parole [ parɔl ] n. f.
• 1080; lat. pop. °paraula, lat. ecclés. parabola « comparaison » (→ 1. parabole)
I ♦ UNE, DES PAROLES : élément(s) de langage parlé (⇒ langage) .
1 ♦ Élément simple du langage articulé. ⇒ mot; expression. Vx Mot. « Ce n'est pas une petite parole que “Monseigneur” » (Molière).
♢ Mod. (au plur. ou en emplois déterminés) Énoncé. ⇒ discours, propos. « On ne pouvait lui arracher une parole » (France). Il n'a pas dit une parole de la soirée. Voilà une bonne parole ! Paroles aimables. Ce sont ses propres paroles. Le sens de ses paroles m'échappe. Mesurer, peser ses paroles. Déluge, flot de paroles. Faire rentrer les paroles dans la gorge. C'est un moulin à paroles. — Écouter, boire les paroles de qqn. — Les dernières paroles d'un mourant.
2 ♦ LES PAROLES (opposé à écrits). PROV. Les paroles s'envolent, les écrits restent (« Verba volant, scripta manent »).
♢ (Opposé à actes) ⇒ mot. Loc. En paroles : d'une manière purement verbale. « Les effets décident mieux que les paroles » (Molière).
♢ Mots d'une formule. Prononcer les paroles magiques.
4 ♦ Plur. Texte (d'un morceau de musique vocale) (⇒ parolier). L'air et les paroles d'une chanson. Histoire sans paroles : série de dessins qui se passent de légende.
5 ♦ Pensée exprimée à haute voix, en quelques mots. ⇒ devise, mot, sentence. Parole historique, mémorable. « Nous savons que les paroles historiques ne furent jamais dites » (Cocteau).
6 ♦ Sing. Engagement, promesse sur l'honneur. ⇒ assurance, engagement, foi, serment. Donner sa parole, sa parole d'honneur. ⇒ jurer, promettre. Je vous donne ma parole que je n'y suis pour rien. Vous avez ma parole. Dégager qqn de sa parole. Tenir parole, sa parole. Rendre, retirer sa parole. ⇒ se dédire, se rétracter. — N'avoir qu'une parole : ne rien changer à ce qu'on a promis. Manquer à sa parole. — Loc. Un homme de parole, loyal, sûr. — SUR PAROLE :sans autre garantie que la parole donnée. « La plupart de ses affaires s'étaient conclues sur parole » (Balzac). Croire qqn sur parole.
♢ Interj. (Ma) parole d'honneur ! Parole ! je le jure. — Ma parole ! (exprimant l'étonnement).
II ♦ (déb. XIIe) LA PAROLE : expression verbale de la pensée.
1 ♦ Faculté de communiquer la pensée par un système de sons articulés (⇒ langage) émis par les organes de la phonation. L'apprentissage de la parole. Perdre la parole. Troubles de la parole (soignés par l'orthophonie). ⇒ logopathie; aphasie, bégaiement, dyslogie. Recouvrer l'usage de la parole. Les organes de la parole. — Loc. Il ne lui manque que la parole, se dit d'un animal intelligent, d'un portrait ressemblant. — Inform. Reconnaissance de la parole : ensemble des techniques mises en œuvre pour permettre à un ordinateur de reconnaître les mots énoncés par un utilisateur. Synthèse de la parole.
2 ♦ Exercice de cette faculté. ⇒ langage (parlé), verbe. Encourager qqn de la parole et du geste. ⇒ voix. — Avoir la parole facile : être disert, éloquent. ⇒ verve. PROV. La parole est d'argent et le silence est d'or. — Langage parlé ou écrit. « La littérature a pour substance et pour agent la parole » (Valéry).
3 ♦ Le fait de parler. Adresser la parole à qqn, lui parler. Couper la parole à qqn. ⇒ interrompre.
♢ Spécialt Droit de parler dans une assemblée délibérante. Demander, obtenir la parole. Accorder, passer, refuser la parole à qqn. Vous avez la parole : vous pouvez parler. La parole est à la défense. Temps de parole. Prendre la parole dans un débat. ⇒ intervenir.
♢ Jeu Parole ! je passe.
4 ♦ (Relig. révélées) ⇒ logos, verbe; et aussi écriture. La parole de Dieu, la bonne parole. Plaisant Prêcher, porter la bonne parole. — C'est parole d'évangile.
⊗ CONTR. 1. Action. 1. Écrit. Silence.
● parole nom féminin (latin populaire paraula, du latin ecclésiastique parabola) Faculté de s'exprimer par le langage articulé : Il ne manque à ce chien que la parole. Capacité à parler et, en particulier, à bien parler : Avoir la parole facile. Droit, possibilité, fait de parler, en particulier dans une réunion : Demander la parole. Temps de parole. Mot prononcé, phrase exprimant une pensée, un sentiment : Des paroles de paix. Chose dite par quelqu'un et à laquelle on attribue une grande valeur : La parole du père. Assurance, engagement, promesse verbale (dans des expressions) : J'ai votre parole. Je vous donne ma parole (d'honneur) que je n'y suis pour rien. Linguistique Usage concret de la langue par les locuteurs, celle-ci étant conçue comme un système abstrait. ● parole (citations) nom féminin (latin populaire paraula, du latin ecclésiastique parabola) Henri Frédéric Amiel Genève 1821-Genève 1881 [La France] a toujours cru qu'une chose dite était une chose faite. Journal intime, 23 mai 1873 Anonyme Il est bien fou celui qui prête son attention à parole de femme. […] Foux est qui met s'entente en fame n'en riens qu'ele die. Roman de Renart Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 […] Fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l'Univers. Alcools, Poème lu au mariage d'André Salmon Gallimard Louis Aragon Paris 1897-Paris 1982 La parole n'a pas été donnée à l'homme : il l'a prise. Le Libertinage Gallimard Marcel Aymé Joigny 1902-Paris 1967 La parole arrive à faner l'espérance. Le Chemin des écoliers Gallimard Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 La parole ne représente parfois qu'une manière, plus adroite que le silence, de se taire. La Force de l'âge Gallimard Louis, vicomte de Bonald château du Monna, près de Millau, 1754-château du Monna, près de Millau, 1840 Académie française, 1816 La parole est dans le commerce des pensées ce que l'argent est dans le commerce des marchandises, expression réelle des valeurs, parce qu'elle est valeur elle-même. Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 Il est des paroles qui ne devraient servir qu'une fois. Mémoires d'outre-tombe Chrétien de Troyes vers 1135-vers 1183 Il y a plus de paroles en un plein pot de vin qu'en un muid de cervoise. Plus a paroles an plain pot De vin qu'an un mui de cervoise. Yvain ou le Chevalier au Lion Chrétien de Troyes vers 1135-vers 1183 Trop de paroles, péché certain. Qui trop parole, il se mesfait. Perceval ou le Conte du Graal (traduction L. Foulet) Fernand Crommelynck Paris 1886-Saint-Germain-en-Laye 1970 Toute parole que tu libères enchaîne. Une femme qui a le cœur trop petit Le Seuil Pierre Daninos Paris 1913 En France, où l'on brille par la parole, un homme qui se tait, socialement se tue. En Angleterre, où l'art de la conversation consiste à savoir se taire, un homme brille par son côté terne. Les Carnets du major W. Marmaduke Thompson Hachette René Daumal Boulzicourt, Ardennes, 1908-Paris 1944 La nuit de vérité nous coupe la parole. Le Contre-ciel Gallimard Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 La parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments. Madame Bovary Gustave Flaubert Rouen 1821-Croisset, près de Rouen, 1880 Académie française, 1880 La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. Madame Bovary Maurice Garçon Lille 1889-Paris 1967 Parmi les arts, celui de la parole est le plus décevant de tous. Tableau de l'éloquence judiciaire Corrêa Charles de Gaulle Lille 1890-Colombey-les-Deux-Églises 1970 L'action met les ardeurs en œuvre. Mais c'est la parole qui les suscite. Mémoires de guerre, l'Unité Plon Jean Giraudoux Bellac 1882-Paris 1944 La cour est un lieu sacré où l'homme doit tenir sous son contrôle les deux traîtres dont il ne peut se défaire : sa parole et son visage. Ondine, II, 9, le chambellan Grasset Gustave Le Bon Nogent-le-Rotrou 1841-Paris 1931 Chez beaucoup d'hommes, la parole précède la pensée. Ils savent seulement ce qu'ils pensent après avoir entendu ce qu'ils disent. Aphorismes du temps présent Flammarion Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 La parole a été donnée à l'homme pour expliquer ses pensées, et tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées. Le Mariage forcé, 6, Pancrace Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Essais, I, 9 Jean Prévost Saint-Pierre-lès-Nemours 1901-près de Sassenage, Vercors, 1944 Il n'y a rien de si utile que d'envelopper les gens de paroles inutiles. Les Caractères Albin Michel Pierre de Ronsard château de la Possonnière, Couture-sur-Loir, 1524-prieuré de Saint-Cosme-en-l'Isle, près de Tours, 1585 La parole, Ronsard, est la seule magie, L'Âme par la parole est conduite et régie, […] Car toujours la parole est maîtresse du cœur. Élégies, XXI Charles Augustin Sainte-Beuve Boulogne-sur-Mer 1804-Paris 1869 Ceux qui ont le don de la parole et qui sont orateurs ont en main un grand instrument de charlatanisme : heureux s'ils n'en abusent pas. Causeries du lundi Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Paris 1626-Grignan 1696 Comme on ne connaît d'abord les hommes que par les paroles, il faut les croire jusqu'à ce que les actions les détruisent. Correspondance, au comte de Grignan, 28 novembre 1670 Henri Beyle, dit Stendhal Grenoble 1783-Paris 1842 Elle lui dit un autre jour qu'elle gagerait qu'il avait deviné tout seul ce grand principe : que la parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée. Armance Commentaire Le mot passe pour être de Talleyrand, qui aurait employé le verbe « déguiser » au lieu de « cacher ». Charles Maurice de Talleyrand-Périgord Paris 1754-Paris 1838 La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices et n'emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées. Dialogue, le Chapon et la Poularde (1763) Commentaire Cette boutade se rencontre déjà en Angleterre, dans Robert South ou dans Edward Young (1683-1765), le poète des Nuits. En France, on l'attribue le plus souvent à Talleyrand. François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Les paroles sont aux pensées ce que l'or est aux diamants ; il est nécessaire pour les mettre en œuvre, mais il en faut peu. Le Sottisier Horace, en latin Quintus Horatius Flaccus Venusia, Apulie, 65-Rome ? 8 avant J.-C. Une parole une fois lancée ne peut revenir. Nescit vox missa reverti. Art poétique, 390 Démosthène Athènes 384-Calaurie 322 avant J.-C. Je crois d'un bon citoyen de préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent. Olynthiennes, III, 21 (traduction P. A. Plougoulm) Ésope VIIe-VIe s. avant J.-C. Quand on a besoin des bras, les secours en paroles ne servent de rien. Fables, 1161, la Vipère et l'Hydre Isocrate Athènes 436-Athènes 338 avant J.-C. Nous faisons de la parole précise le témoignage le plus sûr de la pensée juste. Sur l'échange, 255 (traduction G. Mathieu) Bible Rappelle-toi de quel cœur tu accueillis la parole ; garde-la et repens-toi. Car si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur sans que tu saches à quelle heure je te surprendrai. Apocalypse de saint Jean, III, 3 Bible Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Évangile selon saint Matthieu, XXIV, 35 Bible L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Évangile selon saint Matthieu, IV, 3-4 Coran Une bonne parole est comme un bon arbre dont la racine est solide et dont les branches vont jusqu'au ciel. Il donne ses fruits en chaque saison. Coran, XIV, 29-30 Coran La parole mauvaise est comme un arbre mauvais ; elle est à fleur de terre et n'a point de stabilité. Coran, XIV, 31 Gabriele D'Annunzio Pescara 1863-Gardone Riviera 1938 Ô Poète, divine est la Parole ; en la pure Beauté le ciel mit toute notre joie ; et le Vers est tout. O Poeta, divina è la Parola ; nella pura Bellezza il ciel ripose ogni nostra letizia ; e il Verso è tutto. L'Isotteo, Epodo, IV Mary Ann Evans, dite George Eliot Chilvers Coton, Warwickshire, 1819-Londres 1880 Examinez bien vos paroles et vous trouverez que, lors même que vous n'avez aucun motif d'être faux, il est très difficile de dire l'exacte vérité. Examine your words well, and you will find that even when you have no motive to be false, it is a very hard thing to say exact truth. Adam Bede, II, 17 Laozi ou Lao-tseu VIe-Ve s. avant J.-C. Parole parée n'est pas sincère. Tao-tö-king, LXXXI George Meredith Portsmouth 1828-Box Hill 1909 La parole est la menue monnaie du silence. Speech is the small change of silence. L'Épreuve de Richard Feverel Arthur Schopenhauer Dantzig 1788-Francfort-sur-le-Main 1860 En face d'une œuvre d'art, il importe de se taire comme en présence d'un prince : attendre de savoir s'il faut parler et ce qu'il faut dire, et ne jamais prendre la parole le premier. Faute de quoi, on risquerait fort de n'entendre que sa propre voix. Vor ein Bild hat jeder sich hinzustellen wie vor einen Fürsten, abwartend ob und was es zu ihm sprechen werde ; und, wie jenen, auch dieses nicht selbst anzureden : denn da würde er nur sich selbst vernehmen. Le Monde comme volonté et représentation Robert South 1634-1716 La parole a été donnée au commun des mortels pour communiquer leurs pensées, mais aux sages pour la déguiser. Speech was given to the ordinary sort of men whereby to communicate their mind ; but to wise men, whereby to conceal it. Sermon, 30 avril 1676 Tchouang Tseu mort en 315 avant J.-C. Le meilleur usage que l'on puisse faire de la parole est de se taire. ● parole (expressions) nom féminin (latin populaire paraula, du latin ecclésiastique parabola) De belles paroles, des promesses illusoires. Être (homme) de parole, tenir ses promesses, ses engagements. Ma parole !, exprime l'étonnement, l'indignation et atteste la vérité de ce qu'on dit. N'avoir qu'une parole, ne pas revenir sur ce qu'on a dit ou promis. Porter, prêcher la bonne parole, prêcher l'Évangile ; endoctriner quelqu'un, un groupe. Prise de parole, action de commencer à parler, à exposer ses opinions. Reprendre, dégager sa parole, se dédire, se rétracter. Sur parole, sans autre garantie que la bonne foi de celui qui donne sa parole. Temps de parole, temps global déterminé, imparti à quelqu'un ou à un groupe pour une intervention orale. Tenir (sa) parole, respecter ses engagements, ses promesses. Reconnaissance de la parole, transformation du signal de parole en symboles désignant des entités linguistiques tels que phonèmes, syllabes, mots. Synthèse de la parole, reconstruction de la forme d'onde du signal de parole à partir de données acoustiques, phonétiques ou textuelles. Avoir la parole, être le premier à faire une enchère. Passer parole, ne pas faire d'enchère. Droit de parole, droit reconnu à tout membre d'une assemblée parlementaire et aux représentants du gouvernement qui y ont accès de demander et d'obtenir la parole sous les seules réserves prévues par le règlement intérieur. ● parole (synonymes) nom féminin (latin populaire paraula, du latin ecclésiastique parabola) Faculté de s'exprimer par le langage articulé
Synonymes :
- langage
Capacité à parler et, en particulier, à bien parler
Synonymes :
- accent
- débit
- diction
- élocution
- parler
- ton
Mot prononcé, phrase exprimant une pensée, un sentiment
Synonymes :
- mot
- terme
- vocable
Chose dite par quelqu'un et à laquelle on attribue une...
Synonymes :
- sentence
Assurance, engagement, promesse verbale (dans des expressions)
Synonymes :
- foi
- promesse
- serment
parole
n. f.
rI./r Mot ou ensemble de mots servant à exprimer la pensée.
d1./d Discours, propos. Ne pas dire une parole. Paroles amicales.
d2./d Sentence, expression remarquable et forte d'une pensée originale. Connaissez-vous cette parole de Socrate?
d3./d Assurance, promesse verbale. Donner sa parole d'honneur.
|| N'avoir qu'une parole: respecter ses engagements premiers.
|| Sur parole: sur la foi de la promesse donnée.
|| (Plur.) Promesses vagues. Assez de belles paroles!
d4./d (Plur.) Texte d'une chanson, d'un opéra (par oppos. à musique).
rII./r
d1./d Faculté de parler, d'exprimer la pensée au moyen de la voix.
— Avoir le don de la parole: parler, s'exprimer naturellement avec facilité.
d2./d LING Utilisation, mise en acte du code qu'est la langue par les sujets parlants, dans les situations concrètes de communication. Langue et parole, code et message.
d3./d RELIG CHRET La parole de Dieu: l'écriture sainte.
⇒PAROLE, subst. fém.
I. —Au sing.
A. —1. Faculté d'exprimer et de communiquer la pensée au moyen du système des sons du langage articulé émis par les organes phonateurs. Apprentissage de la parole; trouble de la parole; organe de la parole; être privé de l'usage de la parole; être doué de la parole. Dieu soumis lui-même, et plus que l'homme, aux lois générales qu'il a établies, a donné la pensée à condition de la parole, comme il a donné la vision à condition de la vue, et l'audition à condition de l'ouïe (BONALD, Législ. prim., t.1, 1802, p.48). Ils savent faire comprendre leur pensée sans l'emploi de la parole. L'attitude, le geste, la physionomie, l'expression du regard ont leur accent (BARRÈS, Cahiers, t.5, 1907, p.157). Ce fut Venant qui rompit le silence. Aussitôt les trois hommes se mirent à parler à la fois comme s'ils eussent par miracle recouvré l'usage de la parole (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p.83).
♦Perdre (l'usage de) la parole. Devenir muet, perdre la faculté de parler. Je décidai de perdre la parole et de vivre en musique (SARTRE, Mots, 1964, p.103).
♦Rester sans parole. Rester interdit, sans pouvoir parler (sous l'effet de la surprise, de l'émotion...). Tous deux restèrent sans paroles, parce qu'ils étaient dans un de ces moments solennels (...) où l'âme semble éprouver quelque chose de la félicité des cieux (HUGO, Han d'Isl., 1823, p.56). Quand tes grands yeux (...) Abaissent jusqu'à nous leurs aimables rayons, Comparables à ces fleurs d'été que nous voyons Tourner vers le soleil leur fidèle corolle, Lors je tombe en extase et reste sans parole (VERLAINE, OEuvres compl., t.1, Jadis, 1884, p.328).
— Loc. Il ne lui manque que la parole. [En parlant d'un portrait particulièrement ressemblant au point de paraître vivant, d'un animal particulièrement intelligent] (Dict.XIXe et XXes.).
2. Usage de cette faculté, expression verbale de la pensée. Convaincre qqn par la parole et par l'exemple; encourager qqn du geste et de la parole; être toujours maître de sa parole; avoir la parole nette, embarrassée; la parole et l'écriture. La communication verbale est beaucoup plus facile que la communication écrite, parce que la parole agit sur les sentiments d'une manière mystérieuse et établit facilement une union sympathique entre les personnes (SOREL, Réflex. violence, 1908, p.9). Il me persuada qu'il tirait bien. Mais il n'y parvint que par la force de la parole et contrairement au témoignage de mes sens (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, p.305):
• 1. ... la parole n'est pas le «signe» de la pensée, si l'on entend par là un phénomène qui en annonce un autre comme la fumée annonce le feu. La parole et la pensée n'admettraient cette relation extérieure que si elles étaient l'une et l'autre thématiquement données; en réalité elles sont enveloppées l'une dans l'autre, le sens est pris dans la parole et la parole est l'existence extérieure du sens.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.211.
♦Avoir la parole facile, une grande facilité de parole; avoir le don de la parole. Être éloquent, disert; s'exprimer aisément. Le plus riche négociant, dont la fortune était remarquable (...) plus recommandable encore par ses vertus publiques et privées que relevaient le don de la parole et un caractère de grandeur (BAUDRY DES LOZ., Voy. Louisiane, 1802, p.117). Il avait la parole facile et exposa son plan avec force détails (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p.171). J'avais une grande facilité de parole. Sans y prendre garde, j'en tirais vanité, j'en usais, j'en abusais, je prenais plaisir à me faire entendre (BILLY, Introïbo, 1939, p.64).
♦Proverbe. La parole est d'argent et (mais) le silence est d'or. Il est bien (bon) de parler et il est mieux (meilleur) de se taire. Les citoyens renonçaient tout à coup à la parole qui est d'argent et se réfugiaient dans un silence d'or (A. FRANCE, J. d'Arc, t.1, 1908, p.514).
— P. ext. Langage parlé ou écrit, expression parlée ou écrite de la pensée. L'impression sensible des sons de la voix articulée ou des caractères de la parole écrite s'émousse d'autant plus par l'habitude (...) que la langue parlée ou écrite nous devient plus familière, sans que jamais l'idée puisse se passer tout à fait du support de l'impression sensible (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p.170). Dès le matin du crime, les imprimeries ont été mises sous scellé, la parole a été supprimée par Louis Bonaparte, homme de silence et de nuit (HUGO, Nap.le Pt, 1852, p.109):
• 2. Pour lui [le phénoménologue], l'image est là. La parole parle, la parole du poète lui parle. Nul besoin d'avoir vécu les souffrances du poète pour prendre le bonheur de parole offert par le poète —bonheur de parole qui domine le drame même.
BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.12.
♦En partic. Liberté de (la) parole. Ensemble de garanties concernant le droit de s'exprimer. Les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité, qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie, fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue (COURIER, Pamphlets pol., Au réd. «Censeur», 1820, p.35).
— LING. [P. oppos. à langue, dans la terminol. saussurienne] Actualisation de la langue par un locuteur dans une énonciation; usage particulier qu'une personne fait de la langue. La parole est (...) un acte individuel de volonté et d'intelligence, dans lequel il convient de distinguer: 1o les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue d'exprimer sa pensée personnelle; 2o le mécanisme psycho-physique qui lui permet d'extérioriser ces combinaisons (SAUSS. 1916, pp.30-31).
B. —Action, fait de parler. Ôter la parole à qqn. Ah! non! Taisez-vous, maintenant. Puisqu'on me force à parler, au moins qu'on me laisse la parole! (PAGNOL, Fanny, 1932, I, 1er tabl., 9, p.34).
♦Adresser la parole à qqn. Parler directement à quelqu'un. Ne plus adresser la parole à qqn. Ne plus parler à quelqu'un. [Mon voisin de train] lit dédaigneusement un journal et adresse de temps en temps la parole à un homme en face de lui (DELACROIX, Journal, 1854, p.234). Non seulement il ne tendit pas la main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui répondit de l'air le plus insolent, d'une voix irritée et blessante (PROUST, Guermantes 2, 1921, p.382).
♦Couper la parole à qqn. Interrompre quelqu'un. Permettez, commença le docteur (...) mais un geste impérieux du petit juge lui coupa la parole, et il termina sa phrase par un bredouillement confus (BERNANOS, Crime, 1935, p.775). Tu es fatigué, charbonnier? Tu as faim peut-être? (...) Il eut une espèce de geste très las, qui lui coupa la parole: «Non, je t'assure, pas envie, me coucher, seulement (...)» (ARAGON, Beaux quart., 1936, p.284).
En avoir la parole coupée. Être interrompu, ne plus pouvoir parler (sous l'effet de la surprise, de l'indignation, de la colère, etc.). Ma très chère «Sido» me posa sa main rapide sur le bras, me regarda de si près que j'en eus la parole coupée (COLETTE, Pays connu, 1949, p.36).
Rem. On relève des empl. de l'expr. couper la parole où le compl. prép. désigne un instrument de mus.: Un vigoureux «tutti» vient couper la parole au cor (BERLIOZ, À travers chants, 1862, p.24). Le violoncelle [dans l'Adagio du quatuor op. 59 No 1 de Beethoven] (...) égrène soudain des pizzicati en triples croches, pressés, orageux et sourds comme des battements de coeur crescendo; tandis que les trois autres instruments cherchant à se couper la parole, clament, fiévreux, haletants, les premières notes du thème (MARLIAVE, Quat. Beethoven, 1925, p.90).
♦Passer, donner la parole à qqn. Inviter quelqu'un à parler, à donner son avis. Le visage de M. Thibault demeurait impénétrable; sa main molle se souleva vers l'abbé Binot, comme pour le prendre à témoin et lui donner la parole (MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p.599).
♦Prendre la parole. Parler en public, prononcer une allocution, un discours. Vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à prendre la parole devant un auditoire aussi qualifié que le vôtre (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.529).
Rem. On relève un empl. p.anal. où l'expr. prendre la parole a pour suj. un inanimé: Les voix argentines (...) de la Samaritaine (...) répétaient midi, midi! (...) et l'horloge du Louvre prit bientôt la parole avec plus de solennité (NERVAL, Nouv. et fantais., 1855, pp.199-200). Le déclin du jour l'émouvait; les fleurs se colorent, les contours s'accusent, tout s'avive et prend la parole (BARRÈS, Sang, 1893, p.38).
— Loc., vieilli
♦Être en parole (avec qqn). Être en conversation. (Dict.XIXe et XXes.).
♦Porter la parole. Parler au nom de plusieurs personnes. Un représentant n'a droit de porter la parole que pour ses représentés (SIEYÈS, Tiers état, 1789, p.80). Si vous ne trouvez pas d'indiscrétion à ma demande, dit Leuwen, je vous prierais de porter la parole, je suis odieux à ce petit préfet (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1835, p.182).
♦Se prendre de parole(s) avec qqn. Se disputer avec quelqu'un. Un de Beaufort-Cauillac, étant à une fête de village, se prit de paroles avec un gentilhomme qui regardait par la fenêtre (TAINE, Essais crit. et hist., 1858, p.233).
— En partic. [Dans une assemblée délibérante] Droit de parler. Obtenir la parole; donner, passer la parole (à qqn); accorder, refuser la parole (à qqn); garder la parole trop longtemps; temps de parole. M. Leuwen (...) demande la parole pour un fait personnel. Le président la lui refuse. M. Leuwen se récrie, et la chambre lui accorde la parole au lieu d'un autre député qui cède à son tour (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1835, p.222).
♦La parole est à qqn. C'est à quelqu'un de parler. Séance du 21 décembre 1906. —... La clôture, la clôture... Le Président: La parole est à M. Maurice Barrès (BARRÈS, Cahiers, t.5, 1906, p.84). La parole est au commissaire du gouvernement pour la lecture de son rapport (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p.81).
Au fig. C'est à tel moyen d'action de se manifester. Les belligérants, ayant dit que la parole est au canon, ne s'occupent plus de la morale (LE DANTEC, Savoir, 1920, p.58).
♦Avoir la parole. Être autorisé à parler. À la chambre, le ministre des finances lui dit: —Cher ami, il ne faut pas être insatiable. —En ce cas, cher ami, il faut être patient. Et M. Leuwen se fit inscrire pour avoir la parole le lendemain (STENDHAL, L. Leuwen, t.3, 1835, p.234).
P. ext. Avoir la possibilité de parler. Padre, vous avez la parole pour l'histoire de votre premier lion (MAUROIS, Sil. Bramble, 1918, p.67).
— DR. Droit de parole. ,,Droit qu'a tout parlementaire et tout membre de l'assemblée nationale de demander à obtenir la parole dans une discussion, selon les conditions fixées par le règlement intérieur des assemblées`` (CAP. 1936). User de son droit de parole.
— JEUX. [À certains jeux de cartes]
♦Avoir la parole. Avoir à son tour le droit de faire une annonce, une enchère. (Dict.XIXe et XXes.).
♦Passer la parole. Ne pas faire l'annonce ou l'enchère qu'on a le droit de faire à son tour et passer ce droit au joueur suivant. Absol. Parole! Je passe (Dict.XIXe et XXes.).
C. —Façon, manière de parler. Parole brève, douce, froide, nette, sèche; parole lente, nasillarde; parole expansive, impérative; vivacité de parole. Un beau vieillard, aux cheveux et à la barbe d'argent, à la physionomie grave et douce, à la parole noble, suave et cadencée, tout à fait semblable à l'idée du prêtre dans le poëme ou dans le roman (LAMART., Voy. Orient, t.2, 1835, p.187). La parole gauche de Roberto tiédissait l'air comme un dégel (GRACQ, Syrtes, 1951, p.129):
• 3. ... Richepin parle assez drolatiquement de deux parentes de sa femme (...). L'une, la mère, très exubérante, très grande parleuse; l'autre, une concise, mais formulant des phrases dans lesquelles était comme condensée toute l'exagération de la parole méridionale. Ainsi, la mère disant de son enfant, à propos de je ne sais quel petit méfait: «Alors, j'ai fait des noeuds à mon mouchoir, et je lui en ai donné!... Je lui en ai donné! —Oui, reprenait la soeur, oui, quand je suis montée à ses cris, sa chair n'était qu'une bouillie!»
GONCOURT, Journal, 1894, p.552.
— En partic. Éloquence. Puissance de la parole; efficacité de la parole; artisan, virtuose de la parole. Oscar recouvra son assurance, et, avec l'intarissable verve qui ne l'abandonnait jamais, il prit à partie cet adversaire imprévu [un avocat], et lui fit voir qu'il avait un maître dans l'art de la parole (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.179).
Rem. On relève des empl. au fig. ou p.métaph. où parole est utilisé pour parler d'objets matériels: On ne peut comparer cette création [l'escalier de la tour hexagone du château de Blois] étourdissante de détails ingénieux et fins, pleine de merveilles qui donnent la parole à ces pierres, qu'aux sculptures abondantes et profondément fouillées des ivoires de Chine ou de Dieppe (BALZAC, Martyr calv., 1841, p.92). Ma poitrine aspirait cette indéfinissable vapeur qui venait du fleuve, mon oreille s'emplissait avec joie du cri déchirant des sirènes et de la parole des cloches (JAMMES, Mém., 1922, p.143). Tèole venait tous les matins à la place de l'église et elle écoutait. Ça commençait assez tard, avec le gros soleil, et tout d'un coup, elle avait sur elle la parole confuse et toute embrouillée des chutes d'eau et du torrent et ça lui crachait à la figure des paquets d'air frais (GIONO, Eau vive, 1943, p.166).
II. —Au sing. ou au plur.
A. —Élément du langage parlé; mot ou suite de mots servant à exprimer la pensée. Sens, signification des paroles; partir sans prononcer une parole; citer les propres paroles de qqn; répéter, rapporter les paroles de qqn. Elle jeta ses regards au ciel, en pensant aux dernières paroles de sa mère, qui, semblable à quelques mourants, avait projeté sur l'avenir un coup d'oeil pénétrant, lucide (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.243). À peine sortions-nous par le grand portail que derrière la bascule municipale (...) deux individus encapuchonnés (...) partirent d'un seul coup (...) dirent en courant deux ou trois paroles coupées de rires (ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p.133). Elle n'a eu qu'à dire quelques paroles, agissant de loin sur mon chagrin, débarrassant ma vie de ce qui me faisait tant de mal. Chacune de ses paroles rendait l'air plus léger (J. BOUSQUET, Trad. du sil., 1936, p.104):
• 4. Pour que je comprenne les paroles d'autrui, il faut évidemment que son vocabulaire et sa syntaxe soient «déjà connus» de moi. Mais cela ne veut pas dire que les paroles agissent en suscitant chez moi des «représentations» qui leur seraient associées et dont l'assemblage finirait par reproduire en moi la «représentation» originale de celui qui parle.
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.214.
— [Constr. dans un syntagme mettant l'accent sur l'aspect physique de la parole ou des paroles]
♦Verbe + parole. Articuler une parole, des paroles; bredouiller, crier, grommeler, hurler, murmurer des paroles; arracher une parole à qqn; percevoir des paroles. Le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses (FLAUB., Mme Bovary, t.2, 1857, p.179). Elle avait dû hausser le ton, car le hurlement d'Estelle couvrait ses paroles (ZOLA, Germinal, 1885, p.1148). Il ne vivait que par l'ouïe. Car il entendait des paroles, proférées alentour, mais sans consistance comme suspendues en l'air, dans l'irréalité d'un rêve (BERNANOS, Soleil Satan, 1926, p.184).
♦Parole(s)+ adj. Paroles confuses, entrecoupées, hachées, indistinctes. Il ne put saisir d'abord ses paroles bégayées, coupées entre ses dents (ZOLA, Débâcle, 1892, p.539).
♦Subst. + de, des parole(s). Le bruit des paroles; flot, flux, torrent de paroles. Il l'étourdissait ainsi d'un flot de paroles, d'hypothèses si saugrenues, que le capitaine, hors de lui, finit par couper court (ZOLA, Débâcle, 1892, p.512). Inutile de jeter des cris, c'était dit, et rien n'y ferait. La foudre n'eût pas agi autrement sur la malheureuse mère qui, sans voix, sans force, tremblante, laissa couler ce déluge de paroles (ARAGON, Beaux quart., 1936, p.239).
— [Constr. dans un syntagme mettant l'accent sur l'expr., sur le contenu communiqué]
♦Verbe ou loc. verb. + parole(s). Adresser des paroles à qqn; échanger quelques paroles avec qqn; calculer, mesurer, peser ses paroles; laisser échapper une parole; n'être pas avare de paroles; désavouer, démentir les paroles de qqn; dévorer les paroles de qqn; s'enivrer, se griser de paroles. Le jeune garçon semblait boire ses paroles (SARTRE, Nausée, 1938, p.206). Il fut un temps où mes amis riaient de moi. Je n'étais pas le maître de mes paroles. Une certaine indifférence. Je n'ai pas toujours bien su ce que je voulais dire, mais, le plus souvent c'est que je n'avais rien à dire (ÉLUARD, Donner, 1939, p.21).
♦Parole(s) + adj. ou compl. déterminatif. Paroles absurdes, claires, compréhensibles, incohérentes, inintelligibles, oiseuses, sensées, vaines; paroles directes, naïves, simples; paroles ambiguës, équivoques, hypocrites, véridiques; paroles à double sens; paroles aimables, caressantes, conciliantes, consolantes, douces, touchantes; paroles acerbes, blessantes, brutales, désagréables, diffamatoires, injurieuses, offensantes, piquantes; paroles grossières, impies, obscènes, sacrilèges, violentes, vives; paroles imprudentes, compromettantes; parole(s) d'appel, d'avertissement, de blâme, de conciliation, de défi, de louange, de malédiction, de menace, de paix, de politesse; paroles de miel. François lui eut de la reconnaissance de ne pas casser, comme elle faisait souvent, par des paroles insignifiantes, un silence qu'il préférait à tout (RADIGUET, Bal, 1923, p.136). Il y a les paroles d'espérance. Il y a ce pauvre trésor des promesses que nous recomptons sans nous lasser (MAURIAC, Journal 2, 1937, p.186). Joseph prononça quelques paroles qu'il pensait des plus aimables et qui étaient, au sentiment de Suzanne, terriblement maladroites (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p.206).
— Loc., vieilli. Avoir des paroles (avec qqn). Se disputer. Synon. avoir des mots (fam.). Les deux frères ne pouvant plus se rencontrer sans avoir des paroles (...) on partagea les terres (FABRE, Xavière, 1890, p.209).
♦Ne pas avoir une parole plus haute que l'autre. V. haut1.
♦Bonnes paroles. Paroles exprimant de la compassion, de l'intérêt, des encouragements pour quelqu'un. Le duc de Bourgogne arriva; il s'efforça de les apaiser en leur parlant doucement et leur disant de bonnes paroles. Mais ces gens-là n'entendaient rien (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.4, 1821-24, p.186). Ann était en ce moment affligée d'un rhume et d'un enrouement violents, et tout occupé (...) à la réconforter de bonnes paroles et à lui conseiller de bien prendre garde à son rhume, il oublia totalement de lui demander son second nom (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p.406).
♦(Faire) rentrer, renfoncer les paroles dans la gorge (la bouche) de qqn (à qqn). Empêcher quelqu'un de continuer à parler. Elle le baisa, comme pour lui rentrer les paroles dans la bouche. —Qui est-ce qui t'a appris de vilains mots? C'est défendu, il ne faut pas les répéter, mon chéri (ZOLA, Débâcle, 1892, p.518). —Après toi! glapit Barque, furieux, en s'adressant au sifflet empanaché. Mais le terrible appareil continuait de plus belle à renfoncer impérieusement les paroles dans les gorges. Quand il se tut, et que son écho tinta dans nos oreilles, le fil du discours était rompu à jamais (BARBUSSE, Feu, 1916, p.101).
♦Moulin à paroles.
— Proverbe. [En parlant de la versatilité, de l'habitude de changer d'avis] Les paroles du matin ne ressemblent pas à celles du soir. (Dict.XIXe et XXes.).
— Vx. [Empl. où la lang. d'auj. utiliserait mot, nom, terme ou expression]
♦J'achève en trois paroles. Je n'ai fait qu'apercevoir ce jeune homme, je ne lui ai dit que quatre paroles (DUMAS père, Mari Veuve, 1832, 9, p.259). C'est Maheu qui m'amène monsieur (...) pour voir s'il n'y a pas une chambre en haut, et si nous ne pourrions pas faire crédit d'une quinzaine. Alors, l'affaire fut conclue en quatre paroles (ZOLA, Germinal, 1885, p.1191).
♦Dispute de paroles. Discussion, débat qui ne porte que sur les mots, les termes (et où on laisse de côté le fond de la question). (Dict.XIXe et XXes.).
♦Jeu de paroles. Jeu de mots (Dict.XIXe et XXes.).
♦En paroles couvertes. À mots couverts. Je lui ai fait entendre cela en paroles couvertes (Ac.). C'était lui dire en paroles couvertes qu'il était un ignorant (Ac.).
B. —En partic.
1. [La parole ou les paroles considérées comme qqc. de superficiel, de vain, de périssable, p.oppos. aux écrits, aux actes, aux faits, etc.] Les paroles s'envolent, les écrits restent; les paroles et les actes; ce ne sont que des paroles. Ne nous laissons pas enfoncer par ce vieux finaud de papetier, il est temps de lui demander autre chose que des paroles (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p.618). La philosophie nominaliste (...) dénonçait dans les idées générales, dans les abstractions, un artifice de la pensée; elle n'y voyait rien de plus consistant que les mots les désignant, un bruit de paroles, «flatus vocis» (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.134):
• 5. Ainsi m'est-il apparu une nouvelle vérité et c'est qu'il est vain et illusoire de s'occuper de l'avenir. Mais que la seule opération valable est d'exprimer le monde présent. Et qu'exprimer c'est bâtir avec le disparate présent le visage un qui le domine, c'est créer le silence avec les pierres. Toute autre prétention n'est que vent de paroles...
SAINT-EXUP., Citad., 1944, p.5.
♦En paroles. D'une manière purement verbale. En actes et en paroles. Les objections que le philosophe adresse aux mythes révolutionnaires ne sauraient faire impression que sur les hommes qui sont heureux de trouver un prétexte pour abandonner «tout rôle actif» et être seulement révolutionnaires en paroles (SOREL, Réflex. violence, 1908, p.39).
♦Parole(s) en l'air. Propos vague, inconsidéré qui ne doit pas être pris au sérieux. La fausse gaîté de Mahaut donnait à penser qu'elle avait déjà oublié ce départ, qu'il pouvait peut-être le mettre sur le compte d'une parole en l'air (RADIGUET, Bal, 1923, p.135):
• 6. La Faloise riait de son air crevé, avec des larmes dans les yeux (...). —Tu ne sais pas, dit-il un soir, après avoir reçu des calottes, très allumé, tu devrais m'épouser... Hein? Nous serions rigolos tous les deux! Ce n'était pas une parole en l'air. Il avait sournoisement projeté ce mariage, pris du besoin d'étonner Paris. Le mari de Nana, hein? Quel chic!
ZOLA, Nana, 1880, p.1457.
— En partic. Promesses, assurances (qui ne seront pas tenues). Amuser qqn de paroles; payer qqn de, en paroles. Hélène: (...) Il a dit qu'il (...) allait faire cesser toute l'incertitude de mon sort passé. Gaston: Paroles, paroles que tout cela! (DUMAS père, Fille du régent, 1846, I, 13, p.179).
♦Belles paroles (péj.). Promesses, assurances trop belles pour être vraies. Les voilà, les hommes, tenez! Diseurs de belles paroles et quand on les prend au mot...! (Elle complète sa pensée en faisant craquer l'ongle de son pouce contre ses incisives supérieures) (FEYDEAU, Dame Maxim's, 1914, III, 19, p.73). Alors, tes brochures, tes conférences! Toutes tes belles paroles! Dans les congrès, oui! Mais devant une intelligence qui sombre, fût-ce celle d'un fils, rien ne compte (MARTIN DU G., Thib., Pénitenc., 1922, p.725).
♦Se payer de paroles. Croire tout ce qu'on dit, tous les propos tenus (de façon inconsidérée). (Dict.XIXe et XXes.).
2. [Les paroles considérées comme ayant une force, une puissance spécifique, notamment en parlant des mots d'une formule] Paroles cabalistiques, incantatoires, magiques. Dans le cérémonial de noces bédouin le plus ancien, le fiancé revêt la fiancée d'un manteau spécial appelé «aba» en prononçant ces paroles rituelles: «Que nul autre que moi ne te couvre jamais!» (J. BOUSQUET, Trad. du sil., 1936, p.238). L'évêque fait une pause pour donner plus de solennité aux paroles consécratoires: «Conférez donc, ô père tout-puissant, nous vous en supplions, la dignité sacerdotale à votre serviteur (...)» (BILLY, Introïbo, 1939, p.145). V. charmeur ex. 1.
♦Paroles sacramentelles. Paroles rituelles essentielles prononcées lors de l'administration d'un sacrement. Monsieur le curé, lui dit-elle, donnez-moi l'absolution. Le Père Longuemare murmura gravement les paroles sacramentelles (A. FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p.274).
Fam. Formule nécessaire à l'accomplissement d'un acte plus ou moins ritualisé. Mettons-nous à table (...) car voilà qu'on vient nous annoncer que nous sommes servis. En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles:—Al suo commodo! (DUMAS père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.497). Le dernier maringouin vint se poser sur la figure de la petite Alma-Rose. Gravement elle récita les paroles sacramentelles: —Mouche, mouche diabolique, mon nez n'est pas une place publique! Puis elle écrasa prestement la bestiole d'une tape (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p.81).
C. —Énoncé oral.
1. Pensée exprimée oralement sous une forme brève et remarquable. Parole célèbre, historique. Jordano Bruno, au seizième siècle, disait cette mémorable parole: «Quand je vois un homme, ce n'est pas un homme en particulier que je vois, c'est la substance en particulier» (P. LEROUX, Humanité, 1840, p.247):
• 7. En 1848, les prolétaires de Paris, de Vienne, de Berlin tentèrent, en d'audacieuses journées, de dériver vers le socialisme le mouvement de la révolution. La fameuse parole de Blanqui: «On ne crée pas un mouvement, on le dérive» est l'expression même de cette politique.
JAURÈS, Ét. soc., 1901, p.XXVIII.
2. Engagement verbal, promesse verbale; p.ext. assurance donnée correspondant à un engagement personnel, promesse faite sur l'honneur. Parole d'honneur; donner sa parole d'honneur (v. honneur I B 1 a); tenir parole, sa parole; être fidèle à sa parole; faire honneur à sa parole; manquer de parole (à qqn). —Écoute, Guillaume... j'ai manqué à ma parole, j'ai manqué à ma parole le jour même où je me suis réellement senti une parole, le premier jour de ma vie d'homme (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p.1381). Je l'interrompis: «Tu vas me donner ta parole de rompre avec toute cette bande, ou tu quittes Paris ce soir même (...)» (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.199):
• 8. Considérez-vous qu'un homme doive être mis au ban de la société quand il a commis le crime d'anthropophagie? Oui, n'est-ce-pas? Nous sommes d'accord. Mais s'il a commis ce crime uniquement par amitié, par fidélité, par dévouement, par respect de la parole donnée?
DUHAMEL, Suzanne, 1941, p.112.
♦Dégager, rendre, reprendre, retirer sa parole. Revenir sur un engagement. On ne peut rendre le désespoir auquel je me livrai quand elle me retira sa parole, en me disant qu'elle ne serait jamais à moi (CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1804, p.6). Nous sommes convenus que je puis reprendre ma parole jusqu'à la fin de l'année, lui restant engagé, en tout cas, si je le veux (R. BAZIN, Blé, 1907, p.151).
♦Rendre sa parole à qqn. Délier quelqu'un d'un engagement. La baronne ne serait pas éloignée de me rendre ma parole et de reprendre la sienne en échange (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.269).
♦N'avoir qu'une parole. S'en tenir strictement à ses engagements, respecter scrupuleusement ses engagements. Moi, je n'ai qu'une parole; je vous avais promis, en venant ici faire quelques emplettes, de vous apporter votre brevet de lieutenant... (Le tirant de sa poche et le lui présentant). Le voici! (SCRIBE, Bertrand, 1833, II, 8, p.163). Tu me gardes toute ton affection? Tu peux, tu le sais, entièrement compter sur moi! Je n'ai qu'une parole! Tu me comprends! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p.450).
♦Ne pas avoir de parole. Ne pas respecter ses engagements. (Dict.XIXe et XXes.).
♦Avoir deux, plusieurs paroles. Revenir sur ses engagements. Me connaissez-vous pour un homme qui a deux paroles? Allez au palais ce soir, ou vous êtes perdue (MUSSET, Lorenzaccio, 1834, IV, 4, p.223).
♦Être de parole. Respecter ses engagements. Le colonel: —Je viens de voir un homme qui ne se propose rien moins que de lui brûler la cervelle s'il s'adresse à cette petite dame. Cet homme-là, madame, est de parole (BALZAC, Paix mén., 1830, p.331). Il entendit le signal de la contredanse et se trouva tout à coup face à face avec Reine Lecomte. —À la bonne heure! s'écria gaiement la couturière, vous êtes de parole; donnez-moi le bras (THEURIET, Mariage Gérard, 1875, p.10).
♦Homme de parole. Homme qui respecte ses engagements. Le duc, entrant: Allons, Lorenzino, je reconnais que tu es un homme de parole (DUMAS père, Lorenzino, 1842, V, 6, p.277).
♦Sur parole. Sans autre garantie que l'engagement pris. Jouer sur parole. La plupart de ses affaires s'étaient conclues sur parole, et il avait rarement eu des difficultés (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p.124). J'avais perdu sur parole, dans une maison de jeu, avec des Portugais. Le lendemain, il fallait donner cet argent (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p.46). Elle s'adresse à un personnage louche, un trafiquant d'armes que la Gestapo a arrêté, puis relâché sur parole, c'est-à-dire, sous condition qu'il serve d'indicateur (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.217).
Liberté sur parole. Liberté accordée à un prisonnier sous certaines conditions qu'il s'engage sur l'honneur à respecter. (Dict.XIXe et XXes.).
Prisonnier sur parole. Prisonnier auquel on accorde la liberté sous certaines conditions qu'il s'engage à respecter sur l'honneur. C'est depuis qu'il a sa famille que S.A.R. se sent en exil. Par délicatesse elle ne veut pas le quitter et lui ne veut pas se déguiser pour les frontières et la fuite (...). Prisonnier sur parole et sous la main émue des hêtres à quelle destinée songe-t-il? (JACOB, Cornet dés, 1923, p.236). P. ell. du déterminé. Le commandant de cette prison (...) accepta le chevalier comme un bienfait de la Providence; il lui proposa d'être à l'Escarpe sur parole, et de faire cause commune avec lui contre l'ennui (BALZAC, Muse département, 1844, p.119).
Croire qqn/qqc. sur parole. Sans autre preuve que la parole. Quelles peuvent être les relations de la philosophie et des hommes? C'est seulement en leur nom et de leur part que sera dissipée l'équivoque du mot philosophie. Il ne faut point croire sur parole ses promesses abstraites et la générosité paresseuse qui coule dans ses mots (NIZAN, Chiens garde, 1932, p.28). J'ai dit ce que je pensais, comme je le pensais (...). J'ai pu me tromper: personne n'est infaillible. Mais je ne vous avais pas obligé à me croire sur parole (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p.239). V. désavouer ex. 1. Empl. pronom. réfl. Nous possédons en nous toute une réserve de formules, de dénominations, de locutions toutes prêtes, qui sont de pures imitations, qui nous délivrent du soin de penser (...) C'est pourquoi il faut difficilement se croire soi-même sur parole. Je veux dire que la parole qui nous vient à l'esprit, généralement n'est pas de nous (VALÉRY, Variété III, 1936, p.282).
— Empl. interj. [Appuie, renforce une affirm., un propos] Parole! Ma parole! Sur ma parole! Parole d'honneur! Ma parole d'honneur! (v. honneur I B 1 a). Sur ma parole! murmura Rocambole après avoir lu la lettre, les femmes ne doutent de rien. Croire qu'un amoureux va faire trois lieues par la pluie et la nuit pour aller à un rendez-vous, c'est bien de la fatuité! (PONSON DU TERR., Rocambole, t.3, 1859, p.456). Comment, Suzanne, vous êtes seule au jardin, seule au bord de la terrasse, comme la jeune Mélisande à sa fenêtre! Je descends, parole! Et je vous offre l'étrenne de ma barbe (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p.188). On se croirait en révolution, ma parole! Ce n'est pas le cas pourtant, vous le savez bien (CAMUS, État de siège, 1948, 3e part., p.281).
— HIST., DR.
♦Paroles de présent. [Avant le Concile de Trente] Déclaration, engagement de se prendre pour mari et femme qui tenait lieu de mariage. (Dict.XIXe et XXes.).
♦Vieilli. Donner parole, porter parole. Promettre, donner l'assurance à quelqu'un de. L'Espagnol, une dernière fois, voulut faire donner parole aux assistants, de ne rien divulguer de l'affaire (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p.302).
♦Prendre parole, avoir parole de qqn. Faire promettre à quelqu'un de, avoir la promesse de quelqu'un que. (Dict.XIXe et XXes.).
D. —Texte.
1. Mot ou expression d'un texte. Harmonie des paroles; méditer la parole, les paroles d'un philosophe; tourner les paroles d'un billet de plusieurs façons. Il faut copier de lui [Lessing] ces paroles admirables: «Ce qui fait la valeur de l'homme, ce n'est pas la vérité qu'il possède, ou qu'il croit posséder; c'est l'effort sincère qu'il a fait pour la conquérir (...)» (GIDE, Journal, 1894, p.52). Comme j'envoyais un mot à Sonia, il m'a semblé qu'un grand oiseau d'azur traversait la page étalée sur laquelle j'écrivais des paroles d'excuse (J. BOUSQUET, Trad. du sil., 1936, p.126):
• 9. Le scandale que provoqua la parole de Nietzche était le résultat d'une erreur et d'une apparence. Mais ce scandale abusa ses contemporains. Cette apparence scandaleuse lui venait de la violence lyrique et géniale avec laquelle sa parole s'attaquait aux dernières entraves qui empêchaient le libre citoyen, devenu monade autonome, de développer, jusqu'aux dernières conséquences, les droits qu'il détenait de son affranchissement.
J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p.261.
♦Histoire sans paroles. Dessin ou série de dessins, le plus souvent humoristiques, assez clairs pour se passer de légende(s). (Dict.XIXe et XXes.).
— En partic., au plur. Texte d'une pièce de musique vocale. Les paroles d'une chanson, d'un livret d'opéra; mettre des paroles en musique; paroles et musique de X. Elle poussa un cri triste et doux, s'agenouilla et se prit à chanter quelques paroles d'une mélodie singulière (SUE, Atar-Gull, 1831, p.17). Chez Viardot. Musique de Glück chantée admirablement par sa femme (...) Je lui disais [à Chenavard] que les paroles de ces opéras étaient admirables (DELACROIX, Journal, 1855, p.308). Une musique sans paroles, toute instrumentale (SCHAEFFNER, Orig. instrum. mus., 1936, p.19):
• 10. À voix basse le romain chante au veilleur de nuit
la chanson interdite
Partant pour l'Éthiopie
avanti... avanti...
les fusils partiront tout seuls
c'est moi qui vous le dis
qu'ils partent donc tout seuls
les fusils
qu'ils s'en aillent
nous resterons à la maison (...)
le veilleur de nuit ne comprend pas toutes les
paroles de la chanson
mais il en comprend le sens
et il recommence à rire...
PRÉVERT, Paroles, 1946, p.140.
2. [Dans le lang. des relig. révélées] La parole de Dieu, la parole divine, ou, absol. (avec une maj.) la Parole. Expression de la pensée, de la volonté de Dieu, telle qu'elle est révélée par l'Écriture Sainte (la Parole écrite) et par la Tradition (la Parole non écrite); p.ext. Révélation (la Parole révélée). L'âme chrétienne habituée à recevoir avec respect la parole révélée de l'écriture (Théol. cath. t.4, 1 1920, p.896). La foi s'est plu à voir en lui [Jésus-Christ] Dieu présent parmi nous, ou encore, le fils de Dieu, le Verbe incarné, la parole de Dieu, le révélateur du père, etc. (Philos., Relig., 1957, p.48-15):
• 11. L'écriture sainte n'étant pas pour le protestantisme un texte sacré, dont chaque parole est divinement inspiré, l'interprétation de l'écriture ne saurait être celle d'un code; le protestantisme ne lit pas la Bible verset par verset, il lit la Bible comme une unité. Il n'oublie pas la diversité historique de ses écrits, mais, dans la mesure où la Parole y retentit, il y retrouve l'unité de l'acte de Dieu à l'égard de l'homme.
Philos., Relig., 1957, p.50-6.
♦Paroles de vie. Prédication, enseignement religieux. Debout, dans la chaire de la parole de vie, un prêtre, seul vêtu de lin blanc au milieu du deuil général, le front chauve, la figure pâle, les yeux fermés, les mains croisées sur la poitrine, est recueilli dans les profondeurs de Dieu (CHATEAUBR., Génie, t.2, 1803, p.320). Le sombre Ézéchiel Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël, Fait descendre à son tour la parole de vie (LAMART., Médit., 1820, p.265).
♦Porter, prêcher la bonne parole. Prêcher l'Évangile. Les ligues d'abstinence où le révérend Humdrum portait la bonne parole et stigmatisait l'infamie des hommes désordonnés qui ne tiennent plus droit quand ils ont bu (HAMP, Champagne, 1909, p.234). J'ai écrit un sermon, une lettre, une dissertation sur le patriarche Simon le moabite, et persuadé à mon frère qu'au lieu de sculpter pour gagner quelques sous, il devrait aller porter la bonne parole dans les auberges (JACOB, Cornet dés, 1923, p.231).
P. ext. Tenir des propos rassurants ou raisonnables ou officiels auxquels on ne croit pas nécessairement. Il fallait que ça soye plutôt moi qu'irais porter la bonne parole! (...) C'était vraiment la tragédie pour que je me tape moi une corvée aussi cafouilleuse... Enfin je me suis bien ressoufflé, reblindé d'avance. J'ai répété tous les trucs... Tout ce que je devais raconter... Tout un agencement de bobards (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p.506).
♦Parole éternelle, Parole incréée. Le Verbe, fils de Dieu (d'apr. MARCEL 1938).
♦Ministère de la parole. Ministère consistant à annoncer le salut en Jésus-Christ, ou à développer l'enseignement concernant cette première annonce (d'apr. Foi t.1 1968). [Selon Luther] l'Église n'avait reçu du Christ qu'un ministère à remplir en excitant le pécheur à revenir aux sentiments de son baptême. À ce ministère de la parole, l'Église a substitué un pouvoir qu'elle exerce moyennant les trois éléments dont elle a constitué le sacrement nouveau (Théol. cath. t.14, 1 1938, p.559).
— Au fig. Parole d'évangile. V. évangile B 1.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.I. Faculté d'exprimer la pensée par le langage articulé A. Ca 1100 «expression verbale de la pensée» (Roland, éd. J. Bédier, 140: De sa parole ne fut mie hastifs, Sa custume est qu'il parolet a leisir); spéc. 1916 ling. distingué de langue (SAUSS., p.30). B. 1130-40 «action de parler» metre a parole «faire parler» (WACE, Conception N.-D., éd. W.R. Ashford, 651). C. Le langage oral considéré par rapport à l'élocution, au ton de la voix ca 1140 de sa pleine parole «à haute voix» (Pèlerinage de Charlemagne, éd. G. Favati, 8); ca 1165 parole basse (BENOÎT DE STE-MAURE, Troie, 5299 ds T.-L.); 1160-74 (WACE, Rou, éd. A. J. Holden, III, 1669: Sa voiz e sa parole mue). D. ca 1165 «faculté d'exprimer sa pensée par le langage articulé» (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 3068: De joie li faut la parole). E. 1606 «art de parler, éloquence» employer sa parole à gagner argent (NICOT); 1674 (BOILEAU, Art poétique, chant IV ds OEuvre, éd. F. Escal, p.184); 1740 avoir le don de la parole (Ac.). F. 1688 «droit de parler» (LA BRUYÈRE, Caractères, De la Cour, 17 ds OEuvre, éd. J. Benda, p.218: Ils ont la parole, président au cercle). II. Son articulé exprimant la pensée A. Suite de mots, message, discours, propos exprimant une pensée ca 1100 (Roland, 145: De cez paroles que vous avez ci dit...; 1097: Bon sunt li cunte e lur paroles haltes); 1160-74 (WACE, Rou, II, 867: [Li evesque] Ne fist pas grant parole ne ne fist grant sermon). B. spéc. 1155 «discussion, dispute» (WACE, Brut, éd. I. Arnold, 4359); 1531 avoir des paroles ensemble (Perceforest, t.3, f° ch. 3 ds LITTRÉ). C. ca 1165 «promesse» doner parole (BENOÎT DE STE-MAURE, op.cit., 13621, ibid.); 1560 prisonniers pour la parole (E. PASQUIER, lettre 21 août, ds Lettres hist., éd. D. Thickett, p.45); 1628 (croire) sur vostre parole (GUEZ DE BALZAC, lettre 11 déc. ds OEuvres, éd. 1665, p.284); 1633 homme de parole (ID., lettre 4 juill., ibid., p.202). D. ca 1180 «expression verbale d'une pensée remarquable» (THOMAS, Tristan, éd. B. H. Wind, fragm. Douce, 373: Oïstes uncs la parole). E. 1. ca 1180 «belle, vague promesse» (Proverbe au vilain, 181 ds T.-L.: De bele parole [var. promesse] se fait fous tout lié); 1377 paroles sourdes «paroles en l'air, mensonges» (GACE DE LA BUIGNE, Deduis, 10526, ibid.); 2. ca 1470 «phrase creuse, vide» paroles pleines de vent (GEORGES CHASTELLAIN, Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t.5, p.143). F. 1. 1188 «enseignement» (AIMON DE VARENNES, Florimont, 1001 ds T.-L.); spéc. 1er tiers XIIIes. (Vie de St Jean l'Évangéliste, 567, ibid.: avint ke li ewangelistes en une chité vint, Où il dist la parole [Luc III, 2]); 1670 la parole de Dieu «l'Écriture sainte» (PASCAL, Pensées, § 555 ds OEuvres, éd. J. Chevalier, p.1260: Quand la parole de Dieu... est fausse littéralement, elle est vraie spirituellement); 2. fin XIIes. la parole «le Verbe, la Parole faite chair» (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p.98, 22: cil [li troi roi el staule] reconurent la parole de deu lai ou il estoit enfes). Issu du lat. chrét. parabola (devenu paraula par chute de la constrictive bilabiale issue de -b- devant voy. homorgane) «comparaison, similitude», terme de rhét. (Sénèque, Quintillien); puis, chez les aut. chrét.: 1. «parabole» (Tertullien, St Jérôme); 2. «discours grave, inspiré; parole», ce double sens étant dû à l'hébreu (Job XXVII, 1: assumens parabolam suam «reprenant son discours»; Num. XXIII 7: assumptaque parabola sua, dixit; par la suite: Gloss. Remigianae: in rustica parabola «en lang. vulg.»), v. ERN.-MEILLET, BLAISE, VAAN., § 166, E. LÖFSTEDT, Late Latin, pp.81 sqq. Le lat. est empr. au gr. «comparaison [par juxtaposition], illustration» empl. dans les Septante au sens de «parabole» (Marc XII, 1). Parabola a supplanté verbum dans l'ensemble des lang. rom. (sauf le roum.) grâce à la fréq. de son empl. dans la lang. relig., verbum étant spéc. utilisé dans cette même lang. pour traduire le gr. , v. verbe. Fréq. abs. littér.:23572. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 37554, b) 32087; XXes.: a) 36456, b) 29082. Bbg. DARM. Vie 1932, p.92, 165. —DINNEEN (F. P.). Analogy, langue and parole. In: [Mél. Reichling (A.)]. Lingua. 1968, t.21, p.98. —GILL (A.). La Distinction entre langue et parole en sém. hist. In:[Mél. Orr (J.)]. Manchester, 1953, pp.90-101. —HEGER (K.). Die Semantik und die Dichotomie von Langue und Parole. Z. rom. Philol. 1969, t.85, n° 1/2, pp.144-215. — (W.). Les Termes langue et parole désignent-ils qq. chose de réel? B. Soc. Ling. 1968, t.63, n° 1, pp.XXIV-XXVII. —PIERSON (J. L.). Langue - parole?... Studia Linguistica 1963, t.17, pp.13-15. —POLLAK (W.). Reflexionen über langue und parole. In: [Mél. Gossen (C. Th.)]. Moderne Sprachen. 1965, t.9, n° 2/4, pp.122-133. —QUEM. DDL t.19, 20. —RICHARD (W.). 1959, p.9, 26, 86, 117. —SAUSSURE (F. de). Cours de ling. gén. Paris, 1965, p.30, 31, 36-39, 138-139. — SPENCE (N. C. W.). A hardy Perennial: the problem of la langue and la parole. Archivum Linguisticum t.IX, pp.1-27; Langue et parole yet again. Neophilologus. 1962, t.46, pp.197-200.
parole [paʀɔl] n. f.
ÉTYM. V. 1080, aussi « bruit, nouvelle, renommée… »; lat. vulg. paraula, lat. chrét. parabola « comparaison ». → Parabole « parole divine ».
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♦ Vx. Mot; nom (→ Gloire, cit. 8, Bossuet; naître, cit. 25, Stendhal; inconnu, cit. 20, Baudelaire).
1 (…) « Monseigneur » mérite quelque chose, et ce n'est pas une petite parole que « Monseigneur ». Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne.
Molière, le Bourgeois gentilhomme, II, 5.
♦ L'épisode des paroles gelées, dans le Quart Livre de Rabelais (chap. 55-56).
1.1 Lors nous jecta sus le tillac plenes mains de parolles gelées, et sembloient dragée, perlée de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz doréz. Lesquelz, estre quelque peu eschaufféz entre nos mains, fondoient comme neiges, et les oyons réalement, mais ne les entendions, car c'estoit languaige barbare (…)
Panurge requist Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.
« Vendez-m'en doncques ! disoit Panurge.
— C'est acte de advocatz (respondit Pantagruel), vendre parolles (…) »
Ce nonobstant, il en jecta sus le tillac troys ou quatre poignées. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes (…) des parolles horrificques et aultres assez mal plaisantes à veoir. Lesquelles, ensemblement fondues, ouysmes : hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, on, on, on, on, ououououon, goth, magoth et ne sçay quelz aultres motz barbares (…)
Rabelais, le Quart Livre, 56.
♦ Mod. (Au plur. ou en emplois déterminés). Ensemble de sons articulés. || Articuler (cit. 12), former (→ Agiter, cit. 16) des paroles. ⇒ Parler. || Bredouiller, crier, hurler, grommeler (cit. 5), murmurer (cit. 6) des paroles. || Paroles prononcées à mi-voix. || Parole dite trop haut (→ Avalanche, cit. 3). || Ses paroles se bloquent (cit. 5) dans sa gorge. || On ne pouvait lui arracher (cit. 38) une parole. || Paroles saccadées, entrecoupées (cit. 7), hachées. || Étouffer (cit. 23) le bruit des paroles. || Percevoir des paroles.
♦ Énoncé signifiant. ⇒ Discours, propos. || Le sens, la signification de ses paroles m'échappent. || Paroles compréhensibles, claires; incohérentes (cit. 2), inintelligibles (cit. 3; ⇒ Patenôtre, vx). || Paroles sensées; absurdes, oiseuses (cit.), vaines. || Paroles directes, naïves, simples (⇒ Naïveté). || Paroles véridiques. || Paroles ambiguës (cit. 3), équivoques (cit. 4), à double sens. || Paroles artificieuses, hypocrites, menteuses (→ Mimer, cit. 2). || Paroles qui déguisent (cit. 9) la pensée (⇒ Hypocrisie). || Circuits, détours de paroles. ⇒ Ambages, circonlocution, circonvolution… — Paroles aimables (→ Amadouer, cit. 5), caressantes (→ Endormir, cit. 12), conciliantes, touchantes, douces… (→ Homélie, cit. 5; louange, cit. 6). — Vx. || Paroles de miel, de sucre… : flatterie (→ mod. Être tout sucre et tout miel). ⇒ Flatterie. — Paroles de louanges (⇒ Compliment), paroles de politesse (⇒ Civilité). || Paroles de conciliation, de réconciliation, de paix (⇒ Proposition). || Bonnes paroles (→ Bistouri, cit. 4; emporter, cit. 6). || Paroles consolantes, de consolation. — Paroles acerbes, aigres, aigres-douces, blessantes, brutales, désagréables (→ Échapper, cit. 19), diffamatoires (cit. 2), dures, injurieuses (→ Malhonnête, cit. 3), irréparables (cit. 3), mordantes (cit. 2), offensantes, tranchantes (→ Huile, cit. 31)… ⇒ Offense, outrage. || Paroles d'appel, d'avertissement. ⇒ Cri. || Paroles bien senties. || Paroles rudes, vives, violentes. ⇒ (fig. et vieilli) Bourrade, coup (de boutoir). || La verdeur de ses paroles. || Paroles de défi (⇒ Bravade), de blâme, de malédiction, de menace. || Paroles blasphématoires (cit. 1; ⇒ Blasphème), impies, sacrilèges (⇒ Jurement, juron, sacre). || Paroles grossières. ⇒ Gros (mot), grossièreté. || Paroles grasses (cit. 9), obscènes. || Paroles compromettantes, imprudentes… — Adresser (cit. 5) des paroles à qqn. ⇒ Parler (à qqn). || Échanger (1. , cit. 8) quelques paroles. || Petits drames intimes qui se jouent sans paroles (→ Malentendu, cit. 6). || Abonder (cit. 7) en paroles, n'être pas avare de paroles. || Paroles qui échappent à qqn (→ Désavouer, cit. 2). || Calculer, compasser (cit. 2), composer (cit. 13), mesurer (cit. 15), peser ses paroles, toutes ses paroles (⇒ Syllabe). || Ne pas avoir une parole plus haute (cit. 30) que l'autre. — Exprimer, faire entendre, dire (cit. 107) beaucoup (cit. 22) en peu de paroles. — Citer les propres paroles de qqn. ⇒ Déclaration, dire. || Ce sont ses propres paroles. || Démentir, désavouer les paroles de qqn (⇒ Dédire). — ☑ Loc. Faire rentrer les paroles dans la gorge de qqn. — Les paroles, chaque parole d'une conversation, d'un entretien (cit. 9); d'un discours (cit. 20). || Les paroles que distribue le professeur (→ Envoler, cit. 10). — Les paroles coulent (cit. 14), s'écoulent. || Déluge (→ Éloquence, cit. 8), flots (→ Crever, cit. 8), flux (cit. 2), inondations (cit. 4), jets (cit. 10), torrents de paroles. || Les paroles ne lui coûtent rien (⇒ Bavard). — ☑ Loc. C'est un moulin (supra cit. 5) à paroles. — ☑ Écouter; boire (cit. 32), dévorer (cit. 9) les paroles de qqn. || Écouter ses propres paroles (→ Fixer, cit. 12). || Galants (cit. 14) vains dans leurs paroles. || S'enivrer, se griser de paroles (→ Mien, cit. 13); être soûl de paroles (→ Galéjer, cit. 1). — Les dernières paroles d'un mourant (→ Expirer, cit. 1; grand, cit. 65). || Les dernières paroles de Goethe (→ Lumière, cit. 27). — (Évang.). || Les Sept Dernières Paroles du Christ (titre d'une œuvre de Haydn). — Paroles d'un croyant, œuvre de Lamennais.
2 Un même sens change selon les paroles qui l'expriment. Les sens reçoivent des paroles leur dignité, au lieu de la leur donner.
Pascal, Pensées, I, 50.
3 La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée; et tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées (…)
Molière, le Mariage forcé, 4.
4 Sitôt qu'ils (les enfants) peuvent dire qu'ils souffrent avec des paroles, pourquoi le diraient-ils avec des cris, si ce n'est quand la douleur est trop vive pour que la parole puisse l'exprimer ?
Rousseau, Émile, II.
5 — C'est un bien grand orateur ! dit Léon à Giraud en lui montrant Canalis. — Oui et non, répondit le conseiller d'État, il est creux, il est sonore, c'est plutôt un artiste en paroles qu'un orateur.
Balzac, les Comédiens sans le savoir, Pl., t. VII, p. 58.
6 Il sembla, à la façon dont les paroles s'échappaient de sa bouche, incohérentes, impétueuses, heurtées, pêle-mêle, qu'elles s'y pressaient toutes à la fois pour sortir en même temps.
Hugo, les Misérables, I, VII, X.
7 Sachez écouter. Malheur à celui qui, sans la ramasser, laisse tomber une parole d'or de la bouche d'autrui.
J. Renard, Journal, 6 mars 1894.
♦ ☑ Loc. En paroles couvertes (vx) : à mots couverts. — Dispute de paroles : discussion, débat qui porte sur les mots et où l'on oublie le fond de la question.
♦ ☑ Prov. Les paroles du matin ne ressemblent pas à celles du soir (se dit en parlant de la versatilité, de l'habitude de changer d'avis).
2 Les paroles. a Opposé à écrits (cit. 2, Montesquieu). ☑ Prov. Les paroles s'envolent et les écrits restent (cf. lat. Verba volant, scripta manent).
b Opposé à actes, effets, résultats… ⇒ Mot (cit. 20). || Paroles et actions (→ Différent, cit. 4). || Des paroles en l'air. || Les paroles et les exemples. ⇒ Conseil (→ Ainsi, cit. 20; moral, cit. 2). — ☑ Loc. En paroles : d'une manière purement verbale (→ Chose, cit. 26). || En actes (cit. 2) et en paroles.
8 (…) il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles.
Molière, Dom Juan, II, 4.
9 Vous ne savez pas qu'entre les choses qu'on dit quelquefois et celles qu'on pense… Enfin, cet homme avait peut-être une raison pour vous dire non comme cela. Et puis ça peut n'être qu'une parole en l'air.
J. Green, Adrienne Mesurat, III, VII.
c ⇒ Promesse. ☑ De belles paroles. ☑ Payer qqn en paroles (→ En monnaie de singe). — ☑ Prov. On prend les hommes par les paroles et les bêtes par les cornes (⇒ Persuasion). — Anc. dr. Promesse, engagement de mariage. || Épouser par paroles de présent.
d Vx. Paroles échangées au cours d'une dispute, d'une altercation. ⇒ Mot (supra cit. 27). || Avoir, échanger des paroles avec qqn. ⇒ Dispute, disputer (se). — Vx. || En venir aux grosses paroles (La Fontaine, XII, 8).
e Mots d'une formule (→ Formalisme, cit. 1). || Paroles magiques (cit. 2), rituelles ⇒ Incantation, magie. || Paroles sacramentelles (→ Foi, cit. 46; garder, cit. 75). || Les paroles de la bénédiction nuptiale (→ Mari, cit. 1).
3 Mot ou expression (d'un texte). || Charme (→ Enfler, cit. 5), mélodie (cit. 9) des paroles en poésie. || Harmonie des paroles (→ Dissonance, cit. 2). || Tourner les paroles d'un billet de plusieurs façons (→ Mettre, cit. 44).
♦ Histoire sans paroles : anecdote en images, série de dessins humoristiques qui se passent de légende.
4 (Plur.). Texte d'un morceau de musique vocale. || Premières paroles qu'on fait sur un air. ⇒ Canevas, monstre. || Auteur de paroles. ⇒ Parolier. || Les paroles d'une chanson, d'un air (→ Fredonner, cit. 1; mélodie, cit. 5). || Mettre des paroles en musique (→ Lyrique, cit. 9). || L'air (3. Air, cit. 1 et 2) et les paroles. || Chanter les paroles d'un livret d'opéra. — Chanson sans paroles (→ Épaisseur, cit. 4). || Romances sans paroles : pièces pour piano de Mendelssohn; titre d'un recueil de poèmes de Verlaine.
10 J'aime ces chants dont je ne comprends point les paroles. Elles nuisent toujours pour moi à la beauté de l'air, ou du moins à son effet. Il est presque impossible que les idées soient entièrement d'accord avec celles que me donnent les sons.
É. de Senancour, Oberman, LXI.
5 Pensée exprimée à haute voix, dite en quelques mots. ⇒ Apophtegme, devise, mot, sentence (→ Audience, cit. 5; hasardeux, cit. 4; juger, cit. 10). || Parole célèbre, historique (cit. 9), fameuse, mémorable. || La parole fameuse de Cavaignac devant la Chambre (→ Faim, cit. 12). || On lui imputait (cit. 5) une parole cruelle.
10.1 Nous savons que les paroles historiques ne furent jamais dites. Qu'importe ! Elles caractérisent des figures qui, sans ces paroles, nous demeureraient fort vagues, et perdraient le profil.
Cocteau, Journal d'un inconnu, p. 140.
6 (Au sing.). Engagement verbal. Par ext. Engagement, promesse faite (sur l'honneur). ⇒ Assurance, engagement, foi, serment (→ Notaire, cit. 2). || Donner sa parole, sa parole d'honneur (cit. 16) de…, que… ⇒ Promettre (→ 1. Lire, cit. 21). — ☑ Loc. Vx. Donner parole de… : promettre (→ Enterrement, cit. 1, Montaigne; 1. manger, cit. 24, Molière). — Engager (cit. 6) sa parole. || Dégager sa parole (→ 1. Envers, cit. 5); dégager (cit. 23) qqn de sa parole. || Rendre, retirer sa parole. ⇒ Dédire (se), rétracter (se). — ☑ Loc. N'avoir qu'une parole. ☑ Tenir parole (→ Mieux, cit. 5), sa parole. — ☑ Être fidèle, faire honneur à sa parole. ☑ Manquer (cit. 39 et 41) à sa parole, manquer de parole (⇒ Déloyal, perfide). || Fausser parole. — ☑ Loc. Homme de parole, loyal, sûr.
11 Neptune, par le fleuve aux Dieux mêmes terrible,
M'a donné sa parole, et va l'exécuter.
Racine, Phèdre, IV, 3.
12 (…) la plupart de mes confrères ne se font pas un scrupule de vous manquer de parole. Pour moi (…) je suis esclave de mes serments (…)
A. R. Lesage, le Diable boiteux, I.
13 Si tu veux être un homme remarquable, il faut faire de ta parole une seconde religion, et y tenir comme à ton honneur.
Balzac, la Femme de trente ans, Pl., t. II, p. 793.
14 Pesez ce que vaut, parmi nous, cette expression populaire, universelle, décisive et simple cependant : — Donner sa parole d'honneur. Voilà que la parole humaine cesse d'être l'expression des idées seulement, elle devint la parole par excellence, la parole sacrée entre toutes les paroles, comme si elle était née avec le premier mot qu'ait dit la langue de l'homme; et comme si, après elle, il n'y avait plus un mot digne d'être prononcé, elle devient la promesse de l'homme à l'homme, bénie par tous les peuples; elle devient le serment même, parce que vous y ajoutez le mot : Honneur.
A. de Vigny, Servitude et Grandeur militaires, III, X.
15 Je tiens surtout les paroles que je me donne.
Flaubert, Correspondance, 1405, sept. 1873.
16 Nous en sommes convenus, reine. La parole est donnée. — Je la reprends. C'était une parole inique.
Giraudoux, Électre, I, 4.
♦ ☑ Loc. Sur parole : sans autre garantie que la parole donnée. || Noblesse (cit. 12) incertaine et sur parole. || Conclure une affaire sur parole. || Jouer, perdre sur parole. || Prisonniers sur parole (→ 1. Gens, cit. 8). || Liberté (supra cit. 3) sur parole (→ Libre, cit. 3). — Croire qqn sur parole, sans autre preuve que ses affirmations (→ Humeur, cit. 33; et aussi modèle, cit. 6).
17 La plupart de ses affaires s'étaient conclues sur parole, et il avait rarement eu des difficultés.
Balzac, César Birotteau, Pl., t. V, p. 403.
♦ ☑ Interj. (Vx). Sur ma parole ! (→ Galant, cit. 1). — ☑ (1786). Mod. Ma parole d'honneur ! (→ Autant, cit. 34); parole d'honneur ! (→ Innocent, cit. 2). — Ma parole ! (→ Gouvernement, cit. 13; graine, cit. 11; 1. maigre, cit. 5). — (1830). || Parole ! : je le jure !
17.1 Avant la guerre, je laissais pas passer une semaine sans aller à l'Européen ou à Bobino, ma parole d'honneur.
M. Aymé, le Vin de Paris, « L'indifférent », p. 9.
———
II Déb. XIIe. (La parole). Expression verbale de la pensée.
1 Faculté d'exprimer, de transmettre la pensée par un système de sons articulés (⇒ Langage, cit. 3) émis par des organes appropriés (⇒ Phonation). || Langage (cit. 7) intérieur et parole. || La parole, faculté humaine (« Homo loquax »; → Homme, cit. 12). || Aptitude de l'enfant à la parole (→ Imitateur, cit. 3); apprentissage de la parole. || Être privé de l'usage de la parole, de l'ouïe et de la parole. ⇒ Muet. || Troubles, maladies de la parole. ⇒ Logopathie; aphasie, dysarthrie, dyslalie, dyslogie. || Perdre la parole. || Recouvrer l'usage de la parole. || La parole lui revient (→ Muet, cit. 2 et 6). — La langue (cit. 12), le larynx, les cordes vocales, organes de la parole. || « La parole dépend (…) de l'écorce cérébrale » (Chauchard, le Langage et la Pensée, p. 47). — Le Geste et la Parole, ouvrage de A. Leroi-Gourhan.
18 Pourquoi ne pourrait-il enfin (le singe), à force de soins, imiter, à l'exemple des sourds, les mouvements nécessaires pour prononcer ? Je n'ose décider si les organes de la parole du singe ne peuvent (…) rien articuler, mais cette impossibilité absolue me surprendrait (…)
La Mettrie, l'Homme-machine (cité par J. Rostand, l'Homme, p. 22).
19 Il semble que la parole soit la seule prédestination de l'homme et qu'il ait été créé pour enfanter des pensées comme l'arbre pour enfanter son fruit.
Lamartine, Graziella, III, XV.
20 Le médecin fut appelé, et l'examen ne fut ni long ni difficile. On reconnut que la pauvre Camille était privée de l'ouïe, et par conséquent de la parole.
A. de Musset, Contes, « Pierre et Camille », I.
♦ ☑ Loc. Il ne lui manque que la parole (se dit d'un animal intelligent, d'un portrait ressemblant…). ⇒ Manquer.
20.1 On pense bien que cette communauté de goût ne fit que resserrer entre Jup et Pencroff ces étroits liens d'amitié qui unissaient déjà le digne singe et l'honnête marin.
« C'est peut-être un homme, disait quelquefois Pencroff à Nab. Est-ce que ça t'étonnerait si un jour il se mettait à nous parler ?
— Ma foi non, répondait Nab. Ce qui m'étonne, c'est plutôt qu'il ne parle pas, car enfin, il ne lui manque que la parole ! »
J. Verne, l'Île mystérieuse, t. II, p. 474.
2 Exercice de cette faculté; expression (cit. 3) verbale de la pensée. ⇒ Langage (parlé), verbe. || Le mot (cit. 4), unité sémantique minima de la parole. || La pensée et la parole (→ Beau, cit. 3, Joubert; écouter, cit. 21, Fénelon; étape, cit. 9, Bergson). || Liaison (cit. 5) de la parole et de l'idée. || La parole a été donnée à l'homme pour cacher (cit. 19), dissimuler (cit. 4), déguiser sa pensée. || La parole et l'écriture. || L'action (cit. 25), le geste (cit. 4) et la parole. — ☑ Loc. Encourager qqn de la parole et du geste. ⇒ Voix. — Avoir la parole facile. ⇒ Disert, éloquent; bavard (→ Être fort en bec); verve. || Facilité (cit. 11) de parole (→ Gouailleur, cit. 1). || Don de la parole. — Didact. || Reconnaissance (I., 1.) de la parole (par un ordinateur). || Synthèse de la parole.
21 La parole, Ronsard, est la seule Magie.
L'âme par la parole est conduite et régie.
Ronsard, Élégies, XXI.
22 (…) le perroquet imite le signe le moins équivoque de la pensée, la parole, qui met à l'extérieur autant de différence entre l'homme et l'homme qu'entre l'homme et la bête (…)
Buffon, Hist. nat. des animaux, Disc. s. nat. anim.
23 Des philosophes ont demandé si la pensée peut exister sans parole ou sans quelqu'autre signe : non, sans doute (…) l'idée simple a d'abord nécessité le signe, et bientôt le signe a fécondé l'idée; chaque mot a fixé la sienne, et telle est leur association, que, si la parole est une pensée qui se manifeste, il faut que la pensée soit une parole intérieure et cachée. L'homme qui parle est donc l'homme qui pense tout haut (…)
Rivarol, Littérature, I.
24 Dans toutes les classes, en France, on sent le besoin de causer : la parole n'y est pas seulement, comme ailleurs, un moyen de se communiquer ses idées, ses sentiments et ses affaires, mais c'est un instrument dont on aime à jouer, et qui ranime les esprits, comme la musique chez quelques peuples, et les liqueurs fortes chez quelques autres.
Mme de Staël, De l'Allemagne, I, XI.
25 (…) la Parole, espèce d'arme à bout portant, n'a qu'un effet immédiat. La Réflexion tue la Parole quand la Parole n'a pas triomphé de la Réflexion.
Balzac, Albert Savarus, Pl., t. I, p. 836.
26 Bourgeois ou peuple, tout Français est gros mangeur de paroles autant que de pain. Mais tous ne mangent pas le même pain. Il y a une parole de luxe pour les palais délicats, et une plus nourrissante pour les gueules affamées.
R. Rolland, Jean-Christophe, Buisson ardent, I, p. 1277.
27 Entendre la parole (…) c'est d'abord en reconnaître le son, c'est ensuite en retrouver le sens, c'est enfin en pousser plus ou moins loin l'interprétation (…)
H. Bergson, Matière et Mémoire, p. 119.
♦ ☑ Prov. La parole est d'argent et le silence est d'or.
♦ Spécialt. || La parole (dans ses usages esthétiques ou sociaux). ⇒ Éloquence (→ 1. Dépendre, cit. 3). || Puissance de la parole (→ Applicable, cit. 1). || Les artisans (cit. 8), les maîtres, les virtuoses de la parole (→ Improvisation, cit. 2). || L'efficace de la parole (→ Expression, cit. 20).
♦ Langage parlé ou écrit. || La littérature (cit. 5) a pour substance et pour agent la parole (→ Littérature, cit. 20).
28 (…) la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.
Flaubert, Mme Bovary, II, XII.
28.1 (…) j'ai compris quelle lourdeur avait la parole écrite, à côté de la parole pensée.
J.-R. Bloch, Deux hommes se rencontrent, p. 25.
29 Notre premier devoir d'écrivain est donc de rétablir le langage dans sa dignité. Après tout nous pensons avec des mots. Il faudrait que nous fussions bien fats pour croire que nous recelons des beautés ineffables que la parole n'est pas digne d'exprimer.
Sartre, Situations II, p. 305.
♦ Ling. (chez Saussure et ses continuateurs). L'usage que fait un individu du langage (opposé à langue, système abstrait). ⇒ Discours (4.); langue (cit. 43.1, 43.2 et supra).
3 Fait, action de parler, de dire quelque chose. || Adresser la parole à qqn, lui parler (→ Mot, cit. 15). — ☑ Prendre la parole : commencer à parler (→ Carrément, cit. 3; meneur, cit. 4). || La prise de parole par qqn. || Le droit à la parole. — ☑ Couper (cit. 15) la parole à qqn (→ Harangue, cit. 4); lui enlever, lui ôter la parole, l'empêcher de parler. ⇒ Interrompre (→ Étouffer, cit. 19). || Prêter la parole à un personnage (→ Fils, cit. 16).
30 Il s'écoutait parler, il prenait la parole à tout propos, il dévidait solennellement des phrases filandreuses et sèches qui passaient pour de l'éloquence dans la haute bourgeoisie d'Arcis.
Balzac, le Député d'Arcis, Pl., t. VII, p. 649.
♦ Par métaphore :
31 Parfois ceux qui prennent la parole la gardent terriblement longtemps; des générations, muettes encore, cependant s'impatientent en silence.
Gide, Nouveaux prétextes, p. 26.
♦ Spécialt. Droit de parler, dans une assemblée délibérante. || Demander; obtenir la parole. || Accorder, donner, passer, refuser la parole. || Durée de la parole (→ Obstruction, cit.). || Vous avez la parole : vous pouvez parler. || Temps de parole d'un orateur. — Par ext. || Taisez-vous ! Vous n'avez pas la parole !
32 La parole est à monsieur Achille Pigoult, dit Beauvisage, qui put prononcer enfin cette phrase avec sa dignité municipale et constitutionnelle.
Balzac, le Député d'Arcis, Pl., t. VII, p. 660.
♦ Jeu. || Passer parole : passer à son voisin le droit que l'on a de parler, de faire une annonce. Absolt. || Parole ! je passe.
♦ ☑ Loc. Vx. Porter la parole (⇒ Porte-parole) : parler au nom de plusieurs.
4 Façon, manière de parler (d'une personne). ⇒ Diction, élocution, ton, voix… || Une parole brève, sèche, froide… (→ Intonation, cit. 3). || Vivacité de geste et de parole (→ Nonchalance, cit. 7). || Avoir la parole expansive et le geste démonstratif (cit. 4).
5 (Dans le langage des religions révélées). La révélation de la volonté divine, les textes révélés. ⇒ Logos (cit. 1), verbe; écriture. || La parole de Dieu (cit. 32), la parole divine. ⇒ Pain (de vie). → Cantonner, cit. 4; esprit, cit. 16; évangile, cit. 2 et 7; frère, cit. 21. || La parole de vie (→ Ardeur, cit. 7). Absolt. || La Parole (→ Centuple, cit. 3; disciple, cit. 2). Plais. || Prêcher, porter la bonne parole.
33 Le Verbe, ou la parole divine, existait avant la création de l'univers; mais pour les poètes, il faut que la création précède la parole.
Mme de Staël, De l'Allemagne, II, XII.
♦ ☑ Loc. fig. Parole d'évangile.
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CONTR. Action. — Écrit. — Silence.
DÉR. Parolier.
COMP. Porte-parole.
Encyclopédie Universelle. 2012.