, et il est vraisemblable que, dans quelques années, il dépasse la masse monétaire américaine.

Le dollar et le marché financier international

Il convient de distinguer entre le marché des crédits à moyen terme et le marché de financement à long terme. Le marché de crédit à moyen terme est un prolongement du marché de l’eurodollar à court terme: de grandes banques commerciales dans les principaux centres financiers situés à l’extérieur des États-Unis ont ainsi étendu leur marché par des crédits à de grandes entreprises et à des États, sous la forme d’eurodollars (et autres euromonnaies). Les prêts sont, en général, d’une maturité de cinq à sept ans.

Le marché des eurodollars bonds (euro-obligations) est un des compartiments du marché international des emprunts à long terme en dollars (l’autre compartiment est celui des yankee bonds): les obligations qui y sont souscrites ou échangées sont libellées en dollars et émises sur les places financières hors des États-Unis. Le marché s’est développé au cours des années soixante. Ce marché des eurodollars bonds est l’élément prédominant du marché des eurobonds: le total des obligations internationales, en 1990, représentait 1 472 milliards de dollars, dont plus de 400 milliards libellés en monnaie américaine. Il faut, enfin, signaler l’émergence d’un marché des actions internationales, apparu en 1983, et dont le rôle demeure relativement modeste puisque le total s’établissait, à la même date, à 205 milliards de dollars, et d’un marché des euronotes à taux variables à six mois, apparu en 1984, et dont le montant actuel atteint 205 milliards de dollars. Dans chaque cas, la part du dollar avoisine de 30 à 50 p. 100.

La politique de non-intervention

La caractéristique essentielle généralement retenue de l’économie américaine est que les incidences de la position externe (déficit ou excédent de la balance des paiements) sont sans effet sur la position monétaire interne: le déficit étant financé par l’accumulation des créances sur les États-Unis, ce mode de financement laisse, en principe, inchangé le montant de monnaie centrale disponible pour le système bancaire. Le déficit est donc neutre quant à ses effets sur la masse monétaire, et la contrainte que pose aux autres pays l’existence d’un solde, positif ou négatif, de la balance des paiements n’existe pas pour les États-Unis. Ce fait majeur a conduit les autorités monétaires américaines à négliger la contrainte externe et à laisser aux autres nations la charge d’assurer, par les interventions des banques centrales, le maintien de la parité de leur monnaie par rapport au dollar en régime de change fixe (jusqu’en 1973) ou d’atténuer son appréciation ou sa dépréciation en régime de change flexible (après 1973). Néanmoins, si la politique de non-intervention caractérise clairement la première période, l’attitude des autorités américaines s’est modifiée au cours de la seconde: la contrainte externe, négligeable quant à ses effets sur l’économie globale durant les décennies cinquante et soixante, fait sentir sa pression de manière sérieuse après 1973, obligeant les États-Unis, au moins de façon intermittente, à intervenir pour limiter ou enrayer la dépréciation de leur monnaie.

La politique de non-intervention sur le marché des changes trouve sa logique dans la structure même du système mis en place en 1944: si l’on pose que la communauté monétaire internationale est composée de n pays, c’est-à-dire de n monnaies nationales, il peut être démontré que l’équilibre global du système est réalisé dès lors que n 漣 1 de ces marchés sont équilibrés. Le nième marché doit alors s’équilibrer automatiquement. Transposé au marché des changes, cela signifie que les États-Unis devaient enregistrer passivement les effets des mesures prises par leurs partenaires pour équilibrer leur propre marché. Cette contrainte, très lourde à supporter pour un «petit pays», leur était, au contraire, relativement légère. C’est pourquoi les mesures prises pour pallier les quelques inconvénients que l’ajustement faisait subir au pays centre ont été marginaux. Les plus notables furent les opérations twist et le contrôle des flux de capitaux.

Les opérations twist consistaient à agir sur la structure des taux d’intérêt: en élevant les taux «courts» (vente de titres à court terme sur le marché monétaire), on favorisait l’entrée des capitaux en quête de placements rémunérateurs, et on réduisait le déficit de la balance des paiements; en abaissant les taux «longs» (achats de bonds), on favorisait le développement des investissements et de la construction. Dans la pratique, le résultat des opérations twist a été très faible, et leur effet le plus tangible à été d’entretenir une querelle entre leurs partisans et ceux qui désiraient que les opérations sur le marché ne s’effectuent que sur les titres courts, de manière que soit respectée la structure «naturelle» des taux d’intérêt (querelle des bills only ).

Le contrôle des flux de capitaux a pris de nombreuses formes: institution de réserves obligatoires sur les emprunts en eurodollars auxquels les banques ont eu recours pour tourner les effets de la réglementation Q et les restrictions données au crédit par les autorités monétaires (1969); taxe de péréquation des taux d’intérêt sur les titres étrangers à long terme, destinée à stopper le développement des sorties de capitaux réalisées sous forme d’investissements de portefeuille (1963); programme de limitation volontaire (guidelines ) des crédits consentis à l’étranger par les établissements bancaires (1965), programme rendu obligatoire en 1968; assujettissement des investissements directs à l’étranger à des contrôles devenus obligatoires en 1968 (incitant, en particulier, les sociétés américaines et leurs filiales à financer ces investissements par des emprunts à l’étranger plutôt que par le recours au marché des capitaux internes). L’ensemble de cette réglementation a paru également avoir des effets négligeables, et ces dispositions, à l’exception de la réglementation sur les réserves, ont été supprimées en 1974.

Vers une nouvelle conception de la politique de change

Le passage aux changes flexibles et la modification des rapports de forces avec les autres nations industrialisées (spécialement vis-à-vis de l’Allemagne et du Japon) ont pu justifier aux États-Unis de nouvelles conceptions quant à leur responsabilité propre dans le maintien d’une certaine stabilité du système monétaire mondial et quant à la nécessité de réduire les effets pervers – de plus en plus évidents en raison de l’ouverture croissante du pays à l’extérieur – que les déficits de la balance des paiements avaient sur l’économie interne.

En bref, l’instabilité qui a régné sur le marché des changes depuis 1973 et la dépréciation du dollar ont posé en termes nouveaux le problème de l’intervention des autorités monétaires. Néanmoins, si le principe en fut retenu lors des accords de Rambouillet de 1976, ce n’est qu’en 1978 (plan Carter) que, devant la dégradation accélérée du dollar sur le marché des changes, fut amorcé un changement sensible de la politique américaine.

Mais les interventions, effectives sous la présidence Carter, ne devaient guère survivre à la venue au pouvoir de Ronald Reagan, fidèle à une logique générale de non-intervention de l’État et de ses agences dans l’économie globale. On semblait donc revenu à la pratique des années antérieures. Toutefois, le retournement du cours du dollar en 1985 et la crainte de le voir soumis à une chute brutale (crash landing ) ont amené les États-Unis, à la suite des accords du Plaza de septembre 1985, à adopter une politique d’action concertée avec leurs principaux partenaires: le groupe des Cinq (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France et Japon) s’est engagé dans la voie d’une intervention coordonnée des banques centrales pour résister aux attaques spéculatives et permettre un atterrissage en douceur (soft landing ) du dollar. Mais c’est essentiellement à partir des accords du Louvre, en septembre 1987, que ces mêmes pays, rejoints par le Canada et l’Italie (groupe des Sept), semblent avoir adopté une stratégie commune autour d’un objectif de change, non dévoilé, du dollar et de marges de fluctuations tolérables, donnant ainsi un contenu concret aux projets de «zones cibles» proposés par Williamson dès 1985 pour donner plus de stabilité au système monétaire international.

Ce qui demeure clair, aujourd’hui, c’est que les autorités américaines ont dû prendre en compte la contrainte de change, sans doute de manière irréversible, en raison des effets pervers que les fluctuations de change peuvent avoir sur l’économie américaine. Cette obligation signifie sans doute que, si le statut international du dollar n’est pas remis en question, sa position de monopole s’est effritée avec la montée en puissance des partenaires économiques des États-Unis.

dollar [ dɔlar ] n. m.
• 1730; mot angl. amér., du bas all. daler thaler
Unité monétaire (symb. $) des États-Unis d'Amérique, divisée en 100 cents (cf. Billet vert). Payer en dollars. Par appos. La zone dollar. En composition eurodollar, narcodollars, pétrodollars.
Unité monétaire de quelques autres pays. (1853) Dollar canadien. Fam. piastre. Dollar libérien, malais.

dollar nom masculin (anglais dollar, de l'allemand thaller) Unité monétaire principale d'une trentaine de pays, et particulièrement des États-Unis (symbole $), du Canada et de l'Australie. ● dollar (expressions) nom masculin (anglais dollar, de l'allemand thaller) Dollar vert, nom de l'unité de compte agricole (U.C.A.).

dollar
n. m. Unité monétaire des États-Unis, du Canada, ainsi que de nombr. états (Australie, Taiwan, Liberia, etc.) de la zone dollar (symbole: $). V. monnaies (tableau).

⇒DOLLAR, subst. masc.
A.— Unité monétaire des États-Unis et du Canada, divisée en 100 cents. Un billet de dix, de cent dollars. Elle [la mère] reçut en même temps une petite liasse de dollars verts qu'elle enfouit dans son corsage comme un billet doux (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 274). Au grand hôtel de Grasse, un Américain a parié mille dollars contre un louis que la guerre serait finie pour Christmas (MARTIN DU G., Thib., Épil., 1940, p. 995) :
1. J'ai vu deux ou trois restaurants d'un type assez singulier dont le plus connu est Marcel : on y trouve, pour un dollar et demi une abondante table d'hôte, mais tout ce que vous laisserez dans votre assiette vous sera compté en plus, sur l'addition, à titre d'amende; ...
MORAND, New York, 1930, p. 148.
En appos. avec valeur d'adj. La zone dollar. Zone où a cours le dollar. Le principal de ces déséquilibres régionaux, celui entre la zone dollar et le reste du monde, n'a duré si longtemps que parce que les États-Unis ont décidé de le financer par des dons et des prêts à long terme (Univers écon. et soc., 1960, p. 3814).
Au sing. [En tant que symbole de la puissance financière des États-Unis] Et enfin à la section américaine, les belles madames de Sargent, Sargent le portraitiste attitré des princesses du dollar et des milliardaires marchandes de porc salé (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p. 189).
Rem. On rencontre ds la docum. le néol. dollariser, verbe trans. Américaniser, empreindre du caractère américain, de la mentalité américaine. Le caractère soupçonneux du romancier [Bourget], dollarisé par son voyage en Amérique (GONCOURT, Journal, 1896, p. 980).
B.— P. ext. Unité monétaire adoptée par différents pays. Dollar éthiopien, malaisien. Les fontes du père et de son petit escadron étaient pleines de piastres, de doublons, d'écus d'or et d'argent, des dollars chinois, des Marie-Thérèse, thalers d'Abyssinie (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 377) :
2. L'expansion du florin de Florence, depuis le XIIIe siècle, ne dépend pas d'autres causes, elle est solidaire d'une prospérité qui se fait partout reconnaître. Plus près de nous, nous citerons la diffusion du « dollar mexicain » en Extrême-Orient.
L'Hist. et ses méthodes, 1961, p. 343.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1776, 13 déc. (Courr. de l'Europe, I, p. 100 ds PROSCHWITZ Beaumarchais, p. 242 : le cent pesant ne coûte à Boston que cinq dollars). Anglo-amér. dollar, à l'orig. empr. par l'angl. au b. all. daler (1553 daler; corresp. à l'all. Taler, v. thaler) pour désigner cette monnaie des pays germ.; puis appellation du peso esp. dans les colonies d'Amérique du Nord (1650 Caroline Dollar) enfin unité monétaire adoptée par le Congrès amér. (1785 Resol. Continent. Congress U.S. 6 July ds NED : Resolved that the money unit of the United States of America be one dollar). Fréq. abs. littér. :383. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 39, b) 373; XXe s. : a) 247, b) 1 246. Bbg. PAMART (P.). La Parole est d'argent, mais le silence est d'or. Vie Lang. 1971. p. 138.

dollar [dɔlaʀ] n. m.
ÉTYM. 1730, in Höfler; mot anglo-amér.; du bas all. daler, cf. all. Thaler.
1 Unité monétaire (symb. $) des États-Unis d'Amérique, divisée en 100 cents (→ Le billet vert). || Le dollar (0,88 g d'or) a perdu 41% de son ancienne valeur en 1934 (1,5 g d'or pur en 1873). || La flambée du dollar.La monnaie des États-Unis, symbole de la puissance financière de ce pays.
1 Une nation dépendante, autant que l'est la nôtre, des oligarchies à l'intérieur et du dollar à l'extérieur, pourrait s'épargner l'étalage des crises de conscience à la tribune du Palais-Bourbon.
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 149.
En appos. || La zone dollar, où le dollar sert de monnaie d'échange.
2 Unité monétaire de quelques pays. || Dollar canadien (1853). REM. Au Québec et parmi les francophones on dit aussi piastre [pjastʀ]. — Dollar australien, libérien, malais. || Dollar de Hong-Kong, de Porto-Rico, de Singapour.
2 Après quoi il s'exclame, en cantonais : « Matériel américain ! » et il part d'un éclat de rire suraigu. Johnson, tout en lui tendant un billet de dix dollars (des dollars de Hong-Kong évidemment) […]
A. Robbe-Grillet, la Maison de rendez-vous, p. 111.
COMP. Asiadollar, eurodollar, narcodollar, pétrodollar.

Encyclopédie Universelle. 2012.