ENGAGEMENT
L’engagement peut être entendu au sens de «conduite» ou au sens d’«acte de décision», selon qu’il désigne un mode d’existence dans et par lequel l’individu est impliqué activement dans le cours du monde, s’éprouve responsable de ce qui arrive, ouvre un avenir à l’action, ou qu’il désigne un acte par lequel l’individu se lie lui-même dans son être futur, à propos soit de certaines démarches à accomplir, soit d’une forme d’activité, soit même de sa propre vie.
L’analyse de l’engagement, en l’un et en l’autre sens, porte d’abord sur les aspects les plus généraux que l’on retrouve dans toutes les formes d’engagement; à ce niveau, elle reste forcément formelle. Elle étudie ensuite les modalités particulières qui qualifient telle ou telle forme déterminée d’engagement; elle prend alors une allure concrète.
L’analyse formelle s’attache surtout à élucider deux aspects caractéristiques de l’engagement: son caractère anticipateur et le rapport qu’il établit entre l’infinité d’un pouvoir et la finitude d’un objet déterminé. Elle consistera à rattacher les propriétés de l’engagement à certaines des structures fondamentales de l’être humain, structure de la temporalité d’une part, structure de la liberté d’autre part.
La forme concrète d’engagement qui réalise de la manière la plus radicale les propriétés générales de l’engagement semble bien être celle qui engage deux êtres l’un vis-à-vis de l’autre. On se bornera ici à l’étude de cette forme éminente d’engagement.
1. Problématique de l’engagement
L’engagement comme conduite
La conduite d’engagement est un type d’attitude qui consiste à assumer activement une situation, un état de choses, une entreprise, une action en cours. Elle s’oppose aux attitudes de retrait, d’indifférence, de non-participation. Elle doit, bien entendu, se traduire par des actes, mais, en tant que conduite, elle ne s’identifie à aucun acte particulier, elle est plutôt un style d’existence, une façon de se rapporter aux événements, aux autres, à soi-même.
On peut distinguer, dans l’engagement-conduite, trois composantes particulièrement importantes: l’implication, la responsabilité, le rapport à l’avenir. Celui qui, en face d’une situation donnée, adopte une attitude d’engagement prend pour ainsi dire cette situation sur lui, se sent et se déclare concerné par elle. Il est porté par le sentiment d’être impliqué dans ce qui se passe, et le comportement qu’il adopte traduit objectivement ce sentiment et le lie de façon effective à la situation qu’il assume. On peut naturellement être pris dans une situation de façon passive, soit qu’on n’en soit pas conscient, soit qu’on se sente impuissant à la modifier, soit qu’on accepte de se laisser modeler par elle sans intervenir. Dans ce cas, l’être de la situation reste extérieur par rapport à l’être de celui qu’elle concerne. L’implication, au contraire, effectue un recouvrement de ces deux êtres: celui qui s’engage inscrit de façon active son être dans la situation et, en même temps, il l’assume dans le mouvement de sa propre existence, lui prêtant pour ainsi dire sa substance et faisant désormais dépendre son sort de ce qui adviendra du destin extérieur qu’il a pris en charge.
Or les situations qui peuvent requérir notre engagement ont toujours une signification proprement humaine; elles ne sont pas simplement des configurations naturelles, elles mettent en jeu d’autres vies. Cela signifie deux choses: d’une part, qu’une telle situation n’est jamais une sorte de point de départ absolu, qu’elle est toujours le produit d’interactions passées, qu’elle résulte de l’entrecroisement de nombreuses destinées et, d’autre part, que cette situation n’est jamais close sur le sens qu’elle manifeste dans le présent, qu’elle ouvre toujours sur d’autres sens possibles, qu’en elle se prépare un sort futur dont le contenu dépend en partie de la manière dont la situation aura été vécue par ceux qu’elle rend solidaires, peut-être à leur insu ou malgré eux. Par conséquent, l’implication signifie en réalité le recouvrement de plusieurs existences: celui qui s’engage accepte de faire passer dans son existence d’autres existences, en assumant leur passé et en se proposant de préparer avec elles leur avenir. Par là il se perd jusqu’à un certain point, il se rend dépendant d’autres volontés et d’autres destins. Mais, en même temps, il dilate son propre destin: en insérant sa vie dans une trame qui s’était déjà constituée sans lui, il apporte comme une chance nouvelle à ceux auxquels il prête son concours, et il donne à sa propre existence une ampleur qu’elle n’aurait pu avoir sans cette sorte de chiasme des destinées.
L’implication est évidemment liée à la responsabilité. Celui qui s’engage reprend à son compte un cours d’action qui s’était jusque-là déroulé sans lui et atteste qu’il se considère responsable de ce qui se passe. Par l’attitude qu’il prend, il le devient d’ailleurs effectivement et objectivement. Être responsable d’une situation ou d’une action, c’est avoir à en répondre, c’est-à-dire en apparaître comme la cause et même revendiquer cette qualité. Celui qui se porte responsable d’une initiative déclare par le fait même qu’il est prêt à s’en présenter comme le principe, comme l’origine, à s’expliquer à son sujet, à donner ses raisons, et à subir toutes les conséquences qui en découleront. Or, ce qui est remarquable dans la conduite d’engagement, c’est qu’elle porte sur un état de choses en grande partie indépendant de la volonté de l’acteur, et quant au passé et quant à l’avenir. L’acteur ne fait qu’hériter de la situation qu’il assume, et qui a été engendrée en réalité par d’autres volontés, par d’autres actions. Quoi qu’il fasse, il ne peut façonner l’avenir selon ses propres souhaits: les conséquences de ses actes lui échappent en grande partie, parce qu’ils sont absorbés dans un réseau complexe d’actions et d’interactions. Pourtant, le sens de la conduite d’engagement est bien d’affirmer une responsabilité réelle à l’égard de la situation sous toutes ses dimensions, aussi bien par conséquent à l’égard de ce qui en elle est déjà déterminé qu’à l’égard de ce qui reste indéterminé et indéterminable. Le comportement de responsabilité prête pour ainsi dire une volonté déterminée à ce qui, de soi, ne peut être attribué à aucune volonté particulière; il se fait lui-même cause de ce dont il n’est pas véritablement cause. En assumant un certain héritage, il en fait comme son œuvre propre et accepte de répondre de tout ce que cette œuvre comporte; et, en prenant en charge un certain destin, il s’en présente comme l’auteur et accepte de répondre de tout ce qui résultera des actions entreprises. C’est donc l’implication qui rend possible la responsabilité: c’est parce qu’une existence peut en assumer d’autres qu’elle peut se rendre responsable de ce qui, en rigueur de termes, ne dépend pas d’elle.
Que la conduite d’engagement soit ouverte sur l’avenir, cela appartient à son sens même. Elle comporte, sans doute, la reprise d’un certain passé mais, si elle le reprend, ce n’est pas tant en raison de ce passé lui-même qu’en raison de ce qui doit en advenir. Une situation n’est jamais figée, une existence jamais entièrement vouée aux fatalités, la signification du passé jamais déterminée entièrement par ce qui a été vécu; au contraire, elle est toujours comme en suspens, toujours tendue vers des possibilités diverses, elle se façonne, dans le présent, selon la manière dont ces possibilités s’actualisent. C’est pourquoi l’action a un sens; elle est précisément le moyen grâce auquel l’existence peut s’ouvrir à sa signification et tenter de se donner le contenu qu’elle juge le plus conforme à ses exigences profondes. L’action ne commence évidemment pas à partir de rien, elle s’appuie nécessairement sur ce qui est déjà donné, elle est partiellement liée par ce qui a déjà été fait. Mais elle a la capacité d’ouvrir toujours à nouveau la situation aux possibilités qui l’habitent, de relancer ainsi sans relâche la vie du sens, afin que puisse advenir une forme d’existence véritablement authentique. La vertu de l’engagement, c’est d’empêcher la situation de se durcir, d’enfermer l’existence dans le cercle des fatalités, c’est de ressaisir le mouvement du sens au sein même de ce qui pourrait en menacer la permanence, et de maintenir en somme l’existence ouverte sur son avenir. La conduite d’engagement est donc anticipatrice; en imprimant la marque d’une volonté dans les événements, elle restitue ceux-ci à leur signification humaine et annonce une figure encore à venir. C’est de la référence à une telle figure, qu’on pourra appeler idéal, sens ou valeur, qu’elle tire son efficacité, c’est d’elle qu’elle reçoit le dynamisme qui lui est propre.
L’engagement comme acte
L’engagement considéré comme acte, ce n’est rien d’autre que la décision en tant qu’elle concerne l’être même de celui qui décide. Toute décision affecte celui qui la prend, même si elle porte sur des choses; se décider, c’est se lier soi-même, se modifier conformément à un certain projet. Mais on ne peut parler véritablement d’engagement que lorsque l’objet même de la décision est celui qui décide, soit par une partie de lui-même, soit par tout lui-même. Dans un acte d’engagement, on se met en jeu, partiellement ou totalement. Cette mise en jeu peut se faire à propos d’un terme extérieur, mais ce n’est pas ce terme en tant que tel qui est pris comme objet. Selon les cas, l’enjeu peut être plus ou moins radical; toujours, en quelque manière, il introduit dans une vie une modification qualitative qui la concerne dans ses possibilités mêmes.
Ainsi, on peut s’engager à l’égard d’une organisation, définie par des buts fonctionnels, une armée par exemple. Un tel engagement prend l’allure d’un contrat, dont les clauses ont une portée générale, anonyme. Celui qui entre ainsi dans une organisation accepte d’en servir les buts, mais ceux-ci sont d’une nature bien déterminée; l’engagement n’a donc qu’une portée en quelque sorte instrumentale, il est relatif à un certain type d’actions assez étroitement délimité, et, de plus, il est d’une durée également limitée. Néanmoins, l’organisation n’est pas en mesure de dire d’avance dans le détail aux nouveaux membres ce qu’on leur demandera. Il y a donc une indétermination et un risque. Celui qui s’engage accepte, en un seul moment, de faire ce qui lui sera prescrit, pour autant que les règles de l’accord initial soient respectées.
Tout autre est le cas de l’engagement dans un parti politique. Ici, il n’y a pas de contrat détaillé, de règles précises fixant des droits et des obligations; l’adhésion est beaucoup plus globale. Quand on se fait membre d’un parti politique, on en ratifie les idéaux, les objectifs, la doctrine, la stratégie, on en accepte la discipline, on se dispose à contribuer de la manière la plus efficace possible à son succès. Plus la composante idéologique est forte, plus le projet du parti concerne le sens même de l’existence collective, plus l’adhésion à ce parti revêt une signification profonde. Même dans le cas de partis peu idéologiques, l’adhésion, si elle est sérieuse, prend un caractère global: lorsque c’est la forme de la vie commune qui est en cause, l’individu se trouve nécessairement concerné dans ses idéaux et ses attachements les plus décisifs.
Très proche de ce cas est celui de l’engagement à l’égard d’une valeur, de la justice par exemple. Un tel engagement ne peut évidemment être une attitude simplement intellectuelle ou simplement affective; il n’est réel que s’il se traduit par des démarches effectives, qui peuvent prendre une forme politique, mais d’autres formes aussi. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître le prix de la valeur assumée, mais de se dévouer à la cause de sa réalisation. Et pour que l’on puisse vraiment parler d’engagement, il faut que ce dévouement prenne une forme inconditionnelle, qu’il ne comporte aucune limitation fixée à l’avance ou invoquée au gré des circonstances.
On peut s’engager dans une profession. Un tel engagement unit un aspect instrumental à un aspect idéal. Celui qui décide d’entrer dans une certaine profession annonce qu’il est prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour acquérir la compétence requise, pour la pratiquer de la manière la plus efficace, et aussi qu’il souscrit aux valeurs morales qui la caractérisent. Cela est particulièrement évident dans le cas des professions qui exigent une forte mise en jeu personnelle, comme la profession médicale. Ce qu’on attend du médecin, ce n’est pas seulement qu’il fasse preuve d’un savoir-faire approprié, mais qu’il ait le souci de ses malades, qu’il leur apporte tout son dévouement, qu’il leur vienne en aide non dans une relation purement instrumentale mais dans une relation vraiment personnelle.
On peut s’engager à l’égard d’une personne. Ici l’engagement prend la forme de la promesse. Celui qui promet se lie en quelque sorte à l’avance; il répond dès maintenant de lui-même dans le futur. En promettant, il accepte implicitement qu’on lui demande des comptes plus tard sur la manière dont il aura réalisé sa promesse.
Cette idée de promesse est proche de celle de fidélité. À vrai dire, la promesse implique la fidélité; elle comporte, selon sa signification même, l’accord soutenu avec ce qu’elle affirme, la conformité du comportement avec la parole donnée. Son aspect le plus important, c’est qu’elle s’adresse à quelqu’un; l’engagement prend ici la forme d’une relation entre personnes. La gravité de la promesse, son caractère irrévocable viennent précisément de ce qu’elle vise, par-delà son contenu particulier, l’être même de celui à qui elle s’adresse. Dans les cas les plus forts d’ailleurs, la promesse devient don mutuel, et à ce moment l’objet est la relation même que l’acte de promettre implique.
L’engagement peut encore consister dans le choix d’un état de vie. Il peut du reste, dans ce cas, avoir en même temps le caractère d’une promesse. Mais alors que la promesse met essentiellement en jeu la relation à un autre, l’élection d’une forme de vie, en tant que telle, concerne avant tout la relation de celui qui décide avec lui-même. Dans une décision de ce genre, il y a comme une saisie globale de l’existence, une prise de distance à l’égard de soi qui est en même temps une détermination totale de soi. C’est un acte qui introduit dans une vie un principe radical de continuité et de cohérence, qui façonne en quelque sorte à l’avance la figure d’un destin, qui prescrit une fois pour toutes le type de cheminement auquel une vie entend se lier.
Comme l’engagement-conduite, l’engagement-acte ouvre, par sa nature même, sur l’avenir. Mais alors que l’engagement-conduite est seulement un style de comportement, indique la modalité active et responsable d’une relation aux situations et aux autres, l’engagement-acte a toute la densité d’une prise de position qui, dans un instant donné, lie effectivement un avenir. L’engagement-conduite est enveloppant mais diffus, l’engagement-acte est localisé mais précis. Dans l’un et l’autre cas cependant, il y a reprise du moi par lui-même et option quant à son avenir. Or l’avenir reste, par principe, hors d’atteinte. Comment peut-on en disposer à l’avance d’une manière réelle, autrement que par l’imagination? D’autre part, l’engagement (qu’il prenne la forme d’une conduite ou d’un acte de décision), dans la mesure où il met en jeu l’être même de celui qui s’engage, relève d’un pouvoir de soi sur soi qui ne paraît lié à aucune détermination particulière, qui transcende toute limitation. Et pourtant il n’y a d’engagement effectif que dans et par des actes précis, relatifs à des objets déterminés, et par conséquent aussi forcément limités. Comment concevoir le rapport, dans l’engagement, entre la limitation et l’illimitation? Comment un pouvoir de soi illimité peut-il se jouer effectivement sur un mode essentiellement limité?
Ces deux questions peuvent se poser à propos de n’importe quelle forme d’engagement. Pour tenter d’y répondre, il faut faire appel à certains traits qui appartiennent à la structure même de l’être humain. Il apparaîtra ainsi que l’engagement manifeste de façon particulièrement visible et directe les aspects les plus fondamentaux de l’être de l’homme.
2. Le rapport à l’avenir
Le pouvoir anticipatif de l’engagement se fonde sur la structure de la temporalité propre à l’être humain. Les choses conservent en elles les traces du passé, et, d’autre part, elles contiennent des possibilités qui annoncent d’une certaine manière leur avenir. Mais la présence en elles du passé et de l’avenir est inerte; l’état présent apparaît comme le résultat d’une évolution qui prend son point de départ dans un état antérieur, et il est lui-même à l’origine d’une évolution qui conduira à des états futurs, mais les différents états restent extérieurs les uns aux autres. C’est l’analyse systématique qui reconstitue la suite des états et explique comment ils s’enchaînent.
Dans le présent humain, au contraire, il y a une réelle action du passé et du futur, et en même temps il y a modification du passé et prédétermination du futur. C’est que la conscience n’est pas enfermée dans une position purement ponctuelle, elle ne vit pas dans l’instant; son présent enveloppe d’une certaine manière la durée tout entière, intègre en lui aussi bien ce qui est déjà révolu que ce qui n’est encore que promesse. Ainsi le passé n’est pas véritablement aboli, hors d’atteinte; il se ramasse pour ainsi dire dans le moment présent et fait retentir en lui tous les moments déjà vécus, rendant ainsi à nouveau vivantes toutes les figures que la conscience s’est déjà données. Mais, en même temps, le passé demeure comme en suspens; certes les événements vécus demeurent ce qu’ils ont été, mais leur sens n’est jamais définitivement arrêté. Il appartient à l’actualité du «maintenant» de recueillir en elle tous les moments antérieurs, de les revivre, c’est-à-dire de les ouvrir à nouveau vers leurs possibilités, de leur prêter son mouvement, de les relancer ainsi vers leur futur, qui n’est autre que son propre futur. Ainsi la réactivation du passé en modifie sans cesse le sens et lui garde la qualité de ce qui est vivant.
Corrélativement, le futur n’est pas vraiment situé dans une distance inaccessible; il contribue à façonner le présent, en le tirant hors de lui-même, en l’appelant vers les horizons où il se situe, en le pénétrant de possibilités multiples qui l’empêchent d’être seulement ce qu’il est, dans sa détermination, et l’ouvrent à un devenir plein d’imprévisibilité. Mais en même temps le futur est placé sous l’emprise du présent: c’est à partir des possibilités qui habitent le «maintenant» que se dessine la figure du futur, c’est dans ce qui est effectivement vécu que s’annonce ce qui adviendra du présent.
Fonction médiatrice du présent
Il y a donc comme une circumincession du passé et du présent, d’une part, du présent et du futur, d’autre part, et, par l’intermédiaire du présent, il y a aussi une circumincession du passé et du futur. C’est en tant que chargé de son passé que le présent ouvre les chemins de ce qui est à venir, et c’est en tant qu’appelé par le futur qu’il ne cesse de modifier le sens du passé. D’un côté, il y a reprise de ce qui a déjà été vécu, de l’autre, anticipation de ce qui ne l’a pas encore été. Mais reprise et anticipation se recouvrent dans l’unité du présent vivant, perpétuelle métamorphose de ce qui n’était pas encore en ce qui est irrémédiablement accompli.
Le passé n’est donc jamais un pur destin qu’on ne pourrait que subir. Quel qu’il ait été, il reste toujours accessible et peut toujours être resitué dans de nouvelles perspectives. Et, corrélativement, le futur n’est jamais une pure indétermination dans laquelle on s’avancerait comme dans une terra incognita. Il demeure énigmatique, certes, comporte beaucoup d’éléments imprévisibles, réserve bien des surprises, mais il est pourtant vraiment entre nos mains. On ne peut pas prévoir comment il se déroulera, mais bien fixer l’allure d’un itinéraire, choisir une orientation, et même s’assigner des objectifs précis à longue échéance. Car choisir un objectif, ce n’est pas mettre en branle un processus de type déterministe, qui relie de façon nécessaire un état initial et un état terminal; c’est tracer une sorte de chemin dans le possible, s’astreindre à mettre en œuvre certains moyens, adopter, à l’égard des circonstances que l’on rencontrera, une stratégie déterminée, se proposer un programme d’action, bref se mettre en état d’influer sur le cours des choses de telle sorte qu’il y ait quelque probabilité d’aboutir au terme fixé. Bien entendu l’acteur ne peut être certain d’atteindre son objectif; il est en grande partie dépendant de circonstances qu’il ne contrôle pas. Sa décision a cependant un sens: c’est qu’une action réfléchie, systématiquement conduite, peut effectivement infléchir le déroulement des événements, introduire des conditions nouvelles dans l’enchaînement des phénomènes, poser des prémisses qui renforcent les chances d’occurrence de l’état souhaité. D’une manière générale, l’engagement n’est pas une prévision; il doit compter avec l’incertitude, avec le jeu des volontés diverses qui agissent dans le monde humain, avec la part de hasard qui régit les événements, avec tout ce qui, en eux, échappe à notre connaissance, ou à notre contrôle, ou aux deux à la fois. Néanmoins, l’engagement a une réalité parce qu’il concerne non le cours du monde mais l’être à venir de celui qui s’engage; c’est seulement par l’intermédiaire de ce dernier qu’il peut atteindre des situations objectives, des événements déterminés. Or, entre le moi présent et le moi à venir, il n’y a pas l’extériorité qui sépare les états successifs d’un système physique, mais au contraire l’intériorité réciproque que rend possible la structure du temps vécu et plus particulièrement la dimension d’anticipation qui en fait partie.
L’unité existentielle du moi
Naturellement, la prise que nous pouvons avoir sur le futur varie avec l’éloignement temporel. Nous avons un accès plus direct, plus sûr, plus précis au futur proche qu’au futur lointain. Chacun peut faire des projets détaillés pour la semaine ou le mois à venir, il est beaucoup plus difficile d’élaborer des programmes pour une période lointaine. Mais la capacité d’engagement elle-même ne diminue pas pour autant avec la distance temporelle. Cela signifie que nos projets concrets perdent nécessairement en précision à mesure qu’ils s’appliquent à des moments du futur plus éloignés. S’il en est ainsi, c’est parce qu’un projet concret doit tenir compte de façon détaillée des circonstances extérieures, des moyens disponibles, des réactions probables des autres, de l’évolution des situations. Bref, il doit être basé sur des prévisions; or une prévision devient de plus en plus conjecturale à mesure qu’elle concerne des moments plus lointains du futur, du moins lorsqu’il s’agit de situations humaines et non de situations purement physiques comme celles dont s’occupe l’astronomie.
L’engagement peut porter non sur une période de temps limitée, mais sur un avenir indéterminé et même sur la vie entière (engagement interpersonnel, choix d’un état de vie). L’être humain est rivé au temps, il ne peut se poser dans l’existence que sous une forme morcelée, dans une succession d’états, à travers une série de figures. Mais si le temps est dispersion, il est aussi synthèse. La capacité du présent vivant de ramasser en lui le passé et le futur représente la contrepartie de la division du temps en des moments qui sont exclusifs les uns des autres. La structure du temps est faite précisément de la coexistence de ces deux aspects: l’un par lequel le temps divise le moi d’avec lui-même, l’autre par lequel le temps rassemble tous ses moments dans une unité qui soude l’être avec lui-même.
Cette structure ouvre des possibilités existentielles diverses. Elle n’impose pas à l’être humain une forme déterminée et invariable, comme une structure géométrique. Elle l’appelle à l’assumer activement, à prendre position à son égard. Cette prise de position pourra se situer entre deux extrêmes: d’une part, la modalité existentielle de la dispersion, qui est comme un relâchement de l’être, et, d’autre part, la modalité existentielle de l’unification, qui est comme une concentration de l’être sur lui-même. La première modalité se manifeste par un comportement de passivité, qui s’abandonne aux circonstances, se laisse façonner par l’événement, se vit sur un mode qui est proche de celui des choses. La seconde modalité se manifeste par un comportement actif, responsable, qui tend à imprimer sa marque aux événements, à modeler le cours des choses et à se façonner lui-même à partir de ses propres initiatives. L’engagement est évidemment du côté de la modalité unificatrice. En assumant son être futur, le moi qui se décide convoque dans l’instant de la décision tout ce qu’il est déjà devenu, toutes les puissances dont il dispose, et place d’avance sous l’empire de sa décision ce qu’il deviendra, les possibilités qu’il est encore appelé à se créer. C’est bien l’acte de la décision qui fait l’unité du moi et assure le recouvrement de la reprise et de l’anticipation dans une synthèse qui arrache le moi à sa dispersion. Lorsque la décision engage une vie entière, elle unifie le moi d’une manière totale, elle fait appel en lui à ses ressources les plus profondes, elle l’ouvre à ses possibilités les plus extrêmes. Dans un tel acte, le moi surplombe son propre devenir, et il saisit sa vie jusque dans son terme et même en un sens au-delà de ce terme. Lorsqu’une vie se ramasse dans son unité, elle inclut en elle sa propre mort; celle-ci n’est plus alors comme une réalité étrangère, qui limite la vie de l’extérieur, mais elle apparaît comme un moment de la vie même, comme l’instant où celle-ci se recueille en elle-même et s’accomplit. En s’unifiant, le moi saisit la mort comme le chiffre de son unité, et par là il la dépasse; en rassemblant toute sa durée dans l’instant de la décision, il atteint ce qui, dans le temps, transcende le temps. L’instant de la totalisation est contact avec l’éternité.
3. La limite et l’illimité
Comment comprendre d’autre part que l’engagement, tout en mobilisant la totalité de l’être, ne soit effectif que dans la mesure où il porte sur un objet précis et limité? Ici se manifeste une structure qui caractérise la volonté humaine et que l’on pourrait décrire en distinguant la volonté comme pouvoir et la volonté comme effectivité. En tant que pouvoir, la volonté n’est liée par aucune détermination particulière, ni ordonnée à aucun objet privilégié. Au contraire, elle a la capacité de se porter sur n’importe quel objet, de s’appliquer à tous les contenus possibles. C’est qu’elle est, de soi, ouverte sur l’infini, sur le non-limité; c’est ce qui lui donne de pouvoir dépasser toute limitation, de n’être jamais liée de façon définitive. À vrai dire, elle ne se lie jamais qu’à elle-même; le véritable objet de la volonté libre, c’est son propre accomplissement, la saturation du désir infini qui la constitue. Par essence, elle se rapporte à un horizon situé au-delà de tout objet particulier; à travers tous les contenus auxquels elle s’attache, c’est toujours cet horizon qu’elle vise, et elle ne peut du reste vouloir le particulier que dans la mesure où elle le saisit comme médiation de son propre destin, où se réfracte en lui la vertu de l’infini qui la sollicite. Aussi ne peut-elle recevoir de l’extérieur, de la réalité finie, des choses ou des autres, la loi de son action. Elle est caractérisée par l’autonomie, ce qui signifie qu’elle se donne à elle-même sa propre loi. L’essence de la liberté, c’est précisément d’être indépendante à l’égard des conditionnements, de toutes les formes de nécessité, des lois qui régissent le monde et l’histoire, et de ne devoir qu’à elle-même les déterminations qu’elle se donne, d’être un centre d’initiative absolu, de poser par elle-même le point de départ d’un processus dont les différents termes s’enchaîneront selon les lois de la nature, mais dont le terme initial est lui-même un inconditionné.
Cependant, la volonté ne peut se porter d’emblée vers son horizon, ni s’établir directement dans l’infini. Elle ne devient effective, son acte n’est réel que lorsqu’elle veut quelque chose de déterminé, c’est-à-dire lorsqu’elle porte sur un comportement précis, une situation concrète, un être localisable, bref sur un objet particulier et par conséquent limité. L’action humaine est soumise au régime de la finitude ; elle n’est action que dans la mesure où elle s’inscrit dans les conditions du monde, dans l’espace et dans le temps, dans la trame des événements réels, dans le contexte des processus naturels, dans le réseau des interactions dont le dessin complexe constitue l’histoire. La volonté n’est pas un pouvoir purement spirituel, qui se rendrait efficace par un pur «fait» intérieur. Elle est liée à des conditions précises d’incarnation. Par le corps, elle est solidaire du monde des corps, de ses lois, de son devenir. Mais le corps qu’elle habite n’est pas un simple système physique, c’est une puissance d’expression; en tant que telle, il assure la médiation entre l’intention voulante et la réalité du monde, entre l’élan intérieur et l’effectivité d’une conduite. En définitive, c’est toujours par des paroles ou par des gestes que nous agissons, que nous modifions quelque chose au cours du monde, que nous atteignons autrui. C’est donc bien dans l’expression sensible, telle que le corps la promeut, que la volonté trouve son champ de réalisation. Mais on ne peut tout exprimer d’un seul coup; on ne peut tout vouloir à la fois, sous peine de ne rien vouloir.
Ainsi notre condition nous impose de ne pouvoir nous acheminer vers notre véritable destination qu’à travers les innombrables détours d’une existence enfermée dans le contingent, impliquée dans toutes les interactions qui font le devenir du monde, de n’aller vers l’infini qu’à travers le fini, de n’atteindre l’illimité que par l’intermédiaire de la limite. Mais la solidarité entre l’infini et le fini joue dans les deux sens. Il y a une action de l’infini sur le fini: c’est dans la mesure où le fini peut apparaître à la volonté comme une étape dans sa marche vers l’infini, dans la mesure où elle peut lire en lui la sollicitation de l’infini, qu’elle peut effectivement le vouloir. Mais, d’autre part, il y a une action du fini sur l’infini: c’est dans la mesure où la volonté s’enfonce dans l’épaisseur du concret qu’elle peut sortir de l’indétermination pure et s’avancer vers sa destination. Ainsi, c’est à la présence en lui de l’infini que le fini doit de pouvoir devenir terme de l’action volontaire. Et c’est à la médiation du fini que l’infini doit de pouvoir mobiliser réellement la volonté. L’être humain, en se liant, se donne une figure particulière. C’est par l’intermédiaire des figures dans lesquelles il joue ainsi son destin qu’il va vraiment vers sa fin, qu’il se rend capable d’accomplir sa vocation, c’est-à-dire de se rejoindre dans l’exigence infinie qui le définit et qui ne cesse de le porter en avant.
4. L’engagement intersubjectif
Les caractéristiques structurales qui viennent d’être décrites se retrouvent dans toutes les formes d’engagement. Une analyse plus détaillée devrait s’attacher à montrer ce qu’il y a de propre à chaque espèce d’engagement. On se bornera à évoquer ce qu’il faut considérer comme la forme d’engagement la plus décisive: celle de l’engagement interpersonnel en tant qu’il porte sur un état de vie. Ce type d’engagement conjugue deux démarches particulièrement significatives: la promesse et la mise en jeu de la totalité d’une existence. La promesse, ici, ne porte pas sur tel ou tel contenu limité, sur tel ou tel acte à accomplir à un moment déterminé, elle porte sur un statut d’existence et par là sur l’existence même, elle inaugure un partage qui concerne non des choses mais le mouvement de la vie. Aussi est-elle marquée par la réciprocité, concept qui va servir de fil conducteur dans l’analyse.
Pour que l’engagement soit vraiment interpersonnel, il faut qu’il unisse deux promesses: si A s’engage vis-à-vis de B, de son côté B s’engage vis-à-vis de A. Mais comment la réciprocité est-elle possible? Le sens de la démarche de A, c’est de prêter en quelque sorte sa propre vie à B et en même temps d’assumer la vie de B. C’est donc d’assumer dans son destin, sous sa responsabilité, le destin de B, et d’accepter que son propre destin passe désormais par celui de B, de s’en remettre en quelque sorte entièrement à B. Il y a dans cet engagement un aspect actif et un aspect passif: d’une part, un souci de l’autre qui va jusqu’au cœur même de son existence, jusqu’à ce mouvement secret de l’être qui constitue une vocation, et, d’autre part, une confiance inconditionnelle, qui remet sous la protection de l’autre ce qu’il y a de plus profond dans une vie, ce qui constitue son enjeu le plus radical.
Mais l’opération de A vis-à-vis de B est contemporaine d’une opération symétrique de B vis-à-vis de A. De telle sorte que lorsque A assume en lui la vie de B, il prend sur lui l’opération même par laquelle B l’assume lui-même et en même temps se confie à lui. Et lorsqu’il se confie à B, il ratifie l’opération par laquelle B l’assume et se confie à lui. Et réciproquement. Ce qui rend possible la réciprocité, c’est la dualité, au sein de l’engagement, d’un aspect actif et d’un aspect passif dans l’unité d’un même acte: c’est parce que chacun est passif dans son opération même qu’il peut se laisser absorber dans l’opération de l’autre, et c’est par là que la réciprocité s’établit. Ainsi, en définitive, A ne s’assume lui-même que par l’acte d’assomption et de consentement dans lequel il reprend l’opération de B sur lui, et symétriquement B ne s’assume lui-même que dans la mesure où il reprend en lui l’opération de A sur lui. Chaque vie, ainsi, accepte d’être médiatisée par l’autre, chacun se reçoit de l’autre, la présence à soi qui caractérise la conscience passe désormais par la présence de l’autre à lui-même, et ainsi deux vies se recouvrent dans l’unité d’un même mouvement qui est un don réciproque et en même temps une création commune. Par la vertu de l’engagement, chacun vit sa propre vocation à travers celle de l’autre, prête à celle-ci son propre élan et reçoit d’elle la force qui lui permet de se réaliser.
Mais l’engagement mutuel n’est pas uniquement affaire de volonté. Il met en jeu l’affectivité, et s’enracine ainsi dans les profondeurs de la vie; c’est par là, du reste, qu’il peut devenir effectivement ce qu’il est, mise en branle de l’existence dans sa totalité. L’affectivité donne à l’engagement ses assises; elle ouvre les êtres l’un à l’autre, par une sorte de phénomène de résonance, les accorde à l’avance dans une corrélation qui est à la fois reconnaissance et pressentiment d’un accomplissement toujours à venir. Elle révèle une affinité qui est une donnée latente et qui doit, pour être actualisée, être accueillie, ratifiée dans une attitude de réceptivité. C’est le moment passif de la relation affective, où il y a comme la reconnaissance d’un destin scellé depuis toujours, d’une sorte de nécessité sous-jacente aux aspects fortuits d’une rencontre. Mais, par ailleurs, la relation affective crée un espace où s’annonce un avenir infini, qui est le champ de réalisation d’une invincible espérance. Passant au-delà des apparences, des qualités extérieures, elle trouve d’emblée le chemin du cœur, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus central dans la personne, de ce qui porte la vie même dans son mouvement le plus profond. Elle vise l’autre dans son destin le plus secret, dans son mystère, dans sa vocation.
Mais elle demande à être ratifiée, assumée et comme consacrée par un acte qui doit venir de ce centre même de la personne auquel elle donne accès; il faut que la dynamique de l’affectivité soit reprise et prolongée par la dynamique de la volonté, que ce qui s’était préparé dans l’implicite, dans l’épaisseur du vécu, soit recueilli dans une parole qui scelle pour toujours un destin commun. Il faut la décision de l’engagement pour que la relation affective prenne toute sa signification, qu’elle s’inscrive dans une totalité, qu’elle soit pour ainsi dire sauvée de ce qu’elle pouvait comporter de précaire, de contingent, de révocable, et qu’elle soit comme revêtue d’un sens absolu, qu’elle devienne capable de transcender la durée, l’émiettement du temps, les particularités liées à des existences singulières, pour se charger d’un poids d’éternité. Mais, réciproquement, il faut la vertu de l’accord affectif, son énergie propre, la force des liens qu’il établit, pour que l’engagement interpersonnel soit vraiment fondé, pleinement concret, réellement inséré dans le contenu effectif des existences qu’il unit. La volonté libre n’est pas une puissance abstraite, opérant dans l’idéalité des projets rationnels et des valeurs pures. Soudée au corps, elle est puissance de reprise en même temps que d’initiative. La relation affective reste en elle-même incomplète, elle s’offre à être reprise dans l’opération propre du vouloir. Mais corrélativement, il est de l’essence du vouloir de ressaisir dans son ordre propre et d’articuler dans la clarté d’une décision – et de la parole qui l’exprime – ce qui s’était préparé dans le secret du cheminement affectif.
5. L’engagement comme acte fondateur
L’engagement ne doit pas être envisagé seulement du côté de la volonté qui en est la source, mais aussi du côté de ses effets. Il apparaît alors non seulement comme ouverture d’un avenir, mais aussi comme instauration d’une forme de vie. Cela est vrai de tous les modes d’engagement, mais plus particulièrement de l’engagement interpersonnel, comme on peut le voir en réfléchissant au statut de la famille. S’il est vrai que l’être humain ne peut vivre sa destinée que dans la contingence d’une incarnation, il ne peut se trouver lui-même qu’à partir d’une insertion précise dans l’espace et dans le temps. Cette insertion, c’est son enracinement, et c’est en tant qu’être corporel qu’il peut être enraciné. Or c’est d’abord dans et par la famille qu’il reçoit la capacité de se situer. La famille est le lieu de la naissance; en venant à la vie, l’enfant humain assume un héritage, il est inscrit dans une lignée, il est rattaché à une durée dont les origines, comme on dit, «se perdent dans la nuit des temps», et dont l’avenir a de quoi se prolonger au-delà de toute limite assignable. La famille est aussi le lieu de la mort, ce qu’expriment fort bien les rites funéraires, qui sont de toutes les civilisations. Par ces rites, elle recueille le mort dans sa propre durée, le restitue à la vie de la lignée, et, renouant avec sa naissance, lui assure ainsi sa place dans un temps concret et dans un lieu déterminé (marqué par la sépulture).
Mais l’enracinement spatio-temporel n’est lui-même que la figure extérieure, visible, du véritable enracinement, qui est d’ordre affectif, et qui suppose les relations personnelles, le dévouement, la fidélité, l’attachement, la réciprocité, la force tutélaire, libératrice et annonciatrice de la présence. Or, comme on l’a vu, c’est l’opération de la volonté qui donne à l’affectivité sa totale envergure, lui permet de libérer ses puissances, lui donne d’être réellement féconde, d’être créatrice des personnes. On retrouve ici la vertu de l’engagement. C’est l’acte de la volonté libre qui fait vraiment exister, en tant qu’espace stable, l’espace affectif dans et par lequel l’individu trouve son enracinement, qui l’entoure de sa protection et lui communique l’énergie grâce à laquelle il peut déployer sa vie de façon autonome. Par là, l’engagement est fondateur, au sens le plus fort: par-delà même les liens qu’il établit entre ceux qu’il conjoint, il assure la permanence d’un courant de vie et il fait exister un milieu créateur dans lequel d’autres vies trouvent à la fois leur espace de sustentation et la source à partir de laquelle elles peuvent s’édifier elles-mêmes, aller à leur tour, par les voies qui sont les leurs, vers leur propre vocation.
engagement [ ɑ̃gaʒmɑ̃ ] n. m.
• 1183; de engager
1 ♦ Dr. Action de mettre en gage. Reconnaissance d'engagement délivrée par le crédit municipal.
2 ♦ Action de se lier par une promesse ou une convention. Un engagement moral, formel. ⇒ alliance, contrat, pacte, serment, traité. « Cet engagement passé entre nous deux, nous l'avons tenu » (Bourget). ⇒ parole. Respecter, tenir ses engagements envers qqn. « manquer [...] à tant d'engagements profonds pris avec lui-même » (Hugo). Spécialt, vx Promesse de fidélité en amour, liaison ou union qui en résulte.
♢ Dr. Obligation. Sans engagement de votre part.
3 ♦ (XVIIIe) Recrutement par accord entre l'administration militaire et un individu qui n'est pas soumis à l'obligation du service actif. Prime d'engagement. Engagement par devancement d'appel, engagement volontaire (⇒ engagé) .
♢ Par anal. Contrat par lequel certaines personnes louent leurs services. ⇒ embauche. Engagement à l'essai. Lettre d'engagement (cf. Contrat de travail). Signer un engagement avec une société. « Un engagement pour nous deux dans un théâtre de la banlieue » (A. Daudet). Acteur, coureur professionnel qui se trouve sans engagement.
4 ♦ (XVIIe) État d'une chose engagée dans une autre. Engagement d'un convoi dans un défilé. — Méd. Descente de la tête du fœtus dans l'excavation pelvienne.
5 ♦ Action d'engager, de commencer (une action). L'engagement de négociations entre deux pays. ⇒ ouverture.
6 ♦ Introduction d'une unité dans la bataille; combat localisé et de courte durée. Blessé au cours d'un engagement de patrouilles.
8 ♦ Engagement de dépenses : décision d'engager des dépenses.
9 ♦ (1858) Inscription sur la liste des concurrents qui doivent participer à une épreuve sportive. Les engagements seront reçus jusqu'à telle date.
10 ♦ (1945) Acte ou attitude de l'intellectuel, de l'artiste qui, prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée ou son art au service d'une cause. L'engagement politique d'un écrivain. « l'engagement ne doit, en aucun cas, faire oublier la littérature » (Sartre).
⊗ CONTR. Dégagement, reniement; renvoi; désengagement. Non-engagement.
● engagement nom masculin Acte par lequel on s'engage à accomplir quelque chose ; promesse, convention ou contrat par lesquels on se lie : Contracter un engagement. Faire honneur à ses engagements. Action d'engager quelqu'un, de l'employer, de louer ses services ; embauchage. Action de faire entrer quelque chose, un groupe dans un espace étroit : L'engagement d'une troupe dans un défilé. Introduction d'une troupe dans une bataille : L'engagement des réserves. Combat de courte durée et localisé : On signale quelques engagements à la frontière. Fait de prendre parti sur les problèmes politiques ou sociaux par son action et ses discours : L'engagement d'un intellectuel. Action de mettre un objet en gage ; récépissé d'un objet mis en gage. Comptabilité Ensemble des obligations envers des tiers. Finances Phase préalable et obligatoire à la procédure d'ordonnancement par laquelle l'Administration prévoit une dépense au budget. Histoire Acte par lequel le roi de France concédait à un engagiste des terres du domaine royal. Médecine Franchissement du plan du détroit supérieur du bassin maternel par le plus grand diamètre de la présentation fœtale. Militaire Contrat par lequel une personne déclare vouloir servir volontairement, pendant une durée déterminée, dans les armées ou les formations rattachées, en qualité d'homme du rang ou de sous-officier. Philosophie Pour les existentialistes, acte par lequel l'individu assume les valeurs qu'il a choisies et donne, grâce à ce libre choix, un sens à son existence. Sports Synonyme de coup d'envoi. Au football, action de remettre la balle en jeu après un but. Acte par lequel un concurrent notifie aux organisateurs son intention de participer à une compétition. ● engagement (expressions) nom masculin Engagement physique, fait d'entreprendre quelque chose en y mettant toutes ses forces ; action, pour un sportif, d'utiliser au maximum ses qualités et avantages naturels jusqu'aux limites permises par les règles, lors des contacts avec les adversaires. Engagement(s) financier(s), montant des devises d'un pays, détenues par des étrangers ou à l'étranger, et à la conversion desquelles, en cas de demande, doit faire face la banque centrale de ce pays. Engagement cérébral, hernie du tissu cérébral à travers divers orifices intracrâniens libres. (L'engagement cérébral est une complication redoutable de l'hypertension intracrânienne.) ● engagement (synonymes) nom masculin Acte par lequel on s'engage à accomplir quelque chose ; promesse, convention...
Synonymes :
- parole
- serment
Contraires :
- abandon
- désaveu
Action d'engager quelqu'un, de l'employer, de louer ses services ; embauchage.
Synonymes :
- embauche
Contraires :
- renvoi
Action de faire entrer quelque chose, un groupe dans un espace...
Contraires :
- dégagement
Combat de courte durée et localisé
Synonymes :
- échauffourée
Synonymes :
- Sports. coup d'envoi
engagement
n. m.
d1./d Action de mettre en gage.
d2./d Promesse, obligation. Manquer à ses engagements.
d3./d Obligation que l'on contracte de servir, de faire qqch; acte qui en fait foi. Acteur qui signe un engagement.
— Enrôlement volontaire d'un soldat. Prime d'engagement.
d4./d Attitude d'un intellectuel, d'un artiste, qui met son oeuvre au service d'une cause.
d5./d MILIT Combat de courte durée.
d6./d MED Descente de la tête du foetus dans l'excavation pelvienne, au début de l'accouchement.
d7./d SPORT Coup d'envoi d'une partie.
d8./d FIN Engagement de dépenses: décision d'engager des dépenses.
⇒ENGAGEMENT, subst. masc.
A.— [Correspond à engager I] Action de mettre en gage quelque chose; résultat de cette action. Engagement de meubles; un engagement du mont-de-piété (Ac. 1798-1932).
— JURISPR. Engagement d'immeubles. ,,Acte par lequel on cède à quelqu'un la jouissance d'un bien-fonds pour un temps. Tenir un domaine par engagement. Il n'a point la propriété, ce n'est qu'un engagement`` (Ac. 1835-1932). Synon. antichrèse.
B.— [Correspond à engager II]
1. [Correspond à engager II A]
a) Contrat oral ou écrit par lequel une personne engage les services d'une autre personne. Le désespoir où se trouvait cette actrice en se voyant sans engagement (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 497). Une charge de maçon dans un chantier sur l'engagement d'un maître d'esclaves (SAINT-EXUP., Citad., 1944, p. 874) :
• 1. ... établissement d'un contrat, verbal ou écrit, qui se passe en présence d'un ou deux jurés et de plusieurs maîtres. Le contrat indique notamment les conditions de l'engagement, savoir le prix que l'apprenti aura à payer au maître et le temps que durera son apprentissage.
FARAL, La Vie quotidienne au temps de St Louis, 1942, p. 70.
b) Contrat oral ou écrit par lequel une personne engage ses services :
• 2. ... M. de Rênal, craignant qu'on ne le lui enlevât [Julien], lui proposa de signer un engagement de deux ans.
— Non, monsieur, répondit froidement Julien, si vous vouliez me renvoyer je serais obligé de sortir. Un engagement qui me lie sans vous obliger à rien n'est point égal, je le refuse.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 33.
— Domaine milit. Contrat par lequel une personne s'engage dans l'armée. Engagement volontaire, prime d'engagement. Un rendement abondant d'engagements volontaires et de rengagements (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 85).
2. [Correspond à engager II B]
a) Action d'engager, par une promesse de fidélité, sa vie sentimentale ou religieuse; p. méton. cette promesse elle-même. Je ne pouvais contracter de nouvel engagement, parce que j'étais fiancé avec une autre femme (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 142). Ils croient encore à la fidélité, à la parole donnée, au sérieux des engagements entre un homme et une femme (MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 13).
♦ Engagement de cœur. Liaison d'amour, de galanterie (Ac. 1835-1932).
b) Action de s'engager par une promesse, une convention, une obligation en vue d'une action précise ou d'une situation donnée. Engagement irrévocable, formel, solennel, tacite; sans (aucun) engagement de votre part. Revenir sur un engagement pris, sur une parole donnée (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 102). Comment oser prendre des engagements lorsqu'on doute si l'on sera à même de les tenir (GIDE, Ainsi soit-il, 1951, p. 1203).
— P. méton. Cette obligation elle-même, souvent traduite par un contrat écrit. Clause d'un engagement. Des contrats de mariage dans lesquels un mari signait l'engagement de montrer Paris à sa femme (JOUY, Hermite, t. 1, 1811, p. 250) :
• 3. CARCASSONNE.
Des bêtises, tout ça! ... L'honneur consiste à respecter ses engagements... Voilà le vôtre, d'engagement... Je vous en prie, monsieur, article 5... Voyez, monsieur, voyez l'article 5.
MARIGNAN, lisant.
Le présent engagement ne pourra être rompu par Mademoiselle Cigale qu'en payant un dédit de...
MEILHAC, HALÉVY, La Cigale, 1877, I, 13, p. 35.
— DR. FINANCIER. Acte par lequel une personne s'engage à certaines obligations financières. Je travaille nuit et jour afin de débarrasser ma position de mes engagements littéraires après l'avoir déblayée de quelques engagements pécuniaires (BALZAC, Corresp., 1837, p. 290). Un autre engagement de cent mille francs sera très probablement signé (FLAUB., Corresp., 1877, p. 5).
♦ FIN. PUBL. Engagement des dépenses publiques. ,,Acte initial qui rend l'État débiteur`` (BARR. 1974).
C.— [Correspond à engager III]
1. Action d'engager quelque chose ou quelqu'un dans un espace généralement resserré ou dans une situation difficile; fait de s'y engager.
a) Domaine milit. Action d'engager des troupes dans une opération. L'engagement général des forces alliées serait la meilleure solution pour dégager Verdun (JOFFRE, Mém., t. 2, 1931, p. 220).
— En partic. Combat de courte durée et localisé. Synon. escarmouche. Un petit engagement entre les troupes impériales et la garde nationale (MAINE DE BIRAN, Journal, 1815, p. 51). Plusieurs centaines d'engagements infimes, de bagarres dans les ténèbres, dont chacun ignore à peu près l'autre (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 68).
b) ESCR. Action de toucher le fer de son adversaire. Ils avancent l'un vers l'autre avec une extrême circonspection. Le premier engagement des fers les fait s'enfuir tous deux, l'un à l'extrême droite, l'autre à l'extrême gauche du théâtre où ils continuent de ferrailler aveuglément contre un ennemi imaginaire (ACHARD, Voulez-vous jouer? 1924, I, 3, p. 64).
2. Au fig.
a) Participation active, par une option conforme à ses convictions profondes, à la vie sociale, politique, religieuse ou intellectuelle de son temps. Le refus de l'engagement, sous quelques formes qu'il se puisse concevoir, voilà chez Gide l'invariant (DU BOS, Journal, 1927, p. 303). Il n'est pas de spiritualité de l'engagement que ne doive équilibrer une spiritualité du dégagement (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 571). Cf. engager ex. 8.
b) Invitation (souvent pressante) à entreprendre ou à poursuivre une action. Il y a là un grand engagement de providence, auquel il faut que je ne manque plus (DUPANLOUP, Journal, 1876, p. 44).
c) Mise en train d'une action dans laquelle il y a échange, lutte, rivalité, avec l'intention d'aboutir à un résultat positif; fait, pour cette action, d'être mise en train. Dès l'engagement de l'affaire, le laquais conducteur avait pressé la marche de la charrette pour ôter à Sigognac le secours des comédiens (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 369).
— SP. D'ÉQUIPE. Action qui commence ou fait commencer une partie, un match. Synon. coup d'envoi.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1. 1183-84 dr. « action de mettre en gage, de lier par une convention, un contrat » (E. PRAROND, Hist. d'Abbeville, Abbeville avant la guerre de Cent ans, éd. A. Picard, p. 28, XXIX : Markiès d'acat ou de vente ou d'enwagement); ca 1255 id. (P. DE FONT., Conseil à un ami, éd. Marnier, XV, 25); 2. 1580 « état où l'on est lié par quelque obligation » (MONTAIGNE, Essais, livre III, chap. IX, éd. A. Thibaudet, p. 1083). B. 1. 1680 « fait d'entrer dans un espace étroit » (RICH.); 2. 1704 « fait d'engager un combat » (Trév.); 3. 1740 spéc. milit. « recrutement de l'armée » (Ac.). Dér. du rad. de engager; suff. -ment1; cf. lat. médiév. inwadiamentum « détention en gage » (1040-49 ds NIERM.). Fréq. abs. littér. :1 622. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 2 880, b) 1 563; XXe s. : a) 1 576, b) 2 659. Bbg. HOTIER (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. 1973, p. 49.
engagement [ɑ̃gaʒmɑ̃] n. m.
ÉTYM. 1183; de engager.
❖
♦ Action d'engager; résultat de cette action.
———
1 Dr. Action de mettre (qqch.) en gage. || Engagement d'effets à un usurier. || Engagement de bijoux au mont-de-piété. ⇒ Dépôt. || Reçu d'un engagement. ⇒ Reconnaissance.
2 (V. 1283). Action de lier (qqn), de se lier par une promesse ou une convention (l'engagement de qqn envers, à l'égard de qqn); cette promesse, cette convention (un engagement). || Engagement formel (⇒ Promesse, serment; contrat, convention), engagement moral, tacite. || Engagement envers soi-même. || Engagement mutuel. — Engagement religieux. ⇒ Vœu. — Accepter, contracter, prendre un engagement, l'engagement de faire qqch. || Honorer ses engagements. ⇒ Parole, signature. || Faire face, faire honneur à ses engagements. ⇒ Acquitter (s'). || Observer, remplir, respecter ses engagements. || Satisfaire à ses engagements. → Prévoyance, cit. 3. || Fidèle aux engagements pris. || Un engagement antérieur le tient, le lie, l'empêche d'agir (⇒ Empêchement). || Un engagement accepté doit être tenu (→ Quand le vin est tiré, il faut le boire). || Être lié par ses engagements (→ Chaîne, cit. 7). || Sortir, délier quelqu'un d'un engagement. || Manquer à ses engagements; rompre, violer un engagement. ⇒ Dédire (se), reprendre (sa parole). — Dr. Action d'engager, de s'engager par un acte. ⇒ Obligation; 2. aval, bail (cit. 7), billet, dette, reconnaissance, souscription. || Engagement solidaire. || Cause d'un engagement, d'une obligation. ⇒ Cause (cit. 42). || Garantie d'un engagement. ⇒ Antichrèse, assurance, caution, gage, garantie, hypothèque, nantissement. || Il n'a pu tenir ses engagements envers ses créanciers. ⇒ Banqueroute, faillite. || Exécution d'un engagement. ⇒ Échéance. || Contraindre un débiteur à remplir ses engagements. → Contrainte, cit. 10.
1 Bien que j'aie toujours très bien opéré, l'accumulation des stocks d'une part, la mévente d'autre part, me mettent dans l'impossibilité de tenir mes engagements avec autant de rigueur que je souhaiterais pouvoir le faire.
A. Maurois, Bernard Quesnay, XXIV, p. 156.
2 Au reste, quand ce devoir de tenir ses engagements ne serait pas affermi dans l'esprit de l'enfant par le poids de son utilité, bientôt le sentiment intérieur, commençant à poindre, le lui imposerait comme une loi de la conscience, comme un principe inné qui n'attend pour se développer que les connaissances auxquelles il s'applique.
Rousseau, Émile, II.
3 (…) je lui offris la main pour sceller l'engagement : elle y mit la sienne en répétant mes derniers mots.
Sainte-Beuve, Volupté, XIV, p. 131.
4 (…) manquer (…) à tant d'engagements profonds pris avec lui-même (…)
Hugo, les Misérables, III, VIII, XX.
5 Cet engagement, passé entre nous deux, nous l'avons tenu.
Paul Bourget, Un divorce, VI, p. 215.
6 La première communion est tardive dans notre religion, parce que nous voulons que l'enfant ait conscience de ses actes et de ses engagements.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 468.
♦ Dr. publ. || Engagement de dépenses publiques : acte qui rend l'État débiteur. || L'engagement est le point de départ de toute dépense publique, qui se développe ensuite par la liquidation, l'ordonnance et le paiement (Capitant, Vocabulaire juridique).
♦ Dr. internat. || Engagement diplomatique. ⇒ Protocole, traite. || Union par engagement mutuel. ⇒ Alliance.
3 État où l'on est engagé (→ Embarquer, cit. 5). Spécialt. || Engagement de cœur. ⇒ Affaire (de cœur), liaison; mariage.
7 (…) cet engagement mutuel de leur foi (…)
Molière, le Dépit amoureux, I, 4.
8 (…) l'engagement ne compatit point avec mon humeur. J'aime la liberté en amour (…)
Molière, Dom Juan, III, 5.
9 (…) un engagement qui doit durer jusqu'à la mort ne se doit jamais faire qu'avec de grandes précautions.
Molière, l'Avare, I, 5.
10 L'amitié elle-même, ce sentiment grave, qui ne semble pas poétique, qui a inspiré très peu de belles pages, que Montaigne seul chez nous a exprimé avec une profondeur émouvante, La Fontaine lui donne tout le charme que d'autres savent donner à de plus tendres engagements (…)
Émile Faguet, Études littéraires, XVIIe s., La Fontaine, p. 243.
♦ Vx. || Les engagements du monde. ⇒ Obligation, occupation.
4 (XVIIIe). Recrutement par accord entre l'administration militaire et un individu qui n'est pas soumis à l'obligation du service actif. || Prime d'engagement. || Engagement de deux ans. || Engagement dans l'armée de l'air, dans l'infanterie. || Engagement par devancement d'appel. || Engagement volontaire.
♦ Par anal. Contrat par lequel certaines personnes louent leurs services. || L'engagement d'un employé, d'un collaborateur. || Engagement à l'essai, pour une durée déterminée. — Spécialt. || Engagement d'un artiste (pour un spectacle, le tournage d'un film…), d'un sportif (dans un club, pour une compétition). || Acteur, coureur professionnel qui se trouve sans engagement.
———
II
1 État (d'une chose) engagée dans une autre. || L'engagement d'une roue dentée dans une crémaillère. — Méd. Descente de la tête du fœtus dans l'excavation pelvienne.
2 Introduction (d'une unité) dans la bataille; combat localisé et de courte durée. || Blessé au cours d'un engagement de patrouilles.
♦ Spécialt (escr.). Action de toucher le fer de son adversaire. || Engagement corps à corps.
♦ (1858, in Petiot). Inscription sur la liste des concurrents qui doivent participer à une épreuve sportive. || Les engagements seront reçus jusqu'à telle date.
10.1 « Est-ce qu'il a les grands engagements ? — Tous, monsieur, voyez… » On vous tend la feuille aux noms mirifiques : Prix Lupin, Derby d'Epsom, Jockey Club, Grand Prix.
P. Daninos, Un certain monsieur Blot, 1960, p. 260.
4 (V. 1945). Acte ou attitude de l'intellectuel, de l'artiste qui, prenant conscience de son appartenance à la société et au monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée ou son art au service d'une cause. ⇒ Engager (engagé).
11 (…) les clercs trahissent présentement leur fonction (…) En ne conférant de valeur à la pensée que si elle implique chez son auteur un « engagement », exactement un engagement politique et moral (…) un engagement dans la bataille du moment (…) — l'écrivain doit « s'engager dans le présent » (Sartre) —, une prise de position, dans l'actuel en tant qu'actuel (…)
Julien Benda, la Trahison des clercs, Préface de l'éd. 1946, p. 65.
12 Si tout homme est embarqué, cela ne veut point dire qu'il en ait pleine conscience (…) Je dirai qu'un écrivain est engagé (…) lorsqu'il fait passer pour lui et pour les autres l'engagement de la spontanéité immédiate au réfléchi.
Sartre, Situations II, p. 123-124 (→ Embarquer, cit. 4, Pascal).
❖
COMP. Non-engagement.
Encyclopédie Universelle. 2012.